Histoire de la littérature espagnole

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Histoire de la littérature espagnole
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 10 (p. 275-288).

DE


LA LITTERATURE


ESPAGNOLE.




History of Spanish Literature, by George Ticknor ; 5 vol. in-8o, New-York.




L’étude de la littérature espagnole a ses difficultés matérielles, qui peuvent surprendre. Dans presque toutes les langues de l’Europe, les auteurs qui ont joui d’une grandi réputation parmi leurs contemporains, ceux dont les ouvrages ont exercé une influence considérable sur le goût public, les auteurs classiques en un mot, ont été souvent imprimés et réimprimés. Pour les connaître tous, il suffit d’avoir accès dans une bibliothèque de second ou de troisième ordre. En Espagne, il en est autrement. Là, beaucoup d’ouvrages du XVIe et du XVIIe siècle, composés par les écrivains les plus illustres, sont devenus maintenant d’une telle rareté, que les érudits ont peine à les connaître. Disons mieux : pour les voir seulement, il faut visiter toutes les capitales de l’Europe. En effet, grace à l’inquisition, aux guerres civiles et étrangères, aux bibliophiles voyageurs, les livres rares espagnols le sont peut-être plus en Espagne que partout ailleurs. Aujourd’hui la bibliothèque de don Quichotte ferait la fortune de son propriétaire, et les amateurs paieraient bien plus qu’au poids de l’or ces romans de chevalerie que le curé et le barbier livraient si impitoyablement à madame la gouvernante. Veut-on lire par exemple, dans l’original, le seul de ces romans qui ait trouvé grace devant ces juges rigoureux. Tirant le Blanc, que Cervantes appelle un trésor de gaieté, une mine de divertissement inépuisable ? il faut aller à Londres, où se trouve le seul exemplaire connu des bibliophiles, jadis découvert par lord Grenville et légué par lui avec sa magnifique bibliothèque au Musée Britannique. Certains ouvrages de Cervantes lui-même ne sont pas moins rares. Une collection complète de ses drames est inconnue ; plusieurs de ses comédies n’ont jamais été imprimées. On en peut dire autant de Calderon et de Lope de Vega, et il est vraisemblable qu’un assez grand nombre d’ouvrages, manuscrits ou imprimés, cités avec éloge par des littérateurs du siècle dernier, ont disparu complètement aujourd’hui.

Une histoire de la littérature espagnole exige non-seulement de longues études, un jugement sain et une patience à toute épreuve, mais encore une certaine indépendance cosmopolite de goût qui dans l’examen d’un ouvrage, ne s’étonne ni de la nouveauté ni même de l’étrangeté de la forme. Il faut se dépouiller pour ainsi dire de sa nationalité, renoncer à ses habitudes et se faire du pays qu’on veut étudier. On nous reproche à nous autres Français, et non sans raison, de ne juger les écrivains étrangers qu’avec nos idées françaises. Nous exigeons d’eux qu’ils se conforment à nos modes, voire à nos préjugés. Quinze jours après la prise de Rome, quelques-uns de nos soldats s’étonnaient dit-on, que les Romains n’eussent pas encore appris le français. Nous sommes un peu tous comme ces soldats ; ce n’est pas sans peine que nous acceptons un point de vue nouveau, et que nous parvenons à comprendre une société qui n’est pas la nôtre. Voyageur, érudit et bibliophile, Anglais par l’éducation, M. Ticknor avait plus de facilité que personne à s’accoutumer à la liberté d’allures des écrivains espagnols, et Shakspeare a dû le préparer à jouir de Lope de Vega. Enfin, en sa qualité de citoyen des États-Unis, il possède un avantage sur les critiques de la vieille Europe, c’est de pouvoir s’occuper de questions littéraires sans y mêler des souvenirs de rivalités nationales. Trente-cinq ans de paix n’ont pas encore effacé tous les préjugés de patriotisme quand même, et il y a encore bien des gens, que j’estime fort, d’ailleurs, qui ne parlent pas de Shakespeare sans penser à la bataille de Waterloo.

