Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, traduction Guizot, tome 10/LI

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Traduction par François Guizot.
Texte établi par François GuizotLefèvre (Tome 10ep. 162-339).

CHAPITRE LI.

Conquête de la Perse, de la Syrie, de l’Égypte, de l’Afrique et de l’Espagne, par les Arabes ou les Sarrasins. Empire des califes ou des successeurs de Mahomet. État des chrétiens sous leur gouvernement.

Union des Arabes. A. D. 632.

La révolution de l’Arabie n’avait pas changé le caractère des Arabes ; la mort de Mahomet fut le signal de l’indépendance ; et l’édifice encore mal affermi de son pouvoir et de sa religion, fut ébranlé jusque dans ses fondemens. Une troupe fidèle et peu nombreuse, composée de ses premiers disciples, avait seule entendu son éloquente voix et partagé sa détresse ; ils avaient fui avec lui la persécution de la Mecque, ou avaient reçu les fugitifs dans les murs de Médine. Les millions d’hommes qui reconnurent ensuite Mahomet pour leur roi et leur prophète, avaient été contraints par ses armes ou séduits par ses succès. L’idée simple d’un seul Dieu, inaccessible aux sens, entrait difficilement dans l’esprit des polythéistes ; et ceux des chrétiens et des juifs qui avaient embrassé l’islamisme, dédaignaient le joug d’un législateur mortel qui avait été leur contemporain. Les habitudes de foi et d’obéissance n’étaient pas bien établies ; et parmi les nouveaux convertis, un grand nombre regrettaient la vénérable antiquité de la loi de Moïse, les rites et les mystères de l’Église catholique, ou les idoles, les sacrifices et les fêtes joyeuses du paganisme qu’avaient professé leurs ancêtres. Un système d’union et de subordination n’avait pas encore apaisé le choc des intérêts et les querelles héréditaires des tribus arabes ; les Barbares ne pouvaient s’assujettir aux lois, même les plus douces et les plus salutaires, dès qu’elles asservissaient leurs passions ou qu’elles violaient leurs coutumes. Ils s’étaient soumis avec répugnance aux préceptes religieux du Koran, à la privation du vin, au jeûne du Ramadan, et aux cinq prières de chaque jour ; et sous un autre nom ils ne voyaient dans les aumônes et les dîmes qu’on recueillait pour le trésor de Médine, qu’un tribut perpétuel et ignominieux. L’exemple de Mahomet avait excité un esprit de fanatisme et d’imposture, et durant sa vie plusieurs de ses rivaux avaient osé imiter sa conduite et braver son autorité. Le premier calife avec ses fugitifs et ses auxiliaires se vit réduit aux villes de la Mecque, de Médine et de Tayef, et il paraît que les Koreishites auraient rétabli les idoles de la Caaba, s’il n’eût pas contenu leur légèreté par ce reproche : « Hommes de la Mecque, leur dit-il, voulez-vous être les derniers à embrasser l’islamisme, et les premiers à l’abandonner ? » Après avoir exhorté les musulmans à compter sur le secours de Dieu et de son apôtre, Abubeker résolut de prévenir les jonctions des rebelles par une attaque vigoureuse. Il retira les femmes et les enfans dans les cavernes et les montagnes ; ses guerriers marchèrent sous onze drapeaux ; ils répandirent la terreur de leurs armes, et cette apparition de la force militaire ranima et affermit la fidélité des croyans. Les tribus inconstantes se soumirent avec un humble repentir à la prière, au jeûne, à l’aumône ; et après quelques succès et quelques exemples de sévérité, les plus hardis d’entre les apostats se prosternèrent devant le glaive du Seigneur et devant celui de Caled. Dans la fertile province de Yemanah[1], entre la mer Rouge et le golfe de Perse, dans une ville qui n’était pas inférieure à Médine, un chef puissant, nommé Moseilama, s’était donné pour un prophète, et la tribu de Hanifa avait écouté ses prédications. Sa réputation attira près de lui une prophétesse : ces deux favoris du ciel dédaignèrent la bienséance des paroles et celle des actions, et ils passèrent plusieurs jours dans un commerce mystique et amoureux[2]. Une sentence obscure du Koran de Moseilama est parvenue jusqu’à nous[3] ; et dans l’orgueil que lui inspirait sa mission, il daigna cependant proposer à Mahomet le partage de la terre. Celui-ci lui répondit avec mépris ; mais le rapide progrès de Moseilama éveilla les craintes du successeur de l’apôtre. Quarante mille musulmans rassemblés sous le drapeau de Caled, exposèrent leur religion au hasard d’une bataille décisive. Ils furent repoussés dans une première action, et perdirent douze cents hommes ; mais l’habileté et la persévérance de leur général finirent par l’emporter ; ils vengèrent leur défaite par le massacre de dix mille infidèles, et un esclave éthiopien perça Moseilama de la javeline qui avait blessé mortellement l’oncle de Mahomet. La force et la discipline de la monarchie naissante, écrasèrent bientôt les rebelles de l’Arabie, privés de chefs ou d’une cause commune qui pût les réunir ; et la nation entière s’attacha de nouveau, et plus fermement que jamais, à la religion du Koran. L’ambition des califes leur fournit promptement des occasions d’exercer la valeur turbulente des Sarrasins ; toutes les forces des mahométans se réunirent dans une guerre sainte, dont les succès et les obstacles augmentèrent également leur enthousiasme.

Caractère de leurs califes.

D’après les rapides conquêtes des Sarrasins, on est disposé à croire que les premiers califes commandèrent en personne les armées des fidèles, et cherchèrent dans les premiers rangs la couronne du martyre. Abubeker[4], Omar[5] et Othman[6] avaient en effet déployé leur courage lors de la persécution et des guerres du prophète ; et l’assurance personnelle qu’ils avaient d’obtenir le paradis devait leur avoir appris à mépriser les plaisirs et les dangers de ce monde. Mais ils étaient vieux ou d’un âge mûr quand ils montèrent sur le trône, et les soins intérieurs de la religion et de la justice leur parurent les devoirs les plus importans d’un souverain. Si l’on excepte le siége de Jérusalem, fait par Omar en personne, leurs fréquens pèlerinages de Médine à la Mecque furent leurs plus longues expéditions. Les nouvelles de la victoire les trouvaient priant ou prêchant tranquillement devant le tombeau du prophète. L’austérité et la frugalité de leur vie étaient l’effet, soit de la vertu, soit de l’habitude, et leur orgueilleuse simplicité insultait à la vaine magnificence des rois de la terre. Lorsque Abubeker commença à remplir les fonctions de calife, il enjoignit à Ayesha, sa fille, de faire un inventaire exact de son patrimoine, afin qu’on vît s’il s’enrichirait ou s’il s’appauvrirait au service de l’état. Il se crut autorisé à demander pour son salaire trois pièces d’or, et qu’on lui entretînt convenablement un chameau et un esclave noir. Le vendredi de chaque semaine il distribuait ce qui lui restait de son bien et de l’argent du public, d’abord aux plus vertueux musulmans, et ensuite aux plus indigens. À l’époque de sa mort, un vêtement grossier et cinq pièces d’or composaient toute sa fortune ; on les remit à son successeur, qui eut la modestie de dire en soupirant, qu’il désespérait d’imiter un modèle si admirable. Toutefois l’abstinence et l’humilité d’Omar ne furent pas au-dessous des vertus d’Abubeker ; il se nourrissait de pain d’orge ou de dattes ; il ne buvait que de l’eau, il prêchait revêtu d’une robe percée en douze endroits ; et un satrape de Perse, qui vint rendre hommage au vainqueur, le trouva endormi parmi des mendians sur les marches de la mosquée de Médine. L’économie est la source de la libéralité, et l’augmentation des revenus permit à Omar d’établir des récompenses durables pour les services passés et présens. Sans s’occuper de son traitement personnel, il assigna à Abbas, l’oncle du prophète, un revenu de vingt-cinq mille drachmes ou pièces d’argent ; ce fut le plus fort de tous : on en promit cinq mille toutes les années à chacun des vieux guerriers qui s’étaient trouvés à la bataille de Beder, et le dernier des compagnons de Mahomet fut récompensé par un traitement annuel de trois mille drachmes. Il en assigna mille aux vétérans qui avaient combattu à la première bataille contre les Grecs et les Persans, et il fixa les autres soldes dans une proportion décroissante jusqu’à cinquante pièces, selon le mérite et l’ancienneté de ses soldats. Sous son règne et celui de son prédécesseur, les vainqueurs de l’Orient se montrèrent de zélés serviteurs de Dieu et du peuple. Les fonds du trésor public furent consacrés aux dépenses de la paix et de la guerre. Un adroit mélange de justice et de générosité conserva la discipline des Sarrasins ; et, par un rare bonheur, ils réunirent la promptitude et l’énergie du despotisme aux maximes d’égalité et de frugalité d’un gouvernement républicain. Le courage héroïque d’Ali[7], la sagesse consommée de Moawiyah[8], excitèrent l’émulation de leurs sujets, et les talens qui s’étaient formés dans les discordes civiles, furent employés d’une manière plus utile à la propagation de la foi et de l’empire du prophète. Bientôt, livrés à l’inertie et aux vanités du palais de Damas, les princes de la maison d’Ommiyah se montrèrent dénués tout à la fois des talens de la politique et des vertus de la sainteté[9]. Cependant on apportait sans cesse au pied de leur trône les dépouilles de nations qui leur étaient inconnues, et l’accroissement continu de la puissance des Arabes doit être attribué au courage de la nation plutôt qu’aux talens de ses chefs. Sans doute on doit compter pour beaucoup dans leurs succès la faiblesse de leurs ennemis. La naissance de Mahomet s’était trouvée heureusement placée à l’époque du dernier degré de l’abâtardissement et du désordre des Persans, des Romains et des Barbares de l’Europe. L’empire de Trajan ou même celui de Constantin ou de Charlemagne aurait repoussé ces Sarrasins à demi nus, et le torrent du fanatisme se serait perdu sans fracas dans les déserts de l’Arabie.

Leurs conquêtes.

À l’époque des victoires de la république de Rome, le sénat s’était toujours attaché à réunir sur une seule guerre toutes ses forces et tous ses moyens politiques, et à étouffer complètement un premier ennemi avant d’en provoquer un second. La magnanimité ou l’enthousiasme des califes arabes dédaigna ces timides maximes : ils envahirent avec la même vigueur et le même succès les domaines des successeurs d’Auguste et ceux des successeurs d’Artaxercès, et les deux monarchies rivales devinrent au même instant la proie d’un ennemi qu’elles avaient été si long-temps accoutumées à mépriser. Durant les dix années du règne d’Omar, les Sarrasins réduisirent sous son obéissance trente-six mille villes ou châteaux ; ils détruisirent quatre mille églises ou temples de mécréans, et élevèrent quatorze cents mosquées pour l’exercice de la religion de Mahomet. Un siècle après son évasion de la Mecque, ses successeurs donnaient des lois des frontières de l’Inde à l’Océan Atlantique ; 1o. à la Perse, 2o. à la Syrie, 3o. à l’Égypte, 4o. à l’Afrique, et 5o. à l’Espagne. Je suivrai cette division générale dans le récit de tant de conquêtes mémorables ; je raconterai en peu de mots celles qui ont rapport aux parties de l’Orient les plus éloignées et les moins intéressantes ; je serai plus détaillé sur les contrées qui faisaient partie de l’Empire romain. Mais pour faire excuser les imperfections de cette partie de mon ouvrage, je dois former de justes plaintes sur l’aveuglement et l’insuffisance des guides auxquels j’ai été réduit. Les Grecs, si verbeux dans la controverse, n’ont pas mis beaucoup de soin à célébrer les triomphes de leurs ennemis[10]. Le premier siècle de l’islamisme fut une époque d’ignorance ; et lorsqu’à la fin de ce siècle on écrivit les premières annales des musulmans, ce fut, en grande partie, d’après la tradition[11]. Parmi les nombreuses productions de la littérature arabe et de la littérature persane[12], nos interprètes ont choisi les esquisses imparfaites d’une période plus moderne[13]. Les Asiatiques sont étrangers à l’art et au génie de l’Histoire[14] ; ils ignorent les lois de la critique : ceux de leurs ouvrages qui ont eu le plus de succès, absolument dépourvus de toute philosophie et de tout esprit de liberté, peuvent être comparés aux chroniques publiées par les moines à la même époque. La Bibliothéque orientale, que nous devons à un Français[15], instruirait le mufti le plus éclairé de l’Orient, et les Arabes ne trouveraient peut-être pas dans un seul de leurs historiens un récit de leurs exploits aussi clair et aussi complet que celui qu’on va lire.

Invasion de la Perse. A. D. 632.

I. La première année du règne du premier calife, Caled, son lieutenant, le glaive de Dieu et le fléau des infidèles, s’avança jusques aux rives de l’Euphrate, et soumit les villes d’Anbar et de Hira. Une tribu d’Arabes sédentaires s’était établie sur la frontière du désert, à l’ouest des ruines de Babylone, et Hira était la résidence d’une race de rois qui avaient adopté le christianisme, et qui régnaient depuis plus de six siècles à l’ombre du trône de la Perse[16]. Le dernier des princes Mondars fut défait et tué par Caled ; son fils captif fut envoyé à Médine ; ses nobles se prosternèrent devant le successeur de Mahomet ; le peuple fut séduit par l’exemple et les succès de ses compatriotes, et le calife reçut pour premier fruit de ses conquêtes étrangères un tribut annuel de soixante-dix mille pièces d’or. Les vainqueurs et même leurs historiens furent étonnés de ce premier éclat de leur grandeur future. « La même année, dit Elmacin, Caled livra plusieurs grandes batailles ; il fit un immense carnage des infidèles, et une quantité innombrable de dépouilles d’une valeur infinie tomba au pouvoir des musulmans victorieux »[17]. Mais l’invincible Caled fut bientôt chargé de la guerre de Syrie ; des chefs moins actifs ou moins prudens dirigèrent l’invasion de la frontière de Perse. Les Sarrasins furent repoussés avec perte au passage de l’Euphrate : ils châtièrent à la vérité l’insolence des mages ; mais le reste de leurs forces se borna ensuite à errer dans le désert de Babylone.

Bataille de Cadésie. A. D. 636.

L’indignation et la crainte des Persans suspendirent pour un moment leurs querelles intestines. Arzema leur reine fut déposée, de l’avis unanime des prêtres et des nobles : c’était le sixième des usurpateurs qu’on avait vus s’élever et disparaître dans l’espace de trois ou quatre ans, depuis la mort de Chosroès et la retraite d’Héraclius. On donna sa couronne à Yezdegerd, petit-fils de Chosroès ; et la coïncidence d’une période astronomique[18] a marqué d’une manière mémorable l’époque où s’accomplit la chute de la dynastie des Sassaniens et de la religion de Zoroastre[19]. Le nouveau roi n’avait que quinze ans, et sa jeunesse et son inexpérience l’engagèrent à se refuser au danger d’une bataille. Le drapeau royal fut remis entre les mains de Rustam, général de son armée ; et de trente mille soldats qui la composaient, elle s’accrut, dit-on, de cent vingt mille guerriers, sujets ou alliés de la Perse. Les musulmans d’abord au nombre de douze mille, ayant reçu des renforts, présentaient une armée de trente mille combattans ; ils campaient dans les plaines de Cadésie[20] ; et quoiqu’ils offrissent moins de têtes, ils avaient plus de soldats qu’on n’en pouvait compter dans l’armée irrégulière des infidèles. Je ferai ici une observation que j’aurai occasion de répéter souvent : l’attaque des Arabes n’était pas, comme celle des Grecs et des Romains, l’effort d’une ligne compacte d’infanterie ; des cavaliers et des archers composaient la plus grande partie de leurs forces, et une bataille souvent interrompue et souvent renouvelée par des combats singuliers et des escarmouches de fuyards, pouvait se prolonger plusieurs jours sans qu’il y eût rien de décisif : des dénominations particulières distinguent les diverses périodes de celle de Cadésie. La première a été appelée la journée du secours, à cause des six mille Syriens qui vinrent à propos secourir les Arabes : la journée de l’ébranlement désigne sans doute le désordre de l’une des armées, et peut-être des deux ; la troisième, durant laquelle les charges se firent de nuit, a reçu le nom bizarre de la nuit du rugissement, à raison des clameurs discordantes des guerriers, qu’on a comparées aux sons inarticulés des animaux les plus farouches. La matinée du lendemain décida du sort de la Perse ; et un ouragan qui survint à propos jeta des nuages de poussière dans les yeux des mécréans. Le bruit des armes parvint jusqu’à la tente de Rustam, qui, bien différent d’un ancien héros de son nom, était mollement couché sous un ombrage tranquille, au milieu des bagages de son camp et d’une suite nombreuse de mulets chargés d’or et d’argent. Au bruit du danger, le général s’élança précipitamment hors de ce lieu de repos ; mais ayant été arrêté dans sa fuite par un Arabe, celui-ci le saisit par le pied, lui coupa la tête, qu’il rapporta au haut de sa lance ; et retournant aussitôt sur le champ de bataille, sema le carnage et la terreur dans les rangs les plus épais de l’armée persane. Les Sarrasins avouent une perte de sept mille cinq cents hommes, et représentent avec raison la bataille de Cadésie comme opiniâtre et atroce ; ce sont leurs expressions[21]. Les Arabes enlevèrent dans le combat l’étendard de la monarchie, formé du tablier de cuir d’un forgeron qui s’était jadis élevé au rang de libérateur de la Perse ; mais une profusion de pierres précieuses couvrait et cachait presque ce gage d’une pauvreté héroïque[22]. Après cette victoire, la riche province d’Irak ou de l’Assyrie se soumit au calife, et la fondation de Bassora[23], place qui domine toujours le commerce et la navigation des Perses, l’affermit promptement dans ses conquêtes. À quatre-vingts milles du golfe, l’Euphrate et le Tigre se réunissent pour ne former qu’un seul courant large et droit, qu’on appelle avec raison la rivière des Arabes. Bassora fut établie sur la rive occidentale, à mi-chemin entre la jonction et l’embouchure des deux fameuses rivières. Huit cents musulmans formèrent la première colonie ; mais les avantages de sa situation en firent bientôt une capitale florissante et peuplée. L’air, quoique d’une extrême chaleur, y est pur et sain ; des palmiers et des troupeaux de bétail couvrent les prairies environnantes, et l’une des vallées d’alentour a été comptée parmi les quatre paradis ou jardins de l’Asie. [Fondation de Bassora.]Sous les premiers califes, la juridiction de cette colonie arabe s’étendait jusque sur les provinces méridionales de la Perse ; la ville a été consacrée par les tombeaux de plusieurs compagnons de Mahomet, martyrs de l’islamisme ; et les navires européens continuent à fréquenter le port de Bassora, qui offre une station commode et un passage au commerce de l’Inde.

Sac de Modain. A. D. 637. Mars.

Malgré la perte de la bataille de Cadésie, un pays entrecoupé de rivières et de canaux pouvait opposer une barrière insurmontable à la cavalerie des vainqueurs, et les murs de Ctésiphon et de Modain, qui avaient résisté aux machines des Romains, n’auraient pas été renversés par les dards des musulmans ; mais ce qui acheva la ruine des Perses, ce fut cette idée que leur religion et leur empire étaient arrivés à leur dernier jour ; les postes les mieux fortifiés furent abandonnés par la lâcheté ou la trahison de ceux qui les gardaient ; et le roi, suivi d’une partie de sa famille et de ses trésors, se réfugia à Holwan, au pied des collines de la Médie. Le troisième mois après la bataille, Said, lieutenant d’Omar, passa le Tigre sans opposition ; la capitale de la Perse fut prise d’assaut, et la confuse résistance du peuple ne fit que donner plus d’impétuosité aux coups des musulmans, qui s’écriaient avec un transport religieux : « Voilà le palais blanc de Chosroès ; voilà la promesse de l’apôtre de Dieu accomplie. » La pauvreté des brigands du désert se trouva tout d’un coup changée en une richesse surpassant leurs espérances et leurs idées. Chacune des chambres de ce palais offrait un nouveau trésor caché avec art ou pompeusement étalé : l’or, l’argent, les meubles et les vêtemens précieux surpassèrent, dit Abulféda, tous les calculs de l’imagination ou la portée des nombres ; et un autre historien porte la somme inouïe et presque infinie de ces fabuleuses richesses à trois mille milliers de millions de pièces d’or[24]. Des faits minutieux, mais propres à intéresser la curiosité, montrent bien le contraste de la richesse et de l’ignorance. La ville renfermait une grande provision de camphre[25], venu des îles éloignées de l’océan de l’Inde, et destiné à être mêlé dans la cire qui sert à éclairer les palais de l’Orient. Les Sarrasins ne connaissant ni la propriété ni le nom de cette gomme odoriférante, la prirent pour du sel ; ils en mirent dans leur pain, et furent étonnés de son amertume. Un tapis de soie de soixante coudées de longueur et d’autant de largeur, décorait un des appartemens du palais : il représentait un paradis ou jardin ; on y voyait des fleurs, des fruits et des arbrisseaux, brodés en or ou figurés par des pierres précieuses, et le tout environné d’une bordure verdoyante nuancée de différentes couleurs. Le général arabe, persuadé avec raison que le calife pourrait voir avec plaisir ce bel ouvrage de la nature et de l’art, détermina ses soldats à renoncer à cette partie du butin. Le rigide Omar, sans s’occuper du mérite de l’art et de la magnificence royale déployée dans cette composition, en partagea les fragmens à ses frères de Médine. Le tableau fut détruit ; mais telle était le prix de la matière, que la seule portion d’Ali se vendit vingt mille drachmes. Un mulet qui emportait la tiare et la cuirasse, la ceinture et les bracelets de Chosroès, fut arrêté ; on offrit ce brillant trophée au commandeur des fidèles, et les plus graves d’entre ses compagnons sourirent en voyant la barbe blanche, les bras couverts de poils et la figure grossière de ce vieux soldat revêtu des dépouilles du grand roi[26]. [Fondation de Cufa.]Après le sac de Ctésiphon, cette ville, bientôt abandonnée, tomba peu à peu en ruines. Les Sarrasins n’en aimaient ni la température ni la situation, et le général d’Omar lui conseilla de transférer le siége du gouvernement sur la rive occidentale de l’Euphrate. Dans tous les temps, la fondation et la ruine des villes d’Assyrie ont été faciles et promptes. Le pays est dénué de pierres et de bois de charpente ; les édifices les plus solides[27] sont de briques cuites au soleil et réunies par un ciment de bitume, production du pays. Le nom de Cufa[28] ne peut rappeler d’autre idée que celle d’une habitation bâtie de roseaux et de terre ; mais une riche, nombreuse et courageuse colonie de vétérans peuplait alors cette nouvelle capitale, à laquelle elle donnait de l’importance : les plus sages d’entre les califes, craignant de provoquer la révolte de cent mille guerriers, toléraient leurs habitudes de licence. « Habitans de Cufa, disait Ali, qui sollicitait leur secours, vous vous êtes toujours distingués par votre valeur. Vous avez vaincu le roi de Perse, vous avez tenu ses forces dispersées jusqu’au moment où vous vous êtes emparés de son héritage. » Les batailles de Jalula et de Nehavend achevèrent cette grande conquête. Après la perte de la première, Yezdegerd ne se crut plus en sûreté à Holwan ; il alla cacher sa honte et son désespoir dans les montagnes du Farsistan, d’où Cyrus était descendu avec ses braves compagnons, alors ses égaux. Le courage de la nation survécut à celui de son monarque ; au milieu des collines situées au sud d’Ecbatane ou Hamadan, cent cinquante mille Perses firent un troisième et dernier effort pour défendre leur religion et leur pays, et les Arabes donnèrent à la bataille décisive livrée à Nehavend, le nom de victoire des victoires. S’il est vrai que le général persan fut pris au milieu d’une troupe de mulets et de chameaux chargés de miel, qui l’avait arrêté dans sa fuite, cet incident, quelque léger ou quelque singulier qu’il puisse nous paraître, sert à nous faire comprendre quels obstacles[29] devait apporter à la marche d’une armée d’Orient le luxe qu’elle traînait à sa suite.

Conquête de la Perse. A. D. 637-651.

Les Grecs et les Latins ont parlé d’une manière très-imparfaite de la géographie de la Perse ; mais il paraît que ses villes les plus célèbres sont antérieures à l’invasion des Arabes. La réduction de Hamadan et d’Ispahan, de Caswin, de Tauris et de Rei, approcha peu à peu ces conquérans des rives de la mer Caspienne ; et les orateurs de la Mecque purent célébrer les succès et la valeur des fidèles, qui avaient déjà perdu de vue l’ourse septentrionale et presque dépassé les bornes du monde habitable[30]. Se tournant ensuite du côté de l’Occident et de l’Empire romain, ils repassèrent le Tigre sur le pont de Mosul ; et au milieu des provinces captives de l’Arménie et de la Mésopotamie, ils embrassèrent leurs compatriotes de l’armée de la Syrie, qui de leur côté avaient eu de grands succès. Du palais de Modain ils se remirent en marche vers l’Orient, et leurs progrès ne furent ni moins rapides ni moins étendus. Ils s’avancèrent le long du Tigre et du golfe de la Perse, et après avoir passé les défilés des montagnes, ils arrivèrent dans la vallée d’Estachar ou de Persépolis, et profanèrent le dernier sanctuaire de l’empire des mages. Le petit-fils de Chosroès pensa être surpris au milieu des colonnes qui s’écroulaient et des figures mutilées, tristes emblèmes de la fortune passée et de la fortune présente de la Perse[31] : il traversa dans sa fuite, avec toute la célérité possible, le désert de Kirman ; il implora les secours des braves Segestains, et chercha un asile obscur sur la frontière de l’empire des Turcs et de celui des Chinois ; mais une armée victorieuse est insensible à la fatigue : les Arabes divisèrent leurs forces, afin de poursuivre de toutes parts leur timide ennemi, et le calife Othman promit le gouvernement de Khorasan au premier général qui pénétrerait dans cette contrée vaste et peuplée, qui avait formé autrefois le royaume de la Bactriane. La condition fut acceptée, le prix fut mérité ; l’étendard de Mahomet fut planté sur les murs de Hérat, Merou et Balch ; et le général victorieux ne se reposa que lorsque ses chevaux fumans se furent désaltérés dans les eaux de l’Oxus. Dans l’anarchie générale, les gouverneurs des villes et des châteaux, devenus indépendans, obtinrent leur capitulation particulière ; l’estime, la prudence ou la compassion des vainqueurs en dictèrent les articles, et, selon sa profession de foi, le vaincu se trouva leur concitoyen ou leur esclave. Harmozan, prince d’Ahwah et de Suze, après une courageuse défense, fut contraint de remettre sa personne et ses états à la merci du calife. Leur entrevue donnera une idée des mœurs arabes. Lorsque ce barbare voluptueux fut en présence d’Omar, le calife ordonna de le dépouiller de ses robes de soie brodées en or, et de sa tiare chargée de rubis et d’émeraudes : « Maintenant, dit le vainqueur à son captif, reconnaissez-vous l’arrêt de Dieu et la différence des traitemens qui attendent la soumission et l’infidélité ? — Hélas ! répondit Harmozan, je le sens trop profondément. Dans les jours de notre commune ignorance, nous combattions avec des armes terrestres, et ma nation eut l’avantage. Dieu était neutre alors ; depuis qu’il a épousé votre querelle, il a renversé notre royaume et notre religion. » Fatigué de ce pénible dialogue, le Persan se plaignit d’une extrême soif, mais il parut craindre qu’on ne le tuât au moment où il boirait. « Soyez sans crainte, lui dit le calife, votre vie est en sûreté jusqu’à ce que vous ayez bu cette eau. » Le rusé satrape le remercia de cette promesse, et au même instant il brisa le vase contre terre. Omar voulait le punir de sa supercherie ; mais les musulmans lui rappelèrent la sainteté du serment, et la prompte conversion d’Harmozan à la religion de Mahomet, lui donna droit non-seulement au pardon, mais encore à un traitement de deux mille pièces d’or. Pour régler l’administration de la Perse, on fit le dénombrement du peuple, des têtes de bétail et des fruits de la terre[32] ; et si ce monument qui atteste la vigilance des califes était parvenu jusqu’à nous, il deviendrait utile aux philosophes de tous les siècles[33].

Mort du dernier roi de la Perse. A. D. 651.

Yezdegerd s’était porté, dans sa fuite, au-delà de l’Oxus et jusqu’au Jaxartes, deux fleuves[34] très-connus des anciens et des modernes, qui descendent des montagnes de l’Inde vers la mer Caspienne ; il fut reçu avec hospitalité par Tarkhan, prince de la Fargana[35], province fertile, située sur les rives du Jaxartes. Le roi de Samarcande, les hordes turques de la Sogdiane et de la Scythie, se laissèrent toucher par les lamentations et les promesses du monarque détrôné ; et ce malheureux prince implora l’amitié plus solide et plus puissante de l’empereur de la Chine[36]. Le vertueux Taitsong[37], premier roi de la dynastie des Tang, peut être avec justice comparé aux Antonins : son peuple vivait dans la paix et la prospérité, et quarante-quatre tribus de Tartares reconnaissaient ses lois. Cashgar et Khoten, garnisons de ses frontières, entretenaient des communications fréquentes avec les peuplades qui habitaient les environs du Jaxartes et de l’Oxus. Une colonie de Persans, depuis peu établie à la Chine, y avait introduit l’astronomie des mages ; et Taitsong put voir avec crainte les rapides progrès et le dangereux voisinage des Arabes. L’influence et peut-être les secours du gouvernement de la Chine ranimèrent l’espoir de Yezdegerd et le zèle des adorateurs du feu ; il s’avança à la tête d’une armée de Turcs, pour reconquérir le royaume de ses pères. Les fortunés musulmans eurent, sans tirer leurs épées, le spectacle de sa défaite et de sa mort. Le petit-fils de Chosroès fut trahi par un de ses serviteurs, insulté par les habitans révoltés de Merou, et attaqué, défait, poursuivi par les Tartares qu’il avait pris pour alliés. Il arriva au bord d’une rivière ; il pria un meunier de le porter dans son bateau à l’autre rive, et lui offrit ses anneaux et ses bracelets : incapable de concevoir ou de sentir les malheurs d’un roi, cet homme grossier lui répondit : que son moulin rapportait par jour quatre drachmes d’argent, et qu’il n’abandonnerait son travail que dans le cas où on l’en dédommagerait. Ce moment d’hésitation et de retard donna à la cavalerie turque le temps d’arriver et de massacrer le dernier des rois sassaniens[38], alors dans la dix-neuvième année de son malheureux règne. Firuz son fils, humble courtisan de l’empereur de la Chine, accepta l’emploi de capitaine de ses gardes ; et une colonie de Persans qui s’établit dans la province de la Bucharie, y conserva long-temps la religion des mages. Son petit-fils hérita du titre de roi ; mais après une faible tentative qui ne fut suivie d’aucun succès, il retourna à la Chine, et termina sa carrière dans le palais de Sigan. La ligne mâle des Sassanides s’éteignit ; mais les captives du sang royal de Perse furent données aux vainqueurs, en qualité d’esclaves ou d’épouses, et le sang des califes et des imans fut anobli par ces illustres mères.[39]

Conquête de la Transoxiane. A. D. 712.

Après la destruction du royaume de Perse, l’empire des sarrasins ne fut plus séparé de celui des Turcs que par la rivière d’Oxus. La valeur des Arabes franchit bientôt cette étroite limite : les gouverneurs du Khorasan étendirent peu à peu leurs incursions, et l’une de leurs victoires leur valut la conquête d’une bottine que laissa tomber une reine des Turcs, au moment où elle s’enfuyait à pas précipités au-delà des collines de Bochara[40] ; mais la conquête définitive de la Transoxiane[41], aussi-bien que celle de l’Espagne, était réservée au règne glorieux de l’inactif Walid, et le nom de Catibah, qui signifie un conducteur de chameaux, annonce l’extraction et le mérite du général qui subjugua ces deux contrées. Tandis qu’un de ses collègues arborait pour la première fois l’étendard des musulmans sur les rives de l’Indus, Catibah soumettait à la religion du prophète et à l’empire du calife les vastes régions situées entre l’Oxus, le Jaxartes et la mer Caspienne[42]. Les infidèles furent assujettis à un tribut de deux millions de pièces d’or ; on brûla ou l’on mit en pièces leurs idoles : le chef musulman prononça un sermon dans la nouvelle mosquée de Carizme ; après plusieurs combats, les hordes turques furent repoussées jusqu’au désert, et les empereurs de la Chine sollicitèrent l’amitié des Arabes victorieux. On peut attribuer, en grande partie, à leur industrie, la fertilité de cette province, qui formait la Sogdiane des anciens ; mais depuis le règne des rois macédoniens, on connaissait les avantages de son terroir et de son climat, et on en tirait parti. Avant l’invasion des Sarrasins, Carizme, Bochara et Samarcande étaient des villes riches et peuplées, sous le joug des pasteurs du Nord. Elles étaient environnées d’une double muraille, et le mur extérieur renfermait les champs et les jardins appartenans au district de la ville. Les négocians de la Sogdiane fournissaient toutes les marchandises dont l’Inde et l’Europe avaient besoin, et c’est des fabriques de Samarcande que s’est répandu en Occident cet art inestimable qui transforme le linge en papier.[43]

Invasion de la Syrie. A. D. 632.

II. Abubeker, après avoir rétabli l’unité de la foi et du gouvernement, écrivit cette lettre à toutes les tribus arabes. « Au nom du Dieu miséricordieux, salut et bonheur au reste des vrais croyans, et que les bénédictions du ciel soient avec vous. Je loue le Dieu tout-puissant, et je prie pour Mahomet son prophète. — Je vous avertis que je me propose d’envoyer les vrais croyans dans la Syrie[44], afin de l’arracher des mains des infidèles ; et j’ai voulu vous faire savoir que combattre pour la religion est un acte d’obéissance à la volonté de Dieu. » Ses envoyés revinrent en annonçant l’ardeur pieuse et guerrière dont ils avaient enflammé toutes les provinces, et l’on vit arriver successivement au camp de Médine les intrépides bandes des Sarrasins brûlant de marcher au combat, se plaignant de la chaleur de la saison et de la disette de vivres, et accusant par leurs impatiens murmures la lenteur et les délais du calife. Dès que l’armée fut complète, Abubeker monta sur la colline, fit la revue des hommes, des chevaux et des armes, et pria le ciel avec ferveur pour le succès de l’entreprise. Il fit avec l’armée, et à pied, tout le premier jour de marche ; et lorsque les chefs honteux voulurent descendre de cheval, il dissipa leurs scrupules, en leur disant que ceux qui marchaient à cheval et ceux qui marchaient à pied pour le service de la religion étaient égaux en mérite. Ses instructions[45] aux généraux de l’armée de Syrie furent dictées par ce fanatisme guerrier qui marche à la conquête des objets de l’ambition mondaine en affectant de les mépriser. « Souvenez-vous, leur dit le successeur du prophète, que vous êtes toujours en présence de Dieu et à la veille de la mort ; certains du jugement et espérant le paradis, évitez l’injustice et l’oppression ; délibérez avec vos frères, et efforcez-vous de maintenir l’amour et la confiance de vos troupes. Lorsque vous combattrez pour la gloire de Dieu, conduisez-vous comme des hommes, sans tourner le dos ; mais que le sang des femmes ou celui des enfans ne souille pas votre victoire. Ne détruisez pas les palmiers, ne brûlez pas les champs de blé ; n’abattez jamais les arbres fruitiers, et ne faites du mal à aucun bétail qu’à celui que vous tuerez pour le manger. Quand vous accorderez un traité ou une capitulation, ayez soin d’en remplir les articles, et soyez aussi bons que votre parole. À mesure que vous avancerez, vous rencontrerez des personnes religieuses qui vivent dans des monastères, et ont choisi cette manière de servir Dieu ; laissez-les seules, ne les égorgez point et ne détruisez pas leurs monastères[46] : vous trouverez une autre classe d’hommes qui appartiennent à la synagogue de Satan, et qui ont la tête rasée en couronne[47] ; ne manquez pas de leur fendre le crâne, et ne leur faites aucun quartier, à moins qu’ils ne veuillent devenir mahométans ou payer le tribut. » Les entretiens profanes ou frivoles, tout ce qui pouvait rappeler d’anciennes querelles était sévèrement défendu parmi les Arabes ; jusque dans le tumulte des camps ils se livraient avec assiduité aux exercices de la religion, et employaient à la prière, à la méditation et à l’étude du Koran leurs intervalles de repos. On punissait l’abus ou même l’usage du vin de quatre-vingts coups de bâton sur la plante des pieds ; et dans la ferveur des premiers temps, l’on vit des pécheurs inconnus révéler leur faute et solliciter leur punition. Après quelques incertitudes, le commandement de l’armée de Syrie fut donné à Abu-Obeidah, un des fugitifs de la Mecque et des compagnons de Mahomet. L’extrême douceur et l’extrême bonté de son caractère adoucissaient son zèle et sa dévotion sans les affaiblir ; mais dès que la guerre prenait de l’importance, les soldats réclamaient le génie supérieur de Caled ; et, quelque pût être le choix du prince, le glaive de Dieu se trouvait, dans le fait et dans l’opinion, le premier général des Sarrasins. Au reste, ce Caled si renommé obéissait sans répugnance, et on le consultait sans jalousie : tel était le dévouement de ce guerrier, ou plutôt celui de son temps, qu’il se déclarait prêt à servir sous la bannière de la foi, fût-elle entre les mains d’un enfant ou d’un ennemi. La gloire et les richesses étaient promises sans doute au musulman victorieux ; mais on avait eu soin de lui répéter que s’il cherchait dans les biens de ce monde les seuls motifs de ses actions, ils seraient aussi sa seule récompense.

