Histoire de la littérature française (Lanson)/Quatrième partie/Livre 2/Chapitre 3

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Librairie Hachette (p. 446-472).


CHAPITRE III

PASCAL


Le jansénisme, réforme catholique et laïque. — 1. L’irréligion au début du xviie siècle. — 2. Origines du jansénisme. Port-Royal. Les persécutions. Grandeur morale de l’esprit janséniste. Les écoles de Port-Royal. Les écrivains : Arnauld et Nicole. — 3. Pascal : sa vie, son humeur. — 4, Les Provinciales : leur fortune, leur valeur. De l’ironie et de la raison dans les questions de théologie. Art et style de Pascal. — 5. Les Pensées. Plan de l’Apologie de la religion chrétienne. Application des méthodes scientifiques au problème théologique. Absence de nouveauté et puissance d’originalité : le don de profondeur. L’étude de l’homme : intuitions et questions remarquables. Les deux infinis : la limite de la science. Unité du développement intellectuel de Pascal. Le style des Pensées : abstraction et réalité, raisonnement et poésie.

La Réforme hérétique et schismatique eut pour contre-partie au xvie siècle une Réforme unitaire et orthodoxe. Dans tous les pays qui restèrent en communion avec Rome, en France comme ailleurs, il se produisit un réveil puissant de la foi, mais un réveil aussi de l’ardeur morale du christianisme, et le catholicisme restauré ne lutta pas moins contre le libertinage naturaliste de la Renaissance que contre les doctrines hétérodoxes des sectes protestantes. Les années de discordes et de misères qui chez nous retrempèrent l’énergie des âmes, les disposèrent à se faire un catholicisme viril, dur, ascétique, qui, demandant beaucoup à l’homme, lui rendit beaucoup en profondeur d’émotion et en force pour l’action. De là, sans parler des raisons politiques et de l’instinct national, le peu de succès que trouvèrent chez nous les jésuites, avec leur religion aimable, fleurie, assoupissante, et le succès au contraire que trouva le jansénisme[1].

La renaissance du catholicisme en France s’était marquée déjà par une recrudescence de l’ascétisme dans l’Église, par une floraison nouvelle de l’esprit monastique que la révolution intellectuelle du xvie siècle avait paru d’abord devoir éteindre. Nombre de communautés, réformées ou nouvelles, feuillants, bénédictins de Saint-Maur, oratoriens, prêtres de la Mission, compagnie de Saint-Sulpice, trappistes, sœurs de la Charité, filles du Calvaire, les unes contemplatives, d’autres actives, certaines studieuses, d’autres charitables, toutes ferventes et rigoristes, attestent, de la fin du xvie siècle jusque fort avant dans le xvii, la force du mouvement catholique. Le jansénisme est un effet parmi les autres, et non la cause, de cette reprise vigoureuse de vitalité par laquelle la religion, si menacée naguère, va ressaisir la domination du siècle.

Mais le jansénisme se distingue, d’abord parce que seul il est hétérodoxe, ce qui veut dire qu’il a une doctrine, une personnalité intellectuelle, une conception propre de la vie et des rapports de l’homme avec le surnaturel ; ensuite parce que seul il ne se développe point exclusivement dans l’Église ; au contraire, il n’a point de pénétration dans le clergé régulier, il est assez largement diffus parmi les compagnies de prêtres telles que l’Oratoire, il recrute surtout ses adhérents parmi les ecclésiastiques séculiers et parmi les personnes pieuses de tout caractère. Il est une doctrine, et non pas un ordre : par là même, comme on s’y lie par une adhésion libre de la raison, non par un engagement destructeur de la liberté, il est, malgré sa conception du prêtre, pratiquement tout laïque. Et c’est ce qui le rendra propre à représenter dans le siècle l’esprit de toute la religion, c’est ce qui en fera l’adversaire par excellence et la barrière du libertinage intellectuel et moral. C’est ce qui lui permettra, persécuté et vaincu dans ses opinions dogmatiques, d’étendre à travers la société son autorité morale, à tel point qu’il semblera avoir, aux yeux de la postérité, la direction du mouvement catholique dans la lutte contre l’irréligion.

Il faut nous arrêter un moment pour expliquer cette lutte.


1. L’IRRÉLIGION AU DÉBUT DU XVIIe SIÈCLE.


Le xviie siècle, de loin, paraît presque tout chrétien : à le regarder de près, on y distingue un fort courant d’irréligion, théorique et pratique. Le courant disparaît dans la seconde partie du siècle, sous l’éclat de la littérature catholique et sous la décence des mœurs imposée par le grand roi. Mais, entre 1600 et 1660, l’incrédulité s’étale [2].

La licence des opinions et de la vie a deux causes principales. L’une est l’enivrement de la raison après l’effort et les conquêtes du xvie siècle. La pensée tend à s’affranchir de l’autorité de l’Église, elle s’éloigne de la tradition par diverses routes : aristotélisme alexandrin ou averroïste, panthéisme naturaliste, scepticisme et positivisme, philosophie scientifique. L’autre cause est le débordement des tempéraments, que favorisent en France les guerres civiles et religieuses. L’individu suit sa passion, cherche son plaisir, rejetant toute règle : et quelle règle plus gênante que la règle chrétienne ? Ainsi l’anarchie politique prépare l’anarchie morale.

Enfin, la diffusion de l’incrédulité est chez nous un cas de l’influence italienne. Vanini, brûlé à Toulouse en 1619, laissa des disciples dans notre midi : Théophile l’y a connu.

Sans ajouter foi aux chiffres donnés par le Père Mersenne (une statistique en pareille matière ne saurait être, même approximativement, exacte), nous devons croire que les libertins furent très nombreux sous Louis XIII : nombre de témoignages l’attestent. Il y en avait de deux sortes : les philosophes et érudits formaient un premier groupe, discret, peu bruyant, ennemi du scandale, faisant extérieurement profession de respecter la religion ; les uns se rattachaient à l’épicurisme relevé par Gassendi ; les autres suivaient, avec Le Vayer, la doctrine sceptique.

Le second groupe était celui des mondains, courtisans et femmes, avec quelques poètes et beaux esprits. Ceux-ci faisaient grand bruit, multipliaient les scandales et les indécences : ce qui leur plaisait le plus dans l’incrédulité, c’étaient les provocations tapageuses ; c’était de « faire les braves » contre Dieu. Ces libertins du monde n’avaient pas de doctrine arrêtée : ils se moquaient des mystères et des dévots, affichaient la tolérance, prétendaient suivre seulement la raison et la nature, et vivaient en gens pour qui c’est raison de satisfaire à leur nature.

L’Église essaya d’arrêter par des rigueurs le progrès du mal. Le Parlement, en France, lui prêta son appui : le procès de Théophile est un épisode de la guerre entreprise par les jésuites et les magistrats contre l’irreligion ; on voulait, par le supplice d’un poète, d’un homme de peu, épouvanter les grands dont il était le commensal et le conseiller.

Mais les rigueurs ne pouvaient vaincre à elles seules les esprits. Il fallut des freins intérieurs pour retenir l’âme avec son propre consentement et l’empêcher de glisser dans l’impiété scandaleuse.

La politesse, d’abord, y servit. L’honnête homme n’aime pas à se distinguer par des façons de penser téméraires ; et la religion est pour lui une partie du savoir-vivre. Il suffisait des progrès du goût, pour rendre impossibles les manifestations éclatantes d’irréligion, les indécentes parodies où se plaisaient les Roquelaure et les Matha.

Puis le libertinage fut contenu et vaincu par des doctrines philosophiques et religieuses qui donnèrent à la raison les légitimes satisfactions qu’elle réclamait.

Le cartésianisme fit des chrétiens apparents, en faisant des philosophes qui croyaient à Dieu, à l’âme immortelle, à la supériorité infinie de la nature spirituelle sur la nature corporelle (ce qui établissait une hiérarchie très nette des plaisirs). Mais surtout le catholicisme s’adapta aux nécessités de la lutte : et contre l’indépendance superbe de la raison, qui faisait le péril, il opposa fortement les doctrines de la grâce et de la Providence. Par l’une, il soumettait à Dieu la vie intérieure de l’individu, par l’autre, la conduite universelle du monde ; par l’une et l’autre, il faisait échec à la raison et la courbait sous une force divine, impénétrable et irrésistible.

Ainsi furent suspendues pour trois quarts de siècle les tendances qui composèrent l’esprit de l’âge suivant. Mais si l’effort du catholicisme fut efficace, c’est qu’il avait repris force et vitalité dans la crise du xvie siècle ; et surtout, c’est qu’il avait poussé en France le rameau vigoureux du jansénisme.


2. LE JANSÉNISME ET PORT-ROYAL.


Le jansénisme appartient à peu près exclusivement à la France et aux Pays-Bas catholiques. C’est aux Pays-Bas qu’il naquit, dans l’esprit du pieux évêque Jansénius, au temps où les âmes inclinaient de toutes parts vers le stoïcisme philosophique ou chrétien, au temps où François de Sales, sous la douceur aimable de son langage, rétablissait l’impérieuse austérité de la morale évangélique. Jansénius tira de saint Augustin une doctrine rigoureuse, assez approchante du calvinisme : tandis que l’orthodoxie romaine admettait une coopération mystérieuse de la liberté humaine à la grâce divine dans l’œuvre du salut [3],Jansénius [4] supprimait le libre arbitre pour donner tout à la grâce, et enseignait la prédestination, qui sépare les élus et les damnés de toute éternité par un décret absolu et irrévocable de Dieu.