Il est facile de voir que l’auteur de l’Histoire de la Littérature espagnole s’est livré à d’immenses recherches ; il a fait une étude approfondie et consciencieuse de la langue castillane et des écrivains espagnols. Après s’être familiarisé avec leurs ouvrages, il a voulu connaître encore les jugemens qu’en avaient portés avant lui les Anglais, les Allemands et les Français. Auteurs originaux, commentateurs, critiques, M. Ticknor a tout lu : je crains qu’il n’ait trop lu. À force de vouloir tout savoir, et dans la crainte de faire quelque oubli, il risque de fatiguer l’attention de son lecteur en lui présentant des sujets assez peu dignes d’occuper son attention. À mon, avis, les auteurs médiocres, dans toutes les langues, se ressemblent beaucoup, et ce n’est pas chez eux qu’il faut étudier les traits distinctifs d’une littérature. Ainsi je crois qu’on peut très bien apprécier le XVIIe siècle en France sans avoir lu Campistron. M. Ticknor s’est piqué d’une grande exactitude, et l’on peut se plaindre parfois qu’il se montre plus curieux d’ajouter un nom nouveau à son interminable catalogue d’auteurs que de faire connaître à fond la manière des grands écrivains véritables représentans du goût espagnol. Ainsi faisait don Juan, qui, pour mettre sur sa liste une paysanne de plus, oublie les graces et les vertus de dona Elvire. C’est le défaut des érudits (non pas le vilain défaut de don Juan, bien entendu) de se passionner pour les recherches de détail. Parce qu’elles ont été longues et souvent pénibles, ils s’imaginent que le lecteur va les recommencer avec eux. Il faut quelquefois avoir le courage de garder pour soi la fatigue et ne présenter au public que les résultats obtenus. M. Ticknor, dans son ouvrage, a sans doute fait une part large et convenable aux grands génies qui ont illustré l’Espagne ; mais, en les entourant d’un trop long cortège de médiocrités, il les rapetisse et les efface pour ainsi dire, si bien que l’on cherche dans son ouvrage Cervantes et Lope de Vega avec autant de peine qu’on en a aujourd’hui pour découvrir un bon tableau parmi les trois mille toiles exposées au Palais-Royal. Dans sa préface, l’auteur nous apprend et on l’aurait deviné sans cet aveu volontaire, qu’il a fait un cours public sur la littérature espagnole, et que ses leçons refondues sont devenues un livre. On s’aperçoit malheureusement un peu trop de ce mode de composition, et ses chapitres, uniformes d’étendue, quelquefois assez mal liés les uns aux autres, rappellent souvent le professeur obligé de parler à son auditoire pendant une heure sur un sujet donné, qu’il se prête ou non à des développemens.

Les origines de toutes les littératures présentent des problèmes fort difficiles, mais d’un intérêt extrême. Je regrette que M. Ticknor ait glissé si rapidement sur les commencemens de la littérature espagnole. À son début, il considère les ouvrages composés depuis la fin du XIIe siècle jusqu’aux premières années du XVIe comme exempts de toute influence étrangère, comme des produits spontanés du génie et du caractère national. Cette proposition aurait eu besoin d’être solidement établie, et M. Ticknor me paraît l’avoir adoptée un peu légèrement. Il est même étrange qu’il ne se soit pas aperçu que la division chronologique qu’il posait était fort hasardée, car, dans l’examen détaillé des auteurs, il est obligé de lui donner de fréquens démentis. Ainsi, dans la chronique ou le Roman d’Outremer, attribué au roi don Alphonse X, il reconnaît fort judicieusement une tradition plus ou moins altérée de l’histoire de Guillaume de Tyr. Plus loin, analysant le charmant recueil d’historiettes intitulé et Conde Lucanor, le seul des ouvrages de l’infant don Juan Manuel, qui ait été imprimé, e il ne peut s’empêcher d’y apercevoir une imitation de contes orientaux. Je pourrais accumuler les exemples.

Si l’on a lu l’histoire du midi de l’Europe, ou même si l’on jette les yeux sur une carte de la péninsule ibérique, on est disposé plutôt à croire à priori l’inverse de l’assertion avancée par M. Ticknor au sujet de l’origine spontanée de la littérature espagnole. Sans parler des rapports continuels des Espagnols avec les Arabes depuis le VIIIe siècle, on ne peut nier ceux qu’ils eurent en même temps avec la France méridionale, pays qui jouit long-temps d’une civilisation à quelques égards supérieure à celle du reste de l’Europe. Bien plus, de grandes provinces de l’Espagne ont parlé et parlent encore la langue romane, et la civilisation de la Provence a été commune à l’Aragon, à la Catalogne et au royaume de Valence. Or, comme il arrive toujours qu’entre deux peuples voisins, le plus policé exerce une influence considérable sur celui qui l’est moins, il est à croire que la littérature provençale a dû avoir quelque part aux premiers développemens de la littérature espagnole, M. Ticknor, cependant, ne s’est guère préoccupé de l’objection, et cela est d’autant plus singulier que, dans ses notes, il cite souvent MM. Raynouard et Fauriel dont les ouvrages auraient dû au moins lui montrer toute l’importance de la question. Il traite la langue romane comme un patois insignifiant, et c’est à peine s’il consacre quelques pages aux auteurs catalans si nombreux et dont quelques-uns sont si justement estimés. L’examen de la littérature catalane et valencienne ne figure dans son livre qu’en manière d’épisode, et ses meilleurs poètes ou historiens y sont jugés fort sommairement. Il accorde, il est vrai, quelques louanges, en passant, à la chronique de Ramon Muntaner, le Xénophon de ces terribles Almogavares qui subjuguèrent la Sicile et la Morée ; mais, à la froideur avec laquelle il en parle, on serait tenté de croire qu’il ne la connaît que par la pâle contrefaçon espagnole de don Francisco de Moncada. Il ne dit pas un mot de Miguel Carbonell et de ses Chroniques d’Espanya, ouvrage assurément d’une grande importance et qui renferme les mémoires du roi d’Aragon Pierre IV. Cette lacune est inexplicable, et certes les écrivains catalans avaient droit à plus d’égards.

