Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période de l’Empire/Chapitre 4

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CHAPITRE IV
LES ANTONINS. — LA SOPHISTIQUE ET SON INFLUENCE.

bibliographie

Les Sophistes. Les déclamations attribuées à quelques-uns des sophistes du second siècle se trouvent partiellement dans les Oratores graeci de Reiske (t. VIII). Leipzig, 1770-75 ; dans les Oratores attici de Bekker (t. IV et V), Berlin, 1874, de Dobson (t. IV). Londres, 1828, de C. Muller (t. IV), Paris, Didot, 1858. Voir, dans le chapitre même, les notes bibliographiques relatives à Polémon et à Hérode Atticus. Un assez grand nombre de fragments sont cités par Philostrate, dans ses Vies des Sophistes ; ils n’ont pas été réunis à part.

Ælius Aristide. Pour les manuscrits, consulter la préface de l’édition de Bruno Keil. — La première édition complète parut à Florence en 1517, par les soins de Bonini. Au XVIIIe siècle, Samuel Jebb donna une grande édition en deux volumes (Oxford, 1722-1730), avec les scolies et des notes, des prolégomènes, etc. Celle-ci fut remplacée, cent ans plus tard, par celle de J. Dindorf, 3 vol. in-8o, Leipzig, 1829, qui est restée en usage jusqu’à nos jours ; elle contient, outre le texte, des prolégomènes, les scolies, les Collectanea historica ad Aristidis vitam de J. Masson, diverses préfaces d’éditeurs antérieurs, et les témoignages anciens et récents sur Aristide ; le texte en est souvent défectueux. L’édition critique à employer aujourd’hui est celle de Bruno Keil, Ælii Aristidis quae supersunt omnia, en deux volumes, Berlin, Weidmann, 1898.

Maxime de Tyr. Édition princeps, H. Estienne, 1557. Édition de D. Heinsius, Leyde, 1607-1614, et, avec traduction latine, 1630 ; de Davis, Cambridge, 1703, et Londres, 1740 ; de Reiske, Leipzig, 1774-1775 ; de F. Duebner, jointe à Théophraste, dans la Bibliothèque Didot, Paris, 1840. Nous n’avons pas encore d’édition critique.

Lucien. Manuscrits. Sur les manuscrits et leur classement, voir Sommerbrodt, Neue Jahrbüchrr für Philologie, t. 150, fasc. 9, où il établit que l’archétype étant perdu, nos mss. sont tous des sources secondaires, mélangées et troublées ; leur valeur diffère d’un écrit à l’autre ; le texte doit donc être établi pour chaque écrit par la comparaison des meilleurs manuscrits, qui sont souvent à corriger. — Éditions. La première édition est celle de Florence, 1496. Les principales à signaler ensuite sont : celle de Hemsterhuys et Reitz, Amsterdam, 1743, achevée à Trèves, en 1746, 4 vol. in-8o, avec traduction latine, scolies, et notes variorum ; celle de Lehmann, Leipzig, 1822-29, en 9 vol. in-8o, qui n’est guère qu’une reproduction de la précédente dans un format plus maniable ; celle de Jacobitz, 4 vol., Leipzig, 1836-41, reproduite et améliorée dans la Biblioth. Teubner, 1871-74 ; celle de G. Dindorf, dans la Biblioth. Didot, Paris, 1840. La meilleure était jusqu’ici l’édition de Fr. Fritzsche, Rostock, 1860-1874. Elle sera remplacée par celle de Sommerbrodt, qui est en cours de publication. — Sommerbrodt a publié aussi une édition classique d’écrits choisis, avec des introductions et des notes, qui est à recommander (Ausgewaehlte Schriften des Lucian, Berlin, Weidmann, 1860).

Alciphron. La première édition complète des Lettres d’Alciphron fut celle de Bergler, Leipzig, 1715, avec une traduction latine et des notes. Elle a été améliorée successivement par Wagner (Leipzig, 1798), par Seiler (Leipzig, 1853, la meilleure édition annotée) ; par Meineke (Leipzig, 1853, avec des notes critiques), par Hercher (Epistolographi græci de Didot, Paris, 1873, avec traduction latine et annotation critique).

Poètes. — Pour Denys le périégète, Marcellus de Sida, et les poètes secondaires, voir les notes au bas des pages. — Oppien. Le principal ms. des Ἀλιευτικά est le Taurinensis 39, qui offre les scolies les plus complètes. Première édition, Florence, 1515. Avec les Cynégétiques, Venise, Alde, 1517. Principales éditions postérieures : Turnèbe, Paris, 1555 ; Rittershusius, Leyde, 1597, avec un commentaire ; Schneider, Leipzig, 1813, avec des notes critiques ; F. S. Lehrs, dans le vol.  des Poetæ didactici de la Bibl. Didot, Paris, 1842, texte amélioré, ou l’éditeur a profité des Conjectanea critica in Oppianum d’Arm. Koechly (Leipzig, 1838). Les scolies, avec les paraphrases, ont été publiées dans un autre vol. de la même bibliothèque, à la suite de celles de Théocrite et de Nicandre (par Bussemaker, Paris, 1848). — Babrius. Manuscrits. Le principal manuscrit est celui du mont Athos, Athous, qui fut découvert par Minoïde Minas, en 1843. Un second recueil, que le même Minas prétendit avoir trouvé, fut reconnu pour une falsification (C. Wachsmuth, Rhein. Mus. XXII). Outre les fables de l’Athous, un certain nombre d’autres, plus ou moins altérées, nous ont été conservées par un manuscrit du Vatican. Enfin, quelques-unes ont été retrouvées sur des tablettes de cire à Palmyre (Hesseling, Journal of Hellenic studies, XIII, 1892-93). Une paraphrase en prose des fables de Babrius, conservée à Oxford (Paraphrasis Bodleiana), sert à contrôler, et quelquefois à compléter, les sources manuscrites indiquées. Voir la préface de l’édition de Crusius. — Éditions. Première édition, d’après la copie du manuscrit de l’Athos de Minoïde Minas, par Boissonade, Paris, 1844. Éditions de Lachmann, Berlin, 1854 ; de Schneidewin, Leipzig, 1853 ; de Lewis, Londres 1859, avec le prétendu supplément de Minoïde Minas ; de Bergk, dans son Anthologie lyrique, avec le même supplément ; d’Eberhard, Berlin, 1875. P. Knæll, qui a publié la paraphrase Bodléienne (Vienne, 1837), a donné aussi quelques fables nouvelles d’après le manuscrit du Vatican ; elles ont été corrigées par Eberhard, Analecta Babriana, 1879. Édition de Gitlbauer, Vienne, 1882, avec quantité de restitutions purement hypothétiques ; de Rutherford, Londres, 1883, avec plusieurs dissertations, des notes critiques, un commentaire et un lexique, ouvrage très recommandable pour l’étude de la langue. La meilleure édition critique aujourd’hui est celle de Crusius, Leipzig, Teubner, 1896, avec des prolégomènes importants ; le texte en est reproduit dans une editio minor, qui fait partie de la Biblioth. Teubner, Leipzig, 1897. — Pour les autres poètes nommés, voir les notes au bas des pages.

Rhéteurs, grammairiens, métriciens, musicographes. Consulter, pour chacun en particulier, les notes au bas des pages. Les textes subsistants d’ouvrages de rhétorique se trouvent dans les Rhetores graeci de Walz, et les plus intéressants dans les Rhetores graeci de Spengel. — Pollux. Les meilleurs manuscrits sont le Falckenburgianus et le Parisinus 2670 ; voir les préfaces des éditions de Dindorf et de Bekker. Première édition : Venise, 1502. Éditions principales : Lederlin et Hemsterhuis, vol. in-fol., Amsterdam, 1706, cum notis variorum ; G. Dindorf, 5 vol., Leipzig, 1824, cum notis variorum ; Bekker, Berlin, 1846, texte amélioré sans notes. — Harpocration. Sur les manuscrits, voir la préface de l’édition de Dindorf. Le lexique nous est parvenu sous deux formes, l’une à peu près complète, l’autre abrégée. Pour le texte complet, le meilleur ms. est le Romanus C 4, 17 (A de Dindorf) ; pour l’abrégé, le Palatinus. Première édition : Venise, Alde, 1503. Éditions principales : Maussac, Paris, 1614, avec des notes et une dissertation ; Gronovius, Leyde, 1696, avec ses notes et celles de H. de Valois ; Bekker, Berlin, 1833. La meilleure est celle de G. Dindorf, 2 vol., in-8o, Oxford, 1853. — Héphestion. Sur les manuscrits, consulter la préface de l’édit. des Script. metrici de Westphal. Les trois meilleurs sont deux mss. de Cambridge et un de Paris ; mais ils ne contiennent pas les scolies ; celles-ci se trouvent dans deux manuscrits d’Oxford, le Saibantianus et le Meirmannianus[illisible]. Première édition, Florence, Junte, 1526. Les plus importantes sont : celle de Turnèbe, Paris, 1553 ; de Gaisford, Oxford, 1855 ; enfin de Westphal, dans les Scriptores metrici, t. I, de la Bibliothèque Teubner, 1866, avec les scolies.

Les Parémiographes. Mss. Bodleianus et Coislinianus. — Éditions : Paroemiographi graeci, ed. Th. Guisford, Oxford, 1836 : Corpus Puroemiographirum graecorum edid. E. L. von Leutsch et Schneidewin, 2 vol., Gottingæ, 1839 et 1851.


Sommaire.

I. Importance de la sophistique. Ses origines. — II. Principaux sophistes du second siècle : Nikétès, Scopélien, Isée ; Secundus, Lollianos, Polémon ; Hérode ; ses disciples. — III. Éducation des sophistes, Débit et mimique. Les Ἐπιδείξεις. Voyages, conférences, public. Diverses sortes de discours. Lettres. Descriptions. Les succès des sophistes et leurs mœurs. — IV. Ælius Aristide et Maxime de Tyr, — V. Lucien ; sa vie ; ses œuvres. — VI. Son rôle, sa vocation satirique. Le moraliste ; l’incrédule ; le critique. — VII. Son talent. Esprit et fantaisie. Style. — VIII. Ses créations littéraires : le dialogue ; le pamphlet ; le récit fantastique. Conclusion. — IX. Alciphron. — X. La poésie au second siècle, Oppien ; Babrios ; Straton. — XI. La rhétorique. Alexandre, fils de Nouménios, l’Anonyme de Séguier, Théon ; Hermogène et son œu- vre. — XII. Auxiliaires des rhéteurs. Grammairiens et lexicographes : Apollonios Dyscole et Hérodien ; les Atticistes ; Julius Pollux, Harpocration. Parémiographes : Zénobios. Métriciens : Héphestion. Musicographes.

I

Un grand fait domine l’histoire de la littérature grecque au second siècle ; c’est la popularité qu’acquiert alors l’éloquence d’apparat, connue sous le nom de Sophistique. Cette sorte d’éloquence, malgré tout le mal qu’on peut en dire à bon droit, est incontestablement la forme d’art la plus remarquable que le génie grec ait produite dans son dernier âge. Accueillie et saluée avec enthousiasme, reconnue partout comme une création vraiment nationale, elle a soulevé, il est vrai, parmi les contemporains déjà, des critiques acerbes, et justifiées ; mais, outre qu’elle a exercé son influence sur ceux-mêmes qui la combattirent, la guerre qu’ils lui ont faite prouve doublement sa puissance ; d’abord parce qu’on n’attaque point avec une telle violence ce qui est sans force ; ensuite, parce qu’en dépit des railleries et des réactions, elle a maintenu son autorité sur l’esprit grec jusqu’aux derniers temps. Ce que nous avons à étudier en elle, c’est donc tout autre chose qu’une mode brillante, mais éphémère ; c’est en réalité l’une des phases importantes et décisives de l’évolution qui a mené la littérature hellénique à sa fin[1].

La sophistique est issue naturellement de la tradition d’art des siècles classiques, sous l’influence des conditions sociales propres à la période de l’Empire. Elle a dû sa naissance, par conséquent, à la fois à des causes intérieures et à des causes extérieures ; c’est aux premières qu’il faut attribuer l’importance principale.

L’art littéraire, constamment excité et cultivé en Grèce pendant la période classique, en même temps qu’il créait au profit des générations suivantes une richesse extraordinaire d’idées et de mots, leur avait enseigné les moyens de les multiplier encore. Cette richesse acquise et cette facilité à l’augmenter étaient, pour ainsi dire, inhérentes à la langue même et à la littérature ; de telle sorte qu’elles passaient, avec cette langue et cette littérature, à tous ceux qui recevaient la culture grecque, quelle que fût d’ailleurs leur nationalité. C’était une partie de l’hellénisme, la plus brillante et la plus pleine de séduction. Tout esprit bien doué, qui faisait des auteurs grecs, poètes et prosateurs, sa nourriture intellectuelle, acquérait ainsi une souplesse et une finesse nouvelles ; ce vocabulaire, si varié, apportait avec lui tout un monde de pensées et de sentiments ; cette littérature, si inventive, éveillait l’invention. En tout genre, des modèles qui provoquaient l’imitation, mille souvenirs curieux pour orner la mémoire, des routes tracées d’avance au raisonnement, toutes sortes d’exemples à suivre et de thèmes à développer. Par là s’entretenait une ambition littéraire fondée sur la conscience de ressources vraiment merveilleuses.

Lorsque l’hellénisme, au premier siècle de l’Empire, reprit complètement, dans la paix, le sentiment de sa valeur et de sa puissance, cette ambition devint plus vive encore. Or, entre toutes les formes littéraires, aucune ne lui convenait mieux que l’éloquence. C’était celle qui se prêtait au plus grand nombre d’usages, qui mettait le plus en lumière ses représentants, qui pouvait le plus aisément rassembler en elle-même les mérites divers de tous les genres, puisqu’elle touchait à la fois à l’histoire, à la jurisprudence, à la philosophie morale, à la dialectique, à la poésie même. Plus libre d’ailleurs que la poésie, plus mêlée aussi aux intérêts du jour et plus en état de s’en servir, elle semblait répondre, d’autre part, bien plus que la philosophie ou l’histoire, à une conception complète de la beauté, car elle faisait plus large place aux mérites de l’invention et de l’arrangement, sans parler de ceux de l’expression et du débit. Pour toutes ces raisons, elle était comme la forme prédestinée, sous laquelle l’art hellénique pouvait espérer renaître et fleurir encore, avec tout son éclat et toutes ses délicatesses.

Ainsi, ce furent vraiment les besoins de l’esprit grec et la force de sa tradition qui la poussèrent au premier rang. Mais c’est à l’état de la société qu’elle doit ses caractères propres.

Depuis la chute de la liberté grecque, l’éloquence avait déserté la place publique et avait dû renoncer aux grands sujets politiques. Pourtant, elle avait continué à s’exercer dans les écoles, et même à se produire au dehors, soit en présence d’auditoires choisis, soit dans des cérémonies, soit devant les magistrats. Mais l’école était son domicile propre. Tous ses représentants illustres étaient des maitres de rhétorique par profession, qui ne devenaient orateurs que par occasion. L’empire et la renaissance hellénique ne changèrent rien à cela. L’éloquence, privée de l’agora, eut toujours son foyer dans l’école, et ce fut de l’école qu’elle rayonna au dehors. Son caractère distinctif lui vient de là. Alors même qu’elle cherche à agir, dans les assemblées, devant les tribunaux, dans les ambassades, ce n’est jamais une éloquence d’action, au vrai sens du mot, car elle porte sans cesse avec elle les habitudes scolaires. Le sophiste est, par définition, un professeur qui compose des discours modèles, et, partout où il parle, sa préoccupation visible est toujours d’en composer de tels. Son éducation ne s’est pas faite au contact des hommes, dans la mêlée des intérêts et des passions ; uniquement instruit par la lecture, habitué à l’approbation docile de ses élèves ou d’auditeurs choisis, il ne peut avoir ni le sens de la réalité, ni cette sincérité d’inspiration qui vient du désir de faire triompher une idée juste. Quoi qu’il entreprenne, la grande affaire pour lui, qu’il s’en rende compte ou non, est de se faire admirer. Voilà pourquoi toute l’éloquence de ce temps est une éloquence d’apparat, une « sophistique » à proprement parler, qui vise surtout à paraître. Mais, telle qu’elle est, elle donne satisfaction à un besoin profond de l’hellénisme d’alors ; elle lui procure l’illusion de la beauté littéraire ; elle l’éblouit par des artifices prodigieux, qui ne sont sans doute que de l’art frelaté, mais qui éveillent chez ses admirateurs, presque autant que l’art vrai, la sensation de la puissance de l’esprit, grâce à la variété des moyens et à la surprise de l’effet.