Le foyer du jansénisme, en France, fut l’abbaye de Port-Royal : c’était une communauté cistercienne de femmes établie depuis 1204 dans la vallée de Chevreuse, et réformée en 1608 par la mère Angélique Arnauld ; elle fut transportée, en 1626, à Paris, au faubourg Saint-Jacques. Du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, directeur de la maison à partir de 1636, y implanta la doctrine de Jansénius avec qui il était lié, et fit de ces filles les croyantes obstinées, au besoin les inflexibles martyres de ce qu’elles regardèrent comme la pure vérité de Jésus-Christ. Quand le jansénisme commença de se répandre dans le monde, on se tourna vers Port-Royal comme vers le sanctuaire, le centre religieux de la nouvelle Église : les bâtiments de Port-Royal des Champs furent relevés [5] et servirent d’asile aux solitaires, aux hommes saints que la grâce avait touchés, et qui, sans se lier par aucuns vœux, sans quitter leur nom, sans former une communauté régulière, venaient vivre là, dans la retraite, une vie d’étude et de piété.

L’année 1638 commença la gloire et les malheurs de Port-Royal et du jansénisme : cette année-là, Antoine Le Maître [6], avocat, conseiller d’État, quitta l’espoir d’une haute fortune pour se retirer à Port-Royal. Cette année là, aussi, Saint-Cyran fut emprisonné par ordre de Richelieu, et les solitaires dispersés. Les jansénistes avaient d’ardents ennemis, surtout les jésuites, qui se voyaient disputer par eux la direction des âmes et l’éducation des enfants, et qui, défenseurs des prétentions romaines, les regardaient comme le parti avancé du gallicanisme. L’autorité civile, se souvenant du siècle précédent, craignit que la secte religieuse ne contînt le germe d’un parti politique, et crut de son intérêt de faire cause commune avec les jésuites, servant ainsi ceux qui devaient la combattre et persécutant ceux qui devaient la défendre dans ses rapports avec Rome.

Dès lors Port-Royal n’eut plus guère de repos. Cinq articles ou propositions, qu’on tira de l’Augustinus, furent condamnés par la Sorbonne, par les évêques (1656), par le pape (1653 et 1656). Les jansénistes soutinrent que les propositions n’étaient pas dans Jansénius (elles n’y étaient pas textuellement, mais elles étaient l’âme du livre, selon Bossuet), et ils refusèrent de les condamner comme étant de lui. Les femmes furent aussi fermes que les hommes. La défense des jansénistes fut belle : ils firent des miracles de constance, ils développèrent leur force et leur subtilité d’esprit, ils furent adroits, perfides même autant qu’héroïques, contre des ennemis à qui toutes les armes étaient bonnes. Rien n’y fit. Les solitaires sont de nouveau dispersés et les écoles fermées en 1656. L’assemblée du clergé de France a rédigé (1656) un formulaire qui condamne les cinq propositions : Port-Royal refuse obstinément de le signer ; d’où redoublement de la persécution : en 1660, on ferme définitivement les écoles ; on chasse les confesseurs, les pensionnaires, les novices de la maison ; on use toute la science, toute la patience des docteurs et de l’archevêque de Paris contre l’inflexibilité des religieuses ; on finit par distribuer les douze plus obstinées dans des communautés plus soumises (1664) ; à peine arrache-t-on quelques signatures, bientôt rétractées ou expiées dans les larmes. En 1665, on transporte aux Champs toute la communauté rebelle de Paris, et l’on donne la maison du Faubourg Saint-Jacques à des religieuses soumises. En 1666, on emprisonne M. de Saci. Après une trêve d’une dizaine d’années, la lutte reprend en 1679 : Arnauld est obligé de fuir aux Pays-Bas. Louis XIV a pris en haine ces indociles, dont la résistance choque son instinct d’absolue autorité. En 1708, la communauté de femmes est supprimée par une bulle du pape ; en 1709, les religieuses sont expulsées par le lieutenant de police ; enfin Port-Royal des Champs est détruit (1710), sa chapelle rasée, ses sépultures violées.

On n’en avait pas fini avec le jansénisme : on l’avait décapité, non pas supprimé. On avait réussi à lui retirer cette hauteur morale, cette largeur intellectuelle qui en avaient fait l’expression supérieure du christianisme français : on l’avait réduit à une bigoterie étroite, farouche et stérile. Mais il subsista à travers tout le xviiie siècle, surtout dans l’Université et dans le Parlement ; la bulle Unigenitus (1713) ranima pour un demi-siècle la querelle, où les deux adversaires s’avilissaient et avilissaient la religion devant les incrédules charmés et railleurs : de jour en jour croissaient la fureur, l’imbécillité des deux partis ; et de la même source qui avait produit les Provinciales et les Pensées, sortaient les miracles de Saint-Médard et le scandale des billets de confession. Ainsi se prolonge le jansénisme, ayant parfois sa revanche dans ses malheurs, comme le jour où il fit décréter l’expulsion des jésuites, et faisant sentir sa main dans les affaires religieuses jusqu’au début de la Révolution : même au début de notre siècle, il n’a pas été sans influence sur certains doctrinaires libéraux et gallicans.

La grandeur du jansénisme est tout entière dans sa morale. Comment cette dure et désolante doctrine, qui niait la liberté, et vouait l’immense majorité des hommes à la damnation éternelle, sans espoir et sans retour, a-t-elle été un principe actif, efficace d’énergie et de vertu ? comment a-t-elle excité les âmes aux sublimes efforts dans les rudes voies de la perfection chrétienne ? Il serait long de l’expliquer : mais j’ai déjà fait remarquer que toutes les doctrines qui ont demandé le plus à la volonté humaine ont posé en principe l’impuissance de la volonté ; elles ont ôté le libre arbitre et livré le monde à la fatalité. Le jansénisme présente à l’homme la « face hideuse » de l’Évangile ; il l’abîme dans la profondeur de sa misère et de son néant, et il dresse devant lui l’inaccessible perfection où il faut qu’il atteigne. Il le désespère, l’écrase, l’oblige de renoncer à tout ce qui fait la vie aimable et douce, à la science même et à l’exercice de l’esprit : une seule œuvre est nécessaire et permise, celle du salut, dont la pensée doit être la seule pensée de l’homme, et toute sa vie.

Par cette austérité de leurs enseignements, et par les grands exemples qui la soutenaient, les jansénistes ont exercé sur le xviie siècle une influence disproportionnée à leur nombre, et qui contraste avec leur oppression. Aussi bien étaient-ils au gré du siècle par la forme de leur esprit ; quoiqu’on rencontre parmi eux quelques âmes tendres et mystiques, en général leur ascétisme est plus intellectuel que sentimental : ce sont de rudes dialecticiens, âpres disputeurs, subtils tireurs de raisonnements, infatigables chercheurs de clarté et d’évidence logique. Ils ont été des premiers à s’emparer du cartésianisme, ils en ont neutralisé l’esprit en s’en appropriant la méthode. Le principe même de leur hérésie dogmatique est tout rationaliste : c’est en appliquant la raison aux choses de la foi, en refusant de s’incliner devant le mystère, en s’obstinant à résoudre une contradiction que l’Église se résigne à ne pas lever, qu’ils ont élevé la toute-puissance de la grâce sur les ruines du libre arbitre ; leur doctrine est une tentative pour reculer la limite de l’incompréhensible dans le dogme.

Héros de la volonté, par le perpétuel effort de leur conduite, maîtres de la raison, par les infatigables argumentations de leurs livres, à ce double titre ils dominèrent leur siècle ; et ainsi s’est fait que tout ce qui n’était pas épicurien ou jésuite, a relevé d’eux plus ou moins. Il y eut, hors de leur secte, sans nulle adhésion à celles de leurs opinions que l’Église condamnait, nombre de gens qui tinrent à Port-Royal ; et à vrai dire ces jansénistes du dehors furent, ou peu s’en faut, tout ce qui avait de l’élévation dans l’âme et dans l’esprit, mondaines pieuses, telles que Mme de Sévigné, catholiques soumis et fervents, tels que Bossuet, ou rationalistes chrétiens, tels que Boileau.

Une des meilleures choses du jansénisme, ce furent ses écoles. Port-Royal ne fit pas beaucoup pour l’éducation des filles ; le règlement rédigé par Jacqueline Pascal en 1657 en est la preuve. Mais l’école de Port-Royal des Champs, où les garçons recevaient l’enseignement d’hommes tels que Lancelot, Nicole, Arnauld, fut en son temps un établissement modèle [7]. Par une contradiction qui n’est qu’apparente, ces contempteurs de l’esprit, humain, et qui rangeaient l’amour de la science parmi les concupiscences mortelles, donnaient aux enfants la plus solide instruction. Ils mettaient la piété au-dessus de tout, mais ils s’efforçaient de former la volonté et le jugement, afin qu’on pût faire en ce monde tous les devoirs d’un état honnête. Leur principe, excellent et fécond, était que toutes les connaissances où consiste la matière de l’instruction ne sont pas à elles-mêmes leur but, mais sont seulement des moyens d’élever, de fortifier l’intelligence. Rien de plus large que l’esprit de leur enseignement, rien de meilleur, pour le temps, que leurs méthodes, dont leurs rivaux, et surtout l’Université, s’inspirèrent bientôt. Ils contribuèrent ainsi très sensiblement à élever le niveau intellectuel de leur époque. Par leur science et leur culte de l’antiquité latine, ils servirent efficacement la cause de l’art classique ; par leur connaissance du grec, qui nulle part ne fut enseigné comme à Port-Royal, ils travaillèrent à mettre l’art classique en contact avec les plus parfaits modèles, à le rapprocher de la plus simple beauté ; ils lui offrirent un moyen de s’élever encore au-dessus de lui-même. En un mot, ils n’ont pas fait Racine, mais ils l’ont formé : c’est là qu’il a pris son goût, son sens exquis de l’hellénisme, c’est à eux d’abord qu’il doit de n’avoir pas sombré dans le bel esprit précieux. À ce seul titre, le jansénisme occuperait une grande place dans le mouvement intellectuel du xviie.