On s’explique jusqu’à un certain point la négligence avec laquelle M. Ticknor a traité la littérature provençale par la très singulière différence qui existe entre les premières productions littéraires des Espagnols et celles des Provençaux contemporains. Rien ne ressemble moins à la galanterie raffinée de ces derniers que les sentimens d’une sauvagerie héroïque exprimés dans les plus anciennes poésies castillanes. Tandis que les dames de Provence, juges dans les fameuses cours d’amour, rendaient leurs arrêts sur des question aussi subtiles que celle-ci : Utrum inter conjungates amer possit habere locum[1], la Chimène castillane, non point celle de Corneille ou même de Guillen de Castro, mais la Chimène des vieilles romances, se plaint que le Cid tue ses pigeons pour la braver, et la menace de lui couper sa robe, exactement comme la Princesse Palatine voulait le faire à je ne sais quelles aventurières allemandes qui avaient osé se montrer à la cours de Versailles :

Que me cortarà mis faldas
Por vergonzoso lugare.


Je cite le texte, espérant que les dames qui me liront ne le comprendront pas plus que la menace de la Princesse Palatine.

M. Fauriel, dans son Histoire de la poésie provençale, a remarqué qu’elle a cultivé tous les genres et que ses poèmes héroïques, beaucoup moins connus aujourd’hui, mais aussi célèbres autrefois que les chants amoureux des troubadours, ont été de bonne heure imités par les Castillans. Il en allègue des preuves irrécusables ; mais, ce fait établi, on peut demander pourquoi le goût espagnol n’a choisi qu’un seul genre dans la variété que lui offraient, les Provençaux. J’avoue que l’explication qu’en donne M. Fauriel ne me satisfait pas entièrement. Il attribue aux habitudes belliqueuses des Castillans, en lutte incessante contre les Maures, leur goût exclusif pour la poésie héroïque et guerrière M. Ticknor, qui ne reconnaît pas l’influence provençale, répète l’explication de M. Fauriel sans la commenter, et paraît croire qu’un peuple de soldats ne peut avoir qu’une poésie rude et sauvage. Sans doute, c’était une vie de hasards que celle des Ricos omes de Castille ; mais que faisaient dans le même temps les Catalans et les Aragonais, aussi raffinés que les Provençaux. ? Quel roi plus batailleur que Jacques-le-Conquérant ? Ce prince, qui accueillait les troubadours dans son royaume, qui était bon juge en matière de poésies galantes et qui, si la tradition ne ment pas, était poète lui-même, sut fort bien chasser les maures des Baléares et du royaume de Valence. En Provence, les chants n’avaient pas cessé au milieu de la sanglante invasion des croisés français. Après tout, la poésie tendre et mélancolique ne peut-elle fleurir que dans un temps de tranquillité ? Je doute que l’auteur de l’Odyssée ait composé ses chants divins au milieu des délices de la paix et, pour parler d’une époque mieux connue, où trouvera-t-on une poésie plus élevée et à certains égards plus raffinée que dans les tragédies d’Eschyle ? Certes, sa vie ne se passa point dans les paisibles loisirs du cabinet. Soldat à Marathon, à Salamine, a Platée, il n’eût long-temps pour maison qu’une galère, pour lit que la terre nue. Je ne crois pas qu’il en ait été plus mal inspiré.

C’est donc à tort, je pense, qu’on attribuerait le caractère de la poésie castillane primitive uniquement à des habitudes guerrières. La guerre était alors et fut long-temps encore le fléau permanent de toute l’Europe. Si je ne me trompe, ce serait plutôt dans les lois et les institutions particulières aux Castillans qu’il faudrait chercher une cause à cette austérité qui contraste, tant avec la molle délicatesse de leurs voisins. Au reste, je n’ai nullement la prétention de donner ici la solution d’un problème difficile, et je dois me borner, à signaler une lacune regrettable dans un auteur dont les études toutes spéciales devaient faire espérer un examen approfondi de la question.