Par ses origines historiques, la sophistique se relie sans interruption à l’éloquence des contemporains grecs de Cicéron. Elle procède des écoles alors florissantes en Asie et dans les îles. Nous la voyons grandir dans les Controverses de Sénèque le père, où figurent de nombreux rhéteurs grecs : mais ce n’est vraiment qu’à partir du règne de Néron, ou, mieux encore, après l’avénement des Flaviens, qu’elle commence à prendre sa place définitive dans le monde. C’est à Smyrne qu’elle jette le plus d’éclat ; mais elle règne aussi à Éphèse, à Pergame, à Tarse, à Antioche, à Athènes, et peu à peu dans toutes les grandes villes du monde grec. Sa popularité va croissant sous Néron et Trajan. Elle atteint son apogée sous Adrien, Antonin, Marc-Aurèle, vers le milieu du second siècle ; puis, elle se soutient et dure à travers les siècles suivants, jusqu’aux derniers temps de l’hellénisme.

II

Ses représentants sont légion. Le premier par la date, et le restaurateur de l’art, selon Philostrate, fut Nikétès de Smyrne[2], qui se rendit célèbre, à la fois comme professeur et comme avocat, sous les Flaviens et jusque sous Nerva. Véritable orateur asiatique, à la parole emphatique et sonore, dont les discours avaient quelque chose de dithyrambique. — À côté de lui, se place son disciple Scopélien[3], de Clazomène, qui enseigna également à Smyrne, avec un immense succès, sous les règnes de Domitien, de Nerva et de Trajan ; il fut député par le conseil d’Asie à Domitien pour faire lever l’interdiction dont l’empereur voulait frapper la culture de la vigne. — Puis, le syrien Isée[4], merveilleux improvisateur, que Pline le jeune entendit à Rome, probablement sous Trajan, et dont il a vanté le talent dans une lettre aussi piquante qu’instructive.

Dans la génération suivante, les plus illustres sont Secundus d’Athènes, le maître d’Hérode Atticus, puis Lollianos et Polémon.

Lollianos, d’Éphèse[5], disciple d’Isée, et brillant improvisateur comme lui, vint à Athènes, sous Adrien, occuper, le premier, la chaire publique d’éloquence qui venait d’y être fondée, probablement par la ville[6] ; il y fut stratège, titre qui lui donnait le premier rang dans la cité. C’était, au dire de Philostrate, un dialecticien subtil et inventif, fécond en mots frappants qui étaient autant d’arguments, mais médiocrement habile à composer. Il ne reste rien de lui.

Antonius Polémon[7], né à Laodicée de Carie, d’une illustre famille, après avoir étudié à Smyrne sous Scopélien, s’illustra à son tour dans cette ville, comme professeur et comme orateur, sous les règnes d’Adrien et d’Antonin. Son rôle public y fut très grand. Il eut l’honneur d’y présider les jeux Olympiques qu’Adrien y institua. Son éloquence apaisa les discordes de la ville et fit valoir en plusieurs circonstances les intérêts de ses habitants auprès des empereurs. Inscrit par Adrien au nombre des pensionnaires du musée d’Alexandrie, il prononça devant ce prince à Athènes le discours d’inauguration de l’Olympieion, qui venait d’être achevé. Par son faste, par les honneurs qui l’entouraient, Polémon jeta sur la profession de sophiste un éclat encore inconnu. Toute l’Asie grecque se passionna pour son éloquence. Son prodigieux talent d’improvisation, la véhémence de sa parole, la puissance de sa voix, la force dramatique de son action, soulevaient des applaudissements enthousiastes. On croyait voir et entendre en lui un autre Démosthène. Il fut, sous Adrien et Antonin, la gloire de Smyrne, qui se montrait presque aussi fière de lui que du souvenir d’Homère. Un grand nombre de ses discours avaient été publiés ; Philostrate les mentionne, de manière à montrer qu’il les avait lus. Deux seulement sont venus jusqu’à nous[8]. Ce sont deux plaidoyers contradictoires dans une cause imaginaire, dont voici la donnée. Une loi d’Athènes ordonne que le père du combattant qui sera tombé le plus glorieusement sur le champ de bataille prononce l’oraison funèbre des guerriers morts pour la patrie. Après la bataille de Marathon, le père du polémarque Callimaque et celui de Cynégyre se disputent cet honneur[9]. Si curieux que soient ces deux morceaux comme monuments de l’éloquence du temps, il est impossible aujourd’hui à un homme de sens de lire sans dégoût des pages où tout l’effort d’un esprit singulièrement inventif et exercé n’aboutit qu’à de sottes antithèses, à des jeux d’esprit ridicules, à des fanfaronnades et à des hyperboles enfantines.

Un peu plus jeune que Polémon, Hérode Atticus[10] surpassa en célébrité tous les sophistes de ce temps. Né vers 403, à Marathon, d’une illustre famille athénienne, il dut à son père Atticus, avec une immense fortune, le goût passionné de l’éloquence. Ses maîtres furent Scopélien et Favorinus ; plus tard, il entendit Polémon et profita de ses exemples, mais il ne fut jamais son élève à proprement parler. Dès le temps d’Adrien, il occupa d’importantes fonctions publiques ; ce prince lui donna la surveillance sur les villes libres d’Asie, au temps où Antonin était gouverneur de cette province. Malgré un différend qui s’était produit entre eux, Antonin, devenu empereur, lui conféra la dignité consulaire en 143. Nous ne savons pas au juste en quel temps il séjourna à Rome, mais il est certain qu’il s’y fit applaudir comme improvisateur[11]. Parvenu, jeune encore, au faîte des honneurs, il devint le bienfaiteur de la Grèce et en particulier d’Athènes. Ses libéralités étaient immenses ; les monuments qu’il éleva excitaient l’admiration universelle. Parmi les plus célèbres, citons le Stade de l’Ilissos et l’Odéon. Malgré ses largesses, il eut des ennemis qui l’attaquèrent violemment auprès de l’empereur Marc-Aurèle, sans réussir à lui faire perdre la faveur de ce prince. Il vécut sous son règne, comme il avait vécu, sous celui d’Antonin, soit à Athènes même, soit, en été, dans sa magnifique villa de Képhisia[12], partageant son temps entre les exercices professionnels, l’enseignement de son art et les représentations sophistiques, où il brillait[13]. Des deuils répétés l’éprouvèrent cruellement ; il perdit sa femme, Régilla, et ses deux filles. Du moins, la considération publique ne cessa de l’entourer jusqu’à sa mort. Quand Marc-Aurèle institua l’enseignement officiel à Athènes en 176, ce fut lui qu’il chargea de choisir les quatre premiers titulaires des chaires de philosophie[14]. Sa maison resta, pendant toute sa vieillesse, l’un des centres littéraires de la Grèce. On venait de toute part le voir et l’entendre ; les philosophes et les rhéteurs, sans parler des personnages politiques, tenaient également à honneur d’y être admis. Il mourut à 76 ans, probablement vers 179, un peu avant Marc-Aurèle.

Hérode Atticus laissait des Éphémérides, qui semblent avoir été une sorte de journal littéraire, une Correspondance très étendue[15], et des Discours. Tout cela est entièrement perdu[16]. D’après le témoignage de Philostrate, son éloquence se distinguait surtout par l’agrément, par la douceur et par une facilité élégante. Entre les Attiques, le modèle qu’il préférait était Critias, qu’il remit en honneur parmi ses contemporains.

Vers la fin du règne de Marc-Aurèle, la sophistique est dans tout son éclat. Toute une génération de rhéteurs, la plupart sortis de l’école d’Hérode Atticus, brillent dans les différentes villes du monde gréco-romain : Aristoclès à Pergame[17], Aristide à Smyrne, de qui nous parlerons bientôt plus en détail, Adrien de Tyr à Athènes d’abord, puis à Rome ; et, avec eux, Chrestos de Byzance, Pausanias de Césarée, Apollonios de Naucratis, Antipater de Hiérapolis, Aspasios de Ravenne, Rufus de Périnthe, beaucoup d’autres qui figurent avec honneur dans la galerie de Philostrate. La sophistique se perpétue ainsi sous Commode, Pertinax, Septime Sévère. Nous la retrouverons florissante au iiie siècle, et nous reprendrons alors son histoire dans un autre chapitre. Pour le moment, il est à propos d’essayer de caractériser, dans ses traits généraux, l’art dont nous venons de faire connaître quelques-uns des principaux représentants.

III

L’éducation du temps, par l’importance qu’elle donnait à la rhétorique, semblait faite pour préparer des sophistes et pour leur assurer des auditeurs. En tout cas, c’était le résultat le plus sûr qu’elle obtenait. Parmi les élèves qui fréquentaient les écoles en renom, les mieux doués devenaient sophistes ; les autres, spécialement dressés à les admirer, formaient le public dont ils avaient besoin. Rien d’étonnant dès lors si la profession de sophiste était également recherchée des jeunes gens issus des familles riches et de ceux qui visaient à faire fortune. Elle réalisait l’idéal qu’ils avaient tous eu devant les yeux dès l’enfance, elle offrait à leurs facultés surexcitées le seul emploi qui leur permît de se développer pleinement, elle promettait à leur amour-propre les applaudissements, à leur ambition les honneurs, à leur activité l’influence et le maniement des grandes affaires,

Mais l’éducation donnée à tous ne suffisait pas à faire le sophiste de profession. Outre les exercices préparatoires qui constituaient l’enseignement ordinaire de l’école, il devait pratiquer des exercices spéciaux et quotidiens, qu’il n’abandonnait jamais impunément, alors même qu’il était en pleine possession de son talent.

En premier lieu, des lectures incessantes. Le sophiste avait besoin de connaître à fond l’histoire politique de la Grèce, depuis le temps de Solon jusqu’à la mort d’Alexandre ; car les sujets qu’il avait à traiter, souvent à l’improviste, étaient presque toujours empruntés à cette période. Il acquérait cette connaissance par la lecture des historiens et des orateurs de l’âge classique, qui devaient lui être familiers. Il fallait également qu’il fût au courant des lois, institutions, usages du même temps, et qu’il eût en mémoire le plus possible de faits curieux, de légendes, d’anecdotes ; mais tout cela s’acquérait par les mêmes lectures, et l’érudition proprement dite lui était étrangère. Outre les historiens et les orateurs, son éducation première lui avait fait connaître les philosophes et les poètes. C’était son intérêt d’entretenir et d’augmenter sans cesse cette connaissance[18] ; car il tirait de tels souvenirs quantité d’idées, de raisons, d’allusions, de citations directes ou indirectes, d’imitations avouées ou dissimulées, sans lesquelles son art eût été impossible. Quant à l’observation directe des choses et des hommes, c’était ce qui lui importait le moins, car il n’en avait que faire.

Tous ces matériaux, ses maîtres de rhétorique lui avaient appris dès sa jeunesse à les mettre en œuvre par l’invention, la disposition et l’élocution. Mais la pratique seule pouvait développer et entretenir en lui l’habileté spéciale dont il avait besoin. Aussi, tous les sophistes en renom s’exerçaient-ils constamment, soit à improviser, soit à méditer, soit à écrire. Isée passait toutes ses matinées à préparer ses discours[19] ; Scopélien travaillait la nuit[20] : Hérode Atticus, jusque dans sa vieillesse, déclamait quotidiennement devant un cercle d’élèves choisis[21]. Grâce à ce labeur incessant, leurs facultés oratoires se développaient prodigieusement. L’usage rapide de toutes les ressources de l’art passait chez eux à l’état d’instinct. Un sujet leur étant donné, ils en voyaient immédiatement les principaux aspects, les divisions possibles ; à mesure qu’ils le traitaient, les pensées de détail leur apparaissaient sous la forme à la mode, et la phrase se modelait avec une facilité merveilleuse. Lorsque Polémon, dans l’improvisation, tournait une période savante, il souriait en arrivant au dernier membre, de manière à laisser voir qu’il exécutait ce tour de force sans la moindre peine[22]. La vraie réflexion n’est lente que parce qu’elle va au fond des choses ; eux, qui ne se souciaient ni de sincérité ni de profondeur, satisfaits d’un ordre superficiel et d’une invention spécieuse, acceptant tout ce qui brillait, sans scrupule de goût ni de vérité, finissaient par vibrer au plus léger contact, pour se répandre ensuite à l’infini en vaines sonorités.

Dans cette éloquence toute tournée vers l’effet, le débit ; qui faisait impression sur le public, était, après l’invention, la grande affaire. Le sophiste devait travailler sa voix comme un chanteur, pour lui donner la souplesse, l’éclat, la variété, dont elle était capable. Les mieux doués obtenaient ainsi des résultats étonnants ; le discours devenait dans leur bouche une sorte de chant aux modulations infinies. « Polémon, nous dit Philostrate, avait une voix éclatante, pleine de force, et sa langue faisait sonner les mots merveilleusement[23]. » Alexandre, surnommé Péloplaton, « mettait dans son discours des rythmes plus variés que ceux de la flûte et de la lyre ; » un jour, interrompu au milieu d’une improvisation par l’arrivée d’Hérode Atticus, il la recommença, « en changeant les pensées et les rythmes. » Lorsque Adrien de Tyr occupait la chaire de sophistique à Rome, il attirait, au témoignage du même auteur, ceux-là même qui ne comprenaient pas le grec. « On venait l’entendre comme un rossignol mélodieux, tant on était ravi du charme de sa voix, de sa tenue, de la souplesse de sa prononciation et des rythmes de son langage, qui était tantôt simple parole et tantôt chant[24]. » IL est vrai que quelques critiques d’un goût sévère, comme Lucien, se moquaient de ces discours en musique et de ces roulades[25] ; mais le public en était charmé, et c’était au public qu’on voulait plaire.

Naturellement, la mimique était en rapport avec la voix. Il fallait qu’un bon sophiste fût un bon acteur. Scopélien parlait souvent avec une mollesse affectée, assis sur son fauteuil ; mais lorsque le sujet y prêtait, il s’animait, se dressait brusquement, se frappait la cuisse, comme pour s’exciter lui-même. Il excellait dans les sujets médiques, où il jouait à merveille les rôles des Darius et des Xerxès ; nul ne rendait comme lui le mélange de hauteur et de naïveté qui convenait à des rois barbares[26]. Polémon, dans les moments pathétiques, bondissait de son siège et frappait du pied, nous dit Philostrate, « comme le coursier d’Homère »[27]. En fait, ces discours fictifs ressemblaient beaucoup à des discours de tragédie ; celui qui les débitait incarnait en lui le personnage qui était censé parler ; il était tenu, pour bien faire, d’exprimer par sa physionomie, par sa tenue, par ses gestes, le caractère qui lui était propre et les sentiments qu’il lui attribuait[28].