Siége de Bosra.

La vanité romaine avait décoré du nom d’Arabie[48] celle des quinze provinces de la Syrie qui comprenait les terres cultivées à l’orient du Jourdain, et les premières invasions des Sarrasins semblèrent justifiées par une sorte de droit national. Ce canton s’enrichissait des fruits d’un commerce varié ; les empereurs avaient eu soin de le couvrir d’une ligne de forts, et la solidité des murs de Gerase, Philadelphie et Bosra[49], les garantissait au moins d’une surprise. La dernière formait la dix-huitième station depuis Médine ; la route en était bien connue des caravannes d’Hejaz et de l’Irak, qui se rendaient chaque année à ce marché abondamment approvisionné des productions de la province et de celles du désert. Les craintes perpétuelles qu’inspirait le voisinage des Arabes avaient formé les habitans à l’usage des armes, et douze mille cavaliers pouvaient sortir des portes de Bosra, nom qui, dans l’idiome de Syrie, signifiait une tour bien fortifiée. Quatre mille musulmans, encouragés par leurs premiers succès contre les bourgades ouvertes et les troupes légères des frontières, osèrent attaquer la forteresse de Bosra après l’avoir sommée de se rendre. Ils furent accablés par la multitude des Syriens ; et ils auraient tous péri, si Caled ne fût arrivé à leur secours avec quinze cents chevaux ; il blâma l’entreprise, rétablit l’égalité du combat, et délivra son ami, le respectable Serjabil, qui invoquait en vain l’unité de Dieu et les promesses de l’apôtre. Les musulmans, après s’être reposés quelques momens, firent leurs ablutions avec du sable qui leur tint lieu d’eau[50], et Caled récita la prière du matin avant de les faire monter à cheval. Le peuple de Bosra, plein de confiance dans ses forces, ouvrit les portes, rangea son armée dans la plaine, et jura de mourir pour la défense de sa religion. Mais une religion de paix ne pouvait résister à ce cri forcené : « Au combat ! au combat ! le paradis ! le paradis ! » qui retentissait de toutes parts au milieu des lignes des Sarrasins : le tumulte de la ville, le son des cloches[51], les exclamations des prêtres et des moines augmentaient l’épouvante et le désordre des chrétiens. Les Arabes ne perdirent que deux cent trente hommes, et demeurèrent les maîtres du champ de bataille ; soit pour attirer les secours du ciel ou ceux de la terre, les remparts de Bosra furent couverts de croix bénites et de bannières consacrées. Romanus, gouverneur de cette ville, avait engagé, dès les premiers momens, les habitans à la soumission ; déposé par le peuple, qui le méprisait, il désirait vivement de se venger, et par malheur il en avait les moyens. Dans une entrevue nocturne qu’il eut avec les émissaires de Caled, il leur apprit qu’un passage pratiqué sous sa maison se prolongeait en dehors de la place : le fils du calife et cent volontaires se fièrent à la parole de Romanus, et, par une heureuse intrépidité, ouvrirent une route facile au reste des Sarrasins. Lorsque Caled eut réglé la servitude et le tribut auxquels devaient être assujettis les habitans, Romanus, apostat ou converti, se vanta dans l’assemblée du peuple d’une trahison si méritoire aux yeux de sa nouvelle religion. « Je renonce à votre société, ajouta-t-il, dans ce monde et dans l’autre ; je renie celui qui a été crucifié et tous ceux qui l’adorent ; je choisis Dieu pour mon maître, l’islamisme pour ma religion, la Mecque pour mon temple, les musulmans pour mes frères, et je reconnais pour mon prophète, Mahomet, envoyé sur la terre afin de nous conduire dans le chemin du salut, et de faire briller la véritable religion en dépit des hommes qui donnent des collègues à Dieu. »

Siége de Damas. A. D. 633.

Bosra n’était qu’à quatre journées de Damas[52], et la conquête de cette ville excita les Arabes à assiéger l’ancienne capitale de la Syrie[53]. Ils campèrent à quelque distance des murs, au milieu des bocages et des fontaines de cet agréable canton[54], et proposèrent à des citoyens remplis de courage et qui venaient de recevoir un renfort de cinq mille Grecs, l’alternative ordinaire de se soumettre au mahométisme, au tribut ou à la guerre. Dans le déclin comme dans l’enfance de l’art militaire, les généraux eux-mêmes ont souvent offert et accepté des cartels[55]. Plus d’une lance fut brisée dans la plaine de Damas ; et lors de la première sortie des assiégés, Caled signala sa valeur personnelle. Il venait, à la suite d’un combat obstiné, de renverser et de faire prisonnier un des chefs chrétiens, guerrier qui, par sa haute taille et son intrépidité, était un adversaire digne de lui ; au même instant, il prit un cheval frais que lui avait donné le gouverneur de Palmyre, et se rendit en hâte à la première ligne de son armée. « Reposez-vous un moment, lui dit Derar son ami, et permettez-moi de vous remplacer ; votre lutte contre ce chien de chrétien vous a fatigué. — Ô Derar ! lui répondit l’infatigable Caled, nous nous reposerons dans le monde à venir ; celui qui travaille aujourd’hui se reposera demain. » Ce fut avec la même ardeur qu’il répondit au défi d’un autre champion, le combattit et le renversa encore sur la poussière ; et indigné du refus que firent ces deux captifs d’abandonner leur religion, il fit jeter leurs têtes dans la ville. Le mauvais succès de plusieurs actions générales et particulières obligea les habitans de Damas à se tenir à couvert derrière leurs murailles. Un messager qu’ils descendirent du haut des remparts, rentra dans la ville avec la promesse d’un puissant renfort qui ne tarderait pas à arriver. La joie tumultueuse qu’excita cette nouvelle en instruisit bientôt les Arabes. Après quelques discussions les généraux résolurent de lever ou plutôt de suspendre le siége, jusqu’à ce qu’ils eussent livré bataille aux forces de l’empereur. Pendant la retraite, Caled voulait se placer à l’arrière-garde, c’est-à-dire à l’endroit le plus périlleux ; il le céda modestement aux désirs d’Abu-Obeidah ; mais au moment du danger, il vola au secours de son compagnon, vivement pressé par six mille cavaliers et dix mille fantassins sortis de la ville, et dont il ne resta qu’un bien petit nombre pour aller raconter à Damas les circonstances de leur défaite. Cette guerre devenait assez importante pour exiger la réunion des Sarrasins dispersés sur les frontières de la Syrie et de la Palestine : je vais rapporter ici une des lettres circulaires envoyées pour cet effet aux différens gouverneurs. Celle-ci était adressée à Amrou, celui qui subjugua ensuite l’Égypte. « Au nom du Dieu miséricordieux, Caled à Amrou, santé et bonheur. Apprends que les musulmans, tes frères, ont le projet de se rendre à Aiznadin, où il y a une armée de soixante-dix mille Grecs, qui se proposent de marcher contre nous afin d’éteindre avec leur bouche la lumière de Dieu ; mais Dieu consente sa lumière en dépit des infidèles[56]. Dès que cette lettre aura été remise entre tes mains, viens, suivi de ceux qui sont avec toi, à Aiznadin, où tu nous trouveras, s’il plaît à Dieu très-grand. » On obéit avec joie aux ordres de Caled, et les quarante-cinq mille musulmans qui arrivèrent le même jour et au même endroit, attribuèrent à la faveur de la Providence les effets de leur activité et de leur zèle.

Bataille d’Aiznadin. A. D. 633, 13 juillet.

Ce fut quatre ans après les triomphes de la guerre de la Perse, que le repos d’Héraclius et de l’empire fut troublé par un nouvel ennemi et une religion dont les chrétiens d’Orient sentaient fortement les effets sans en comprendre bien clairement les dogmes. L’invasion de la Syrie, la perte de Bosra et le siége de Damas éveillèrent l’empereur dans son palais de Constantinople ou d’Antioche. Soixante-dix mille soldats, soit vétérans ou de nouvelles levées, se rassemblèrent à Hems ou Émèse, sous les ordres de Werdan[57] son général, et ces troupes, presque toutes composées de cavalerie, pouvaient recevoir indifféremment le nom de syriennes, grecques ou romaines ; syriennes, à cause du lieu d’où elles étaient tirées ou du théâtre de la guerre ; grecques, à raison de la religion et de la langue de leur maître ; et romaines, d’après l’imposante dénomination que profanaient toujours les successeurs de Constantin. Werdan, monté sur une mule blanche, ornée de chaînes d’or et environnée de drapeaux et d’étendards, traversait la plaine de Aiznadin, lorsqu’il aperçut un guerrier farouche et à demi nu qui venait reconnaître l’ennemi ; c’était Derar, conduit par le fanatisme de son siècle et de son pays, qui peut-être a exagéré cette action de valeur. La haine du christianisme, l’amour du pillage et le mépris du danger, formaient les passions dominantes de l’audacieux Sarrasin ; la vue de la mort n’ébranlait jamais sa confiance religieuse, ne troublait jamais sa tranquille intrépidité, ne pouvait même jamais suspendre les saillies naturelles et plaisantes de sa gaîté martiale ; par son audace et sa prudence, il venait à bout des entreprises les plus désespérées. Après avoir couru des hasards sans nombre, après avoir été trois fois entre les mains des infidèles, il triompha de tous les dangers, et partagea les récompenses de la conquête de Syrie. En cette occasion, il soutint, en se retirant, l’attaque de trente Romains que Werdan détacha contre lui ; et après en avoir tué ou désarçonné dix-sept, il rentra sain et sauf dans le camp des musulmans, qui applaudissaient à son courage. Son général lui ayant reproché avec douceur la témérité qu’il venait de faire paraître, il s’en excusa avec la simplicité d’un soldat. « Je n’ai pas commencé l’attaque, dit-il ; ils sont venus pour me saisir, et je craignais que Dieu ne me vît tourner le dos aux infidèles. En vérité, je me battais de bon cœur, et Dieu m’a sûrement secouru contre eux. Si je n’avais pas craint de désobéir à vos ordres, je ne serais pas rentré si tôt : et je vois d’ici qu’ils tomberont entre nos mains. » Un Grec, vénérable par sa vieillesse, s’avança au milieu des deux armées, et offrit une paix qui devait être libéralement payée ; il déclara que si les Sarrasins voulaient se retirer, on donnerait à chaque soldat un turban, une robe et une pièce d’or, que leur général aurait dix robes et cent pièces d’or, et qu’on accorderait cent robes et mille pièces d’or au calife. Un sourire d’indignation exprima le refus de Caled. « Chiens de chrétiens, vous savez le choix qui vous est offert ; soumettez-vous au Koran, payez un tribut, ou venez combattre. Nous prenons plaisir à la guerre et nous l’aimons mieux que la paix ; nous dédaignons vos misérables aumônes, car bientôt nous serons les maîtres de vos fortunes, de vos familles et de vos personnes. » Malgré cette apparence de dédain, il sentait vivement le danger où se trouvaient les musulmans. Ceux d’entre les sujets du calife qui avaient été en Perse et qui avaient vu les armées de Chosroès, avouaient que jamais troupe plus formidable n’avait frappé leurs regards. L’adroit Sarrasin tira de la supériorité de l’ennemi un moyen pour échauffer encore la valeur de ses soldats. « Vous voyez devant vous, leur dit-il, les forces réunies des Romains. Il ne vous reste aucun espoir de leur échapper ; mais vous pouvez conquérir la Syrie en un seul jour. L’événement dépend de votre discipline et de votre patience. Réservez vos forces pour ce soir. C’est le soir que le prophète remportait ses victoires. » L’ennemi livra successivement deux attaques, durant lesquelles Caled soutint avec calme et fermeté les dards des Romains et les murmures de son armée. Enfin, lorsqu’il vit les forces et les carquois de ses ennemis presque entièrement épuisés, il donna le signal de la charge et de la victoire. Les débris de l’armée de l’empereur s’enfuirent à Antioche, à Césarée ou à Damas, et les musulmans se consolèrent d’avoir perdu quatre cent soixante-dix hommes, en songeant qu’ils avaient envoyé aux enfers plus de cinquante mille infidèles. Il serait difficile d’apprécier le butin de cette journée ; les Sarrasins s’emparèrent d’un grand nombre de bannières, de croix et de chaînes d’or et d’argent, de pierres précieuses, et d’une multitude innombrable d’armures et de vêtemens d’un grand prix. Le partage général fut différé jusqu’à l’époque de la prise de Damas ; mais les armes furent un utile secours et devinrent de nouveaux instrumens de victoire. Ces glorieuses nouvelles furent transmises au calife, et les tribus arabes qui se montraient les plus insensibles ou les plus opposées à la mission de Mahomet, demandèrent avec ardeur qu’on leur permît d’avoir part aux dépouilles de la Syrie.

Les Arabes retournent à Damas.

La douleur et l’épouvante portèrent promptement à Damas ces tristes récits, et les habitans virent du haut de leurs murs le retour des héros d’Aiznadin. Amrou à la tête de dix mille cavaliers, formait l’avant-garde. Les bandes de Sarrasins se suivaient l’une l’autre avec un appareil effrayant, et Caled, précédé de l’étendard de l’aigle noire, était à l’arrière-garde. Il avait confié à l’activité de Derar le soin de faire la patrouille autour de la ville avec deux mille cavaliers, de balayer la plaine, et d’intercepter tous les secours ou toutes les lettres qu’on voudrait envoyer dans la place. Les autres chefs arabes furent placés devant les sept portes, et le siége recommença avec une nouvelle vigueur et une nouvelle confiance. Dans les heureuses mais simples opérations des Sarrasins, il est rare d’apercevoir l’art, le travail et les machines de guerre des Grecs et des Romains : c’est avec des guerriers plutôt qu’avec des tranchées qu’ils investissaient une ville ; ils se contentaient de repousser les sorties des assiégés, ils tentaient une surprise ou un assaut, ou bien ils attendaient que la famine ou le mécontentement missent une place en leur pouvoir. Damas voulait se soumettre après la bataille d’Aiznadin, qu’elle regardait comme une sentence définitive prononcée contre l’empereur à l’avantage du calife ; l’exemple et l’autorité de Thomas, noble Grec, illustre dans une condition privée par son alliance avec Héraclius[58], ranimèrent son courage. Le tumulte et l’illumination de la nuit firent connaître aux assiégeans que la ville méditait une sortie au point du jour, et le héros chrétien, bien qu’il feignît de mépriser le fanatisme des Arabes, recourut de son côté aux expédiens d’une superstition du même genre. Il fit élever un grand crucifix devant la principale porte et à la vue des deux armées ; l’évêque et le clergé menèrent la procession et déposèrent le nouveau Testament aux pieds de l’image de Jésus-Christ ; et les deux partis furent, selon leur croyance, édifiés ou scandalisés par une prière adressée au fils de Dieu pour qu’il défendît ses serviteurs et la vérité de sa loi. On combattait avec fureur, et la dextérité de Thomas[59], le plus adroit des archers, avait coûté la vie aux plus braves d’entre les Sarrasins, lorsqu’une héroïne vengea enfin leur mort. La femme d’Aban, qui accompagnait son mari dans cette guerre sainte, l’embrassa ; et au moment où il expirait de ses blessures : « Heureux, heureux, lui dit-elle, cher ami, tu es allé rejoindre ton maître qui nous avait unis et qui nous a séparés. Je vengerai ta mort, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour me rendre au lieu que tu habites, parce que je t’aime. Désormais aucun homme ne me touchera, car je me suis consacrée au service de Dieu. » Sans pousser un gémissement, sans verser une seule larme, elle lava le corps de son époux, et l’enterra avec les cérémonies accoutumées. Après avoir rempli ce triste devoir, elle prit les armes de son époux, que dans son pays elle avait appris à manier, et son intrépide bras alla chercher le meurtrier d’Aban, qui combattait au plus épais de la mêlée. Elle perça du premier trait la main du porte-étendard de Thomas, du second elle blessa le chef à l’œil, et les chrétiens découragés ne virent plus leur drapeau ni leur général. Cependant le généreux défenseur de Damas ne voulut point se retirer dans son palais ; sa blessure fut pansée sur les remparts : le combat se prolongea jusqu’au soir, et les Syriens attendirent le jour sous les armes. Au milieu du silence de la nuit, un coup de la grande cloche donna le signal, les portes s’ouvrirent, et chacune d’elle vomit une colonne de guerriers qui fondirent impétueusement sur le camp des Sarrasins endormis. Caled s’arma le premier, vola au poste du danger à la tête de quatre cents chevaux, et des larmes coulèrent sur les joues de cet homme insensible au moment où il s’écria : « Dieu, qui ne dors jamais, jette un regard sur tes serviteurs, et ne les livre pas aux mains de leurs ennemis. » La présence de l’épée de Dieu arrêta la valeur et le triomphe de Thomas : à peine les musulmans eurent-ils reconnu le péril, qu’ils reprirent leurs rangs, et chargèrent les assaillans en flanc et par-derrière. Après avoir perdu des milliers de soldats, le général chrétien se retira avec un soupir de désespoir, et les machines de guerre établies sur le rempart réprimèrent la poursuite des Sarrasins.

Damas est prise d’assaut après l’avoir été par capitulation. A. D. 634.

Après un siége de soixante-dix jours[60] le courage des habitans de Damas, et peut-être leurs munitions, se trouvaient épuisés ; les plus braves d’entre leurs chefs se soumirent aux lois de la nécessité. Dans les diverses conjonctures de la paix et de la guerre, ils avaient appris à redouter la férocité de Caled et à respecter la douceur et les vertus d’Abu-Obeidah. Cent députés du clergé et du peuple arrivèrent, vers le milieu de la nuit, dans la tente de ce respectable chef, qui les reçut et les renvoya avec politesse. Ils reportèrent à la ville une convention par écrit, où, sur la foi de l’un des compagnons du prophète, il était stipulé que toutes les hostilités cesseraient ; que les habitans de Damas auraient la liberté de se retirer avec ce qu’ils pourraient emporter de leurs effets ; que les sujets tributaires du calife jouiraient de leurs terres et de leurs maisons, et qu’on les laisserait en possession de sept églises. D’après ces conditions, on livra à Abu-Obeidah les otages les plus considérables, et la porte qui se trouvait le plus près de son camp ; ses soldats imitèrent sa modération, et il jouit de l’humble reconnaissance du peuple qu’il venait d’arracher à la destruction ; mais le succès de la négociation avait diminué la vigilance de la ville, et au même instant le quartier opposé à celui par où entrait Obeidah, venait d’être livré et pris d’assaut. Un parti de cent Arabes avait ouvert la porte orientale à un ennemi plus inflexible : « Point de quartier ! s’écria l’avide et sanguinaire Caled, point de quartier aux ennemis du Seigneur ! » Ses trompettes sonnèrent, et le sang des chrétiens inonda les rues de Damas. Lorsqu’il arriva à l’église de Sainte-Marie, il fut étonné d’y voir ses camarades, et indigné de leur attitude pacifique ; leurs glaives pendaient à leur côté, et une multitude de prêtres et de moines les environnait. Abu-Obeidah salua le général : « Dieu, lui dit-il, a remis la ville entre mes mains par capitulation, et a épargné aux fidèles la peine de combattre. — Et moi, lui répondit Caled indigné, ne suis-je pas le lieutenant du commandeur des fidèles ? n’ai-je pas pris la ville d’assaut ? Les infidèles périront par le glaive ; tombez sur eux ! » Les Arabes inhumains, et altérés de sang, allaient obéir à cet ordre désiré, et Damas était perdue si la bonté de cœur d’Obeidah n’eût pas été soutenue par l’autorité de son rang et sa noble fermeté ; il se jeta entre les citoyens épouvantés et les plus impatiens des Barbares ; il leur enjoignit, par le saint nom de Dieu, de respecter sa promesse, de suspendre leur fureur et d’attendre la résolution du conseil. Les chefs se retirèrent dans l’église de Sainte-Marie, et après une discussion véhémente, Caled se soumit, à quelques égards, à la raison et à l’autorité de son collègue, qui fit voir que la capitulation devait être sacrée, qu’il serait utile et honorable pour les musulmans de tenir exactement leur parole ; que si on inspirait la défiance et le désespoir au reste des villes de la Syrie, elles se défendraient avec une obstination qu’on surmonterait avec peine. Il fut convenu que l’épée serait remise dans le fourreau ; que la partie de Damas qui s’était rendue à Obeidah jouirait dès le moment même des avantages de la capitulation[61] ; et qu’enfin on renverrait à la sagesse et à la justice du calife la décision de cette affaire. La plus grande partie des habitans accepta la promesse qui leur fut faite de tolérer leur religion, et la charge de payer un tribut. Il y a encore vingt mille chrétiens à Damas : mais le valeureux Thomas et les braves patriotes qui avaient combattu sous sa bannière, préférèrent la pauvreté et l’exil. Des prêtres et des laïques, des soldats et des citoyens, des femmes et des enfans, formèrent un camp nombreux dans une prairie voisine de la ville : ils y portèrent à la hâte, et remplis de terreur, leurs effets les plus précieux, et abandonnèrent avec de douloureuses lamentations, ou avec le silence du désespoir, leur terre natale et les agréables rives du Pharphar. Le spectacle de leur détresse n’émut point l’impitoyable Caled ; il disputa aux habitans de Damas la propriété d’un magasin de blé ; il s’efforça de priver la garnison des avantages du traité ; il ne permit qu’avec répugnance à chacun des fugitifs de s’armer d’une épée, d’une lance ou d’un arc, et déclara durement qu’au bout de trois jours ses soldats pourraient les poursuivre, et les traiter en ennemis des musulmans.

Poursuite des habitans de Damas.

La passion d’un jeune Syrien acheva la ruine des exilés de Damas. Un noble citoyen de cette ville, appelé Jonas[62], avait été fiancé à une jeune fille d’une famille opulente, nommée Eudoxie ; les parens de celle-ci différant la noce, elle se laissa persuader de fuir avec l’homme qu’elle avait choisi. Les deux amans corrompirent les soldats qui, pendant la nuit, gardaient la porte de Keisan. Jonas, qui marchait le premier, fut environné par une troupe d’Arabes ; il s’écria en langue grecque : « L’oiseau est pris, » et de cette manière il avertit sa maîtresse de rentrer dans la ville de Damas. Le malheureux Jonas, amené devant Caled et menacé de la mort, déclara qu’il croyait en un seul Dieu et en Mahomet son apôtre, et jusqu’à l’époque de son martyre il remplit les devoirs d’un brave et sincère musulman. La ville prise, il se rendit au monastère où s’était réfugiée Eudoxie : mais elle avait oublié son amant, pour ne plus voir en lui qu’un apostat qu’elle reçut avec mépris ; elle préféra sa religion à sa terre natale ; et Caled, sourd à la pitié, mais conduit en cette occasion par la justice, se refusa à retenir de force un homme ou une femme de Damas : un article du traité et les soins qu’exigeait cette nouvelle conquête, retinrent Caled à Damas pendant quatre jours. Le calcul du temps et de la distance aurait éteint en cette occasion son goût pour le carnage et la rapine ; mais il se rendit aux importunités de Jonas, qui l’assurait qu’on pouvait encore atteindre les fuyards épuisés par la fatigue. Caled les poursuivit en effet à la tête de quatre mille cavaliers déguisés en Arabes chrétiens. Il ne s’arrêtait que pour les momens de la prière, et ses guides connaissaient très bien le pays. Les traces des habitans de Damas furent sensibles pendant un long espace de chemin ; elles disparurent tout à coup ; mais les Sarrasins furent encouragés dans leur poursuite par l’assurance qui leur fut donnée que les fuyards s’étaient détournés dans les montagnes, et qu’ils les atteindraient bientôt. Ils souffrirent des maux extrêmes durant le passage des chaînes du Liban, et l’indomptable ardeur d’un amant soutint et égaya le courage de ces vieux fanatiques. Un paysan du canton leur apprit que l’empereur avait envoyé aux exilés un ordre de suivre, sans perdre de temps, la côte de la mer sur la route qui menait à Constantinople, dans la crainte peut-être que le spectacle et le récit de leurs souffrances ne portassent le découragement dans le cœur des soldats et du peuple d’Antioche. Les Sarrasins furent conduits à travers le territoire de Gabala[63] et de Laodicée, évitant toujours de s’approcher des villes : la pluie était continuelle, la nuit très-obscure ; ils n’étaient plus séparés des fugitifs que par une montagne, et Caled, toujours inquiet pour la sûreté de ses guerriers, confiait à son compagnon les fâcheux présages qu’il avait reçus en songe ; mais les premiers rayons du jour dissipèrent toutes ses craintes. Il aperçut devant lui, dans une agréable vallée, les tentes des chrétiens échappés de Damas. Après quelques momens consacrés au repos et à la prière, il divisa sa cavalerie en quatre corps : il confia le premier à son fidèle Derar, et se réserva le dernier ; ces quatre corps tombèrent l’un après l’autre sur une multitude en désordre, mal pourvue d’armes, et déjà vaincue par le chagrin et la fatigue. Excepté un captif qui obtint son pardon et qui fut renvoyé, les musulmans eurent la satisfaction de penser que pas un seul chrétien de l’un ou de l’autre sexe n’avait échappé au tranchant de leurs cimeterres. L’or et l’argent de Damas étaient répandus dans le camp ; les musulmans y trouvèrent plus de trois cents charges de vêtemens de soie, suffisans pour habiller une armée de Barbares. Jonas chercha et découvrit au milieu du carnage l’objet de sa constante poursuite ; mais ce dernier acte de sa perfidie avait mis le comble au ressentiment d’Eudoxie : s’efforçant de se débarrasser de ses odieuses caresses, elle se plongea un poignard dans le cœur. Une autre femme, la veuve de Thomas, qu’on a prétendu, je ne sais si c’est à tort ou à raison, être la fille d’Héraclius, fut épargnée aussi et renvoyée sans rançon ; mais ce fut par mépris que Caled se montra si généreux, et un insultant message porta jusqu’au trône des Césars les défis de cet orgueilleux Sarrasin. Après avoir fait plus de cent cinquante milles dans la province romaine, il retourna à Damas avec la même rapidité et le même secret. Omar, en montant sur le trône, lui ôta le commandement ; mais si le calife blâma la témérité de son entreprise, il donna des éloges à la vigueur et à la sagesse de son exécution.

Foire d’Abyla.

Une autre expédition des vainqueurs de Damas montra également leur avidité et leur mépris pour les richesses de ce monde. Ils apprirent que la foire d’Abyla[64] qui se tenait à environ trente milles de la ville, réunissait chaque année les productions naturelles et les produits de l’industrie de toute la Syrie, qu’une multitude de pèlerins allait, à cette époque, visiter la cellule d’un saint ermite, et que la noce de la fille du gouverneur de Tripoli devait embellir cette fête du commerce et de la superstition. Abdallah, fils de Jaafar, saint et glorieux martyr, se chargea, à la tête de cinq cents chevaux, de l’utile et pieuse mission de dépouiller les infidèles. En approchant de la foire d’Abyla, il apprit avec inquiétude que les Juifs et les chrétiens, les Grecs et les Arméniens, les naturels de la Syrie et les habitans de l’Égypte, y formaient une troupe de dix mille hommes, et que la jeune mariée avait une escorte de cinq mille cavaliers. Les Sarrasins s’arrêtèrent. « Quant à moi, dit Abdallah, je n’ose pas retourner en arrière ; nos ennemis sont nombreux, nous courons de grands dangers ; mais le prix que nous obtiendrons, soit en ce monde, soit dans l’autre, est éclatant et sûr ; que chacun, selon son inclination, avance ou se retire. » Aucun des musulmans ne se retira. « Conduisez-nous, dit Abdallah au chrétien qui lui servait de guide, et vous verrez ce que peuvent faire les compagnons du prophète. » Ses soldats chargèrent en cinq pelotons ; mais après les premiers momens du succès que leur donna cette attaque imprévue, ils furent environnés et presque accablés par les ennemis supérieurs en nombre ; et on a comparé leur brave troupe au point blanc qu’on aperçoit sur la peau d’un chameau noir[65]. Vers le coucher du soleil, la fatigue faisait tomber les armes de leurs mains ; ils allaient être précipites dans l’éternité, lorsqu’ils aperçurent un nuage de poussière qui venait à eux ; l’agréable son du tecbir[66] frappa leurs oreilles, et bientôt ils découvrirent l’étendard de Caled qui arrivait à leur secours de toute la vitesse des chevaux de sa troupe. Il renversa les bataillons chrétiens, et les poursuivit, sans cesser le carnage, jusqu’à la rivière de Tripoli. Ils abandonnèrent les richesses étalées à la foire, l’argent qu’ils avaient apporté pour leurs emplettes, le brillant appareil de la noce, la fille du gouverneur et quarante femmes de sa suite. Les fruits, les vivres, les meubles, l’argent, la vaisselle et les bijoux, furent promptement entassés sur le dos des chevaux, des ânes et des mulets, et les pieux brigands revinrent triomphans à Damas. L’ermite, après une courte et violente discussion qu’il eut avec Caled sur leurs religions respectives, refusa la couronne du martyre, et fut laissé en vie et seul sur ce théâtre de meurtre et de désolation.

Siége d’Héliopolis et d’Émèse. A. D. 635.

La Syrie[67] est un des pays les plus anciennement cultivés : elle mérite cette préférence[68]. La proximité de la mer et des montagnes, l’abondance du bois et de l’eau, y tempèrent la chaleur du climat ; et la fertilité du sol y donne une quantité si considérable de subsistances, qu’elle encourage la propagation des hommes et des animaux. Depuis le siècle de David jusqu’à celui d’Héraclius, le pays a été couvert de villes florissantes, les habitans y étaient riches et en grand nombre ; et après avoir été lentement dévastée par le despotisme et la superstition, après les calamités récentes de la guerre de Perse, la Syrie pouvait encore exciter la rapacité des avides tribus du désert. Une plaine de dix journées, qui se prolonge de Damas à Alep et Antioche, est arrosée, du côté de l’occident, par le tortueux Oronte. Les hauteurs du Liban et de l’anti-Liban règnent du nord au sud, entre l’Oronte et la Méditerranée ; et on donna autrefois l’épithète de creuse (Cœlesyrie) à une longue et fertile vallée que deux chaînes de montagnes, toujours revêtues de neige[69], bornent dans la même direction. Parmi les villes désignées dans la géographie et l’histoire de la conquête de Syrie, par leurs noms grecs et leurs noms orientaux, on remarque Émèse ou Hems, Héliopolis ou Baalbek : la première, métropole de la plaine, et la seconde, capitale de la vallée. Sous le dernier des Césars, elles étaient bien fortifiées et remplies d’habitans ; leurs tours brillaient au loin ; des édifices publics et particuliers y couvraient un vaste terrain, et les citoyens en étaient célèbres par leur courage ou du moins par leur orgueil, par leurs richesses ou du moins par leur luxe. Sous le règne du paganisme, Emèse et Héliopolis adoraient Baal ou le Soleil ; mais dans la chute de leur superstition et de leur grandeur, elles ont éprouvé une destinée bien différente. Il ne reste aucun vestige du temple d’Émèse, qui, si on en croit les poètes, égalait en hauteur le sommet du mont Liban[70], tandis que les ruines de Baalbek, inconnues aux écrivains de l’antiquité, excitent la curiosité et l’étonnement des voyageurs européens[71]. Le temple a deux cents pieds de longueur sur cent de large ; un double portique de huit colonnes en décore la façade ; on en compte quatorze de chaque côté, et chacune de ces colonnes, formée de trois blocs de pierre ou de marbre, a quarante-cinq pieds d’élévation. L’ordre corinthien observé dans les proportions et les ornemens, annonce l’architecture des Grecs ; mais Baalbek n’ayant jamais été la résidence d’un monarque, on a peine à concevoir que la libéralité des citoyens ou celle du corps de ville aient pu fournir à la dépense de ces magnifiques constructions[72]. Après la conquête de Damas, les Sarrasins marchèrent vers Héliopolis et Émèse ; mais je ne reviendrai pas sur des détails de sorties et de combats dont j’ai déjà présenté le tableau sur un plus grand théâtre. Dans la suite de cette guerre, ils n’obtinrent pas moins de succès par leur politique que par leurs armes ; ils divisèrent leurs ennemis par des trêves particulières et de peu de durée ; ils habituèrent le peuple de Syrie à comparer les avantages de leur alliance et les dangers de leur inimitié ; ils le familiarisèrent avec leur langue, leur religion et leurs mœurs, et épuisèrent par de secrets achats les magasins et les arsenaux des villes qu’ils voulaient assiéger. Ils exigèrent une rançon plus forte des plus riches et des plus obstinées ; Chalcis seule fut taxée à cinq mille onces d’or, cinq mille onces d’argent, deux mille robes de soie, et à la quantité de figues et d’olives que pourraient porter cinq mille ânes. Au reste, ils observèrent fidèlement les articles des trèves ou des capitulations, et le lieutenant du calife, qui avait promis de ne pas entrer dans les murs de Baalbek, que ses armes tenaient comme en captivité, demeura tranquille dans sa tente jusqu’à l’époque où les factions qui déchiraient la ville sollicitèrent l’interposition d’un maître étranger. La conquête de la plaine et de la vallée de Syrie fut terminée en moins de deux ans. Le calife néanmoins se plaignit de la lenteur de ces succès ; et les Sarrasins, expiant leurs fautes par des larmes de repentir et de rage, demandèrent hautement que leurs chefs les menassent aux combats du Seigneur. Dans une action qui avait eu lieu peu de temps auparavant sous les murs d’Émèse, on avait entendu un jeune Arabe, cousin de Caled, s’écrier ; « Je crois voir les houris aux yeux noirs jeter des regards sur moi : si l’une d’entre elles se montrait sur la terre, tous les hommes expireraient d’amour. J’en aperçois une qui tient un mouchoir de soie verte et un chapeau de pierres précieuses ; elle me fait des signes, elle m’appelle. Viens promptement, me dit-elle, car je t’aime. » À ces mots, chargeant les chrétiens avec fureur, il portait le carnage de tous côtés, lorsque le gouverneur de Hems, qui le remarqua, le perça d’une javeline.

Bataille de Yermuk. A. D. 636. Nov.