Je ne puis m’empêcher de trouver encore la même légèreté dans le jugement que porte M. Ticknor sur les chroniqueurs espagnols. « Ils sont sans rivaux, dit-il, pour la richesse, la variété, le pittoresque et les élémens poétiques. On ne peut leur comparer en aucune façon les chroniqueurs des autres langues de l’Europe, non pas même les Portugais, qui les suivent de plus près pour l’originalité et l’antiquité des matériaux, non pas même les chroniqueurs français, tels que Joinville et Froissart, qui à d’autres titres méritent une haute estime… La vieille loyauté espagnole, la vieille foi religieuse espagnole, nourries dans les longues épreuves d’une guerre nationale, s’y produisent constamment, etc. » Je ne sais s’il faut attacher beaucoup d’importance à ces phrases, qui semblent jetées un peu au hasard et qui ne dénotent pas une vue bien arrêtée du sujet ; Mais un jugement si tranchant aurait dû être motivé et méritait au moins quelque discussion. Permis à M. Ticknor de trouver que Froissart le cède au sec et prudent Ayala, ou au plat chroniqueur de don Alphonse XI, pour le pittoresque et les élémens poétiques. Peut-être considère-t-il en revanche Froissart comme un historien fort impartial et très exact. Soit. Sur la peinture et la poésie, les goûts sont fort différens ; il est inutile de les discuter ; mais je voudrais savoir où M. Ticknor a vu la loyauté et la foi religieuse espagnoles dans les chroniqueurs du XIVe siècle. Prend-il pour représentans de ces vertus les infans et les grands seigneurs sans cesse en révolte contre le roi don Alphonse ? ou bien don Pèdre et. ses frères bâtards faisant assaut de crimes, de perfidies, de faux sermens et d’assassinats ? ou bien les Ricos omes leurs vassaux, changeant de patrie, se dénaturant, comme disent les chroniqueurs, selon leurs intérêts, trahissant leurs suzerains, infidèles dans leurs alliances, tour à tour esclaves dociles ou tyrans impitoyables ? Que M. Ticknor relise Ayala, et probablement il trouvera qu’il n’a manqué aux hommes de ce temps que des lettres et du génie pour le disputer en scélératesse à César Borgia lui-même.

Dans une autre occasion, M. Ticknor revient sur cette ferveur religieuse et cette loyauté, c’est-à-dire le dévouement au souverain, qui dans son opinion forment les traits distinctifs du caractère espagnol. « On ne doit pas attribuer, dit-il, l’intolérance des Castillans et leur fanatisme à l’inquisition, pas plus que le despotisme du gouvernement aux manœuvres d’une cour corrompue. Au contraire, l’inquisition et le despotisme furent plutôt le résultat d’une exagération fatale de la ferveur religieuse et de l’amour pour la monarchie[2]. » Voilà encore une de ces assertions qu’on devrait laisser aux gens qui croient, que tous les Espagnols portent des résilles et des fraises. Celle-ci ne mérite pas l’examen. Historiquement, la loyauté ou le respect quand même du souverain n’a commencé en Espagne que vers la fin du règne de Charles V. Après la terrible répression de la révolte des comuneros, Charles V et Philippe II prirent la peine de faire l’éducation de leur peuple. Quant à la ferveur religieuse, on ne la voit poindre qu’après l’établissement de l’inquisition sous Isabelle-la-Catholique. Jamais auparavant on ne trouve trace de l’intolérance des Espagnols. Pour ne pas remonter aux secours fournis par un roi d’Aragon à l’hérésie albigeoise, on voit long-temps après, dans le XIVe siècle et même au commencement du XVe, que les trois religions qui se partageaient la Péninsule subsistaient sans querelles. Les rois de Castille prenaient des Juifs pour leurs trésoriers et leurs médecins, des Maures pour leurs ingénieurs et leurs architectes. Personne ne refusait le don à un riche Israélite ni à un émir musulman. Je ne vois aucune trace de persécution, si ce n’est dans les prises de villes, où le vainqueur pillait de préférence le quartier juif, et il est permis de douter que le fanatisme y eut autant de part que la cupidité. Mais si l’inquisition ne fut pas l’expression outrée du catholicisme espagnol, comment supposer qu’un peuple si fier et si généreux se soit soumis à un joug qui répugnait à son caractère ? L’explication de ce problème historique c’est, je crois, dans l’aversion profonde que les Espagnols portent depuis un temps immémorial aux étrangers. À leurs yeux, les Juifs et les Maures furent toujours des étrangers, bien qu’ils parlassent souvent la même langue que les chrétiens, et leur religion était odieuse, surtout parce qu’elle était comme le signe de leur origine. Les Maures vaincus, les Espagnols s’aperçurent avec rage que s’ils avaient triomphé de leurs adversaires, ces derniers conservaient néanmoins un ascendant extraordinaire par leurs richesses. Et remarquons qu’aux yeux du peuple, ces richesses n’étaient qu’un butin fait autrefois sur lui-même par ses ennemis, et qu’ils conservaient malgré leur défaite. Les Maures s’enrichissaient par l’agriculture et l’industrie, les Juifs par le commerce, cependant les chrétiens se battaient entre eux et se ruinaient. Après l’épouvantable anarchie qui précéda le règne d’Isabelle, la plupart des gentilshommes castillans étaient réduits à la misère. Beaucoup d’entre eux avaient vendu leurs terres pour s’acheter des armes et un cheval, tandis que les Maures, assistant impassibles aux querelles des grands feudataires, thésaurisaient, et cela sans étaler le faste ordinaire aux nobles chrétiens. Il n’en fallait pas davantage pour qu’ils fussent exécrés. On leur reprochait l’usure, et probablement avec quelque raison ; on les voyait heureux au milieu de la détresse générale ; aux yeux du peuple, ils devinrent des ennemis publics. Remarquons qu’à toutes les époques, les Espagnols montrèrent à l’égard des étrangers ou du mépris ou de la jalousie. Profondément convaincus de leur supériorité nationale, lorsqu’ils aperçoivent dans un étranger les indices d’un avantage quelconque, la jalousie deviendra de la haine, surtout si l’étranger se trouve en contact continuel avec eux. C’est ce qui avait lieu pour les Juifs et les Maures. Au moment où la haine nationale des chrétiens était d’autant plus exaltée que l’abaissement du royaume de Grenade rendait la guerre impossible faute de résistance ; des prêtres indignes surprirent la piété d’Isabelle, et la persécution commença. Ce fut une satisfaction donnée à la haine populaire. On lui fournissait un prétexte de sévir contre des ennemis qu’elle ne pouvait plus provoquer à une lutte impossible. Nous savons mieux que personne en France à quels excès se porte un peuple généreux quand le gouvernement encourage ses mauvaises passions. Des Juifs et des Maures, la persécution passa aux nouveaux convertis, puis aux chrétiens eux-mêmes. Les querelles religieuses de l’Europe, l’ambition de Charles V, l’amour des conquêtes et la gloire qu’il donna à ses peuples pour prix de leur liberté, consolidèrent l’inquisition, devenue un instrument merveilleusement propre à seconder sa politique. Le despotisme et le fanatisme se perfectionnèrent si bien sous Charles V et Philippe II, qu’il fallut plusieurs siècles pour que la nation oubliât les principes inculqués par de si redoutables maîtres.

