Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période alexandrine/Chapitre 2

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CHAPITRE II
LA PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

BIBLIOGRAPHIE

Théophraste. Ce qui nous reste des œuvres de Théophraste (en dehors des fragments, très considérables) est divisé entre plusieurs manuscrits différents : d’un côté l’Histoire des plantes, de l’autre les Caractères. Le plus ancien ms. de l’Histoire des plantes est un ms. de la Vaticane (n° 61). Le ms. 1823 de la bibliothèque nationale de Paris contient des extraits de Théophraste qui proviennent aussi d’une bonne source. Les autres mss. sont considérés comme inférieurs. Voir, sur ce point, la préface de l’édition Wimmer. Pour les Caractères, les plus anciens mss. sont le 1983 et le 2977 de Paris, du xe et du xie siècle, qui ne contiennent que les quinze premiers caractères ; le reste des Caractères se trouve dans divers mss. dont les principaux sont le 110 du Vatican (xiiie siècle), le 505 de Munich (xve siècle), et divers mss. de la Renaissance. — Éditions : Aldine (princeps), 1496 ; Wimmer (Bibl. Teubner. 1854-1861), 3 vol. contenant les œuvres d’histoire naturelle et les fragments, avec apparat critique. Éditions spéciales des Caractères : Casaubon (avec riches commentaires), 1592 ; Ast, 1816 ; Dübner (Biblioth. Didot), 1841 ; Ussing, 1868 ; et surtout Theophrasts Charactere, édit. avec trad. et commentaires, donnée par la société philol. de Leipzig, Teubner, 1898. — À consulter aussi, pour la critique du texte, Diels, Theophrastea (progr.), Berlin, 1883. — La traduction française des Caractères, par La Bruyère, n’a aujourd’hui qu’un intérêt historique. Texte et trad. par Stiévenart, Paris, 1842.

Épicure. Édition capitale de Usener, Epicurea, Leipzig, 1887 (Teubner), contenant les Lettres, d’après Diogène Laerce, et les fragments, avec une importante Introduction.

Pour les autres philosophes, dont il ne nous reste que des fragments, les indications nécessaires seront données au cours du chapitre.



Sommaire
Introduction. — I. L’Ancienne Académie. Caractère général. Speusippe. Xénocrate. Polémon. Cratès. Crantor. — II. Le Lycée. Caractère général. Théophraste. Eudème. Aristoxène. Dicéarque. Straton. Lycon. Ariston de Céos. Critolaos de Phasélis. Hiéronyme de Rhodes. Cléarque de Soles. — III. Écoles de Cyrène et de Mégare. École cynique : Ménippe de Gadara. — IV. Le stoïcisme. Caractère général. Les fondateurs de l’École : Zénon ; Cléanthe ; Chrysippe. La doctrine stoïcienne. La valeur morale du stoïcisme. Sa valeur littéraire. — V. L’Épicurisme. Vie d’Épicure. Ses ouvrages. Méthode et doctrine épicuriennes. Valeur morale de l’Épicurisme. Épicure écrivain. Destinées ultérieures de l’École. — VI. Le scepticisme. Pyrrhon. Timon de Phlionte : Les Silles. — VII. La moyenne et la nouvelle Académie. Arcésilas. Carnéade. — VIII. Conclusion.


En abordant l’étude de la philosophie du iiie siècle, nous ne sortons pas encore d’Athènes, ou du moins nous y gardons notre principal centre d’observation. Les plus grandes écoles de ce temps sont athéniennes. D’ailleurs, entre les maîtres du ive siècle et leurs successeurs il n’y a aucune solution de continuité. Après Platon, l’Académie subsiste et se développe ; après Aristote, le Lycée continue sa doctrine. Zénon, Épicure, Pyrrhon, sont contemporains des premiers philosophes de l’Académie et du Lycée. Enfin les derniers successeurs de Platon, dans la moyenne et la nouvelle Académie, subissent l’influence des nouvelles écoles, soit qu’ils leur empruntent des idées, soit qu’ils les combattent.

La littérature proprement dite a peu de chose à revendiquer dans l’héritage de ces philosophes. Ceci tient à la fois aux ravages du temps et à l’indifférence de quelques-uns d’entre eux pour l’art d’écrire. Mais leur action sur la pensée humaine a été si grande qu’il en est d’eux comme de Socrate, qui, sans avoir jamais écrit, doit cependant figurer dans toute histoire littéraire de la Grèce. Nous essaierons donc de tracer le tableau sommaire de leur activité, en nous arrêtant, comme il est naturel, aux écrits ou fragments qui nous en rendent encore témoignage.

Dans l’exposé de leurs idées, il est nécessaire, pour la clarté, de les répartir par écoles, et, sans négliger l’ordre chronologique, d’adopter un ordre avant tout systématique. On se ferait cependant une idée fausse de la réalité si l’on imaginait entre tous ces systèmes des séparations trop tranchées, soit dans le temps, soit dans l’espace. Plusieurs d’entre eux apparaissent simultanément. Tous vivent à côté les uns des autres. Ils s’entremêlent, s’opposent, se modifient réciproquement. Dans cette fourmilière philosophique du iiie siècle, il y a une agitation infinie et des échanges incessants. Il est difficile de tout dire, mais le lecteur doit suppléer à ce qu’un tableau sommaire ne peut lui faire voir, en se représentant tous ces hommes comme beaucoup plus près les uns des autres qu’ils ne semblent l‘être dans nos classifications, forcément artificielles par quelque endroit.

I

Après la mort de Platon, c‘est son neveu Speusippe qui devint le chef de ses disciples. Il le fut pendant huit années. D’abord comme tuteur d’Adimante (héritier de Platon), plus tard comme héritier lui-même, Speusippe eut la jouissance de la propriété où Platon avait eu l’habitude de réunir ses auditeurs, et qui était voisine du gymnase d’Académos[1]. Ce jardin de Platon resta le siège de l’école. Après Speusippe, il en devint la propriété. Les scolarques se succédèrent régulièrement, désignés sans doute chacun par leur prédécesseur[2]. Le Scolarque était peut-être le propriétaire fictif de l’Académie[3]. En tout cas, il était le maître du chœur. D’autres, d’ailleurs, à côté de lui, enseignaient et pouvaient devenir célèbres. Durant le siècle qui suit la mort de Platon, quatre scolarques se succèdent : Speusippe, de 347 à 339 ; Xénocrate, de 339 à 314 ; Polémon, de 314 à 270 ; Cratès, de 270 à 260 environ. À côté d’eux, on trouve le nom illustre de Crantor. Cette période est celle de « l’ancienne Académie », la seule dont nous ayons à nous occuper pour le moment. Car la « moyenne » et la « nouvelle » Académie, celles d’Arcésilas et de Carnéade, sont animées d’un esprit tout autre, et ne peuvent être étudiées utilement qu’après le scepticisme de Pyrrhon, dont elles ont subi si fortement l'influence.

L’ancienne Académie, au contraire, se rattache assez facilement à Platon, sans trop de rigueur pourtant, car il n’y eut jamais là, comme dans d’autres écoles philosophiques, aucune orthodoxie rigoureuse. La dialectique platonicienne est toujours chez ses disciples, comme chez lui-même et chez Socrate, un libre mouvement de l’esprit. On ne se croit pas enchaîné par la parole du maître. On corrige, on complète sa méthode et sa doctrine. On en abandonne certaines parties. On y ajoute des emprunts faits aux écoles voisines. L’Académie reste une palestre intellectuelle, alors que d’autres écoles nouvelles sont surtout des disciplines de la volonté. Dans cette altération graduelle de la pure doctrine platonicienne, l’Academie se rapproche souvent d’Aristote. On sait que Cicéron s’est maintes fois appliqué à faire ressortir la conformité générale entre l’Académie et le Lycée[4]. Il a raison. Aristote lui-même a fait partie de l’Académie pendant plusieurs années. Il cite Speusippe en divers passages. On ne doit donc pas être surpris de trouver chez Speusippe ou chez Xénocrate des expressions ou des idées qui semblent venir du Lycée[5]. Les deux écoles, en somme, sont sœurs : même officiellement séparées, elles restent assez voisines, et le génie d’Aristote est assez grand pour que l’influence de celui-ci se fasse parfois sentir à l’Académie. Un autre fait à noter, c’est la prépondérance croissante de la morale dans les études de l’école : c’est là un trait du temps. Il en est de même pour certaines tentatives d’organisation, de synthèse, de syncrétisme. Aucun de ces premiers académiciens ne semble avoir eu de génie ; ils n’ont laissé en somme que des traces assez modestes dans l’histoire des doctrines comme dans celle des lettres ; mais l’évolution de l’école offre quelque intérêt et mérite qu’on en fixe au moins les lignes générales.

Le premier est Speusippe, fils de Potone, sœur de Platon[6]. Il naquit vers 393. Esprit brillant et vif, il avait dans le caractère, dit-on, un mélange d’ardeur et de mollesse, des élans suivis d’abandon, que Platon dut lui apprendre à gouverner. Il fut l’élève d’Isocrate, dont il rédigea certains enseignements. Puis il se tourna vers la philosophie. En 347, il succéda à Platon dans la direction de l’école. Il mourut en 339, peut-être de mort volontaire. Il avait composé de nombreux écrits, dont on trouvera la liste dans Diogène Laërce. Notons seulement que ses ouvrages philosophiques étaient de deux sortes ; il avait écrit des Dialogues, comme Platon, et des traités, comme Aristote. On lui attribuait en outre l’Épitaphe du tombeau de Platon[7], un Éloge de Platon, des Lettres et un recueil de Définitions (Ὅροι). De tout cela, il nous reste les Définitions, qui sont visiblement un extrait de ses œuvres ; quelques Lettres dont l’authenticité est plus que douteuse, et de courts fragments.

La brièveté des fragments rend évidemment impossible de se faire une idée tout à fait précise de la valeur littéraire de Speusippe. On entrevoit cependant un mérite de facilité gracieuse qui, sans rien offrir de très saillant, convient bien au neveu de Platon et à l’élève d’Isocrate.

Ses doctrines nous apparaissent plus nettement, au moins dans les grandes lignes. Sur plusieurs points importants, il se sépare de Platon. — En dialectique, il rejette la définition proprement dite et la remplace par la description. La définition, fondée sur la différence de l’objet à définir, a le double tort de supposer la connaissance préalable de tous les autres objets, et de ne pouvoir s’appliquer ni aux idées trop générales, ni aux individus[8]. Il faut s’attacher aux choses particulières, les décrire, et les grouper ensuite d’après leurs ressemblances. Les Définitions de Speusippe sont en réalité des descriptions. Plusieurs de ses ouvrages portaient sur ces ressemblances des choses. De là des analyses minutieuses qui font songer à Aristote ou à Théophraste. — En métaphysique, il modifiait gravement la théorie des Idées : à l’Idée unique du Bien, source et cause de tout, il substituait les dix idées de Pythagore, rangées en cinq couples : fini et infini, pair et impair[9], etc. Aristote le rapproche souvent des Pythagoriciens. On sait le goût de Platon lui-même pour l’école de Pythagore. Ses disciples devaient aller plus loin dans la même voie. — Ainsi, dès le premier successeur du maître, il est facile de noter plus d’une fissure dans l’édifice de la doctrine platonicienne.


Xénocrate, qui remplaça Speusippe comme chef de l’école en 339, était né à Chalcédoine[10]. Il vint de bonne heure à Athènes et s’attacha à Platon. C’était un esprit lent, grave, opiniâtre, hautement moral, très doux, un peu lourd. C’est à lui que Platon adressait le mot célèbre : « Il faut sacrifier aux Grâces[11]. » Il disait aussi que Xénocrate avait besoin de l’éperon comme Aristote du mors[12]. Quand Démétrius Poliorcète forma les écoles de philosophie, Xénocrate sortit d’Athènes, et le poète comique Alexis salua son départ de ses railleries[13]. Il mourut en 314, laissant de nombreux écrits. Il avait composé, selon Diogène, des vers, des exhortations (παραινέσεις) et des traités (συγγράμματα). Chose curieuse, il n’y a plus de dialogues dans son œuvre ; chez un platonicien, le fait vaut la peine d’être noté. En revanche, on y trouve des exhortations à la manière d’Isocrate et des traités à la manière d’Aristote, sans parler des poèmes. Toutes ces œuvres nous sont aujourd’hui fort mal connues. Nous n’avons plus un seul vers de Xénocrate, et ses fragments en prose ne nous permettent pas de le juger comme écrivain. Mais ce qu’on y voit, c’est l’effort pour organiser la science, pour en distinguer méthodiquement les parties : la division classique de la philosophie en physique, éthique, dialectique, remonte, dit-on, a Xénocrate[14]. On voit aussi dans ces fragments combien il était parfois Pythagoricien de pensée et de langage ; un bon nombre d’entre eux ne sont que des variantes de la même idée : « l’âme est un nombre qui se meut, » ψυχὴ ἀριθμὸς ἑαυτὸν κινῶν.

Polémon et Cratès, qui sont les derniers scolarques de l’Ancienne Académie avant Arcésilas, sont moins connus que les précédents et ont laissé moins de vestiges encore[15]. Polémon est le héros d’une historiette morale souvent contée : dans sa jeunesse, il se livrait au plaisir ; un jour, excité par le vin, il entre par dérision dans la salle où parlait Xénocrate : celui-ci fait sa leçon sur la tempérance ; Polémon, étonné d’abord, bientôt confus, puis profondément touché, finit par se convertir et devient philosophe à son tour. Ni Polémon ni Cratès ne paraissent avoir beaucoup écrit. Diogène ne cite d’eux aucun ouvrage : ce sont avant tout des moralistes pratiques.

Tel est aussi le caractère de Crantor, qui ne fut pas scolarque, mais qui mérite une mention à cause de sa célébrité[16]. Horace le nomme à côté du Stoïcien Chrysippe comme un des maîtres reconnus de la morale[17]. Il était né à Soles, en Cilicie, vers 335. Il fut élève de Polémon. Il avait composé de nombreux ouvrages en vers et en prose. Quelques-uns de ses vers nous restent, mais il n’y a rien à en dire. Parmi ses écrits en prose, aujourd’hui perdus, le plus célèbre était un traité Sur le deuil (Περὶ πένθους), aureolus et ad verbum adiscendus libellus, dit Cicéron[18], sorte de consolation ou d’exhortation qui a servi de modèle à beaucoup d’autres ouvrages analogues dans l’antiquité. Sa morale était noble, courageuse contre la douleur, qu’elle ne niait pas, et judicieusement résignée[19]. Comme écrivain, il était, lui aussi, un disciple d’Isocrate et de Platon. Dans un assez long fragment, tiré d’un ouvrage dont nous ne savons pas le titre, il mettait en scène la Vertu, la Santé, le Plaisir et la Richesse, personnifiés comme dans le célèbre mythe de Prodicos et plaidant chacun leur cause devant les Grecs assemblés[20]. C’est un badinage ingénieux, élégant de forme, sérieux d’intention et médiocrement original[21].