Mais il a eu des écrivains, de bons et solides écrivains, un seul grand, mais tel que ni en ce temps-là ni en aucun temps il n’y en a de supérieur. Antoine Arnauld [8], l’intrépide docteur, jusqu’à quatre-vingt-deux ans disputa contre toutes les « erreurs » dont il estimait la foi menacée, erreurs des jésuites, erreurs des protestants, erreurs de Malebranche. Ce farouche théologien était un lettré délicat ; la longue lettre qu’à soixante-dix-huit ans, exilé, errant, aveugle, il dicta pour défendre Boileau devant Perrault fait grand honneur à son esprit. Mais il n’eut ni la volonté ni la puissance d’être un artiste : il fit œuvre de théologien, de philosophe, de logicien, jamais pour ainsi dire œuvre d’écrivain ; dans aucune de ses polémiques, il ne fit un de ces livres « absolus » qui dépassent l’occasion d’où ils naissent et lui survivent. Il a trop écrit et trop vite, avec un désintéressement littéraire que ne compensait pas son tempérament. Nicole [9], son second dans mainte querelle, son collaborateur dans la Logique de Port-Royal, moins fougueux et moins infatigable que lui, doit à Mme de Sévigné d’être encore connu : c’est elle qui a préservé de l’oubli les Essais de ce moraliste sensé, sans profondeur et sans éclat.

Toute la force et toute la gloire littéraires de Port-Royal, en somme, si l’on met Racine à part, sont ramassées dans Pascal : il représente pour nous toute la hauteur intellectuelle et morale de la doctrine janséniste, qu’il agrandit de la vaste originalité de son génie.


3. VIE DE PASCAL.


S’il est inutile pour comprendre le théâtre de Corneille d’étudier les circonstances de sa vie, la biographie de Pascal est inséparable de son œuvre ; il n’y a pas d’écrivains qui soit plus engagé dans ses livres de toute sa personne et de toutes les parties de son humanité.

Blaise Pascal [10] est né à Clermont, le 19 juin 1623, troisième enfant d’Étienne Pascal, président à la cour des aides de Clermont. En 1631, son père s’établit à Paris ; il s’occupe de sciences physiques et mathématiques ; et des savants, le Père Mersenne, Roberval, fréquentent sa maison. À douze ans, le petit Blaise, dont on ménageait la délicatesse, donne de telles marques de son goût pour les mathématiques, que son père se décide à le laisser s’y appliquer librement : à seize ans, un de ses travaux, un traité des sections coniques, étonnait Descartes ; puis il s’occupe d’applications pratiques ; il construit une machine à calculer. Son instruction littéraire paraît avoir été fort courte ; de ce côté Pascal est un « ignorant » de génie : c’est l’effet qu’il produira plus tard à tout le monde. De bonne heure, dès 1641, épuisé de travail, il ressent les atteintes de la maladie qui n’aura pas sur le fond de son œuvre l’influence capitale qu’on prétend parfois, mais qui, du moins, exaspérant sa sensibilité, donnera à son style un frémissement singulier.

La famille Pascal était pieuse : un accident la donna au jansénisme. Étienne Pascal, devenu intendant à Rouen, s’étant cassé la jambe sur la glace, fut visité par deux gentilshommes normands qui firent lire au jeune Blaise Jansénius, Saint-Cyran, Arnauld. La logique de la doctrine séduisit l’esprit du savant : il se jeta dans le jansénisme avec tout l’emportement de sa fougueuse nature ; et pour première marque de son application à la théologie, il dénonça à l’archevêque de Rouen un certain frère Saint-Ange, dont la philosophie ne lui semblait pas orthodoxe. Il se fit aussi apôtre dans sa famille : il convertit son père et sa sœur Gilberte (Mme Périer) [11], natures pondérées, et sérieuses sans violence, qui furent jansénistes avec une fermeté paisible ; mais son autre sœur Jacqueline, une âme de même étoffe que la sienne, fière et ardente, médita dès lors de quitter le monde.

À partir de ce moment, Pascal est acquis au jansénisme. Mais il reste dans le monde, et continue ses travaux. En 1648, il fait et fait faire à Paris, à Rouen et à Clermont les fameuses expériences qui mettent en évidence la pesanteur de l’air. Il écrit sa Préface d’un traité du Vide, le morceau fameux où, rejetant le culte de l’antiquité dans les sciences, il expose la théorie scientifique du progrès. Au milieu de ces travaux, chaque crise qui froissait son âme maladive met à nu la profondeur de sa foi janséniste : de là la Prière pour le bon usage des maladies (1648), et de là la Lettre sur la mort de M. Pascal le pére (1651). Même le germe de la conception qui inspirera les Pensées, de ce qu’on appellera inexactement le scepticisme de Pascal, existe déjà dans son esprit : la Préface du traité du Vide admet l’impossibilité d’atteindre à la certitude autrement que par la révélation, en matière de théologie ; la raison même, au progrès de laquelle il croit et travaille, n’a point ici de méthode qui vaille.

Cependant il mène une vie assez mondaine, à Clermont et à Paris. La mort de son père a relâché autour de lui les liens de la famille. Gilberte est en Auvergne, mariée à un magistrat. Jacqueline, dès la mort de son père, a déclaré sa volonté d’entrer à Port-Royal. Chose étrange : c’est Pascal qui s’y oppose. Il y eut là une lutte pénible, que compliquèrent des questions d’intérêt : enfin Jacqueline l’emporta et devint la sœur Sainte Euphémie (1653). Resté seul et libre, il se répandit davantage dans le monde. De ce temps serait ce Discours des passions de l’amour qu’on lui attribue : certaines propositions et le ton général de l’ouvrage sentent l’épicurien ; cette fois, le jansénisme de Pascal fut sérieusement en danger. Il songea même à se marier. C’est dans cette dissipation mondaine qu’il rencontre et fréquente des libertins, tels que Desbarreaux et Miton : mais l’homme qui eut alors sur lui le plus d’influence, ce fut le chevalier de Méré [12], un fat de beaucoup d’esprit et d’une intelligence singulièrement pénétrante, qui lui fournit le principe de quelques-unes de ses vues les plus profondes.

Une grande question semble avoir dès lors fortement préoccupé son intelligence : il cherchait une certitude, et si vraiment, comme le disaient les théologiens, il n’y en avait pas hors de la vérité revélée. C’est là ce qu’il demandait aux philosophes, à Épictète, à Montaigne.

Mais surtout il aspirait au bonheur : il le réclamait ; il en demandait la voie aux philosophes ; il le cherchait dans la science, par l’exercice de la pensée ; il le rêvait au moins dans la vie mondaine, par la jouissance des passions. Un accident de voiture, où il fut sauvé par miracle, auprès du pont de Neuilly, très certainement aussi l’évolution naturelle de ses idées [13], l'impossibilité d'atteindre le bonheur permanent, infini où il aspirait, et enfin l’insoluble mystère — psychologique ou théologique — de la grâce amenèrent la crise définitive : cette nuit du 23 novembre 1654, nuit d’extase et de joie, où face à face avec son Dieu, Pascal se donne tout à lui, et pour toujours. L’engagement en est consigné dans cette prière enflammée que Pascal depuis porta toujours sur lui, cousue dans la doublure de son habit. Cette fois il avait, non pas exécuté définitivement l’abdication de son intelligence, mais trouvé la vérité supérieure qui pouvait mettre l’unité dans sa vie intellectuelle et morale, la vérité où étaient compris toute certitude et tout bonheur.

Pascal donne à Port-Royal un esprit tout laïque, formé aux méthodes et imbu des notions de la science et de la philosophie, assez ignorant de la théologie : de son Entretien avec M. de Saci, il résultera qu’au moment d’entreprendre ses rudes campagnes contre l’erreur et l’incrédulité, ce défenseur de la foi connaît les philosophes, et n’a pas lu les Pères de l’Église : il n’en aura jamais qu’une connaissance superficielle. Et de là même sa puissance sur le monde laïque : idées, méthode, style, tout en lui est du savant et de l’honnête homme, rien du théologien.

En 1655, un curé ayant refusé l’absolution au duc de Liancourt, parce qu’il avait sa petite fille à Port-Royal, Arnauld écrivit sur ce refus deux lettres qui irritèrent les ennemis du jansénisme, et furent menacées d’une censure en Sorbonne. Le parti se résolut alors à en appeler au sens commun, à l’équité naturelle du public, et Arnauld, ne se sentant pas le talent qu’il fallait pour cette entreprise, engagea Pascal à la tenter : du 23 janvier 1656 au 24 mars 1657, dix-huit lettres parurent, anonymes, imprimées clandestinement, bravant toutes les fureurs de l’ennemi qu’elles écrasaient. On les réunit ensuite sous le titre de Lettres de Louis de Montalte à un Provincial de ses amis et aux R. R. P. P. Jésuites sur la morale et la politique de ces Pères. L’exaltation de Pascal pendant cette polémique est incroyable. Il reçut une grande joie quand sa nièce, la petite Marguerite Périer, fut guérie miraculeusement au contact d’une relique conservée à Port-Royal, une épine de la couronne de Jésus-Christ : ce miracle, tombant au cours de ses démêlés avec les jésuites, lui apparut comme une manifeste approbation de Dieu. Et vers le même temps, sur de sa vérité, il jetait durement, cruellement, dans le cloître Mlle de Roannez, une pauvre et faible âme que son impérieuse direction brisa.