Les séances oratoires données par les sophistes s’appelaient, d’un terme général, des montres (ἐπιδείξεις) ; expression qui servait aussi à désigner les discours qu’on y produisait en public. Ces séances, les sophistes les donnaient assez souvent dans la ville où ils résidaient ; par exemple, lorsqu’un personnage de distinction venait à passer et désirait admirer leur talent. Mais, non moins ordinairement, ils allaient se faire entendre dans les villes voisines, quelquefois fort loin de chez eux ; car le sophiste était voyageur ; il avait besoin de changer de public, pour ne pas s’user trop rapidement, et il y gagnait d’ailleurs d’étendre au loin sa réputation. Dès qu’il se sentait en état de plaire, il entreprenait une tournée oratoire, en Asie, en Syrie, en Égypte, en Italie, plus loin même, jusqu’en Gaule et en Espagne, partout où il pouvait compter sur des auditeurs lettrés, suffisamment frottés d’hellénisme[29]. L’éducation des classes cultivées étant alors la même, à peu de chose près, dans doute l’étendue de l’empire, le sophiste était sûr d’être bien accueilli dans toutes les provinces qui possédaient des écoles grecques.

En général, sa réputation le précédait et excitait dans le public une vive curiosité[30]. Accueilli dans chaque ville par les maîtres et les élèves, il organisait une ou plusieurs séances, auxquelles venaient assister tous ceux qui se piquaient de bon goût et de bonne éducation. Ces conférences avaient lieu le plus souvent dans les locaux où enseignaient les rhéteurs de l’endroit (ἀκροατήρια), quelquefois dans des salles spécialement ornées et aménagées à cet effet, avec plus ou moins de luxe, soit par les villes, soit par les particuliers[31] ; rarement enfin, lorsque l’affluence était grande, dans les théâtres.

Certains sophistes, même parmi les plus illustres, apportaient là des discours écrits. C’est ce que semblent avoir fait Ælius Aristide, Lucien, Maxime de Tyr, beaucoup d’autres ; et parmi ceux-ci, les uns lisaient, les autres débitaient de mémoire. Quelques-uns offraient au public plusieurs sujets et lui laissaient la liberté de choisir ; lorsqu’un grand personnage assistait à la séance, c’était à lui, naturellement, qu’était attribué l’honneur du choix. Mais les improvisateurs renommés demandaient simplement à leurs auditeurs de leur désigner un sujet. Ils prenaient alors quelques minutes de réflexion, et ils parlaient d’abondance.

Le public, passionné pour l’art à la mode, écoutait avec une attention d’abord curieuse et bientôt frémissante. À mesure que le discours se développait et qu’on voyait naître les pensées inattendues, les arguments ingénieux et subtils, les sentiments pathétiques, l’enthousiasme éclatait. À certains moments, les cris d’admiration, les applaudissements partaient de tout côté[32]. Une belle période, savamment conduite, qui s’achevait comme d’elle-même sans effort apparent sur une cadence mélodieuse, ravissait tous ces connaisseurs, comme chez nous, une belle phrase musicale dans un concert. Les traits brillants, les sentences, les antithèses étaient acclamés. De moment en moment, l’exaltation grandissait[33] ; elle passait du public à l’orateur, qui, tout transporté par le succès, semblait se surpasser lui-même en invention dialectique, en abondance de mots sonores, en sentiments vibrants et passionnés[34]. La séance finissait dans une sorte d’ivresse, au milieu de laquelle les compliments les plus hyperboliques paraissaient à peine suffisants.


La nature de ces discours était assez variée. Souvent, ils ne différaient en rien par les sujets de ceux qu’on prononçait dans les écoles. C’étaient des exercices (Μελέται), et on les appelait communément ainsi. Volontiers, on en prenait la matière dans l’histoire grecque, de manière à mettre en scène des personnages connus et des circonstances dramatiques. On faisait parler Solon demandant qu’on effaçât ses lois, puisque Pisistrate avait supprimé la liberté ; Xénophon, réclamant le droit de mourir avec Socrate ; Démosthène, jurant qu’il n’avait pas reçu cinquante talents d’Alexandre ; ou encore un Spartiate, conseillant à ses compatriotes de ne pas recevoir dans la cité les prisonniers de Sphactérie[35]. L’histoire y était traitée fort librement. On lui demandait de fournir des personnages et une situation ; mais on en modifiait les données et on créait sans se gêner des circonstances de fantaisie. Certains sujets, comme ceux qui viennent d’être cités, plaisaient, parce qu’ils fournissaient matière à de beaux sentiments. D’autres, au contraire, parce qu’ils semblaient ingrats et par la même faisaient valoir d’autant plus le mérite d’invention de l’orateur. Polémon avait composé le discours d’un des alliés de Sparte, conseillant, après la victoire d’Ægos Potamos, de détruire Athènes et de disperser les Athéniens dans les dèmes[36].

À côté de ces harangues pseudo-historiques, figuraient les plaidoyers fictifs, qui étaient censés prononcés devant des tribunaux imaginaires et qui s’appuyaient le plus souvent sur une législation de fantaisie. C’étaient les sujets juridiques (ὑποθέσεις δικανικαί), dont les Controverses de Sénèque le père nous ont conservé tant d’exemples. On plaidait pour un adultère pris en flagrant délit (ὁ μοιχὸς ὁ ἐκκεκαλυμμένος)[37]. pour un fils renié par son père (ὁ ἀποκηρυττόμενος)[38]. Mais, le plus souvent, on imaginait des situations étranges et contradictoires. « Une loi ordonne de mettre à mort celui qui a excité une sédition et de récompenser celui qui l’a fait cesser. On supposera que le même homme ayant excité une sédition et l’ayant fait cesser, réclame la récompense »[39]. Tantôt on développait longuement les arguments de la cause, tantôt on se piquait au contraire de les resserrer autant que possible. Secundus d’Athènes traita en quelques mots le sujet précédent :

Des deux actes en question, quel est le premier dans l’ordre du temps ? C’est d’exciter la sédition. Quel est le second ? C’est de l’apaiser. Commence donc par subir le châtiment de la faute que tu as commise ; quant à la récompense de ta bonne action, viens la recevoir ensuite, si tu le peux.

Un autre genre fort en faveur était celui des Discours de cérémonie, qu’on pourrait appeler lyriques, puisqu’on leur appliquait les noms des anciens genres lyriques (Ἐγκώμια, ᾠδαί, μονῳδίαι, παλινῳδίαι, λόγοι γενεθλιακοί, ἐπιτάφιοι, ἐπικήδειοι) et que la distinction entre la prose et la poésie tendait de plus en plus à s’y effacer. Le recueil d’Ælius Aristide nous offre un certain nombre de compositions de cette sorte, destinées tantôt à des particuliers (Ἀπελλᾶ γενεθλιακός), tantôt à des villes (Ῥώμης ἐγκώμιον, Ἐλευσίνιος, Μονῳδία ἐπὶ Σμύρνῃ, etc.). Dans cette classe, se rangent les panégyriques, tel que le Panathénaïque du même orateur, et en général toutes les harangues officielles, si fréquentes en ce temps, discours d’inauguration, de remerciement, de félicitations, adressés aux grands personnages ou débités devant eux. Une des plus célèbres fut celle que Polémon prononça devant Adrien pour l’inauguration de l’Olympieion d’Athènes, achevé par ce prince. « L’Empereur, nous dit Philostrate[40], chargea Polémon de chanter l’hymne après le sacrifice (ἐφυμνῆσαι τῇ θυσίᾳ). Et lui, selon sa coutume, arrêtant d’abord ses regards sur les pensées qui déjà se présentaient à son esprit, s’abandonna ensuite aux discours (ἐπαφῆκεν ἑαυτὸν τῷ λόγῳ). Debout sur le seuil du temple, il exprima en abondance des pensées admirables, tirant son exorde de cette idée, que l’inspiration dont il était plein ne pouvait venir que d’un dieu. »

Une sorte de contrefaçon plaisante de ces éloges, qui eut grand succès dans les écoles du temps, fut le genre des compositions dites paradoxales, telles que l’Éloge du perroquet, l’Éloge de la mouche, simples jeux d’esprit qui nous paraissent puérils, mais qui donnaient à un public frivole le plaisir, très vif pour lui, d’admirer les ressources d’invention et les gentillesses inépuisables des artistes en discours qu’il aimait le plus.

Aux Μελέται, dont la définition même impliquait la recherche de l’effet et qui reposaient sur une fiction historique ou juridique ; s’opposait le genre de la Διάλεξις, qui avait quelque chose de moins apprêté dans la forme, puisque l’orateur, au lieu de jouer un rôle convenu, y parlait en son propre nom. Le sophiste qui voulait donner une séance oratoire commençait en général par une sorte de petit discours d’introduction, dans lequel il se présentait au public et cherchait à gagner sa bienveillance. C’était une διάλεξις. Il nous en reste un certain nombre de ce genre dans les œuvres de Lucien (Hérodote, Zeuxis, le Scythe, Bacchus). Le ton en est familier, l’invention agréable et parfois à demi plaisante ; c’était en quelque sorte un lever de rideau, la petite pièce avant la tragédie. En raison de ce caractère, on les appelait aussi causeries (παλιαί, προλαλίαι), noms qui furent ensuite appliqués par extension à d’autres genres de discours.

Mais si la διάλεξις n’était pour les rhéteurs qu’un prélude, elle était tout pour les philosophes qui enseignaient à la façon des sophistes. Eux n’inventaient pas de causes fictives, ils ne jouaient pas les Xerxès ni les Thémistocle ; ils venaient traiter devant le même public des sujets de morale. Leurs discours, appelés διαλέξεις, étaient proprement ce que nous nommons des Conférences. Le recueil de Dion Chrysostome, dont nous avons parlé plus haut, celui de Maxime de Tyr, sur lequel nous reviendrons plus loin, peuvent donner une idée assez complète du genre en lui-même et des variétés qu’il comportait. Pour quelques philosophes beaux esprits, dont Maxime de Tyr peut être considéré comme le type, la philosophie n’était guère qu’un prétexte, et leur auditoire ne différait pas sensiblement de ceux des sophistes. Déjà, au siècle précédent, le stoïcien Musonius en connaissait de tels, et Aulu-Gelle nous a conservé la vive critique qu’il faisait d’eux. « Lorsqu’un philosophe, disait-il, exhorte, convertit, conseille, réprimande, ou en général donne un enseignement quelconque, si ses auditeurs lui prodiguent, d’un cœur léger et libre, des louanges banales, si même ils poussent des cris, s’agitent comme transportés, si les grâces de sa voix et les modulations de ses phrases les émeuvent et les mettent hors d’eux-mêmes, sachez que celui qui parle et ceux qui écoutent perdent également leur temps ; ce n’est pas un philosophe qui parle, c’est un joueur de flûte qui se fait entendre[41]. » Quelque cinquante ans plus tard, Dion, parlant aux habitants de Tarse, traçait à peu près le même portrait :

« Vous avez dû entendre plus d’une fois des hommes divins, qui déclarent tout savoir, prêts à parler sur toute chose, » pour en expliquer l’ordonnance et la nature, sur les hommes, sur les génies, sur les dieux, ou encore sur la terre, sur le ciel, sur la mer, sur le soleil et sur la lune, ainsi que sur les autres astres, sur l’univers tout entier, sur la fin des choses et sur leur naissance, et sur mille autres sujets. J’imagine qu’ils viennent vous trouver et vous demandent quels discours vous désirez qu’ils tiennent et sur quels sujets, à la façon de Pindare prêt à chanter

Isménos, ou Mélia à la quenouille d’or, ou Cadmos ;

Puis, quelle que soit la matière que vous indiquez, le voilà qui part et qui lâche, tout d’un coup, une abondance de paroles, comme une masse d’eau enfermée en lui. Et vous qui l’écoutez, vous penseriez faire preuve d’un petit esprit, d’un véritable manque de tact, si vous l’interrogiez sur chaque point et si vous vous refusiez de croire sur parole un homme si habile. D’ailleurs, vous êtes enthousiasmés par la force et la rapidité de ses discours, et vous vous délectez à lui voir débiter ainsi, sans reprendre haleine, une telle quantité de paroles ».[42]

D’autres, il est vrai, prenaient leur rôle de sages plus au sérieux. Si Dion critiquait ainsi les faux philosophes, c’est que lui-même avait un sentiment plus haut de son devoir. Les conférences d’un Plutarque, d’un Favorinus même, d’un Euphrate, d’un Taurus, de beaucoup d’autres renfermaient d’utiles et saines leçons. Le précédent chapitre a montré déjà ce que ce siècle avait fait pour la morale, et nous verrons bientôt d’autres manifestations, non moins honorables, de la même tendance. Mais ces mérites, très réels, ne doivent pas nous faire méconnaître l’influence que la sophistique a exercée en ce temps sur la philosophie. La conférence philosophique, cédant au mouvement de l’opinion, tendait à devenir un genre oratoire, et il fallait aux vrais maîtres de morale une certaine fermeté pour se défendre d’un engouement si général.

En dehors même de la philosophie, les emplois sérieux ne manquaient pas absolument à l’art des orateurs de ce siècle. Beaucoup des sophistes en renom exerçaient, en même temps que la profession de maîtres de rhétorique, celle d’avocats[43]. Nikétès s’illustra plus encore par ses plaidoyers que par ses déclamations[44]. Scopélien n’y eut pas moins de succès[45] ; il plaidait gratuitement dans les causes criminelles, et se montrait, dans les causes civiles, plein de dignité et de modération[46]. Polémon, après eux, se fit d’abord connaître dans les tribunaux. Jeune encore, il vint plaider à Sardes avec grand succès, devant les centumvirs qui rendaient la justice en Lydie[47]. Hérode Atticus ne mit peut-être pas son éloquence au service d’autrui, mais il semble bien qu’il se soit défendu lui-même dans les nombreuses affaires où il fut engagé. Vers le même temps, Lucien débutait, lui aussi, comme avocat, devant les tribunaux d’Antioche. Ce serait donc une erreur grave de croire que ces artistes d’éloquence aient négligé ou dédaigné les affaires. Seulement, ils y portaient sans aucun doute beaucoup des habitudes de l’école, et les juges, dont le goût était celui du temps, ne s’y montraient pas insensibles. D’autre part, un certain nombre de causes importantes étaient évoquées devant le conseil de l’empereur à Rome, particulièrement les contestations assez fréquentes des villes entre elles. Celles-ci nommaient alors, pour les défendre, des avocats publics (σύνδικοι), qu’elles choisissaient toujours parmi les sophistes en renom. Les princes lettrés de ce siècle se faisaient un plaisir de les entendre et accordaient grand crédit à leurs raisons[48]. Il en était de même, lorsque ces orateurs étaient députés auprès d’eux, pour présenter les réclamations ou les sollicitations des villes ou des provinces[49]. Enfin, il ne faut pas oublier que la plupart des cités grecques d’Asie avaient conservé une vie municipale assez active, qu’elles tenaient des assemblées et discutaient leurs affaires intérieures. Des hommes éloquents avaient là l’occasion d’exercer leur talent. Dion de Pruse, sous Trajan, joua un certain rôle public dans son pays. Il en fut de même, pendant tout le second siècle, de presque tous les sophistes en renom. Scopélien et Polémon eurent tour à tour une grande influence sur le peuple turbulent de Smyrne[50]. Dans ce rôle, leur éloquence devait certainement se faire plus grave, plus simple surtout, plus sérieuse ; elle avait à traiter d’intérêts réels et présents, à ménager de vraies passions, à faire appel à des sentiments délicats. Si les orateurs à la mode restaient, à certains égards, même à l’agora, les parleurs brillants et affectés qu’ils étaient dans l’école, il était impossible cependant qu’ils n’y fissent preuve aussi de qualités d’hommes d’affaires et même d’hommes d’État.

Outre les discours, les sophistes cultivaient un certain nombre de genres littéraires qui servaient d’exercices aux écoliers dans les écoles, et dont les maîtres se plaisaient à donner des modèles. Ainsi les lettres et les descriptions. Il suffit de les indiquer ici ; nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin, à propos de quelques écrivains qui s’y sont fait une notoriété.