II

Pendant que l’Académie unissait ainsi dans un éclectisme subtil les doctrines de Platon à celles d’Aristote et de Pythagore, ou moralisait avec élégance, le Lycée essayait de maintenir la tradition d’Aristote. Ici encore, l’activité des esprits est grande. La doctrine d’Aristote n’est pas plus que celle de Platon un catéchisme qu’on répète fidèlement ; elle est surtout une méthode de pensée et de travail. À vrai dire, on ne s’écarte guère du maître en métaphysique ; on considère comme définitive sa théorie générale de l’être ; on s’en tient fermement aux quatre causes. Le cadre philosophique est immuable. Mais, dans ce cadre, on met une foule de faits nouveaux. Les disciples d’Aristote ont hérité de lui le goût de l’érudition, la curiosité du fait précis, l’habitude de l’analyse. Ils entrent si activement dans cette voie qu’ils ont l’air de négliger parfois la philosophie proprement dite. Mais, en semblant restreindre le domaine défriché par Aristote, on ne peut dire pourtant qu’ils lui fussent infidèles. Les philosophes du Lycée, comme ceux de l’Académie, par le choix même qu’ils ont fait dans l’héritage philosophique de leurs maîtres respectifs, ont montré qu’ils les comprenaient bien ; car, si Platon est surtout un moraliste, Aristote est surtout un savant.

L’organisation du Lycée ressemble à celle de l’Académie ; on y trouve aussi un lieu habituel de réunion, une succession de scolarques, des disciples librement groupés autour du chef d’école. Les deux premiers de ces scolarques sont Théophraste (322-287) et Straton (287-269). C’est Théophraste, devenu propriétaire d’un terrain grâce à Démétrius de Phalère, qui, par son testament, fit de ses disciples ses héritiers et mit l’École chez elle[22]. À côté des scolarques, nous trouvons Eudème, Aristoxène, Dicéarque, d’autres encore. Telle est la première génération péripatéticienne, la plus grande de toutes, ou même, à vrai dire, la seule grande ; car celles qui suivent sont obscures, composées surtout de commentateurs. Le plus connu est cet Andronicos de Rhodes qui donna au temps de Cicéron la première édition complète d’Aristote[23]. Au reste, même dans la première génération, Théophraste seul mérite à proprement parler le nom d’écrivain. Les autres sont plutôt des savants, et le principal intérêt de leur œuvre, en dehors du fond des choses qu’ils nous apprennent, est de nous montrer comment la philosophie péripatéticienne, par la curiosité universelle dont elle était animée, se trouvait amenée à s’étendre et à rejoindre en tous sens les disciplines les plus diverses, depuis la science des physiciens jusqu’à celle des grammairiens et des érudits. Essayons donc de dégager d’abord la physionomie de Théophraste. Quelques brèves indications suffiront pour les autres[24].

Théophraste était né à Érésos, dans l’île de Lesbos[25]. Sa naissance est placée par Diogène Laërce en 372. Il mourut en 287, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans[26]. Presque toute sa vie se passa à Athènes, où il était venu de bonne heure. Il y entendit d’abord Platon, puis Aristote[27]. C’est Aristote, dit-on, qui lui donna le nom de Théophraste : il s’appelait réellement Tyrtamos ; son nouveau nom exprimait la divine éloquence de sa parole[28]. On sait cependant l’anecdote de la marchande d’herbes qui, à un léger accent, le reconnut pour étranger. Suivant une autre anecdote, Aristote aurait réédité à son sujet, en l’opposant à Callisthène, le mot de Platon sur Aristote lui-même et sur Xénocrate, dont l’un avait besoin du mors et l’autre de l’éperon[29]. Sauf un exil momentané en 318, lors de l’édit de Démétrius Poliorcète contre les écoles de philosophes, sa vie se passa sans événements, toute remplie par l’enseignement et par la composition de ses livres. Il eut, dit-on, dans sa longue vie, jusqu’à deux mille disciples : on cite parmi eux, en dehors des philosophes proprement dits, l’orateur Dinarque et l’homme d’état Démétrius de Phalère. Ses écrits furent en nombre immense. Diogène Laërce en énumère près de deux cent quarante, dont quelques-uns fort étendus. Même en faisant, dans ce catalogue, une large part aux doubles emplois et aux fausses attributions, dont beaucoup sautent aux yeux, il reste encore une somme d’écrits surprenante. Quand on en parcourt les titres, on voit que Théophraste, comme Aristote, avait touché à toutes les parties de la science. Son œuvre est une encyclopédie. Il a traité de métaphysique, de logique, de politique, de morale, de rhétorique, de poétique, de sciences naturelles ; il en a traité dogmatiquement et historiquement ; il a cherché le vrai pour son compte et rapporté les opinions des autres. Une foule de ces titres sont semblables à ceux des traités d’Aristote : Théophraste repasse sans cesse sur les traces de son maître, pour éclaircir, pour compléter, pour approfondir, pour voir les faits de plus près et étudier les opinions antérieures. Ce qui l’a le moins occupé, c’est la recherche métaphysique proprement dite. Nous en avons dit la raison : le Lycée a toujours cru qu’Aristote avait atteint sur ce point la vérité totale. Parmi les plus importants et les plus célèbres de ses ouvrages, aujourd’hui perdus, citons seulement : les vingt-quatre livres Sur les lois, qui faisaient pendant au recueil des Constitutions d’Aristote[30] ; dix-huit livres Sur la physique ; seize livres sur les Opinions des physiciens ; puis des ouvrages plus courts, mais dont les titres éveillent la curiosité et les regrets : Sur les proverbes, Sur le ridicule, Sur la comédie, Sur l’action oratoire, etc.

Il nous reste aujourd’hui de Théophraste deux ouvrages complets : les Recherches sur les plantes (Περὶ φυτών ἱστορίαι), en 9 livres, et Les causes des plantes (Περὶ φυτών αἰτιῶν), en 6 livres ; en outre, les célèbres Caractères, dont la vraie nature soulève un problème assez délicat. Enfin de nombreux fragments, dont quelques-uns sont fort étendus, notamment un morceau tiré de sa Métaphysique[31], et un autre[32] (περὶ αἰσθήσεως καὶ περὶ αἰσθητῶν) qui est tout un chapitre de son ouvrage perdu sur les Opinions des Physiciens. Cet ensemble est assez considérable pour que nous puissions nous faire une idée nette de ses qualités de savant et d’écrivain.

Comme savant, Théophraste n’est pas un de ces esprits qui ouvrent des voies nouvelles. Il est plutôt de ces travailleurs habiles et actifs qui, s’engageant à la suite d’un maître dans la route frayée par son génie, l’achèvent, l’élargissent, en explorent les alentours. Dans cette tâche encore belle, il apporte de rares qualités : d’abord une information prodigieusement étendue[33], ensuite beaucoup de finesse, de bon sens, d’ordre et de clarté. Il n’a pas d’autre théorie métaphysique que celle d’Aristote ; il ne se fait pas de la science une autre conception. Mais il explique et défend cette métaphysique ; il applique cette conception de la science à des objets nouveaux ; et partout il montre la même connaissance des faits, la même habileté à les analyser et à les classer.

Comme écrivain, il a des mérites analogues : il a tout à fait le style de son esprit, clair, élégant, discrètement spirituel, avant tout parfaitement convenable à son objet, sans trouvailles de génie et sans défaillances. Quintilien, expliquant l’origine de son surnom de Théophraste, applique à son style l’expression de nitor divinus[34]. Le mot divinus nous semble un peu fort peut-être ; nous le réserverions plus volontiers à Platon. Mais nitor est très juste : ce mot rend à merveille le « poli » de ce style qui est brillant sans être éclatant[35]. Strabon dit également fort bien que tous les disciples d’Aristote furent habiles à parler, mais que Théophraste fut le plus habile de tous (λογιώτατος)[36]. Il y a du charme dans cette clarté parfaite, et l’on comprend ce que veut dire Cicéron quand il déclare que Théophraste sait plaire encore, même quand il reprend les sujets déjà traités par Aristote[37].

L’Histoire des Plantes est une preuve de cette affirmation. Si l’ouvrage analogue d’Aristote a disparu en original, c’est probablement que celui de Théophraste avait plus de lecteurs. On y trouvait, avec une rédaction plus achevée, des faits plus nombreux. L’Histoire des Plantes est un travail essentiellement descriptif. Comme le dit l’auteur au début, c’est surtout ce qui distingue les plantes les unes des autres (τῶν φυτῶν τὰς διαφοράς) qu’il veut étudier. Ces différences sont présentées successivement sous un certain nombre de chefs : les parties des plantes, leurs accidents, leurs naissances, leurs manières de vivre ; ajoutons encore les usages qu’on en fait. Dans chacune de ces grandes divisions, il examine tour à tour les diverses espèces au point de vue de ce qui les différencie. L’ordre suivi soit dans l’ensemble de l’ouvrage, soit dans le détail de chaque partie, n’est assurément pas très rigoureux, et ne pouvait l’être à cette date ; mais Théophraste pourtant, comme Aristote, cherche à classer les choses d’après leurs caractères les plus importants. Les faits recueillis sont en nombre immense. La plupart lui viennent de ses lectures, et il n’a pu toujours les contrôler suffisamment ; d’autres lui sont connus par ouï-dire ; beaucoup enfin semblent le résultat de ses observations personnelles. L’idée de la régularité des lois naturelles est partout présente ; elle s’exprime d’une façon particulièrement curieuse dans un passage où il attaque en passant l’art des devins[38]. Rien de plus clair et même, étant donné le sujet si technique, rien de plus agréable que cette abondante et facile exposition.

Le traité Sur les causes des Plantes fait suite à l’Histoire des Plantes, comme on le voit par les premières lignes de l’ouvrage. Ce second traité est plus philosophique dans son objet, et moins descriptif. Ce que veut faire ici Théophraste, c’est d’expliquer, par la théorie des quatre causes aristotéliciennes (matière, forme, cause efficiente et cause finale), toutes les « différences » décrites dans le précédent ouvrage. Quels sont les rapports de la végétation avec le sec et l’humide (et cela pour chaque espèce), d’où viennent ce sec et cet humide, quelles fins se propose dans toutes ces opérations la nature (qui ne fait rien en vain, comme le répète Théophraste après Aristote)[39], voilà ce qu’il cherche et ce qu’il expose. Le terrain était ici beaucoup plus glissant à coup sûr que dans le précédent traité ; une description a plus de chance d’être exacte, en pareille matière, qu’une explication. Heureusement l’érudition de Théophraste le préserve encore en ce sujet du danger d’exécuter une œuvre vaine, par la quantité de faits réels, bien observés par lui-même ou par d’autres, qu’elle lui fournit, et d’où résulte que son livre, à côté de beaucoup d’explications éphémères, présente une somme considérable de documents positifs et de valeur durable. Le style d’ailleurs a les mêmes qualités que dans l’Histoire des Plantes.

Les Caractères ne sont pas aussi différents de ces deux ouvrages que pourraient le faire supposer ce titre de « Caractères », et surtout le souvenir de l’imitation très libre que La Bruyère en a donnée. C’est l’œuvre d’un savant plus que d’un littérateur proprement dit. L’ouvrage, sous sa forme actuelle, comprend trente et un « caractères », précédés d’une préface[40]. Chaque « caractère » porte un titre, qui est le nom d’un défaut moral (très rarement d’une qualité). Ce défaut est d’abord défini à la manière d’Aristote. Suit une description plus ou moins longue des différents signes par lesquels il se manifeste extérieurement. Le style est net, simple, sans aucun ornement littéraire, et ne sert que de vêtement à une pensée exclusivement scientifique. S’il y a parfois de l’esprit dans ces portraits, c’est en quelque sorte malgré la volonté de l’auteur, et parce que la chose même est plaisante en soi. Qu’est-ce donc, en somme, que cet ouvrage, et quel a été le dessein de Théophraste ?

Il est tout d’abord visible que le texte en est souvent suspect. La Préface est incohérente et faible ; on ne peut l’attribuer, sous cette forme, à Théophraste. Dans le reste de l’ouvrage, on trouve non seulement des lacunes, des réflexions de lecteur ou de scoliaste insérées indument dans le texte, ce qui ne regarde que la critique verbale : mais aussi, chose plus grave, des répétitions littérales qui indiquent que deux morceaux diversement intitulés ne sont parfois que deux rédactions différentes du même « Caractère. » Il est donc certain que l’ouvrage a subi toutes sortes de remaniements. Dans la liste de Diogène, il est évidemment désigné par ce titre : Ἠθικοί χαρακτῆρες. Cela prouve qu’il existait déjà, au temps de Diogène, sous une forme assez voisine de celle que nous connaissons, et comme une collection de portraits moraux. Mais d’où venait cette collection ? Avait-elle été ainsi formée par Théophraste lui-même, sous ce titre, comme un ὑπόμνημα, un recueil de matériaux et de documents analogue aux recueils d’Aristote ? M. Gomperz le croit, et il explique par là l’inachevé de la composition et la facilité plus grande avec laquelle l’ouvrage s’altéra[41]. D’autres y voient plus volontiers un Épitome alexandrin, un recueil d’Extraits artificiellement détachés par quelque grammairien d’un ouvrage plus étendu, d’un ouvrage de morale ou de rhétorique (c’est l’opinion de M. Diels)[42], ou peut-être du traité Sur la comédie (c’est l’opinion exprimée jadis par Casaubon, qui édita les Caractères, et reprise par Christ[43]). L’hypothèse de Casaubon est très séduisante au premier abord : il est facile en effet de remarquer, entre les titres des Caractères de Théophraste et ceux des comédies de Ménandre, des rencontres frappantes, et l’on aime à se dire qu’il y a peut-être, dans l’ouvrage du philosophe, plus d’un souvenir du poète comique. Ce n’est pourtant là qu’une conjecture fort douteuse : et, à supposer même que les Caractères aient été tirés du Περὶ κωμῳδίας, il ne suit pas de le que Théophraste eût pris ses documents dans Ménandre ; il est même plus probable qu’il les avait demandés, selon l’exemple d’Aristote dans la Rhétorique, à l’observation directe de la nature. Résignons-nous donc à ignorer. Ce qui du moins n’est pas douteux, c’est l’intérêt moral et littéraire de ces Caractères ; car Théophraste est un fin psychologue et un écrivain délicat.