Il conçut ensuite le projet d’une Apologie de la Religion chrétienne, telle, bien entendu, que la définissait le jansénisme. Il y travailla tant qu’il put, au milieu de souffrances aiguës : la maladie maintenant ne le laissait plus. Mais il avait conquis le bonheur avec la vérité : il était serein et souriant. Il se savait au nombre des élus : il écrivait l’étrange et admirable Mystère de Jésus. Ses souffrances même étaient un signe de son élection : il les redoublait, croyant aider à la grâce et collaborer à la miséricorde de Jésus. Il s’ingénia à s’inventer des souffrances, des gênes : il persécuta son pauvre corps avec des raffinements incroyables de dureté. Il mourut le 19 août 1662.

Ce fut une fière nature, à l’énergie indomptable, aux passions de flamme, d’un amour-propre ardent, qui put bien s’épurer, mais non pas s’éteindre par la foi, d’une personnalité impérieuse, qui le fit intraitable à se conserver l’honneur de ses recherches scientifiques, et qui l’amena dans sa pénitence à exiger instamment de Jésus qu’il lui eût donné sur la croix une pensée, une goutte de son sang, personnellement, à lui Pascal, pour sa rédemption particulière : nature tourmentée et superbe, qu’aigrit encore et troubla la maladie, intelligence puissante, étendue en tous sens et comme en toutes dimensions, un des plus beaux et plus forts esprits d’homme qu’il y ait jamais eu.


4. LES PROVINCIALES.


Les quatre premières Provinciales traitent de la censure d’Arnauld, et de la Grâce : puis Pascal élargit le débat, et va à l’essentiel, en traitant dans les lettres V à XVI de la morale des jésuites. Les lettres XI à XVI sont adressées aux Révérends Pères eux-mêmes, dont les réponses sont réfutées dans la XIIIe ; les deux dernières, adressées au P. Annat, de la Société, discutent la question si les jansénistes sont des hérétiques.

Ces vigoureux pamphlets firent une impression profonde : le Parlement de Provence les condamna, Rome les condamna (sept. 1657) : à Paris, en 1660, sur le rapport d’une commission ecclésiastique, le Conseil d’État fit brûler la traduction latine que Nicole, sous le pseudonyme de Wendrocke, avait donnée des Provinciales : il est vrai que l’arrêt visait surtout une note du traducteur, où l’on vit une offense à Louis XIII.

Cependant on ne peut dire que Pascal ait eu le dessous même dans l’Église : tandis que son parti était vaincu, son livre triomphait, et jamais depuis, la Compagnie de Jésus ne s’est remise du coup qu’il lui a porté. Il a créé contre elle un ineffaçable préjugé et fourni des armes à tous ceux qui l’ont crainte ou haïe. Dès 1656, les curés de Rouen, puis ceux de Paris déféraient à l’Assemblée du Clergé 38 propositions de morale relâchée ; en 1658, les curés de Paris dénonçaient au Parlement, à la Sorbonne et aux vicaires généraux une Apologie des Casuistes, qui fut condamnée. Alexandre VII en 1665, Innocent XI en 1679, condamnèrent la morale relâchée. Bossuet, en 1682, en prépara une censure pour l’Assemblée du Clergé, qui n’eut pas le temps de la voter ; mais en 1700 il reprit le même dessein, et cette fois le mena à bout. Enfin, en 1773, dans la bulle de suppression de l’ordre des jésuites, l’un des considérants indiqués par le Pape est la morale pernicieuse de leurs casuistes. Tout cela, et mainte manifestation de la libre pensée moderne contre la Compagnie, tout cela sort des Provinciales et n’est que la suite du mouvement créé par Pascal.

Il est certain que les Provinciales sont très fortes, et les défenses des jésuites très faibles : la meilleure, celle du Père Daniel, parut en 1694, et prouve par sa date que, près de quarante ans après l’attaque, ceux qui en étaient l’objet n’estimaient pas l’avoir encore repoussée. On a chicané Pascal sur l’exactitude des textes qu’il cite : mais il s’est bien gardé. Il avait lu deux fois la Théologie morale d’Escobar [14] ; et ses amis lisant les autres casuistes lui fournissaient des citations [15], qu’il vérifiait toujours scrupuleusement. De fait, on n’a pu le prendre en faute là-dessus.

Mais n’était-ce pas un subterfuge d’assez mauvaise foi, que de passer de la grâce à la morale, et de déplacer ainsi la question ? Non : c’était montrer la valeur de la question : car il est certain que la vie chrétienne est le but, et le dogme de la grâce un moyen.

Mais alors, ne peut-on chicaner Pascal sur ses conclusions, et ne sont-elles pas manifestement outrées ? Voltaire, qui après tout s’accommode mieux des doux jésuites que des âpres jansénistes, accuse Pascal de calomnie pour avoir reproché à la Compagnie de corrompre les mœurs. Pascal rend justice à la pureté de la vie des Pères, et ne leur prête nulle part le dessein exprès de favoriser la corruption : il dit que la Société poursuit un but politique, la domination des consciences pour le compte de Rome, et fait plier la morale de l’Évangile à sa politique, pour attirer les âmes par la religion aimable et le salut facile.

On l’a repris aussi d’avoir confondu casuistes et jésuites, comme si tous les ordres religieux n’avaient pas leurs casuistes : le fait est vrai ; mais il est vrai aussi que les autres ordres sont perdus au sein de l’Église ; les jésuites existent à part, forment un parti, ayant unité de vues et d’ambition, et la casuistique leur a été plus propre qu’à personne ; elle n’a été qu’un accident ailleurs, elle a été chez eux une méthode de domination.

Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait de l’injustice dans la polémique des Provinciales comme dans toute polémique. D’abord la casuistique semble y être enveloppée dans la condamnation des casuistes : c’est en méconnaître l’innocence, la légitimité, la nécessité ; la casuistique est l’art d’appliquer les principes de la science morale, elle est nécessaire toutes les fois qu’il s’agit de passer de la théorie à la pratique, de la loi universelle aux cas particuliers : dans tous les conflits de devoirs, et dans les situations complexes, elle seule éclaire l’homme. Les stoïciens même en ont fait usage.

Et parmi les innombrables décisions des casuistes, faut-il ne relever que le nombre — considérable encore, mais relativement restreint — des décisions immorales ? Il est certain que l’esprit général de la casuistique catholique tend à adoucir l’austérité de la morale évangélique. Mais doit-on oublier que c’est là un des expédients nécessaires par lesquels s’est faite l’adaptation du christianisme à son rôle de religion universelle, et que ces subtilités de procédure théologique qui aboutissent à tourner la loi par la considération des espèces, ont l’avantage de laisser théoriquement entier l’idéal chrétien ? C’est comme un délicat et sensible appareil qui permet à l’Église de relever ou d’abaisser le niveau de ses commandements, pour obtenir à chaque moment des consciences la plus grande approximation réellement possible dans la poursuite de la perfection morale. Si l’admirable aspiration de quelques doux rêveurs a pu devenir la loi de sociétés immenses, c’est que la casuistique a transposé l’utopie irréalisable en précepte pratique, et ses décisions représentent souvent, en face de la folie ascétique, le ferme et naturel bon sens.

Sans insister plus qu’il ne convient, on ne peut cependant omettre de dire qu’il y avait dans les gros recueils des casuistes une floraison d’imagination subtile et romanesque, fort analogue à celle qui se révèle dans la composition des thèmes oratoires sur lesquels s’exerçaient les rhéteurs de l’empire romain, et que, tout en condamnant la bizarrerie immorale de ces jeux d’esprit, il ne faut pas pourtant en exagérer la conséquence. Il est vrai aussi que ces lourds bouquins, scolastiques presque toujours de style et de langue, étaient plus à l’usage des directeurs que des fidèles, et servaient plus à absoudre l’irréparable passé qu’à autoriser les fautes à faire. Et enfin, si l’on songe que la terre d’élection de la casuistique lut l’Espagne, et quelles conséquences temporelles y pouvait avoir, sous le régime de l’inquisition, un refus d’absolution entraînant l’exclusion des sacrements, on sera tenté d’excuser un peu l’intention des complaisants casuistes qui employaient leur esprit à « enlever les péchés du monde ».

J’admets donc qu’il y ait de l’injustice ou de l’excès dans les attaques de Pascal, et j’en fais la part aussi large que possible : mais il reste qu’en gros il a fait une œuvre juste et salutaire. Les raisons qui pouvaient atténuer en Espagne le relâchement de la morale religieuse n’existaient pas en France, et certains jésuites français avaient écrit déjà en notre langue, offrant à tous le libre usage de leur indulgence. L’indépendance et le haut essor de la raison laïque rendaient chez nous ces complaisances plus meurtrières à la religion : entre les mains des casuistes, l’originale hauteur de la morale chrétienne s’amortissait, se fondait, s’aplanissait, et tendait à se mettre de niveau avec la mollesse équivoque de la morale mondaine.

Pascal et le jansénisme ont rendu au christianisme sa raison d’être, lorsqu’ils l’ont ramené à être un principe d’effort moral, lorsqu’ils ont remis dans le chemin de la vertu ses épines et ses ronces. Ils ont eu raison même absolument, en dehors de tout dogme, du seul point de vue de la conscience, lorsqu’ils ont rétabli la lutte incessante, obstinée contre l’instinct et l’intérêt, l’inquiétude de tous les instants, comme les conditions de la moralité, et qu’aux décisions des directeurs complaisants ils ont opposé leur rigorisme, l’obligation, dans tous les cas douteux, de choisir le parti le plus dur, et de décider contre l’égoïsme, par la seule raison qu’il est l’égoïsme.