La faveur que les hommes de ce temps accordaient à ce qui leur paraissait être l’éloquence ne se marquait pas seulement par leur empressement à applaudir les orateurs à la mode. La sophistique fut considérée par eux comme une des choses nécessaires à la vie sociale, et ils prirent leurs mesures pour en assurer le développement[51]. Les premières écoles qui acquirent une large réputation lors de la renaissance de l’éloquence grecque, celles des Nikétès, des Isée, des Scopélien, semblent avoir été des écoles purement privées. Mais bientôt les villes voulurent en avoir de publiques, avec des professeurs salariés. Faute de documents précis sur ce point, nous en sommes réduits à quelques faits incomplètement éclaircis. Nous savons par exemple qu’Antonin le Pieux accorda aux rhéteurs dans les provinces, non seulement des privilèges, mais des traitements, probablement payés sur les revenus des villes et complétés, en cas d’insuffisance, sur les fonds du fisc impérial[52]. C’est ainsi sans doute que Lollianos, comme nous l’avons vu plus haut, occupa le premier la chaire de sophistique d’Athènes[53]. Un peu plus tard, en 176, Marc-Aurèle créa, dans la même ville, une chaire impériale pour le même enseignement ; et il y appela un des disciples d’Hérode Atticus, Théodote[54]. Partout, d’ailleurs, soit à Rome, soit dans ses voyages, il témoignait le plus vif intérêt aux sophistes en renom ; il allait les entendre et les comblait de présents[55]. Ce fut probablement lui aussi qui institua à Rome la chaire de rhétorique grecque, où parurent successivement Philagrios de Cilicie et Adrien de Tyr[56]. Il faut ajouter à cela que l’administration impériale offrait aux beaux esprits un certain nombre de places recherchées soit dans la chancellerie, soit dans certains offices judiciaires[57].

Ainsi encouragés par l’opinion publique, par les villes et par l’État, les sophistes devinrent, dans le cours du second siècle, une classe d’hommes singulièrement en vue, dont la vanité dépassa quelquefois toute mesure. Parmi ceux dont Philostrate a raconté la vie, les plus illustres, les Scopélien, les Polémon, les Hérode Atticus, donnèrent tous des preuves d’un orgueil maladif. Quand Adrien de Tyr professait à Athènes, il paraissait dans sa chaire, vêtu des plus riches habits et chargé de pierres précieuses ; il venait faire ses conférences sur un char dont les chevaux portaient des mors d’argent, et il s’en retournait ensuite chez lui comme un triomphateur, escorté par une foule d’admirateurs qui affluaient de toutes les provinces grecques[58]. De telles folies révèlent mieux qu’aucune réflexion le vice secret d’un art qui déshabituait les esprits de la vérité.

IV

Deux hommes, entre les représentants de la sophistique, méritent d’être étudiés ici un peu plus en détail que les autres, parce que leurs œuvres nous ont été conservées en grande partie : ce sont Ælius Aristide et Maxime de Tyr.

Publius Ælius Aristide[59], né à Adriani en Mysie, l’an 129 ap. J.-C., appartenait à une famille riche. Après avoir reçu sa première éducation à Cotyæon en Phrygie par les soins du grammairien Alexandre, dont il écrivit plus tard l’éloge funèbre (Or. XII), il étudia l’art oratoire à Pergame dans l’école d’Aristoclès, puis à Athènes auprès d’Hérode Atticus. Vers l’âge de vingt ans, il visita Rhodes, et fit un voyage de quelque durée en Égypte (Or. XLVII, Αἰγύπτιος) : il traversa tout le pays jusqu’aux frontières de l’Éthiopie, mais séjourna surtout à Alexandrie, où il fit applaudir ses premières œuvres oratoires. En 155, à la suite d’un voyage en Italie, accompli en hiver dans les plus mauvaises conditions, il fut pris d’une maladie qui le mit en grand danger et se prolongea, pendant dix-sept ans, jusqu’en 172. Il passa ce temps tantôt à Smyrne, tantôt, et plus souvent, à Pergame, auprès du temple d’Asclépios, occupé à se soigner d’après les indications qu’il croyait recevoir en songe du dieu lui-même. Le détail de ces consultations et du traitement extraordinaire qui en fut la suite se trouve, sous une forme très confuse, dans les six Discours sacrés (Ἱεροὶ λόγοι, Or. XXIII-XXVIII) qu’il écrivit à partir de 170. Même pendant sa maladie, Aristide n’avait jamais abandonné l’exercice de son art ; au milieu de ses souffrances, et tout en se soumettant à une cure des plus pénibles, il continuait à écrire des discours. Une fois guéri, il se livra plus ardemment encore à la pratique de l’éloquence. En 176, il eut l’honneur de haranguer Marc-Aurèle et Commode à Smyrne. Deux ans après, en 178, un tremblement de terre ayant détruit une partie de cette ville, il écrivit une lamentation oratoire, Μονῳδία ἐπὶ Σμύρνῃ (Or. XX) ; puis, ce qui valait mieux, il contribua par une lettre éloquente (Or. XLI Ἐπιστολὴ περὶ Σμύρνης), à obtenir le concours de Marc-Aurèle pour le relèvement de la ville ruinée. Bientôt, il en célébra la brillante restauration dans sa Palinodie (Or. XXX, Παλινῳδία ἐπὶ Σμύρνῃ) et dans son Adresse à Commode au nom de Smyrne (Or. XXII, Προσφωνητικὸς Σμυρναϊκός). C’est à cette même partie de sa vie que paraissent appartenir la plupart des grands discours de lui qui nous ont été conservés. Il mourut probablement en 189, à l'âge de soixante ans.

Il laissait une grande quantité d’écrits, dont la plupart nous sont parvenus. On peut les répartir en plusieurs groupes.

D’abord, les discours qui ont été composés pour des cérémonies réelles, ou à propos d’événements contemporains. Outre ceux que nous avons déjà mentionnés, (Or. XX, XLI, XXI et XXII), il faut citer le Panathénaïque (Or. XIII), prononcé à Athènes aux Panathénées, et où il résume à grands traits toute l’histoire d’Athènes ; l’Éloge de Rome (Or. XIV, Ῥώμης ἐγκώμιον), écrit probablement en 155 ; — quelques harangues politiques (Or. Or. XV, Σμυρναϊκὸς πολιτικός ; Or. XLII, Περὶ ὁμονοίας ταῖς πόλεσιν, prononcée à Pergame dans les premières années du règne de Marc-Aurèle pour recommander la concorde aux trois grandes villes d’Asie, Pergame, Smyrne et Éphèse, qui se disputaient la prééminence : Or. XLIV, Ῥοδιακὸς περὶ ὁμονοίας : Or. XL, Σμυρναίοις περὶ τοῦ μὴ κωμῳδεῖν ; — des discours de condoléance (Or. XIV Ἐλευσίνιος, sur l’incendie du temple d’Éleusis, en 182 ; Or. XLIII, Ῥοδιακός, à propos du tremblement de terre qui ravagea Rhodes, vers 155) ; — les deux panégyriques relatifs l’un au temple de Cyzique (Or. XVI), l’autre à l’eau de Pergame (Or. LV) : — tout un groupe de compositions à demi lyriques, en l’honneur de diverses divinités (Or. I-VIII), auxquelles on peut joindre les deux hymnes oratoires à la mer Égée (Or. XVII, Εἰς τὸ Αἰγαῖον πέλαγος) et au puits d’Asclépios (Or. XVIII, Εἰς τὸ φρέαρ τοῦ Ἀσκληπιοῦ) : un compliment à Antonin (Or. IX, Εἰς βασιλέα), composé vers la fin de son règne ; — enfin un petit nombre de discours d’un caractère privé (Or. X, Ἀπελλᾶ γενεθλιακός ; Or. XI, Εἰς Ἐτεωνέα ἐπικήδειος ; Or. XII, Ἐπὶ Ἀλεξάνδρῳ ἐπιτάφιος). — À ce premier groupe, se rattachent aussi les Discours sacrés, dont nous avons parlé plus haut.

Viennent ensuite les œuvres de discussion et de critique. En tête, le Περὶ Ῥητορικῆς (Or. XLV), plaidoyer en deux parties, dans lequel Aristide réfute l’opinion exprimée par Platon au sujet de la rhétorique dans le Phèdre et le Gorgias. Puis, la Lettre à Capiton (Or. XLVII), où il se défend d’avoir manqué de respect à Platon dans le précédent discours. L’Apologie pour les Quatre (Or. XLVI, Ὑπὲρ τεττάρων, ample justification historique de Miltiade, Thémistocle, Cimon et Périclès, dont Platon avait parlé dédaigneusement dans le Gorgias. Enfin, quel ques discours dans lesquels il répond à certains reproches personnels et critique à son tour ses rivaux (Or. XLIX, Περὶ τοῦ παραφθέγματος ; LI, Πρὸς τοὺς αἰτιωμένους ὅτι μὴ μελετῴη ; L, [60]).

Un troisième groupe comprend les Discours d’école (Μελέται), fondés sur des données fictives. Mentionnons en ce genre deux harangues sur le secours à envoyer en Sicile (Or. XXIX et XXX), censées prononcées à Athènes en 414 av. J.-C., et destinées à démontrer aux Athéniens, l’une qu’il faut envoyer des secours, l’autre qu’il ne faut pas en envoyer ; le discours XXXI, par lequel un Athénien conseille à ses concitoyens de traiter avec Lacédémone après les événements de Sphactérie, en 425 av. J.-C. ; le discours XXXII, attribué à un Lacédémonien qui conseille d’accorder la paix aux Athéniens vaincus, en 404 ; les cinq discours relatifs aux conséquences de la bataille de Leuctres (Or. XXXIII-XXXVI) : les deux harangues dites Symmachiques (Or. XXXVIII et XXXIX), qui se rapportent à l’alliance d’Athènes avec Thèbes contre Philippe. Quelques autres compositions du même genre ont été perdues[61]. On peut y joindre le discours III à Achille, dans lequel l’auteur refait, en l’amplifiant, l’allocution d’Ulysse au IXe chant de l’Iliade. Mais il faut écarter les deux discours LIII et LIV (À Démosthène sur l’immunité et À Leptine sur le même sujet) qui semblent devoir être tenus pour apocryphes[62].

Enfin nous possédons encore, sous le nom d’Aristide, deux traités de rhétorique, l’un Sur Le style oratoire (Περὶ πολιτικοῦ λόγου), l’autre Sur le style simple (Περὶ ἀφελοῦς λόγου), dont l’authenticité, il est vrai, a été contestée, mais qui paraissent cependant lui appartenir[63].

Personne peut-être, en ce temps, ne laisse mieux voir que lui ce qu’avait de fâcheux l’influence de la sophistique. Très richement doué par la nature, Aristide, s’il eût vécu dans d’autres conditions, aurait été un homme supérieur. La sophistique le prit, le détourna de la vérité et l’empêcha de donner ce qu’on pouvait attendre de lui.

Il eut certainement, par instants au moins, l’ambition d’être autre chose qu’un orateur d’école. Sa fortune, le renom de sa famille, son talent, la considération dont il jouissait, son crédit à la cour pouvaient lui permettre de jouer un rôle politique. Un certain nombre de ses discours sont de véritables harangues, qui touchent aux affaires du temps. Lorsqu’on les lit, on sent qu’elles ont dû être applaudies et rester sans effet. L’orateur s’y montre plein de ressources, mais incapable de serrer de près la réalité. Habitué à n’argumenter que sur des thèmes scolaires et d’après des livres, il ne sait pas analyser les choses de la vie. Jamais la situation présente n’y est étudiée sérieusement : nul exposé précis des difficultés à résoudre, des intérêts à satisfaire, des ménagements à garder, nul sens pratique, rien d’immédiatement applicable ; de belles paroles, des développements toujours généraux, une éloquence académique, qui a de l’essor, mais qui ne sait pas marcher sur le sol[64]. Même en ce temps et sous la surveillance de l’autorité impériale, il y avait autre chose que cela à dire, pour être utile ; mais il aurait fallu être simple, franc, parler sans vain souci de plaire, aller droit au fait, appeler les choses par leur nom ; et c’était justement ce dont Aristide avait cessé d’être capable.

Ajoutons que les succès oratoires avaient étrangement développé en lui la vanité et gâté le jugement. Ses Discours sacrés sont bien, quant au fond des choses, l’une des plus sottes et des plus impertinentes compositions qu’on puisse lire[65]. Impossible d’entretenir le public de ses misères physiques avec une infatuation plus ridicule. Il lui semble que son dieu n’a rien à faire que de s’occuper de lui, et que le monde entier doit être attentif à tout ce qui s’est passé entre eux. Nous n’avons aucune raison, quoi qu’on en ait dit, de douter de la sincérité de sa foi. La dévotion, en lui, s’alliait très bien à la vanité, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Comment aurait-il douté qu’un personnage de son importance ne dût être l’objet d’une sollicitude divine toute particulière ? Cette sollicitude, il la sentait partout, il en jouissait, et il éprouvait le besoin de la publier : sa présomption puérile est la meilleure preuve de sa crédulité.

Aristide est donc un déclamateur. Mais, sous cet art sophistique qu’il étale avec complaisance, on ne peut nier que des qualités rares n’apparaissent et ne compensent même parfois ses défauts essentiels.

Dans un siècle où l’éloquence cherchait surtout à juxtaposer les traits brillants, il a su argumenter. Qu’il traite un sujet réel ou un sujet fictif, dès qu’il s’agit de raisonner, l’invention dialectique atteste chez lui des ressources vraiment remarquables[66]. Si le fond de son discours est historique, comme dans le Panathénaïque ou le Plaidoyer pour les Quatre, il sait tirer de l’histoire les exemples et les arguments avec une rare présence d’esprit. Les récits des grands écrivains classiques lui sont familiers ; il en a tout le détail à la fois devant les yeux ; les faits accourent à son appel pour les besoins de sa cause, avec un à-propos étonnant. De là l’intérêt qu’offrent ces discours pour la connaissance des événements dont il parle ; il est vrai qu’il les arrange à sa façon parce qu’il plaide ; mais il les connaît comme un bon avocat connaît le dossier qu’il a étudié. S’agit-il de discuter des opinions ? Même souplesse et mêmes ressources. Quand il défend la rhétorique contre Platon, c’est avec une abondance de raisons qui semble inépuisable. Pas une contradiction de l’adversaire ne lui échappe. Il s’empare de ses aveux, de ses concessions, de ce qu’il a pu dire ailleurs, et il le réfute par ses propres déclarations, pied à pied, en gagnant du terrain à chaque pas. Dans une argumentation si subtile et si abondante, il rencontre souvent la vérité. Mais les objections spécieuses se mêlent trop aux objections sérieuses, ce qui nous inquiète ; et, toujours, ce grand effort d’esprit donne l’impression de quelque chose d’artificiel, dont on se défie, alors même qu’on l’admire dans une certaine mesure.

Cette dialectique, d’ailleurs, est ce qu’il y a de meilleur en lui. Son pathétique est banal, faute de sincérité. Des discours tels que la lamentation funèbre sur Smyrne, qui se composent en grande partie d’apostrophes et de prosopopées, sont pour nous sans intérêt et sans valeur. Là où il faudrait de hautes pensées, des sentiments graves et forts, une philosophie en un mot, on ne trouve que le vide. Ses hymnes oratoires aux dieux ne nous renseignent que vaguement sur les croyances du temps, parce qu’ils ne sont eux-mêmes qu’un tissu d’idées vagues, et qu’ils procèdent, non d’un état de conscience, mais d’une pure habileté technique.