Son champ d’observation n’est pas très étendu : il s’enferme dans un petit coin de la morale générale (les défauts), et ne montre guère les particularités qui dérivent de l’âge, de la profession, des circonstances (soldat fanfaron, cuisiniers, esclaves, parasites, jeunes gens et vieillards, amoureux de la comédie nouvelle), ni celles qui tiennent à l’individu (portraits de La Bruyère). Ce sont des défauts universels qu’il analyse : fausseté, flatterie, orgueil, grossièreté, sottise, etc. Mais il les analyse avec une extrême subtilité ; il y distingue des nuances variées. Dans l’espèce « flatterie », il étudie séparément le flatteur par intérêt et le flatteur par complaisance ou faiblesse (περὶ κολακείας et περὶ ἀρεσκείας). Dans l’orgueil, il distingue trois ou quatre sous-types différents ; de même dans la grossièreté. Et cette subtilité n’est pas artificielle : elle repose sur des différences réelles. Ces fines études de psychologie sont dans le goût du temps : ce sont elles qui remplissent la comédie nouvelle et qui font le prix de l’épopée d’Apollonios. Aristote avait donné l’exemple dans la Rhétorique, mais il n’avait étudié que les « passions » principales, sans entrer dans le minutieux détail des « défauts ».

De plus, les analyses d’Aristote étaient abstraites : celles de Théophraste sont concrètes et pittoresques. Chacun de ses caractères débute par une définition aristotélicienne ; mais tout de suite c’est l’orgueilleux, le flatteur, le grossier, — non l’orgueil, la flatterie ou la grossièreté, — qu’il a devant les yeux et qu’il met en scène. Il nous dit ses gestes ; il le fait parler ; De là vient qu’on a pu croire à une influence directe de la comédie sur cette manière de philosopher. Mais, outre que mille détails n’ont rien de scénique ou de dramatique, cette vivacité de forme n’est évidemment chez Théophraste, — comme souvent chez Démosthène, par exemple, — qu’un don naturel et spontané. C’est sa marque propre. Nul dessein d’ailleurs de faire à proprement parler œuvre d’art ; rien en tout cela qui rappelle, même de loin, la composition savante de tel morceau de La Bruyère (Giton et Phédon, Irène, etc.) ni les grâces savantes de son style. Ici, le style est tout uni ; la composition existe à peine. L’orgueilleux, dira Théophraste, est un homme qui… (τοιοῦτος οἶος…) ; suivent quinze ou vingt phrases toutes à l’infinitif, toutes jetées dans le même moule, et qui ne sont même pas groupées suivant une gradation quelconque, en vue d’un effet à produire. Théophraste n’est jamais, dans les Caractères, qu’un savant, un naturaliste de la morale, mais un savant d’esprit délicat, d’imagination vive et fidèle, au langage souple et précis.

On sait la fortune de ce petit ouvrage. Quand il n’aurait que le mérite d’avoir inspiré La Bruyère, il serait déjà de grand prix. Mais il est probable qu’il dut avoir une influence sensible sur le goût des contemporains pour les analyses psychologiques : s’il est un témoignage et un effet de ce goût général, il a sans doute contribue à son tour à l’étendre et à le diriger.

Les Fragments présentent aussi un vif intérêt. Quelques-uns (notamment les plus étendus) ont surtout de l’importance pour l’histoire des opinions philosophiques[44]. Nous nous arrêterons de préférence à ceux qui viennent de ses ouvrages sur la rhétorique et la morale, ou qui ont une valeur littéraire par la finesse de la pensée et du tour. Voici, par exemple, deux définitions spirituelles de l’amour :

L’amour est la passion d’une âme désœuvrée[45].

L’amour est l’excès d’un désir irraisonnable, prompt à venir, lent à s’en aller[46].

Il disait aussi que « trop d’amour engendre la haine[47] ».

Aux femmes, il recommandait avant tout la modestie : il disait qu’une femme « ne doit ni voir ni être vue, surtout quand elle est experte aux artifices de la beauté ; car cette science n’a jamais qu’une fin mauvaise[48] ; » — et que « le domaine réservés l’habileté des femmes, ce ne sont pas les choses de la cité, mais celles de la maison[49]. »

C’est à lui encore qu’appartient cette belle pensée :

Respecte-toi toi-même pour ne pas rougir devant les autres.

D’autres mots sont simplement amusants, comme celui où il appelle si justement les boutiques de barbiers de son temps, grands rendez-vous des causeurs et des nouvellistes, des « banquets sans vin[50] ».

Mais quelques-unes de ses pensées les plus fines sont de celles qui se rapportent à l’art d’écrire. En voici une, où il exprime cette idée que le « secret d’ennuyer est celui de tout dire », avec une pénétration remarquable. Le passage est cité par Démétrius, l’auteur du traité De l’élocution, en ces termes[51] :

Un autre moyen de persuader est celui qu’indique Théophraste, de ne pas tout dire minutieusement et longuement, mais de laisser à l’auditeur certaines choses si deviner et à trouver par lui-même. L’auditeur, en effet, qui a deviné ce que vous ne lui disiez pas, devient pour vous plus qu’un auditeur, un auxiliaire et un ami ; il vous doit le plaisir de s’être trouvé lui-même intelligent, grâce à l’occasion que vous lui avez fournie de deviner quelque chose. Lui tout dire comme à un sot, c’est lui montrer qu’on se méfie de son intelligence.

À côté de Théophraste, nous rencontrons quelques noms connus ; celui d’Eudème, à qui l’on attribue la rédaction de l’une des Morales comprises dans l’œuvre d’Aristote, et qui s’occupa aussi de l’histoire des doctrines[52] ; Aristoxène de Tarente, musicien et rythmicien encore plus que philosophe ; Démétrius de Phalère, surtout orateur et homme d’état ; Dicéarque, surtout géographe ; Héraclide de Pont, polygraphe et historien des doctrines. On voit comment le Lycée, dès la première génération, s’écarte de la philosophie proprement dite vers les recherches curieuses ou érudites. Nous retrouverons quelques-uns de ces noms dans le chapitre suivant, où ils seront mieux à leur place.

Le successeur de Théophraste à la tête du Lycée fut Straton, né à Lampsaque[53], qui dirigea l’École de 287 à 269. Straton paraît l’avoir orientée surtout du côté des recherches physiques, dans un esprit moins finaliste que positif et déterministe. Mais de ses nombreux écrits, énumérés par Diogène, il ne nous reste à peu près rien de textuel, et l’histoire littéraire, en somme, n’a pas à s’occuper de lui.

Il faut en dire autant de Lycon, qui fut son successeur de 269 à 225. La parole de Lycon était d’une élégance recherchée, mais non ses écrits, selon Diogène. Nous connaissons fort mal ses doctrines[54].

Après Lycon, citons encore son successeur Ariston de Céos, qui semble avoir écrit une histoire de l’école[55] ; — Critolaos de Phasélis, qui remplaça Ariston[56] ; — Hiéronyme de Rhodes, contemporain de Lycon, écrivain abondant et superficiel, qui semble s’être rapproché parfois de l’épicurisme[57] — enfin Cléarque de Soles, cité par Athénée comme un des disciples d’Aristote[58], mais qui semble un peu plus récent et qui avait écrit notamment des biographies de philosophes[59].

Le fleuve sorti d’Aristote est en train, comme on le voit, de se perdre dans les sables.

III

Les petites écoles qui se rattachaient à Socrate continuent de vivre aussi après Alexandre, mais sans beaucoup d’éclat. Les écoles de Cyrène et de Mégare, à cette date, n’intéressent que l’historien de la philosophie. Les Cyrénéens défendent la morale du plaisir, mais Épicure va venir qui dira des choses analogues avec un autre retentissement. Bornons-nous à citer les deux plus grands noms de l’école dans cette période, ceux de Théodore, dit l’athée[60], et d’Hégésias[61]. Tous deux furent en relations avec Ptolémée Ierer Soter. Il ne nous reste rien de leurs écrits.

Les Mégariens ont pour représentant principal Stilpon, qui vivait en même temps que Théodore de Cyrène et qui discuta contre lui. Stilpon, comme les fondateurs de l’école, reste un dialecticien subtil et acharné[62].

L’école cynique a plus d’importance à certains égards. D’abord, par l’étrangeté passablement impudente de ses allures, elle attire l’attention de la foule : un Diogène, avec sa besace, son écuelle et son tonneau, ne peut passer inaperçu. De plus, elle est en rapports étroits avec le stoïcisme à ses débuts ; elle lui communique quelque chose de ses idées et même de ses manières, le mépris de l’opinion, une indépendance rude. Enfin elle a produit certaines œuvres littéraires.

Les principaux cyniques de ce temps sont Cratès de Thèbes, Bion le Borysthénite et Ménippe de Gadara. — Cratès de Thèbes fut le premier maître de Zénon[63]. Sa vie se passa en divers lieux, mais surtout à Athènes. Il avait épousé une femme riche et belle, Hipparchia, sœur d’un autre cynique (Métroclès) et qui le suivit dans ses voyages : Hipparchia devint philosophe et écrivit ; elle a sa notice dans l’ouvrage de Diogène Laërce[64]. Quant à Cratès, on lui attribuait surtout des Παίγνια, c’est-à-dire des vers satiriques dont Diogène cite quelques échantillons. Il en a été question dans un volume précédent[65]. C’est le un genre de littérature qui convenait bien à l’école cynique et qui ne manqua pas d’y être en honneur. — Bion le Borysthénite avait commencé par être esclave[66]. Son maître lui laissa sa fortune en l’affranchissant. Il voyagea de ville en ville. À Athènes, la philosophie platonicienne commença par l’attirer. Mais il quitta bientôt l’Académie pour prendre le manteau court et la besace des cyniques[67]. C’était un homme d’esprit, dont on avait retenu beaucoup de mots ingénieux. Ses querelles avec les stoïciens ont enrichi les répertoires d’anecdotes[68]. Il avait écrit divers traités que Diogène ne désigne pas avec précision et en outre des Παίγνια, comme Cratès, puis des compositions en prose qui paraissent avoir porté le titre de διατριβαί (Entretiens ou Causeries, sermones[69]). Le peu qui nous reste de ses vers satiriques ne nous permet pas de les juger, mais nous avons, sur ses Entretiens, un témoignage capital, celui d’Horace, qui déclarait les avoir pris pour modèles dans ses Satires et qui parle de leur sel piquant et mordant :

Bionneis sermonibus et sale nigro[70].

Un tel témoignage en dit plus que beaucoup de conjectures modernes sur le caractère et sur la valeur des Entretiens de Bion[71]. — Quant à Ménippe, il a donné son nom à un genre littéraire, la satire « Ménippée. » Il naquit à Gadara, en Cœlésyrie[72]. Il était, dit-on, d’origine phénicienne et de condition servile, lui aussi : ces cyniques effrontés sont souvent d’anciens esclaves, des Scapins philosophes. Celui-ci vint d’abord à Sinope, avec un de ses maîtres. Affranchi on ne sait comment, il pratiqua l’usure avec âpreté et s’enrichit. Puis il perdit sa fortune et se tua de désespoir. Il vivait à la fin du ive siècle et au commencement du iiie. Les anciens citaient sous son nom divers ouvrages, attribués par quelques-uns à un certain Dionysios (ou à Zopyros de Kolophon), qui les aurait mis par dérision sous le nom de Ménippe. Quoi qu’il en soit de ce problème aujourd’hui insoluble, les écrits attribués à Ménippe eurent un grand succès. C’étaient une Νέκυια, parodie d’Homère ; des Testaments où il se moquait sans doute de quelques testaments des philosophes ; des Lettres où il mettait les dieux en scène ; une Naissance d’Épicure (Ἐπικούρου γοναί) ; divers ouvrages contre les physiciens et les savants ; les Εἰκάδες (vingtaines ?) ; etc. On sait que Varron et Lucien furent des imitateurs de Ménippe. Il servit tout de suite de modèle à son compatriote et contemporain, Méléagre, que nous retrouverons parmi les poëtes. La nouveauté des écrits de Ménippe consistait avant tout dans un mélange burlesque de la prose et des vers, qui fut reproduit par Varron[73]. Mais le mérite essentiel en était une verve audacieuse et spirituelle, qui ne respectait rien et dont Lucien nous donne probablement l’idée la plus exacte. La perte des écrits de Ménippe est probablement une des plus regrettables de la littérature de cette période.

Arrivons enfin aux grands créateurs de doctrines, à Zénon et à Épicure.

IV

Le stoïcisme, fondé par Zénon, a été organisé et complété par Cléanthe, par Ariston de Chios, surtout par Chrysippe. Ces créateurs du stoïcisme ont chacun leur physionomie originale et leur rôle personnel dans l’achèvement de la doctrine. Mais ils ont aussi certains traits communs qui frappent d’abord l’observateur. Aucun d’eux n’est Athénien de naissance. Ce sont des Grecs du dehors, de condition modeste en général. L’art les touche peu, et encore moins le respect des opinions traditionnelles. Ils portent dans leur vie un grand sérieux et une indépendance qui ne s’effraie d’aucune opposition ni d’aucune raillerie. Ils affectent un langage bref cet sentencieux. Ils ne craignent pas le paradoxe. Ils raisonnent avec intrépidité et ils conforment leurs mœurs à leurs raisonnements. Ils rompent en visière ouvertement aux préjugés de la multitude, ce qui ne les empêche pas, d’ailleurs, de rester foncièrement grecs par une foule d’idées particulières et par cet amour même de la dialectique dont ils s’enivrent jusqu’aux paradoxes les plus audacieux et les plus tranchants.


Zénon naquit, vers 336, à Kition, colonie phénicienne de l’île de Chypre[74]. Kition était depuis longtemps hellénisée, mais la race y était sans doute assez mêlée et Zénon lui-même paraît avoir eu quelques attaches avec les anciens colons du pays[75].