Il y avait aussi quelque chose d’inquiétant, de scandaleux même, dans l’opération logique qui tirait de la règle une pratique contraire à l’esprit de la règle : l’avantage de sauver la règle cédait ici à l’inconvénient de blesser les consciences par l’équivoque tortueuse et la subtilité hypocrite. C’est ce que sentirent les gens du monde qui, sans aucun goût jour l’ascétisme chrétien, applaudirent à la dénonciation de la morale facile : ils voulaient bien faire ce que les casuistes autorisai en t, se dispenser du jeûne, se battre en duel, cajoler les dames, prêter à intérêt ; mais ils voyaient bien que ces choses-là ne s’autorisaient pas par les principes dont les casuistes les dérivaient. Quiconque aimait la franchise et la sincérité, fut avec Pascal.

Enfin les Provinciales sont un acte de bon goût, et comme de salubrité esthétique et littéraire : il était bon, au temps où la littérature profane allait se débarrasser du romanesque espagnol, de barrer la route aussi aux fantaisies extravagantes où l’imagination religieuse se complaisait de l’autre côté des Pyrénées. En écrivant ses pamphlets, Pascal se faisait le défenseur de la raison classique dans le domaine de la religion.

Il y a un point où les adversaires de Pascal avaient raison : c’est quand ils l’accusaient de rire des choses saintes. Je n’ai pas besoin de dire que Pascal riait seulement des jésuites, et qu’il respectait la religion autant qu’aucun de ses adversaires, en la comprenant mieux. Cependant ceux-ci avaient plus raison qu’ils ne croyaient eux-mêmes. Pascal a frayé la voie à Voltaire : et voici comment. Une des réponses qu’on lui opposa notait le « ton cavalier » de sa polémique ; disons l’accent laïque. C’est un homme du monde qui parle aux gens du monde : une raison qui se communique à la raison de tous. Voilà le danger. Il est le même que lorsque les Réformateurs avaient convié le peuple à examiner les Écritures ; ils ne pensaient pas non plus travailler au profit de l’irréligion. Pascal croit servir la vérité du Christ ; il l’affaiblit. Car il la livre aux discussions des profanes. Il tire hors de l’École et de l’Église les matières théologiques ; il propose à la raison laïque de décider sur tel dogme, telle doctrine, entre tels et tels théologiens. D’autres appliqueront la même méthode à tout le dogme, et poseront la question entre la raison elle-même et la foi. Pascal énumère les sottises des casuistes, et les confond par l’extravagance qu’y découvre le sens commun : d’autres étaleront les sottises des Pères, les sottises de la Bible, et ruineront la religion en l’opposant au sens commun. Pascal a fait tort à la religion, parce que toutes les polémiques violentes où les théologiens la donnent en spectacle au public sont mauvaises pour elle ; et il lui a fait tort plus qu’un autre, parce qu’il a employé à traiter des problèmes théologiques des armes toutes laïques, les seuls moyens et la seule autorité de la raison.

Mais c’est cela même qui fit le succès du livre, et qui en fait encore aujourd’hui la beauté supérieure. Ne parlant qu’à la raison, il a fondé solidement ses arguments sur des bases éternelles, sur les principes essentiels de la moralité et de l’intelligence humaines, sur notre impérissable sens du vrai et du bien : il a dû pour cela sonder ces questions théologiques qu’il débattait, jusqu’à ce qu’il eût découvert le fond solide des lieux communs où la vie morale de l’homme est nécessairement comprise. Par là ce pamphlet est demeuré un des livres que lira toujours quiconque, chrétien ou non, cherchera sa règle de vie : il a réalisé cette loi des grandes œuvres d’art, de dépasser les circonstances contingentes qui lui ont donné l’être, et de revêtir un intérêt absolu, universel.

Toutes les sortes d’éloquence y sont renfermées, comme a dit Voltaire : vigueur de raisonnement, ou de passion, ironie délicate ou terrible. Villemain disait qu’il estimerait moins les Provinciales si elles avaient été écrites après les comédies de Molière : on comprendra ce jugement paradoxal, si l’on regarde avec quelle puissance expressive, quel sens du comique, et quel sûr instinct de la vie, sont dessinées les physionomies des personnages que Pascal introduit ; deux pères jésuites surtout, subtils et naïfs, celui dont l’ample figure occupe la scène de la 5e à la 10e lettre, et celui dont la vive esquisse illumine la 4e Provinciale. Il y a là un art singulier de traduire les idées abstraites en actes, en gestes, en accents, en un mot une réelle force d’imagination dramatique.

Mais ce qu’il y a de plus admirable dans l’œuvre, c’en est la simplicité, l’objectivité : toute la personne de l’auteur s’efface de l’œuvre en la construisant ; elle est toute ramassée dans l’expression, absente volontairement de la matière. Tout est subordonné à la démonstration que l’écrivain veut faire : il n’applique son rare génie qu’à choisir les meilleurs moyens de l’opérer. Tout, ainsi, est argument, et tout est efficace, véhémence et raillerie, logique abstraite et dramatique imagination. Pour les règles, l’auteur n’en reçoit que de son sujet : et dans le mépris de la rhétorique il trouve le plus juste emploi et le maximum de puissance de tous les moyens de la rhétorique, qui, chez lui, sont reçus de la nature des choses, qui partout sont les formes propres et nécessaires, partout aussi les formes simples et naturelles. Aussi, du coup, l’éloquence française égale-t-elle la perfection souple et la sublimité aisée de l’éloquence attique : Démosthène est comparable, point du tout supérieur à Pascal.

Les Provinciales sont, dans notre prose, le premier chef-d’œuvre du goût classique. C’est une œuvre de raison, non seulement parce que l’objet en est une démonstration et la méthode une suite de raisonnements, mais surtout parce que, selon la raison, elle ne nous parle jamais de son auteur, toujours de son sujet, et parce qu’elle a un caractère universel de vérité et de beauté. C’est une œuvre d’art aussi, d’un art qui s’emploie à manifester uniquement la raison. Mettant à profit la grande leçon de Malherbe, Pascal a laborieusement, lentement, patiemment amené son ouvrage à être l’expression pure et parfaite de sa pensée : il ne s’est pas contenté du premier effort de sa nature, si richement douée. Ayant dû improviser à peu près les trois premières lettres, dès qu’il peut, il travaille, il corrige : il refait, dit-on, treize fois la 18e lettre ; et par un mot profond, il s’excuse de n’avoir pas fait la 16e plus courte faute de loisir. Son idéal est de trouver les voies les plus rapides, les moins pénibles, et les plus sûres de la persuasion : il compose rigoureusement, il donne à ses discussions la rigueur et la clarté d’une démonstration scientifique. Il évite toutes les déperditions de forces : tout ce qui n’est pas nécessaire est inutile. Il choisit ses mots avec un sens si juste de leur propriété, de leur efficacité, qu’après 250 ans il n’y a pas une page pour ainsi dire de son œuvre, dont l’énergie se soit dissipée, ou dont la couleur se soit altérée.


5. LES PENSÉES.


Pascal n’avait pu terminer son Apologie de la Religion chrétienne : les fragments qu’il avait rédigés furent publiés en 1670 par MM. de Port-Royal, assez inexactement, avec toute sorte de retranchements et de corrections, mais en somme de la seule façon qui put en ce temps-là faire passer et faire goûter l’ouvrage. Le texte authentique des Pensées a été signalé en 1843 par Victor Cousin, et plusieurs fois publié depuis.

Le plan que Pascal se proposait de suivre est connu dans ses grandes lignes, d’abord par la Préface de l’édition de 1670, on Étienne Périer l’expose tel que son oncle l’avait développé devant quelques amis vers 1658 ou 1659 [16], puis par certains fragments qui se rapportent à l’ordre et aux divisions du livre. Voici la plus importante de ces notes :

« Les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison ; ensuite, qu’elle est vénérable, en donner respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie, et puis montrer qu’elle est vraie. — Vénérable, en ce qu’elle a bien connu l’homme ; aimable, parce qu’elle promet le bien (éd. Havet, art. XXIV, 26).

Si nous combinons ces indications avec le plan d’Étienne Périer, qui ne détache pas nettement la 1re et la 3e des parties distinguées par Pascal, mais les indique pourtant, voici comment nous nous représenterons le dessein de Pascal.

La religion n’est pas contraire à la raison. — Cette partie est une préparation, pour disposer le lecteur à ne point mépriser par préjugé la religion, pour lui faire comprendre qu’il se pourrait qu’elle fût logiquement défendable, pratiquement efficace. Après le discours contre l’indifférence des athées (art. IX), qui vaut comme une introduction générale de l’ouvrage, Pascal exposait sa thèse de l’impuissance de la raison, incapable de savoir tout, et de rien savoir certainement, réduite à juger des « apparences du milieu des choses » (les deux infinis, art. 1). La foi est un moyen supérieur de connaissance : elle s’exerce au delà des limites où la raison s’arrête (distinction de la raison et du sentiment ou du cœur). Mais quand cela ne serait point, quand aucun moyen ne s’offrirait à l’homme de parvenir jusqu’à Dieu, par la raison ou par toute autre voie, dans l’absolue impossibilité de savoir, il n’en faudrait pas moins faire comme si on savait. Car selon le calcul des probabilités, on a avantage à parier que la religion est vraie, à régler sa vie, comme si elle était vraie. En vivant chrétiennement on risque infiniment peu, quelques années de plaisir mêlé, pour gagner l’infini, la joie éternelle. Il faut donc vivre en chrétien. Mais désirer de croire n’est pas croire : on ne croit pas à volonté ; il faut la grâce. En attendant qu’on l’ait, et qu’on croie, on se préparera à la recevoir et à croire : on pliera la machine, on ira à la messe, on s’abêtira. On disposera le corps, l’automate, de façon que ses habitudes ne fassent pas obstacle aux mouvements de l’âme, quand la grâce l’inclinera [17].