Par son style, Aristide est un des plus attiques entre les écrivains de ce temps[67]. Sachant par cœur, très certainement, une bonne partie des œuvres classiques, il se sert sans effort des ressources qu’elles lui fournissaient. Thucydide, Platon, Xénophon, Isocrate, Démosthène surtout, sont ses modèles favoris. Rivaliser avec ce dernier a été son ambition constante, et il s’est flatté plus d’une fois de l’avoir égalé, sinon surpassé[68]. En luttant avec lui, il ne craignait pas de lui prendre ses propres armes ; il est plein de tours, d’expressions, de raisonnements même, qui viennent directement de son modèle. Toutefois, l’allure de sa phrase n’a rien de la véhémence du grand orateur. Son style est plutôt une sorte de compromis entre sa manière et celle d’Isocrate, avec un mélange d’éléments abstraits qui procèdent de Thucydide. Qu’il ait quelque chose d’apprêté et d’artificiel, cela est incontestable. Mais pour les meilleurs juges de ce temps, il représentait, en face des improvisations frivoles et du mauvais goût régnant, la forte tradition classique[69]. N’ayant qu’une médiocre aptitude à improviser, Aristide s’était fait une préférence raisonnée pour l’éloquence étudiée, qui lui semblait plus sérieuse. Il se prenait lui-même pour un pur Attique, et il censurait de haut les écarts des parleurs contemporains, comme on peut le voir surtout dans son discours Contre ceux qui profanent l’éloquence (Or. L, Κατὰ τῶν ἐξορχουμένων). Quelle que fût la part d’illusion qu’il y eût dans cette opinion, elle provenait d’un sentiment juste des extravagances du temps, et elle a pu contribuer en quelque mesure à les discréditer[70].

Aristide, si admiré qu’il fût, n’eut guère d’élèves à proprement parler et ne fit pas école ; on trouvait son art trop difficile à pratiquer. Mais ses discours lui survécurent et rencontrèrent des admirateurs passionnés dans les siècles suivants[71]. Libanios doit être nommé parmi les plus fervents, ainsi que son contemporain Himérios[72] ; tout le moyen-âge byzantin partagea leurs sentiments ; les scolies et prolégomènes qui sont venus jusqu’à nous attestent combien ses œuvres furent étudiées alors dans les écoles. Les plus lues étaient le Panathénaïque et le discours Pour les quatre, où l’on trouvait, sous une forme oratoire, tout un résumé de l’histoire d’Athènes ; puis les deux discours Pour la rhétorique, où était loué l’art le plus en faveur auprès des héritiers de l’hellénisme. Si exagérée que nous paraisse cette réputation, elle n’était pas entièrement imméritée. Les autres sophistes de ce temps n’avaient eu en vue que le succès immédiat ; leurs œuvres ont disparu, comme cela devait être, avec ceux qui les avaient applaudies. Aristide, lui, unissant à un talent de forme au moins égal une tendance d’esprit plus réfléchie, s’était préoccupé davantage de la valeur durable des idées ; ses écrits sont restés longtemps comme une partie du patrimoine hellénique, et, aujourd’hui même, ils ne peuvent être entièrement négligés de ceux qui veulent le bien connaître.


Fort inférieur à Ælius Aristide, Maxime de Tyr ne nous intéresserait guère aujourd’hui, si ses écrits ne nous montraient à quel point la philosophie elle-même, en ce temps, pouvait être sous la dépendance de la sophistique.

Tous ce que nous savons de lui, c’est qu’il était originaire de Tyr, qu’il vint à Rome plusieurs fois et qu’il y séjourna sous Commode[73]. Philosophe platonicien[74], il semble avoir passé une bonne partie au moins de sa vie à voyager et à donner des conférences[75]. Les quarante-et-une dissertations (Διαλέξεις) qui nous restent de lui suffisent amplement à nous donner une idée juste de ce que fut son enseignement. Bien qu’il définisse très gravement l’éloquence philosophique et qu’il la veuille avant tout sérieuse et tournée vers l’efficacité pratique (Or. VII, c. 8), personne en ce temps n’a été plus esclave de toutes les frivolités de la rhétorique à la mode. Son style, d’une coquetterie laborieuse, rappelle la manière de Gorgias par ses affectations de symétrie. La préoccupation manifeste de l’auteur est d’ajuster et d’équilibrer ses phrases. Pour cela, il faut que la pensée se divise en une série de petits membres de même forme et de même étendue, qui se groupent en périodes, ou plutôt en strophes. Soumises à ce traitement, les idées s’allongent ou se raccourcissent, se multiplient, se coupent en morceaux, selon les besoins de la construction. Il serait vain de se demander si l’auteur peut être sincère, s’il cherche sérieusement la vérité, s’il est capable d’examiner à fond une question délicate. Toutes les ressources de l’amplification sophistique forment le tissu même de ses développements : citations des poètes, comparaisons superficielles, énumérations, exemples de fantaisie ; tout l’arsenal du bel esprit, tout le clinquant qu’on prenait en ce temps pour de l’or[76].

S’il faut chercher une doctrine sous ce verbiage prétentieux, celle de Maxime de Tyr est un platonisme éclectique, qui fait des emprunts, selon les sujets et les occasions, à l’aristotélisme, au stoïcisme, au néopythagorisme, et qui ne se défend guère que de l’épicurisme[77]. Elle offre quelque intérêt pour l’histoire de la philosophie, justement par cette façon d’amalgamer des idées de toute provenance, qui est caractéristique du temps, et aussi parce qu’à certains égards, notamment par la croyance aux démons, elle annonce, comme les écrits de Plutarque, l’avénement prochain du néoplatonisme[78]. Mais si l’on était tenté, d’après les titres de quelques-unes des dissertations de Maxime, de voir en lui un moraliste, au vrai sens du mot, c’est-à-dire un homme qui sait décrire les mœurs, les critiquer, étudier des états d’âme délicats, nous faire sentir à la fois nos misères, nos dangers, nos ressources, en un mot nous servir de guide dans le chemin de la vie, on serait absolument déçu[79]. Quelques ressemblances avec Plutarque ne doivent pas nous faire illusion[80] : l’un est un vrai philosophe, un bon et charmant conseiller, l’autre n’est qu’un rhéteur qui parle de philosophie. Et de même, en ce qui touche aux questions religieuses, Maxime les a beaucoup agitées : il traite de la nature de Dieu, de la providence, de la prière, du culte des statues, d’une foule de choses qui auraient dû l’amener à étudier la croyance de son temps, et par suite à nous la faire mieux connaître[81] ; mais, en fait, sauf quelques indications générales qu’on trouve aussi ailleurs, il y a peu à tirer de tous ces développements, qui restent uniformément vagues et superficiels dans leur élégance banale.

V

Le seul nom vraiment grand que nous rencontrions alors, sinon dans le domaine propre de la sophistique, tout au moins dans ses dépendances, est celui de Lucien. Il y a lieu de nous y arrêter plus longuement.

Lucien procède de la sophistique par son éducation et par certaines de ses habitudes d’écrivain, mais il s’en dégage par la vigueur native de son esprit et par l’indépendance de son caractère. C’est à la fois un remueur d’idées et un créateur de formes. Pamphlétaire, moraliste, conteur, dialecticien, il a une puissance intime qu’on ne trouve en ce temps chez aucun autre. Seul peut-être entre les écrivains de la période romaine, il rappelle par le génie ceux des siècles classiques ; il y a en lui de l’Aristophane et du Platon. Il unit la grâce à la force, l’esprit mordant à la clairvoyance, l’ironie charmante à la philosophie et à l’éloquence. Tous les sophistes contemporains, grands hommes pour leur public, ont disparu pour la postérité : lui seul reste vivant et domine son siècle. D’ailleurs, aucun plus que lui n’invite à penser. Il incarne l’hellénisme, et il en révèle le déclin. Il tourne avec un art merveilleux les ressources du passé à la destruction de ce que ce passé avait édifié. Son importance est aussi grande dans l’histoire des idées que dans celle des formes littéraires. Il est celui qui fait le mieux sentir quelle était encore la force de l’hellénisme et quelle était déjà sa faiblesse.

Sa vie ne nous est guère connue que par ce qu’il en a dit lui-même, çà et là, dans ses écrits[82]. Né à Samosate, dans la Syrie du Nord, vers l’an 125 de notre ère[83], lui qui devait un jour écrire en grec avec plus d’aisance, de grâce et de pureté qu’aucun de ses contemporains, il parla d’abord syrien. Ses parents étaient d’humbles gens, qui le destinaient à un métier manuel. Comme il se montrait habile, tout enfant, à façonner de petites figures de cire, on le mit en apprentissage chez un oncle maternel, fabricant de statuettes. Son ambition visait plus haut. À la suite de quelque maladresse d’apprenti, une scène violente eut lieu entre l’oncle et le neveu ; cela décida de son avenir. L’enfant obtint de ses parents qu’on le ferait étudier[84]. Nous ne savons où se fit sa première initiation à l’hellénisme ; il nous apprend seulement que son éducation s’acheva dans les écoles de rhétorique d’Ionie ; ce fut là que le jeune barbare devint, vers sa vingtième année, un Grec disert et cultivé[85]. S’il avait eu quelques maitres renommés, il s’en serait sans doute fait gloire ; il n’en a nommé aucun, probablement parce qu’aucun ne méritait d’être nommé. Mais ce vif esprit était de ceux qui vont d’eux-mêmes à la perfection. Au milieu de jeunes gens passionnés pour l’art de la parole, tout le stimulait et l’instruisait : il lut, il écouta, il s’exerça, il s’assimila tout ce qui s’offrait à lui ; ce fut une rapide et complète transformation, qui d’ailleurs n’altéra point en lui l’originalité native.

On lit dans Suidas qu’il fut avocat à Antioche[86]. C’est par là peut-être qu’il débuta, vers 25 ans et il put reprendre ce métier par occasion entre ses voyages. Toutefois, comme il a oublié d’en parler dans un passage où il raconte à grands traits l’histoire de ses débuts, il est à croire qu’il y tenait peu et n’en tira point vanité[87]. Non pas qu’il dût être mauvais avocat : il avait l’esprit ingénieux, subtil et clair à la fois, très inventif et raisonneur. Mais la nature lui avait refusé le goût des affaires. Il était fantaisiste, moqueur, artiste, aimait à se jouer des choses, à créer librement et légèrement. Que faire de tout cela au barreau ? Il s’échappa : la vie de sophiste voyageur convenait bien mieux à son tempérament. Ce fut en cette qualité qu’il parcourut le monde romain. Il donna des séances oratoires en Asie Mineure, en Grèce, en Macédoine, en Italie, en Gaule[88] ; là, même, il tenta un établissement, et obtint d’une ville, — probablement d’une des cités demi-grecques de la vallée du Rhône, — une chaire municipale de rhétorique avec de gros appointements[89]. Mais ces avantages ne le retinrent pas fort longtemps : il était trop grec désormais pour vivre longtemps loin de la Grèce.

Vers le début du règne de Marc-Aurèle, entre 161 et 165, nous le retrouvons en Orient ; il est en Ionie, puis à Antioche, en 163, lorsque l’empereur Verus y vient pour diriger la guerre contre les Parthes[90] ; il retourne sans doute alors à Samosate[91] ; puis, il prend son parti d’émigrer définitivement, emmène avec lui les siens et vient s’établir à Athènes[92].

Il dut y vivre environ une vingtaine d’années (de 165 à 185 approximativement), entre quarante et soixante ans[93]. C’est alors que son originalité d’écrivain s’affirme hautement. Dégoûté des mensonges de la rhétorique, il renonce avec éclat aux tribunaux comme à la sophistique[94]. Il se fait pamphlétaire et satirique. Il compose des dialogues, des libelles, des récits moqueurs ; il les lit en public et les publie ensuite[95]. Presque tous ses meilleurs écrits datent de ce temps. Au ton qu’il y prend, on sent qu’il est stimulé par le succès, et lui-même nous le dit expressément[96]. Il se moque des rhéteurs à la mode, des philosophes, des charlatans ; il arrange en scènes piquantes tantôt la mythologie et la morale, tantôt simplement les incidents de la vie universitaire d’Athènes. Frondeur de profession, il se fait des ennemis. Pour les tenir en respect, il a son merveilleux esprit, toujours prêt. D’ailleurs, sa hardiesse même, son incrédulité agressive groupent autour de lui les sceptiques, nombreux alors, et lui créent d’utiles relations parmi les Épicuriens, réunis selon leur coutume en sociétés amicales[97]. Il est donc un personnage dans Athènes ; mais, à la longue, il finit par s’y trouver un peu à l’étroit : amuser indéfiniment le même public est une lourde tâche pour l’esprit le plus fécond. Ajoutons que ses succès, à ce qu’il semble, lui rapportaient plus de renommée que de profit matériel. La vieillesse approchant, il se remet à voyager.

Quelques écrits de ce temps nous le montrent allant comme autrefois de ville en ville et donnant des séances littéraires[98]. Il y relisait ordinairement les légères et piquantes compositions qui avaient tant amusé les Athéniens ; mais, autant que nous pouvons en juger, il n’en créait plus guère de nouvelles ; le genre s’était épuisé entre ses mains, sans que son imagination eût rien perdu de sa vivacité. Dès lors, il était naturel qu’il se laissât tenter par une condition de vie plus stable. L’occasion s’en offrit à lui sous la forme d’une charge publique. Dans une de ses dernières confidences[99], il nous apprend, en s’en excusant spirituellement, qu’il est haut fonctionnaire en Égypte, assistant du gouverneur romain pour la direction des affaires judiciaires. Il avait l’ambition d’aller plus loin encore : d’autres Grecs avant lui étaient devenus gouverneurs de provinces ; une si brillante fortune ne lui paraissait plus impossible[100]. Ses espérances ne se réalisèrent pas. Nous le perdons de vue à partir de ce temps ; ce qui donne lieu de supposer qu’il mourut dans ses fonctions, probablement vers la fin du règne de Commode, c’est-à-dire peu avant 192. Suidas rapporte qu’il fut déchiré par des chiens ; il a pris pour des chiens les Cyniques (οἱ κύνες), que Lucien avait cruellement fouaillés à plusieurs reprises, et qui à leur tour l’avaient mordu à belles dents, sans qu’il s’en portât d’ailleurs plus mal[101].

La collection des œuvres de Lucien, telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, comprend 82 écrits, parmi lesquels deux petites compositions dramatiques en vers, la Tragédie de la goutte (Τραγῳδοποδάγρα) et Pied-léger (Ὀκύπους), ainsi qu’un recueil d’Épigrammes, composé de 53 morceaux.

Un certain nombre de ces écrits ne lui appartiennent certainement pas ; pour quelques autres, la question d’authenticité est douteuse ; en revanche, il est possible que plusieurs de ceux qui étaient de lui aient été perdus[102]. Comme tous les écrivains originaux, Lucien a eu des imitateurs[103] ; quelques-uns de leurs essais se sont mêlés à ses œuvres ; d’autres ouvrages ont pu lui être imputés, en raison de confusions de noms ou de simples méprises. C’est ainsi qu’il faut rendre au premier Philostrate le Néron[104] et à l’académicien Léon l’Alcyon[105]. Le Philopatris est un pamphlet du moyen-âge byzantin (seconde moitié du xe siècle)[106]. Le recueil des Cas de longévité (Μακρόβιοι) semble devoir être attribué au temps de Tibère[107]. Les Amours (Ἔρωτες) dont nous ignorons l’origine, diffèrent absolument, par leur style prétentieux et raffiné, de la manière propre à Lucien. Il est impossible, pour une raison analogue, de lui attribuer ni l’Éloge de Démosthène (Δημοσθένους ἐγκώμιον), où il n’y a vraiment aucune trace de son esprit ou de sa finesse, ni le Charidème, dialogue sophistique sur la beauté, sans idées et sans élégance. Le court traité Sur l’Astrologie (Περὶ ἀστρολογίης), en dialecte ionien, offre une imitation artificielle de la manière et du style des vieux philosophes ioniens : l’auteur feint de croire à l’astrologie, mais il la réduit en fait à peu de chose ; il est d’ailleurs incrédule à l’égard de la mythologie, qu’il interprète à la façon d’Évhémère. Nous ne reconnaissons pas là le tour d’esprit ordinaire de Lucien ; tout au plus, pourrait-on y voir un exercice de style, ou une fantaisie de lettré, appartenant à sa jeunesse, s’il n’était bien plus probable que l’ouvrage lui a été attribué simplement en raison de sa tendance générale. L’opuscule Sur la déesse syrienne (Περὶ τῆς Συρίης), également en dialecte ionien, est une description du temple d’Hiérapolis et des cérémonies qu’on y célébrait : le mélange curieux de crédulité et d’observation critique qui s’y fait remarquer dénote un tout autre esprit que celui de Lucien : rien d’ailleurs ne lui ressemble moins que l’exactitude minutieuse dont l’auteur fait preuve ; il n’a de commun avec Lucien que sa nationalité, car il se donne pour Syrien (c. 1).