Je demande pardon de ces longues dissertations historiques à propos d’un ouvrage purement littéraire, mais il m’a semblé qu’il est nécessaire de connaître la vie d’un peuple, si je puis ainsi parler, pour apprécier convenablement les idées qui lui sont propres et sa façon de les exprimer. M. Ticknor n’a pas fait, je crois, une étude assez sérieuse de l’histoire d’Espagne, et, à mon sentiment, cette étude aurait donné à son livre une liaison et une méthode qui lui manquent un peu.

Avec l’établissement de l’inquisition, ou la suppression de la liberté de penser, coïncide à peu près l’influence des arts et de la littérature des Italiens en Espagne. Elle fut due, comme l’a remarqué M. Ticknor, à la supériorité, incontestable alors, des Italiens, mais elle ne modifia pas d’abord très sensiblement la littérature ; du moins deux de ses branches, le roman et le théâtre, conservèrent au milieu de la conquête italienne leur physionomie toute particulière.

Que les Espagnols tiennent des Arabes, ou qu’ils doivent à la nature le don de conter, c’est ce qu’il est assez difficile de décider, aujourd’hui, personne d’ailleurs ne conteste à Cervantes la gloire d’avoir écrit le plus spirituel et le plus amusant des romans. M. Ticknor rend toute justice à cet incomparable écrivain, qui, au milieu des plus cruelles épreuves, a créé l’œuvre la plus gaie peut-être qu’on connaisse. On a traduit Don Quichotte dans toutes les langues, et ses commentateurs formeraient seuls une bibliothèque. Pour ma part, je sais bon gré à M. Ticknor d’avoir rejeté toutes les profondes et subtiles rêveries que plusieurs doctes critiques ont inventées à propos du Don Quichotte. Laissons à de graves professeurs allemands le mérite d’avoir découvert, que le chevalier de la Manche est la symbolisation de la poésie, et son écuyer celle de la prose. Ils diraient volontiers à Cervantes comme les femmes savantes à Trissotin :

Ah ! quand vous avez fait ce charmant quoi qu’on die,
Avez-vous compris, vous, toute son énergie ?
Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu’il nous dit,
Et pensiez-vous, alors y mettre tant d’esprit ?


Un commentateur découvrira toujours dans les ouvrages d’un homme de génie mille belles intentions qu’il n’avait pas ; mais je pense qu’au sujet du Don Quichotte, le plus, sûr est de s’en tenir, avec M Ticknor, à l’opinion vulgaire et au témoignage de Cervantes lui-même. Son but fut de railler les romans de chevalerie et de combattre la vogue prodigieuse qu’ils avaient obtenue à cette époque. Don Quichotte fut la protestation d’un homme d’esprit et de bon sens contre la folie de ses contemporains. La manie des romans avait gagné toutes les classes de la société, et les anecdotes suivantes, que j’emprunte à M. Ticknor, feront connaître l’état du goût public avant que Cervantes le réformât.