Ces discours montrent qu’il peut y avoir un moyen de savoir et des raisons d’agir comme si on savait. La religion n’est donc plus une absurdité à dédaigner. Pascal entama donc ses démonstrations, sûr d’être au moins suivi.

La religion est vénérable, parce qu’elle a bien connu l’homme. Pascal peindra à l’homme sa grandeur et sa bassesse, ses avantages et ses faiblesses, toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il lui donnera ainsi la curiosité, s’il a tant, soit peu de raison, de connaître d’où vient cette étrange disproportion de sa nature ; et pour résoudre cette énigme, il l’adressera aux philosophies [18] et aux religions, dont il montrera la vanité, la faiblesse et l’impuissance. Il lui fera remarquer ensuite le peuple juif, et ce livre, qui est son histoire, sa loi, sa religion : là l’homme trouvera le récit de la chute d’Adam ; et cette idée d’une nature d’abord excellente, puis déchue par le péché, illuminera les contradictions qu’on aura d’abord relevées. La religion chrétienne, héritière de la loi juive, se présentera donc comme une hypothèse, telle qu’en emploient les sciences, qui tire sa probabilité de son adaptation aux faits constatés. Seule de toutes les doctrines philosophiques et religieuses, la doctrine de la chute explique le contraste incompréhensible de grandeur et de bassesse, qui est le trait caractéristique de la nature humaine. Elle a de plus l’avantage d'offrir la seule idée de Dieu, et du culte du à Dieu, qui soit capable de contenter la raison. La religion donc qui propose cela, qui a bien connu l’homme et bien parlé de Dieu, si elle n’est pas vraie encore, mérite du moins d’être prise au sérieux, et respectée.

La religion est aimable, parce qu’elle promet le vrai bien. L’homme a naturellement le désir du bonheur. Or la religion chrétienne est une religion d’amour. Jésus-Christ est rédempteur, réparateur : à la nature déchue et misérable, il apporte le salut, le pardon. Les élus sont destinés à la joie éternelle.

Voilà un bien pur, complet, impérissable, tel donc que la raison l’exige pour s’y attacher : incapable de manquer, incapable de lasser.

4° Mais ces deux arguments sont des arguments indirects, qui rendent la religion probable et font désirer de la trouver vraie. Il faut montrer enfin que la religion est vraie, au sens rigoureux du mot, par des preuves directes et intrinsèques. Pascal étudiera la Bible, fera valoir que seuls les Juifs ont conçu Dieu dignement, établira la vérité des livres saints et du livre de Moïse en particulier, la vérité des miracles de l’Ancien Testament, prouvera la mission de Jésus-Christ par les figures de la Bible et par les prophéties, puis par la personne même, les miracles, les doctrines, la vie du Rédempteur ; enfin il montrera dans la vie et les miracles des Apôtres, dans la composition et le style des Évangiles, dans l’histoire des saints et des martyrs, et dans tout le détail de l’établissement du christianisme, les marques évidentes de la divinité de notre religion. En poursuivant ces études, deux idées dominent l’argumentation de Pascal : 1° Credo quia absurdum : la religion, essentiellement, est choquante, absurde pour la raison, et pourtant elle s’est établie : donc son établissement est preuve de sa divinité. Des hommes l’auraient faite plus vraisemblable, ne fût-ce que pour pouvoir l’accréditer. 2° Deus absconditus : il est essentiel à la religion qu’elle soit incompréhensible, incertaine : sinon, si tout le monde la comprend, en aperçoit la vérité et la divinité, tout le monde y croira, et tout le monde sera sauvé. Or, par hypothèse, Dieu ne veut se montrer qu’à ses élus ; il se dérobe à ceux qu’il damne, pour les damner de ne l’avoir pas vu. Ces deux idées sont les moyens par où toutes les objections qu’on peut faire à Pascal sont réduites en arguments à l’appui de sa thèse. Et ainsi s’achève le dessein qu’il avait de montrer que la religion chrétienne a autant de marques de certitude et d’évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables.

On a embrouillé à plaisir le dessein de Pascal, et l’on y a cherché des difficultés, des contradictions qui n’y sont pas. Comment peut-il mépriser l’infirmité de la raison, et soumettre à la raison les preuves de la religion ? Mais dans la première partie, Pascal établit seulement l’impuissance transcendantale et métaphysique de la raison, qui ne donne qu’une certitude imparfaite dans un domaine restreint ; dans la seconde partie, Pascal parle des causes multiples qui, dans son domaine même, font errer souvent la raison, mais il sait le remède, et les règles par lesquelles on est assuré de faire un bon usage de sa raison. Il dit que le pyrrhonisme est le vrai, mais il ne dit pas que le dogmatisme soit faux, bien au contraire : le dogmatisme aussi est le vrai. Et puis le pyrrhonisme tient le dogmatisme en échec précisément sur une question qui dépasse la portée restreinte de la raison, sur une question d’essence et d’origine, sur celle de savoir pourquoi l’homme est ce qu’il est : à cette question la révélation seule répond Pascal, après cela, a donc bien le droit de s’adresser dans la quatrième partie à la raison, et de lui proposer des preuves, qui fourniront une évidence pareille, égale, et non supérieure, à cette que l’homme obtient par ses méthodes humaines dans toutes les parties de ses sciences. Les trois premières parties fourniront des probabilités, des présomptions, des preuves indirectes ou partielles ; la quatrième, une preuves directes, intrinsèques, rigoureuses, intégrale[19].

Cette quatrième partie est singulièrement faible aujourd’hui : mais il y a singulièrement de hardiesse et de pénétration dans la seule position de la question. Pascal a cherché la solution du problème de la révélation dans une critique historique et philologique des Écritures. Il prenait cette voie périlleuse pour ne manquer ni à ses principes ni à ses promesses. Il s’était engagé à démontrer la religion, et il avait établi l’impuissance métaphysique de la raison. Il fallait donc essayer de saisir Dieu dans les apparences dont la raison est juge. La raison, Pascal l’a dit dans sa 18e Provinciale, a seule droit de décider sur les faits. Si donc on traite la religion comme un fait, les miracles, les évangiles comme des faits, la raison, critiquant ces réalités sensibles, pourra y faire apparaître avec évidence un élément surnaturel et surhumain : l’action divine, insaisissable en elle-même, sera atteinte dans ses manifestations historiques.

Pascal a conduit cette originale tentative avec une rare témérité, une entière ignorance de l’histoire et de la philologie, et une volonté décidée de faire sortir des textes la vérité qui lui plaisait : il ne pouvait se douter que de la méthode qu’il indiquait, appliquée avec la rigueur impartiale de la science, devait sortir la condamnation de sa croyance. Il ne s’était pas aperçu, ce fort logicien, que le principe de la science, la croyance au déterminisme absolu des phénomènes, excluant Dieu de l’univers connaissable, implique la négation de la Révélation dans l’ordre de la science, que la méthode par conséquent contient la conclusion, et que le seul moyen de sauver la foi est de la mettre hors de la raison, sans contact immédiat et sans liaison directe avec elle.

Pour les 1re et 2e parties, l’originalité des raisonnements de Pascal est dans l’application des méthodes scientifiques au problème théologique : le physicien et le géomètre se retrouvent dans ces étonnantes démonstrations où la religion est tantôt offerte par hypothèse, comme le système astronomique de Copernic, opposé à celui de Ptolémée, se vérifie par la concordance de ses conséquences logiques avec les faits observés, et tantôt jouée comme à la roulette, sur un calcul de probabilités. Quelle force pouvaient donner à la religion ces démonstrations étranges ? Je ne sais trop, mais assurément Pascal a touché plus juste, quand il a saisi ensuite le fondement naturel et psychologique de la foi, ce désir du bonheur que l’homme ne peut retrancher de son cœur et qui, sans cesse déçu par la réalité, se recule toujours plus loin, jusqu’à ce qu’il ne trouve plus d’autre moyen de subsister que de s’élancer hardiment dans l’inconnaissable, plaçant son espérance en sûreté hors de la vie et du temps.

« Qu’on ne dise pas, écrit Pascal, que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle. Quand on joue à la paume, c’est une même balle dont on joue l’un et l’autre ; mais l’un la place mieux. » Pascal excelle à placer la balle. Il a pris sa matière partout : peu érudit en théologie, il a causé avec M. de Saci et d’autres solitaires, il a lu saint Augustin. Ses idées sur la religion, au fond, n’ont rien de nouveau : pas même ses idées morales, politiques, sociales. Celles qui sont essentiellement chrétiennes, lui sont communes avec les grands docteurs de l’Église ; Bossuet les exprimera, sans avoir besoin de s’inspirer de Pascal. Ce n’est pas à Pascal qu’il prendra l’idée du Discours sur l’histoire universelle, l’idée d’une Providence qui fait tourner l’histoire du monde autour du petit peuple juif. Ce n’est pas à Pascal qu’il prendra l’idée du néant et de la grandeur de l’homme, cette effrayante énigme dont la religion dit le mot.

D’autres théories de Pascal sont celles du temps : sa doctrine politique, au fond, se réduit à des opinions assez répandues parmi le tiers état intelligent depuis la fin du xvie siècle, et elle se retrouvera, l’accent seulement étant changé, dans la Politique de Bossuet. Mais la grande source des idées profanes, si l’on peut dire, et purement rationnelles de Pascal, c’est Montaigne, dont la pensée, les mots mêmes et les images sont sans cesse l’étoffe à laquelle il met sa façon. Il est curieux de remarquer combien Pascal, sur les sujets de morale individuelle ou générale, a l’intelligence et l’imagination obsédées par les Essais.