Son père, qui venait souvent à Athènes pour ses affaires, lui en rapporta les ouvrages des Socratiques, et notamment les Mémorables de Xénophon[76]. Zénon lui-même fit d’abord du négoce. À vingt-deux ans[77], étant venu à Athènes pour son négoce, il y fit la connaissance de Cratès le cynique. Il abandonna le commerce et fut d’abord le disciple de Cratès[78]. Mais il le quitta bientôt pour s’attacher à Stilpon de Mégare, puis au Platonicien Polémon[79]. En même temps il faisait force lectures. Les philosophes anciens l’attiraient, et en particulier Héraclite, dont la doctrine devait passer presque tout entière dans le stoïcisme[80]. Au bout d’une vingtaine d’années de travail et de méditation, il se résolut à exposer à son tour un système personnel. Il réunit chaque jour, au Portique des peintures (Στοὰ ποικίλη), quelques disciples peu nombreux[81], et se mit à causer avec eux de philosophie. Son école s’appela l’École stoïcienne ou du Portique (Στωικοί). Pendant trente ou quarante ans encore, il jeta les fondements de la doctrine et en arrêta les grandes lignes[82], soit par ses conversations, soit par des écrits. La liste de ses écrits est donnée par Diogène Laërce[83]. Elle n’est pas très longue. On y trouve, comme d’habitude, des traités Περὶ τοῦ ὄλου, Περὶ ἀνθρώπων φύσεως, Περὶ παθῶν, etc. Ce qui est plus curieux, c’est qu’on y trouve aussi un Περὶ πολιτείας[84] : le stoïcisme pourtant n’a guère eu le souci de la cité. Mais on voit par quelques citations quel en était l’esprit : au début, Zénon y déclarait que la vraie parenté était celle qui résultait de la sagesse[85] ; ailleurs il y vantait la communauté des femmes, comme Platon, mais seulement pour les sages[86]. Dans cette liste, on trouve encore des Problèmes homériques et un traité Περὶ ποιητικῆς ἀκροάσεω ; (Sur la manière de lire les poètes) : on sait le goût qu’eurent toujours les stoïciens pour l’explication allégorique des poètes.

Zénon méprisait la rhétorique et l’art du style. Il vantait la brièveté sentencieuse du langage (βραχυλογία). La rondeur harmonieuse des périodes isocratiques, si chères à ses contemporains, ne lui inspirait aucune admiration[87]. Il y avait là, peut-être, un souvenir obscur de ses origines phéniciennes. Il avait d’ailleurs de l’esprit[88], et en outre une subtilité dialectique qui se montre dans tout son système.

Il mourut à l’âge de soixante-douze ans[89], de mort volontaire, dit-on[90].

Diogène énumère, comme ses disciples immédiats, Persée de Kition, son compatriote, Hérillos de Carthage ; Denys d’Héraclée, Sphæros du Bosphore, Athénodore de Soles, Ariston de Chios, Callippos de Corinthe, Posidonios d’Alexandrie, Zénon de Sidon, d’autres encore[91]. On remarquera, dans cette liste, plusieurs Grecs semi-phéniciens. Persée fut un des plus célèbres : il avait écrit de nombreux ouvrages[92]. Mais le plus considérable de ces disciples, le successeur de Zénon comme chef de l’école, fut Cléanthe.


Cléanthe était né à Assos, en Mysie[93], sous l’archontat d’Aristophane[94] (en 331). Il fut d’abord athlète. À l’âge de quarante-huit ans, il vint à Athènes pour philosopher. Comme il était fort pauvre (il n’avait en arrivant que quatre drachmes), il fut obligé de travailler pour vivre : il puisait de l’eau pour les jardiniers pendant la nuit et suivait pendant le jour les leçons de Zénon. Sa lenteur d’esprit lui attirait des moqueries. Mais il savait y répondre avec bonne humeur et avec mordant. Ces dehors un peu lourds cachaient une intelligence vigoureuse, capable de longs efforts. Quand Zénon mourut en 364, personne ne fut jugé plus digne que Cléanthe de lui succéder. Il écrivit de nombreux ouvrages[95]. C’étaient des commentaires sur la théorie physique de Zénon et d’Héraclite, puis des traités sur divers détails de la doctrine qui, peu à peu, s’achevait et se précisait[96]. Il écrivit même en vers. Le seul morceau de quelque étendue qui nous reste de ses œuvres est le célèbre Hymne à Zeus, où il avait résumé avec force et non sans talent les principes essentiels du stoïcisme[97]. Nous y reviendrons tout à l’heure.

Cléanthe mourut en 232, à quatre-vingt-dix-neuf ans, de mort volontaire[98].

À côté de Cléanthe, Ariston de Chios mérite aussi une mention[99]. Dans un passage des Silles, Timon, qui raillait la lourdeur de Cléanthe, signale au contraire celui-ci pour sa vivacité souple et diserte. Ses écrits sont mal connus. Mais deux traits se détachent dans le portrait qu’en fait Diogène : d’abord, c’est un demi-stoïcien, un hérétique, qui fonde à son tour une école distincte au Cynosarge[100] ; ensuite c’est un contempteur de la physique et de la dialectique, qu’il comparait à des toiles d’araignées, œuvres d’un art industrieux, sans doute, mais inutile[101] ; il ne s’intéressait qu’a la morale. Le scepticisme de Pyrrhon faisait donc des ravages même parmi les stoïciens.

Le successeur de Cléanthe fut Chrysippe[102], dialecticien redoutable, écrivain d’une fécondité prodigieuse, le plus grand nom du stoïcisme après Zénon.

Chrysippe était né à Soles, en Cilicie[103], vers 280 probablement[104]. Il ne connut peut-être pas Zénon, mais il fut l’élève de Cléanthe. Il semble avoir aussi fréquenté l’Académie et fait quelque infidélité à Zénon[105]. C’était peut-être simple curiosité. Quoi qu’il en soit, il revint au stoïcisme et succéda à Cléanthe en 332. Il resta plus de vingt ans à la tête de l’école. Il mourut dans la 143e Olympiade (209-205). À l’âge de soixante-treize ans selon les uns, de plus de quatre-vingts ans selon les autres.

Il avait composé 750 ouvrages, selon Diogène Laërce, qui nous en a conservé une liste interminable. De tant de volumes, il ne nous reste que de courts fragments[106]. La perte est médiocre pour l’art, car Chrysippe n’était pas un écrivain[107]. Elle est plus regrettable pour l’histoire des doctrines, car c’était, comme on l’a dit, la Somme, pour ainsi dire, du stoïcisme[108], l’arsenal où tous désormais puisèrent. Mais c’est surtout peut-être pour l’historien de la littérature que les ouvrages de Chrysippe eussent été précieux, par l’immense quantité de citations qu’ils renfermaient[109]. Chrysippe fut d’abord un grand compilateur, comme beaucoup de ses contemporains ; peu soucieux d’élégance, peu délicat de goût et d’esprit[110], mais très érudit ; ensuite un raisonneur subtil, ingénieux, paradoxal, inépuisable en ressources dialectiques[111]. On avait fait sur lui un vers : « Sans Chrysippe, pas de Portique[112]. » Un autre grand disputeur, l’Académicien Carnéade, disait plaisamment en changeant un mot de ce vers : « Sans Chrysippe, pas de Carnéade[113]. » Il avait formé même ses adversaires. Au total, grand tapage de disputes, non sans quelque débauche de sophistique à demi-consciente.

Avec Chrysippe, l’évolution du stoïcisme primitif est achevée : la doctrine est organisée dans son ensemble ; elle forme un tout imposant, fortement lié, très original par certains côtés[114].

Les fondateurs du stoïcisme divisaient la philosophie, à l’exemple de Xénocrate, en trois parties : logique, physique et morale.

La logique était la science préliminaire des conditions de la connaissance, ou de la méthode. Le point de départ de toute connaissance est dans la sensation. Peu à peu, les données de la sensation se groupent, se généralisent par une série d’opérations qui en font sortir la science. Les stoïciens avaient étudié avec soin les différentes phases de cette élaboration des impressions sensibles par l’imagination, par l’expérience, par la raison individuelle, jusqu’au terme final, l’acquiescement de chacun à la pensée universelle, le repos dans le consentement unanime des esprits. Ils ne s’étaient même pas bornés à étudier cette évolution en psychologues : ils avaient voulu savoir avec précision suivant quelles lois la raison traduit les idées à l’aide du langage ; de là des traités nombreux sur la grammaire, sur la rhétorique, sur la poétique. Dans tous ces domaines, les stoïciens ont porté un esprit d’analyse ingénieux et fait des découvertes.

Ainsi armée de méthode, la raison humaine conçoit l’ensemble des choses ; elle construit une physique ou science de l’être. La physique stoïcienne doit beaucoup à celle d’Héraclite, mais elle y mêle des idées religieuses qui viennent du socratisme. Tout ce qui existe est matière. Mais la matière est double : elle comprend un élément actif (τὸ ποιοῦν) et un élément passif (τὸ πάσχον). Celui-ci est inerte ; c’est la matière proprement dite (ὕλη). L’autre est un souffle igné (πνεῦμα πυροειδές), une force intelligente, un λόγος. L’association des deux principes est partout. Dans l’individu, le principe igné qui anime le corps s’appelle l’âme (ψυχὴ). Dans le monde, il s’appelle Dieu. Dieu est l’âme du monde. Dans cette association, c’est le principe intelligent et actif, âme ou Dieu, qui est le chef (τὸ ἡγεμονικόν). Dieu est éternel. Au dessous du Dieu éternel, âme du monde, il y a les dieux secondaires de la mythologie, âmes des astres, qui sont périssables. Le monde, qui est le corps de Dieu, se transforme sans cesse : il passe successivement par les quatre états, feu, air, eau, terre, après quoi il s’enflamme et le cycle recommence. Dieu gouverne le monde comme l’âme d’un individu gouverne son corps ; il y a une providence divine. Mais cette providence s’exerce par des lois générales (νόμος κοινός, λόγος κοινός) qui ne laissent aucune place au caprice : la loi suprême est une loi fatale (εἱμαρμένη). L’âme humaine est une parcelle de Dieu (μόριον, ἀπόσπασμα τοῦ θεοῦ). Elle survit au corps plus ou moins longtemps, selon sa qualité, mais rentre dans le tout divin au plus tard lors de la conflagration (ἐκπύρωσις) qui termine chaque période de la vie universelle.

La morale, ou science des mœurs, est en corrélation étroite avec ces principes. Tous les êtres sont poussés par un instinct naturel à leur propre conservation. Chez l’homme, cet instinct est gouverné par la raison. Or la raison, parcelle du Tout, enseigne à l’individu que son devoir (τὸ καθῆκον) est de vivre selon la nature, c’est-à-dire selon les lois que lui assignent les conditions de son existence et ses relations avec l’ensemble des choses. Quand il satisfait pleinement à ces lois, il est aussi parfait qu’il peut l’être. Cette perfection s’appelle la vertu (ἀρετή). La vertu totale embrasse les perfections corporelles aussi bien que celles de l’âme. Mais c’est seulement la vertu de l’âme qui est l’objet de la « théorie » morale. Cette vertu consiste à réaliser le Bien (τὸ ἀγαθόν), c’est-à-dire, selon le sens précis du mot grec, ce qui est bon pour l’âme, ce qui lui est utile, ce qui lui donne par surcroît la joie, conséquence naturelle de ce bien-être. Or le seul bien, pour l’âme, c’est le Beau (τὸ καλόν), c’est-à-dire encore, selon l’usage de la langue grecque, le Bien moral. En dehors du Beau (ou Bien moral), tout le reste est indifférent (ἀδιάφορον) : richesse, gloire, puissance n’ont rien d’essentiel ; ce sont des avantages, sans doute, par rapport à leurs contraires (προηγμένα, ἀποπροηγμένα), mais ce ne sont pas des biens proprement dits. Quant au Bien véritable, il est unique par essence, de telle sorte qu’il n’y a pas d’inégalités ni de degrés dans les biens : il n’y a que le Bien absolu d’une part, et de l’autre ce qui n’est pas le Bien.

Dès lors, le devoir (τὸ καθήκον), c’est-à-dire la conduite avouée par la raison (ὃ πραχθὲν εὔλογον ἔχει ἀπολογισμόν), est simple et clair : c’est de mépriser tout ce qui est indifférent et de s’attacher au seul bien. Le véritable sage (ὁ σοφός) est l’homme qui a su se retrancher dans cette forteresse inviolable de l’absolu, où il est désormais à l’abri des coups du sort. Le stoïcisme a célébré en termes enthousiastes le sage idéal qu’il imaginait : le sage est infaillible, il est riche sans argent, roi sans royaume, toujours heureux, toujours grand, seul capable de se suffire à lui-même. La foule des hommes, au contraire, attachée aux choses indifférentes, est vile et méprisable.

Il est aisé de railler le stoïcisme et de dire, par exemple, avec Cicéron, que le stoïcien est un homme qui met sur le même rang le crime de tuer son père et celui de tuer un coq[115] ; — ou avec Horace[116] :

Ad summum sapiens uno minor est Jove, dives,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum,
Præcipue sanus, nisi cum pituita molesta est !

Mais il est à la fois plus juste et plus intéressant de reconnaître ce que l’humanité doit à ces penseurs hardis, à ces dialecticiens sublimes et un peu bizarres. Laissons de côté leur logique, malgré les nombreuses découvertes de détail dont elle a enrichi la science, et leur physique, qui n’est en somme qu’une construction a priori, un poème grandiose sans doute, mais enfin un poème, c’est-à-dire tout autre chose qu’une œuvre de science, et en outre un poème inspiré d’Héraclite. Restons sur le terrain de la morale. Ici, combien ils sont originaux !

Très Grecs toujours, assurément, par le caractère intellectualiste de leur doctrine, par leur conception du rôle de la raison, par leur dialectique, par leur audace même dans le paradoxe ; mais combien nouveaux aussi par cette affirmation capitale, qu’entre le bien moral et tout le reste, il n’y a aucune commune mesure ! Le bien moral est tout, le reste n’est rien. Ni Aristote ni même Platon n’étaient allés jusque là. La vertu, pour la pensée grecque, n’était guère qu’une bonne affaire comme une autre, seulement plus noble et plus sûre. L’absolu véritable répugne au fond à l’esprit pondéré de la Grèce classique. Faut-il donc songer, à ce propos, aux origines, à demi sémitiques peut-être, de Zénon ? Le doute, sur ce point, reste permis. Ce qui est sûr, c’est qu’alors pour la première fois s’est fait entendre dans le monde grec une voix qui aura plus tard son écho dans le christianisme, dans l’impératif catégorique de Kant, et qui va susciter, après trois siècles, l’héroïsme pratique des Thraséas, des Épictète, des Marc-Aurèle. Le stoïcisme n’a jamais été que la religion philosophique d’une élite peu nombreuse ; mais il a rendu cette élite si grande, malgré des travers faciles à noter, qu’il mérite une place glorieuse dans l’histoire des doctrines morales.