Les Sarrasins avaient besoin de toute leur valeur et de tout leur enthousiasme pour résister aux forces de l’empereur, à qui des pertes multipliées faisaient assez connaître que les pirates du désert voulaient conquérir régulièrement et garder la Syrie, et qu’en peu de temps ils viendraient à bout de leur projet. Quatre-vingt mille soldats des provinces de l’Europe et de l’Asie furent conduits par mer et par terre à Antioche et à Césarée : soixante mille Arabes chrétiens de la tribu de Gassan formaient les troupes légères de cette armée : ils marchaient en avant sous le drapeau de Jabalah, le dernier de leurs princes ; et les Grecs avaient pour maxime : que c’était au moyen du diamant qu’on parvenait le mieux à couper le diamant. Héraclius n’exposa point sa personne aux dangers de cette guerre ; mais dans sa présomption ou peut-être par un effet de découragement, il ordonna expressément qu’on décidât dans une seule bataille le sort de la province et celui de la guerre. Les habitans de la Syrie défendaient la cause de Rome et celle du Christ ; le noble, le citoyen et le paysan, furent également irrités de l’injustice et de la cruauté d’une armée licencieuse qui les opprimait comme des sujets et les méprisait comme des étrangers[73]. Les Sarrasins campaient sous les murs d’Emèse lorsqu’ils furent instruits de ces grands préparatifs, et quoique les chefs fussent bien décidés à combattre, ils assemblèrent un conseil de guerre : le pieux Abu-Obeidah voulait recevoir au lieu où il se trouvait la couronne du martyre : Caled fut sagement d’avis de faire une retraite honorable sur la frontière de la Palestine et de l’Arabie, où l’armée pourrait attendre le secours de ses amis et l’attaque des infidèles. Un courrier envoyé à Médine revint promptement avec les bénédictions d’Omar et d’Ali, les prières des veuves du prophète, et un renfort de huit mille musulmans. Ce petit corps battit sur sa route un détachement de Grecs, et en arrivant à Yermuk, où était le camp des Sarrasins, ils apprirent avec joie que Caled avait déjà mis en déroute et dispersé les Arabes chrétiens de la tribu de Gassan. Aux environs de Bosra, les sources de la montagne de Hermon se versent en torrent sur la plaine de Décapolis ou des dix villes, et l’Hieromax, dont le nom s’est changé par corruption en celui de Yermuk, se perd après un cours de peu de durée dans le lac de Tibériade[74]. Ses bords inconnus furent alors illustrés par une longue et sanglante bataille. En cette grande occasion, la voix publique et la modestie d’Abu-Obeidah rendirent le commandement au plus digne des musulmans. Caled se plaça à la tête de l’armée ; il mit son collègue sur les derrières, afin que les musulmans, s’ils pouvaient être tentés de fuir, fussent arrêtés par son aspect vénérable et par la vue de la bannière jaune que Mahomet avait déployée devant les murs de Chaibar. On voyait sur la dernière ligne la sœur de Derar et les femmes arabes qui s’étaient enrôlées pour cette guerre sainte, qui savaient manier l’arc et la lance, et qui, dans un moment de captivité, avaient défendu contre les incirconcis leur pudeur et leur religion[75]. La harangue des généraux fut courte, mais énergique. « Le paradis est devant vous, le diable et le feu de l’enfer se trouvent derrière. » Cependant la cavalerie des Romains chargea avec tant d’impétuosité, que l’aile droite des Arabes fut enfoncée et séparée du centre. Ils se retirèrent trois fois en désordre, et trois fois les reproches et les coups des femmes les ramenèrent à la charge. Dans les intervalles de l’action, Abu-Obeidah visitait les tentes de ses frères, il prolongeait leur repos en récitant à la fois deux des cinq prières de chaque jour ; il pansait leurs blessures de ses propres mains, et les consolait par cette réflexion, que les infidèles qui partageaient leurs maux ne partageraient pas leur récompense. Quatre mille et trente musulmans furent enterrés sur le champ de bataille, et l’adresse des archers Arméniens procura à sept cents d’entre les Arabes la gloire de perdre un œil dans l’exercice de ce pieux devoir. Les vétérans de la guerre de la Syrie avouèrent qu’ils n’avaient jamais vu d’action si terrible et dont l’issue eût été si long-temps douteuse. Mais aussi n’y en eut-il aucune de plus décisive ; des milliers de Grecs et de Syriens tombèrent sous le glaive des Arabes ; un grand nombre des fuyards furent massacrés après la victoire dans les bois et les montagnes. Beaucoup d’autres qui manquèrent le gué, se noyèrent dans les eaux de l’Yermuk ; et quelle que soit l’exagération des musulmans[76], les auteurs chrétiens avouent que le ciel les punit de leurs péchés d’une manière bien sanglante[77]. Manuel, qui commandait les Romains, fut tué à Damas, où il se réfugia dans le monastère du mont Sinaï. Jabalah, exilé à la cour de Byzance, y regretta les mœurs de l’Arabie et le malheur qu’il avait eu de donner la préférence à la cause des chrétiens[78]. Il avait autrefois penché vers l’islamisme, mais durant un pèlerinage à la Mecque, s’étant laissé emporter à frapper un de ses compatriotes, il avait pris la fuite afin d’échapper à l’impartiale et sévère justice du calife. Les Sarrasins victorieux passèrent un mois à Damas dans le repos et les plaisirs ; le partage du butin fut commis à la prudence d’Abu-Obeidah. Chaque soldat obtint une part pour lui et une pour son cheval, et une double portion fut réservée aux nobles coursiers de race arabe.

Conquête de Jérusalem. A. D. 637.

Après la bataille d’Yermuk, on ne vit plus paraître l’armée romaine, et les Sarrasins furent les maîtres de choisir celle des villes fortifiées de la Syrie qu’ils voudraient attaquer la première. Ils demandèrent au calife s’ils devaient marcher vers Césarée ou vers Jérusalem ; et d’après la réponse d’Ali, on mit aussitôt le siége devant cette dernière ville. Aux yeux d’un profane, Jérusalem était la première ou la seconde capitale de la Palestine ; mais considérée comme le temple de la Terre Sainte, consacrée par les révélations de Moïse, de Jésus et de Mahomet lui-même, elle était, après la Mecque et Médine, l’objet de la vénération et des pèlerinages des dévots musulmans. Le fils d’Abu-Sophian fut envoyé à la tête de cinq mille Arabes pour essayer d’abord de s’emparer de la place par surprise ou par un traité ; mais le onzième jour, elle fut investie par toute l’armée d’Abu-Obeidah ; il fit au commandant et au peuple d’Ælia[79] la sommation accoutumée. « Santé et bonheur, leur dit-il, à ceux qui suivent la droite voie ! Nous vous l’ordonnons ; déclarez qu’il n’y a qu’un Dieu, et que Mahomet est son apôtre. Si vous ne le faites pas, consentez à payer un tribut et à être nos sujets, sinon je mènerai contre vous des hommes qui mettent plus de prix à la mort que vous n’en mettez à boire du vin et à manger de la viande de porc ; et je ne vous quitterai, s’il plaît à Dieu, qu’après avoir exterminé ceux qui combattront pour vous, et réduit vos enfans en servitude. » Des vallées profondes et des hauteurs escarpées défendaient la ville de toutes parts : depuis l’invasion de la Syrie, on en avait soigneusement réparé les murs et les tours ; les plus braves des guerriers échappés au carnage d’Yermuk s’étaient arrêtés dans cette place, qui se trouvait peu éloignée, et la défense du saint sépulcre devait allumer dans l’âme de tous ceux qui remplissaient la ville quelques étincelles de cet enthousiasme qui embrasait l’âme des Sarrasins. Le siége de Jérusalem dura quatre mois ; chaque jour fut marqué par quelque sortie ou quelque assaut ; les machines des assiégés jouèrent constamment du haut de leurs remparts, et l’inclémence de l’hiver fit encore plus de mal aux Arabes. Les chrétiens cédèrent enfin à la persévérance des musulmans. Le patriarche Sophronius se montra sur les murs, et se servant de l’organe d’un interprète, il demanda une conférence. Après avoir essayé en vain de détourner le lieutenant du calife de son entreprise impie, il demanda au nom du peuple une capitulation avantageuse, dont il proposa les articles avec cette clause extraordinaire, que l’exécution en serait garantie par l’autorité et la présence d’Omar. La question fut discutée dans le conseil de Médine ; la sainteté du lieu et l’opinion d’Ali déterminèrent le calife à remplir sur ce point les vœux de ses soldats et de ses ennemis, et la simplicité qu’il fit paraître dans ce voyage est plus remarquable que ne le fut jamais toute la pompe de l’orgueil et de la tyrannie. Le vainqueur de la Perse et de la Syrie montait un chameau de poil roux, sur lequel on avait placé aussi un sac de blé, un second sac plein de dattes, un plat de bois, et une bouteille de cuir remplie d’eau. Dès qu’il s’arrêtait, tous ceux qui se trouvaient autour de lui étaient invités, sans aucune distinction, à partager son frugal repas, qu’il consacrait par des prières et une exhortation[80]. En même temps, dans tout le cours de cette expédition ou de ce pèlerinage, il usait de son pouvoir en administrant la justice : il mettait des bornes à la polygamie licencieuse des Arabes ; il réprimait les extorsions et les cruautés qu’on se permettait envers les tributaires ; et pour punir les Sarrasins de leur luxe, il les dépouillait de leurs riches robes de soie, et leur traînait le visage dans la boue. Du moment où il aperçut Jérusalem, il s’écria à haute voix : « Dieu est victorieux ! Seigneur, rends-nous cette conquête facile ; » et après avoir dressé sa tente d’étoffe grossière, il s’assit tranquillement sur la terre. Dès qu’il eut signé la capitulation, il entra dans la ville sans précaution et sans crainte, et s’entretint poliment avec le patriarche sur les antiquités religieuses de son église[81]. Sophronius se prosterna devant son nouveau maître, se disant en secret, selon les expressions de Daniel : « L’abomination de la désolation est dans le saint lieu[82]. » Ils se trouvèrent ensemble dans l’église de la Résurrection à l’heure de la prière ; mais le calife refusa d’y faire ses dévotions, et se contenta de prier sur les marches de l’église de Constantin. Il instruisit le patriarche du sage motif qui l’avait déterminé. « Si je m’étais rendu à vos instances, lui dit-il, sous prétexte d’imiter mon exemple, les musulmans auraient un jour enfreint les articles du traité. » Il ordonna de bâtir une mosquée[83] sur le terrain qu’avait autrefois occupé le temple de Salomon ; et durant les dix journées qu’il passa à Jérusalem, il régla pour le moment et pour l’avenir ce qui avait rapport à l’administration de la Syrie. Médine pouvait craindre que le calife ne fût retenu par la sainteté de Jérusalem ou la beauté de Damas ; il dissipa bientôt ses inquiétudes en retournant de lui-même auprès du tombeau de l’apôtre,[84]

Conquête d’Alep et d’Antioche. A. D. 638.

Le calife forma deux corps d’armée pour achever la conquête du reste de la Syrie ; un détachement choisi fut laissé dans le camp de la Palestine sous les ordres d’Amrou et d’Yezid, tandis qu’Abu-Obeidah et Caled, à la tête de la division la plus considérable, marchaient de nouveau vers le nord pour s’emparer d’Antioche et d’Alep ; cette dernière ville, la Bérée des Grecs, n’avait pas encore la célébrité d’une capitale ; la soumission volontaire des habitans et leur pauvreté leur valurent l’avantage de racheter à des conditions modérées leur vie et la liberté de leur religion. Le château d’Alep[85], séparé de la place, se trouvait sur une haute colline élevée par la main des hommes ; les flancs de cette hauteur presque perpendiculaire étaient garnis de pierres de taille, et l’on pouvait entièrement remplir le fossé de l’eau des sources voisines. La garnison, après avoir perdu trois mille hommes, était encore en état de se défendre ; et le chef héréditaire, le brave Youkinna, avait tué son frère, un saint moine, pour avoir osé prononcer le nom de paix. Un grand nombre de Sarrasins furent tués ou blessés durant ce siége, qui dura quatre ou cinq mois, et qui fut le plus pénible de tous les siéges de la guerre de Syrie : ils se retirèrent à un mille de la place, mais sans pouvoir tromper la vigilance de Youkinna ; ils ne réussirent pas davantage à épouvanter les chrétiens par l’exécution de trois cents captifs qu’ils décapitèrent sous les murs du château. Le calife connut d’abord par le silence et ensuite par les lettres d’Abu-Obeidah, que la patience de ses troupes était épuisée et qu’elles avaient perdu tout espoir de réduire cette forteresse, « Je partage par mes sentimens, lui répondit Omar, toutes les vicissitudes de votre fortune ; mais je ne puis en aucune manière vous permettre de lever le siége du château. Votre retraite diminuerait la réputation de nos armes, et exciterait les infidèles à fondre sur vous de tous côtés : demeurez devant Alep jusqu’à ce que Dieu décide l’événement, et que votre cavalerie fourrage les environs. » Des volontaires de toutes les tribus de l’Arabie, qui arrivèrent au camp montés sur des chevaux ou des chameaux, donnèrent un nouveau poids aux exhortations du calife. Parmi eux se trouvait Damès, guerrier d’une extraction servile, mais d’une taille gigantesque et d’un courage intrépide. Le quarante-septième jour de son service, il demanda trente hommes avec lesquels il se proposait de surprendre le château. Caled, qui le connaissait, appuya ce projet, et Abu-Obeidah avertit ses frères de ne pas mépriser la naissance de Damès ; il déclara que s’il pouvait abandonner les affaires publiques, il servirait de bon cœur sous les ordres de l’esclave. Afin de couvrir l’entreprise, les Sarrasins feignant de se retirer portèrent leur camp à environ une lieue d’Alep. Les trente aventuriers étaient en embuscade au pied de la colline, et Damès se procura enfin les éclaircissemens qu’il désirait ; mais ce ne fut pas sans s’emporter contre l’ignorance de ses captifs grecs. « Que Dieu maudisse ces chiens ! s’écriait l’ignorant Arabe : quel étrange et barbare langage viennent-ils nous parler ! » À l’heure la plus obscure de la nuit, il escalada la hauteur qu’il avait reconnue avec soin par un côté qui se trouvait plus accessible que les autres, soit que dans cette partie les pierres fussent plus dégradées, la pente plus inclinée ou la garde moins vigilante. Sept des plus robustes de ses camarades montèrent sur les épaules les uns des autres, et sur son dos large et nerveux l’esclave gigantesque soutenait le poids de toute la colonne. Les plus élevés pouvaient s’attacher à la partie inférieure des bâtimens. Ils parvinrent à y grimper, poignardèrent sans bruit les sentinelles qu’ils jetèrent au bas de la forteresse ; et les trente guerriers répétant cette pieuse éjaculation : « Apôtre de Dieu, aide-nous et sauve-nous, » furent successivement amenés sur le mur, à l’aide des longs plis de leurs turbans. Damès alla reconnaître avec précaution le palais du gouverneur, qui célébrait par de bruyantes réjouissances la retraite de l’ennemi. De retour auprès de ses camarades, il attaqua par l’intérieur l’entrée du château. Sa petite troupe renversa la garde, débarrassa la porte, laissa tomber le pont-levis, et défendit cet étroit passage jusqu’à l’arrivée de Caled, qui, à la pointe du jour, vint la tirer de péril et assurer sa conquête. L’actif Youkinna, qui s’était montré un ennemi si redoutable, devint un prosélyte utile et zélé ; et le général des Sarrasins, fit connaître ses égards pour le mérite, en quelque rang qu’il se trouvât, en demeurant avec son armée dans Alep jusqu’à ce que Damès fût guéri de ses honorables blessures. Le château de Aazaz et le pont de fer de l’Oronte couvraient encore la capitale de la Syrie. Mais après la perte de ces postes importans, et la défaite de la dernière des armées romaines, Antioche[86], amollie par le luxe, trembla et se soumit. Une rançon de trois cent mille pièces d’or la sauva de sa destruction ; mais cette ville, séjour des successeurs d’Alexandre, siége de l’administration romaine en Orient, que César avait décorée des titres de cité libre, sainte et vierge, ne fut plus, sous le joug des califes, qu’une ville de province du second rang[87].

Fuite d’Héraclius. A. D. 638.

Dans la vie d’Héraclius, la honte et la faiblesse des premières et des dernières années de son administration obscurcissent l’éclat du triomphe de la guerre des Persans. Lorsque les successeurs de Mahomet s’armèrent contre lui pour la gloire de leur religion, il se sentit étonné de la perspective des fatigues et des dangers sans nombre qui allaient l’environner : naturellement indolent, il ne trouvait plus dans une vieillesse infirme de quoi l’exciter à un second effort. Un sentiment de honte et les sollicitations des Syriens l’empêchèrent de s’éloigner dès le premier moment du théâtre de la guerre ; mais le héros n’existait plus, et on peut attribuer en quelque sorte à l’absence ou à la mauvaise conduite du souverain la perte de Damas et de Jérusalem, et les sanglantes journées d’Aiznadin et de Yermuk. Au lieu de défendre le tombeau de Jésus-Christ, il occupa l’Église et l’état d’une controverse métaphysique sur l’unité de la volonté ; et tandis qu’il couronnait le fils qu’il avait eu de sa seconde femme, il se laissait tranquillement dépouiller de la portion la plus précieuse de l’héritage qu’il destinait à ses enfans. Prosterné dans la cathédrale d’Antioche, en présence des évêques et aux pieds du crucifix, il pleura ses péchés et ceux de son peuple ; il apprit au monde qu’il était inutile et peut-être impie de s’opposer au jugement de Dieu. Les Sarrasins étaient réellement invincibles puisqu’on les regardait comme tels ; et la désertion de Youkinna, son faux repentir, ses perfidies multipliées, pouvaient justifier les soupçons de l’empereur, qui se croyait entouré de traîtres et d’apostats cherchant à livrer sa personne et son empire aux ennemis de Jésus-Christ. Troublé par l’adversité et la superstition, il se laissa effrayer par des songes et des présages où il crut voir une annonce de la chute de sa couronne ; et après avoir dit à la Syrie un éternel adieu, il s’embarqua avec une suite peu nombreuse, déliant ses sujets de leur serment de fidélité[88]. Constantin, son fils aîné, se trouvait à la tête de quarante mille hommes dans Césarée, siége de l’administration civile des trois provinces de la Palestine. Mais ses intérêts particuliers l’appelaient à la cour de Byzance ; et après l’évasion de son père, il sentit qu’il ne pouvait résister aux forces réunies du calife. Son avant-garde fut attaquée avec intrépidité par trois cents Arabes et mille esclaves noirs qui, au milieu de l’hiver, avaient escaladé les neiges du Liban, et qui furent bientôt suivis des escadrons de Caled. Les Sarrasins postés à Antioche et à Jérusalem arrivèrent du nord et du midi, le long de la côte de la mer et se réunirent sous les murs des villes de la Phénicie. [Fin de la guerre de Syrie.]Tripoli et Tyr furent livrées par des traîtres, et une flotte de cinquante navires de transport qui entrèrent sans défiance dans les ports alors au pouvoir de l’ennemi, procurèrent aux musulmans un utile renfort d’armes et de munitions : leurs travaux furent bientôt terminés par la reddition inattendue de Césarée. Le fils d’Héraclius s’était embarqué pendant la nuit[89] ; et les citoyens se voyant abandonnés, achetèrent leur pardon du prix de deux cent mille pièces d’or. Les autres villes de la province, Ramlah, Ptolëmais ou Acre, Sichem ou Néapolis, Gaza, Ascalon, Béryte, Sidon, Gabala, Laodicée, Apamée et Hiérapolis, n’osèrent s’opposer plus long-temps aux volontés du conquérant ; et la Syrie se soumit au sceptre des califes sept siècles après que Pompée en eut dépouillé le dernier des rois macédoniens[90].

Les vainqueurs de la Syrie. A. D. 633-639.

Les siéges et les actions de six campagnes avaient coûté la vie à des milliers de musulmans. Ils mouraient comme des martyrs, pleins de gloire et de joie, et ces paroles d’un jeune Arabe, qui embrassait pour la dernière fois sa mère et sa sœur, peuvent donner une idée de la simplicité de leur croyance. « Ce ne sont pas, leur dit-il, les délicatesses de la Syrie et les joies passagères de ce monde qui m’ont déterminé à dévouer ma vie pour la cause de la religion ; je veux obtenir la faveur de Dieu et celle de son apôtre ; j’ai ouï dire à un des compagnons du prophète que les esprits des martyrs seront logés dans les jabots des oiseaux verts qui mangeront les fruits du paradis et qui boiront l’eau de ses rivières. Adieu : nous nous verrons au milieu des bocages et auprès des fontaines que Dieu réserve à ses élus. » Ceux des fidèles qui tombaient au pouvoir de l’ennemi avaient à exercer une constance moins active, mais beaucoup plus difficile ; et on applaudit un cousin de Mahomet qui, au bout de trois jours d’abstinence, refusa le vin et le cochon que la malice des infidèles lui offrit pour unique nourriture. La faiblesse de quelques musulmans moins courageux était un sujet de désespoir pour ces implacables fanatiques, et le père d’Amer déplora d’un ton pathétique l’apostasie et la damnation de son fils, qui avait renoncé aux promesses de Dieu et à l’intercession du prophète, pour occuper un jour, au milieu des prêtres et des diacres, les demeures les plus profondes de l’enfer. Ceux des Arabes plus heureux qui survécurent à la guerre, en persévérant dans la foi, furent préservés par leurs chefs du danger d’abuser de leur prospérité. Abu-Obeidah ne donna à ses troupes que trois jours de repos, et les éloignant de la contagion des mœurs d’Antioche, il assura le calife que les rigueurs de la pauvreté et du travail pouvaient seules maintenir leur religion et leur vertu. Mais la vertu d’Omar, si sévère pour lui-même, était indulgente et douce à l’égard de ses frères. Après avoir payé à son lieutenant un juste tribut d’éloges et de remercîmens, il donna une larme à la compassion, et s’asseyant à terre, écrivit à Obeidah une lettre où il le reprenait avec douceur de sa sévérité. « Dieu, lui dit le successeur du prophète, n’a pas interdit l’usage des bonnes choses de ce monde aux fidèles et à ceux qui ont fait de bonnes œuvres : ainsi donc vous auriez dû procurer plus de repos à vos troupes, et leur permettre de jouir des choses agréables qu’offre le pays où vous vous trouvez. Ceux des Sarrasins qui n’ont point de famille en Arabie peuvent se marier en Syrie, et chacun d’eux est le maître d’acheter les esclaves femelles dont il aura besoin. » Les vainqueurs se disposaient à user et à abuser de ces agréables permissions ; mais l’année de leur triomphe fut marquée par une mortalité sur les hommes et les troupeaux, qui fit périr en Syrie vingt-cinq mille Sarrasins. Les chrétiens durent regretter Obeidah ; mais ses frères se souvinrent qu’il était un des dix élus que le prophète avait nommés héritiers de son paradis[91]. Caled vécut encore trois ans, et on montre aux environs d’Emèse la tombe de l’épée de Dieu. Sa valeur, à laquelle les califes ont dû l’établissement de leur empire en Syrie et en Arabie, était fortifiée par l’opinion où il était que la Providence prenait de lui un soin particulier ; et tant qu’il porta une cape qu’avait bénie Mahomet, il se crut invulnérable au milieu des traits des infidèles.

Progrès des vainqueurs de la Syrie. A. D. 639-655.

Les musulmans qui moururent en Syrie après la conquête furent remplacés par leurs enfans ou par leurs compatriotes ; ce pays devint la résidence et le soutien de la maison d’Ommiyah ; et le revenu, les troupes et les navires d’un si puissant royaume furent consacrés à étendre de toutes parts l’empire des califes. Les Sarrasins méprisaient le superflu de gloire ; et leurs historiens daignent rarement indiquer les conquêtes inférieures qui se perdent dans l’éclat et la rapidité de leur course victorieuse. Au nord de la Syrie, ils passèrent le mont Taurus, ils subjuguèrent la province de Cilicie, et Tarse sa capitale, ancien monument des rois d’Assyrie. Arrivés au-delà d’une seconde chaîne des mêmes montagnes, ils répandirent le feu de la guerre plutôt que le flambeau de la religion jusqu’aux côtes de l’Euxin et aux environs de Constantinople. Du côté de l’orient, ils s’avancèrent jusqu’aux sources de l’Euphrate et du Tigre[92]. Les limites si long-temps contestées de Rome et de la Perse furent pour jamais effacées ; Édesse, Amida, Dara et Nisibis virent raser leurs murs, qui avaient résisté aux armes et aux machines de Sapor et de Nushirwan, et la lettre de Jésus-Christ non plus que l’empreinte de sa figure ne servirent de rien à la sainte ville d’Abgare auprès d’un conquérant infidèle. La mer borne la Syrie à l’occident, et la ruine d’Aredus, petite île ou péninsule située sur la côte, n’eut lieu que dix ans après. Mais les collines du Liban étaient couvertes de bois propre à la construction ; le commerce de la Phénicie offrait une multitude d’hommes de mer, et les Arabes équipèrent et armèrent une flotte de dix-sept cents barques, qui vit fuir devant elle les flottes de l’empire, depuis les rochers de la Pamphilie jusqu’à l’Hellespont. L’empereur, petit-fils d’Héraclius, avait été vaincu avant le combat par un songe et un jeu de mots[93] Les Sarrasins demeurèrent les maîtres de la Méditerranée et pillèrent successivement les îles de Chypre, de Rhodes et des Cyclades. Trois siècles avant l’ère chrétienne, le mémorable et infructueux siége de Rhodes[94] par Démétrius, avait fourni à cette république le sujet et la matière d’un trophée : elle avait élevé à l’entrée de son port une statue colossale d’Apollon ou du Soleil : ce noble monument de la liberté et des arts de la Grèce avait soixante-dix coudées de hauteur. Le colosse de Rhodes subsistait depuis cinquante-six ans, lorsqu’il fut renversé par un tremblement de terre ; son énorme tronc et ses vastes débris demeurèrent huit siècles épars sur la terre, et on les a décrits souvent comme une des merveilles de l’ancien monde. Les Sarrasins, après les avoir rassemblés, les vendirent à un marchand juif d’Édesse, qui, dit-on, y trouva assez d’airain pour charger neuf cents chameaux ; poids qui paraît bien considérable, lors même qu’on y comprendrait les cent figures colossales[95] et les trois mille statues qui décoraient la ville du Soleil aux jours de sa prospérité.

Égypte. Caractère et vie d’Amrou.

III. Il est nécessaire, pour l’explication de l’histoire de la conquête de l’Égypte, d’entrer dans quelques détails sur le caractère du vainqueur. Amrou, un des premiers d’entre les Sarrasins, à une époque où le courage et l’enthousiasme élevaient le dernier des musulmans au-dessus de lui-même, était d’une naissance à la fois vile et illustre. Il avait reçu le jour d’une célèbre prostituée, qui de cinq Koreishites qu’elle recevait chez elle, ne put dire lequel était le père de cet enfant ; mais d’après la ressemblance des traits, elle l’attribua à Aasi le plus âgé de ses amans[96]. La jeunesse d’Amrou se laissa entraîner par les passions et les préjugés de sa famille ; il exerça son talent pour la poésie dans des vers satiriques contre la personne et la doctrine de Mahomet ; la faction qui dominait alors employa son adresse contre les exilés pour cause de religion, qui s’étaient réfugiés à la cour du roi d’Éthiopie[97] ; mais il revint de son ambassade secrètement dévoué à l’islamisme ; la raison ou l’intérêt le détermina à renoncer au culte des idoles, il se sauva de la Mecque avec Caled son ami, et le prophète de Médine eut le plaisir d’embrasser au même instant les deux plus intrépides champions de sa cause. Amrou, qui montrait un extrême désir de se trouver à la tête des armées des fidèles, fut réprimandé par Omar, qui lui conseilla de ne pas chercher le pouvoir et la domination, car l’homme qui est sujet aujourd’hui, peut être prince demain. Au reste, les deux premiers successeurs de l’apôtre ne négligèrent pas son mérite ; ils durent à sa bravoure les conquêtes de la Palestine, et dans toutes les batailles et tous les siéges de la Syrie, il montra à la fois le sang-froid d’un général et la valeur d’un soldat rempli d’ardeur. Dans un de ses voyages de Médine, le calife lui témoigna le désir de voir l’épée qui avait privé de la vie tant de guerriers chrétiens : le fils d’Aasi lui présente un cimeterre fort court et qui n’avait rien de particulier, et s’apercevant de la surprise d’Omar : « Hélas ! lui dit le modeste Sarrasin, l’épée elle-même, sans le bras de son maître souverain, n’est ni plus tranchante ni plus lourde que l’épée de Pharezdak le poète[98]. » Après la conquête de l’Égypte, la jalousie du calife Othman l’engagea à rappeler Amrou ; mais dans les troubles qui survinrent, son ardeur à se montrer comme capitaine, comme homme d’état et comme orateur, le tira bientôt de la classe des particuliers. Ce fut à son puissant appui, soit dans les conseils ou à l’armée, que les Ommiades durent l’affermissement de leur grandeur. Moawiyah, reconnaissant, rendit le gouvernement et l’administration des finances de l’Égypte à un ami fidèle qui de lui-même s’était élevé au-dessus du rang d’un simple sujet, et Amrou termina sa carrière dans le palais et la ville qu’il avait fondés sur les bords du Nil. Les Arabes citent comme un modèle d’éloquence et de sagesse le discours qu’il adressa à ses enfans au lit de la mort : il y déplora les erreurs de sa jeunesse ; mais pour peu qu’il eût conservé un reste de vanité de poète[99], il put s’exagérer le venin et le danger de ses anciennes satires contre l’islamisme.

Invasion de l’Égypte. A. D. 638. Juin.

Amrou campait dans la Palestine, lorsque ayant surpris la permission du calife, ou peut-être même sans l’attendre, il se mit en route pour faire la conquête de l’Égypte[100]. Le magnanime Omar comptait sur Dieu et sur ses armes, qui avaient ébranlé les trônes de Chosroès et de César ; mais comparant la faible armée des musulmans et la grandeur de l’entreprise, il se repentit de son imprudence et écouta ses timides compagnons. L’orgueil et la puissance des anciens Pharaons étaient des idées très-familières aux lecteurs du Koran, et des prodiges renouvelés dix fois avaient à peine suffi pour effectuer, non la victoire, mais l’évasion de six cent mille des enfans d’Israël. L’Égypte avait un grand nombre de villes très-peuplées et fortement construites ; le Nil formait seul, de ses branches nombreuses, une barrière insurmontable, et les Romains devaient défendre avec opiniâtreté le grenier de la capitale de l’empire. Dans cet embarras, le calife s’en rapporta à la décision du sort, ou, selon son opinion, à celle de la Providence. L’intrépide Amrou était parti de Gaza, et marchait vers l’Égypte avec quatre mille Arabes seulement, lorsqu’il fut atteint par l’envoyé d’Omar. « Si vous êtes toujours en Syrie, disait la lettre équivoque du calife, retirez-vous sans délai ; mais si, à l’arrivée du courrier, vous êtes déjà sur la frontière d’Égypte, avancez avec confiance, et comptez sur le secours de Dieu et sur celui de vos frères. L’expérience, ou peut-être des avis secrets, avaient instruit Amrou à se défier de la stabilité des résolutions des cours, et il continua sa route jusqu’au moment où il se trouva sur le territoire d’Égypte. Il assembla ses officiers, brisa le sceau, lut la lettre, et après avoir demandé gravement le nom et la situation du lieu où il était, il protesta de sa soumission aux ordres du calife. Après un siége de trente jours, il s’empara de Farmah ou Péluse, et la prise de cette ville, qu’on nommait avec raison la clef de l’Égypte, lui ouvrit l’entrée du pays jusqu’aux ruines d’Héliopolis, dans le voisinage de la ville actuelle du Caire.

Les villes de Memphis, de Babylone et du Caire.

Sur la rive occidentale du Nil, à peu de distance à l’est des pyramides et au sud du Delta, Memphis, ville de cent cinquante stades de circonférence, étalait la magnificence des anciens rois de l’Égypte. Sous le règne des Ptolémées et des Césars, le siége du gouvernement avait été transféré au bord de la mer ; les arts et la richesse d’Alexandrie éclipsèrent bientôt l’ancienne capitale ; les palais et les temples de Memphis, devenus déserts, tombèrent en ruines ; mais au siècle d’Auguste, et même au temps de Constantin, on la mettait encore au nombre des villes les plus étendues et les plus peuplées[101]. Les deux bords du Nil, large en cet endroit de trois mille pieds, étaient unis par deux ponts, l’un de soixante bateaux et l’autre de trente, appuyés au milieu du courant sur la petite île de Rouda, couverte de jardins et d’habitations[102]. À l’extrémité orientale du pont se trouvaient la ville de Babylone et le camp d’une légion romaine qui défendait le passage du fleuve et la seconde capitale de l’Égypte. Amrou investit cette importante forteresse, qu’on pouvait regarder comme une partie de Memphis ou Misrah ; un renfort de quatre mille Sarrasins arriva bientôt dans son camp, et il faut sans doute faire honneur à l’industrie et au travail des Syriens, ses alliés, de la construction des machines dont on se servit pour battre les murs. Cependant le siége dura sept mois : ces téméraires assaillans se trouvèrent environnés par l’inondation du Nil, qui menaça de les engloutir[103]. Enfin la hardiesse de leur dernier assaut les fit triompher ; ils passèrent le fossé défendu par des pointes de fer ; ils placèrent leurs échelles ; ils pénétrèrent dans la forteresse en s’écriant : Dieu est victorieux, et repoussèrent le reste des Grecs jusqu’à leurs bateaux et jusqu’à l’île de Rouda. Ce lieu offrant une communication facile avec le golfe et la péninsule d’Arabie, Amrou le préféra à Memphis, qui fut abandonnée. Les tentes des Arabes furent converties en habitations permanentes, et la première mosquée qu’on y éleva fut sanctifiée par la présence de quatre-vingts compagnons de Mahomet[104]. Le camp sur la rive orientale du Nil devint une nouvelle cité ; et dans l’état de ruine où se trouvent aujourd’hui les quartiers de Babylone et de Fostat, on les confond sous la dénomination de Vieux Misrah ou de Vieux Caire, dont ils formèrent un faubourg étendu ; mais le nom de Caire, qui signifie la ville de la Victoire, appartient proprement à la capitale actuelle, que les califes Fatimites fondèrent au dixième siècle[105]. Elle s’est éloignée peu à peu du Nil ; mais un observateur attentif peut suivre la continuité des bâtimens, depuis les monumens de Sésostris jusqu’à ceux de Saladin[106].

Soumission des cophtes ou des jacobites. A. D. 638.

Après un triomphe si glorieux, les Arabes toutefois se seraient vus contraints de regagner le désert, s’ils n’avaient trouvé un allié puissant au centre de l’Égypte. La superstition et la révolte des naturels du pays y avaient facilité les conquêtes d’Alexandre ; ils abhorraient ces Perses, leurs tyrans, disciples des mages, qui avaient brûlé les temples de l’Égypte et rassasié leur faim sacrilége avec la chair du dieu Apis[107]. Une cause pareille produisit, dix siècles après, une révolution semblable, et les chrétiens cophtes se montrèrent également ardens à soutenir un dogme incompréhensible. J’ai déjà expliqué l’origine et les progrès de la controverse des monophysites, ainsi que la persécution des empereurs, qui fit d’une secte une nation, et indisposa l’Égypte contre leur religion et leur gouvernement. Les Sarrasins furent accueillis comme les libérateurs de l’Église jacobite, et l’on entama, durant le siége de Memphis, les négociations d’un traité entre une armée victorieuse et un peuple d’esclaves. Un riche et noble Égyptien, appelé Mokawkas, avait dissimulé sa croyance pour obtenir l’administration de sa province. Au milieu des désordres qu’entraîna la guerre des Perses, il aspira à l’indépendance ; une ambassade de Mahomet le mit au rang des princes ; mais par de riches présens et des complimens équivoques, il éluda la proposition qui lui fut faite d’embrasser une nouvelle religion[108]. L’abus qu’il avait fait du pouvoir qui lui avait été confié, l’exposait au ressentiment d’Héraclius ; l’arrogance et la crainte l’empêchaient de se soumettre, et tout l’engageait à se jeter dans les bras de la nation, et à se procurer l’appui des Sarrasins. Dans ses premières conférences avec Amrou, il s’entendit proposer sans indignation l’alternative ordinaire, le Koran, le tribut ou le combat : « Les Grecs, dit-il, sont décidés à s’en remettre au sort des armes, mais je ne veux avoir de commerce avec les Grecs ni dans ce monde ni dans l’autre ; je renie à jamais le tyran qui donne des lois à Byzance, son concile de Chalcédoine, et les melchites, ses esclaves. Mes frères et moi nous sommes résolus de vivre et de mourir dans la profession de l’Évangile et de l’unité de Jésus-Christ. Nous ne pouvons embrasser la religion de votre prophète, mais nous désirons la paix, et nous consentons de bon cœur à rendre tribut et obéissance à ses successeurs temporels. » Le tribut fut fixé à deux pièces d’or pour chaque chrétien ; les vieillards, les moines, les femmes et les enfans des deux sexes jusqu’à l’âge de seize ans, furent exemptés de cette taxe personnelle : les cophtes établis au-dessus et au-dessous de Memphis prêtèrent serment de fidélité au calife, et promirent de donner durant trois jours l’hospitalité à tout musulman qui voyagerait dans leur canton. Cette chartre de sûreté anéantit la tyrannie ecclésiastique et civile des melchites[109] ; les anathèmes de saint Cyrille retentirent dans toutes les chaires, et on rendit les églises et leur patrimoine à la communion des jacobites, qui jouirent sans modération de cet instant de triomphe et de vengeance. Benjamin, leur patriarche, sortit de son désert d’après les sollicitations pressantes d’Amrou ; et à la suite d’un entretien avec lui, l’obligeant Amrou se plut à déclarer qu’il n’avait jamais rencontré aucun prêtre chrétien de mœurs plus pures, d’un esprit plus vénérable[110]. Le lieutenant d’Omar se rendit de Memphis à Alexandrie ; et durant cette marche il compta si fort sur l’affection et la reconnaissance des Égyptiens, qu’il ne prit aucune précaution pour sa sûreté : à son approche on réparait les chemins et les ponts, et sur toute la route on s’empressa de lui fournir des vivres et de l’instruire de ce qui se passait. La défection fut universelle, et les Grecs d’Égypte, qui égalaient à peine la dixième partie des naturels, furent hors d’état d’opposer la moindre résistance ; on les avait toujours détestés, et on ne les craignait plus : le magistrat n’osait plus paraître sur son tribunal ; l’évêque n’osait plus se montrer à l’autel, et les garnisons éloignées furent surprises ou affamées par les gens du pays. Si le Nil n’eût pas donné une communication facile et prompte avec la mer, il ne se serait sauvé aucun de ceux qui, par leur naissance, leur langage, leur emploi ou leur religion, avaient des liaisons avec les Grecs.