Il a sur l’invention la superbe indifférence de nos classiques, ou plutôt il dirige comme eux son invention moins vers la nouveauté que vers la vérité ; et l’originalité qu’il cherche est celle de l’expression et du maniement des matériaux. Il est, en effet, étonnant dans le tour et dans l’emploi des idées que d’autres ont rendues avant lui. Il a une puissance d’analyse et de raisonnement, qui y découvre toutes sortes de caractères et de liaisons qu’on ne soupçonnait pas. Il a l’art surtout de les saisir en profondeur. Jamais rien, chez lui, ne reste banal et superficiel. Les choses qu’on lit ailleurs, dans Montaigne même, sans y faire grande réflexion, ni y apercevoir grande conséquence, prennent, lorsqu’il les rend, presque dans les mêmes termes, une gravité, une portée qui saisissent l’esprit : par un mot, ou même par l’insaisissable frémissement de sa phrase, on sent qu’il y voit un monde, et on se dispose à l’y voir avec lui. Je ne sais pas de style qui ait plus de pénétration à la fois et d’envolée. C’est qu’avec la précision de son génie scientifique, Pascal ne nous montre aucun objet, qu’il ne lui ait arraché le secret de son essence intime, et qu’il n’ait suivi, aussi loin que la pensée peut aller, l’action qui en rayonne à travers l’infinité de la nature.

Ce don de profondeur, qui est l’originalité propre de l’esprit de Pascal, apparaît à chaque page dans les Pensées, surtout dans celles qui se rapportent aux deux premières parties du plan précédemment expliqué. Dans la seconde, l’enquête universelle à laquelle il se livre sur la nature de l’homme lui fournit une belle matière. Il s’agit de montrer que l’homme est un composé de grandeur et de bassesse : la grandeur, ce sont les aspirations, le rêve, l’illusion ; la bassesse, c’est la réalité, et toutes les réalités, sentiments, croyances, institutions, coutumes, arts, toute la vie morale, politique et sociale de l’homme. Il faut voir avec quelle force d’observation et de logique Pascal réduit à la fantaisie, au préjugé, à l’habitude, toute l’œuvre de l’esprit humain, hors de lui et en lui-même. Toutes les remarques portent, et il n’y en a point qui ne donnent à penser longuement, quand il explique le mécanisme de l’amour-propre, ou qu’il montre l’imagination et les nerfs plus maîtres de nous que notre raison, quand il nous promène à travers le monde cherchant une morale fixe, des lois communes, quand il sonde l’institution sociale, le principe monarchique, pour ne trouver au fond, à l’origine, que la force, et qu’il autorise si superbement le respect traditionnel des lois, de la hiérarchie, de l’hérédité dynastique. Tout l’envers du monde et de l’homme apparaît, triste à voir.

Où que son raisonnement le mène, il jette de triomphants coups de sonde : il ouvre à la pensée des voies fécondes, quand il définit l’éloquence ou le style, ou quand il jette quelques mots, obscurs et bizarres de prime abord, mais combien riches de sens, sur les caractères de la beauté. Je ne puis que renvoyer à toute cette partie des Pensées : il n’y a pas un mot qui ne soit à méditer.

Mais si l’on veut prendre rapidement une idée de la profondeur de Pascal et de l’avance qu’il avait sur son siècle, qu’on s’arrête à la question qu’il pose sur la cause de l’amour. Qu’aime-t-on en quelqu’un ? L’être, ou les qualités ? qu’est-ce que l’être sans les qualités ? Et pourtant l’être ne subsiste-t-il pas, les qualités changeant ou disparaissant ? Il y a dans cette réflexion de Pascal toute la question de l’unité, de l’identité du moi, de sa réalité : un des grands et troublants problèmes de la pensée contemporaine.

Ou bien qu’on lise ceci : « Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. » Et nous voici au centre de la grande énigme à laquelle s’attaque la science depuis un demi-siècle : ce que nous appelons aujourd’hui nature dans tous les êtres, formes et propriétés ou instincts, n’est-ce pas une collection d’acquisitions successives, fixées par l’habitude, transmises par l’hérédité ? Le mot de Pascal contient, deux siècles avant Darwin, l’essence de la doctrine évolutionniste.

Mais il n’y a rien peut-être de plus étonnant dans les Pensées que le fameux morceau des Deux Infinis, qui me paraît répondre à la première partie de son plan. Tout à l’heure, dans la seconde partie, Pascal, par un scepticisme provisoire, ou mieux par un criticisme rigoureux, fera voir à l’homme que dans toutes les formes de son activité, il a fait mauvais usage de sa raison, et que, dans toutes ses institutions, croyances, opinions, qu’il s’est imaginé bâtir sur un fondement de vérité à l’aide de sa raison, il a été la folle dupe de son préjugé, de son habitude et de ses sens. Ici, au contraire, son scepticisme transcendant s’attache à mettre en lumière l’impuissance absolue de la raison : suspendu entre les deux abimes de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, l’homme ne peut rien connaître, faute de pouvoir connaître tout, parce que tout s’entretient. Que lui reste-t-il donc, « sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses » ? Et voilà tout ce que sa raison en effet peut se flatter de saisir.

Si nous dépouillons le morceau de sa grandiose poésie, et que nous en cherchions le sens précis, nous remarquerons avec étonnement que Pascal, au temps même où la science faisait ses premiers pas, lorsque le premier emploi des méthodes et des instruments remplissait d’orgueil et d’espérance, mesure avec sûreté le domaine de la science et la puissance de la science. Il parle comme parlera deux siècles et demi plus tard Renan, après tant de merveilleuses découvertes qui auront fait comprendre à la fois et le progrès infini, et les étroites limites de la connaissance : il est en effet curieux de voir que Renan a refait la méditation des Deux Infinis en des termes qui rappellent étrangement Pascal [20]. Nous sommes emprisonnés dans notre univers, et de cet univers même nous ne pouvons saisir toute l’infinité : « quelque apparence du milieu des choses », voilà le connaissable, voilà la science ; mais les substances, les causes, les principes nous échappent, pendant que se déroulent sous nos yeux des séries de phénomènes qui jamais ne commencent et jamais ne finissent. La connaissance scientifique est essentiellement incomplète et relative ; c’est ce qu’aperçoit nettement Pascal, au début d’un âge scientifique, et cela désespère ce grand esprit, avide d’une certitude absolue et infinie.

Mais par là se découvre à nous une vérité qu’on s’est d’ordinaire refusé à voir : l’ascétisme janséniste de Pascal et les Pensées ne sont pas en contradiction avec le développement antérieur de son intelligence. Il n’y a pas eu de rupture dans sa vie intellectuelle : il y a eu une évolution continue, au terme de laquelle il a tout quitté pour suivre Jésus-Christ. Il n’était ni fou ni malade ; il n’a jamais été plus lui-même, plus maître de sa raison et conscient de ses actes, que lorsqu’il a semblé envahi de la folie religieuse [21]. C’est prendre les choses par le petit côté que de rendre compte de sa conversion par l’état de ses nerfs et l’acuité de ses souffrances. Du moins il faut reconnaître que sa raison aussi le conduisait à Port-Royal. C’était cette raison, en effet, qui renonçait à lui, et non pas lui à elle, lorsqu’elle lui disait qu’elle ne lui donnerait pas la connaissance complète dont il avait soif. Plutôt que de se reposer béatement, comme tant de savants, dans la science des « apparences », puisque la raison ne lui permettait rien de plus, Pascal a tourné ses yeux d’un autre côté : il a cherché s’il n’y avait pas ailleurs une source de vérité, mais de vérité totale et certaine ; il l’a trouvée, et il est allé demander à la foi une connaissance supérieure à celle que procure la raison. Il n’a pas méprisé pour cela la raison, il l’a réduite à son domaine, et il a évalué ce domaine : mais il a tout attendu de l’intuition ; il en a tout reçu, avec cette certitude qui seule pouvait donner la paix à une intelligence impatiente, insatiable comme la sienne, et incapable de s’arrêter dans une demi-science douteuse et relative. Pascal ne serait pas Pascal, si sa foi n’avait satisfait sa raison, et le dévot en lui n’a pas détruit, il a contenté le savant.

J’aurais à parler maintenant du style de Pascal : il faut être, a-t-il dit quelque part, « pyrrhonien, géomètre, chrétien » ; et son style, comme son génie, est tout cela, et tire ses qualités de cette triple essence : une analyse aiguë, un raisonnement puissant, une dévotion passionnée, voilà les éléments qui s’amalgament étrangement et font le style le plus fort, le plus suggestif, et le plus séduisant qu’il y ait. Si on l’étudie de près, on apercevra que le secret de son énergie est dans le procédé scientifique que Pascal applique aux mots, manifestant leur définition et utilisant leurs liaisons dans les emplois qu’il en fait : le respect de leur propriété, et le choix de leur place, tout se ramène là.

Ce style de savant est un style de poète. Dans notre littérature classique, qui n’a guère eu de poètes lyriques que parmi ses grands prosateurs, selon le mot de Mme de Staël, Pascal est un des plus grands. Il l’est, comme tous les autres, parce qu’il est obstinément réaliste : son imagination représente les réalités concrètes dont sont extraites les abstractions sur lesquelles il opère ; — et parce qu’il est profondément sensible : chaque acte de sa pensée, chaque idée qu’il conquiert met en jeu, exalte on blesse toutes les émotions, les affections de son âme singulièrement délicate. Il vibre, gémit, jouit dans tout son être de ce qui occupe à chaque moment sa raison.

