Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830/Politique

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LIVRE V.


I.

Politique.


Rien n’était plus propre à donner une idée du mouvement général des intelligences, sous la restauration, que le tableau de la renaissance de la poésie ; là nous avons surpris la nature sur le fait, car, de tous les genres de littérature, la poésie est celui qui vit le plus d’inspiration et de spontanéité. Mais il faut, après ce tableau, remonter à la philosophie, à la religion, à l’histoire, et même à la politique, pour étudier le développement des trois grandes écoles dont les doctrines, s’épanouissant dans les vers de Lamartine, Victor Hugo, Casimir Delavigne, Béranger, ont animé toute la littérature de cette époque et vivifié toutes ses branches.

Il est impossible de négliger la politique quand on écrit l’histoire littéraire d’un temps où la politique n’agit sur les faits qu’à travers les idées. Comment laisser de côté la presse et la tribune, ces deux formes sous lesquelles l’esprit humain se manifesta avec tant d’éclat pendant cette période de quinze ans ? Quelques-uns des plus brillants écrivains de l’époque durent surtout leur renommée à la part qu’ils prirent à cette polémique ardente, universelle, et l’on ne comprendrait point leur style si l’on ne connaissait point leurs idées, qui ont servi de moule à leur style. Ajoutez à cela qu’on n’était pas dans ces temps ordinaires où il n’y a que des écrivains de profession. La parole et la plume régnaient sur la France ; chacun étendit la main sur ce sceptre intellectuel. On ne citerait pas un homme considérable qui n’ait été plus ou moins journaliste. Chateaubriand, Bonald, LaMennais, Frayssinous, le cardinal de la Luzerne, le duc de Fitz-James, le duc de Lévis, M. de Villèle, M. de Corbière, M. de Castelbajac, M. de Kergolay, M. de Frenilly, MM. de Conny, de Larochefoucauld, O’Mahony, Agier, de Bouville, d’Herbouville, se servirent de la presse pour défendre ou propager leurs idées, comme MM. Royer-Collard, Guizot, le duc de Broglie, de Barante, Villemain, Cousin, Kératry et toute une jeune école qui, marchant derrière eux, devait arriver aux affaires dans la phase suivante : MM. Duchâtel, Vitet, de Rémusat, Duverger de Hauranne, Jouffroy, Dubois, Cavé ; et dans une nuance d’opinion plus tranchée, Casimir Périer, Laffitte, le général Foy, Benjamin Constant, Laborde, le marquis de Chauvelin, MM. Dunoyer, Thiers, Mignet, Carrel. Le roi Louis XVIII lui-même ne dédaignait point de développer sa pensée royale dans des articles clandestinement envoyés aux journaux. On n’aurait donc qu’une notion incomplète du développement de l’esprit humain à cette époque, si où ne le suivait point sur cette scène pleine de mouvement et de bruit de la littérature politique, qui se composa de la tribune, du journal, de la brochure et du pamphlet.

Jamais le journal, ce puissant engin de publicité, ne joua un plus grand rôle. C’est à la fin de cette époque qu’on appela la presse un quatrième pouvoir dans l’État. Elle le fut, en effet. On ne saurait imaginer aujourd’hui avec quelle impatience un numéro du Conservateur était attendu. La Minerve, quoique bien inférieure au point de vue de l’élévation des idées et du talent littéraire, n’était guère moins accréditée chez les lecteurs appartenant aux opinions de gauche. Il y eut plus tard, sous une législation plus favorable à la liberté de la presse périodique, tel article du Journal des Débats qui devint un événement. On peut dire que les trois écoles qu’on retrouve dans la littérature politique, comme dans toutes les sphères où se développa l’esprit humain, arrivèrent à leur plus haute expression, la première dans le Conservateur et dans le Journal des Débats, la seconde dans le Globe, la troisième à la fin de la restauration, dans le National.

Jusqu’à un certain point, chacun de ces journaux eut son style, parce que chacune des opinions qu’il représentait avait son caractère particulier, ses tendances, sa nature. On remarquait surtout dans les journaux de droite une grande élévation de sentiments et d’idées, une couleur chevaleresque, de la sensibilité, de l’éclat dans l’expression, de la finesse et une politesse d’esprit qui se révélait dans le tour donné à la pensée et dans le choix des mots. Les journaux de l’école intermédiaire avaient quelque chose de dogmatique, de grave et de méditatif ; leur style aspirait à la profondeur ; leur phrase avait quelquefois les allures dédaigneuses de la supériorité ; l’esprit de critique et d’analyse s’y faisait surtout sentir. Le National fut écrit d’un style véhément, incisif, passionné ; la raillerie et l’invective furent les formes les plus ordinaires de la langue politique de ce journal.