Un gentilhomme revenant de la chasse trouve sa femme, sa fille et leurs demoiselles suivantes (doncellas) les larmes aux yeux et les traits bouleversés. « . Quel malheur vous est il survenu ? Demande-t-il tout effrayé. — Rien, et les larmes redoublent. — Mais, enfin, pourquoi pleurez-vous ? — Hélas ! Amadis est mort ! » - Plusieurs auteurs graves, laïques ou religieux, attestent qu’à la fin du XVIe siècle personne ne connaissait d’autre lecture, et que bien des gens, pas trop fous d’ailleurs, croyaient aux aventures merveilleuses des chevaliers de la Table-Ronde plus fermement qu’aux témoignages historiques les plus respectables. Enfin, en 1555, les cortès crurent devoir s’occuper de cette dépravation du goût comme d’une épidémie dangereuse pour le pays, et ils demandèrent, mais inutilement, que tous les livres de chevalerie fussent recherchés et livrés aux flammes. On comprend qu’un engouement si général ait été suivi d’une réaction ; et Cervantes eut la gloire de la provoquer. Tout cela n’a rien qui nous doive étonner nous autres Français du XIXe siècle. Rappelons-nous quel poids nous fut ôté de dessus la poitrine, et de quel appétit nous déjeunâmes le matin où le Journal des Débats nous apprit que Monte-Cristo était sorti sain et sauf de son sac. N’entendons-nous pas dire tous les jours que les dames qui enfreignent l’article 212 du Code civil y ont été entraînées par la lecture des romans ? Enfin l’assemblée nationale n’a-t-elle pas décrété naguère, non pas, qu’on brûlerait les feuilletons (la constitution le défend), mais qu’il en coûterait 1 centime de plus pour timbre aux éditeurs. Pour que la ressemblance soit complète, il ne manque plus à notre époque qu’un Cervantes. En Espagne, il fit une cure radicale. Depuis 1605, date de la première édition du Don Quichotte, nul roman de chevalerie ne vit le jour, et ceux qui faisaient auparavant les délices du public passèrent chez l’épicier, ou furent abandonnes aux rats.

Le roman a précédé, le drame en Espagne, et l’a pour ainsi dire introduit dans les mœurs. M. Ticknor a raconté d’une manière très attachante l’origine et les premiers essais du théâtre, qu’il fait remonter jusqu’à l’apparition des antiques pastorales ou romans dialogues. Son développement fut rapide ; car, moins d’un siècle après le temps où Lope de Rueda promenait dans les bourgs son heureuse jolie, portant dans un chariot sa troupe et ses décorations, il y avait trois cents troupes de comédiens en Espagne. Madrid en possédait plus de vingt, et l’on y comptait mille acteurs. Des villes médiocres et des bourgs même avaient leurs théâtres.

Adopté avec enthousiasme par le public, le drame eut à lutter un instant contre l’opposition de l’église ; mais, ce qui suffirait seul à prouver que M. Ticknor, comme je le remarquais tout à l’heure, a singulièrement exagéré l’influence des rois et du clergé sur les mœurs, l’inquisition, soutenue par un roi despote, assez puissante pour expulser six cent mille Moresques, parce qu’elle se faisait l’interprète d’un sentiment de patriotisme exclusif, l’inquisition ne parvint pas réprimer le penchant populaire pour le théâtre. Elle succomba honteusement dans la lutte. Des ecclésiastiques écrivirent pour la scène, des acteurs figurèrent dans les pompes sacrées, et les couvens s’ouvrirent pour des représentations théâtrales. Les saints, la Vierge et Dieu lui-même eurent leurs rôles : Il est vrai qu’en fin de compte, la religion ou plutôt le pouvoir du clergé n’y perdit rien. Quelques lignes de madame d’Aulnoy nous montreront quel était l’état du théâtre et celui de la religion en Espagne en 1679. « On jouait, dit-elle, la vie de saint Antoine (à Vittoria). J’y remarquai que le diable n’était pas autrement vêtu que les autres, et qu’il avait seulement des bas couleur de feu et une paire de cornes pour le faire reconnaître. Quand saint Antoine disait son Confiteor, ce qu’il faisait assez souvent, tout le monde se mettait à genoux, et se donnait des mea culpa si rudes, qu’il y avait de quoi s’enfoncer l’estomac.”

L’histoire du théâtre espagnol offre plus d’une analogie avec celle du théâtre grec. En Espagne comme en Grèce, le drame fut un complément obligé des fêtes religieuses ; comme Thespis, Lope de Rueda fut tout à la fois auteur et acteur ambulant ; la danse et la musique, ou du moins une déclamation cadencée, firent partie du spectacle. Enfin la prodigieuse fécondité des dramaturges espagnols est un rapport de plus avec les tragiques et les comiques grecs. Pour suivre encore plus loin la comparaisons j’ajouterai que la poétique du théâtre espagnol, bien que très différente de celle du théâtre grec, lui ressemble en ce point, qu’elle n’a pas fait de l’imitation de la nature le premier but de l’art ; et qu’au lieu de chercher à faire illusion aux spectateurs, elle les transporte, en quelque sorte, dans un monde idéal.