Au point de vue littéraire, son rôle, au contraire, est médiocre. Nous avons déjà dit que les fondateurs du stoïcisme n’avaient pas été des écrivains au sens artistique du mot. Comme prosateurs, ils ne comptent pas. Le seul monument qui nous reste d’eux est l’Hymne à Zeus de Cléanthe. C’est un beau morceau, mais d’une beauté surtout morale et intellectuelle : Cléanthe a résumé dans ces vers, avec précision, avec force, avec une très noble gravité religieuse, la physique et la morale du stoïcisme. C’est l’œuvre d’un versificateur habile et convaincu, plus encore que d’un grand poète. La mythologie traditionnelle y est mise, selon l’usage des stoïciens, au service des doctrines nouvelles, et les termes techniques de l’école s’y allient, non sans habileté ni sans grâce, aux épithètes homériques. Ce mélange même en fait quelque chose d’intraduisible ; car on ne reconnaîtrait plus, en français, ni les unes ni les autres[117].

V

En même temps que le Stoïcisme, apparaît l’Épicurisme, qui en est, presque à tous égards, la contre-partie.

Le fondateur de l’École, Épicure, était un Athénien du dème de Garghettos[118]. Il naquit en 342. Il grandit à Samos, ou son père était venu habiter en qualité de clérouque. Devenu homme, il exerça pour vivre le métier de maître d’école. En même temps qu’il enseignait les lettres aux enfants, il lisait beaucoup pour son propre compte. Son esprit s’inquiétait de l’origine des choses et des maux de l’humanité. Les explications du chaos hésiodique qu’il trouva chez les commentateurs de la Théogonie le dégoûtèrent. Au contraire, ayant lu Démocrite, il fut charmé de sa doctrine, et s’en nourrit. Il semble avoir constitué son propre système vers l’âge de trente ans. De 310 à 306, il l’enseigne successivement à Mytilène et à Lampsaque. En 300, il revient à Athènes, où il devait finir sa vie. Dès son retour, il acheta pour quatre-vingts mines[119] le fameux jardin (κῆπος) où il allait prendre l’habitude de réunir ses disciples, qu’il appelait ses amis[120]. Le caractère d’Épicure fut attaqué de bonne heure avec violence et perfidie, surtout par ses rivaux les Stoïciens[121], qui l’accusèrent de tous les vices. Diogène Laërce, son biographe, prend sa défense avec ardeur. Quoi qu’on pense de la doctrine, il est certain que l’homme était charmant, plein de douceur et d’aménité, d’une délicatesse d’esprit et de cœur vraiment exquise. Il vivait avec ses amis d’une vie commune dans son domaine, mais sans que leurs biens fussent en commun : la maxime des Pythagoriciens, que la propriété des amis doit être commune (κοινὰ τὰ φίλων), lui semblait une maxime de méfiance réciproque : les vrais amis devaient être assez sûrs les uns des autres pour n’avoir pas besoin d’être propriétaires indivis d’un bien collectif[122]. C’est ainsi qu’il vivait avec Métrodore, cet autre lui-même, dont on aimait, dans l’antiquité, à reproduire les traits avec les siens dans de doubles bustes. C’est le même sentiment qu’on retrouve dans ses relations avec les autres disciples, dans sa tendresse pour son esclave Mys, qu’il forma à la philosophie[123], dans son testament, si noble, enfin dans une foule de belles pensées qu’il a écrites sur l’amitié : « Un ami mort est doux encore au souvenir[124]. » — « Il est plus doux de faire du bien que d’en recevoir[125] ; » etc. Diogène Laërce vante aussi sa sobriété, que nous n’avons aucune raison de mettre en doute. Bref, comme homme, il eut droit à tout respect et à toute affection. Il mourut en 270, laissant une quantité considérable d’écrits et une école florissante.

Épicure fut un écrivain prodigieusement fécond. Il avait composé, selon Diogène, presque autant d’ouvrages que le Stoïcien Chrysippe[126]. C’étaient d’abord d’innombrables traités sur des points particuliers du système. Diogène en donna la liste[127]. Mais c’étaient aussi des résumés, des catéchismes de la doctrine, destinés à être appris par cœur et à servir de vade mecum aux disciples[128]. Telles sont les deux Lettres à Hérodote et à Ménécée, qui nous ont été conservées par son biographe[129]. Telles sont aussi ses Opinions fondamentales (Κύριαι δόξαι), également conservées par Diogène, et dont le recueil, s’il n’a pas été formé par Épicure lui-même, remonte au moins à ses premiers disciples, qui ont extrait de ses œuvres, d’une manière toute conforme à son esprit, la moëlle, pour ainsi dire, et la substance condensée de la doctrine. Épicure, en effet, n’est plus du tout un spéculatif : c’est un maître de la vie pratique, un homme préoccupé d’établir les règles précises du bonheur. Il ne demande à ses disciples aucune préparation scientifique[130]. Il ne veut pas faire d’eux des dialecticiens et des savants[131]. Ayant trouvé pour son propre compte le moyen d’être heureux, il l’enseigne aux autres comme une sorte de religion pratique dont il est le prophète et le grand prêtre[132]. Ses disciples, de leur côté, acceptent ses dogmes sans les discuter. Le néo-platonicien Numenius, au second siècle de l’ère chrétienne, remarquait que l’Épicurisme n’avait pas eu d’hérésies, et que toute altération de la doctrine était condamnée par les épicuriens comme une faute, ou plutôt comme une impiété[133]. C’est là, en Grèce, une grande nouveauté : car l’esprit grec n’avait pas coutume de s’enchaîner par des formules. Rien ne montre mieux, en revanche, le caractère essentiellement pratique de la doctrine : la liberté des opinions est, en effet, un besoin de l’esprit spéculatif : dans la pratique, c’est de vérité prouvée, ou du moins de vérité acceptée comme telle, que l’on a surtout besoin. L’apparition et le succès de l’épicurisme attestent un affaiblissement notable de la pensée spéculative en Grèce. Et cependant, cette philosophie pratique comprend encore une théorie de la méthode, une physique même, en dehors de la morale proprement dite. Mais physique et méthode y sont étroitement subordonnées à la morale.

Il semble que le point de départ de la pensée d’Épicure ait été à peu près celui-ci : la condition humaine est rendue misérable par des idées, des passions, des maux physiques ; quelle est, dans toutes ces misères, la part de l’illusion ? À quoi se réduisent-elles pour qui sait voir les choses comme elles sont ? Épicure crut avoir trouvé le remède à ces maux dans une méthode intellectuelle rigoureuse, dans une physique exacte, dans une morale conforme aux principes de sa physique et de sa logique.

Il appelle sa logique la canonique ou le canon (κανών), c’est-à-dire la science des règles de la pensée[134]. L’origine de toute connaissance est dans la sensation (αἴσθησις). De la multitude des sensations particulières se forment les idées générales (προήψεις). Quand les sensations ne fournissent pas de données suffisantes, l’esprit en est réduit à la conjecture (ὑπόηψις), sur laquelle on ne peut rien fonder de solide. Les idées générales, au contraire, élaborées et groupées par le raisonnement (ἐπιλογισμός), sont le fondement de la science (ἐπιστήμη), qui, par conséquent, repose tout entière, en dernière analyse, sur les données primitives des sens. La sensation n’est pas seulement la source des idées : elle est encore une source de passions (πάθη), c’est-à-dire de plaisirs et de peines. Par là elle est la racine aussi de la morale. Mais voyons d’abord ce qu’elle fait connaitre à l’homme sur la nature des choses extérieures, sur la physique.

Épicure est peu inventeur sur ce sujet : il a simplement copié Démocrite, sauf quelques corrections de détail qui avaient probablement moins d’importance à ses yeux qu’elles n’en ont pris chez ses commentateurs. On s’est demandé pourquoi il s’était ainsi attaché à Démocrite[135]. La raison de ce fait paraît assez simple. La doctrine de Démocrite était en effet la seule, parmi les doctrines récentes, qui fut entièrement conforme à la première règle du canon, à savoir de n’admettre aucune idée qui ne dérivât d’une sensation, d’exclure toute conception d’un principe spirituel, d’un Νοῦς quelconque. Épicure répéta donc, après Démocrite, que rien ne naît de rien, que rien n’existe en dehors de l’espace et des corps, que l’élément constitutif des corps est l’atome, que le nombre et la diversité des atomes sont indéfinis, qu’ils sont toujours en mouvement et que leurs rencontres forment des combinaisons qui sont les corps. Il ajoute seulement que le mouvement des atomes ne s’opère pas toujours de haut en bas, par manière de chute, comme le disait Démocrite, mais qu’ils subissent aussi des déviations : c’est le fameux clinamen jugé indispensable par Épicure pour expliquer que les atomes se rencontrent et s’accrochent. Quelle est l’origine et la vraie nature de ce clinamen ? Épicure ne semble pas, à vrai dire, s’être beaucoup préoccupé de ce problème : dans sa Lettre d’Hérodote, il n’y fait qu’une allusion des plus rapides[136]. Il voyait là sans doute une hypothèse nécessaire, et, n’ayant rien d’un pur spéculatif, il évita de s’y attarder. Le cours des atomes produit des mondes infinis. Dans chaque être et dans chaque objet, les atomes sont toujours en mouvement ; ceux de la surface s’échappent, aussitôt remplacés par d’autres, et vont frapper les sens de l’observateur, qui perçoit ainsi les images (εἴδωλα) des objets réels et solides (στερέμνια). L’âme est un corps plus subtil, infus dans le corps proprement dit. Après la mort, cette âme se disperse (διασπείρεται), et perd ainsi toute sensibilité, comme le corps qu’elle a quitté[137]. Quant à imaginer un être incorporel, c’est une folie : il n’y a d’incorporel que le vide[138]. Les phénomènes qui se produisent dans le monde sont l’effet du jeu naturel des mouvements d’atomes. Aucune providence ne gouverne ces mouvements : ils sont le résultat du hasard (τύχη), qui est le maître souverain du monde[139]. Épicure ne veut même pas qu’on parle de la destinée, de la fatalité (εἱμαρμένη), comme les stoïciens[140] : il s’en tient à l’idée vague et un peu puérile du hasard. Il ne nie pas les dieux ; il en parle volontiers et souvent ; mais ses dieux, comme ceux de Démocrite, ne sont que des images ou idoles, composées d’atomes plus fins, êtres périssables aussi bien que l’homme, seulement plus heureux, et dont le bonheur même implique une indifférence complète à l’égard de toutes choses[141].

La morale est l’art de conduire la vie humaine selon sa vraie fin[142]. Or cette fin, pour tous les philosophes anciens, est le bonheur. Toute la dispute, entre eux, est de savoir où réside le bonheur. Épicure le place franchement dans le seul plaisir, c’est-à-dire dans la satisfaction des sens : théorie bien conforme à sa conception générale des choses, qui ramène tout à la sensation. Il a sur ce sujet des aphorismes d’une hardiesse un peu scandaleuse, d’un cynisme prémédité. « Supprimez, disait-il, les plaisirs des sens, je ne vois plus rien qui mérite le nom de bien[143]. » Ou encore : « Le bien, la vertu et toutes les choses de cette sorte méritent d’être honorées si elles apportent quelque plaisir ; sinon, non[144]. » — « Je crache sur le bien qui ne me procure aucun plaisir, et je méprise ses frivoles admirateurs[145]. » Suit-il de là que l’homme doive s’abandonner à toutes ses passions, ou suivre en aveugle, comme les bêtes, l’attrait du plaisir ? Non. Il y a d’abord de faux plaisirs, des plaisirs purement illusoires, comme il y a des douleurs imaginaires. Tels sont les plaisirs de l’ambition, de la gloire, qui ne sont que chimères[146]. De plus il y a des plaisirs qui produisent des douleurs, de même que certaines douleurs sont suivies de plaisir. La débauche et la plupart des vices sont, au total, une mauvaise affaire. La saine raison pèse les avantages et les inconvénients de chaque chose, et fait son choix en conséquence[147]. Savoir faire ce choix, c’est la véritable sagesse (φρόνησις)[148]. Avec la sagesse, on arrive facilement au bonheur. Épicure se moque des pessimistes[149]. Il croit que la nature, somme toute, est bonne, et que la plupart des maux qui troublent la vie humaine sont des créations de notre imagination chimérique. La crainte de la vie future, qui agite tant d’hommes, n’est fondée que sur l’ignorance de la physique. La crainte de la mort n’est pas plus raisonnable : la mort n’est effrayante que par les apparences illusoires dont notre imagination l’environne[150]. Les douleurs physiques sont un mal plus sérieux : cependant elles sont aussi singulièrement grossies par l’imagination. Il y a une loi de compensation bienfaisante par laquelle, en général, les douleurs vives sont courtes au lieu que les douleurs longues sont tolérables[151]. Les vrais plaisirs, ceux que la nature réclame impérieusement, sont d’ordinaire faciles à trouver ; ce sont les plaisirs d’opinion, les faux, qui sont les moins accessibles[152]. En résumé, le bonheur est surtout négatif : il consiste à éviter les maux qui troublent la vie ; il réside essentiellement dans l’ataraxie (ἀταραξία). Le sage idéal est un homme qui atteint à l’ataraxie parfaite. Pour cela, il réprime ses passions, il se contente de peu, il ne recherche que les plaisirs raisonnables et légitimes. Il est prudent, il est moral, il est juste, il est pieux ; non par aucune admiration métaphysique pour la vertu, mais par le souci de son propre plaisir bien entendu. Il semble qu’Épicure ait voulu tracer le pendant du sage stoïcien[153]. Il va jusqu’à dire, comme Zénon, que le sage, fût-il mis à la torture, serait encore heureux[154]. Le paradoxe, déjà fort dans la bouche d’un stoïcien, devient peu explicable chez Épicure.