Leur retraite dans la Haute-Égypte avait réuni des troupes considérables dans l’île de Delta ; les canaux naturels et artificiels du Nil formaient une suite de postes avantageux et faciles à défendre ; et pour arriver à Alexandrie, les Sarrasins victorieux employèrent vingt-deux jours, durant lesquels ils livrèrent un grand nombre d’actions générales ou particulières. Les annales de leurs conquêtes n’offrent peut-être pas d’entreprise plus difficile et plus importante que le siége d’Alexandrie[111]. Cette ville, la première ville de commerce du monde entier, était abondamment fournie de toutes sortes de munitions et de moyens de défense. Ses nombreux habitans combattaient pour les droits les plus chers au cœur de l’homme, la religion et la propriété ; et la haine des naturels du pays semblait ne leur laisser aucun espoir d’obtenir la paix et la tolérance. La mer était toujours libre, et si la détresse de l’Égypte eût pu réveiller l’indolence d’Héraclius, il lui aurait été facile de verser dans la seconde capitale de l’empire de nouvelles armées de Romains et de Barbares. Alexandrie offrait dix milles de circonférence, et cette étendue aurait pu avoir l’inconvénient de diviser les forces des Grecs et de favoriser les stratagèmes d’un ennemi actif ; mais bâtie en un carré oblong dont la mer et le lac Marœotis couvraient les deux côtés, elle ne présentait à chacune des extrémités qu’un front qui n’avait pas plus de dix stades. Les Arabes proportionnèrent leurs efforts à la difficulté du siége et à la valeur de la place. Du haut de son trône de Médine, Omar tenait les yeux fixés sur le camp et sur la ville ; sa voix excitait au combat les tribus arabes ainsi que les vétérans de la Syrie ; et le zèle de cette sainte guerre était puissamment soutenu par la réputation et la fertilité de l’Égypte. Les Égyptiens, agités du désir de perdre ou de chasser leurs tyrans, secondaient par leurs travaux les efforts d’Amrou ; l’exemple de leurs alliés ranima peut-être dans leur sein quelques étincelles de l’esprit martial, et Mokawkas se flattait de l’ambitieuse espérance que son tombeau serait placé dans l’église de Saint-Jean d’Alexandrie. Le patriarche Eutychius observe que les Sarrasins combattirent avec un courage de lion ; ils repoussèrent les sorties fréquentes et presque journalières des assiégés, et ne tardèrent pas à attaquer eux-mêmes les murs et les tours de la ville. Dans toutes les attaques, le glaive et le drapeau d’Amrou brillaient à l’avant-garde. Un jour sa téméraire valeur l’emporta ; les guerriers qui le suivaient, après avoir pénétré dans la citadelle en avaient été chassés, et le général demeura au pouvoir des chrétiens avec un ami et un esclave. Amrou, conduit devant le préfet, se rappela son rang et oublia sa situation : un maintien audacieux et un langage fier allaient déceler le lieutenant du calife, et la hache d’un soldat était déjà levée sur lui, prête à abattre la tête de l’insolent captif. Sa vie fut sauvée par la présence d’esprit de son esclave, qui, frappant son maître au visage, lui ordonna d’un ton irrité de garder le silence devant ses supérieurs. Le crédule Grec fut trompé ; il prêta l’oreille à la proposition d’un traité, renvoya ses prisonniers dans l’espérance de voir arriver à leur place une députation plus imposante ; mais bientôt les acclamations du camp annoncèrent le retour du général et insultèrent à la simplicité des infidèles. Enfin, après un siége de quatorze mois[112] et une perte de vingt-trois mille hommes, les Sarrasins l’emportèrent. Il ne restait plus dans la place qu’un petit nombre de Grecs, abattus et découragés, qui s’embarquèrent pour Constantinople, et le drapeau de Mahomet flotta sur les murs de la capitale de l’Égypte. « J’ai pris la grande ville de l’Occident, écrivait Amrou au calife, et il n’est pas possible de faire l’énumération des richesses et des beautés qu’elle contient. Je me contenterai d’observer qu’elle renferme quatre mille palais, quatre mille bains, quatre cents théâtres ou lieux d’amusement, douze mille boutiques de comestibles, et quarante mille Juifs tributaires. La ville a été subjuguée par la force des armes, sans traité ni capitulation, et les musulmans sont impatiens de jouir des fruits de leur victoire[113]. » Le calife rejeta avec fermeté toute idée de pillage, et ordonna à son lieutenant de réserver la richesse et le revenu d’Alexandrie pour le service public et la propagation de la foi : on compta le nombre des habitans, on les assujettit à un tribut ; on asservit le fanatisme et le ressentiment des jacobites ; et les melchites qui se soumirent au joug des Arabes, obtinrent un exercice obscur, mais tranquille de leur culte. La nouvelle de ce honteux et funeste événement vint se joindre aux maux de l’empereur, dont la santé déclinait de jour en jour, et il mourut d’une hydropisie environ sept semaines après la perte d’Alexandrie[114]. Sous la minorité de son petit-fils, les clameurs d’un peuple privé des grains que jusque alors on lui avait distribués chaque jour, déterminèrent le conseil de Byzance à faire une tentative pour recouvrer la capitale de l’Égypte. Une escadre et une armée romaine occupèrent deux fois, dans l’espace de quatre ans, le port et les fortifications d’Alexandrie. Elles en furent chassées deux fois par la valeur d’Amrou, que ce qui le menaçait dans l’intérieur rappela de la province de Tripoli et de la Nubie, où il avait porté la guerre. Mais voyant combien cette entreprise était facile, Amrou, après la seconde attaque où il avait eu peine à repousser les Grecs, jura que s’il était une troisième fois obligé de jeter les infidèles dans la mer, il rendrait Alexandrie aussi accessible de toutes parts que la maison d’une prostituée. Il tint sa parole, car il démantela plusieurs parties des murs et des tours ; mais en punissant la ville, il épargna le peuple, et il éleva la mosquée de la Clémence à l’endroit où, dans sa victoire, il avait arrêté la fureur de ses troupes.

Bibliothéque d’Alexandrie.

Je tromperais l’attente du lecteur, si je ne parlais pas ici de l’événement qui détruisit la Bibliothéque d’Alexandrie, et qui nous a été rapporté par le savant Abulpharage. Amrou était doué d’un esprit plus avide d’instruction, et d’idées plus libérales que le reste de ses compatriotes, et dans ses heures de loisir, il se plaisait à converser avec Jean, disciple d’Ammonius, qu’une étude assidue de la grammaire et de la philosophie, avait fait surnommer Philoponus[115]. Enhardi par cette familiarité, Philoponus osa solliciter un don inestimable à ses yeux, méprisable à ceux des Barbares ; il demanda la Bibliothéque royale, qui était la seule des dépouilles d’Alexandrie où l’on n’eût pas apposé le sceau du vainqueur. Amrou était disposé à satisfaire le grammairien ; mais sa scrupuleuse intégrité ne voulait pas aliéner la moindre chose sans l’aveu du calife ; et la réponse bien connue d’Omar, peint bien toute l’ignorance du fanatisme : « Si les écrits des Grecs sont d’accord avec le Koran, ils sont inutiles et il ne faut pas les garder ; s’ils s’en écartent, ils sont dangereux et on doit les brûler. » Cet arrêt fut exécuté avec une aveugle soumission ; les volumes en papier ou en parchemin furent distribués aux quatre mille bains de la ville ; et tel était leur incroyable nombre, que six mois suffirent à peine pour les consumer tous. Depuis qu’on a publié une version latine des dynasties d’Abulpharage[116], ce conte a été répété dix mille fois, et il n’est pas un savant qui n’ait déploré avec une sainte indignation cet irréparable anéantissement du savoir, des arts et du génie de l’antiquité. Quant à moi, je suis bien tenté de nier le fait et les conséquences. Quant au fait, il est sans doute étonnant. « Écoutez et soyez surpris, » dit l’historien lui-même ; et l’assertion isolée d’un étranger qui écrivait six siècles après sur les confins de la Médie, est contrebalancée par le silence de deux annalistes d’une époque antérieure, tous les deux originaires d’Égypte, et dont le plus ancien, le patriarche Eutychius, a rapporté fort en détail la conquête d’Alexandrie[117]. Le sévère décret d’Omar répugne aux préceptes les plus établis et les plus orthodoxes des casuistes musulmans ; ils déclarent en termes formels qu’on ne doit jamais livrer aux flammes les livres religieux des juifs et des chrétiens qu’on acquiert par le droit de la guerre, et qu’on peut légitimement employer à l’usage des fidèles les compositions profanes des historiens ou des poètes, des médecins ou des philosophes[118]. Il faut peut-être supposer aux premiers successeurs de Mahomet un fanatisme plus destructeur ; mais dans ce cas, l’incendie aurait dû se terminer promptement par le défaut de matériaux. Je ne récapitulerai point tous les accidens qu’avait éprouvés la Bibliothéque d’Alexandrie, l’incendie qu’y occasionna involontairement César en se défendant[119], ou le pernicieux fanatisme des chrétiens, qui s’efforçaient de détruire les monumens de l’idolâtrie[120]. Mais si nous descendons ensuite du siècle des Antonins à celui de Théodose, une série de témoignages contemporains nous apprendra que le palais du roi et le temple de Sérapis ne contenaient plus les quatre ou les sept cent mille volumes qui avaient été rassemblés par le goût et la magnificence des Ptolémées[121]. La métropole et la résidence des patriarches avait peut-être une Bibliothéque ; mais si les volumineux ouvrages des controversistes ariens ou monophysites chauffèrent en effet les bains publics[122], le philosophe avouera en souriant qu’ils auront enfin servi de quelque chose au genre humain. Je regrette sincèrement des Bibliothéques plus précieuses qui se sont trouvées enveloppées dans la ruine de l’Empire romain. Mais lorsque je calcule sérieusement l’éloignement des temps, les dégâts produits par l’ignorance, et enfin les calamités de la guerre, je suis plus étonné des trésors qui nous restent que de ceux que nous avons perdus. Un grand nombre de faits curieux et intéressans sont tombés dans l’oubli ; les ouvrages des trois grands historiens de Rome ne nous sont parvenus que mutilés, et nous sommes privés d’une foule de morceaux agréables de la poésie lyrique, iambique et dramatique des Grecs ; mais il faut se réjouir de ce que les événemens et les ravages du temps ont épargné les livres classiques, auxquels le suffrage de l’antiquité[123] a décerné la première place du génie et de la gloire. Nos maîtres dans la connaissance de l’antiquité avaient lu et comparé les ouvrages de leurs prédécesseurs[124] ; et il n’y a pas lieu de croire qu’une vérité importante ou une découverte utile se soit perdue pour nous.

Administration de l’Égypte.

Amrou eut également égard, dans l’administration de l’Égypte[125], aux principes de l’équité et à ceux de la politique ; aux intérêts du peuple croyant, défendu par Dieu même, et à ceux du peuple de l’Afrique que protégeait le droit des gens. Dans le désordre de la conquête et d’un premier moment de liberté, la tranquillité de la province fut troublée surtout par la langue des Cophtes et le glaive des Arabes. Amrou déclara aux Cophtes qu’il punirait doublement la faction et la perfidie par le châtiment des délateurs, qu’il regarderait comme ses ennemis personnels, et par l’élévation des citoyens innocens qu’on aurait voulu perdre ou supplanter. Il rappela aux Arabes tous les motifs de religion et d’honneur qui devaient les engager à soutenir la dignité de leur caractère, à se rendre agréables à Dieu et au calife par leur simplicité et leur modération, à épargner, à défendre un peuple qui s’était reposé sur leur foi, et à demeurer satisfaits des récompenses éclatantes qu’ils avaient légitimement reçues comme le prix de leur victoire. Quant à la manière dont il gouverna les revenus du pays, on voit qu’il désapprouva la capitation, mode d’impôt très-simple, mais très-oppressif, et qu’il préféra avec raison d’autres tributs calculés d’après les produits nets des différentes branches de l’agriculture et du commerce. Le tiers de l’impôt fut destiné à l’entretien des digues et des canaux, si essentiels à la prospérité publique. Sous son administration, la fertilité de l’Égypte suppléa aux disettes de l’Arabie, et une suite de chameaux chargés de blé et d’autres provisions couvrait, presque sans intervalle, la longue route de Memphis à Médine[126]. Le génie d’Amrou rétablit bientôt la communication avec la mer, qui avait été entreprise ou exécutée par les Pharaons, les Ptolémées et les césars, et l’on ouvrit du Nil à la mer Rouge un canal d’au moins quatre-vingts milles de longueur. Cette navigation intérieure, qui aurait réuni la Méditerranée et l’océan de l’Inde, fut bientôt abandonnée comme inutile et dangereuse ; le siége du gouvernement avait passé de Médine à Damas, et on craignit que les flottes grecques ne pénétrassent jusqu’aux saintes cités de l’Arabie[127].

Richesse et population.

Omar ne connaissait que par la renommée et les légendes du Koran l’Égypte qu’on venait de lui soumettre ; il voulut que son lieutenant lui fit la description du royaume de Pharaon et des Amalécites, et la réponse d’Amrou offre une peinture piquante et assez exacte de ce singulier pays[128]. « Ô commandeur des croyans, lui dit-il, l’Égypte est un composé de terre noire et de plantes vertes placées entre une montagne pulvérisée et un sable rouge. Un cavalier part de Syène, arrive dans un mois au bord de la mer. Dans la vallée coule une rivière sur laquelle repose matin et soir la bénédiction du Très-Haut, et qui s’élève et s’abaisse avec les révolutions du soleil et de la lune. Lorsque la bonté annuelle de la Providence ouvre les sources et les fontaines qui alimentent le sol, les eaux du Nil débordent avec fracas dans toute la contrée ; cette inondation salutaire fait disparaître les champs, et les villages communiquent entre eux à l’aide d’une multitude de barques peintes. Les eaux, en se retirant, déposent une vase fertile prête à recevoir les diverses semences. Les nuées de cultivateurs qui noircissent la terre peuvent se comparer à une fourmillière industrieuse ; leur indolence naturelle est aiguillonnée par le fouet du maître et l’espoir des fleurs et des fruits que doit multiplier leur travail. Cet espoir est rarement trompé ; mais la richesse que procurent le froment, l’orge, le riz, les légumes, les arbres fruitiers et les troupeaux, se partage d’une manière inégale entre ceux qui travaillent et ceux qui possèdent. Selon la vicissitude des saisons, la surface du pays est ornée de vagues d’argent, de verdoyantes émeraudes et du jaune foncé des moissons dorées[129]. » Cependant cet ordre bienfaisant est quelquefois interrompu ; et le retard de l’inondation ainsi que le débordement subit du fleuve, qui survinrent la première année de la conquête, ont pu donner lieu à la fable édifiante qu’on a débitée sur ce point. On prétendit que la piété d’Omar ayant défendu le sacrifice d’une vierge qu’on immolait au Nil chaque année[130], le fleuve indigné demeura tranquille dans son lit, mais que, lorsqu’on y eut jeté l’ordre du calife, les ondes obéissantes s’élevèrent dans une nuit à la hauteur de seize coudées. L’admiration des Arabes pour le pays qu’ils venaient de conquérir, excitait le dérèglement de leur esprit romanesque. De graves auteurs assurent qu’on trouvait alors en Égypte vingt mille villes, ou villages[131] ; que, sans parler des Grecs et des Arabes, le résultat d’un dénombrement fut qu’il y avait six millions de Cophtes tributaires[132], et vingt millions de Cophtes de tout âge et de tout sexe ; que le trésor du calife recevait annuellement de ce pays trois cents millions d’or ou d’argent[133]. Notre raison se révolte contre l’extravagance de ces assertions. Elle deviendra plus sensible si on se donne la peine de prendre le compas et de mesurer l’étendue des terres labourables : une vallée qui se prolonge depuis le tropique jusqu’à Memphis, et qui a rarement plus de douze milles de largeur, et le triangle du Delta, plaine de deux mille cent lieues carrées, n’offrent que la douzième partie de l’étendue de la France[134]. Des recherches plus exactes donneront une évaluation plus raisonnable. Les trois cents millions créés par une erreur de copiste, sont réduits à la somme, d’ailleurs assez considérable, de quatre millions trois cent mille pièces d’or, dont la paye des soldats absorbait neuf cent mille[135]. Deux états authentiques, l’un du douzième siècle et l’autre du siècle présent, réduisent à deux mille sept cents le nombre des villes et villages ; et ce nombre peut paraître assez imposant[136]. Un consul français, après un long séjour au Caire, a évalué la population actuelle de l’Égypte à environ quatre millions de musulmans, de chrétiens et de Juifs, calcul très-fort, mais non pas incroyable[137].

Afrique. Première invasion par Abdallah. A. D. 647.

IV. Ce furent les armées du calife Othman qui entreprirent la conquête de la partie de l’Afrique qui se prolonge du Nil à l’Océan Atlantique[138]. Les compagnons de Mahomet et les chefs des tribus approuvèrent ce pieux dessein ; et vingt mille Arabes partirent de Médine, chargés des présens et des bénédictions du commandeur des fidèles. Ils se réunirent à vingt milles de leurs compatriotes qui campaient aux environs de Memphis ; on chargea de cette guerre Abdallah[139], fils de Said, et frère de lait du calife, et qui avait supplanté depuis peu le vainqueur et le lieutenant de l’Égypte. Son mérite et la faveur du prince ne pouvaient faire oublier son apostasie. Abdallah avait adopté de bonne heure la religion de Mahomet, et comme il écrivait très-bien, on lui avait confié le soin important de transcrire les feuilles du Koran ; il manqua de fidélité dans l’exercice de cette grande commission ; il corrompit le texte, tourna en dérision des erreurs qui étaient de lui, et se réfugia à la Mecque pour échapper au châtiment et faire voir l’ignorance de l’apôtre. Après la conquête de la Mecque, il vint se prosterner aux pieds du prophète ; ses larmes et les sollicitations d’Othman arrachèrent à Mahomet un pardon qu’il accorda à regret, en déclarant qu’il n’avait hésité si long-temps, que parce qu’il espérait qu’un disciple zélé vengerait dans le sang du perfide l’outrage fait à la religion. Il servit ensuite avec succès et avec une apparence de fidélité une religion qu’il n’avait plus intérêt d’abandonner : son extraction et ses talens le placèrent à un rang honorable parmi les Koreishites ; et chez un peuple qui était presque toujours à cheval, on le cita pour le plus habile et le plus courageux des cavaliers. Il partit de l’Égypte à la tête de quarante mille musulmans, et pénétra dans les régions inconnues de l’Occident. Les sables de Barca purent arrêter une légion romaine, mais les Arabes, suivis de leurs fidèles chameaux, virent sans frayeur un sol et un climat qui ressemblaient aux déserts de leur pays. Après une pénible marche, ils campèrent devant les murs de Tripoli[140], ville maritime, où avaient reflué peu à peu les habitans et la richesse de la province dont elle avait seule conservé le nom, et qui est aujourd’hui la capitale de la troisième des puissances barbaresques. Un renfort de Grecs fut surpris et taillé en pièces sur la côte de la mer ; mais les fortifications de Tripoli résistèrent aux premiers assauts, [Le préfet Grégoire et sa fille.]et l’approche du préfet Grégoire[141] engagea les Sarrasins à abandonner les travaux du siége, pour livrer une bataille décisive, S’il est vrai que Grégoire fût, comme on le dit, à la tête d’une armée de cent vingt mille hommes, les troupes régulières de l’empire devaient se trouver perdues dans cette armée formée d’un ramas de Maures et d’Africains nus et indisciplinés, qui en faisaient la force ou plutôt la masse. Il rejeta avec indignation la proposition d’adopter la religion du Koran ou de payer un tribut ; et durant plusieurs jours les deux armées combattirent avec acharnement depuis la pointe du jour jusqu’à midi, époque où la fatigue et l’excès de la chaleur les forçaient à chercher du repos dans leurs camps respectifs. On dit que la fille de Grégoire, jeune personne d’une incomparable beauté et d’un grand courage, combattait à côté de son père : dès sa première jeunesse elle avait été instruite à diriger un cheval, à lancer des traits et à manier le cimeterre ; elle se faisait remarquer dans les premiers rangs par la richesse de ses armes et de ses vêtemens. On promit sa main et cent mille pièces d’or à celui qui apporterait la tête du général arabe, et l’espoir d’une si belle récompense excita les jeunes guerriers de l’Afrique. Abdallah, vivement sollicité par ses compagnons, s’éloigna du combat ; mais sa retraite et la répétition de toutes ces attaques, dont le succès demeurait indécis ou leur devenait contraire, jetèrent le découragement parmi les Sarrasins.

Victoire des Arabes.

Un Arabe, nommé Zobeir[142], d’une famille noble, qui devint par la suite l’adversaire d’Ali et le père d’un calife, avait signalé sa valeur en Égypte ; c’était lui qui le premier avait appliqué une échelle aux murs de Babylone. Dans la guerre d’Afrique on l’avait détaché de l’armée d’Abdallah. Aux premières nouvelles du combat, on le vit, à la tête de douze guerriers, s’ouvrir un chemin au milieu du camp des Grecs, et sans prendre de repos et de nourriture, accourir pour partager les périls des musulmans. Il jeta les yeux sur le champ de bataille ; « Où est notre général ? dit-il. — Dans sa tente. — Le général des musulmans doit-il être dans sa tente au moment du combat ? » reprit Zobeir. Abdallah lui représenta en rougissant combien était précieuse la vie d’un général, et lui apprit à quels dangers l’exposait le prix promis par le préfet romain. « Retournez contre les infidèles eux-mêmes ce moyen peu généreux, lui répondit Zobeir ; faites proclamer dans les rangs que quiconque apportera la tête de Grégoire, obtiendra la fille de ce préfet, et cent mille pièces d’or. » Le lieutenant du calife confia au courage et à la prudence de Zobeir la conduite d’un stratagème que lui-même avait proposé, expédient qui fixa enfin du côté des Sarrasins la victoire si long-temps indécise. Les musulmans, suppléant par l’activité et l’artifice au défaut du nombre, une partie de l’armée se tint cachée dans les tentes, tandis que l’autre occupa l’ennemi d’une escarmouche irrégulière, jusqu’au moment où le soleil arriva au point le plus élevé du ciel. Les soldats des deux partis s’étaient retirés accablés de fatigue, les chevaux étaient débridés, les armures dépouillées, et les deux armées semblaient ne songer qu’à jouir de la fraîcheur de la soirée, et attendre le lendemain pour recommencer le combat. Tout à coup Zobeir fait sonner la charge ; le camp des Arabes verse un torrent d’intrépides guerriers, et la longue ligne des Grecs et des Africains est surprise, attaquée et renversée par de nouveaux escadrons de fidèles, qui aux yeux du fanatisme se montrèrent sans doute comme une armée d’anges descendus des cieux. Le préfet périt par la main de Zobeir ; sa fille, qui cherchait la vengeance et la mort, tomba au pouvoir de l’ennemi ; les Grecs, en s’enfuyant, enveloppèrent dans leur désastre la ville de Sufetula, où ils cherchèrent un refuge contre les sabres et les lances des Arabes. Sufetula était située à cent cinquante milles au sud de Carthage, sur un coteau d’une pente douce arrosé par un ruisseau, et ombragé d’un bosquet de genévriers ; les ruines d’un arc de triomphe, d’un portique et de trois temples d’ordre corinthien, offrent encore aux voyageurs les restes de la magnificence des Romains[143]. Cette opulente ville une fois au pouvoir des musulmans, les habitans de la province et les Barbares implorèrent de tous côtés la clémence du vainqueur : des offres de tribut, des professions de foi, vinrent flatter la piété ou l’orgueil des Arabes ; mais les pertes, les fatigues et les progrès d’une maladie épidémique les empêchèrent de former dans ce pays un établissement solide, et après une campagne de quinze mois, ils se retirèrent vers les confins de l’Égypte avec les captifs et le butin dont ils s’étaient emparés. Le calife accorda son cinquième à un de ses favoris comme le payement d’un prétendu prêt de cinq cent mille pièces d’or[144] ; mais s’il est vrai que le partage réel du butin ait été pour chaque fantassin de mille pièces d’or et de trois mille pour chaque cavalier, l’état, dans cette affaire, fut doublement lésé par des arrangemens frauduleux. On s’attendait à voir l’auteur de la mort de Grégoire se présenter pour réclamer le prix le plus précieux de la victoire : aucun ne paraissant, on crut qu’il avait été tué dans le combat ; mais les larmes et les douloureuses exclamations de la fille du préfet, au moment où elle aperçut Zobeir, révélèrent le courage et la modestie de ce brave soldat. On offrit la malheureuse captive au meurtrier de son père, qui daigna à peine la recevoir au nombre de ses esclaves, déclarant froidement qu’il avait consacré son glaive au service de la religion, et qu’il travaillait pour obtenir un prix bien supérieur aux charmes d’une mortelle, et à la richesse d’une vie passagère. On lui accorda d’ailleurs une récompense analogue à son caractère ; on le chargea de l’honorable commission de porter au calife Othman la nouvelle du succès des musulmans. Les compagnons de Mahomet, les chefs et le peuple, s’assemblèrent dans la mosquée de Médine, pour entendre le récit de Zobeir ; et l’orateur n’ayant rien oublié, si ce n’est le mérite de ses avis et celui de ses actions, les Arabes joignirent le nom d’Abdallah aux noms héroïques de Caled et d’Amrou.[145]

Progrès des Sarrasins en Afrique. A. D. 665-689.

L’invasion commencée par les Sarrasins vers l’occident fut suspendue l’espace d’environ vingt années, jusqu’à l’époque où l’établissement de la maison d’Ommiyah termina leurs discordes civiles ; alors le calife Moawiyah fut invité par les cris des Africains eux-mêmes à repasser en Afrique. Les successeurs d’Héraclius avaient reçu la nouvelle du tribut que la force venait d’imposer aux sujets de la province romaine en Afrique ; mais au lieu de prendre pitié de ce peuple et d’alléger sa misère, ils le chargèrent, à titre de compensation et d’amende, d’un second tribut de la même somme. Les Africains alléguèrent vainement leur pauvreté et leur ruine totale ; le ministère de Constantinople fut inexorable ; dans leur désespoir, ils préférèrent la domination d’un seul maître ; et les extorsions du patriarche de Carthage, revêtu du pouvoir civil et du pouvoir militaire, déterminèrent les sectaires et même les catholiques à abjurer la religion ainsi que l’autorité de leurs tyrans. Le premier lieutenant de Moawiyah se couvrit de gloire ; il subjugua une ville importante ; il battit une armée de trente mille Grecs ; il fit quatre-vingt mille captifs, et enrichit de leurs dépouilles les aventuriers de la Syrie et de l’Égypte[146]. Mais le surnom de Vainqueur de l’Afrique appartient plus justement à Akbah son successeur. Celui-ci partit de Damas à la tête de dix mille des plus braves d’entre les Arabes, qui se trouvèrent ensuite soutenus par le secours douteux de plusieurs milliers de Barbares attachés à eux par une conversion non moins douteuse. Il serait difficile et il paraît peu nécessaire d’indiquer d’une manière précise la trace des armes d’Akbah. Les Orientaux ont rempli l’intérieur de l’Afrique d’armées et de citadelles imaginaires. La province guerrière de Zab ou de Numidie pouvait armer quarante mille hommes ; mais on y a supposé trois cent soixante villes, nombre incompatible avec l’état misérable où, soit par l’ignorance, soit par la négligence des habitans, se trouvait alors l’agriculture[147] ; et les ruines d’Erbe ou Lambesa, ancienne métropole de l’intérieur de ce pays, n’annoncent pas une circonférence de trois lieues, comme on la lui avait attribuée. En se rapprochant de la côte de la mer, on trouve les villes très-connues de Bugia[148] et de Tangier[149], et il paraît qu’elles furent la borne des victoires des Sarrasins. La commodité du port de Bugia y attire un reste de commerce ; on dit que dans des temps plus heureux cette ville renfermait quatre-vingt mille maisons ; le fer qu’on tire en grande quantité des montagnes voisines, aurait pu fournir à un peuple plus valeureux des instrumens nécessaires à sa défense. Les Grecs et les Arabes se sont plûs à embellir de leurs fables la situation lointaine et l’antique origine de Tingi ou Tangier ; mais lorsque les derniers nous parlent de ses murs d’airain, de l’or et de l’argent qui couvraient les faîtes de ses édifices, il ne faut voir dans ce langage figuré que des emblèmes de la force et de la richesse. Les Romains n’avaient reconnu et décrit que d’une manière imparfaite la province de la Mauritanie Tingitane[150], ainsi nommée du nom de sa capitale ; ils y avaient établi cinq colonies ; mais elles n’occupaient qu’une petite partie du pays, et excepté les agens du luxe qui parcouraient les forêts pour y chercher l’ivoire et le bois de citronnier[151], et les côtes de l’océan pour y trouver le coquillage qui donne la pourpre, on s’avançait peu dans les parties méridionales. L’intrépide Akbah pénétra dans l’intérieur des terres ; il traversa le désert où ses successeurs ont élevé les brillantes capitales de Fez et de Maroc[152] ; et il arriva enfin au rivage de la mer Atlantique et à la frontière du grand désert. La rivière de Sus descend de la partie occidentale du mont Atlas, ainsi que le Nil ; elle fertilise le sol des environs, et se jette dans la mer à peu de distance des îles Canaries ou îles Fortunées. Ses bords étaient habités par les plus grossiers d’entre les Maures, sauvages sans lois, ni discipline, ni religion ; ils furent épouvantés de l’invincible force des Arabes ; et comme ils ne possédaient ni or ni argent, la partie la plus précieuse du butin que firent sur eux les musulmans consista en un certain nombre de belles esclaves, dont quelques-unes se vendirent jusqu’à mille pièces d’or. La vue de l’océan, bien qu’elle ne refroidît pas le zèle d’Akbah, le força cependant d’arrêter sa marche. Il poussa son cheval au milieu des flots de la mer, et levant ses yeux vers le ciel, il s’écria d’un ton fanatique : « Grand Dieu ! si je n’étais point arrêté par cette mer, j’irais jusqu’aux royaumes inconnus de l’occident, prêchant sur ma route l’unité de ton saint nom, et passant au fil de l’épée les nations rebelles qui adorent d’autres dieux que toi »[153]. Cependant ce nouvel Alexandre, qui soupirait après de nouveaux mondes, ne put garder les régions qu’il venait d’envahir. La défection générale des Grecs et des Africains le rappela des rivages de l’Atlantique ; et environné de tous côtés par une multitude furieuse, il n’eut d’autre ressource que celle de mourir glorieusement. La dernière scène de sa vie offrit un bel exemple de la générosité si commune parmi les Arabes. Un chef ambitieux qui lui avait disputé le commandement et qui avait échoué dans son entreprise, était conduit prisonnier dans le camp d’Akbah ; les insurgens, comptant sur son mécontentement et ses désirs de vengeance, avaient songé à le faire servir à leurs desseins ; mais il dédaigna leurs offres et révéla la conspiration. Lorsque Akbah se vit environné de toutes parts, il brisa les fers du captif et lui conseilla de se retirer ; mais celui-ci déclara qu’il aimait mieux mourir sous le drapeau de son rival. Alors se tenant tous deux embrassés comme des amis et des martyrs, ils saisirent leurs cimeterres, en brisèrent les fourreaux, et combattirent jusqu’au moment où ils tombèrent enfin l’un à côté de l’autre, après avoir vu massacrer jusqu’au dernier de leurs compatriotes. Zobeir, qui fut le troisième général ou le troisième gouverneur de l’Afrique, vengea la mort de son prédécesseur et eut la même destinée. Il remporta plusieurs victoires sur les naturels du pays ; mais il fut accablé par une grande armée que Constantinople envoya au secours de Carthage.

Fondation de Cairoan. A. D. 670-675.

Il arrivait souvent que les tribus des Maures se réunissaient aux troupes des Arabes, prenaient part à leur butin, se soumettaient à leur religion ; mais dès qu’ils se retiraient ou essuyaient un échec, elles retournaient à leur sauvage indépendance et à leur idolâtrie. Akbah avait songé prudemment à établir une colonie d’Arabes au centre de l’Afrique ; il pensait qu’une ville fortifiée contiendrait la légèreté des Barbares, et serait un lieu de sûreté où, pendant la guerre, les Sarrasins pourraient mettre l’abri leurs familles et leurs richesses. La cinquantième année de l’hégyre, il y établit en effet une colonie sous le titre modeste de station d’une caravane. Dans l’état de décadence où se trouve aujourd’hui réduite Cairoan, cette colonie[154] est encore la seconde des villes du royaume de Tunis ; elle est éloignée de la capitale d’environ cinquante milles vers le sud[155] ; comme elle est à douze milles de la côte de la mer vers l’ouest, elle s’est trouvée à l’abri des insultes des flottes grecques et siciliennes. Lorsqu’on eut débarrassé le terrain des bêtes sauvages et des serpens, lorsqu’on eut nettoyé la forêt ou plutôt le désert, on aperçut au milieu d’une plaine de sable les vestiges d’une ville romaine. Les légumes que consomme Cairoan y sont portés d’assez loin ; et comme les environs manquent de sources, les habitans sont réduits à recueillir de l’eau de pluie dans des citernes et des réservoirs. L’industrie d’Akbah triompha de ces obstacles ; il traça une enceinte à trois mille six cents pas de tour, qu’il environna d’un mur de brique : en moins de cinq ans on vit s’élever autour du palais du gouverneur un nombre suffisant d’habitations particulières : on bâtit une mosquée spacieuse soutenue par cinq cents colonnes de granit, de porphyre et de marbre de Numidie, et Cairoan devint le siége des lumières aussi-bien que celui du gouvernement. Mais ce ne fut que dans des temps postérieurs qu’elle parvint à ce degré de gloire. Les défaites d’Akbah et de Zobeir ébranlèrent la nouvelle colonie, et les dissensions civiles de la monarchie des Arabes interrompirent encore les expéditions du côté de l’occident. Le fils du brave Zobeir soutint une guerre de douze ans et un siége de sept mois contre la maison des Ommiades. On dit qu’Abdallah réunissait la férocité du lion et l’astuce du renard ; mais s’il hérita du courage de son père, il n’en avait pas la générosité[156].

Conquête de Carthage. A. D. 692-698.

Le retour de la paix dans l’intérieur de l’empire permit au calife Abdalmalek d’achever la conquête de l’Afrique. Hassan, gouverneur de l’Égypte, fut chargé du commandement des troupes : on destina à cette expédition le revenu de l’Égypte et quarante mille hommes. Dans les vicissitudes de la guerre, les Sarrasins avaient alternativement subjugué et perdu les provinces intérieures ; mais la côte de la mer était toujours au pouvoir des Grecs : les prédécesseurs de Hassan avaient respecté le nom et les fortifications de Carthage ; et le nombre de ses défenseurs était augmenté des habitans de Cabés et de Tripoli qui s’y étaient réfugiés. Hassan fut plus hardi et plus heureux ; il réduisit et pilla la métropole de l’Afrique ; ce fut, disent les historiens, au moyen d’échelles ; ce qui fait penser qu’il s’épargna par un assaut les ennuyeuses opérations d’un siége régulier ; mais la joie des vainqueurs fut bientôt troublée par l’arrivée d’un renfort de chrétiens. Jean, préfet et patricien, général habile et renommé, embarqua à Constantinople les forces de l’empire d’Orient[157] ; les navires et les soldats de la Sicile le joignirent bientôt, et il obtint de la frayeur et de la religion du monarque espagnol une nombreuse troupe de Goths[158]. Ses navires brisèrent la chaîne qui gardait l’entrée du port ; les Arabes se retirèrent à Cairoan ou à Tripoli ; les chrétiens firent leur débarquement ; les citoyens saluèrent la bannière de la croix, et l’hiver fut inutilement employé à s’entretenir dans de vaines chimères de victoires ou de délivrance ; mais l’Afrique était perdue pour jamais. Animé par son zèle et son ressentiment, le commandeur des fidèles[159] prépara, tant sur mer que sur terre, pour la campagne suivante, un armement plus considérable que le premier, et Jean se vit contraint d’évacuer le poste et les fortifications de Carthage. Il y eut une seconde bataille aux environs d’Utique ; les Grecs et les Goths furent encore défaits, et n’eurent d’autre ressource qu’un prompt embarquement pour échapper au glaive de Hassan, qui avait investi la faible palissade de leur camp. Ce qui restait de Carthage fut livré aux flammes, et la colonie de Didon[160] et de César fut abandonnée durant plus de deux siècles, jusqu’à l’époque où le premier des califes fatimites repeupla un de ses quartiers, qui n’était peut-être pas la vingtième partie de l’espace qu’elle avait occupé autrefois. Au commencement du seizième siècle, la seconde capitale de l’Occident était représentée par une mosquée, un collége sans étudians, vingt-cinq ou trente boutiques, et les cabanes de cinq cents paysans qui, dans la plus abjecte pauvreté, conservaient toute l’arrogance des sénateurs carthaginois ; mais ce misérable village fut encore détruit par les Espagnols que Charles-Quint avait placés dans la forteresse de la Goulette. Les ruines de Carthage ont disparu, et on ne saurait pas où elles étaient situées, si les arches brisées d’un aquéduc ne guidaient les pas du voyageur qui les cherche[161].

Les musulmans achèvent la conquête de l’Afrique. A. D. 698-709.