Mais l’originalité poétique de Pascal, c’est le caractère, si je puis dire, métaphysique des inquiétudes et des images qui jettent ces flammes intenses dans son style. Jamais il n’est plus poète, plus largement, plus douloureusement, ou plus terriblement poète que lorsqu’il se place en face de l’inconnaissable. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Et ailleurs, toute cette poursuite, angoissée et superbe, de l’inaccessible infini et de l’inaccessible néant. Ici d’amples raisonnements, là un mot saisissent l’imagination frissonnante. Il faut lire aussi, dans la dernière moitié des Pensées, nombre de morceaux, où s’exalte et crie l’âme de Pascal, en face du mystère chrétien, mystère qui fait sa certitude, et où pourtant il s’abîme, mais avec quelles délices et quel triomphe ! Pascal est un grand poète chrétien, à placer entre sainte Thérèse et l’auteur inconnu de l’Imitation ; tant il a rendu avec force la poésie de la religion : non la poésie extérieure, mais la poésie intime, personnelle, qui coule de l’âme croyante et unie à son Dieu. La tendresse même et la suavité ne lui ont pas fait défaut : il a vu même le Christ de douceur et d’amour. Il a rendu surtout l’appel ardent, impérieux, désespéré à la fois et confiant, de l’âme pécheresse au Rédempteur : son Mystère de Jésus est un poème d’une grandiose et bizarre sublimité.

Que de choses resteraient à dire encore ! Mais Pascal n’est pas de ces auteurs qu’une étude peut épuiser. Il est du petit nombre que la lecture seule révèle, et qui, une fois lus peuvent toujours se relire, découvrant, suggérant toujours de nouvelles idées à l’esprit attentif [22].

  1. À consulter : Racine, Histoire de Port-Royal, éd. Gazier, 1909. Thomas Dufossé, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, éd. Complète, par M. Bouquet, 1876-1879. Sainte-Beuve, Port-Royal, 7 vol. in-16. Séché, les Derniers Jansénistes, 3 vol. in-8, Paris, 1891-92. Brunetière, Études critiques, t. IV.
  2. À consulter : Le P. Garasse, Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, 1623 ; Mémoires, éd. Nisard, 1861. L’Estoile, Tallemant, Mme de Motteville, Guy Patin, Saint-Évremond, passim. Lachèvre. Le procès du poète Théophale de Viau. 2 vol., 1909. Perrens, les Libertins au xviie siècle, 1896 G. Lanson, Revue des Cours, 1908-1909.
  3. L’Église laissait à la liberté des fidèles l’option entre les systèmes qui concilient le libre arbitre et la grâce, celui de saint Thomas, où domine la grâce, et celui du jésuite Molina, où domine la liberté. Elle n’imposait aucune de ces explications.
  4. Jansénius, évèque d’Ypres, 1585-1638. Son fameux ouvrage, intitulé Augustinus, fut publié en 1640 par ses amis.
  5. Il y revint aussi des religieuses à partir de 1648.
  6. Ils étaient trois frères, neveux d’Arnauld : Antoine Le Maître, Le Maître de Saci, traducteur de la Bible et de Térence, et Le Maître de Séricourt.
  7. Il y a quelques élèves dès 1637 autour de M. Singlin. Les petites écoles se développent à Paris en 1646, puis à Port-Royal des Champs.
  8. L’avocat Arnauld, qui plaida à la fin du xvie s. contre les jésuites, eut 22 enfants, parmi lesquels une fille fut la mère des trois Le Maître, 2 autres furent les mères Angélique et Agnès, abbesses de Port-Royal, et 5 autres y furent religieuses. Parmi les fils, Arnauld d’Andilly (Journal, Jouaust, 1892, in-8) eut 5 filles à Port-Royal, et 3 fils (dont le marquis de Pomponne) ; un autre fut l’évêque d’Angers, et le plus jeune, vingtième enfant de l’avocat, fut le grand Antoine Arnauld (1612-1694). Il donna en 1643 son traité de la Fréquente Communion, fut censuré par la Sorbonne en 1656, s’en alla en exil en 1678, et y mourut. Lettres, Nancy, 1729, 9 vol. in-12. Œuvres. Lausanne. 1775, 45 vol. in-4.
  9. Nicole (1628-1695) suivit Arnauld en exil, mais se lassa et obtint de l’archevêque de Paris la permission de rentrer à Paris. Les premiers Essais de morale et instructions théologiques parurent en 1671.
  10. Éditions : Provinciales : éditions séparées, en feuilles, du 23 janvier 1656 au 24 mars 1657 ; recueils, Cologne, P. de la Vallée [Amsterdam, Elzévier], 1657 ; Cologne, N. Schoute, 1659. Trad. latine de Wendrocke (Nicole), Cologne, N. Sehoute [Amsterdam, Elzévier], 1658. Pensées : éd. de Port-Royal, 1670 ; éd. de Condorcet. 1776 ; éd. de Bossut. 1779 ; éd. Framtin, 1835 (revue en 1853) ; éd. Faugère (1re édit, conforme au manuscrit, signalé par le rapport de V. Cousin), 1844 ; éd. Havel, 1851 ; 2e édit., 1866, Paris, Delagrave, 2 vol. in-8 ; éd. Astié, Paris et Lausanne, 1857 ; éd. V. Rocher, Mame, 1873 ; éd. Molinier, Lemerre, 1877 ; éd. Michaud (dans l’ordre du manuscrit), Fribourg, in-4. 1896. Les Provinciales, éd. Faugère, Coll. des Grands Écriv., 2 vol. in-8, 1887-95 Œuvres completes, 1re série (jusqu’au Mémorial de 1654), p. p. L. Brunschvieg et P. Boutroux, 3 vol. in-8, 1908, 3e} série (Pensées) 3 vol. in-8, 1904 (Coll. des Gr. Écriv.), E. Jovy, Pascal inédit, 1908. — À consulter : Voltaire, Remarques sur les Pensées de Pascal ; A. Vinet, Études sur Pascal, in-8, 1846 ; Bertrand, Pascal in-8, 1890 ; Droz, le Scepticisme de Pascal, 1886 ; Brunetière, Études critiques, t. I et III ; V. Giraud, Pascal, l’homme et l’aœvre, 1899, E. Boutroux, Pascal, 1900 ; F. Mathieu, Pascal et l’expérience du Puy-de Dôme, Rev. de Paris, 1906-1907 ; F. Strowski, Pascal et son temps, 1907-1908, 3 vol.
  11. Gilberte Pascal (1620-1687) épousa en 1641 Florin Périer, conseiller à la cour des Aides de Clermont ; Marguerite Périer, la miraculée, et Étienne Périer, l’auteur de la Préface de 1670, sont ses enfants. — Jacqueline Pascal (1625-1661), esprit vif, imagination de feu, fut comme une enfant prodige, obtint à treize ans un prix de poésie. Après la mort de son père, elle entra à Port-Royal, le 4 janvier 1652. Elle fut des plus opposées au formulaire. — À consulter : Lettres, opuscules et mémoires de Mme Perier et de Jacqueline, etc., par P. Faugère, in-8, Paris, 1845.
  12. Lettres, 2 vol. in-12, Paris, 1689.
  13. Sur le rôle de la raison de Pascal dans sa conversion, cf. le traité de la Conversion du pêcheur, et la Vie écrite par Mme Périer.
  14. Liber theologiæ moralis, etc., Lyon, 1652.
  15. On peut voir, en examinant le petit écrit intitulé Théologie morale des Jésuites (1644, in-12), ce que ces amis ont fourni à Pascal : presque toute la matière des lettres IV-X est ramassée dans les 40 ou 50 pages de cette terne et sèche compilation. Et M. Strowski a montré que d’autres écrits d’Arnauld avaient été employés par Pascal : si bien que l’originalité des Provinciales n’est ni dans l’information ni dans les arguments, elle n’en est pas diminuée d’ailleurs
  16. On mieux encore le plan exposé par Filleau et La Chaise dans le projet primitif de Préface dont la famille de Pascal ne vouhit pas. Étienne Périer n’a fait que resserrer le développement de M. de la Chaise. On trouve ce discours dans l’édition des Pensées de Lyon. 1687, in-12, et même déjà dans l’éd. Desprez, Paris. 1673.
  17. Je n’oserais affirmer que ce morceau du pari ait été conçu et rédigé pour entrer dans l’Apologie.
  18. À la stoicienne, dogmatique, et à l’épicurienne, sceptique.
  19. Ou plutôt, les trois premières parties sont la démonstration rationnelle du christianisme ; la dernière est la constatation du fait de sa divinité.
  20. Examen de conscience philosophique. Rev. des Deux-Mondes, 15 août 1889.
  21. Une autre preuve de ce que j’avance, c’est l’extrême difficulté qu’on a pour discerner les Pensées qui ne se rapportent pas au dessein de l’Apologie. Pascal a eu de tout temps l’habitude de jeter sur le papier les idées qui lui venaient.
  22. Dans une étude plus ample que celle-ci, il faudrait étudier de près les écrits scientifiques, opuscules et lettres de Pascal ; eu y trouverait, outre une vive image de son humeur et de sa figure morale, l’idée nette de sa méthode et de sa logique. (Distinction des méthodes selon les objets à connaître ; à chaque ordre d’objets sa méthode spéciale. On se trompe, si l’on raisonne sur les choses de fait, dont les sens et l’observation sont juges ; ou si l’on emploie l’autorité à les établir. Observation, raisonnement, autorité : trois moyens également légitimes de certitude, si on les applique à propos. Dans le raisonnement de Pascal, noter l’habitude de poser les termes contraires et qui semblent s’exclure, pour en composer la vérité totale : l’erreur, c’est ordinairement de faire d’une vérité partielle la vérité totale : sceptiques, dogmatiques ; calvinistes ; jésuites. Ceux qui vient le vrai, affirment le deux vérités contraires : chrétiens, jansénistes.)