Quoi qu’il en soit, on voit que la morale d’Épicure, dans la pratique, aboutissait à des conclusions qui se rencontraient sur bien des points avec celles du stoïcisme lui-même. On peut aussi accorder à Diogène Laërce qu’Épicure donna personnellement le modèle de toutes les vertus, qu’il fut un des hommes les plus dignes d’estime et d’affection que la Grèce ait produits. S’il l’on veut pourtant juger avec vérité la doctrine épicurienne et son influence, il ne faut pas s’en tenir à ces dehors : il faut aller jusqu’au principe. Or ce principe était foncièrement dangereux et il a fait au monde antique beaucoup de mal. Le vice capital de l’épicurisme est d’avoir aboli, pour autant qu’il était en lui, la notion même du devoir. Ce grand mot, qui sonne si fièrement (et si étrangement parfois) dans le stoïcisme, est absent de la doctrine d’Épicure. Grave lacune ; car il y a dans ce mot seul une vertu. Quelle que soit la doctrine métaphysique sur laquelle on fonde le devoir, il importe à l’humanité qu’on lui prêche le devoir. Épicure lui a prêché le culte des sens et de l’individualisme. Il l’entendait d’une manière délicate. Mais la foule n’a pris de la leçon que ce qu’elle en pouvait entendre et ce qui lui en plaisait. Pour un épicurien grave et enthousiaste comme Lucrèce, il y en a cent qui ne sont que de bons vivants. La doctrine eut un succès prodigieux : elle répondait au sensualisme naïf de la Grèce et à l’individualisme croissant de la période alexandrine. Le théâtre de Ménandre, l’élégie des Philétas et des Méléagre, les arts plastiques, la vie pratique tout entière sont de plus en plus pénétrés d’épicurisme conscient et inconscient. Les Éros et les Aphrodites de la peinture et de la sculpture, les maximes faciles de Pompéi en rendent témoignage. Nulle doctrine n’a plus contribué que l’épicurisme à donner à l’esprit païen, dans les derniers siècles de l’antiquité, en face du christianisme grandissant, sa forme propre et sa signification caractéristique. Il en était devenu comme l’essence. Au ive siècle de l’ère chrétienne, alors que les autres doctrines philosophiques n’étaient guère qu’un souvenir, il y avait encore une tradition épicurienne[155], et cette tradition, il faut l’avouer, ne faisait pas honneur au paganisme.

Comme écrivain, Épicure a été jugé sévèrement en général par les anciens. Lui-même paraît avoir dit qu’écrire n’était pas une grande affaire (οὐκ ἐπίπονον τὸ γράφειν)[156]. Les juges les plus favorables, comme son biographe Diogène Laërce, ne trouvent guère à louer dans son style que la clarté[157]. Cicéron lui refuse jusqu’à cette clarté même[158]. Denys d’Halicarnasse, étudiant les différentes sortes de style, écarte dédaigneusement d’un mot Épicure et les Épicuriens, comme étrangers à tout art de style[159]. D’autres parlent de sa lourdeur, de son défaut d’harmonie et de pureté[160]. Ces jugements ne doivent pas être acceptés tout à fait sans réserves ou du moins sans explications. L’obscurité que Cicéron reproche à Épicure vient surtout d’une terminologie spéciale dans l’intelligence de laquelle il faut d’abord entrer. Ce langage technique et abstrait est assurément bien loin de la belle simplicité classique. Mais une fois qu’on en a la clef, on trouve qu’il n’est pas sans mérites. Épicure sait trouver la formule brève et pleine qui grave la pensée, Il a du nerf et du trait. Son style ne laisse voir ni émotion ni imagination ; mais on y trouve parfois une sorte de grandeur qui vient de la gravité de sa pensée, de la conviction sereine avec laquelle il énonce ses aphorismes, de l’autorité qui s’attache à cette belle assurance de sa foi philosophique : il parle en homme qui a touché le port et qui, du rivage, voit le reste de l’humanité dans la tempête. Comme d’ailleurs sa morale du plaisir est, dans la pratique, une morale de modération et de sagesse, il a des pages d’une inspiration vraiment belle et élevée sur les conditions de la vie heureuse. « Ce ne sont pas les beuveries et les festins, ni les amours, ni les poissons délicats et autres raffinements d’une table somptueuse, qui rendent la vie agréable : c’est une raison à jeun[161], capable de savoir pourquoi elle veut ou ne veut pas, capable de rejeter les opinions vaines, source ordinaire des troubles de l’âme[162]. » De telles lignes pourraient être signées d’un socratique : pour être d’Épicure, elles n’en sont pas moins d’une aimable et forte sagesse.


À côté d’Épicure, il faut signaler son disciple préféré, Métrodore, qui mourut sept ans avant lui[163]. Nous savons par Diogène Laërce les titres d’une vingtaine d’ouvrages de Métrodore, mais les fragments qui nous en restent sont sans importance.

Le successeur d’Épicure fut Hermarchos, de Mitylène, qui avait fait la connaissance du maître lors du séjour de celui-ci dans sa ville natale. C’était donc un des plus anciens disciples. Épicure en parle avec affection dans son testament et le désigne lui-même pour son successeur[164].

Hermarchos, à son tour, fut remplacé par Polystratos[165], dont un écrit assez insignifiant nous a été conservé par les papyrus d’Herculanum[166].

Rappelons encore Colotès de Lampsaque, dont un écrit sur le bonheur fut réfuté, quatre siècles plus tard, par Plutarque. C’est son meilleur titre de gloire aux yeux de la postérité[167].

Diogène Laërce nous a également conservé les noms de Polyænos, de Leonteus, d’Hérodote (à qui Épicure écrivit une de ses Lettres), de Timocrate de Lampsaque, d’Ariston, d’Idoménée, de quelques autres encore, qu’on trouve cités parfois chez les anciens. Ce ne sont guère pour nous que des noms, mais qui ont eu de la célébrité, et qui nous montrent le rapide éclat jeté par l’école épicurienne, destinée d’autre part à durer tant de siècles.

VI

Les affirmations tranchantes et souvent contradictoires de tant d’écoles hardiment dogmatiques devaient susciter une réaction sceptique. Elle se produisit au moment même ou le stoïcisme et l’épicurisme reculaient, pour ainsi dire, les limites du dogmatisme. Elle eut pour auteur Pyrrhon d’Élis[168].

Pyrrhon, né vers 360, mort vers 270, fut d’abord peintre. Il se tourna ensuite vers la philosophie de Démocrite, qui lui fut enseignée par Anaxarque. Il accompagna celui-ci en Asie, à la suite de l’armée d’Alexandre, puis revint dans sa patrie, on il se mit à enseigner le scepticisme pendant trente ou quarante ans. Il ne laissa aucun écrit. Il n’appartient donc à l’histoire littéraire que par ses disciples. Bornons-nous à caractériser en quelques mots son esprit et la nature de son influence[169].

Pyrrhon, comme tous les philosophes de son temps, se met à la recherche du souverain bien, c’est-à-dire du bonheur. Mais au lieu de fonder le bonheur sur une connaissance exacte des choses, il le place hardiment dans l’indifférence à l’égard de cette connaissance ; il dirait volontiers, comme Montaigne, que le doute est un « mol oreiller pour une tête bien faite. »

Nous ne pouvons rien connaitre, en effet, parce que rien n’est essentiellement. Le bien et le mal n’ont pas d’existence en soi : c’est la convention et le préjugé qui les créent. Ni les sens ni l’opinion ne nous apprennent rien de solide. La raison, par conséquent, ne peut bâtir sur aucune donnée certaine. Pyrrhon répétait volontiers des aphorismes comme ceux-ci : « Il n’y a pas de définition[170]. » — « Autant ceci que cela[171]. » — « Il n’y a pas d’argument qui n’ait sa réfutation. » — « Dans l’inconsistance des choses et l’équivalence des raisons contraires, il n’y a pas de connaissance possible de la vérité[172]. »

Le sage n’a donc qu’une chose à faire : suspendre son jugement, ne rien dire, avouer qu’il ne sait pas et ne comprend pas (ἐποχή, ἀφασία, ἀκαταληψία). S’il sait s’en tenir à cette prudente réserve, il sera parfaitement exempt de troubles et de soucis, et trouvera l’ἀταραξία vainement cherchée par les autres écoles.

Jusqu’où allait le doute de Pyrrhon ? Suivant Diogène, il était absolu, et s’étendait à tous les détails pratiques de la vie : il fallait que ses amis lui fissent éviter les chiens et les précipices pour le soustraire au danger[173]. Suivant Énésidème (cité par Diogène), Pyrrhon n’allait pas si loin, et nous en croirons volontiers ce second témoin : dans la pratique, Pyrrhon se conduisait, comme tout le monde, à l’aide de ses sens et de sa raison ; seulement il ne se croyait pas ainsi en possession de la vérité. Dans ces limites, le pyrrhonisme se ramène à une sorte de positivisme : il consiste à croire que nous ne pouvons savoir « le tout de rien. » Les sophistes du ve siècle, et notamment Gorgias, avaient déjà fait quelques pas dans la même voie, mais quelques pas seulement : car leur scepticisme ne portait ni sur l’idée de l’utile ni sur les choses pratiques. Pyrrhon ne croit pas plus à une science véritable de l’utile qu’à une science de la nature. Et il a en outre cette originalité d’accepter avec joie cette ignorance totale, et de voir, dans l’impuissance radicale de l’esprit à connaitre les choses, la meilleure garantie du bonheur de l’homme, si celui-ci sait pratiquer comme il convient la « suspension du jugement », la fameuse ἐποχή.

Ces théories répondaient à une tendance très générale chez les esprits cultivés du iiie siècle, car elles trouvèrent de l’écho. Non que le pyrrhonisme se soit organisé à proprement parler en école, comme le stoïcisme ou l’épicurisme : nous ne connaissons guère à Pyrrhon que deux ou trois disciples directs tout au plus ; le scepticisme d’Énésidème, qui se rattache au sien à certains égards, en est séparé dans le temps par un intervalle de deux siècles. Mais ses idées s’infiltrèrent dans les écoles voisines, et l’Académie platonicienne tout entière se pénétra de son esprit.

Parmi ses disciples directs, on cite Nausiphane de Téos, qui conciliait cependant ses doctrines avec celles de Démocrite[174], et l’historien Hécatée d’Abdère. Mais le seul qui mérite, comme philosophe, une place dans l’histoire littéraire, c’est Timon, le « sillographe. »

Timon était né à Phlionte, vers la fin du ive siècle[175]. On raconte qu’il fut d’abord danseur. Il entendit ensuite Stilpon à Mégare, puis Pyrrhon à Élis. Il devint philosophe et sophiste. Son existence fut longtemps très vagabonde. Comme les sophistes, il donnait des séances pour de l’argent. Il séjourna successivement à Byzance, à Chalcédoine, en Macédoine, à Thèbes, probablement aussi à Alexandrie, enfin à Athènes, où il passa la plus grande partie de sa vie. Il fut en relations avec beaucoup des écrivains célèbres de son temps. Les rois Antigone Gonatas et Ptolémée Philadelphe lui témoignèrent de la bienveillance. Il eut une grande réputation, et mourut à quatre-vingt-dix ans, dans la seconde moitié du iiie siècle[176].

Il avait laissé de nombreux ouvrages en prose et en vers. On ignore à quel genre appartenaient ses ouvrages en prose. Parmi ses poèmes, il y avait des tragédies, des drames satyriques, des iambes[177], un ouvrage intitulé Python[178], et surtout deux poèmes très célèbres, les Silles (Σιλλοί, railleries) et les Images (Ἰνδαλμοί), où il touchait à la philosophie. Il nous reste quelques vers seulement des Images, mais cent quarante des Silles, et nous pouvons nous faire quelque idée du poème, dont Diogène nous donne le plan[179].

Les Silles étaient une revue de tous les systèmes philosophiques, tournés en ridicule dans une sorte de Νεκυία, semble-t-il, ou paraissaient leurs auteurs. Le poème se composait de trois livres. Le premier était sous forme de récit. Dans les deux autres, Timon dialoguait avec Xénophane : il interrogeait le vieux philosophe-poète, et celui-ci lui répondait[180]. Dans ce dialogue défilaient tour à tour tous les inventeurs de systèmes, depuis les plus anciens jusqu’aux plus nouveaux. Tous, bien entendu, étaient raillés, sauf Pyrrhon. Ces croquis de philosophes ont un double mérite : ils sont spirituels, et ils sont d’un homme qui sait les choses dont il parle. On s’explique sans peine qu’ils aient été souvent cités par les anciens : la plupart de ces petits médaillons satiriques sont aussi amusants qu’instructifs. Son mot sur le Musée, qu’il appelle « la volière des Muses[181] », est célèbre. Il disait de Platon, en un joli vers aux allittérations intraduisibles :

Ὡς ἀνέπλαττε Πλάτων πεπλασμένα θαύματα εἰδώς[182].

Ses portraits de Zénon et d’Arcésilas sont très fins et très précis[183]. Rien, du reste, n’est insignifiant dans cette suite de vives et brèves images.

Quelques historiens de la philosophie ancienne avaient essayé de renouer la chaîne entre le pyrrhonisme primitif et celui d’Énésidème[184]. Mais il semble bien que cette tentative fût purement artificielle. Après Timon, le pyrrhonisme proprement dit cesse de former une école. C’est dans la moyenne et la nouvelle Académie que son influence se fait surtout sentir, et c’est par elles qu’il continue de vivre et d’agir jusqu’à Énésidème.

VII

Nous avons vu, dans la première partie de ce chapitre, les derniers philosophes de l’ancienne Académie, les Polémon, les Cratès, les Crantor, s’occupant à renouveler, par l’ingénieuse élégance de l’expression, les lieux communs de la morale platonicienne. Le stoïcisme et le pyrrhonisme infusèrent un sang nouveau à l’Académie déclinante : l’un lui offrit un ennemi à combattre, l’autre lui fournit des armes. À l’outrance paradoxale de Zénon, elle opposa les arguments sceptiques de Pyrrhon, mais au profit du sens commun plutôt que du scepticisme proprement dit, et particulièrement au profit de la morale platonicienne, donnée comme vraisemblable, sinon comme certaine.