Les Grecs avaient été chassés, mais les Arabes n’étaient pas encore maîtres du pays. Les Maures ou Barbares[162], si faibles sous les premiers Césars, et si redoutables depuis aux princes de Byzance, opposaient dans les provinces intérieures une résistance confuse à la religion et au pouvoir des successeurs de Mahomet. Les tribus indépendantes prirent sous le drapeau de leur reine Cahina une sorte d’accord et de discipline ; et comme les Maures attribuaient à leurs femmes le don de prophétie, ils attaquèrent les musulmans de leur pays avec un fanatisme égal au leur. Les vieilles troupes de Hassan ne pouvaient suffire à la défense de l’Afrique ; les conquêtes d’une génération furent perdues en un jour ; le général arabe, entraîné par le torrent, se retira sur les frontières de l’Égypte, et y attendit cinq années les secours que lui promettait le calife. Après la retraite des Sarrasins, la prophétesse victorieuse assembla les chefs des Maures, et leur donna un étrange conseil bien digne de la politique des sauvages. « Nos villes, dit-elle, et l’or et l’argent qu’elles contiennent, attirent sans cesse les Arabes ; ces vils métaux ne sont pas l’objet de notre ambition ; les simples productions de la terre nous suffisent. Détruisons ces villes, ensevelissons sous leurs ruines ces funestes trésors, et lorsque nous n’offrirons plus d’appât à la cupidité de nos ennemis, peut-être cesseront-ils de troubler la tranquillité d’un peuple qui sait faire la guerre. » Cette proposition reçut des applaudissemens unanimes. De Tangier à Tripoli, on démolit les édifices ou du moins les fortifications ; on coupa les arbres fruitiers, on anéantit les moyens de subsistance ; des cantons fertiles et peuplés devinrent des déserts, et les historiens des temps postérieurs remarquaient souvent les traces de la prospérité et de la dévastation de leurs ancêtres. Voilà ce que disent les modernes Arabes ; mais je suis fortement disposé à croire que c’est par ignorance de l’antiquité, par amour du merveilleux, et par cette habitude, devenue une espèce de mode, d’exagérer la philosophie des Barbares, qu’ils ont représenté comme un acte volontaire les calamités et les dévastations de trois siècles, à compter des premières fureurs des donatistes et des Vandales. Dans le cours de la révolte, il est vraisemblable que Cahina contribua, pour sa part, à la dévastation ; et peut-être que la crainte de se voir ruinées épouvanta ou indisposa les villes qui s’étaient soumises malgré elles au joug d’une femme. Les colons n’espéraient plus, peut-être même ne désiraient-ils plus le retour du souverain qui régnait à Byzance ; les avantages de l’ordre et de la justice n’adoucissaient pas leur servitude, et les plus zélés d’entre les catholiques devaient préférer les vérités imparfaites du Koran à l’aveugle et grossière idolâtrie des Maures. Le général des Sarrasins fut donc accueilli une seconde fois comme le sauveur de la province : les amis de la civilisation conspirèrent contre les sauvages de cette partie du monde ; Cahina fut tuée dès la première bataille, et avec elle tomba l’édifice mal affermi de son empire et de la superstition qui le soutenait. Le même esprit de révolte se ralluma sous le successeur de Hassan ; il fut enfin étouffé par l’activité de Musa et de ses deux fils ; mais on peut juger du nombre des rebelles par celui de trois cent mille d’entre eux qui furent réduits en captivité. Soixante mille de ces captifs, mis à part pour le cinquième du calife, furent vendus au profit du trésor ; trente mille jeunes gens furent enrôlés dans les troupes ; et les pieux travaux de Musa, qui ne cessa de s’occuper du soin d’inculquer aux vaincus les lumières et la pratique du Koran, habituèrent les Africains à obéir à l’apôtre de Dieu et au commandeur des fidèles. Par le climat qu’ils habitaient et leur gouvernement, par leur régime et le genre de leurs habitations, les Maures errans ressemblaient aux Bedoins du désert ; en adoptant la religion de Mahomet, leur orgueil se plut à adopter la langue, le nom et l’origine des Arabes ; [Adoption des Maures.]le sang des étrangers et celui des naturels du pays se mêlèrent insensiblement, et il sembla alors que la même nation se fût répandue de l’Euphrate à l’Atlantique, sur les plaines sablonneuses de l’Asie et de l’Afrique. Au reste, je conviens que cinquante mille tentes de purs Arabes ont pu traverser le Nil et se disperser dans le désert de la Libye, et je sais que cinq tribus mauresques conservent encore aujourd’hui leur idiome barbaresque, et qu’elles portent le nom et le caractère d’Africains blancs[163].

Espagne. Premiers desseins des Arabes sur ce pays. A. D. 709.

V. Les Goths suivant leurs conquêtes du nord vers le midi, et les Sarrasins du midi vers le nord, se rencontrèrent sur les confins de l’Europe et de l’Afrique. Les derniers se croyaient autorisés à détester, à attaquer un peuple qui n’avait pas leur religion[164]. Dès le règne d’Othman[165], leurs pirates avaient ravagé la côte d’Andalousie[166] ; ils se souvenaient toujours que les Goths avaient donné du secours à Carthage. Les rois d’Espagne possédaient alors, ainsi qu’à présent, la forteresse de Ceuta, l’une des colonnes d’Hercule, qui n’est séparée que par un détroit de peu de largeur de l’autre colonne, qui est la pointe de l’Europe, il restait encore aux Arabes à conquérir le petit canton de la Mauritanie ; mais Musa, qui dans l’orgueil de sa victoire avait attaqué Ceuta, fut repoussé par la vigilance et le courage du comte Julien, général des Goths. Il fut bientôt relevé de cette disgrâce et tiré de l’embarras où il se trouvait par un message inattendu du chef chrétien, qui offrait aux successeurs de Mahomet sa personne, son épée, la place qu’il commandait, et sollicitait le honteux honneur d’introduire les Arabes dans le cœur de l’Espagne[167]. Si nous cherchons le motif de sa trahison, les historiens espagnols répètent, d’après un conte populaire, que sa fille Gava[168] avait été séduite ou violée par son souverain, et que ce père sacrifia à la vengeance sa religion et son pays. Les passions des princes se sont montrées souvent déréglées et dangereuses ; mais ce conte si connu, et très-romanesque par lui-même, n’est d’ailleurs soutenu que par d’assez faibles preuves, et l’histoire d’Espagne peut offrir des motifs d’intérêt et de prudence plus capables de faire impression sur l’esprit d’un vieux politique[169]. [État de la monarchie des Goths.]Après la mort ou la déposition de Witiza, ses deux fils avaient été écartés du trône par l’ambition de Roderic, Goth d’une noble famille, et dont le père, duc ou gouverneur d’une province, avait été victime de la tyrannie du règne précédent. La monarchie était toujours élective ; mais les fils de Witiza, élevés sur les marches du trône, ne pouvaient supporter la condition privée à laquelle on venait de les réduire. Leur ressentiment, caché par la dissimulation des cours, n’était que plus dangereux. Leurs partisans étaient excités par le souvenir des faveurs qu’ils avaient reçues jadis, par l’espoir que pouvait leur offrir une révolution ; et Oppas leur oncle, archevêque de Tolède et de Séville, était la première personne de l’Église et la seconde de l’état. Il est vraisemblable que Julien se trouvait enveloppé dans la ruine de cette faction malheureuse ; qu’il avait beaucoup à craindre et peu à espérer du nouveau règne, et que l’imprudent Roderic ne pouvait sur le trône ni oublier ni pardonner les outrages qu’avait reçus sa famille. Le mérite et l’influence de Julien en faisaient un sujet utile, mais redoutable ; il avait de grands biens, des partisans audacieux et en grand nombre, et malheureusement il a trop fait voir que, maître de l’Andalousie et de la Mauritanie, il tenait en ses mains les clefs de la monarchie d’Espagne. Trop faible cependant pour déclarer la guerre à son souverain, il chercha le secours d’une puissance étrangère, et en appelant imprudemment les Maures et les Arabes, il produisit huit siècles de calamités ; il les instruisit, dans ses lettres ou dans une conférence, de la richesse et du peu de force de son pays, de la faiblesse d’un prince peu chéri du peuple, et de l’état de dégénération où se trouvait ce peuple efféminé. Les Goths n’étaient plus ces Barbares victorieux qui avaient humilié l’orgueil de Rome, dépouillé la reine des nations, et qui s’étaient avancés triomphans du Danube à la mer Atlantique ; séparés par les Pyrénées du reste du monde, les successeurs d’Alaric s’étaient endormis dans une longue paix. Les murs des villes tombaient en ruines ; les jeunes citoyens avaient abandonné l’exercice des armes, et toujours fiers de leur ancienne renommée, leur présomption devait les perdre dès le premier combat. L’ambitieux Sarrasin fut excité par la facilité et l’importance de cette conquête ; mais il ne voulut l’entreprendre qu’après avoir consulté le calife : son courrier rapporta une lettre de Walid, qui permettait de réunir les royaumes inconnus de l’occident à la religion et au trône des successeurs de Mahomet. Musa, à Tangier, entretenait secrètement et avec précaution sa correspondance avec Julien, et hâtait ses préparatifs ; mais pour ôter tout remords aux conjurés, il les assurait qu’il se contenterait de la gloire et du butin de l’expédition, et qu’il ne songerait point à établir les Arabes au-delà de la mer qui sépare l’Afrique de l’Europe[170].

Première descente des Arabes en Espagne. A. D. 710. Juillet.

Musa, avant de confier une armée de fidèles aux traîtres et aux infidèles d’une terre étrangère, voulut faire de leur force et de leur véracité une épreuve moins dangereuse. Cent Arabes et quatre cents Africains passèrent de Tangier à Ceuta sur quatre navires ; le nom de Tarik, leur chef, annonce encore le lieu de leur débarquement, et la date de cet événement mémorable[171] est fixée au mois de ramadan de la quatre-vingt-onzième année de l’hégyre, ou si l’on veut, au mois de juillet 748, si l’on calcule comme les Espagnols, depuis l’ère de César[172], ou enfin sept cent dix ans après la naissance de Jésus-Christ. En partant de ce premier port, ils firent dix-huit milles sur un terrain rempli de collines avant d’arriver au château et à la ville de Julien[173], à laquelle l’aspect verdoyant d’une pointe qui s’avance dans la mer fit donner le nom d’île Verte ; elle est encore connue sous celui d’Algeziras. La manière hospitalière dont ils furent accueillis, le nombre des chrétiens qui se joignirent à eux, leurs incursions dans une province fertile et mal gardée, la richesse de leur butin et la tranquillité de leur retour, furent regardés par leurs compatriotes comme les présages les plus favorables d’une victoire assurée. Dès les premiers jours du printemps suivant, cinq mille vétérans et volontaires s’embarquèrent sous les ordres de Tarik, guerrier habile et intrépide, qui surpassa les espérances de son chef Le trop fidèle Julien avait fourni des navires de transport. [Leur seconde descente. A. D. 711. Avril.]Les Sarrasins débarquèrent à la pointe d’Europe[174]. Dans le nom corrompu de Gibraltar, on retrouve encore la première dénomination de Gebel al Tarik, montagne de Tarik, et les retranchemens du camp des Arabes ont été la première ébauche de ces fortifications qui, défendues par des Anglais, viennent de résister à l’art et à la puissance de la maison de Bourbon. Les gouverneurs des cantons voisins informèrent la cour de Tolède de la descente et du progrès des Arabes ; et la défaite d’Édeco, l’un des généraux de Roderic, qui avait eu ordre de saisir et d’enchaîner ces présomptueux étrangers, avertit ce prince de la grandeur de son danger. Ses ordres rassemblèrent les ducs et les comtes, les évêques et les nobles du royaume, tous suivis de leurs vassaux, et l’uniformité de langage, de religion et de mœurs qui régnait entre les diverses nations soumises à la monarchie d’Espagne, peut expliquer ce titre de roi des Romains donné à Roderic par un historien arabe. Les forces de ce roi montaient à quatre-vingt-dix ou cent mille hommes, armée bien redoutable par le nombre si elle l’eût été également par la fidélité et la discipline. L’armée de Tarik, augmentée par de nouveaux renforts, était composée de douze mille Sarrasins ; mais l’influence de Julien y attira de toutes parts les chrétiens mécontens, et un grand nombre d’Africains s’empressèrent de prendre part aux plaisirs temporels que leur offrait le Koran. La bataille qui décida du sort de ce royaume se donna aux environs de Cadix, près de la ville de Xérès, rendue célèbre par cet événement[175] ; [Leur victoire. Juillet 19-25.]la petite rivière de Guadalète, qui va tomber dans la baie, séparait les deux camps, et ce fut à obtenir ou à perdre la possession de ses deux rivages que se bornèrent les avantages et les désavantages de trois journées consécutives, consacrées à de sanglantes escarmouches ; mais le quatrième jour, les deux armées se livrèrent une bataille sérieuse et décisive. Alaric aurait rougi de voir son indigne successeur, la tête ornée d’un diadème de perles, enveloppé d’une longue robe brodée d’or et de soie, négligemment couché sur une litière ou sur un char d’ivoire traîné par deux mules blanches. Les Sarrasins, malgré leur valeur, furent accablés sous le nombre, et seize mille d’entre eux jonchèrent la terre de leurs cadavres. « Mes frères, dit Tarik aux troupes qui lui restaient, l’ennemi est devant vous, la mer est par derrière. Où pourriez-vous vous retirer ? Suivez votre général ; j’ai résolu de mourir ou de fouler aux pieds le roi des Romains. » L’intrépidité de son désespoir n’était pas sa seule ressource ; il espérait beaucoup de la correspondance secrète et des entrevues nocturnes du comte Julien avec les fils et le frère de Witiza. Les deux princes et l’archevêque de Tolède se trouvaient au poste le plus important : ils surent choisir à propos le moment de leur défection ; les rangs des chrétiens se trouvèrent rompus ; la frayeur et le soupçon s’étant emparés de tous, chacun ne songea plus qu’à sa sûreté personnelle, et les restes de l’armée des Goths, poursuivis pendant trois jours par les vainqueurs, furent entièrement détruits ou dispersés. Au milieu du désordre général, Roderic s’élança de son char et sauta sur son cheval Orelia, le plus léger de ses coursiers ; mais il n’échappa au genre de mort qui convient à un soldat que pour périr moins noblement dans les eaux du Bœtis ou du Guadalquivir. On trouva sur le rivage son diadème, sa robe et son coursier ; mais comme son corps avait disparu dans les flots, la tête que le calife reçut pour la sienne et fit exposer avec orgueil devant le palais de Damas, était probablement celle de quelque victime plus obscure. « Tel est, dit un valeureux historien des Arabes, le sort des rois qui se tiennent éloignés du champ de bataille[176]. »

Destruction de la monarchie des Goths. A. D. 711.

Le comte Julien s’était plongé si avant dans le crime et l’infamie, qu’il n’avait plus d’espoir que dans la ruine totale de son pays. Après la bataille de Xérès, il conseilla au général sarrasin les opérations qui devaient terminer la conquête de la manière la plus sûre. « Le roi des Goths a péri, lui dit-il ; leurs princes sont en fuite, l’armée en déroute, la nation épouvantée : envoyez des détachemens s’assurer des villes de la Bœtique ; mais quant à vous, marchez en personne et sans délai à la ville royale de Tolède, et ne laissez pas aux chrétiens troublés le loisir ou le repos nécessaire à l’élection d’un nouveau monarque. » Tarik adopta cet avis. Un prisonnier romain qui avait embrassé l’islamisme et que le calife lui-même avait affranchi, attaqua Cordoue avec sept cents cavaliers ; il passa le fleuve à la nage et surprit la ville ; les chrétiens retirés dans la grande église se défendirent plus de trois mois. Un autre détachement soumit la côte méridionale de la Bœtique, qui, à la dernière époque de la puissance des Maures, formait le petit mais populeux royaume de Grenade. Tarik se porta du Bœtis vers le Tage[177] ; en traversant la Sierra Morena, qui sépare l’Andalousie de la Castille, il parut bientôt sous les murs de Tolède[178]. Les plus zélés d’entre les catholiques avaient pris la fuite avec les reliques de leurs saints, et les portes ne furent fermées que jusqu’au moment où le vainqueur eut signé une capitulation honorable et avantageuse. Il laissa aux habitans la liberté de se retirer avec leurs effets ; il accorda sept églises aux chrétiens ; il permit à l’archevêque et à son clergé d’exercer leurs fonctions, et aux moines de suivre ou d’enfreindre leur règle ; et dans toutes les affaires civiles et criminelles, les Goths et les Romains demeurèrent soumis à leurs lois et à leurs magistrats. Mais si la justice de Tarik protégea les chrétiens, la reconnaissance et la politique l’engagèrent à récompenser les Juifs, dont les secours tant secrets qu’avoués, avaient déterminé ses succès les plus importans. Persécutée par les rois et les conciles d’Espagne, qui lui avaient souvent proposé l’alternative de l’exil ou du baptême, cette nation rejetée du sein de la société, avait saisi cette occasion de vengeance. Le souvenir de son état passé comparé à son état présent était un gage certain de sa fidélité ; et en effet l’alliance des disciples de Moïse et de ceux de Mahomet s’est maintenue jusqu’à l’époque où l’Espagne les a chassés les uns et les autres. De Tolède, le chef des Arabes poussa ses conquêtes vers le nord, et soumit les districts qui dans les temps modernes ont formé les royaumes de Castille et de Léon. Mais il serait inutile de faire l’énumération des villes qui se rendirent à son approche ou de décrire de nouveau cette table d’émeraude[179] apportée de l’Orient en Italie par les Romains, passée entre les mains des Goths parmi les dépouilles de Rome, et envoyée par Tarik au pied du trône de Damas. La ville maritime de Gijon fut, au-delà des montagnes des Asturies, le terme[180] des exploits du lieutenant de Musa, il avait parcouru avec la rapidité d’un voyageur les sept cents milles qui séparent le rocher de Gibraltar de la baie de Biscaye. La barrière de l’océan le força à revenir sur ses pas ; et il fut bientôt rappelé à Tolède pour s’y justifier d’avoir osé subjuguer un royaume en l’absence de son général. L’Espagne, qui, alors plus sauvage et moins régulièrement défendue, avait résisté deux siècles aux armes des Romains, fut vaincue en peu de mois par les Sarrasins ; et tel était l’empressement des peuples à se soumettre et à traiter avec l’ennemi, qu’on cite le gouverneur de Cordoue comme le seul chef tombé sans condition en son pouvoir. La bataille de Xérès avait irrévocablement décidé de la destinée des Goths ; et dans l’épouvante générale, chaque partie de la monarchie crut devoir éviter une lutte où avaient succombé les forces réunies de toute la nation[181]. La famine et la peste vinrent l’une après l’autre achever d’épuiser le reste de ses forces ; et les gouverneurs impatiens de se rendre, purent exagérer les difficultés qu’ils éprouvaient à rassembler les munitions nécessaires pour soutenir un siége. Les terreurs de la superstition aidèrent aussi à désarmer les chrétiens : l’adroit Arabe eut soin d’encourager des bruits de songes, de présages, de prophéties favorables à sa cause, ainsi que celui qui se répandit qu’on avait découvert dans un des appartemens du palais les portraits des guerriers destinés à conquérir l’Espagne. Toutefois une étincelle de la flamme qui devait ranimer la monarchie espagnole subsistait encore, d’indomptables fugitifs se décidèrent à mener une vie pauvre et libre dans les vallées de l’Asturie ; les robustes montagnards repoussèrent les esclaves du calife, et le glaive de Pélage est devenu le sceptre des rois catholiques[182].

Conquête de l’Espagne par Musa. A. D. 712-713.

À la nouvelle de ces rapides succès, Musa sentit la satisfaction faire place à la jalousie ; il craignit, sans le dire, que Tarik ne lui laissât rien à conquérir. Il partit de la Mauritanie à la tête de dix mille Arabes et de huit mille Africains, et se rendit en Espagne : il avait sous ses drapeaux les plus nobles d’entre les Koreishites. Il laissa à son fils aîné le commandement de l’Afrique, et emmena les trois plus jeunes, qui, par leur âge et leur valeur, se montraient disposés à seconder les entreprises les plus audacieuses de leur père. Il débarqua à Algeziras, où il fut respectueusement accueilli par le comte Julien, qui, étouffant le cri de sa conscience, montrait par ses paroles et par ses actions que la victoire des Arabes n’avait point diminué son attachement pour eux. Cependant il restait à Musa quelques ennemis à soumettre. Les Goths, dans leur tardif repentir, comparaient leur nombre à celui des vainqueurs ; les villes qu’avait négligées Tarik se croyaient imprenables, et d’intrépides patriotes dépendaient les fortifications de Séville et de Mérida. Musa marcha du Bœtis à l’Anas, ou du Guadalquivir à la Guadiana, assiégea ces villes et les soumit l’une après l’autre. Lorsqu’il vit les ouvrages de la magnificence romaine, le pont, les aquéducs, les arcs de triomphe et le théâtre de l’ancienne métropole de la Lusitanie : « On croirait, dit-il à quatre officiers de sa suite, que la race humaine a réuni tout son art et tout son pouvoir pour élever cette ville : heureux celui qui en deviendra maître ! » Il aspirait à ce bonheur ; mais les habitans de Mérida soutinrent en cette occasion l’honneur qu’ils avaient de descendre des braves légionnaires d’Auguste[183]. Dédaignant de se renfermer dans leurs murailles, ils attaquèrent les Arabes sur la plaine ; mais un détachement ennemi placé en embuscade au fond d’une carrière ou parmi des ruines, les punit de leur imprudence et coupa leur retraite. Musa fit alors conduire au pied des remparts les tours de bois qu’on employait dans les siéges : la défense de la place fut opiniâtre et longue, et le château des Martyrs attestera aux générations futures la perte des musulmans. La famine et le désespoir triomphèrent à la fin de la constance des assiégés ; et dans la capitulation, l’habile vainqueur attribua à l’estime et à la clémence ce que lui fit accorder l’impatience qu’il éprouvait de jouir de sa victoire. On donna aux habitans le choix de l’exil ou du tribut ; les deux religions se partagèrent les églises, et on confisqua au profit des musulmans la fortune de ceux qui avaient péri durant le siége ou qui se retirèrent dans la Galice. Tarik vint saluer Musa entre Mérida et Tolède, et le conduisit au palais des rois goths. Leur première entrevue fut froide et cérémonieuse : le lieutenant du calife exigea un compte rigoureux des trésors de l’Espagne ; Tarik vit sa réputation exposée au soupçon et à la diffamation ; ce héros fut emprisonné, insulté et fustigé ignominieusement par la main ou par l’ordre de Musa. Au reste, les premiers musulmans observaient une discipline si sévère, leur zèle était si pur ou leur courage si soumis, qu’après cet outrage public on ne craignit pas de charger Tarik de la réduction de la province de Tarragone. La libéralité des Koreishites éleva une mosquée à Saragosse ; le port de Barcelone fut rouvert aux navires de la Syrie ; et les Arabes poursuivirent les Goths au-delà des Pyrénées, dans la province de Septimanie (le Languedoc) dont ils étaient en possession[184]. Musa trouva à Carcassonne sept statues équestres d’argent massif dans l’église de Sainte-Marie, et il n’est pas vraisemblable qu’il les y ait laissées. De Narbonne, où il éleva un terme ou une colonne, il retourna sur les côtes de la Galice et de la Lusitanie. Durant son absence, Abdelaziz, un de ses fils, châtia les insurgens de Séville ; et depuis Malaga jusqu’à Valence, il subjugua les rives de la Méditerranée. Le traité qu’il accorda au sage et au vaillant Théodemir, et qui nous est demeuré en original[185], donnera une idée des mœurs et de la politique de ce temps. « Articles de paix convenus et jurés entre Abdelaziz, fils de Musa, fils de Nassir, et Théodemir, prince des Goths, Au nom du Dieu très miséricordieux, Abdelaziz fait la paix, à ces conditions qu’on n’inquiétera point Théodemir dans sa principauté ; qu’on n’attentera ni à la vie, ni à la propriété, ni aux femmes, ni aux enfans, ni à la religion, ni aux temples des chrétiens ; que Théodemir livrera volontairement ses sept villes d’Orihuela, Valentola, Alicante, Mola Vacasora, Bigerra (aujourd’hui Bejar), Ora (ou Opta) et Lorca ; qu’il ne secourra ni ne recevra les ennemis du calife, mais qu’il communiquera fidèlement ce qu’il saura de leurs projets d’hostilités, qu’il payera annuellement, ainsi que chacun des Goths d’une famille noble, une pièce d’or, quatre mesures de blé, quatre mesures d’orge, et une certaine quantité de miel, d’huile et de vinaigre ; et que l’impôt de chacun de leurs vassaux sera de la moitié de cette contribution. Donné le 4 de Regeb, l’an de l’hégyre 94, et signé de quatre témoins musulmans[186]. » Théodemir et ses sujets furent traités avec une douceur singulière. Mais il paraît que la quotité de l’impôt varia du dixième au cinquième, selon la soumission ou l’opiniâtreté des chrétiens[187]. Durant cette révolution, ils eurent beaucoup à souffrir des passions naturelles et religieuses des Arabes : ceux-ci profanèrent quelques églises, prirent quelquefois pour des idoles les reliques et les images. On passa des rebelles au fil de l’épée ; une ville située entre Cordoue et Séville, et dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous, fut rasée jusqu’aux fondemens. Cependant, si l’on compare ces violences à celles qui se commirent lors de l’invasion de l’Espagne par les Goths, ou à ce qu’on vit lorsque les rois de Castille et de l’Aragon la reprirent, on donnera des éloges à la modération et à la discipline des Arabes.

Disgrâce de Musa. A. D. 714.

Musa était âgé, bien que pour déguiser sa vieillesse, il cachât sous une poudre rouge la blancheur de sa barbe ; mais l’activité et l’amour de la gloire échauffait encore son cœur de toute l’effervescence de la jeunesse. Ne voyant dans la possession de l’Espagne qu’un premier pas à la conquête de l’Europe, après avoir préparé sur terre et sur mer un puissant armement, il se disposait à traverser de nouveau les Pyrénées, à renverser dans la Gaule et l’Italie les royaumes des Francs et des Lombards alors sur le penchant de leur ruine, et à prêcher l’unité de Dieu sur l’autel du Vatican. De là subjuguant les Barbares de la Germanie, il comptait suivre le Danube depuis sa source jusqu’au Pont-Euxin, renverser l’empire de Constantinople, et repassant d’Europe en Asie, réunir les contrées qu’il aurait vaincues au gouvernement d’Antioche et aux provinces de la Syrie[188] ; mais ce vaste projet, qui peut-être n’était pas d’une exécution bien difficile, devait aux yeux des esprits vulgaires porter les caractères de l’extravagance et de ses visions de conquête. Musa ne tarda pas à être rappelé au souvenir de sa dépendance et de sa servitude. Les amis de Tarik avaient exposé avec succès ses services et le traitement qu’il avait reçu : la cour de Damas blâma la conduite de Musa ; elle soupçonna ses intentions, et le retard qu’il mit à obéir au premier ordre de rappel, en attira un second plus sévère et plus péremptoire. Un intrépide messager fut dépêché par le calife au camp de Musa, à Lugo en Galice ; et là, en présence des musulmans et des chrétiens, il saisit la bride de son cheval. La fidélité de Musa ou celle de ses troupes, ne lui permirent pas de songer à la désobéissance ; mais sa disgrâce fut adoucie par le rappel de son rival, et par la permission qu’il reçut de donner ses deux gouvernemens à ses deux fils Abdallah et Abdelaziz. Sa marche triomphale de Ceuta à Damas, étala les dépouilles de l’Afrique et les trésors de l’Espagne : on voyait à sa suite quatre cents Goths de nobles familles, portant des couronnes et des ceintures d’or. On évaluait à dix-huit et même à trente mille le nombre des captifs mâles et femelles choisis, à raison de leur naissance et de leur beauté, pour orner ce triomphe. À Tibériade en Palestine, un courrier de Soliman, frère de Walid et héritier présomptif de la couronne, lui apprit que le calife était atteint d’une maladie dangereuse : Soliman désirait que Musa réservât pour son règne le spectacle des trophées de sa victoire. Si Walid eût guéri, le délai de Musa aurait été criminel ; il continua donc sa marche, et il trouva un ennemi sur le trône. Sa conduite fut examinée par un juge partial ; son adversaire était aimé du peuple ; on le déclara coupable de vanité et de mauvaise foi ; et l’amende de deux cent mille pièces d’or à laquelle il fut condamné, si elle ne le réduisit pas à la misère, put servir de preuve à ses rapines ; l’indigne traitement dont il avait usé envers Tarik, fut puni par une ignominie semblable : le vieux général, après avoir été fustigé en public, fut un jour entier exposé au soleil devant la porte du palais, et finit par obtenir un honnête exil, sous le nom pieux de pèlerinage à la Mecque. La perte de Musa aurait dû satisfaire le ressentiment du calife ; mais il craignait une famille puissante et outragée, et dans sa frayeur il résolut de l’anéantir. L’arrêt de mort fut envoyé secrètement et promptement en Afrique et en Espagne à de fidèles serviteurs du trône ; et s’il fut juste, sa sanglante exécution viola du moins les formes de l’équité. Abdelaziz tomba dans la mosquée ou le palais de Cordoue sous le glaive des conspirateurs ; ses assassins lui reprochèrent d’avoir formé des prétentions aux honneurs de la royauté, ainsi que le scandale de son mariage avec Egilona, veuve de Roderic, qui blessait également les préjugés des chrétiens et des musulmans. Par un raffinement de cruauté, on présenta sa tête à son père, à qui on demanda s’il connaissait les traits du rebelle ? « Oui, s’écria-t-il avec indignation, je connais ses traits ; je soutiens qu’il fut innocent, et j’appelle sur la tête de ses meurtriers une destinée semblable, mais plus juste. » Le désespoir et la vieillesse de Musa le mirent bientôt hors de l’atteinte des rois, et il mourut de douleur peu de temps après son arrivée à la Mecque. Tarik son rival fut plus favorablement traité ; on lui pardonna ses services et on lui permit de se mêler à la foule des esclaves[189]. J’ignore si le comte Julien reçut pour récompense la mort qu’il avait méritée, mais ce ne fut pas de la main des Sarrasins ; les témoignages les plus irrécusables démentent ce qu’on dit de leur ingratitude envers les fils de Witiza. Les deux princes furent rétablis dans les domaines particuliers de leur père ; mais à la mort de l’aîné, qui se nommait Eba, sa fille fut injustement dépouillée par son oncle Sigebut de ce qui lui revenait de l’héritage de son père. La fille du prince goth plaida sa cause devant le calife Hashem, et elle obtint la restitution de ce qui lui appartenait ; mais on la donna en mariage à un noble Arabe, et ses deux fils Isaac et Ibrahim furent reçus en Espagne avec les égards dus à leur naissance et à leur fortune.

Prospérité de l’Espagne sous les Arabes.

Le nombre d’étrangers qui s’établissent dans une province conquise, l’empressement des vaincus à imiter leurs maîtres, donnent bientôt à la contrée un aspect semblable à celui du pays d’où sont sortis les vainqueurs ; et l’Espagne, qui avait vu tour à tour le sang des Carthaginois, des Romains et des Goths se mêler au sien, prit en peu de générations le nom et les mœurs des Arabes. Les premiers généraux et les vingt lieutenans du calife qui se succédèrent dans ce pays, amenèrent une suite nombreuse d’officiers civils et d’officiers militaires, qui aimaient mieux jouir au loin d’une vie aisée, que se trouver à l’étroit dans leur patrie ; ces colonies des musulmans étaient favorables à l’intérêt du public, à celui des particuliers, et les villes de l’Espagne rappelaient avec orgueil la tribu ou le canton de l’Orient d’où elles tiraient leur origine. Les bandes victorieuses de Tarik et de Musa, bien que mêlées de plusieurs nations, se distinguaient par le nom d’Espagnoles, qui semblait établir leur droit de conquête ; elles permirent toutefois aux musulmans de l’Égypte de venir habiter la Murcie et Lisbonne. La légion royale de Damas s’établit à Cordoue ; celle d’Émèse à Séville, celle de Kinnisrin ou Chalcis à Jæn, celle de Palestine à Algéziras et à Médina Sidonia. Les guerriers venus de l’Yémen et de la Perse se dispersèrent autour de Tolède et dans l’intérieur du pays, et les fertiles domaines de Grenade furent donnés à dix mille cavaliers[190] de la Syrie et de l’Irak, dont la race était la plus pure et la plus noble de l’Arabie. Ces factions héréditaires entretenaient un esprit d’émulation quelquefois utile, plus souvent dangereux. Dix années après la conquête, on présenta au calife une carte de l’Espagne ; on y voyait indiqués les mers, les rivières et les havres, les villes et le nombre des habitans, le climat, le sol et les productions minérales[191]. Dans l’espace de deux siècles, l’agriculture[192], les manufactures et le commerce d’un peuple industrieux ajoutèrent aux bienfaits de la nature ; et les effets de l’activité des Arabes ont été embellis encore par leur oisive imagination. Le premier des Ommiades qui régna en Espagne sollicita l’appui des chrétiens ; et par son édit de protection et de paix, il se borna à un modique tribut de dix mille onces d’or, de dix mille livres d’argent, de dix mille chevaux, de dix mille mulets, de mille cuirasses, et d’un pareil nombre de casques et de lances[193]. Le plus puissant de ses successeurs tira du même royaume un revenu annuel de douze millions et quarante-cinq mille dinars ou pièces d’or, c’est-à-dire d’environ six millions sterling[194], somme qui, au dixième siècle, surpassait vraisemblablement la totalité des revenus de tous les monarques chrétiens. Le calife résidait à Cordoue, ville qui renfermait six cents mosquées, neuf cents bains et deux cent mille maisons ; il donnait des lois à quatre-vingts villes du premier ordre, a trois cents du second et du troisième, et douze mille villages ou hameaux ornaient les fertiles bords du Guadalquivir. Sans doute les Arabes se sont livrés à l’exagération, mais l’Espagne n’a jamais été plus riche, mieux cultivée et plus remplie d’habitans que sous leur empire[195].

Tolérance religieuse.

Le prophète avait consacré les guerres des musulmans ; mais parmi les préceptes divers et les exemples qu’il avait donnés durant sa vie, les califes choisirent les leçons de tolérance les plus propres à prévenir la résistance des incrédules. L’Arabie était toujours le sanctuaire et le patrimoine du Dieu de Mahomet ; mais il voyait d’un œil moins affectueux et moins jaloux les autres nations de la terre. Ses adorateurs se croyaient autorisés à donner la mort aux polythéistes et aux idolâtres qui ignoraient son nom[196] ; mais de sages vues de politique suppléèrent bientôt pour eux aux principes de la justice ; et après quelques actes d’un zèle intolérant, les musulmans qui s’emparèrent de l’Inde épargnèrent les pagodes de ce peuple nombreux et dévot. Les disciples d’Abraham, de Moïse et de Jésus furent invités solennellement à adopter la révélation plus parfaite de Mahomet ; mais s’ils aimaient mieux payer un tribut modéré, on leur accordait la liberté de conscience et la permission d’adorer Dieu à leur manière[197]. [Propagation du mahométisme.]Les prisonniers qu’on faisait sur un champ de bataille, dévoués à la mort, rachetaient leur vie en professant l’islamisme ; les femmes devaient embrasser la religion de leurs maîtres, et l’éducation des enfans des captifs augmentait peu à peu le nombre des prosélytes de bonne foi. Mais les millions de néophytes de l’Afrique qui se déclarèrent en faveur de la religion nouvelle, furent sans doute entraînés par la séduction plutôt que par la force. Une légère opération, une simple profession de foi faisait en un moment du sujet ou de l’esclave, du captif ou du criminel un homme libre, l’égal et le compagnon des musulmans victorieux. Tous ses péchés étaient expiés, tous ses engagemens rompus ; aux vœux de chasteté étaient substitués les penchans de la nature ; la trompette des Sarrasins éveillait les esprits actifs endormis dans le cloître, et dans cette convulsion générale, chaque membre d’une société nouvelle se plaçait au niveau de ses talens et de son courage. Le bonheur de l’autre vie annoncé par Mahomet ne faisait pas moins d’impression sur la multitude que les jouissances qu’il accordait dans celle-ci ; la charité nous engage à croire qu’un grand nombre de ses prosélytes croyaient de bonne foi à la vérité et à la sainteté de sa révélation : aux yeux d’un polythéiste réfléchi, elle devait paraître digne de la nature divine et de la nature humaine. Plus pure que le système de Zoroastre, plus généreuse que la loi de Moïse, la religion de Mahomet semblait même moins contraire à la raison que cette foule de mystères et de superstitions qui, au septième siècle, déshonoraient la simplicité de l’Évangile.

Anéantissement des mages de la Perse.