La présence de ces écrits apocryphes dans la collection de Lucien autorise a priori à en tenir pour suspects un certain nombre d’autres : car elle prouve que le recueil a été composé sans esprit critique et sans garanties suffisantes. De là des doutes, qui ont été parfois poussés fort loin. Bekker, dans son édition, exclut comme apocryphes 28 écrits divers, sans d’ailleurs donner de raisons. D’autres, avant ou après lui, sans se montrer aussi sceptiques, ont rejeté tels ou tels écrits ; par exemple le Traité des Sacrifices, le Démonax, l’Âne, les drames en vers, les Épigrammes, etc. Contentons-nous de remarquer ici que ces doutes ou ces exclusions reposent plutôt sur des impressions personnelles que sur des preuves vraiment probantes ; et il arrive souvent que ces impressions ne tiennent pas assez de compte des conditions particulières de certaines compositions[108]. Sans nous attacher par conséquent à un parti pris de conservation absolu, disons qu’il y a lieu, dans la plupart des cas, de se défier de jugements trop prompts. Au reste, les écrits dont l’authenticité est certaine sont assez nombreux pour que l’appréciation du caractère et du talent de Lucien demeure en fin de compte parfaitement solide.


Ces écrits ne peuvent plus au jourd’hui, faute de renseignements précis, être rangés dans un ordre chronologique rigoureux. Mais comme quelques-uns d’entre eux pourtant ont des dates, au moins approximatives, et que ceux-là permettent d’établir, dans la vie de Lucien, certaines époques, il n’est pas impossible de répartir les autres, d’après leurs caractères, entre les grandes phases de sa carrière d’écrivain[109].

Au début, se placent d’abord les exercices de pure rhétorique, le Meurtrier du tyran (Τυραννοκτόνος), le Fils chassé par son père (Ἀποκηρυττόμενος), les deux Phalaris, qui n’ont d’autre intérêt que de caractériser la période où Lucien appartenait entièrement à la sophistique ; puis, tout à côté, l’Éloge de la mouche (Μυίας ἐγκώμιον), l’Ambre (Περὶ ἠλέκτρου), les Dipsades (Περὶ τῶν διψάδων), la Salle (Περὶ τοῦ οἴκου), le Jugement des voyelles (Δίκη φωνηέντων), enfin l’Éloge de la patrie (Πατρίδος ἐγκώμιον), l’Hippias, et le Pseudosophiste, si ces trois morceaux sont vraiment de lui ; non que ces diverses compositions aient une date certaine, mais parce qu’en tout cas elles ne révèlent dans leur auteur que le bel esprit, très habile à plaire. Tout cela est spirituel, fin, coquet, quelquefois amusant, mais sans aucune portée. Toutefois, dans la Salle, les descriptions sont d’un artiste délicat, et le Jugement des voyelles, sous sa forme plaisante, offre un intéressant document, relatif à la prononciation contemporaine. Il est probable qu’au milieu de ces futilités brillantes doit être insérée une œuvre plus sérieuse, le Nigrinus, où Lucien raconte un épisode de sa jeunesse, sa visite au philosophe Nigrinus à Rome, leur entretien, et l’émotion vive, mais passagère, qu’il en ressentit[110]. Ce fut comme une brusque apparition de la philosophie dans cette vie de succès frivoles, et il l’a notée en traits frappants. Cette première série d’œuvres se clôt par le Songe (Περὶ τοῦ ἐνυπνίου), où Lucien, déjà connu, et rentrant dans son pays, raconte son enfance à ses compatriotes de Samosate ; par les Portraits (Εἰκόνες) et la Défense des Portraits (Ὑπὲρ τῶν Εἰκόνων), dialogues composés, comme on l’a vu plus haut, en 163, et dans lesquels l’auteur fait ingénieusement l’éloge de la belle Panthéa de Smyrne qu’aimait alors l’empereur Lucius Verus ; enfin, par la jolie satire Sur la manière d’écrire l’histoire (Πῶς δεῖ ἱστορίαν συγγράφειν), écrite peu avant la fin de la guerre des Parthes, qui se termina en 165.

Une seconde série d’écrits commence vers ce temps et remplit la plus grande partie de la vie de l’auteur. D’une manière générale, ils ont tous un caractère philosophique, plus ou moins prononcé. Cette série s’annonce par le dialogue sur la Pantomime (Περὶ ὀρχήσεως), l’Anacharsis et le Toxaris, si ces trois compositions sont vraiment de Lucien. Dans le premier, l’auteur défend l’art de la pantomime contre les condamnations ou les préjugés des moralistes, ce qui l’amène à nous donner sur cet art quantité de renseignements intéressants. L’Anacharsis se rapporte à la question du rôle et de l’utilité de la gymnastique. Le Toxaris est surtout un recueil de traits d’amitié, agréablement contés. — Mais c’est à partir de l’Hermotime, composé par Lucien à quarante ans[111], probablement en 166, qu’il est vraiment lui-même. Son parti est pris en matière de philosophie : il repousse le dogmatisme métaphysique, pour s’en tenir au sens commun et à un scepticisme mitigé. Dans la Double accusation, qui est à peu près du même temps[112], il déclare hautement sa rupture avec la rhétorique, art de mensonge et de coquetteries puériles, indigne d’un homme sérieux, et il définit le dialogue satirique, dans lequel il débute avec éclat. La jolie scène intitulée les Sectes à l’encan semble lui avoir valu en ce genre un succès particulier, non sans quelque scandale. Ce scandale fait justement le sujet du Pêcheur ; véritable profession de foi philosophique et satirique, où il se déclare investi par la philosophie elle-même de la mission de démasquer toutes les impostures. Très certainement, ces quatre compositions ont dû se suivre à fort peu d’intervalle.

Autour d’elles, se groupent tous les dialogues satiriques ; quelques-uns, peut-être antérieurs, mais de peu, à ces manifestes retentissants ; la plupart, ou contemporains, ou écrits sans interruption dans les années immédiatement suivantes. En général, la satire morale y est mêlée à la raillerie des mythes et des croyances ; toutefois, en proportion inégale. La morale prédomine dans les Dialogues des morts, l’Arrivée aux Enfers (Κατάπλους), la Nécromancie, le Charon, les Lettres Saturnales, le Cynique, le Coq, le Timon, les Vœux ; Lucien y marque, en traits vifs, parfois cyniques, certains aspects généraux de l’humanité, vanité des désirs, fausses opinions sur le bonheur, poursuite ardente des plaisirs, des richesses, des honneurs, de la gloire, dureté des riches, jalousie des pauvres, conflit des passions, naïveté incorrigible des illusions, déceptions toujours répétées el toujours inattendues. La description particulière, celle qui se rapporte à certaines classes ou à certains hommes, a moins d’importance dans ces dialogues : elle apparaît toutefois, çà et là, dans plusieurs de ceux qui ont été cités : mais elle remplit les Dialogues des Courtisanes, dont le titre même indique le sujet ; le Banquet, où l’auteur met en scène les prétentions ridicules, les vices, la grossièreté et l’esprit querelleur des philosophes du temps ; les Fugitifs enfin et l’Eunuque, deux œuvres pleines d’allusions moqueuses, obscures pour nous. — Une incrédulité, tantôt légère et dissimulée, tantôt avouée et hardiment agressive, fait le fond d’autres dialogues ; elle perce déjà vivement dans les Dialogues des dieux, le Jugement des déesses, les Dialogues marins et l’Icaroménippe ; elle est plus libre encore dans les Fêtes de Cronos ; elle éclate en protestations ou en moqueries bruyantes dans l’Ami du mensonge, dans Prométhée ou le Caucase, dans l’Assemblée des dieux ; elle argumente insolemment dans Zeus tragédien et dans Zeus à court de raisons (Ζεὺς ἐλεγχόμενος). — Quelques autres dialogues traitent de sujets littéraires ; ce sont : le Parasite, parodie des disputes que les rhéteurs et les philosophes soutenaient, depuis le temps de Platon, au sujet de la rhétorique ; le Lexiphane, où est tournée en raillerie la manie des Atticistes, collectionneurs curieux d’expressions oubliées, auxquelles ils font un sort dans des écrits insipides ; enfin le Pseudologiste ou Faiseur de solécismes, contre les prétentions des grammairiens, arbitres infatués de la correction, à laquelle ils manquent eux-mêmes sans s’en apercevoir.

Mais le dialogue est loin d’être l’unique forme sous laquelle Lucien donne alors carrière à sa verve. Il écrit aussi de spirituelles causeries, des pamphlets biographiques, des diatribes personnelles, des parodies, des dissertations satiriques, un roman, des biographies, laissant son humeur et sa fantaisie aller en tous sens et prendre toutes les formes.

Quelques-unes de ces compositions se rapportent à sa vie littéraire : réponses enjouées à des compliments (À celui qui me disait : « Tu es le Prométhée du discours ») ; ripostes acerbes à des critiques (Contre Timarque, au sujet du mot Ἀποφράς). D’autres, sous couleur d’avertissements utiles, semblent destinées, en grande partie, à satisfaire des ressentiments personnels : Contre un ignorant collectionneur de livres, violente invective contre un anonyme ; le Maître de Rhétorique, où Lucien prend à partie, non seulement la rhétorique du temps en général, mais un de ses représentants les plus connus, probablement Julius Pollux. Plusieurs autres sont de véritables instructions morales, où d’ailleurs l’élément satirique ne fait jamais défaut : tantôt il recommande de ne pas croire légèrement aux mauvais propos (Περὶ τοῦ μὴ ῥᾳδίως πιστεύειν διαβολῇ), tantôt il décrit à un philosophe, tenté par l’attrait de la vie romaine, les humiliations et les misères de ceux qui se mettent au service des grands personnages (Περὶ τῶν ἐπὶ μισθῷ συνόντων).

En même temps, il soutient dans divers pamphlets la guerre à la crédulité, qu’il menait si vivement dans ses dialogues. Sa Causerie avec Hésiode est une dérision de la prétendue inspiration des anciens poètes, considérés comme interprètes des dieux. Dans les quelques pages Sur le deuil (Περὶ πένθους), il raille les croyances relatives aux enfers et tout l’appareil des cérémonies funèbres. La lettre narrative à Cronios Sur la mort de Pérégrinus nous offre un récit satirique du suicide du philosophe cynique Pérégrinus, surnommé Protée, qui, en 165, selon, Eusèbe, se brûla volontairement aux jeux Olympiques. L’auteur, avec une verve mordante, y démasque le charlatanisme des Cyniques, la naïveté crédule de la foule, son empressement aux apothéoses, sa foi toujours prête aux miracles. L’Histoire vraie, une des plus amusantes compositions de Lucien, se donne elle-même pour une parodie des inventions fantaisistes communes aux poètes, aux voyageurs, à beaucoup d’historiens même et de géographes : c’est en réalité une sorte de réfutation par l’absurde de tout ce que la Grèce menteuse, selon le mot de Juvénal, avait osé en fait d’affirmations paradoxales. L’Alexandre, écrit sous le règne de Commode, contient l’esquisse satirique d’une biographie de l’imposteur Alexandre d’Abonouteichos, qui avait fondé au temps de Marc-Aurèle un oracle dans le Pont. Lucien, qui l’avait vu à l’œuvre, nous révèle ses impostures, et, en nous représentant la prodigieuse stupidité de ses dupes, parmi lesquelles figurèrent d’illustres personnages, il éclaire tout un côté curieux de la société de son temps. — C’est sans doute au même groupe d’écrits qu’il faut rapporter le roman intitulé l’Âne. Empruntant à un certain Lucius de Patras l’idée de la métamorphose d’un homme en âne par l’effet de la magie, ainsi que le canevas des aventures qui en sont la suite, il s’amuse de ces folles inventions, qui deviennent pour lui un thème plaisant de narrations paradoxales, quelquefois libertines, souvent très intéressantes par la peinture vive des mœurs populaires et bourgeoises. La date de cette composition nous est inconnue[113].

Une troisième et très courte série d’écrits comprend ceux qui appartiennent, d’une manière certaine, à la vieillesse de Lucien. Ce sont d’abord deux prologues de conférences, l’Héraclès et le Dionysos, fort semblables à ceux qui ont été déjà mentionnés. Puis l’Apologie pour les salariés, sorte de palinodie ingénieuse, dans laquelle Lucien, rappelant le succès qu’il avait obtenu autrefois par son écrit Sur ceux qui se font salarier, se justifie d’avoir consenti lui-même à recevoir un salaire comme fonctionnaire public. Enfin l’Excuse à propos d’une mauvaise formule de salut, simple jeu d’esprit dont tout le sujet est une inadvertance de parole, un « bonsoir » dit à la place d’un « bonjour ». On peut y ajouter la Tragédie de la goutte et Pied léger, ces deux parodies tragiques, qui ont pour sujet la puissance de la goutte et les vains efforts que font ses victimes pour la déjouer ou pour dissimuler sa victoire ; si elles sont vraiment de Lucien, ce qui n’a rien d’impossible, elles se placent assez naturellement en ce temps, où, malgré l’âge et la maladie, son esprit demeurait vif, aimable, enjoué. — Quant aux Épigrammes, celles qui lui appartiennent doivent être réparties dans sa vie entière, sans qu’il soit possible ni de les dater ni d’en contrôler l’authenticité.

VI

On voit du premier coup d’œil, en parcourant cette liste, qu’il n’y a point d’unité dans l’œuvre de Lucien. Essentiellement mobile d’esprit et d’humeur, il a beaucoup écrit, au jour le jour, selon les occasions et les inspirations, sans dessein prémédité ni plan suivi. Et dans chacune de ces productions légères, l’influence du moment a eu toujours une importance décisive. Il va et vient dans les idées, se joue des hommes et des choses, s’amuse, se fâche, rit, gronde, déchire ses ennemis, prend parti, se contredit, le tout avec une désinvolture qui, grâce à son talent, est loin de déplaire aux lecteurs.