Les deux grands noms de cette période sont ceux d’Arcésilas et de Carnéade, qui furent tous deux scolarques de l’Académie. Le premier est le fondateur de ce qu’on appelle la « moyenne » Académie ; le second, de la « nouvelle ». La différence, à vrai dire, entre la moyenne et la nouvelle Académie, est subtile et négligeable : l’esprit est le même dans les deux, et la seconde ne fait guère que continuer la première en poussant la doctrine un peu plus avant sur certains points. À côté d’Arcésilas et de Carnéade, mentionnons encore les deux scolarques intermédiaires, Evandros et Hégésimos, d’ailleurs inconnus[185] ; puis Lakydès, disciple d’Arcésilas, à qui Diogène Laërce a consacré une courte notice[186] ; enfin Clitomaque, élève de Carnéade, Carthaginois de naissance (il s’appelait Asdrubal)[187], Grec d’adoption, écrivain fécond, et dont les nombreux écrits paraissent avoir été une des sources philosophiques où Cicéron puisa le plus abondamment[188]. Au milieu de ces ombres effacées, Arcésilas et Carnéade ont seuls une physionomie un peu distincte.

Arcésilas[189], né à Pitané (en Éolide), vers 315, vint à Athènes de bonne heure, y écouta, semble-t-il, divers maîtres, ou subit du moins leur influence, et se composa ainsi une philosophie où se combinaient le platonisme, le pyrrhonisme et la dialectique de Mégare[190]. Après la mort de Cratès, vers 260, il devint scolarque. Sa vie se passa tout entière à l’Académie : les seuls événements de sa biographie sont les disputes philosophiques qui la remplissent[191]. C’était un homme excellent, d’un cœur généreux, d’une bienfaisance active et discrète[192]. Jamais on ne vit disputeur plus ardent, plus souple, plus retors et insaisissable[193] ; avec cela spirituel et mordant à l’occasion[194]. Ses adversaires ordinaires furent les Stoïciens, qui attaquèrent sa vie et ses mœurs[195]. Mais ses disciples l’adoraient. Le principe de sa doctrine était que la vérité absolue échappe à l’esprit humain, que la φαντασία καταληπτική des Stoïciens est une illusion, qu’elle peut être produite par le faux comme par le vrai[196], que le sage doit suspendre son jugement, s’en tenir au doute (ἐποχή) sur le fond des choses, et se contenter, dans la pratique, de la vraisemblance, établie sur une certaine logique du discours (τὸ εὔλογον). — Il mourut en 241, n’ayant écrit que quelques vers et quelques lettres[197].

Carnéade, né a Cyrène vers 215, mort en 129, acheva la théorie du probabilisme[198]. Il y avait, salon lui, trois degrés de probabilité (πιθανότης). Il distinguait les opinions simplement probables (δόξαι πιθαναί), celles dont la probabilité s’imposait par le force de certains arguments irréfutables (πιθαναί ϰαὶ ἀπερίσπαστοι), celles qui étaient de tout point irréfutables (ἀπερίσπαστοι ϰαὶ περιωδευμέναι)[199]. Mais cette force apparente de certaines opinions était, à ses yeux, purement logique[200]. Au fond, la vérité objective est inconnue. Son disciple Clitomaque disait n’avoir jamais pu découvrir une vérité que Carnéade tint pour absolument certaine[201]. Disputeur autant qu’Arcésilas, il l’était autrement : c'était moins encore un dialecticien qu’un orateur[202]. Sa voix puissante[203], sa fougue entraînante, l’éclat de son imagination[204], auraient peut-être fait de lui, à une autre époque, un orateur plutôt qu’un philosophe. En l’année 156, les Athéniens, ayant une contestation avec les habitants de Sicyone, envoyèrent trois députés au sénat romain pour défendre leur cause. Carnéade fut un de ces envoyés, avec le péripatéticien Critolaos et le stoïcien Diogène[205]. Carnéade, comme ses collègues, profita de cette circonstance pour faire à Rome ce qu’on appellerait aujourd’hui des « conférences ». Il prit pour sujet : « la Justice ». Un jour, il démontra qu’elle existait ; le lendemain, il prouva à ses auditeurs qu’elle n’existait pas, et les laissa scandalisés[206] ; les Romains n’étaient pas encore mûrs pour cette sophistique.

On peut s’étonner que l’école platonicienne ait abouti à ces jeux d’esprit, qui sentent plus la manière de Protagoras que celle de Platon. Mais il faut remarquer qu’aux yeux de Platon lui-même le seul fondement de la connaissance vraie des choses, c’est la théorie des Idées, en dehors de laquelle il n’y a que des « opinions » plus ou moins douteuses et vaines. Il est donc très naturel que, la théorie des Idées étant peu à peu abandonnée par ses disciples (et cela dès la première génération), la place soit demeurée libre pour l’invasion des doctrines sceptiques, qui donnaient à la dialectique de si belles occasions de se déployer.

Il reste aussi à se demander jusqu’où allait, en définitive, ce scepticisme de la nouvelle Académie. M.  Martha, dans une charmante page de son mémoire sur Carnéade, prend sa défense. « Nous sommes, dit-il, tous probabilistes, vous et moi, savants et ignorants. Nous le sommes en tout, excepté en mathématiques et en matière de foi… En physique, nous accumulons des observations, et, quand elles nous paraissent concordantes, nous les érigeons en loi vraisemblable, loi qui dure, loi qui reste admise, jusqu’à ce que d’autres observations ou des faits autrement expliqués nous obligent à proclamer une autre loi plus vraisemblable encore… Dans les assemblées politiques, où se plaident le pour et le contre sur une question, on pèse les avantages et les inconvénients d’une mesure législative, et, si la passion ne vient pas troubler la délibération, le vote est le résultat définitif des vraisemblances que les orateurs ont fait valoir. Le vote n’est qu’une manière convenue de chiffrer le problème… La méthode de Carnéade, comme du reste toutes les méthodes, ne fait donc qu’ériger en règles plus ou moins judicieuses ce qui se fait tous les jours dans la pratique de la vie[207]. » Il y a bien de la vérité dans ces réflexions, mais peut-être ne suffisent-elles pas à résoudre le problème. On n’est pas sceptique pour regarder, en fait, beaucoup d’opinions comme incertaines, si l’on admet aussi, au moins d’une foi implicite, qu’il y a une vérité objective connaissable et qu’il y a théoriquement une méthode pour la connaitre. Or la plupart des hommes dont parle M. Martha ont cette foi profonde. On est sceptique au contraire si on ne l’a pas. Or la nouvelle Académie ne l’avait pas. Elle est donc foncièrement sceptique, malgré l’atténuation apparente qu’elle apporte à la doctrine par l’emploi du mot « probabilisme ». En somme, Carnéade revient presque, je le répète, à Protagoras. Sa méthode peut suffire, dans la pratique, à la conduite de la vie. C’est peut-être une bonne philosophie d’avocat, et on comprend qu’elle ait souri à Cicéron, qui y mêle d’ailleurs quelque chose de la gravité romaine. Mais, en principe, elle est destructive de toute science, et, même dans la pratique, si elle est pleinement consciente, si elle est appliquée par des Grecs, toujours sophistes par quelque endroit, elle conduit directement à l’indifférence pour la vérité et aux jeux frivoles d’une virtuosité oratoire ou dialectique dépouillée de tout sérieux[208].

VIII

Si l’on cherche à dégager, dans cette mêlée des doctrines au iiie siècle, quelques faits généraux qui aident à la comprendre, quelques grands courants qui montrent la direction suivie par la pensée grecque, on arrive à la conclusion suivante.

La métaphysique faiblit, battue en brèche de trois côtés différents, 1o par le souci prédominant de la morale, qui anime le stoïcisme et l’épicurisme ; 2o par le scepticisme, qui pénètre même les successeurs de Platon ; 3o par l’érudition, qui gagne les successeurs d’Aristote et les éloigne de la philosophie proprement dite.

Des deux tendances proprement philosophiques, l’une, la recherche des lois pratiques de la morale, est représentée surtout par l’épicurisme, car le stoïcisme n’a jamais eu qu’un petit nombre d’adeptes ; l’autre, le scepticisme, sous la forme atténuée du probabilisme, est devenue la doctrine favorite des beaux-esprits, celle qui compte parmi ses partisans le plus grand nombre d’hommes de talent : les Arcésilas et les Carnéade sont les successeurs des sophistes et des orateurs d’autrefois dans un monde désormais fermé aux grands emplois de l’éloquence.

Épicurisme et nouvelle Académie, voilà donc, à considérer surtout le nombre des adeptes ou l’éclat des talents, les deux doctrines qui dominent alors la Grèce. Il est impossible de ne pas être frappé de ce fait que ni l’une ni l’autre n’apporte aux plus hautes parties de l’âme une nourriture vraiment fortifiante. L’une dispose les intelligences à ce vain bavardage qui a toujours été un des dangers les plus menaçants pour l’esprit grec ; l’autre incline les volontés vers un facile et non moins périlleux laisser-aller des mœurs et de la vie. Par sa philosophie, le monde grec coule doucement vers la décadence.