Dans les provinces étendues de la Perse et de l’Afrique, l’islamisme avait fait disparaître la religion nationale. La théologie équivoque des mages était des sectes de l’Orient la seule qui subsistât encore ; mais on pouvait, sous le respectable nom d’Abraham, rattacher adroitement les profanes écrits de Zoroastre[198] à la chaîne de la révélation divine. On pouvait représenter son mauvais principe, le démon Ahriman, comme le rival ou comme la créature du dieu du jour. Les temples de la Perse n’offraient aucune image, mais on pouvait peindre comme une idolâtrie grossière et criminelle[199] le culte du Soleil et du Feu. L’exemple de Mahomet[200] et la prudence des califes décidèrent l’opinion en faveur du sentiment le plus modéré, et les mages ou les guèbres furent mis avec les juifs et les chrétiens au nombre des peuples de la loi écrite[201] ; au troisième siècle de l’hégyre, la ville de Herat offrit un contraste frappant de fanatisme particulier et de tolérance publique[202]. La loi musulmane avait assuré la liberté civile et religieuse des guèbres de Herat, à condition qu’ils payeraient un tribut ; mais l’humble mosquée qu’avaient nouvellement élevée les musulmans se trouvait éclipsée par l’antique splendeur d’un temple du Feu joignant à l’édifice musulman. Un iman fanatique se plaignit, dans ses sermons, de ce scandaleux voisinage, et accusa les fidèles de faiblesse ou d’indifférence. Le peuple, excité par sa voix, se rassembla en tumulte ; la mosquée et le temple furent livrés aux flammes ; mais sur leur emplacement, on commença aussitôt une nouvelle mosquée. Les mages s’adressèrent au souverain du Khorasan pour obtenir réparation de l’injure qu’ils avaient soufferte ; il avait promis justice et satisfaction, quand (ce qu’on aura peine à croire) quatre mille citoyens de Herat, d’un caractère grave et d’un âge mûr, jurèrent d’une voix unanime que le temple du Feu n’avait jamais existé ; il n’y eut plus moyen de poursuivre les enquêtes, et la conscience des musulmans, dit l’historien Mirchond[203], ne se reprocha point ce parjure pieux et méritoire[204]. Au reste, le plus grand nombre des temples de la Perse se trouvèrent ruinés par la désertion insensible, mais générale, de ceux qui les fréquentaient. La désertion fut insensible, puisqu’elle ne se rapporte particulièrement à aucun temps ni à aucun lieu, et qu’elle n’a pas paru accompagnée de persécution, ou de résistance. Elle fut générale, puisque l’islamisme se trouva adopté par le royaume tout entier, depuis Shiraz jusqu’à Samarcande, tandis que la langue du pays, conservée parmi les musulmans de cette contrée, atteste leur origine persane[205]. Des mécréans dispersés dans les montagnes et les déserts, défendirent avec opiniâtreté la superstition de leurs ancêtres ; et il reste une faible tradition de la théologie des mages dans la province de Kirman, sur les bords de l’Indus, parmi les Persans qui sont à Surate et dans la colonie que Shah Abbas établit dans le dernier siècle auprès d’Ispahan. Le grand pontife s’est retiré au mont Elbourz, à dix-huit lieues de la ville de Yezd. Le feu perpétuel, s’il continue de brûler, est inaccessible aux profanes ; mais les guèbres, dont les traits uniformes et fortement prononcés attestent la pureté de leur sang, vont en pèlerinage au lieu qu’habite ce pontife, leur maître et leur oracle. Quatre-vingt mille familles y mènent une vie paisible et innocente sous la juridiction de leurs vieillards ; quelques ouvrages d’un travail soigné et les arts mécaniques fournissent à leur subsistance, et elles cultivent la terre avec le zèle qu’inspire un devoir prescrit par la religion. Les volontés despotiques de Shah Abbas, qui par des menaces et des tortures voulait les forcer à lui livrer les livres de Zoroastre, vinrent se briser contre leur ignorance ; et c’est par esprit de modération ou par mépris que les souverains actuels n’inquiètent pas ce reste de mages[206].

Décadence et chute du christianisme en Afrique.

La côte septentrionale de l’Afrique est le seul pays où la lumière de l’Évangile ait tout-à-fait disparu après un établissement complet et de longue durée. Un nuage d’ignorance avait enveloppe dans les mêmes ténèbres les sciences qu’avaient répandues Carthage et Rome : on n’étudiait plus la doctrine de saint Cyprien ou de saint Augustin. La fureur des donatistes, des Vandales et des Maures avait renversé cinq cents églises épiscopales. Le zèle et le nombre des prêtres étaient diminués, et le peuple, privé de règle, de lumières et d’espérance, se soumit docilement au joug du prophète arabe. [A. D. 749.]Un demi-siècle après l’expulsion des Grecs, un lieutenant de l’Afrique informa le calife que le tribut que payaient les infidèles se trouvait aboli par leur conversion[207] ; et bien que ce ne fût qu’un prétexte pour déguiser sa fraude et sa rebellion, la rapidité des progrès de l’islamisme rendait ce prétexte spécieux. [A. D. 837.]Dans le siècle suivant, cinq évêques envoyés d’Alexandrie par le patriarche jacobite, se rendirent à Cairoan avec une mission extraordinaire, pour y rassembler et y ranimer les restes mourans du christianisme[208] ; mais l’intervention d’un prélat étranger, séparé de l’Église latine et ennemi des catholiques, suppose le dépérissement et la dissolution de la hiérarchie d’Afrique. On n’était plus au temps où les successeurs de saint Cyprien, à la tête d’un nombreux synode, pouvaient lutter à forces égales contre l’ambition du pontife de Rome. [A. D. 1053-1076.]Au onzième siècle, le prêtre infortuné qui siégeait sur les ruines de Carthage sollicita les aumônes ou la protection du Vatican, et se plaignit avec amertume de ce qu’après avoir été ignominieusement dépouillé et battu de verges par les Sarrasins, il voyait encore son autorité contestée par ses quatre suffragans, appuis chancelans de son siége épiscopal. Nous avons deux lettres de Grégoire VII[209], où ce pape essaie d’alléger les maux des catholiques et d’adoucir l’orgueil d’un prince maure. Il assure le sultan qu’il adore le même Dieu que lui ; il ajoute qu’il espère le trouver un jour dans le sein d’Abraham ; mais ses plaintes sur ce qu’on ne pouvait pas rencontrer trois évêques pour en consacrer un quatrième, annonçaient la prompte et inévitable ruine de l’ordre épiscopal. [Et de l’Espagne. A. D. 1149, etc.]Les chrétiens d’Afrique et d’Espagne s’étaient soumis depuis long-temps à la circoncision ; depuis long-temps ils s’abstenaient de vin et de porc, et on leur donnait le nom de Mozarabes[210] ou d’Arabes adoptifs, parce que leurs usages civils et religieux se rapprochaient de ceux des musulmans[211]. Vers le milieu du douzième siècle, le culte du Christ et la suite des pasteurs de cette communion cessèrent entièrement sur la côte de Barbarie, et dans les royaumes de Cordoue et de Séville, de Valence et de Grenade[212]. Le trône des Almohades ou des unitaires reposait sur le plus aveugle fanatisme, et les victoires récentes et le zèle intolérant des princes de Sicile et de Castille, d’Aragon et de Portugal, excitèrent ou justifièrent peut-être la rigueur peu commune de leur administration. [A. D. 1535.]Des missionnaires envoyés par le pape ranimèrent de temps en temps la foi des Mozarabes, et le débarquement de Charles-Quint sur les côtes d’Afrique donna à quelques familles de chrétiens de Tunis et d’Alger le courage de lever la tête ; mais la semence de l’Évangile fut bientôt après totalement anéantie, et depuis Tripoli jusqu’à l’Océan Atlantique, on oublia tout-à-fait la langue et la religion de Rome[213].

Le christianisme toléré par les musulmans.

Onze siècles se sont écoulés depuis le règne de Mahomet, et les juifs et les chrétiens de l’empire turc jouissent de la liberté de conscience que leur accordèrent les califes arabes. Aux premiers temps de la conquête, les califes soupçonnèrent la fidélité des catholiques, que leur nom de Melchites faisait accuser d’un attachement secret à l’empereur grec, tandis que les nestoriens et les jacobites, ses ennemis invétérés, montraient pour les musulmans un attachement sincère et cordial[214] ; mais le temps et la soumission dissipèrent ces inquiétudes partielles ; les catholiques et les mahométans se partagèrent les églises de l’Égypte[215], et toutes les sectes de l’Orient se trouvèrent comprises dans une tolérance générale. Le magistrat civil protégeait la dignité, les immunités et l’autorité des patriarches, des évêques et du clergé : les particuliers pouvaient arriver par leur savoir aux emplois de secrétaires et de médecins, s’enrichir dans la commission lucrative de percepteurs des impôts, et parvenir, par leur mérite, à des commandemens de villes et de provinces. On entendit un calife de la maison d’Abbas déclarer que les chrétiens étaient ceux qui méritaient le plus de confiance pour l’administration de la Perse. « Les musulmans, dit-il, abuseront de leur fortune actuelle ; les mages regrettent leur grandeur passée, et les Juifs soupirent après leur prochaine délivrance[216]. » [Leurs maux.]Mais les esclaves du despotisme sont exposés aux vicissitudes de la faveur et de la disgrâce. Les Églises de l’Orient ont été opprimées dans tous les siècles par la cupidité ou le fanatisme de leurs maîtres, et les gênes imposées par l’usage ou par la loi ont pu révolter l’orgueil et le zèle des chrétiens[217]. Environ deux siècles après Mahomet, on les distingua des autres sujets de l’empire ottoman par l’obligation de porter un turban ou une ceinture d’une couleur moins honorable ; on leur interdit l’usage des chevaux et des mules, et on les condamna à monter des ânes dans l’attitude des femmes. On borna l’étendue de leurs édifices publics et particuliers ; dans les rues ou dans les bains, ils doivent se retirer ou s’incliner devant le dernier homme du peuple, et on rejette leur témoignage s’il peut être préjudiciable à un vrai fidèle. On leur a défendu la pompe des processions, le son des cloches et la psalmodie ; leurs sermons et leurs entretiens doivent respecter la foi nationale, et le sacrilége qui veut entrer dans une mosquée ou séduire un musulman ne saurait échapper à la punition. Or, excepté dans les temps de trouble et d’injustice, on n’a jamais forcé les chrétiens à renoncer à l’Évangile ou à embrasser le Koran ; mais on a infligé la peine de mort aux apostats qui ont professé et abandonné la loi de Mahomet : ce fut en déclarant publiquement leur apostasie, et en se permettant de violentes invectives contre la personne et la religion du prophète, que les martyrs de la ville de Cordoue provoquèrent l’arrêt du cadi[218].

L’empire des califes. A. D. 718.

Vers la fin du premier siècle de l’hégyre, les califes étaient les monarques les plus puissans et les plus absolus de la terre. Ils ne voyaient leur puissance limitée de droit ou de fait, ni par le pouvoir des nobles, ni par la liberté des communes, ni par les priviléges de l’Église, ni par la juridiction du sénat, ni enfin par le souvenir d’une constitution libre. L’autorité des compagnons de Mahomet avait expiré avec eux, et les chefs ou les émirs des tribus arabes laissaient derrière eux, en quittant le désert, leur esprit d’égalité et d’indépendance. Les successeurs du prophète réunissaient au caractère royal le caractère sacerdotal ; et si le Koran était la règle de leurs actions, ils se trouvaient les juges et les interprètes de ce livre divin. Ils régnaient par droit de conquête sur les nations de l’Orient, qui ne connaissent pas même le nom de liberté, qui ont l’habitude de louer leurs tyrans des actes de violence et de sévérité dont elles sont les victimes. Sous le dernier des Ommiades l’empire des Arabes se prolongeait de l’orient à l’occident l’espace de deux cents journées, depuis les confins de la Tartarie de l’Inde, jusqu’aux rivages de la mer Atlantique ; et si nous retranchons la manche de la robe, pour me servir de l’expression de leurs écrivains, c’est-à-dire la longue mais étroite province de l’Afrique, une caravane devait employer quatre ou cinq mois à traverser, en quelque sens que ce fût, c’est-à-dire depuis Fargana jusqu’à Aden, et depuis Tarse jusqu’à Surate, cette portion de l’empire qui ne formait pour ainsi dire qu’un seul morceau solide et non interrompu[219]. On y aurait cherché vainement cette union indissoluble et cette obéissance facile qu’offrait l’empire d’Auguste et des Antonins ; mais la religion musulmane donnait à de si vastes contrées une ressemblance générale de mœurs et d’opinions. À Samarcande et à Séville on étudiait avec le même zèle la langue et les lois du Koran ; les Maures et les Indiens se rencontraient en pèlerinage à la Mecque, s’embrassaient en qualité de compatriotes et de frères, et l’idiome des Arabes était l’idiome populaire de toutes les provinces situées à l’occident du Tigre[220].

Notes du Chapitre LI
  1. Voyez la description de la ville et du district d’Al-Yemanah dans Abulféda (Descript. Arabiæ, p. 60, 61). Au treizième siècle, il y avait encore des ruines et quelques palmiers. Maintenant ce même canton est soumis aux visions et aux armes d’un prophète moderne, dont on ne connaît qu’imparfaitement la doctrine. (Niebuhr, Description de l’Arabie, p. 296-302.)
  2. On peut rapporter leur première salutation, mais non pas la traduire. Moseilama dit ou chanta ce qui suit :

    Surge tandem itaque strenue permolenda ; nam stratus tibi thorus est.
    Aut in propatulo tentorio si velis, ant in abditiore cubiculo si malis ;
    Aut supinam te humi exporrectam fustigabo, si velis, aut si malis manibus pedibusque nixam.
    Aut si velus ejus
    (Priapi) gemino triente, aut si malis, totus veniam.
    Imo, totus venito, O Apostole Dei, clamabat fæmina. Id ipsum dicebat.
    Moseilama mihi quoque suggessit Deus.

    Cette prophétesse, qu’on appelait Segjah, retourna à l’idolâtrie après la chute de son amant ; mais sous le règne de Moawiyah elle embrassa la religion musulmane, et mourut à Bassora (Abulféda, Annal., vers. Reiske, p. 63).

  3. Voyez le texte qui démontre l’existence d’un Dieu par l’œuvre de la génération, dans Abulpharage (Specimen Hist. Arabum, p. 13, et Dynast., p. 103) et dans Abulféda (Annal., p. 63).
  4. Voyez son règne dans Eutychius (t. II, p. 251), Elmacin (p. 18), Abulpharage (p. 108), Abulféda (p. 60), d’Herbelot (p. 58).
  5. Voyez sur son règne Eutychius (p. 264), Elmacin (p. 24), Abulpharage (p. 110), Abulféda (p. 66), d’Herbelot (p. 686).
  6. Voyez sur son règne Eutychius (p. 323), Elmacin (p. 36), Abulpharage (p. 115), Abulféda (p. 75), d’Herbelot (p. 695).
  7. Voyez sur son règne Eutychius (p. 343), Elmacin (p. 51), Abulpharage (p. 117), Abulféda (p. 83), d’Herbelot (p. 89).
  8. Voyez sur son règne Eutychius (p. 344), Elmacin (p. 54), Abulpharage (p. 123), Abulféda (p. 101), d’Herbelot (p. 586).
  9. Voyez leurs règnes dans Eutychius (t. II, p. 360-395), Elmacin (p. 59-108), Abulpharage (Dynast. IX, p. 124-139), Abulféda (p. 111-141), d’Herbelot (Bibl. orient., p. 691), et les articles particuliers de cet ouvrage qui sont relatifs aux Ommiades.
  10. Les historiens de Byzance offrent à peine quelques monumens originaux sur les septième et huitième siècles, si l’on en excepte la Chronique de Théophane (Theophanis confessoris chronog. gr. et lat., cum notis Jacobi Goar., Paris, 1655, in-fol.) et l’Abrégé de Nicéphore (Nicephori patriarchæ C. P. Breviarium historicum, græc. et lat., Paris, 1648, in-folio) : ces deux écrivains vécurent au commencement du neuvième siècle (voyez Hancke, De scriptor. byzant., p. 200-246). Photius, leur contemporain, ne présente guère plus de faits. Après avoir loué le style de Nicéphore, il ajoute : Και ολως πολλο‌υς εσ‌τι τον προ αυτο‌υ αποκρυπτομενος τῃδε της ισ‌τοριας τη συνγραφη, et il se plaint seulement de son extrême brièveté (Phot., Bibl. Cod. 66, p. 100). On peut recueillir quelques additions dans les histoires de Cedrenus et de Zonare, qui sont du douzième siècle.
  11. Tabari ou Al Tabari, natif du Taborestan, fameux iman de Bagdad, et le Tite-Live des Arabes, acheva son histoire générale l’an 302 de l’hégyre (A. D. 914). D’après les sollicitations de ses amis, il réduisit son ouvrage, qui avait trente mille feuilles, à une dimension plus raisonnable ; mais on ne connaît l’original arabe que par les versions qu’on en a faites en langue persane et en langue turque. On dit que l’histoire des Sarrasins par Ebu-Amid ou Elmacin, est un abrégé de la grande histoire de Tabari. (Ockley, Hist. of the Saracens, vol. II ; Préface, p. 39, et Liste des auteurs par d’Herbelot, p. 866, 870, 1014.)
  12. Outre la liste des auteurs arabes donnée par Prideaux (Vie de Mahomet, p. 179-189), Ockley (à la fin de son second volume) et Petis de la Croix (Hist. de Gengis-Kan, p. 525-550), on trouve dans la Bibliothéque orientale, article Tarikh, un Catalogue de deux ou trois cents histoires ou chroniques de l’Orient, dont trois ou quatre seulement sont antérieures à Tabari. Reiske (dans ses Prodidagmata ad Hagji chalifæ librum memorialem ad calcem Abulfedæ Tabulæ Syriæ, Leipzig, 1766) fait un tableau animé de la littérature orientale ; mais son projet et la version française qu’annonçait Petis de La Croix (Hist. de Timur-Bec, tom. I, Préface, p. 45) n’ont pas eu lieu.
  13. J’indiquerai selon les occasions les historiens et les géographes particuliers ; mais les ouvrages suivans m’ont guidé dans la narration générale : 1oAnnales Eutychii, patriarchæ Alexandrini, ab Edwardo Pocockio, Oxford, 1656, 2 vol. in-4o. C’est une édition pompeuse d’un auteur assez mauvais. Pococke le traduisit pour satisfaire les préjugés presbytériens de Selden, son ami. 2oHistoria Saracenica Georgii Elmacin, operâ et studio Thomæ Erpenii, in-4o, Lugd. Batavorum, 1625. On dit qu’Erpenius traduisit à la hâte un manuscrit corrompu, et sa version est remplie de contre-sens et de fautes de style. 3oHistoria compendiosa dynastiarum a Gregorio Abulpharagio, interprete Edwardo Pocockio, in-4o, Oxford, 1663. Elle est plus utile pour l’histoire littéraire que pour l’histoire civile de l’Orient. 4oAbulfedæ Annales Moslemici ad ann. hegyræ 406, a Jo. Jac. Reiske, in-4o, Leipzig, 1754. C’est la meilleure de nos chroniques pour l’original et la version ; mais elle est fort au-dessous du nom d’Abulféda. Nous savons qu’il écrivit à Hamah dans le quatorzième siècle. Les trois premiers auteurs étaient chrétiens, et ils vécurent aux dixième, douzième et treizième siècles. Les deux premiers naquirent en Égypte ; l’un était patriarche des melchites et l’autre écrivain jacobite.
  14. M. de Guignes (Hist. des Huns, t. I, Préf., p. 19, 20) a caractérisé avec exactitude et connaissance de cause les deux espèces d’historiens arabes, le froid analyste et l’orateur pompeux et boursoufflé.
  15. Bibliothéque orientale, par M. d’Herbelot, in-folio, Paris, 1697. Voyez sur le caractère de cet estimable auteur, Thevenot son ami (Voyages du Levant, part. I, c. 1). Son ouvrage est un composé de mélanges qui doivent satisfaire tous les goûts ; mais je n’ai jamais pu souffrir l’ordre alphabétique qu’il a suivi ; et je le trouve plus satisfaisant dans l’Histoire de la Perse que dans celle des Arabes. Le supplément qu’on a donné depuis peu, d’après les papiers de MM. Visdelou et Galland (in-folio, La Haie, 1775), est bien inférieur. C’est un recueil de contes, de proverbes et de détails sur les antiquités chinoises.
  16. Pococke explique la chronologie de la dynastie des Al-mondars (Specimen Hist. Arabum, p. 66-74), et d’Anville donne les détails relatifs à la situation géographique de leurs états (l’Euphrate et le Tigre, p. 125). Le savant Anglais savait plus d’arabe que le mufti d’Alep (Ockley, vol. II, p. 34). Dans quelque siècle, dans quelque pays du monde que se transporte le géographe français, il est partout également dans son domaine.
  17. Fecit et Chaled plurima in hoc anno prælia, in quibus vicerunt Muslimi et infidelium immensâ multitudine occisâ spolia infinita et innumera sunt nacti (Hist. Saracen., p. 20). L’annaliste chrétien se permet souvent l’expression d’infidèles, nationale chez les musulmans, et qui épargne de longues énumérations ; et si je l’imite souvent, j’espère qu’on n’en sera pas scandalisé.
  18. Un cycle de cent vingt ans, à la fin duquel un mois intercalaire de trente jours tenait lieu de notre année bissextile, et rétablissait l’intégrité de l’année solaire. Dans une révolution de quatorze cent quarante ans, cette intercalation s’appliquait successivement du premier au douzième mois ; mais Hyde et Fréret discutent la grande question, si douze cycles, ou seulement huit, s’accomplirent avant l’ère de Yezdegerd, que tout le monde place au 16 de juin A. D. 632. Avec quelle ardeur les Européens examinent les points d’antiquité les plus éloignés et les plus obscurs ! (Hyde, De religione Persarum, c. 14-18, p. 181-211 ; Fréret, Mém. de l’Académie des inscriptions, t. XVI, p. 233-267.)
  19. L’ère de Yezdegerd du 16 juin 632, tombe au cinquième jour après la mort de Mahomet, qui arriva le 7 juin, A. D. 632 ; et son avénement au trône ne peut être renvoyé au-delà de la fin de la première année. Ses prédécesseurs ne pouvaient donc avoir eu à résister aux armes du calife Omar ; et ces dates incontestables renversent la chronologie irréfléchie d’Abulpharage. Voyez Ockley, Hist. of the Saracens, vol. I, p. 130.
  20. Cadésie, dit le géographe de Nubie (p. 121), est située in margine solitudinis, à soixante-une lieues de Bagdad, et à deux stations de Cufa. Otter (voy. t. I, p. 163) compte quinze lieues, et il observe qu’on y trouve des dattes et de l’eau.
  21. Atrox, contumax, plus semel renovatum ; telles sont les expressions bien choisies du traducteur d’Abulféda (Reiske, p. 69).
  22. D’Herbelot, Bibl. orient., p. 297-348.
  23. Le lecteur trouvera des détails satisfaisans sur Bassora, dans la Geogr. nubienne, p. 121 ; d’Herbelot (Bibl, orient., p. 192) ; d’Anville (l’Euphrate et le Tigre, p. 130, 133, 145) ; Raynal (Hist. philosoph. des Deux-Indes, t. II, p. 92-100) ; Voyages de Pietro della Valle (t. IV, p. 370-391) ; Tavernier (t. I, p. 240-247) ; Thévenot (t. II, p. 545-584) ; Otter (t. II, p. 45-78) ; Niebuhr (t. II, p. 172-199).
  24. Mente vix potest numerove comprehendi quanta spolia… nostris cesserint (Abulféda, p. 69). Au reste, je présume que le calcul extravagant d’Elmacin est une faute de la traduction, et non pas du texte. J’ai reconnu que ceux qui ont traduit d’anciens ouvrages, des ouvrages grecs, par exemple, sont de mauvais calculateurs.
  25. L’arbre du camphre croît à la Chine et au Japon, mais on donne plusieurs quintaux de ce camphre, d’une qualité inférieure, pour une livre de la gomme de Bornéo et de Sumatra, beaucoup plus précieuse (Raynal, Hist. philosoph., t. I, p. 303-365 ; Dictionnaire d’Hist. naturelle, par Bomare ; Miller, Gardener’s Dictionary). C’est peut-être de Bornéo et de Sumatra que les Arabes importèrent dans la suite leur camphre (Géograph. nubien., p. 34, 35, d’Herbelot, p. 232).
  26. Voyez Gagnier, Vie de Mahomet, t. I, p. 376, 377. Je puis croire le fait sans ajouter foi à la prophétie.
  27. La tour de Belus à Babylone et le vestibule de Chosroès à Ctésiphon sont les ruines les plus considérables de l’Assyrie. Elles ont été visitées par Pietro della Valle, voyageur curieux et vain (t. I, p. 713-718, 731-735).
  28. Consultez l’art. Coufah de la Bibliothéque de d’Herbelot (p. 277-278), et le second vol. de l’Histoire d’Ockley, surtout les pages 40 et 153.
  29. Voyez l’article Nehavend de d’Herbelot (p. 667-668}, et les Voyages en Turquie et en Perse, par Otter, tom. I, page 191.
  30. C’est avec cette ignorance et ce ton admiratif que l’orateur athénien décrivait les conquêtes que fit vers le nord Alexandre, qui cependant ne dépassa jamais les rives de la mer Caspienne. Αλεξανδρος εξω της αρκτο‌υ και της οικο‌υμενης, ολιγο‌υ δειν, πασης μεθησ‌τηκει (Eschine, contra Ctesiphont., t. III, p. 534, edit. græc. orat., Reiske). Cette cause mémorable fut plaidée à Athènes (Olymp. CXII, 3), l’an 330 avant Jésus-Christ, durant l’automne (Taylor, Préf., p. 370, etc.), environ un an après la bataille d’Arbèle ; Alexandre alors poursuivait Darius, et marchait vers l’Hyrcanie et la Bactriane.
  31. Nous devons ce fait curieux aux Dynasties d’Abulpharage, p. 116. Il est inutile de prouver l’identité d’Estachar et de Persépolis (d’Herbelot, p. 327), et il le serait encore davantage de copier les plans et les descriptions de Chardin ou de Corneille-le-Bruyn.
  32. Après le récit de la conquête de la Perse, Théophane ajoute : αυτῳ δε τῳ χρονῳ εκελευσεν Ουμαρος αναγραφηναι πασαν την υπ’ αυτον οικο‌υμενην, εγενετο δε η αναγραφη και ανθρωπων και κτηνων και φυτων. (Chronograph., p. 283.)
  33. Dans la disette où nous sommes de monumens sur cette partie de l’histoire, je regrette que d’Herbelot n’ait pas trouvé et employé une traduction en langue persane de l’ouvrage de Tabari, enrichie, à ce qu’il dit, de plusieurs extraits des annales écrites par les guèbres ou les mages (Bibl. orient., p. 1014).
  34. Ce que nous savons de plus authentique des deux rivières de Sihon (Jaxartes) et du Gihon (Oxus), se trouve dans l’ouvrage du sherif Al-Edrisi (Geogr. nubien., p. 138), dans Abulféda (Descript. Khorasan, in Hudson, t. III, p. 23), dans l’Écrit d’Abulghazi-khan, qui régnait sur les rives de ces deux fleuves (Hist. généalog. des Tatars, p. 32, 57, 766), et dans le géographe turc, manuscrit qui se trouve à la Bibliothéque du roi de France (Examen critique des historiens d’Alexandre, p. 194-360).
  35. Abulféda (p. 76, 77) décrit le territoire de la Fargana.
  36. Eo redegit angustiarum eumdem regem exulem, ut Turcici regis et Sogdiani, et Sinensis auxilia missis litteris imploraret (Abulféda, Annal., p. 74). Fréret (Mémoires de l’Acad. des inscript., t. XVI, p. 245-255) et de Guignes (Hist. des Huns, t. I, p. 54-59), ont jeté beaucoup de jour sur les rapports de l’histoire de la Perse avec celle de la Chine. M. de Guignes donne des détails géographiques sur les frontières des deux pays (t. I, p. 1-43).
  37. Hist. Sinica, p. 41-46, dans la troisième partie des Relations curieuses de Thévenot.
  38. J’ai tâché d’accorder les récits d’Elmacin (Hist. Saracen., p. 37), d’Abulpharage (Dynast., p. 116), d’Abulféda (Annal., p. 74-79) et de d’Herbelot (p. 485). La fin d’Yezdegerd fut non-seulement malheureuse, mais obscure.
  39. Yezdegerd laissa deux filles : l’une épousa Hassan, fils d’Ali, et l’autre Mohammed, fils d’Abubeker ; Hassan fut suivi d’une nombreuse postérité. La fille de Firuz épousa le calife Walid, et Yezid, leur fils, faisait remonter son origine, ou véritable ou fabuleuse, aux Chosroès de la Perse, aux Césars de Rome et aux Chagans des Turcs ou des Avares (d’Herbelot, Bibl. orient., p. 96-487).
  40. Cette bottine, évaluée deux mille pièces d’or, fut prise par Obeidollah, fils de Ziyad, qui rendit ensuite son nom odieux par le meurtre de Hosein (Ockley, History of the Saracens, vol. II, p. 142, 143). Salem, son frère, avait avec lui son épouse ; c’est la première femme arabe qui ait passé l’Oxus (A. D. 680) ; elle emprunta ou plutôt elle vola la couronne et les pierreries de la reine des Sogdiens (p. 231-232).
  41. M. Greaves a traduit une partie de la géographie d’Abulféda ; il l’a insérée dans la collection des geographi minores d’Hudson (t. III), sous le titre de Descriptio Chorasmiæ et Mawaralnahræ, id est, regionum extra fluvium Oxum, p. 80. Petis de La Croix (Hist. de Gengis-kan, etc.) et quelques-uns des auteurs modernes qui ont écrit sur les contrées de l’Orient, emploient avec raison le mot de Transoxiana, qui est plus agréable à l’oreille, et qui signifie la même chose ; mais ils se trompent en l’attribuant aux écrivains de l’antiquité.
  42. Elmacin (Hist. Saracen., p. 84), d’Herbelot (Bibl. orient., Catibah, Samarcande, Walid) et de Guignes (Hist. des Huns, t. I, p. 58, 59), indiquent légèrement les conquêtes de Catibah.
  43. On a inséré dans la Bibliotheca arabico-hispana, une description curieuse de Samarcande (t. I, p. 208, etc.). Le bibliothécaire Casiri raconte (t. II, 9), d’après un témoignage digne de foi, que le papier fut importé pour la première fois de la Chine à Samarcande (A. H. 30), et qu’on l’inventa ou plutôt qu’on l’introduisit à la Mecque (A. H. 88). La Bibliothéque de l’Escurial possède un manuscrit sur papier, qui est du quatrième ou cinquième siècle de l’hégyre.
  44. Al-Wakidi, cadi de Bagdad, qui naquit A. D. 748, qui mourut A. D. 822, a composé une histoire particulière de la conquête de la Syrie ; il a aussi écrit l’histoire de la conquête de l’Égypte, du Diarbekir, etc. Al-Wakidi, supérieur aux chroniques stériles et récentes des Arabes, a le double mérite d’être ancien et fort détaillé ; les contes et les traditions qu’il rapporte offrent un tableau sans art de la nature humaine et de son siècle : au reste, sa narration est trop souvent défectueuse, remplie de détails minutieux et invraisemblables. Tant qu’on ne découvrira point de meilleurs ouvrages, la version qu’en a donnée le savant et courageux Ockley sera précieuse, et cet auteur ne mérite pas les critiques virulentes que s’est permises Reiske (Prodidagmata ad Hadji califæ Tabulas, p. 236). C’est avec douleur que je songe qu’Ockley a terminé son travail dans une prison. (Voyez la Préface du premier volume, A. D. 1708, et la Préface du second, 1718, avec la liste des auteurs, qui est à la fin).
  45. Al-Wakidi et Ockley (t. I, p. 22-27, etc.) rapportent les instructions, etc., sur la guerre de Syrie. Il est nécessaire de resserrer les détails qu’ils donnent, et inutile de les citer davantage ; je me crois obligé d’indiquer les autres écrivains.
  46. Malgré ce précepte, M. de Pauw (Recherches sur les égyptiens, t. II, p. 192, édit. de Lausanne) représente les Bedoins comme les implacables ennemis des moines chrétiens. Pour ma part, je crois qu’on peut expliquer cette contradiction par l’avidité des Arabes, d’une part, et de l’autre, par les préjugés du philosophe allemand.
  47. Au septième siècle encore, les moines en général étaient laïques, leur chevelure était longue et éparse, et ils la coupaient lorsqu’on les admettait à la prêtrise. La tonsure circulaire était emblématique et mystérieuse ; elle représentait la couronne d’épines qu’on mit sur la tête de Jésus-Christ ; mais elle désignait aussi le diadème royal, et chaque prêtre était un roi, etc. (Thomassin, Discipline de l’Église, t. I, p. 721-758, et particulièrement p. 737, 738).
  48. Hinc Arabia est conserta, ex alio latere Nabathœis contigua ; opimâ varietate commerciorum, castrisque oppleta validis et castellis, quæ ad repellendos gentium vicinarum excursus, sollicitudo pervigil veterum per opportunos saltus erexit et cautos. (Amm.-Marcell., XIV, 8 ; Reland, Palest., t. I, p. 85, 86.)
  49. Ammien loue les fortifications de Gerase de Philadelphie et de Bosra, firmitate cautissimas. Elles méritaient les mêmes éloges au temps d’Abulféda (Tab. Syr., p. 99), qui décrit cette ville, métropole du Hawran (Auranitis), et située à quatre journées de Damas. Reland explique son étymologie hébraïque (Palest., t. II, p. 666).
  50. Mahomet, qui prêchait sa religion dans un désert et à des guerriers, fut obligé de permettre qu’on fit les ablutions avec du sable lorsqu’on manquait d’eau (Koran, c. 3, p. 66 ; c. 5, p. 83) ; mais les casuistes arabes et persans ont embarrassé cette permission pure et simple d’une foule de délicatesses et de distinctions. (Reland, De relig. Moham., l. I, p. 82, 83 ; Chardin, Voyages en Perse, t. IV.)
  51. Les cloches sonnèrent ! (Ockley, t. I, p. 38.) Mais je doute beaucoup que le texte de Al-Wakidi ou l’usage du temps puisse justifier cette expression. Ad Græcos, dit le savant Ducange (Gloss. med. et infim. græcit., t. I, p. 774), campanarum usus, serius transit et etiamnum rarissimus est. L’époque la plus ancienne où les écrivains de Byzance fassent mention des cloches, se rapporte à l’année 1040 ; mais les Vénitiens prétendent avoir introduit des cloches à Constantinople dès le neuvième siècle.
  52. On trouve une description très-détaillée de Damas dans le shérif Al-Edrisi (Geogr. nubien., p. 116, 117) et Sionita son traducteur (Appendix, c. 4), Abulféda (Tabul. Siriæ, p. 100), Schultens (Index Geogr. ad vit. Saladin), d’Herbelot (Bibl. orient., p. 291), Thévenot (Voyages du Levant, part. I, p. 688-698), Maundrell (Voyage d’Alep à Jérusalem, p. 122-130) et Pococke (Descript. de l’Orient, vol. II, p. 117-127).
  53. Nobilissima civitas, dit Justin. Selon les traditions orientales, elle était plus ancienne qu’Abraham ou Sémiramis. (Josèphe, Antiq. jud., l. I, c. 6, 7, p. 24-29, édit. Havercamp. Justin, XXXVI, 2.)
  54. Εδει γαρ οιμαι την Διος πολιν αληθῳς και της Εωας απασης οφθαλμον, την ιεραν και μεγισ‌την Δαμασκον λεγω, τοις τε αλλοις συμπασιν, οιον ιερων καλλει, και νεων μηγεθει. Και ωρων ευκαιρια και πηγων αγλαια και ϖοταμων πληθει, και γης ευφορια νικωσαν, etc. (Julien, epist. 24, p. 392). Ces brillantes épithètes viennent à l’occasion des figues de Damas, dont l’auteur envoie une centaine à son ami Sérapion ; et Pétau, Spanheim, etc. (p. 390-396), insèrent ce thème d’un rhéteur parmi les épîtres authentiques de Julien. Comment n’ont-ils pas vu que l’auteur de la lettre (qui répète trois fois que cette figue particulière ne croît que παρα ημιν) était un habitant de Damas, ville où Julien n’entra jamais et dont jamais il n’approcha ?
  55. Voltaire, qui jette un coup d’œil vif et perçant sur la surface de l’histoire, a été frappé de la ressemblance qui se trouve entre les premiers musulmans et les héros de l’Iliade, entre le siége de Troie et celui de Damas. (Hist. générale, t. I, p. 348.)
  56. C’est un passage du Koran, c. IX, 32 ; LVI, 8. Les musulmans ainsi que les fanatiques anglais du dernier siècle, citaient à tout propos leurs écritures, soit dans leurs entretiens familiers ou dans les occasions importantes : au reste, ces citations avaient quelque chose de moins bizarre que les tours hébraïques transplantés dans le climat et le dialecte de la Grande-Bretagne.
  57. Le nom de Werdan n’était pas connu de Théophane, et quoiqu’il ait pu appartenir à un chef arménien, sa terminaison et sa prononciation n’annoncent pas une origine grecque. Si les historiens de Byzance ont défiguré les noms orientaux, les Arabes le leur ont bien rendu, comme le prouve ce cas particulier. En transposant les caractères grecs de droite à gauche, on trouve dans le nom assez commun d’Andrew, à peu près l’anagramme de Werdan, et c’est peut-être de cette manière qu’est arrivée la méprise.
  58. La vanité fit croire aux Arabes que Thomas était gendre d’Héraclius. On connaît les enfans qu’eut Héraclius de ses deux femmes ; et son auguste fille ne s’était sûrement pas mariée pour vivre en exil à Damas (Voyez Ducange, Fam. byzant., p. 118, 119). Si Héraclius avait été moins religieux, je présumerais qu’il s’agissait d’une fille naturelle.
  59. Al-Wakidi (Ockley, p. 101) dit que Thomas lançait « des traits empoisonnés » ; mais cette invention sauvage est si contraire à la pratique des Grecs et des Romains, qu’en cette occasion je me défie beaucoup de la crédulité malveillante des Sarrasins,
  60. Abulféda ne compte que soixante-dix jours pour le siége de Damas (Annal. Moslem., p. 67, vers. Reiske) ; mais Elmacin, qui rapporte cette opinion, prolonge jusqu’à six mois la durée du siége, et dit que les Sarrasins employèrent des balistes (Hist. Saracen., p. 25-32). Ce dernier calcul ne suffit pas même pour remplir l’intervalle qui se trouve entre la bataille d’Aiznadin (juillet, A. D. 633) et l’avénement d’Omar (24 juillet, A. D. 634), sous le règne duquel les auteurs s’accordent tous à placer la prise de Damas (Al-Wakidi, ap. Ockley, vol. I, p. 115 ; Abulpharage, Dynast., p. 112, vers. Pococke). Les opérations du siége furent peut-être interrompues, ainsi qu’à la guerre de Troie, par des excursions et des détachemens jusqu’aux derniers soixante-dix jours du siége.
  61. Il paraît, d’après Abulféda (p. 125) et Elmacin (p. 32), que les souverains mahométans distinguèrent long-temps ces deux parties de la ville de Damas, quoiqu’ils ne respectassent pas toujours la capitulation. (Voyez aussi Eutychius Annal., t. II, p. 379, 380-383.)
  62. La destinée de ces deux amans a fourni à M. Hughes, qui les nomme Phocyas et Eudoxie, le sujet d’une de nos tragédies anglaises les plus généralement goûtées ; elle a le rare mérite de présenter les sentimens de la nature et les faits de l’histoire, les mœurs du siècle où se passe l’action, et les mouvemens du cœur humain. La sotte délicatesse des acteurs a obligé l’auteur à adoucir le crime du héros et le désespoir de l’héroïne. Phocyas n’est plus un vil renégat, et il sert les Arabes à titre d’allié : au lieu de déterminer Caled à poursuivre les chrétiens, il vole au secours de ses compatriotes ; après avoir tué Caled et Derar, il est blessé mortellement, et expire sous les yeux d’Eudoxie, qui déclare sa résolution de prendre le voile à Constantinople ; dénoûment tout-à-fait froid.
  63. Les villes de Gabala et de Laodicée, que dépassèrent les Arabes, existent toujours, mais à moitié ruinées ( Maundrell, p. 11, 12 ; Pococke, vol. II, p. 13). Si Caled n’eût pas atteint les chrétiens, ils auraient traversé l’Oronte sur un pont qu’ils n’auraient pas manqué de rencontrer à quelque point des seize milles qui forment la distance d’Antioche et de la mer, et ils auraient pu rejoindre à Alexandrie le grand chemin de Constantinople. Les Itinéraires indiquent la direction des routes et les distances (p. 146-148, 581-582, édit. de Wesseling).
  64. Dair Abil Kodos. Après avoir retranché le dernier mot, qui est une épithète, et qui signifie saint, je découvre l’Abyla de Lysanias, située entre Damas et Héliopolis. Le nom (Abil signifie une vigne) concourt avec la situation à justifier ma conjecture (Reland, Palest., t. I, p. 317 ; t. II, p. 525-527).
  65. Je suis plus hardi que Ockley (vol. I, p. 164), qui n’ose pas insérer cette comparaison dans le texte, quoiqu’il observe, dans une note, que l’utile chameau sert souvent de comparaison aux Arabes. Il y a lieu de croire que le renne n’est pas moins fameux dans les poésies des Lapons.
  66. « Nous entendîmes le tecbir, nom que donnent les Arabes à leur cri de guerre, lorsqu’au moment de combattre leur voix éclatante en appelle au ciel, et semble réclamer la victoire. » Ce mot si formidable dans leurs guerres sacrées, est un verbe actif (dit Ockley dans son index) de la seconde conjugaison, de kabbara, qui a la même signification que Alla acbar, Dieu est tout-puissant.
  67. La description de la Syrie est la partie la plus intéressante et la plus authentique de la géographie d’Abulféda, syrien de naissance. Elle a été publiée en arabe et en latin (Leipzig, 1766, in-4o) avec de savantes notes de Kochler et de Reiske, et quelques extraits de géographie et d’histoire naturelle tirés d’Ibn al-Wardii. De tous les Voyages modernes, celui de Pococke, intitulé Description de l’Orient (de la Syrie et de la Mésopotamie, vol. II, p. 88-209), est celui qui offre le plus de connaissances et de mérite ; mais l’auteur confond trop souvent les choses dont il a été le témoin avec celles qu’il a lues.
  68. L’éloge que Denys fait de la Syrie est juste et plein de feu, Και την μεν (la Syrie) πολλοι το‌υ και ολβιοι ανδρες εχο‌υσιν (in Perieges., v. 902, in t. IV, Geograph. minor., Hudson). Dans un autre endroit, il dit, en parlant de ce pays, πολυπτολιν αιαν (v. 898) ; il continue ainsi :

    Πασα δε τοι λιπαρη τε και ευβοτος επλετο χωρη
    Μηλα τε φερβεμεναι και δενδρεσι καρπον αεξειν.

    v. 921, 922.