Il est vrai que, sous ces caprices, on croit entrevoir une certaine régularité d’évolution morale, qui après, tout, ne peut être niée. D’abord captivé par la sophistique, il y aiguise son esprit, y acquiert la finesse et l’élégance du langage, la souplesse de la dialectique, une étincelante variété d’idées, de connaissances, d’images. À ce régime, il devient vite et pour toujours « homme de lettres », c’est-à-dire qu’il développe en lui-même tout ce que ce mot comporte, soit en bien, soit en mal : une habileté de premier ordre dans le métier d’écrivain, le goût et le besoin du succès, stimulant actif d’une nature déjà inventive par elle-même, la hardiesse qui résulte de ce qu’on est sûr de soi et de son public ; mais aussi une certaine frivolité foncière, qui se contentera, en fait de vérité, de ce qui suffit à jouer un rôle, sans réussir à se dégager, par une réflexion assez forte, des conventions de ce rôle même. Le fait essentiel, c’est que Lucien a eu assez d’indépendance pour sentir, vers quarante ans, le néant de la sophistique et pour s’en détacher résolument. Cette rupture a décidé de son avenir et lui a fait une place à part entre ses contemporains. Étant donnée la faveur dont l’opinion entourait alors cet art d’école, une telle résolution impliquait une remarquable hardiesse. Et ce qui en augmente le mérite, c’est qu’elle provenait surtout d’une honorable révolte de sincérité. En quittant la rhétorique pour mettre son talent au service d’une certaine philosophie, Lucien a eu la pensée qu’il quittait un art de mensonge pour se donner à la vérité[114]. La déclaration de principes qu’il jette fièrement à ses ennemis dans le Pêcheur est certainement l’expression du sentiment dont il a voulu faire la règle de sa vie[115] :

Lucien. Je suis un homme qui haït les fanfarons et les charlatans, qui déteste les mensonges et les hâbleries, qui a en horreur tous les coquins qui en tiennent plus ou moins. Or il y en a beaucoup, comme vous savez.

La Philosophie. En vérité, voilà une profession qui doit te valoir bien des haines.

Lucien. Tu as raison : aussi tu peux voir combien de gens me détestent et à quels dangers m’expose leur aversion. Néanmoins, je possède aussi un autre art, tout opposé, qui consiste à aimer. Oui, j’aime ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est simple, en un mot tout ce qui mérite d’être aimé. Seulement, je dois avouer qu’il y a peu de gens auxquels je puisse faire l’application de cet art.

Ce n’était pas le fait d’une nature vulgaire que de s’engager ainsi devant le public par une profession de foi qui n’admettait point de retour. Et, d’une manière générale, on ne peut pas dire que Lucien ail manqué à cet engagement. Durant toute sa carrière d’écrivain, il n’a cessé de dire des vérités à ses contemporains ; il en a dit plus peut-être qu’aucun des écrivains du temps. Il avait déclaré qu’il voulait faire de la philosophie à sa manière, une philosophie pratique, sincère avant tout, et il en fit jusqu’à son dernier jour. La seule question est de savoir s’il y avait en lui assez de clairvoyance, assez de réflexion, assez de largeur d’esprit, pour lui permettre d’asseoir son œuvre sur des principes fermes. Sur ce point, on se sent obligé à quelques réserves.

Comme moraliste, bien que Lucien ait subi en quelque mesure l’influence du cynique Ménippe, sa tendance générale l’inclinait plutôt vers l’épicurisme, sous sa forme intelligente et modérée. Son idéal se réduisait à vivre sagement, à se défendre des illusions, à ne s’attacher très fortement à rien, à ne s’asservir à personne. Une telle morale se prêtait bien à la satire : elle mettait celui qui la professait en bonne posture pour décrire le spectacle de la comédie humaine ; car elle le dégageait des passions communes, elle le plaçait à distance suffisante de la foule, et elle lui faisait apercevoir les choses d’un autre point de vue que le vulgaire. Mise au service d’une intelligence fine, naturellement critique et moqueuse, elle lui offrait en outre bien des ressources pour traiter d’une manière piquante la plupart des lieux communs de la sagesse. Mais si elle allait jusque là, elle s’arrêtait là. C’était une morale négative en son fond, qui, n’ayant point de véritable idéal, risquait de demeurer médiocre et inféconde. Lorsqu’elle avait montré aux hommes qu’ils agissent follement en mainte circonstance, qu’ils se dupent eux-mêmes, se contredisent, poursuivent des chimères, manquent à leurs principes, qu’en résultait-il ? Ce satirique, si sûr de lui, aurait-il donc voulu qu’ils vécussent sans ambition, au jour le jour, sans rien tenter de grand, sans rien aimer avec passion ? C’était là ce qu’il semblait demander ; et en prenant ce rôle, il n’était pas assez philosophe pour s’apercevoir qu’il s’attaquait au fond même de la nature humaine, s’il n’y a de morale vraiment utile que celle qui offre un but élevé à l’activité. Les grands moralistes du temps, un Épictète, un Plutarque, un Marc-Aurèle, avec une part d’illusion plus ou moins grande, ont eu tous le sentiment de cette nécessité ; et de là l’efficacité de leurs enseignements, qui est durable. Lucien, avec tout son esprit, n’a jamais touché personne au cœur, et ses meilleurs morceaux de critique morale, un peu à cause de cet esprit même, mais beaucoup aussi pour la raison qui vient d’être indiquée, font en somme l’effet de développements surtout littéraires. Ils visaient à plaire ; en plaisant, ils ont épuisé toute leur vertu.

D’ailleurs, ce qui confirme encore cette impression, c’est que, malgré une précision apparente et purement dramatique, les portraits qu’il trace sont vagues. Les défauts, les vices, les ridicules qu’il nous met sous les yeux sont de tous les temps, et ils nous sont présentés en ce qu’ils ont de toujours identique. Malgré quelques exceptions, nous ne voyons guère dans ses écrits les hommes de son siècle. Il nous montre le riche, le pauvre, le captateur de testaments, le flatteur, mais non pas la famille ou la société grecque au temps des Antonins. Il semble presque toujours que ses personnages soient pris dans la littérature antérieure, plutôt que dans la vie réelle. Mettons à part quelques portraits de philosophes et de rhéteurs, et quelques scènes du pamphlet Sur ceux qui se font salarier. Encore ces rhéteurs et ces philosophes sont-ils peints surtout par le dehors et en traits un peu convenus. En fait, Lucien a glissé ses personnages dans les formes typiques qu’il empruntait à la comédie d’autrefois. Ce qu’il ne savait pas faire, c’était de pénétrer d’un coup d’œil profond jusqu’aux misères réelles de la société contemporaine, de démêler et de mettre en relief, dans des cas particuliers, les raisons générales de son déclin. Lorsque nous en devinons quelque chose dans ses descriptions, c’est le plus souvent à l’aide d’autres témoignages, en nous appliquant à découvrir dans ce qu’il a écrit beaucoup plus qu’il n’y a mis.


Comme représentant de la pensée libre, Lucien a eu le mérite de faire éclater le ridicule, le scandale, la puérilité des mythes qui servaient de fond à la religion gréco-romaine. Dans cette guerre à la crédulité, il se rattache à l’épicurisme, et il va jusqu’où allait l’épicurisme, c’est-à-dire jusqu’à la négation de la providence divine. Il est douteux, malgré la vigueur et la constance avec lesquelles il a soutenu ce combat, qu’il ait eu, comme Voltaire par exemple, une intention arrêtée de propagande. Cela était difficile en un temps où les écrits se répandaient lentement et ne sortaient guère d’un cercle assez restreint. D’ailleurs, lui-même dit nettement que, quoi qu’on puisse écrire ou publier, l’immense majorité de l’humanité est destinée à rester le lendemain ce qu’elle était la veille[116]. Son principal objet était donc de se satisfaire lui-même, en amusant un public choisi, qui pensait comme lui. Bien entendu, cela n’empêche pas qu’il n’ait fait une chose bonne en soi, en protestant au nom de la raison contre des sottises humiliantes et dangereuses. Si l’on approuve chez les apologistes chrétiens contemporains la satire du polythéisme, il n’est que juste d’en savoir gré aussi à Lucien, qui lui a donné une forme bien autrement vive, brillante, et propre à éveiller la réflexion critique. Toutefois, pour l’apprécier, dans ce rôle même, à sa véritable valeur, plusieurs observations ne doivent pas être perdues de vue.

En premier lieu, il n’a guère fait que mettre en œuvre les idées des autres. Par lui-même, il n’est rien moins qu’un chercheur. La science proprement dite lui est étrangère ; il n’a aucun sentiment des problèmes du monde moral et physique, aucune curiosité, aucun souci de s’éclairer ni d’éclairer les autres sur les questions obscures. Son incrédulité vient surtout d’une résistance instinctive de son bon sens aux chimères. Quant à la doctrine où se formule cet instinct, il l’emprunte purement et simplement à un épicurisme courant et superficiel. Ici encore, nous retrouvons l’homme doué non pour créer, mais pour mettre en œuvre, qui se montre sophiste, même quand il défend la vérité, parce qu’il la reçoit comme un thème à développer et s’occupe surtout de la rendre amusante et dramatique.

En second lieu, ces idées qu’il emprunte, on ne peut même pas dire qu’il les approprie à son temps ; car, en matière de religion comme en matière de morale, s’il saisit d’un coup d’œil juste les dehors des choses, il n’en voit pas le fond. Lucien a vécu dans un siècle où se préparait, où s’accomplissait même déjà une profonde transformation religieuse de l’humanité, et il ne s’en est pas douté. Qu’il ait méconnu l’avenir du christianisme en particulier, qu’il l’ait considéré comme la folie de quelques exaltés et de beaucoup de naïfs, cela n’a rien d’étonnant : les meilleurs esprits du temps s’y sont trompés. Mais sans deviner quelle forme allait prendre le mouvement qui se manifestait alors dans les profondeurs de la société, il semble qu’un observateur attentif devait tout au moins le reconnaître et le signaler. Or c’est là justement ce qui manque le plus à son œuvre de satire religieuse. Il note des détails, il les met en scène spirituellement, mais les grands faits lui échappent. Pour lui, toute la philosophie de la critique, en face des manifestations de la croyance ou de la crédulité contemporaine, se réduit à ceci : qu’il y a dans le monde des charlatans et des dupes, que la majorité des hommes, par goût du merveilleux, se prête au mensonge et ne demande qu’a être trompée. Voila tout : cette demi-vérité le contente. C’est là le fond de l’Incrédule, de la Mort de Pérégrinus, de l’Ami du mensonge, comme des dialogues relatifs à la mythologie et à la religion. Donc, l’âme de ses contemporains, alors même qu’il pense la décrire, ne lui est vraiment pas connue. Il ne se rend compte ni de la force du sentiment qui obligeait un Plutarque ou un Marc-Aurèle à interpréter les vieilles traditions pour en extraire ce qu’elles contenaient de vraiment religieux, ni de l’inquiétude d’esprit qui poussait un exalté tel que Pérégrinus à une sorte de folie, ni enfin de l’incertitude de la foule, se demandant où elle devait porter le besoin confus qu’elle avait d’espérer et d’aimer. Lorsqu’on songe à tout cela, les pamphlets de Lucien se rapetissent singulièrement, quel qu’en soit d’ailleurs le mérite de prestesse et d’élégance.


Une faible partie seulement de l’œuvre de Lucien se rapporte à la critique littéraire. Il n’y a pas lieu d’insister longuement sur les principes qui y sont soutenus. Ce sont ceux d’un homme de goût qui n’approfondit pas plus les questions littéraires que les questions morales ou religieuses, mais qui dépiste les ridicules avec une finesse et une indépendance remarquables. Lucien a signalé, dans la littérature de son temps, la plupart des défauts que l’abus de l’imitation et le goût de la virtuosité y produisaient. Il a senti la frivolité de la rhétorique, la vanité de ses artifices, son charlatanisme ; il a noté le ridicule des prétendus historiens pour qui l’histoire n’était qu’une matière de discours et de narrations scolaires ; il s’est raillé des Atticistes, adonnés au culte des vieux mots jusqu’à l’idolâtrie. Tout cela était juste et opportun. Mais, en matière littéraire, Lucien ne s’est pas érigé en législateur. Il a donné quelques avertissements, à l’occasion, et surtout des exemples. Aussi bien, ce qu’il y a de plus solide et de plus brillant à la fois en lui, c’est son talent d’écrivain. Il est temps de l’étudier.

VII

Le fond du talent de Lucien, c’est l’esprit, au sens moderne du mot, c’est-à-dire le don des aperçus vifs, des inventions plaisantes, des traits satiriques. Mais il y a en ce genre des distinctions à établir, et il faut essayer de caractériser plus précisément l’espèce d’esprit qui lui est propre.

Une pensée singulièrement nette et prompte, un regard clairvoyant, aiguisé, mobile, voilà ce qu’il faut noter tout d’abord. Toutefois, c’est par les qualités d’invention, bien plus que par celles d’observation, qu’il excelle véritablement ; et dans l’invention, son originalité est proprement faite de fantaisie. Non que sa dialectique ne mérite aussi d’être signalée : elle est inventive, agile, remarquablement ingénieuse ; et, si elle manque un peu de force, si elle est quelquefois courte et sommaire, elle compense ce défaut par l’abondance des suggestions piquantes, qui amorcent la réflexion. Mais enfin, dépouillée de ce que l’imagination y ajoute, elle ne serait peut-être pas supérieure à celle de la plupart des sophistes contemporains ; et, en fait, c’est, de toutes les facultés de Lucien, celle qui s’est le plus développée dans l’école. Le signe distinctif de son esprit, c’est l’essor libre et capricieux.

Son imagination, excitée par une humeur moqueuse, aime à créer joyeusement, en dehors de la vraisemblance, en pleine fantaisie. Là seulement, toutes ses qualités ont la liberté de se déployer. Dispensé d’exactitude et de suite rigoureuse, il dessine à son gré, avec un sens juste de la forme ; tantôt d’un trait rapide, en caricaturiste, qui note en passant une conception drôle ; tantôt avec une insistance ingénieuse, qui imite plaisamment la réalité en plein merveilleux. Les folles inventions abondent chez lui ; l’Histoire vraie en est pleine, sans parler de l’Icaroménippe, du Charon, de beaucoup d’autres compositions ; mais, en somme, ce n’est pas vers l’extravagance outrée que va le plus volontiers son esprit, pas plus que sa gaîté ne se plaît dans la bouffonnerie. Il y a en lui une sorte de discrétion et d’habileté, qui l’incline plutot vers ce qui est ingénieux. Au lieu d’accumuler invention sur invention, il préfère en général, lorsqu’il en tient une qui le séduit, en tirer parti, la retourner en tous sens, la prolonger et la multiplier, de façon à faire valoir son savoir-faire par tout ce qu’il y découvre d’inattendu. En cela, il y a peut-être en lui quelque trace de sophistique, sous les apparences d’une spontanéité charmante ; mais cet art se fond dans le naturel avec tant d’adresse qu’on n’en est aucunement choqué.

L’esprit peut, selon l’humeur qui l’accompagne, être ou franchement gai, ou attendri, ou incisif, ou amer. Celui de Lucien n’a pas tout le laisser-aller ni la simplicité qu’exige la franche gaîté ; non seulement ce qu’il a d’ingénieux attire un peu trop l’attention, mais surtout la disposition morale qu’il décèle n’est pas assez naturelle ni pleinement humaine. La sagesse qu’affecte Lucien est raide, hautaine, et au fond peu satisfaisante ; il ne nous met pas à l’aise, quand il se moque de l’humanité, parce que nous ne voyons pas bien au nom de quoi il s’en moque, ni s’il a mieux à nous proposer. Son enjouement est mordant ; il nous pique et nous stimule en nous amusant ; il ne prend pas possession de nous complètement. Un vrai humoriste doit avoir plus de sensibilité qu’il n’en a. Rien ne charme comme un peu de bonté sous l’ironie, la sympathie sous la satire. Il y a de la sécheresse dans celle de Lucien.


Ces premières remarques prennent plus de force et de précision, si l’on passe, de l’analyse de ses qualités naturelles, à l’étude de son style et de ses créations littéraires.