M. Ticknor a fort exactement indiqué le caractère romanesque du théâtre espagnol et les ressorts habituels de ses drames, mais j’aurais voulu qu’il nous eût expliqué pourquoi un peuple dont les romans ont peint avec tant de fidélité la nature et les mœurs nationales n’a, dans ses drames, que des tableaux de fantaisie. Tandis que les romanciers, observateurs exacts et souvent. profonds, ont reproduit aveu succès des individualités ou des vices répandus, les poètes dramatiques n’ont créé que des personnages de convention, agissant toujours d’après certaines règles invariables, accessibles seulement certaines passions héroïques, et dont la forme est toujours la même. Sauf de très rares exceptions, comme le Chien du Jardinier de Lope de Vega, ou l’Alcalde de Zalamea de Calderon où se trouvent des individualités remarquablement étudiées, les drames espagnols reproduisent uniformément les mêmes personnages : des amans jaloux et des pères fort chatouilleux sur l’honneur de leurs filles. À vrai dire même, la jalousie et le point d’honneur sont les seules passions qui défraient le théâtre espagnol. L’intrigue change, grace à l’inépuisable fécondité des auteurs, mais le fond demeure immuable. C’est encore la continuation de ce goût pour le genre héroïque que nous avons remarqué aux commencemens de la poésie espagnole, et ici ce ne sera plus l’état de guerre qui pourra l’expliquer.

Arrêtons-nous, un instant à examiner le style, encore plus étrange que le fond, des drames espagnols. Je le prends dans les auteurs les plus renommés, Lope et Calderon, qui ont fait école. Rien de plus en opposition avec nos idées françaises ; pour nous, ce style

Sort du bon caractère et de la vérité.

En voici quelques exemples. Un jeune homme veut dire à ses domestiques de le laisser lire à l’ombre et de revenir l’avertir à l’heure du dîner ; il s’exprimera de la sorte : « Revenez quand le soleil tombant ira au milieu de sombres nuages s’ensevelir dans les ondes, qui, pour ce grand cadavre d’or, sont un tombeau d’argent[3].» Dans la même pièce, un naufrage s’appelle couramment « une ruine sans poussière[4].» Ailleurs, une fille enlevée, pour ne pas dire plus, s’écrie, en rentrant dans la maison paternelle : « Comment paraître devant mon père ? lui qui n’avait d’autre plaisir qu’à se mirer dans la lune de mon honneur, de quelle tache va-t-il la voir éclipsée[5] ! » Assurément, en France, un juge rirait au nez d’une fille qui se plaindrait en ce style d’un ravisseur brutal ; mais je crois qu’au commencement du XVIIe siècle ces endroits étaient fort goûtés du public de Madrid. Observons toutefois que de langage étrange, que les Espagnols appellent le style culto, n’est pas particulier à leurs poètes dramatiques. Shakspeare, qu’on cite toujours et avec raison, comme le grand peintre de la nature, ne leur cède pas en ce point. Ainsi Juliette dit : « Je voudrais briser l’antre où gît Écho, et rendre son gosier d’air plus enroué que le mien à répéter le nom de Roméo[6]. » Et Macbeth, méditant le meurtre de Duncan, regrette « de n’avoir pas d’éperons pour piquer les flancs de son dessein[7]. » Le style culto est bien ancien ; on en pourrait trouver plus d’un exemple chez les Grecs, et particulièrement chez Eschyle. Il appelle les chefs les plus braves des Perses des « enclumes à lances, » et un héraut, racontant la mort d’un satrape, termine le récit par mots « Changeant la couleur de sa barbe, il l’a teinte en pourpre[8]. » J’accumule à dessein ces citations pour constater que de très grands écrivains se sont rencontrés dans la même joie, et que, de parti pris, ils ont recherché, les expressions les plus éloignées du naturel. Faut-il accuser leur mauvais goût et celui de leur temps, ou bien plutôt ne faut-il pas supposer qu’alors on demandait au drame une autre sorte de plaisir que celui qu’on y cherche aujourd’hui ? Cette dernière conjecture, je l’avoue, me paraît préférable à l’autre, car je ne puis me persuader que le parterre de Caldéron, de Shakspeare ou d’Eschyle fût moins sensible que le nôtre aux choses de goût. Aujourd’hui, ce me semble, le système de la division du travail, qui a produit tant de merveilles dans l’industrie, a été appliqué, peut-être malheureusement, au drame. Jadis le public savait goûter deux plaisirs à la fois, il s’intéressait à une fable dramatique tout en appréciant les beautés du style, et le plaisir principal, je crois, était dû à l’expression poétique. On ne cherchait pas encore l’illusion théâtrale, et le moyen de la produire en effet sur une scène presque dépourvue de décorations et flanquée de banquettes, où se faisaient voir en grandes perruques les courtisans et les gens à la mode ?