    Ce poète géographe vivait au siècle d’Auguste, et sa Description du monde a été éclairée par le commentaire grec d’Eustathius, qui a montré les mêmes égards pour Homère et pour Denys. (Fabricius, Biblioth. græc., l. IV, c. 2, t. III, p. 21, etc.)

  69. Le savant et judicieux Reland (Palest., t. I, p. 311-326) a très-bien décrit la topographie du Liban et de l’anti-Liban.
  70. — Emesæ fastigia celsa renident
    Nam diffusa solo latus explicat ; ac subit auras
    Turribus in cœlum nitentibus : incola claris
    Cor studiis acuit…
    Denique flammicomo devoti pectora soli
    Vitam agitant. Libanus frondosa cacumina turget,
    Et tamen his certant celsi fastigia templi.

    Ces vers de la version latine de Rufus Avienus ne se trouvent pas dans l’original grec de Denys ; et puisque Eustathe n’en a pas fait mention, je dois avec Fabricius (Bibl. latin., t. III, p. 153, édit. d’Ernesti), et contre l’opinion de Saumaise (ad Vopiscum, p. 366, 367, in Hist. August.), les attribuer à l’imagination d’Avienus, plutôt qu’au manuscrit sur lequel il a traduit.

  71. Je suis beaucoup plus content du petit Voyage in-8o. de Maundrell (Journey, p. 134-139), que du pompeux in-folio du docteur Pococke (Description de l’Orient, vol. II, p. 106-113) ; mais la magnifique description et les belles gravures de MM. Dawkins et Wood, qui ont transporté en Angleterre les ruines de Palmyre et de Baalbek, effacent toutes les descriptions antérieures.
  72. Les Orientaux expliquent ce fait miraculeux au moyen d’un expédient qui ne leur manque jamais ; ils disent que les édifices de Baalbek furent construits par des fées ou des génies (Hist. de Timur Bec, t. III, l. V, c. 23, p. 311, 312 ; Voyage d’Otter, t. I, p. 83). Abulféda et Ibn-Chaukel suivent une opinion qui n’est pas moins absurde, et qui suppose la même ignorance : ils les attribuent aux sabéens ou aadites. Non sunt in omni Syriâ ædijicia magnificentiora his (Tabula Syriæ, p. 103).
  73. J’ai lu dans Tacite ou dans Grotius ce passage : Subjectos habent tanquam suos, viles tanquam alienos. Quelques officiers grecs enlevèrent la femme et assassinèrent l’enfant du Syrien qui les logeait ; et lorsqu’il osa porter ses plaintes, Manuel ne fit que sourire.
  74. Voyez Reland, Palestine, t. I, p. 272-283 ; t. II, p. 773-775. Ce savant professeur était bien en état de décrire la Terre-Sainte, puisqu’il connaissait également la littérature grecque et latine, la littérature hébraïque et arabe. Cellarius (Géogr. antiq., t. II, p. 392) et d’Anville (Géogr. anc., t. II, p. 185) parlent de l’Yermuk ou de l’Hieromax. Les Arabes, et Abulféda lui-même, ne paraissent pas reconnaître le théâtre de leur victoire.
  75. Ces femmes étaient de la tribu des Hamyarites, qui descendaient des anciens Amalécites. Leurs épouses étaient habituées à monter à cheval et à combattre, ainsi que les Amazones de l’antiquité. (Ockley, vol. I, p. 67.)
  76. Nous en avons tué cent cinquante mille, et nous avons fait quarante mille prisonniers, disait Abu-Obeidah au calife (Ockley, vol. I, p. 241). Comme je ne puis ni douter de sa véracité ni croire à ses calculs, je présume que les historiens arabes ont composé des harangues et des lettres, qu’ils ont prêtées à leurs héros, ainsi que tant d’autres historiens.
  77. Théophane, après avoir déploré les péchés des chrétiens, ajoute (Chronogr., p. 276) : ανεσ‌τη ὀ ερημικος Αμαληκ τυπτων ημας τον λαον το‌υ Χρισ‌το‌υ, και γινεται πρωτη φορα πτωσις το‌υ Ρωμαικο‌υ στρατο‌υ η κατα το Γαβιθαν λεγω. (Veut-il parler d’Aiznadin ?) Και Ιερμο‌υκαν, και την αθεσμον αιματοχυσιαν. Sa relation est courte et obscure, mais il attribue le succès des musulmans à la supériorité du nombre, au vent contraire et à des nuages de poussière : μη δυνηθεντες (les Romains) αντηπροσωπησαι εχθροις δια τον κονιορτον ηττωνται, και εαυτο‌υς βαλλοντες εις τας στενοδο‌υς Ιερμαχθο‌υ ποταμο‌υ εκει απωλοντο αρδην.
  78. Voyez Abulféda (Annal. Moslem., p. 70, 71), qui rapporte les lamentations poétiques de Jabalah lui-même, et les éloges d’un poète arabe, à qui le chef de la tribu de Gassan envoya par un ambassadeur d’Omar cinq cents pièces d’or.
  79. L’usage des profanes l’avait emporté relativement au nom de la ville : elle était connue des dévots chrétiens sous celui de Jérusalem (Euseb., De martyr. Palest., c. 11) ; mais la dénomination légale et populaire d’Ælia (la colonie d’Ælius Adrianus) avait passé des Romains parmi les Arabes (Reland, Palest., t. I, p. 207 ; t. II, p. 835 ; d’Herbelot, Bibl. orient., article Cods, p. 269 ; Ilia, p. 420). L’épithète Al-Cods, la sainte, est le nom que les Arabes donnent proprement à Jérusalem.
  80. Ockley (vol. I, p. 256) et Murtadi (Merveilles de l’Égypte, p. 200-202) nous font connaître ce singulier voyage et l’équipage d’Omar.
  81. Les Arabes citent avec orgueil une ancienne prophétie conservée à Jérusalem, qui désignait Omar par son nom, sa religion et la description de sa personne, comme étant destiné à conquérir cette ville. On dit que les Juifs employèrent le même artifice pour tenter l’orgueil de Cyrus et d’Alexandre qui venaient les subjuguer (Josèphe, Antiq. jud., l. XI, c. 1-8, p. 547, 579-582).
  82. Το βδελυγμα της ερημοσεως το ρηθεν δια Δανιηλ το‌υ προφητο‌υ, εσ‌τως τοπω αγιω. (Théoph., Chronogr., p. 281.) Sophronius, l’un des théologiens qui montrèrent le plus de profondeur dans la controverse des monothélites, fit reservir dans la circonstance présente cette prédiction qui avait déjà été appliquée à Antiochus et aux Romains.
  83. D’après les calculs exacts de d’Anville (Dissert. sur l’ancienne Jérusalem, p. 42-54), la mosquée d’Omar, qui fut agrandie et embellie par les califes ses successeurs, occupait sur le terrain de l’ancien temple de Salomon (παλαιον το‌υ μεγαλο‌υ ναο‌υ δαπεδον, dit Phocas), un espace en longueur de deux cent quinze, et en largeur de cent soixante-douze toises. Le géographe de Nubie assure que cette magnifique construction n’était surpassée en étendue et en beauté que par la grande mosquée de Cordoue (p. 113), que M. Swinburne a représentée avec tant d’élégance dans son état actuel (Travels into Spain, p. 296-302).
  84. Ockley a trouvé dans les manuscrits de Pococke, conservés à Oxford (vol. I, p. 257), une des nombreuses tarikhs arabes ou chroniques de Jérusalem (d’Herbelot, p. 867), dont il s’est servi pour suppléer à la narration défectueuse de Al-Wakidi.
  85. L’histoire persane de Timur (t. III, l. V, c. 21, p. 300) décrit le château d’Alep comme une forteresse établie sur un rocher de cent coudées de hauteur, preuve, dit le traducteur français, que l’auteur ne l’avait pas vu. Il est maintenant au milieu de la ville ; il n’a point de forces, il n’offre qu’une seule porte, sa circonférence est de cinq ou six cents pas, et des eaux croupissantes remplissent à moitié le fossé (Voyages de Tavernier, t. I, p. 149 ; Pococke, vol. II, part. I, p. 150). Les forteresses de l’Orient sont bien peu de chose aux yeux d’un Européen.
  86. La date de la conquête d’Antioche par les Arabes est de quelque importance : en comparant les époques de la Chronologie de Théophane avec les années de l’hégyre qu’offre l’Histoire d’Elmacin, on verra que cette ville fut prise entre le 23 janvier et le 1er septembre de l’année de la naissance de Jésus-Christ 638 (Pagi, Critica, in Baron., Annal., t. II, p. 812, 813). Al-Wakidi (Ockley, v. I, p. 314) fixe cet événement au mardi 21 août ; date impossible, puisque Pâques ayant été cette année le 5 avril, le 21 août doit avoir été un vendredi. (Voy. les Tables de l’Art de vérifier les dates.)
  87. L’édit favorable de César qui détermina la ville reconnaissante à compter depuis la victoire de Pharsale, fut donné εν Ατιοχεια τη μητροπολει, ιερα και ασυλῳ, και αντονομῳ και αρχο‌υστῃ και προκαθημενῃ της ανατολης. (Jean Malala, in Chron., p. 91, édit. de Venise.) Il faut distinguer dans ses écrits les faits relatifs à son pays, qu’il connaît bien, des faits de l’Histoire générale, sur lesquels il est d’une ignorance grossière.
  88. Voyez Ockley (vol. I, p. 308-312), qui tourne en ridicule la crédulité de son auteur. Lorsque Héraclius fit ces adieux à la Syrie : Vale, Syria, et ultimum vale, il prophétisa que les Romains ne rentreraient dans cette province qu’après la naissance d’un funeste rejeton, qui serait le fléau de l’empire (Abulféda, p. 68). Je ne connais point du tout le sens mystique de cette prédiction, qui peut-être n’en avait aucun.
  89. Au milieu de la chronologie obscure et peu exacte de ces temps, j’ai pour guide un monument authentique (qui se trouve dans le livre des Cérémonies de Constantin Porphyrogenète), et qui atteste que le 4 juin, A. D. 638, l’empereur couronna dans le palais de Constantinople Héraclius son fils cadet, en présence de Constantin son fils ainé, et que le 1er janvier, A. D. 639, les trois princes se rendirent à la grande église, et le 4 à l’Hippodrome.
  90. Soixante-cinq ans avant Jésus-Christ, SYRIA Pontusque monumenta sunt Cn. Pompeii virtutis (Vell. Paterculus, II, 38), ou plutôt de son bonheur et de sa puissance : il déclara la Syrie province romaine ; et les derniers des princes Séleucides furent hors d’état d’armer un seul bras pour la défense de leur patrimoine. (Voyez les textes originaux recueillis par Usher, Annal., p. 420.)
  91. Abulféda, Annal. Moslem., p. 73. Mahomet pouvait avoir l’adresse de varier les éloges qu’il donnait à ses disciples. Il disait ordinairement d’Omar, que s’il pouvait y avoir un prophète après lui, ce serait Omar ; et que dans une calamité générale la justice divine l’excepterait (Ockl., vol. I, p. 221).
  92. Al-Wakidi avait écrit aussi une histoire de la conquête du Diarbekir ou de la Mésopotamie (Ockley, à la fin du second volume), que nos interprètes ne semblent pas avoir vue. La Chronique de Denis de Telmar, patriarche jacobite, raconte la prise d’Édesse, A. D. 637, et celle de Dara, A. D. 641 (Assemani, Bibl. orient., t. II, p. 103) ; et les lecteurs attentifs peuvent recueillir quelques détails incertains dans la Chronographie de Théophane (p. 285-287). La plupart des villes de la Mésopotamie se rendirent d’elles-mêmes (Abulpharage, p. 112).
  93. Il rêva qu’il était à Thessalonique ; songe tout-à-fait innocent et insignifiant ; mais son devin ou sa lâcheté lui firent un présage certain de défaite, caché dans ce funeste mot θες αλλῳ νιχην, donnez la victoire à un autre (Théoph., p. 286 ; Zonare, t. II, l. XIV, p. 88).
  94. Tous les passages et tous les faits relatifs à l’île, à la ville et au colosse de Rhodes, ont été recueillis dans le laborieux Traité de Meursius, qui s’est livré aux mêmes recherches sur les îles de Crète et de Chypre. (Voyez dans le troisième volume de ses ouvrages le Traité appelé Rhodus l. I, c. 15, p. 715-719.) L’ignorance de Théophane et de Constantin, écrivains de l’histoire byzantine, porte à treize cent soixante ans l’espace de temps qui s’écoula entre la chute du colosse de Rhodes, et la vente de ses débris par les Sarrasins, et ils assurent ridiculement que ces débris firent la charge de trente mille chameaux.
  95. Centum colossi alium nobilitaturi locum, dit Pline, avec son esprit ordinaire (Hist. natur., XXXIV, 18).
  96. Nous avons été instruits de ce fait par le courage d’une vieille femme, qui le reprocha en face au calife et à son ami. Elle fut encouragée par le silence d’Amrou et les largesses de Moawiyah (Abulféda, Annal. Moslem., p. 111).
  97. Gagnier (Vie de Mahomet, t. II, p. 46, etc.) cite l’histoire ou le roman abyssinien d’Abdel-Balcides. Au reste, ces détails sur l’ambassade et l’ambassadeur sont vraisemblables.
  98. Cette réponse a été conservée par Pococke (Not. ad Carmen Tograi, p. 284), et M. Harris (Philosophical Arrangements, p. 350) la loue avec raison.
  99. Voyez sur la vie et le caractère d’Amrou, Ockley (Hist. of the Saracens, vol. I, p. 28, 63, 94, 328, 342, 344, et à la fin du volume ; vol. II, p. 51, 55, 57, 74, 110, 112, 162), et Otter (Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXI, p. 131-132). Les lecteurs de Tacite rapprocheront sans doute Vespasien et Mucien de Moawiyah et d’Amrou. Au reste, l’analogie est encore plus dans la position que dans le caractère de ces personnages.
  100. Al-Wakidi a composé aussi une histoire particulière de la conquête d’Égypte, que M. Ockley n’a pu se procurer ; et les recherches de ce dernier (vol. I, p. 344-362) ont ajouté très-peu de chose au texte original d’Eutychius (Annal., t. II, p. 296-323, vers. Pococke), patriarche melchite d’Alexandrie, qui vécut trois siècles après la révolution.
  101. Strabon, témoin exact et attentif, observe en parlant d’Héliopolis, νυνι μεν ουν εσ‌τι πανερημος η πολις (Geographia, liv. XVII, p. 1158) ; mais en parlant de Memphis, il dit, πολις δ’εσ‌τι μεγαλη τε και ευανδρος δευτερα μετ’ Αλεξανδρειαν (p. 1161). Il remarque toutefois le mélange des habitans et la ruine des palais. Ammien, en traitant de l’Égypte proprement dite, compte Memphis parmi les quatre villes, maximis urbibus quibus provincia nitet (XXII, 16) ; et le nom de Memphis se montre avec distinction dans l’Itinéraire romain et la liste des évêchés.
  102. On ne trouve que dans Niebuhr et le géographe de Nubie (p. 98) ces détails curieux sur la largeur (deux mille neuf cent quarante-six pieds) et les ponts du Nil.
  103. Le Nil commence à grossir imperceptiblement depuis le mois d’avril, l’élévation devient plus sensible durant la lune, qui est après le solstice d’été (Pline, Hist. nat., v. 10) ; et ordinairement on la proclame au Caire le jour de la Saint-Pierre (le 29 juin). Un registre de trente années indique la plus grande hauteur des eaux entre le 25 juillet et le 18 août (Maillet, Descript. de l’Égypte, lettre XI, p. 67, etc. Pococke, Description de l’Orient, vol. I, p. 200 ; Shaw, Travels, p. 383).
  104. Murtadi, Merveilles de l’Égypte, p. 243-259. Il s’étend sur ce sujet avec le zèle et l’esprit minutieux d’un citoyen et d’un dévot ; et ses traditions locales portent un grand air de vérité et d’exactitude.
  105. D’Herbelot, Bibl. orient., p. 233.
  106. La position du vieux et nouveau Caire est bien connue, et on l’a souvent décrite. Deux écrivains qui connaissaient parfaitement l’ancienne Égypte et l’Égypte moderne, ont, après de savantes recherches, fixé l’emplacement de Memphis à Gizeh en face du vieux Caire (Sicard, nouveaux Mémoires des Missions du Levant, t VI, p. 5, 6 ; Observat. et Voyages de Shaw, p. 296-304). Cependant, nous devons des égards à l’autorité et aux argumens de Pococke (vol. I, p. 25-41), de Niebuhr (Voyage, t. I, p. 77-106), et particulièrement de d’Anville (Description de l’Égypte, p. 111, 112, 130-149) qui placent Memphis auprès du village de Mohannah, quelques milles plus bas au sud. Ces écrivains ont oublié, dans la chaleur de la dispute, que le vaste terrain d’une métropole couvre et anéantit la plus grande partie de l’espace qui fait le sujet de cette discussion.
  107. Voyez Hérodote, l. III, c. 27, 28, 29 ; Ælien, Hist. Var., l. IV, c. 8 ; Suidas, in Ωχος, t. II, p. 774 ; Diodore de Sicile, t. II, l. XVII, p. 197, édit. de Wesseling. Των Περσων ησεβηκοτων εις τα ιερα, dit le dernier de ces historiens.
  108. Mokawkas envoya au prophète deux vierges cophtes, avec leurs suivantes et un eunuque ; un vase d’albâtre, un lingot d’or pur, de l’huile, du miel et les plus belles toiles de l’Égypte ; un cheval, un mulet et un âne, distingués tous les trois par des qualités particulières. L’ambassade de Mahomet partit de Médine la septième année de l’hégyre (A. D 628). Voyez Gagnier (Vie de Mahomet, t. II, p. 255, 256, 303), d’après Al-Jannabi.
  109. Héraclius avait chargé le patriarche Cyrus de la préfecture de l’Égypte et de la conduite de la guerre (Théoph., p. 280, 281). « Ne consultez-vous pas vos prêtres en Espagne ? disait Jacques II. — Oui, lui répondit l’ambassadeur du roi catholique, et nos affaires vont en conséquence. » Je n’ose, en vérité, rapporter les plans de Cyrus, qui voulait payer le tribut aux musulmans sans diminuer le revenu de l’empereur, et convertir Omar en lui faisant épouser la fille d’Héraclius (Nicephor., Breviar., p. 17, 18).
  110. Voyez la Vie de Benjamin dans Renaudot (Hist. patr. Alexand., p. 156-172), qui a enrichi l’histoire de la conquête de l’Égypte de quelques faits tirés du texte arabe de Severus, historien jacobite.
  111. Le premier des géographes, d’Anville (Mémoire sur l’Égypte, p. 52-63), nous a donné la description locale d’Alexandrie ; mais nous devons chercher quelques détails de plus dans les voyageurs modernes ; je ne citerai que Thevenot (Voyage au Levant, part. I, p. 381-395) ; Pococke (vol. I, p. 2-13) ; Niebuhr (Voyage en Arabie, t. I, p. 34-43) ; deux Voyages plus récens et rivaux, ceux de Savary et de Volney, le premier pourra amuser ; l’autre instruira.
  112. Eutychius (Annal., t. II, p. 319) et Elmacin (Hist. Saracen., p. 28) s’accordent à fixer la prise de la ville d’Alexandrie au vendredi de la nouvelle lune de moharram, dans la vingtième année de l’hégyre (le 22 décembre, A. D. 640.) En comptant les quatorze mois passé devant Alexandrie, les sept mois passés devant Babylone, etc., il paraîtrait qu’Amrou commença l’invasion de l’Égypte vers la fin de l’année 638 ; mais on sait certainement qu’il entra dans ce pays le 12 de bayni (le 6 juin). (Murtadi, Merveilles de l’Égypte, p. 164 ; Severus, apud Renaudot, p. 162.) Le général Sarrasin, et ensuite Louis IX, roi de France, s’arrêtèrent, durant l’inondation du Nil, à Péluse ou Damiette.
  113. Eutychius, Annal., t. II, p. 316-319.
  114. Malgré quelques contradictions entre Théophane et Cedrenus, l’exact Pagi (Critica, t. II, p. 824) a tiré de Nicéphore et de la Chronique orientale la vraie date de la mort d’Héraclius : il termina sa carrière le 11 février, A. D. 641, cinquante jours après la perte d’Alexandrie. Une lettre arrivait en douze jours d’Alexandrie à Constantinople.
  115. Il nous reste plusieurs Traités de cet amant du travail (φιλοπονος) ; mais on ne lit pas plus ceux qui sont imprimés que ceux qui n’ont jamais été publiés : Moïse et Aristote sont les principaux objets de ses verbeux Commentaires : il y en a un qui porte la date du 10 mai, A. D. 617 (Fabricius, Bibl. græc., t. IX, p. 458-468). Un moderne (Jean-le-Clerc), qui prenait quelquefois le même nom, était aussi laborieux que le Philoponus d’Amrou, mais il lui était fort supérieur en bon sens et en véritables lumières.
  116. Abulpharage, Dynast., p. 114. vers. Pococke. Audi quid factum sit et mirare. Je ne finirais pas si je voulais donner la liste des modernes qui ont cru et se sont étonnés ; mais je dois citer avec éloge le scepticisme raisonnable de Renaudot (Hist. Alex. patriar., p. 170 ; Historia… habet aliquid απισ‌τον ut Arabibus familiare est).
  117. On cherchera en vain cette anecdote curieuse dans les Annales d’Eutychius et l’histoire des Sarrasins d’Elmacin. Le silence d’Abulféda, de Murtadi et d’une foule de musulmans doit produire moins d’effet, parce qu’ils ne connaissaient pas la littérature des chrétiens.
  118. Voyez Reland, De jure militari Mohammedanorum, dans son troisième volume des Dissertations, p. 37. Ils ne veulent pas qu’on brûle les livres des juifs et des chrétiens à cause du respect qu’on doit au nom de Dieu.
  119. Consultez les Recueils de Freinsheim (Supplément de Tite-Live, c. 12-43) et d’Usher (Annal., p. 469). Tite-Live dit en parlant de la Bibliothéque d’Alexandrie : Elegantiæ regum curæque egregium opus, éloge dicté par un esprit noble, et vertement critiqué par l’étroit stoïcisme de Sénèque (De tranquillitate Animi, c. 9), dont la sagesse dégénère ici en déraisonnement.
  120. Voyez le Chapitre XXVIII de cet ouvrage.
  121. Aulu-Gelle (Nuits attiques, VI, p. 17), Ammien-Marcellin (XXII, 16) et Orose (l. VI, c. 15) ; ils parlent tous au temps passé, et le passage d’Ammien est remarquable : fuerunt Bibliothecæ innumerabiles ; et loquitur monumentorum veterum concinens fides, etc.
  122. Renaudot assure que l’on brûla des versions de la Bible, des hexaples, des Catenæ patrum, des Commentaires, etc. (p. 170). Notre manuscrit d’Alexandrie, s’il est venu d’Égypte et non pas de Constantinople ou du mont Athos (Wettstein, Prolegomen., ad N. T., p. 8, etc.), aurait pu se trouver parmi les ouvrages dévoués aux flammes.
  123. J’ai lu souvent, et toujours avec plaisir, un chapitre de Quintilien (Instit. Orat. X, I), dans lequel ce judicieux critique nous donne une énumération et une appréciation des divers auteurs classiques, grecs et latins.
  124. Je citerai seulement Galien, Pline et Aristote. Wotton (Reflexions on ancient and modern learning p. 85-95) oppose sur cette matière des raisons très-solides aux assertions piquantes et imaginaires de sir Will. Temple. Les Grecs avaient un si grand mépris pour la science des Barbares, qu’ils durent placer dans la Bibliothéque d’Alexandrie très-peu de livres indiens ou éthiopiens, et il n’est pas prouvé que cette exclusion ait été une perte pour la philosophie.
  125. M. Ockley ni les compilateurs de l’histoire universelle moderne, qui sont si contens de leur travail, n’ont pas découvert ces détails curieux et authentiques rapportés par Murtadi (p. 284-289).
  126. Eutychius, Annal., tom. II, p. 320 ; Elmacin, Hist. Saracen., p. 35.
  127. Ce qui a rapport à ces canaux est bien obscur. C’est au lecteur à arrêter son opinion d’après la lecture de d’Anville (Mém. sur l’Égypte, p. 108, 110, 124, 132), et d’une savante thèse soutenue et imprimée à Strasbourg en 1770 (Jungendorum marium fluviorumque molimina, p. 39-47, 68-70). Les Turcs eux-mêmes, malgré leur négligence, ont agité l’ancien plan de joindre les deux mers (Mémoires du baron de Tott, t. IV).
  128. Pierre Vattier publia en 1666, à Paris, un petit volume des Merveilles de l’Égypte, composé au treizième siècle par Murtadi, habitant du Caire, et traduit d’après un manuscrit arabe qui appartenait au cardinal Mazarin. Ce que dit l’auteur des Antiquités de l’Égypte est absurde et extravagant ; mais ses détails sur la conquête et la géographie de sa patrie méritent la confiance et l’estime (Voyez la Correspondance d’Amrou et d’Omar, p. 279-289).
  129. Maillet, qui a été vingt ans consul au Caire, avait eu toutes sortes d’occasions d’examiner ce tableau varié. Il parle du Nil. (Lettre II, et en particulier p. 70-75), de la fertilité du sol (Lettre IX). Gray, qui vivait dans un collége de Cambridge, a jeté sur cette contrée un coup d’œil plus pénétrant :
    « Dans ces climats brûlans où le Nil, s’élevant au-dessus des bords de son lit d’été, verse de son large sein la vie et la verdure, et couvre l’Égypte de ses ailes humides, quel merveilleux spectacle s’offre aux regards, lorsqu’on voit, conduit par une rame hardie ou une voile légère ce peuple poudreux voguer au gré du zéphir, ou sur de frêles radeaux passer de l’une à l’autre de ces villes rapprochées qui s’élèvent et brillent au-dessus des flots dont elles sont environnées ! » (Works and Memoirs of Gray, édition de Mason, p. 199, 200.)
  130. Murtadi, p. 164-167. Le lecteur ne croira pas aisément à des sacrifices humains sous des empereurs chrétiens ou à un miracle opéré par des successeurs de Mahomet.
  131. Maillet, Description de l’Égypte, p. 22. Il indique ce nombre comme l’opinion commune ; et il ajoute qu’en général ces villages renferment deux ou trois mille personnes, et qu’il en est beaucoup où il y a plus de monde que dans nos grandes villes.
  132. Eutychius, Annal., t. II, p. 308-311. Les vingt millions ont été calculés d’après les données suivantes : un douzième de la population pour les personnes au-dessus de soixante ans, un tiers pour celles qui sont au-dessous de seize ; et la proportion des hommes aux femmes est de dix-sept à seize (Recherches sur la population de la France, p. 71, 72). M. Goguet (Orig. des arts, etc., t. III, p. 26, etc.) suppose que l’ancienne Égypte contenait vingt-sept millions d’habitans, parce que les dix-sept cents compagnons de Sésostris étaient nés le même jour.
  133. Elmacin (Hist. Saracen., p. 218) ; d’Herbelot adopte sans scrupule ce calcul énorme (Biblioth. orient., p. 1031) ; Arbuthnot (Tables of ancient coins, p. 262) et de Guignes (Hist. des Huns, t. III, p. 135) ; ils auraient pu adopter la générosité non moins extravagante d’Appien, qui donne aux Ptolémées (in Præfat.) un revenu annuel de soixante-quatorze myriades, sept cent quarante mille talens, c’est-à-dire de cent quatre-vingt-cinq ou d’environ deux cents millions sterling, si l’on compte d’après la valeur du talent d’Égypte ou d’après la valeur de celui d’Alexandrie (Bernard, De Ponderibus antiquis, p. 186).
  134. Voyez les calculs de d’Anville (Mém. sur l’Égypte, p. 23, etc.). M. de Pauw, après quelques chicanes d’un homme de mauvaise humeur, ne peut porter son évaluation qu’à deux mille deux cent cinquante lieues carrées. (Recherches sur les Égyptiens, t. I, p. 118-121.)
  135. Renaudot (Hist. patriarch. Alexandr., p. 334), qui traite la leçon commune ou la version d’Elmacin de error librarii. Les 4,300,000 pièces qu’il substitue pour le neuvième siècle offrent un terme moyen assez vraisemblable, outre les 3,000,000 que les Arabes acquirent par la conquête de l’Égypte (idem, p. 168) et les 2,400,000 que le sultan de Constantinople leva dans le dernier siècle. (Pietro della Valle, t. I, p. 352 ; Thevenot, part. I, page 824). de Pauw (Recherches, t. II, p. 365-373) élève peu à peu le revenu des Pharaons, des Ptolémées et des Césars, de six à quinze millions d’écus d’Allemagne.
  136. La liste de Schultens (Index geograph. ad calcem vit. Saladin., p. 5) contient deux mille trois cent quatre-vingt-seize villes ou villages ; celle de d’Anville (Mém. sur l’Égypte, p. 29), d’après les détails fournis par le divan du Caire, en compte deux mille six cent quatre-vingt-seize.
  137. Voyez Maillet (Description de l’Égypte, p. 28) ; ses raisonnemens sont judicieux et paraissent venir d’un homme de bonne foi. Je suis beaucoup plus content des observations qu’a faites cet auteur, que de son érudition : il ne connaissait ni la littérature grecque ni la littérature latine, et il est trop charmé des fictions des Arabes. Abulféda (Descript. Ægypt. arab. et latin., Joh. David Michaelis, Gottingue, in-4o, 1776) a recueilli ce qu’ils ont dit de plus raisonnable. Quant aux deux voyageurs modernes, Savary et Volney, le premier amuse, ainsi que je l’ai déjà observé ; mais le second est si instructif, que je voudrais qu’il pût parcourir tout le globe.
  138. Mon récit de la conquête de l’Afrique est tiré de deux Français qui ont écrit sur la littérature des Arabes. Cardonne (Hist. de l’Afrique et de l’Espagne sous la domination des Arabes, t. I, p. 8-55), et Otter (Mém. de l’Acad. des inscriptions, t. XXI, p. 111-125, 136) ; ils ont tiré les faits, en grande partie, de Novairi, qui composa (A. D. 1331) une Encyclopédie en plus de vingt volumes. Cette Encyclopédie a cinq parties générales : elle traite, 1o. de la médecine ; 2o. de l’homme ; 3o. des animaux ; 4o. des plantes, et 5o. de l’histoire. Les affaires de l’Afrique sont discutées dans le sixième chapitre de la cinquième section de cette dernière partie (Reiske, Prodidagmata ad Hadji chalifæ tabulas, p. 232-234). Parmi les historiens anciens que cite Novairi, il faut distinguer la narration originale d’un soldat qui conduisait l’avant-garde des musulmans.
  139. Voyez l’Histoire d’Abdallah dans Abulféda (Vit. Mohammed., p. 109), et Gagnier (Vie de Mahomet, t. III, p. 45-48).
  140. Léon l’Africain (in Navigazione e Viaggi di Ramusio, t. I, Venise, 1550, fol. 76, verso) et Marmol (Description de l’Afrique, t. II, p. 562) ont décrit la province et la ville de Tripoli. Le premier était un Maure qui avait du savoir et qui avait voyagé ; il composa ou traduisit la Géographie de l’Afrique à Rome, où il se trouvait captif, et où il venait de prendre le nom et la religion du pape Léon X. L’Espagnol Marmol, soldat de Charles-Quint, était captif chez les Maures lorsqu’il compila sa Description de l’Afrique, que d’Ablancourt a traduite en français (Paris, 1667, 3 vol. in-4o). Marmol avait lu et observé ; mais il n’a pas cet esprit curieux et étendu qu’on remarque dans l’écrit de Léon l’Africain.
  141. Voy. Théophane, qui fait mention de la défaite plutôt que de la mort de Grégoire. Il donne au préfet le nom flétrissant de Τυραννος ; il est vraisemblable que Grégoire avait pris la pourpre (Chronograph., p. 285).
  142. Voyez dans Ockley (Hist. of the Saracens, vol. II, p. 45) la mort de Zobeir, qui fut honoré des larmes d’Ali, contre lequel il s’était révolté. Eutychius (Annal., t. II, p. 308) parle de sa valeur au siége de Babylone, si toutefois il s’agit de la même personne.
  143. Shaw, Travels, p. 118, 119.
  144. Mimica emptio, dit Abulféda, erat hæc, et mira donatio ; quandoquidem Othman, ejus nomine nummos ex ærario priùs ablatos ærario præstabat (Ann. mosl., p. 78). Elmacin (dans son obscure version, p. 39) semble rapporter cette même intrigue. Lorsque les Arabes assiégèrent le palais d’Othman, ce fut un des principaux griefs qu’ils alléguèrent.
  145. Επερατευσαν Σαρακηνοι την Αφρικην, και συμβαλοντες τω τυραννω Γρηγοριω το‌υτον τρεπο‌υσι και το‌υς συν αυτω κτεινο‌υσι και σ‌τοικησαντες φορο‌υς μετα των Αφρων υπεσ‌τρεψαν. (Théophane, Chronograph., p. 285, édit. de Paris.) Sa Chronologie est incertaine et inexacte.
  146. Théophane (in Chronogr., p. 298) rapporte les bruits vagues qui arrivaient à Constantinople sur les conquêtes des Arabes à l’occident ; et Paul Warnefrid, diacre d’Aquilée (De gest. Langobard., l. V, c. 13) nous apprend qu’à cette époque ils envoyèrent une flotte d’Alexandrie dans les mers de la Sicile et de l’Afrique,
  147. Voyez Novairi (apud Otter, p. 118). Léon l’Africain (fol. 81, verso), qui ne compte que cinque citta ed infinite casali ; Marmol (Descript. de l’Afrique, t. III, p. 33) et Shaw (Voyages, p. 57, 65, 68).
  148. Léon l’Africain, fol. 58, verso, fol. 59, recto ; Marmol, t. II, p. 415 ; ; Shaw, p. 43.
  149. Léon l’Africain, fol. 52 ; Marmol, t. II, p. 228.
  150. Regio ignobilis, et vix quicquam illustre sortita, parvis oppidis habitatur, parva flumina emittit, solo quam viris melior et segnitie gentis obscura. (Pomponius-Mela, I, 5 ; III, 10.) Mela inspire d’autant plus de confiance, que ses ancêtres, originaires de la Phénicie, avaient abandonné la Tingitane pour s’établir en Espagne. (Voyez in II, 6, un passage de ce géographe, si cruellement torturé par Saumaise, Isaac Vossius et Jacques Gronovius, le plus virulent des critiques.) Il vivait à l’époque où ce pays fut entièrement subjugué par l’empereur Claude ; cependant trente années après, Pline (Hist. nat., V, 1) se plaint de ces auteurs trop paresseux pour faire des recherches sur cette province sauvage et éloignée, et trop orgueilleux pour avouer leur ignorance.