  1. Diog. L. III, 7-8.
  2. C’est du moins ce qui semble résulter du fait cité par Diogène Laërce (IV, 3) relativement à Xénocrate.
  3. Les péripatéticiens étaient propriétaires collectifs du domaine où ils se réunissaient.
  4. Voir, p. ex., De Orat. III, 18.
  5. Par example, le mot ἕξις (hexis) dans Speusippe (fragm. 21, 25, etc.) ; δύναμινς (dunamis) et ἐνέργεια (energeia) dans Xénocrate (fr. 26, etc.) — L’Académie elle-même est appelée deux fois par Speusippe περίπατος (peripatos) (fragm. 189 et 190). — Pour les ressemblances d’idées, v. plus bas, ce qui sera dit des doctrines.
  6. Diogène Laërce, IV, 1-5 ; Suidas, Σπεύσιππος (Speusippos). Fragments dans Mullach, Fragmenta Philos. Graecorum (Didot), t. III, p. 75-99.
  7. Σῶμα μὲν ἐν κόλποις κατέχει τόδε γαῖα Πλάτωνος, — ψυχὴ δ’ ἰσοθέων τάξιν ἔχει μακάρων.
  8. V. surtout fragm. 203 et 208.
  9. Fragm. 195. Cf. Aristote, Métaph., I, 5.
  10. Diogène Laërce, IV, 6-25 ; Suidas. Fragments dans Mullach, t. III, p. 114-130.
  11. Θύε ταῖς χάρισι (Diog. L. IV, 6).
  12. Diog. L. V, 39.
  13. Athénée, XIII, p. 610.
  14. Sextus Empir. Adv. Mathem., VII, 16.
  15. Diogène Laërce, IV, 16-20 et 21-23. Cf. Susemihl, Gesch. der Gr. Liter. in der Alexandrinerzeit, t. I, p. 116 et suiv.
  16. Diogène Laërce, IV, 24-27. Fragments dans Mullach, t. III, p. 139-152.
  17. Horace. Ép. I, 2, début.
  18. Cicéron, Ac. II, II, 44.
  19. Cf. fragm. 8.
  20. Fragm. 13.
  21. Mentionnons encore ici, pour mémoire, parmi les œuvres de l’académie dans cette période, les dialogues apocryphes qui figurent dans la collection platonicienne, et qui sont, d’ailleurs, des ouvrages de peu de valeur. Cf. plus haut, t. IV, p. 265.
  22. Diog. L., V, 39, et 52-53.
  23. Cf. t. IV. p. 688.
  24. Démétrius de Phalère, qu’on range souvent parmi les péripatéticiens, est plutôt un orateur et un historien qu’un philosophe. Il en sera question au chapitre suivant.
  25. Diogène Laërce, V, 36-57 ; Suidas.
  26. La préface des Caractères lui donne, au moment où il est censé l’écrire, quatre-vingt-dix-neuf ans. Si cette indication était exacte, il faudrait donc reculer la date de sa naissance au moins jusqu’à l’année 386. Mais cette préface a tout l’air d’être apocryphe et ne mérite par conséquent que peu de confiance.
  27. Diogène Laërce mentionne comme son premier maître un certain Leucippe, de Lesbos (qui ne peut être le fondateur de l’atomisme).
  28. Diog. L., V, 38.
  29. Diog. L., 39
  30. Cf. R. Dareste, Le traité des Lois de Théophraste, Paris, 1810, (extrait de la Revue de Législation) ; essai de reconstitution du plan de l’ouvrage.
  31. Fragm. XII (Wimmer).
  32. Fragm. I.
  33. Πάντων σχεδὸν ἐκτιθέμενος τὰ δόγματα, dit de lui Diogène Laërce (IX, 22, à propos de sa Physique). Cf. Plutarque (Alcib., 10), qui l’appelle : ἀνδρὶ φιληκόῳ καὶ ἱστορικῷ παρ’ ὁντινοῦν τῶν φιλοσόφων.
  34. Inst. Orat., X, 1, 83.
  35. Nitor, en latin, s’oppose quelquefois à splendor.
  36. Strabon, XIII, p. 618.
  37. Cicéron, De fin., I, 2, 6 : Quid ? Theophrastus mediocriterne delectat cum tractat locos ab Aristotele ante tractatos ? — Cf. Orat. 19, 62.
  38. II, 3.
  39. I, 1.
  40. Trente et un, dans les manuscrits les plus complets, quinze ou seize dans les autres, et notamment dans ceux de Paris.
  41. Gomperz, dans les Abhandl. de l’Académie de Vienne, t. 187 (année 1888) : Die Charactere des Theophrasts.
  42. Doxographi graeci, p. 103.
  43. Christ, Griech. Litter., p. 436.
  44. Par ex. les fragm. I à XII (Wimmer). — Le fragm. XXX de Wimmer (XII de Diels), sur l’éternité du monde, serait de ceux-là, si l’authenticité en était plus certaine. Cf. Zeller, Hermes, XI, p. 422 et suiv., et Diels, p. 106 et suiv.
  45. Fragm. CXIV (πάθος ψυχῆς σχολαζούσης).
  46. Fragm. CXV
  47. Fragm. LXVI.
  48. Fragm. CLVII.
  49. Fragm. CLVIII.
  50. Fragm. LXVI.
  51. Fragm. XCVI.
  52. Diels, Doxographi, p. 102.
  53. Diogène Laërce, V, 58-64. — Les fragments de Straton n’ont pas été réunis par Mullach. On les trouvera cités dans l'excellente thèse de M.  Rodier, La physique de Straton de Lampsaque, Paris, 1890.
  54. Diogène Laërce, V, 65-74.
  55. Zeller, II, 2, p. 926. Cf. Susemihl, I, p. 150-152.
  56. Susemihl, I, p. 153.
  57. Susemihl, I, p. 148.
  58. Athénée, p. 234, F, et 701, C.
  59. Fragments dans C. Müller (Didot), Fragm. historic. graecorum, t. II, p. 302 et suiv.
  60. Diog. L., II, 97-104. Cf. Susemihl, I, p. 12.
  61. Diog. L., II, 93. Cf. Susemihl, I, p. 13.
  62. Diog. L., II, 113-120. Cf. Susemihl, I, p. 16.
  63. Diog. L., VI, 85-93.
  64. VI, 96-98.
  65. Cf. plus haut, t. III, p. 668.
  66. Diog. L., VII, 46-58. — On a beaucoup écrit sur Bion le Borysthénite. V. cette bibliographie dans Susemihl, I, p. 32, n. 96. Les fragments de Bion ont été recueillis par Rossignol (Fragmenta Bionis Borysthenitae philosophi), Paris, 1830, et par Wachsmuth, dans son livre De Timone phliasio ceterisque sillographis graecis, etc., Leipzig, 1899, puis dans ses Sillographorum graecorum reliquiae, Leipzig, 1885.
  67. Diog. L., VII, 52.
  68. Cf. Athénée, IV, 162, D, et Diogène Laërce.
  69. Diog. L., II, 77.
  70. Ep., II, 2, 60.
  71. Le genre de Bion avait été repris par son disciple Télès. Cf. Susemihl, I, p. 41-44.
  72. Diog. L., VI, 99-101. — Cf. Wildenow, De Menippo cynico, Halle, 1881. Fragments dans Wachsmuth, Sillogr. gr. reliq. p. 78-81. V. aussi Rowe, Quo jure Horatius in Saluris Menippum imitatus esse dicatur, Halle, 1888 (Susemihl, I, p. 44 et suiv.).
  73. Cf. Lucien, Doubl. accus., 33.
  74. Notice dans Diogène Laërce, VII, 1-160. — Cf. Susemihl, Griech. Lit. d. Alex., I, p.  48-58.
  75. Diog. L., VII, 3 ; 6 ; 15 : etc.
  76. Diog. L., VII, 31.
  77. Diog. L., VII, 38 (d’après le stoïcien Persée). Ailleurs (VII, 2), il donne le chiffre rond de trente ans.
  78. Sur l’origine de ses relations avec Cratès, jolie anecdote dans Diogène L., VII, 2.
  79. Diog. L., VII, 5 (Cf. 2). Si la rencontre avec Cratès est de 314, comme c’est l’année même de la mort de Xénocrate, Zénon n’a pu être l’élève de l’Académie que sous Polémon, qui fut scolarque de 314 à 270.
  80. Sur les lectures de Zénon, cf. Diog. L., ibid. 2. Héraclite a été l’objet de nombreux travaux dans l’école stoïcienne.
  81. Diog. L., ibid., 14.
  82. Diog. L., ibid., 84. On voit, par un certain nombre de citations de Diogène, que Zénon avait déjà formulé quelques-unes des maximes caractéristiques du système (Cf. id., ibid., 39 et 87).
  83. VII, 4.
  84. L’authenticité en est confirmée par un témoignage de Chrysippe (Diog. L., VII, 34).
  85. Diog. L., ibid., 32. Cf. Plutarque, Contrad. des Stoïc., 2 (p. 1033, B-C).
  86. Ib., ibid., 131.
  87. Diog. L., VII, 18 et 20.
  88. Cf. Diog. L., VII, 23 et suiv.
  89. C’est le chiffre donné par son disciple Persée (Diog. L., VII, 28). D’autres le faisaient vivre plus longtemps (Diog. L., ibid.)
  90. Diog. L., VII, 29.
  91. Diog. L., VII, 36-38. Cf. Susemihl, I, p.  61 et suiv.
  92. Voir la liste dans Diogène.
  93. Diog. L., VII, 168-176. Cf. Susemihl, I, p. 59-61. — Fragments dans Mullach (Didot), Fragm. Philosoph. graecorum, t. I, p.  151 et suiv.
  94. Philodème, Index stoicorum, col. XXVIII (dans Comparetti, Riv. di filologia, IV, 1875).
  95. Liste dans Diogène, 174 et suiv.
  96. Diog. L., 84.
  97. Cf. Mullach, p. 151.
  98. La date de sa mort se déduit de ce fait qu’il fut 32 ans à la tête de l’école (Philodème, ibid.). Sur les circonstances de sa mort, cf. Diogène, 176.
  99. Diog. L., VII, 160-165. Cf. Susemihl, I, p. 61-66.
  100. Diog. L., 161.
  101. Id., ibid.
  102. Diog. L., Préface, 15. Cf. Strabon, XIII, p. 610.
  103. Diog. L., 179-202. Cf. Susemihl, I, p. 85 et suiv. — Suidas le fait naître à Tarse.
  104. Diog. L., VII. 184. Cf. Pseudo·Lucien, Longévité, 20.
  105. Diog. L., VII, 179 ; 183.
  106. Plutarque, dans son traité De stoicorum repugnantiis, cite un assez grand nombre de passages textuels de Chrysippe. Mentionnons encore des morceaux publiés par Letronne d’après un papyrus (Fragments inédits d’anciens poètes grecs, etc., Paris, 1838), et où Bergk reconnaît un ouvrage de Chrysippe (Opuscules, II, p. 111-146). — Cf. aussi Baguet, De Chrysippi vita, doctrina et reliquiis commentationes, Annales de Louvain, 1822.
  107. Diog. L., VII, 180.
  108. Le mot est d’Ernest Havet.
  109. Id. ibid.
  110. Voir Diog. L., 183 et 187.
  111. Voir son mot à Cléanthe, dans Diog. L., 179.
  112. Diog. L., 183.
  113. Diog. L., IV. 162.
  114. Sur le stoïcisme, outre les historiens de la philosophie, voir Ravaisson, Essai sur le stoïcisme, Paris, 1856. — Diogène L. , dans sa vie de Zénon, a donné un exposé général de la doctrine.
  115. Pro Murena, 29.
  116. Epist. I, 1, 106. Cf. Sat. I, 3, 124-126.
  117. On trouvera plus bas, au chapitre VI, la suite de l’histoire du stoïcisme.
  118. Notice dans Diog. L., (livre X tout entier). La partie biographique remplit les §§ 1-14. — On trouvera tous les textes relatifs à Épicure dans l’excellent ouvrage de Usener, Epicurea, Leipzig, 1887. — V. aussi les deux ouvrages célèbres de Gassendi : De Vita et moribus Epicuri, Lyon, 1647, et De Vita, moribus et placitis Epicuri, animadversiones in librum X Diogenis Laertii, Lyon, 1649.
  119. Diog. L., X, 10.
  120. Γνώριμοι. Diog. L., X, 12.
  121. Diog. L., X, 3-8.
  122. Diog. L., X, 11.
  123. Id., ibid., 10.
  124. Usener, p. 164 ; cf. toute la page.
  125. Plutarque, Bonheur selon Épicure, 15, p. 1097, A (Usener, p. 325).
  126. Diog. L., X, 26.
  127. Id., ibid., 27 et suiv.
  128. Diog. L., X, 12. Gr. 35-36 (début de la Lettre à Hérodote).
  129. Ce sont les lettres I et III d’Usener. La IIe, à Pythoclès, est considérée en général comme apocryphe. — Des autres ouvrages d’Épicure, il nous reste de très nombreuses citations plus ou moins littérales chez les auteurs grecs et latins.
  130. Usener, p. 170-171. Cf. aussi fragm. 117.
  131. Diog. L., X, 31.
  132. Cf. Picavet, De Epicuro novae religionis auctore, Paris, 1888.
  133. Mullach (Didot), Fragm. Philos., t. III, p. 153, col. 2 : μηδ’ αὐτοῖς εἶπειν πω ἐναντίον οὐτε ἀλλήλοις οὔτε Ἐπικούρῳ μηδὲν ὅτου καὶ μνησθῆναι ἄξιον, ἀλλ’ ἐστιν αὐτοῖς παρανόμημα, μᾶλλον δὲ ἀσέϐημα, καὶ κατέγνωσται τὸ καινοτομηθέν. — Cf. Themistius, Orat., IV, et Sénèque, Ép. 33, 4 ; textes curieux, cités par Picavet, p. 17.
  134. Diog. L., X, 31. Cf. P. M. F. Thomas, De Epicuri canonica, Paris, 1889.
  135. Mabilleau, Histoire des doctrines atomistiques, p. 270. — Sur la physique d’Épicure, v. sa Lettre à Hérodote dans Diogène Laërce, X, 35-83.
  136. Lettre à Hérod., 43.
  137. Ibid., 65.
  138. Ibid., 67.
  139. Ibid. 77.
  140. Diog. L., X, 134.
  141. Diog. L., 123 et suiv. Cf. Usener, p. 232 et suiv.
  142. Cf. Guyau, La morale d’Épicure, Paris, 1878.
  143. Diog. L., X, 6.
  144. Fragm. 70 (Usener), dans Athénée, XII, p. 546, F.
  145. Fragm. 512, dans Athénée, XII, p. 547, A.
  146. Diog. L., 141.
  147. Diog. L., 129, 141, etc.
  148. Diog. L., 131-134.
  149. Ibid., 126-127.
  150. Ibid., 124-125 ; 139 ; etc.
  151. Ibid., 140 ; 142 ; etc.
  152. Ibid., 130 ; 133 ; 144 ; 146.
  153. Ibid., 117-121 (Usener, p.  330-342).
  154. Ibid., 118.
  155. Usener, p. LXXV.
  156. Tel est du moins le texte qui paraît se dégager d’un passage altéré de Denys d’Halicarnasse (Arrang. des mots, c. 24).
  157. Σαφήνεια (X, 13).
  158. De Divin., II, 4, 12 et II, 6, 18 ; De Nat. Deor., I, 31, 85.
  159. Arrang. des mots, c. 24.
  160. V. les textes d’Athénée (V, p. 187, E), de l’astronome Cléomède, de Sextus Empiricus (Adv. Math. I, 1), réunis par Usener, p. 88.
  161. Νήφων λογισμός.
  162. Diog. L., X, 432.
  163. Diog. L., X, 22-24. Cf. Düning, De Metrodori vita et scriptis. Leipzig, 1870 (avec les fragments). — Sur tous les disciples d’Épicure, consulter l’Index des Épicurea de Usener, et le t. I de Susemihl, p. 98 et suiv.
  164. Fragment dans Porphyre, De abstin., I, 7-12.
  165. Diog. L., X, 25.
  166. Vol. Hercul., IV. Cf. Gomperz, Hermes, XI (1876), p. 399-421.
  167. Cf. Susemihl, p. 403.
  168. Diog. L., IX, 61-108. — Cf. Brochard, Pyrrhon et le scepticisme primitif, dans la Revue philosophique de mai 1885.
  169. Cf. Diog. L., ibid.
  170. Οὐδὲν ὁρίζομεν.
  171. Οὐδὲν μᾶλλον.
  172. Diog. L., IX, 74-76.
  173. Diog. L., IX, 62.
  174. Diog. L., IX, 64 et 102.
  175. Diog. L., IX, 109-116, Fragments dans Mullach (Didot), Fragm. Phil. Graec., I, p. 83 et suiv. ; et dans Wachsmuth, Sillogr. Graec., Reliq., Leipzig, 1885.
  176. Sur son âge, v. Diog. L., IX, 112. On croit qu’il survécut à Arcésilas et à Cléanthe, parce que, dans les Silles, il les met aux enfers (Susemihl, p. 114). Mais cela ne semble ni certain ni concluant.
  177. Diog. L., IX, 110.
  178. Diog. L., IX, 64 ; 76 ; 105 ; etc.
  179. Diog. L., IX, 111.
  180. Xénophane semble avoir été choisi par lui pour interlocuteur à cause du demi-scepticisme des Éléates sur les choses sensibles.
  181. Mullach, v. 2-4.
  182. Mullach, v. 71.
  183. Mullach, v. 88-90 et 72-73.
  184. Diog. L., IX, 115-116.
  185. Cicéron, Acad. I, ii, 6.
  186. Diog. L., IV, 59-61.
  187. Diog. L., IV, 61.
  188. Cf. Zeller, p. 501, n. 3, et 651, n. 3 ; Diels, Doxogr. græci, p. 121 ; Susemihl, I, p. 130.
  189. Diog. L., IV, 28-45. Cf. Numenius, cité par Eusèbe, Prép. évang. XIV, 5 et 6 (dans Mullach. Fragm. Phil., t. III, p. 153-158). V. Susemihl, I, p. 122 et suiv.
  190. Cf., dans Diog. L., IV, 33, les vers satiriques d’Ariston de Chios et de Timon.
  191. Diog. L., IV, 39.
  192. Diog. L., IV, 37.
  193. Cf. Numenius, dans Mullach, p. 155 et 158.
  194. Diog. L., IV, 43.
  195. Diog. L., IV, 40.
  196. Cicéron, Acad. II, xxxv, 77. Cf. Numenius, dans Mullach, p. 157.
  197. Cf. Susemihl, p. 125.
  198. Diog. L., IV, 62-66. Cf. Numenius, dans Mullach, p. 160 et suiv.V. Susemihl, p. 127-131.
  199. Sextus Empir., Adv. Mathem., VII, 166 et suiv. Cf. Schwegler, Gesch. der griech. Philos., p. 447-448.
  200. Cicéron. Acad. II, ii, 31-32.
  201. Cicéron, Acad. II, ii, 45, 139.
  202. Sur ses querelles avec les stoïciens, Cf. Diog. L., IV, 62.
  203. Diog. L., IV, 63.
  204. Aulu-Gelle, VII, 14, 8, d’après Polybe (XXXIII, 2). Cf. Numenius, dans Mullach, p. 162-163.
  205. Aulu-Gelle, loc. cit.
  206. Cicéron, Rép. III, 6 ; Plutarque, Caton, 22. Cf. Martha, Études morales sur l’antiquité (« Le philosophe Carnéade à Rome »).
  207. Ouvrage cité, p. 67. — Cicéron disait aussi que « plaider le pour et le contre, c’est le meilleur moyen de trouver la vérité » (Rép. III ; 4).
  208. Voir dans Polybe, XII, 26, c, quelques exemples assez amusants des balivernes qui occupaient certains philosophes de l’Académie.