La sensation double de plaisir qu’on éprouve à une représentation de Don-Giovanni peut, je crois, donner une idée de celle que produisait le drame sur les spectateurs du XVIIe siècle. La fable ou le poème de Don Giovanni n’est pas sans mérite, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe le plus. Elle n’est qu’un prétexte, ou si l’on veut un programme pour la musique. Quand Rubini ou Mario chantait Il mio tesoro, nous jouissions et de la situation dramatique et d’une délicieuse mélodie. Qu’on se représente maintenant un peuple bien organisé pour la poésie : les vers du drame seront pour lui ce qu’est la musique d’un opéra pour nous. On ne doit pas oublier que les langues du Midi, sonores, fortement accentuées, riches en expressions pittoresques, charment par le seul bruit des mots, et qu’elles parviennent souvent à déguiser la médiocrité de la pensée par l’harmonie des sons. Il n’en est pas de même chez nous : notre langue sourde dépourvue d’accens, la construction uniforme des phrases, le rigorisme, de la grammaire et par-dessus tout l’habitude française de raisonner et de juger au lieu de sentir, voilà des obstacles immenses que nos poètes ont à vaincre. S’ils y réussissent leurs efforts ne sont guère appréciés par les gens du métier, quand l’esprit de coterie ou la jalousie ne s’en mêlent pas. Je ne prétends pas réhabiliter le style culto, je ne cherche qu’à me l’expliquer. Je crois qu’il ne fut qu’une forme, appréciable à des esprits plus littéraires que ceux d’aujourd’hui. La poésie change de forme tous les siècles, et je me demande ce que pensera la postérité du luxe d’images qu’on entasse volontiers à présent dans le style moderne. Peut-être bien que dans un siècle d’ici on donnera à ce style un nous ridicule, comme on en a donné aux vers de Lope de Véga, et les critiques d’alors diront : Sed nunc non erat hie locus. Le goût moderne pour la réalité et pour l’illusion tend à chasser le vers de la scène. Je ne sais s’il y a lieu de le regretter beaucoup, mais je crains que cette révolution, qui me paraît menaçante, ne soit après tout funeste à la littérature. À force de rechercher le naturel, nous pourrions bien en être réduits à une espèce de pantomime sans développemens et sans style, où toute la gloire appartiendra aux acteurs et aux machinistes. C’est ainsi qu’a fini, dit-on, le théâtre antique.

Le plaisir de parler d’un pays et d’une langue que j’aime m’a souvent entraîné loin de mon sujet. Je crains, en finissant, d’avoir été un peu sévère pour M. Ticknor, et peut-être lui ai-je demandé un autre ouvrage que celui qu’il a voulu faire. Il y a bien des manières d’écrire l’histoire. M. Ticknor s’est piqué seulement de n’omettre aucun fait, aucun personnage. Réserve ou bien oubli de sa part, il ne faut pas chercher dans son livre d’aperçus d’ensemble, de jugemens originaux, encore moins une étude de littérature comparée. En revanche, c’est un excellent dictionnaire, un livre éminemment, utile à posséder dans sa bibliothèque. Il renferme de très bonnes notices biographiques sur les auteurs espagnols et de nombreuses analyses qui dispenseront souvent de recourir aux originaux. Je ne dois pas oublier des traductions assez étendues que M. Ticknor a faites avec beaucoup de goût pour donner de la langue anglaise et au talent de l’auteur à la manier, ces traductions sont d’une fidélité et d’une élégance remarquables. Le rhythme, le mouvement, la grace du tour, sont reproduite avec autant d’exactitude que de bonheur.


PROSPER MERIMEE.

  1. L’arrêt négatif rendu par la comtesse de Champagne est de 1174.
  2. Tome II, page 470.
  3. Volved por mi à este sitio
    Cuando et sol cayendo vaya
    A sepultarse en las ondas,
    Que entre obscuras nubes pardas,
    Al gran cadaver de oro
    Son monumentos de plata
    (El Màgico prodigioso.)

  4. Ruina sin polvo. (Ibid.)

  5. Que otro bien, otra alegria
    No tuvo sino mirarse
    Con la clara luna limpia
    De mi honor, que hoy desdichado
    Tan torpe mancha le eclipsa
    (El Alcalde de Zalamea)

  6. Else would I tear the cave where Echo lies,
    And make her airy tongue more hoarse than mine
    With repetition of my Romeo’s name.
    (Romeo and Juliet.)

  7.  I have no spur.
    To prick the sides of my intent.
    (Macbeth.)

  8. Λόγχης ἄϰμονες.

    (Pers. 51)

    γενειάδα
    Ἔτεγγ’, ἀμείϐων χρῶτα πορφυρᾷ βαφῇ.

    (Ibid. 316)