  151. Les hommes avaient à Rome la folie du bois de citronnier, comme les femmes celle des perles. Une table ronde de quatre ou cinq pieds de diamètre se vendait le prix d’un riche domaine (Latefundii taxatione), huit, dix ou douze mille livres sterling (Pline, Hist. nat., XIII, 29). Je sais qu’on ne doit pas confondre le citrus avec l’arbre qui donne le fruit que les anciens appelaient le citrum ; mais je ne suis pas assez versé dans la botanique pour désigner le premier, qui ressemble au cyprès des bois par son nom vulgaire ou par celui que lui donne Linné ; et je ne déciderai pas non plus si le citrum est l’orange ou le limon. Saumaise semble épuiser cette matière ; mais il s’embarrasse trop souvent dans les fils confus d’une érudition mal ordonnée. (Plinian. Exercit., t. II, p. 666, etc.)
  152. Léon l’Africain, fol. 16, verso ; Marmol (t. II, p. 28). Il est souvent question de cette province, le premier théâtre des exploits et de la grandeur des schérifs dans l’histoire curieuse de cette dynastie, qui se trouve à la fin du troisième volume de la Description de l’Afrique par Marmol. Le troisième volume des Recherches historiques sur les Maures, qu’on a publiées dernièrement à Paris, jette du jour sur l’histoire et la géographie des royaumes de Fez et de Maroc.
  153. Otter (p. 119) a donné toute l’énergie du fanatisme à cette exclamation que Cardonne (p. 37) a adoucie, et qui, sous sa plume, n’offre que le pieux dessein de prêcher le Koran. Cependant ils avaient l’un et l’autre le texte de Novairi sous les yeux.
  154. Ockley (Hist. of the Saracens, vol. II, p. 129, 130) parle de la fondation de Cairoan ; et Léon l’Africain (fol. 75), Marmol (t. II, p. 532) et Shaw (p. 115) parlent de la situation, de la mosquée, etc.
  155. Les auteurs ont fait souvent une méprise énorme ; d’après une ressemblance de nom bien légère, ils ont confondu la Cyrène des Grecs et le Cairoan des Arabes, deux villes éloignées l’une de l’autre de mille milles. Le grand de Thou n’a pas évité cette faute, d’autant moins excusable qu’elle se trouve faire partie d’une Description de l’Afrique extrêmement travaillée. (Hist., l. VII, c. 2, in t. I, p. 240, édit. de Buckley.)
  156. Outre les Chroniques arabes d’Abulféda, d’Elmacin et d’Abulpharage sur la soixante-treizième année de l’hégyre, on peut consulter d’Herbelot (Bibl. orient., p. 7) et Ockley (Hist. of the Saracens, vol. II, p. 339-349). Ockley rapporte d’une manière pathétique le dernier entretien d’Abdallah et de sa mère ; mais il a oublié un effet physique de la douleur qu’elle éprouva à la mort de son fils ; le retour et les funestes suites de ses menses à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
  157. Λεοντιος… απαντα τα Ρωμαικα εξωπλισε πλοιμα ; σ‌τρατηγον τε επ’ αυτοις Ιωαννη τον πατρικιον εµπειρον των πολεμιων προχειρισαμενος προς Καρχηδονα κατα των Σαρακηνων εξεπεμψεν. (Niceph., Constantinop. Breviar., p. 28.) Le patriarche de Constantinople et Théophane (Chronogr., p. 309) ont rappelé en peu de mots cette dernière tentative pour secourir l’Afrique. Pagi (Critica, t. III, p. 129-141) a fixé la Chronologie, en comparant avec exactitude les historiens arabes et ceux de Byzance, qui se contredisent souvent sur les époques et sur les faits. Voyez aussi une note d’Otter (p. 121)
  158. Dove s’erano ridotti I nobili Romani e i GOTTI ; et ensuite, i Romani fuggirono e I Gotti lasciarono Carthagine (Léon l’Africain, fol. 72, recto). J’ignore de quel écrivain arabe il a tiré ce fait relatif aux Goths ; mais ce détail nouveau est si intéressant et si vraisemblable, que je l’adopterais sur la plus mince autorité.
  159. Ce commandeur est appelé par Nicéphore Βασιλευσ Σαρακηνων, définition un peu vague, mais assez exacte des fonctions de calife. Théophane emploie l’étrange dénomination de Προτοσυμβολος, que Goar, son interprète, applique au vizir Azem. C’est peut-être avec vérité qu’ils attribuaient le rôle actif au ministre plutôt qu’au prince ; mais ils ont oublié que les califes Ommiades n’avaient qu’un kateb ou secrétaire, et que la dignité de vizir ne fut rétablie ou instituée que la cent trente-deuxième année de l’hégyre (d’Herbelot, p. 912).
  160. Solin (l. XXVII, p. 36, édit. Saumaise) dit que la Carthage de Didon a subsisté six cent soixante-dix-sept ou sept cent trente-sept ans. Ces deux versions viennent de la différence des manuscrits et des éditions (Salmas., Plinian. Exercit, t. I, p. 228). Le premier de ces calculs, qui fait remonter sa fondation à huit cent vingt-trois ans avant Jésus-Christ, est plus d’accord avec le témoignage bien réfléchi de Velleius-Paterculus ; mais nos chronologistes (Marsham, Canon. chron., p. 398) préfèrent le dernier, qui leur paraît plus conforme aux Annales des Hébreux et à celles des Tyriens.
  161. Léon l’Africain, fol. 71, verso ; 72, recto ; Marmol, t. II, p. 415-447 ; Shaw, p. 80.
  162. On peut distinguer quatre époques dans l’histoire du nom de Barbare ; 1o. au temps d’Homère, où les Grecs et les habitans de la côte d’Asie se servaient peut-être d’un idiome commun, le son imitatif de barbar devint un nom qu’on donna à celles d’entre les tribus qui étaient les plus grossières, et qui avaient la prononciation la plus désagréable et la grammaire la plus défectueuse. Καρες Βαρβαροφωνοι (Iliad. II, 867, avec le Scholiaste d’Oxford, les Notes de Clarke et le Trésor grec de Henri Étienne, t. I, p. 720). 2o. Dès le temps d’Hérodote au moins, on l’appliqua à toutes les nations qui étaient étrangères à la langue et au nom des Grecs. 3o. Au siècle de Plaute, les Romains se soumirent à l’insulte (Pompeius-Festus, l. II, p. 48, édit. de Dacier), et ils se donnaient eux-mêmes le nom de Barbares. Ils vinrent peu à peu à prétendre que cette dénomination ne convenait pas à l’Italie et aux provinces, qu’ils avaient assujetties ; et enfin ils le donnèrent uniquement aux peuples sauvages ou ennemis qui se trouvaient au-delà de l’enceinte de l’empire. 4o. Il convenait aux Maures sous tous les rapports. Les conquérans arabes empruntèrent ce mot de la langue des Romains établis dans les provinces, et il est devenu une dénomination locale pour les peuples établis le long de la côte septentrionale de l’Afrique qu’on a nommée Barbarie.
  163. Le premier livre de Léon l’Africain et les Observations du docteur Shaw (p. 220, 223, 227, 247, etc.) jetteront du jour sur celles des tribus errantes de la Barbarie qui descendent des Arabes ou des Maures. Mais Shaw s’était tenu à une respectueuse distance de ces sauvages ; et il semble que Léon, captif à Rome, oublia en Italie ce qu’il savait de la littérature arabe, plus qu’il n’acquit de lumières sur celle des Grecs ou des Romains. Il a commis un grand nombre d’erreurs grossières sur la première partie de l’histoire mahométane.
  164. Amrou dit à un prince grec, au milieu d’une conférence, que leur religion n’était pas la même, et que cette raison autorisait les querelles entre des frères. (Ockley, Hist. of the Saracens, vol. I, p. 328.)
  165. Abulféda, Annal. moslem., p. 78, vers. Reiske.
  166. Les Arabes donnent le nom d’Andalousie non-seulement à la province qui porte aujourd’hui ce nom, mais à toute la péninsule d’Espagne (Geograph. nub., p. 151 ; d’Herbelot, Bib. orient., p. 114, 115). Il paraît que ce nom ne vient pas de Vandalusia, pays des Vandales, comme l’ont dit quelques auteurs (d’Anville, États de l’Europe, p. 146, 147) etc.). La véritable étymologie semble être celle de Casiri, qui observe que Handalusia signifie en arabe la région du soir, de l’Occident, et équivaut ainsi à l’Hesperia des Grecs (Bibl. Arabico-Hispana, t. II, p. 327, etc).
  167. Mariana décrit la chute et le rétablissement de la monarchie des Goths (t. I, p. 238-260, l. VI, c. 19-26 ; l. VII, c. 1, 2). Le style de cet historien dans ce noble ouvrage (Historia de rebus Hispani, liv. XXX, La Haye, 1733, 4 vol. in-folio, avec la continuation de Miniana) a presque le mérite et l’énergie des auteurs romains classiques ; et depuis le douzième siècle on peut compter sur ses lumières et son jugement. Mais ce jésuite ne s’était pas affranchi des préjugés de son ordre ; ainsi que Buchanan son rival, il adopte et embellit les légendes nationales les plus absurdes. Il néglige trop la critique et la chronologie, et supplée par sa brillante imagination aux lacunes des monumens historiques. Ces lacunes sont considérables et très-multipliées ; Roderic de Tolède, le premier des historiens espagnols, vivait cinq siècles après la conquête des Arabes ; et ce qu’on sait des temps antérieurs se trouve compris dans quelques lignes très-sèches des obscures Annales ou Chroniques d’Isidore de Badajoz (Pacensis) et d’Alphonse III, roi de Léon, que je n’ai trouvées que dans les Annales de Pagi.
  168. Le viol, dit Voltaire, est aussi difficile à faire qu’à prouver. Des évêques se seraient-ils ligués pour une fille ? (Hist. génér., c. 26). Cet argument n’est pas logiquement d’une grande force.
  169. Il paraît que dans l’histoire de Cava, Mariana (l. VI, c. 21, p. 241, 242) veut lutter contre le récit que fait Tite-Live de l’histoire de Lucrèce. À l’exemple des anciens, il cite rarement ses auteurs ; et le témoignage le plus ancien indiqué par Baronius (Annal. ecclés., A. D. 715, no 19), celui de Lucas Tudensis, diacre gallicien du treizième siècle, qui dit seulement, Cava quam pro concubinâ utebatur.
  170. Les Orientaux Elmacin, Abulpharage et Abulféda passent sous silence la conquête de l’Espagne ou n’en disent qu’un mot. Le texte de Novairi et des autres écrivains arabes, se trouve, bien qu’avec quelque mélange, dans l’histoire de l’Afrique et de l’Espagne sous la dénomination des Arabes (Paris, 1765, 3 vol. in-12, t. I, p. 55-114), par M. de Cardonne ; et d’une manière plus concise dans l’histoire des Huns (t. I, p. 347-350), par M. de Guignes. Le bibliothécaire de l’Escurial n’a pas répondu à mes espérances ; et cependant il paraît avoir fouillé avec soin les matériaux sans liaison qui se trouvent sous sa garde. Des fragmens précieux du véritable Razis (qui écrivit à Cordoue, A. H. 300), de Ben-Hazil, etc., jettent du jour sur l’histoire de la conquête d’Espagne. (Voyez Bibl. Arabico-Hispana, t. II, p. 32-105, 106-182, 252-319, 332). Le savant Pagi a profité ici des lumières qu’avait sur la littérature des Arabes, son ami l’abbé de Longuerue ; et leurs travaux m’ont été fort utiles.
  171. Une méprise de Roderic de Tolède, dans la comparaison qu’il a faite des années lunaires de l’hégire avec les années juliennes de l’ère de César, a déterminé Baronius, Mariana et la foule des historiens espagnols à placer la première invasion des Arabes en l’année 713, et la bataille de Xérès au mois de novembre 714. Cet anachronisme de trois ans a été découvert par les chronologistes modernes, et surtout par Pagi (Critica, t. III, p. 169-171, 174), qui ont indiqué la véritable date de la révolution. M. Cardonne, qui était versé dans la littérature des Arabes, et qui cependant a adopté l’ancienne erreur, a montré sur ce point une ignorance ou une négligence inexcusables.
  172. La première année de l’ère de César, que la loi et le peuple d’Espagne ont suivie jusqu’au quatorzième siècle, est antérieure de trente-huit années à la naissance de Jésus-Christ. Elle me paraît se rapporter à la paix générale sur mer et sur terre, qui confirma le pouvoir et le partage des triumvirs. (Dion-Cassius, l. XLVIII, p. 547, 553 ; Appien, De bell. civ., l. V, p. 1054, édit. in fol.) L’Espagne était une des provinces soumises à César-Octavien ; et Tarragone, qui éleva le premier temple en l’honneur d’Auguste (Tacite, Annal., I, 78), put emprunter des Orientaux ce genre de flatterie.
  173. Le père Labat (Voyages en Espagne et en Italie, t. I, p. 207-217) parle avec son enjouement ordinaire de la route, du canton et du vieux château du comte Julien, ainsi que des trésors cachés, etc., auxquels croient les superstitieux Espagnols.
  174. Le géographe de Nubie (p. 154) décrit les lieux qui furent le théâtre de la guerre ; mais on a peine à croire que le lieutenant de Musa ait adopté un expédient aussi désespéré et aussi inutile que celui de brûler ses vaisseaux.
  175. Xérès (la colonie romaine d’Asta Regia) n’est qu’à deux lieues de Cadix ; elle était au seizième siècle un des greniers du pays ; et le vin de Xérès est aujourd’hui connu chez toutes les nations de l’Europe (Lud. Nonii Hispania, c. 13, p. 54-56, ouvrage très-exact et très-concis). D’Anville (États de l’Europe, etc., p. 154).
  176. Id sane infortunii regibus pedem ex acie referentibus sæpe contingit. (Ben-Hazil de Grenade, in Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 323.) De crédules Espagnols pensent que Roderic se réfugia dans la cellule d’un ermite ; d’autres disent qu’on le jeta vif dans un tonneau plein de serpens, et qu’il s’écria d’une voix lamentable : « Ils me déchirent par où j’ai tant péché ! » (Don Quichotte, part. II, l. III, c. 1.)
  177. M. Swinburne a employé soixante-douze heures et demie à se rendre sur des mules de Cordoue à Tolède, par le chemin le plus court. La marche lente et détournée d’une armée doit prendre plus de temps. Les Arabes traversèrent la province de la Manche, dont la plume de Cervantes a fait une terre classique pour les lecteurs de toutes les nations.
  178. Nonnius (Hispania, c. 59, p. 181-186) décrit en peu de mots les antiquités de Tolède, qui était urbs parva durant les guerres puniques, et urbs regia au sixième siècle. Il emprunte de Roderic le fatale palatium des portraits maures ; mais il insinue modestement que ce n’était autre chose qu’un amphithéâtre romain.
  179. Roderic de Tolède (Hist. Arab., c. 9, p. 17, ad calcem Elmacin) décrit cette table d’émeraude, et s’appuie de l’autorité de Medinat-Almeyda, dont il nous donne le nom en lettres arabes. Il paraît connaître les écrivains musulmans ; mais je ne puis convenir avec M. de Guignes (Hist. des Huns, t. I, p. 350) qu’il ait lu et transcrit Novairi, car il mourut un siècle avant l’époque où Novairi a composé son histoire. Cette méprise est fondée sur une erreur encore plus grossière : M. de Guignes confond l’historien Roderic Ximenès, archevêque de Tolède au treizième siècle, avec le cardinal Ximenès, qui gouverna l’Espagne au commencement du seizième, et qui a exercé les pinceaux de l’histoire, mais qui ne les a jamais maniés.
  180. Tarik aurait pu graver sur le dernier rocher cette inscription de Regnard et de ses compagnons à l’extrémité de la Laponie : Hic tandem stetimus, nobis ubi defuit orbis.
  181. Tel fut l’argument du traître Oppas ; et les chefs auxquels il s’adressa ne répondirent point avec le courage de Pélage : Omnis Hispania dudum sub uno regimine Gothorum, omnis exercitus Hispaniæ in uno congregatus Ismælitarum non valuit sustinere impetum. (Chron. Alphonsi regis, apud Pagi, t. III, p. 177.)
  182. D’Anville (États de l’Europe, p. 159) rapporte en peu de mots, mais d’une manière très-distincte, la renaissance du royaume des Goths dans les Asturies.
  183. Les légionnaires qui restaient de la guerre des Cantabres (Dion-Cassius, l. LIII, p. 720) furent placés dans cette métropole de la Lusitanie, et peut-être de l’Espagne (submittit cui tota suos Hispania fasces). Nonnius (Hispania, c. 31, p. 106-110) fait l’énumération des anciens édifices ; mais il la termine par ces mots : Urbs hæc olim nobilissima ad magnam incolarum infrequentiam delapsa est et præter priscæ claritatis ruinas nihil ostendit.
  184. Les deux interprètes de Novairi, de Guignes (Hist. des Huns, t. I, p. 849) et Cardonne (Hist. de l’Afrique et de l’Espagne, t. I, p. 93, 94, 104, 105), font entrer Musa dans la Gaule narbonnaise : mais je ne trouve pas que Roderic de Tolède ou les manuscrits de l’Escurial fassent mention de cette entreprise ; et une Chronique française renvoie l’invasion des Sarrasins à la neuvième année après la conquête de l’Espagne, A. D. 721 (Pagi, Critica, t. III, p. 177, 195 ; Historiens de France, t. III). Je doute beaucoup que Musa ait passé les Pyrénées.
  185. Quatre siècles après Théodemir, ses domaines de Murcie et de Carthagène, conservent le nom de Tadmir dans le géographe de Nubie (Edrisi, p. 154-161) ; voyez aussi d’Anville (États de l’Europe, p. 156 ; Pagi, t. III, p 174). Malgré l’état misérable de l’agriculture actuelle de l’Espagne, M. Swinburne (Travels in Spain, p. 119) a vu avec plaisir la vallée délicieuse qui se prolonge de Murcie à Orihuela, et qui, sur un espace de quatre lieues et demie, offre une quantité considérable de beaux blés, de légumes, de luzernes, d’oranges, etc.
  186. Voyez ce traité en arabe et en latin, dans la Bibliotheca arabico-hispana, tom. II, p. 105, 106. Il est daté du 4 du mois Regeb, A. H. 94, c’est-à-dire du 5 avril A. D. 713, ce qui semble prolonger la résistance de Théodemir et le gouvernement de Musa.
  187. Fleury (Hist. ecclés., t. IX, p. 261) a donné, d’après l’histoire de Sandoval (p. 87), la substance d’un autre traité signé A. Æ. c. 782, A. D. 734, entre un chef arabe et les Goths et les Romains du territoire de Coimbre en Portugal. La contribution des églises y est fixée à vingt-cinq livres d’or, celle des monastères à cinquante, celle des cathédrales à cent. On y déclare que les chrétiens seront jugés par leur comte, mais que dans les affaires capitales, il sera obligé de consulter l’alcade ; que les portes de l’église doivent être fermées, et que les chrétiens doivent respecter le nom de Mahomet. Il faudrait voir sur l’original si, comme on l’a dit, on a fabriqué cette pièce pour assurer les immunités d’un couvent de l’Espagne.
  188. On peut comparer ce vaste projet, qu’attestent plusieurs écrivains arabes (Cardonne, t. I, p. 95, 96), à celui de Mithridate, de se rendre de la Crimée à Rome, ou à celui de César, de conquérir l’Orient, et de revenir en Italie par le nord ; mais l’entreprise exécutée par Annibal est peut-être au-dessus de ces trois grands desseins.
  189. Je regrette beaucoup deux ouvrages arabes du huitième siècle, une Vie de Musa et un Poëme sur les exploits de Tarik, maintenant perdus, ou du moins dont je n’ai pas eu connaissance. Le premier de ces ouvrages, tous deux authentiques, avait été composé par un des petits-fils de Musa ayant échappé au massacre de sa famille ; et le second par le visir du premier Abdalrahman, calife d’Espagne, qui avait pu s’entretenir avec quelques uns des soldats de Tarik. (Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 36-139).
  190. Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 32-252. La première de ces citations est tirée d’une Biographia hispanica, par un Arabe de Valence (voyez les longs Extraits de Casiri, t. II, p. 30-121) ; et la dernière, d’une Chronologie générale des califes et des dynasties africaines et espagnoles, avec une histoire particulière de Grenade, que Casiri a traduite presque en entier (Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 177-319), L’auteur Ebn-Khateb, originaire de Grenade, et contemporain de Novairi et d’Abulféda (il naquit A. D. 1313, et mourut A. D. 1374), était historien, géographe, médecin et poète (t. II, p. 71, 72).
  191. Cardonne, Histoire de l’Afrique et de l’Espagne, t. I, p. 116, 117.
  192. Il y a dans la Bibliothéque de l’Escurial un long Traité d’Agriculture, composé au douzième siècle par un Arabe de Séville, et Casiri a eu quelque envie de le traduire. Il donne une liste des auteurs arabes, grecs, latins, etc., qui s’y trouvent cités ; mais c’est déjà beaucoup si l’écrivain andalous a connu les derniers par l’ouvrage de Columelle son compatriote (Casiri, Bibl. arab.-hisp., t. I, p. 323-338).
  193. Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 104. Casiri traduit le témoignage original de l’historien Rasis, tel qu’il se trouve dans la Biographia hispanica arabe, part. 9 ; mais je suis extrêmement surpris de le voir adressé Principibus cæterisque christianis Hispanis suis CASTELLÆ. Le nom de Castellæ était inconnu au huitième siècle ; ce royaume n’a commencé qu’en 1022, un siècle après le temps de Rasis (Bibl., t. II, p. 330) ; et ce nom désignait non pas une province tributaire, mais une suite de châteaux qui n’étaient pas soumis aux Maures (d’Anville, États de l’Europe, p. 166-170). Si Casiri avait été un bon critique, il aurait éclairci une difficulté à laquelle peut-être il a donné lieu.
  194. Cardonne, t. I, p. 337, 338, évalue ce revenu à cent trente millions de livres de France. Ce tableau de la paix et de la prospérité de leur empire, soulage de la sanglante uniformité de l’histoire des Maures.
  195. J’ai le bonheur de posséder un magnifique et intéressant ouvrage qui n’a point été mis en vente, mais que la cour de Madrid a distribué en présens, la Bibliotheca arabico-hispana escurialensis, operâ et studio Michaelis Casiri, Syro Maronitæ, Matriti, in folio, tomus prior, 1760, tomus posterior, 1770. L’exécution de cet ouvrage fait honneur aux presses d’Espagne ; l’éditeur y indique dix-huit cent cinquante-un manuscrits classés d’une manière judicieuse ; et ses longs extraits jettent quelque jour sur la littérature musulmane et l’histoire d’Espagne. On n’a plus à craindre la perte de ces monumens ; mais c’est par une négligence inconcevable qu’on n’a pas fait ce travail avant l’année 1671, époque où un incendie consuma la plus grande partie de la Bibliothéque de l’Escurial, riche alors des dépouilles de Grenade et de Maroc.
  196. Les Harbii, ainsi qu’on les appelle, qui tolerari nequeunt, sont, 1o. ceux qui ne se bornent pas à adorer Dieu, mais qui adorent encore le soleil, la lune ou les idoles ; 2o. les athées, utrique, quamdin princeps aliquis inter Mohammedanos superest, oppugnari debent donec religionem amplectantur, nec requies iis concedenda est, nec pretium acceptandum pro obtinendâ conscientiæ libertate (Reland, Dissert. 10, De Jure militari Mahommedan., t. III, p. 14). Quelle sévère théorie !
  197. La conversation du calife Al-Mamoun avec les idolâtres ou les sabéens de Charræ, expose d’une manière très-nette la distinction entre une secte proscrite et une secte tolérée, entre les Harbii et le peuple du livre, ou ceux qui croyaient à une révélation divine. (Hottinger, Hist. orient., p. 107, 108.)
  198. Le Zend ou Pazend, la Bible des guèbres, est mise par eux, ou du moins par les musulmans, au nombre des dix livres qu’Abraham reçut du ciel ; et leur religion porte l’honorable nom de religion d’Abraham (d’Herbelot, Bibl. orient., p. 701 ; Hyde, De religione veterum Persarum, c. 13, p. 27, 28, etc.). Je crains bien que nous n’ayons pas une exposition bien pure et bien libre du système de Zoroastre. Le docteur Prideaux (Connection, vol. I, p. 300, in-8o) adopte l’opinion qui suppose que Zoroastre fut esclave et disciple d’un prophète juif durant la captivité de Babylone. Les Perses, qui ont été les maîtres des Juifs, revendiqueraient peut-être l’honneur, le misérable honneur d’avoir été aussi leurs précepteurs en fait d’opinions religieuses.
  199. Les mille et une Nuits arabes, tableau fidèle des mœurs de l’Orient, peignent des couleurs les plus odieuses les mages ou les adorateurs du Feu, à qui elles reprochent de sacrifier un musulman toutes les années. La religion de Zoroastre n’a pas la moindre affinité avec celle des Hindoux ; toutefois il n’est pas rare que les musulmans les confondent, et cette méprise a été une des causes de la cruauté de Timur. (Hist. de Timur-Bec, par Cherefeddin-Ali-Yezdi, l. v.)
  200. Vie de Mahomet par Gagnier, t. III, p. 114, 115.
  201. Hæ tres sectæ, judæi, christiani, et qui inter Persas magorum institutis addicti sunt κατ’εξοχην, populi liberi dicuntur (Reland, Dissert., t. III, p. 15). Le calife Al-Mamoun confirma cette honorable distinction qui séparait les trois sectes de la religion vague et équivoque des sabéens et à l’abri de laquelle on permettait aux anciens polythéistes de Charræ de se livrer à leur culte idolâtre. (Hottinger, Hist. orient., p. 167, 168.)
  202. Cette histoire singulière est racontée par d’Herbelot (Bibl. orient., p. 448, 449), sur le témoignage de Khondemir, et par Mirchond lui-même (Hist. priorum regum persarum, etc., p. 9-18, not., p. 88, 89).
  203. Mirchond (Mohammed emir Khoondah Shah), originaire de Herat, composa en langue persane une Histoire générale de l’Orient, depuis la création jusqu’à l’année 875 de l’hégyre (A. D. 1471). L’an 904 (A. D. 1498), il obtint la garde de la bibliothéque du prince, et à l’aide de ce secours, il publia, en sept ou douze parties, un ouvrage qui mérita des éloges, et qui fut réduit en trois volumes par son fils Khondemir (A. H. 927, A. D. 1520). Petis de la Croix (Hist. de Gengis-Khan, p. 537, 538, 544, 545) a distingué soigneusement ces deux écrivains que d’Herbelot a confondus (p. 358, 410, 994, 995). Les nombreux extraits que ce dernier a publiés sous le nom de Khondemir, appartiennent au père plutôt qu’au fils. L’historien de Gengis-Khan renvoie à un manuscrit de Mirchond, qui lui avait été donné par d’Herbelot, son ami. On a publié dernièrement à Vienne, 1782, in-4o, cum notis Bernard de Jenisch, un fragment curieux (les dynasties tahérienne et soffarienne), et l’éditeur nous fait espérer une continuation de Mirchond, Ce fragment publié est en persan et en latin.
  204. Quo testimonio boni se quidpiam præstitisse opinabantur. Cependant Mirchond doit avoir condamné leur zèle, puisqu’il approuvait la tolérance légale des mages, cui (le temple du Feu) peracto singulis annis censu, uti sacra Mohammedis lege cautum, ab omnibus molestiis ac oneribus libero esse licuit.
  205. Le dernier mage qui ait eu un nom et quelque pouvoir, paraît être Mardavige-le-Dilemite, lequel, au dixième siècle, régnait dans les provinces septentrionales de la Perse situées auprès de la mer Caspienne (d’Herbelot, Biblioth. orient., p. 355) ; mais les Bowides, ses soldats et ses successeurs, professaient l’islamisme, ou du moins ils l’embrassèrent ; et c’est sous leur dynastie (A. D. 933-1020) que je placerais la chute de la religion de Zoroastre.
  206. Ce que j’ai dit de l’état où se trouvent aujourd’hui les guèbres dans la Perse, est tiré de Chardin, qui, sans être le plus savant, est le plus judicieux de nos voyageurs modernes, et celui qui a mis le plus de zèle dans ses recherches. (Voyages en Perse, t. II, p. 109, 179, 187, in-4o.) Pietro della Valle, Olearius, Thevenot, Tavernier, etc., que j’ai consultés vainement, n’avaient ni des yeux assez exercés ni assez d’attention pour bien examiner ce peuple intéressant.
  207. La lettre d’Abdoulrahman, gouverneur ou tyran de l’Afrique, au calife Aboul-Abbas, le premier des Abbassides, est datée A. H. 132 (Cardonne, Hist. de l’Afrique et de l’Espagne, t. I, p. 168).
  208. Bibl. orient., p. 66 ; Renaudot, Hist. patriar. Alex., p. 287, 288.
  209. Voyez dans les lettres des papes Léon IX (epist. 3), Grégoire VII (l. I, epist. 22, 23 ; l. III, epist. 19, 20, 21), et les remarques de Pagi (t. IV, A. D. 1053, no 14 ; A. D. 1073, no 13), qui a recherché le nom et la famille du prince maure avec lequel le plus orgueilleux des pontifes romains avait un commerce de lettres si poli.
  210. Mozarabes ou Mostarabes, adscititii, ainsi qu’on rend ce mot en latin (Pococke, Specim. Hist. Arabum, p. 39, 40 ; Bibl. arab.-hispana, t. II, p. 18). La liturgie mozarabique que suivait autrefois l’Église de Tolède, a été attaquée par les papes, et exposée aux épreuves incertaines du glaive et du feu (Marian., Hist. Hispan., t. I, l. IX, c. 18, p. 378) : elle est en langue latine ; mais au onzième siècle on jugea nécessaire (A. Æ. C. 1607, A. D. 1039) de faire une version arabe des canons des conciles d’Espagne (Bibl. arab.-hispan., t. I, p. 547), pour les évêques et le clergé des contrées soumises aux Maures.
  211. Vers le milieu du dixième siècle, l’intrépide envoyé de l’empereur Othon Ier reprocha au clergé de Cordoue cette criminelle condescendance (Vit. Johann. Gorz, in sec. Benedict. V, no 115, ap. Fleury, Hist. ecclés., t. XII, p. 91).
  212. Pagi, Critica, t. IV, A. D. 1149, nos 8, 9. Il observe, avec raison, que lorsque Séville fut reprise par Ferdinand de Castille, on n’y trouva de chrétiens que les captifs, et que la description des églises mozarabiques de l’Afrique et de l’Espagne, par Jacques de Vitry, A. D. 1218 (Hist. Hieros., c. 80, p. 1095. in gestis Dei per Francos), a été tirée d’un livre plus ancien ; et j’ajoute que la date de l’hégyre 677 (A. D. 1278) doit s’appliquer à la copie et non pas à l’original d’un traité de jurisprudence, qui expose les droits civils des chrétiens de Cordoue (Bibl. arab.-hisp., t. I, p. 471), et que les Juifs étaient les seuls dissidens que Abul-Waled, roi de Grenade (A. D. 1313), pût persécuter ou tolérer (t. II, p. 288).
  213. Renaudot, Hist. patriar. Alex., p. 288. Si Léon l’Africain, captif à Rome, avait pu découvrir en Afrique le moindre reste de christianisme, il n’aurait pas manqué de le dire pour faire sa cour au pape.
  214. Absit (disaient les catholiques au vizir de Bagdad) ut pari loco habeas Nestorianos, quorum præter Arabas nullus alius rex est, et Græcos quorum reges amovendo Arabibus bello non desistunt, etc. Voy. dans les Recueils d’Assemani (Bibl. orient., t. IV, p. 94-101) l’état des nestoriens sous les califes. La dissertation préliminaire du second volume d’Assemani expose d’une manière plus concise celui des jacobites.
  215. Eutych., Annal., t. II, p. 384, 387, 388 ; Renaudot, Hist. patr. Alex., p. 205, 206, 257, 332. Le premier de ces patriarches grecs, professant quelques points de l’hérésie des monothélites, pouvait être moins fidèle aux empereurs, et moins suspect aux Arabes.
  216. Motadhed, qui régna depuis A. D. 892 jusqu’à l’année 902. Les mages conservaient encore leur nom et leur rang parmi les religions de l’empire (Assem., Bibl. orient., t. IV, p. 97).
  217. Reland expose les gênes que la loi et la jurisprudence des musulmans ont imposées aux chrétiens (Dissert., t. III, p. 16-20). Eutychius (Annal., t. II, p. 448) et d’Herbelot (Bibl. orient., p. 640) indiquent les tyranniques ordonnances du calife Motawakkel (A. D. 847-861), qui sont encore en vigueur. Le Grec Théophane raconte et vraisemblablement exagère une persécution du calife Omar II (Chron., p. 334).
  218. Saint Euloge, qui lui-même fut immolé à son tour, célèbre et justifie les martyrs de Cordoue (A. D. 850, etc.). Un synode assemblé par le calife, censura leur témérité d’une manière équivoque. Le sage Fleury, qui montre ici sa modération ordinaire, ne peut accorder leur conduite avec la discipline de l’antiquité : « Toutefois l’autorité de l’Église, etc. » (Fleury, Hist. ecclés., t. X, p. 415-522, et surtout p. 451-508, 509). Les actes authentiques de ce synode jettent une lumière vive, bien que passagère, sur l’état de l’Église d’Espagne au neuvième siècle.
  219. Voyez l’article Eslamiah (comme nous disons chrétienté) de la Bibliothéque orientale (p. 325). Cette carte des pays soumis à la religion musulmane s’applique à l’année de l’hégyre 385 (A. D. 995) : elle est de Ibn al-Wardii. Les pertes que le mahométisme a faites en Espagne depuis cette époque, ont été contrebalancées par les conquêtes dans l’Inde, la Tartarie et la Turquie d’Europe.
  220. L’arabe du Koran s’enseigne comme une langue morte dans le collége de la Mecque. Le voyageur danois compare cet ancien idiome au latin ; la langue vulgaire de l’Hejaz et de l’Yémen à l’italien, et les dialectes arabes de la Syrie, de l’Égypte et de l’Afrique, etc., au provençal, à l’espagnol et au portugais (Niebuhr, Descript. de l’Arabie, p. 74, etc.).