Ce qui frappe le plus dans son style, c’est un curieux mélange d’imitation et de spontanéité. Pas plus qu’aucun de ses contemporains, Lucien ne puise directement dans le langage parlé autour de lui. Sa connaissance du grec, si familière et si fine qu’elle soit, lui vient surtout des livres. Dès sa jeunesse, il avait commencé à lire les auteurs classiques, et, pendant toute sa vie, il n’a cessé de les relire. Il sait par cœur Homère et Hésiode, il a présents à l’esprit mille souvenirs des lyriques, il connaît à fond les poètes de la tragédie et ceux de la comédie. Parmi les prosateurs, il a lu et relu les grands historiens et les philosophes, Hérodote et Thucydide, Platon et Xénophon, il a la mémoire pleine des orateurs, notamment de Démosthène. Grâce à une remarquable facilité d’assimilation, il est devenu dans leur commerce un véritable attique, non pas un attique exclusif, étroit et intolérant, comme quelques-uns de ses contemporains, mais un attique comme les hommes distingués de l’ancienne Athènes, qui ne dédaignaient rien de ce qui était grec, ni Homère, ni Hérodote, ni les Ioniens, ni les Doriens. Voilà d’où il tire presque tout son vocabulaire, sauf quelques mots plus récents, qui lui échappent par mégarde, ou qu’il admet pour ne pas affecter un purisme étroit ; voilà aussi d’où lui viennent quantité de locutions, de tours, de proverbes, de citations, de réminiscences[117]. Dans ce mélange d’emprunts, il est difficile de dire quel est l’élément qui prédomine. Toutefois, d’une manière générale, c’est la langue élégante de la prose du ive siècle, ou celle de la poésie du même temps, en ce qu’elle a de très voisin de la prose, qui semble avoir eu le plus d’influence sur la sienne. Sa manière d’écrire rappelle surtout celle de la comédie moyenne et nouvelle, probablement aussi celle d’auteurs perdus tels que Bion le Borysthénite ou Ménippe de Gadara.

Mais quelle que soit, dans son style, la part des éléments traditionnels, il est incontestable que sa personnalité d’écrivain y éclate partout. Ce vocabulaire, qu’il doit à ses auteurs, il le manie avec une prestesse charmante ; le mot vif, amusant, inattendu, lui arrive sans qu’il ait l’air de le chercher ; et pour varier les nuances, détailler les incidents, souligner les effets, insinuer les sous-entendus, il a une souplesse et une richesse verbale des plus rares. La finesse est un des caractères les plus frappants de sa : langue : elle est exquise, soit dans les traits satiriques, soit dans les descriptions plaisantes, soit dans l’appréciation des œuvres d’art, dont il parle en connaisseur avec une délicatesse qui a été souvent remarquée et louée à bon droit[118]. Cette finesse n’a rien de laborieux ni de cherché. Elle s’allie le mieux du monde à la verve, à la malice, à l’entrain et au mouvement, à toutes les qualités vivantes et brillantes. Elle n’exclut pas non plus la force. Bien que Lucien préfère en général le tour ironique, il trouve, quand il le faut, des expressions véhémentes, qui détachent, avec une sorte de brusquerie et d’âpreté, certaines protestations.

Sa phrase, très habilement conduite, est pourtant libre et souple. Dans la conversation, elle est brève, vive ; elle pose la question avec malice ou naïveté, lestement ; elle jette la riposte comme un trait ; ou elle peint naïvement les nuances de l’embarras, du dépit, de l’impatience, de la surprise, de l’ébahissement. Dans la description, dans le conte, elle est alerte, dégagée, fine et souvent perfide, très pittoresque par ses mouvements irréguliers, ses arrêts, ses détours, ses élans ; elle sait se faire lente, analytique, curieuse, pour mettre en valeur les détails qui plaisent ou qui amusent, comme aussi courir, quand il le faut, ou même voler, pour arriver plus vite aux bons endroits. Dans le raisonnement, dans le développement des idées, elle s’affranchit volontiers de la régularité de l’école ; la pensée qui est en elle aime à se modifier chemin faisant, à s’étendre, à jeter en passant des aperçus secondaires, mais non pas au point de se perdre dans les chemins de traverse ; elle est toujours lancée vivement, vers un but qu’on devine, qu’elle laisse voir, qu’elle atteint. Il y a dans toute son allure une maîtrise qu’on ne trouve au même degré chez aucun autre écrivain du temps.

VIII

Ce qui est vrai du style de Lucien l’est aussi des genres littéraires où il a excellé. Les types auxquels son nom est attaché sont faits de pièces d’emprunts, adroitement choisies et ajustées. Mais, en les ajustant ainsi, il a fait œuvre de création.

Comme il nous le dit lui-même, ce sont les dialogues des philosophes socratiques qui ont été ses premiers modèles ; c’est en les lisant que l’idée lui est venue de ce qu’il pouvait faire ; mais l’élan décisif, il l’a dû à Ménippe et aux poètes de la comédie attique. — Les socratiques, et surtout Platon, lui ont appris l’art de faire causer des personnages, de conduire une discussion avec naturel, sans pédantisme, de façon à nous montrer des hommes, qui ne fussent pas des dissertations affublées de noms quelconques. L’Hermotime laisse voir ce qu’il leur a dû ; et le même art se retrouve dans tous ses dialogues, sans en excepter les plus fantaisistes. — Quant à cette fantaisie même, c’est chez Ménippe et chez les poètes de l’ancienne comédie qu’il en a trouvé l’exemple. Les inventions de Cratinos et d’Aristophane ont été le modèle des siennes. Sans eux, sans doute, il n’aurait jamais eu l’idée des conceptions amusantes où s’encadrent si bien ses satires. Mais peut-être, sans Ménippe, n’aurait-il pas senti, comme il l’a fait, de quelle manière on pouvait les accommoder au goût de son temps et à ses moyens de publicité. Ménippe, — que nous connaissons d’ailleurs assez mal, — avait transporté, le premier, le genre d’invention de la comédie ancienne dans des compositions destinées à un tout autre public. En montrant qu’elles pouvaient se passer de décors et de costumes, il les avait rendues propres à un emploi nouveau, et mises à la mesure de cet emploi. Donc l’influence de l’ancienne comédie sur Lucien est inséparable de la sienne, et on ne saurait distinguer entre l’une et l’autre. Instruit par lui, Lucien est remonté ensuite directement jusqu’à cette comédie même. Les imitations de détail qu’on en pourrait citer abondent dans ses dialogues : mais c’est l’imitation générale, celle qui tient à la conception même du genre, qu’il était important de signaler ici[119].

Ce genre, du reste, n’est pas le moins du monde enchaîné à une formule unique ; et ceci permet de juger combien Lucien est resté indépendant jusque dans l’imitation. Quelques-uns de ses dialogues, très courts, ne nous mettent sous ses yeux qu’une seule situation, indiquée dès les premiers mots : tels sont par exemple ses célèbres Dialogues des morts. D’autres, plus développés, sont de petits drames, qui comportent une sorte d’action ; c’est le type qu’il semble avoir préféré et qui réalise tout ce dont le genre était capable : citons, entre autres, les Sectes à l’Encan. le Pêcheur, la Double accusation, l’Icaroménippe, le Timon, le Charon, le Coq, l’Assemblée des dieux, Zeus tragédien. Action fort légère naturellement. Bien rarement, on y trouve, comme dans le Pêcheur, la Double accusation, le Timon, Zeus tragédien, quelque ébauche de péripéties ; le plus souvent, tout se réduit à de simples incidents. À quoi bon s’attacher à de si minces différences dans des créations aussi libres ? Incidents ou péripéties, tout est proportionné à l’importance du drame, qui en lui-même n’est presque rien. Surprise, drôlerie, rapidité, voilà son mérite. Remarquons pourtant qu’en général les principaux de ces incidents naissent, non de la fantaisie pure, mais des données qui constituent les personnages. Quand Zeus envoie Ploutos rendre à Timon sa richesse, la protestation de Ploutos forme une première péripétie, le refus de Timon en est une seconde ; toutes deux proviennent des sentiments du dieu et du misanthrope ; il en est de même dans le Pêcheur, dans le Charon, dans le Coq. Il y a donc quelque vraisemblance morale dans cette fantaisie, quelque raison dans ces caprices ; mais, bien entendu, il n’y en a pas plus qu’il ne faut. L’action pour Lucien est simplement un moyen de mettre vivement en scène ses personnages et de les faire parler. Qu’elle soit amusante, qu’elle leur permette de dire ou de faire drôlement ce qu’ils ont à dire ou à faire, on n’a rien de plus à lui demander.

Ces personnages même, il va de soi que l’auteur ne pouvait pas leur donner plus de réalité solide qu’au drame où ils s’agitent. Ce sont des êtres sans consistance, pour qui toute vraisemblance serait trop lourde. La plupart pourtant ont au moins une esquisse de caractère, un trait saillant et frappant, qui est la donnée de leur vie dramatique. Ménippe et Diogène sont des cyniques parmi les morts, comme ils l’étaient parmi les vivants ; Timon est un misanthrope bourru ; Micylle, un pauvre, naïf, plein de désirs, et avec cela un honnête homme ; Charon, sortant des enfers pour voir le monde avec Hermès, a d’abord la curiosité, et ensuite les étonnements qu’il doit avoir ; Momos est le blâme en personne. Les personnages allégoriques eux-mêmes vivent de cette sorte de vie très simple, comme autrefois la Pauvreté d’Aristophane. La Philosophie du Pêcheur a de la dignité, de la droiture, elle s’indigne à propos ; la Rhétorique de la Double accusation nous amuse, avec sa colère de femme jalouse. Si élémentaire que soit ce dessin des personnages, il donne de la clarté et de l’intérêt à l’action, il contribue à la netteté comme à l’agrément de l’impression totale ; mais il faut bien comprendre que de telles conceptions laissent d’ailleurs à leur auteur toute sorte de libertés. Sans cesse, il oubliera le personnage qu’il fait parler, soit pour plaisanter, soit pour moraliser en son propre nom. Lorsque Timon entre en scène, il parle en humoriste, en fantaisiste plein d’esprit et de malice ; en un mot, il est Lucien, non Timon. Cela même est une grâce de plus dans ces œuvres de raillerie étincelante, où la raison ne plaît qu’à condition de se dissimuler.

Ainsi conçu, le dialogue est bien un genre nouveau ; il n’y a aucune raison pour n’en pas attribuer la création à Lucien, puisque, après tout, créer, en littérature, ce n’est jamais que mettre en œuvre sous une forme personnelle des éléments déjà existants. Que ce genre d’ailleurs soit secondaire, qu’il ait même quelque chose en soi d’un peu artificiel, cela est assez évident. La satire toute simple vaudra toujours mieux pour moraliser, la comédie franche pour étaler le ridicule. Mais quand, pour une cause ou pour une autre, ni la satire ni la comédie ne sont de saison, cette sorte de dialogue amusant, léger, qui court partout, qui se lit vite, qui peut devenir, selon les temps et les occasions, conférence, libelle ou feuilleton, a bien son mérite propre. Et c’est ainsi que Lucien, sans être un Aristophane, a mis au monde quelque chose qui s’est fait une place à côté du drame comique et qui l’a gardée.


Au reste, il ne convient pas de l’enfermer par un éloge exclusif dans un genre où lui-même n’a pas voulu s’enfermer. En dehors de la forme dialoguée, il est aussi, entre les anciens, le représentant par excellence du pamphlet et du récit fantastique. Ses brillantes qualités s’y sont manifestées avec non moins d’éclat.

Le pamphlet, chez lui, n’a pas de forme propre. C’est tantôt un récit moqueur, tantôt une argumentation, tantôt une instruction ironique. Dans la Mort de Pérégrinus, dans l’Alexandre, l’auteur a l’air de composer une simple relation ; il dit, ou est censé dire, ce qu’il a vu et entendu ; mais sa narration est, en fait, la plus mordante des diatribes. Dans la lettre à l’Ignorant qui collectionne des livres, dans la riposte à Timarque, il raisonne ; mais son raisonnement est une invective acerbe. Dans les observations Sur la manière d’écrire l’histoire, dans la lettre Sur ceux qui se font salarier, dans le Maître de rhétorique, il prend le rôle d’un conseiller qui donne des avis ; mais ces avis se transforment, tandis qu’il les formule, en satire impitoyable. Si la littérature grecque n’avait subi des pertes qui nous empêcheront à tout jamais de la bien connaître, on y trouverait, cela est certain, des modèles de toutes ces sortes de railleries. Les pamphlets n’y avaient pas manqué ; mais le pamphlet, de sa nature, est œuvre éphémère ; et cela explique que les meilleurs aient disparu. Lucien, lui, a profité d’une chance heureuse ; peut-être nous paraîtrait-il moins original en ce genre, s’il n’y était presque isolé. Quoi qu’il en soit, reconnaissons qu’il y a excellé. Si sa fantaisie y est moins vive que dans les dialogues, elle s’y trouve pourtant mélangée partout à la verve satirique, aux observations piquantes, aux vues ingénieuses, à l’argumentation pressante, et c’est ce mélange qui semble bien avoir été le trait distinctif de sa manière. Rien de plus varié que le tissu de ces amusantes compositions. Que la trame en soit narrative ou dialectique, il y fait serpenter toute une broderie merveilleuse d’anecdotes, de bons mots, de citations, de souvenirs classiques, qui, sans effacer le dessin principal, l’égaient en mille manières. D’autres ont eu autant que lui le don de l’ironie, quelques-uns l’ont surpassé par la force de l’argumentation ; personne peut-être ne l’a égalé par cette variété éblouissante, au milieu de laquelle il se joue avec tant de grâce et de prestesse.

Le récit fantastique, dont il nous a laissé un modèle exquis dans son Histoire vraie, semble lui appartenir plus en propre. L’original qu’il a si joliment su contrefaire, c’étaient les narrations paradoxales des voyageurs, depuis celles d’Ulysse dans l’Odyssée jusqu’à celles d’Iamboulos relatives à la Grande Mer. Mais pour déclarer dès la première ligne qu’on allait mentir, et pour amuser ensuite son lecteur pendant deux livres avec ces mensonges avoués, il fallait vraiment tout son esprit. D’autant qu’il n’y a là aucune thèse, aucune satire continue. Rien qu’une série prodigieuse d’inventions, plaisantes ou burlesques, qui se succèdent avec la plus étonnante variété. Le don de créer des formes et des mouvements, le talent de décrire ou plutôt de faire voir, l’imagination pittoresque, la verve intarissable, la hardiesse dans l’absurde en font une œuvre extraordinaire. Entre toutes les créations de Lucien, c’est une de celles qui ont eu la fortune la plus brillante : Rabelais et Swift s’en sont manifestement inspirés, sans parler d’autres imitateurs moins illustres. Il est vrai que l’un et l’autre y ont mis un dessein philosophique dont Lucien ne s’était pas soucié. Mais ce dessein même, il l’avait au moins suggéré par certaines malices, insérées çà et là sous ses folles inventions, et il l’avait rendu plus facile à réaliser par la nature de la composition.


Si l’on cherche à résumer ces impressions diverses, Lucien apparaît comme le mieux doué des écrivains de son temps. En un autre siècle, tel que celui d’Aristophane, où l’âme hellénique était plus simple, où les croyances nécessaires étaient plus assurées, où l’art était plus jeune, il est probable que, né dans Athènes, associé à l’idéal de Ia cité, son génie l’aurait mis au rang des plus grands. Au lieu de cela, il vint tardivement, dans une société désagrégée et troublée, où la philosophie comme la religion s’étaient faites officielles, où le doute grandissait avec la superstition, où la sincérité devenait rare, où dominait le goût de paraître. Sa franchise naturelle en souffrit, se révolta, se jeta dans le scepticisme, en haine du mensonge. La nature l’avait fait pour défendre avec éclat des idées simples et fortes, et justement ces idées lui manquèrent. Il en résulta que ses qualités ne trouvèrent jamais à s’employer tout à fait comme elles l’auraient pu. Sa destinée fut d’escarmoucher brillamment, au profit d’un certain nombre de demi-vérités, faute d’une grande cause qu’il eût été digne de servir. C’est là le défaut essentiel de son œuvre, et c’est par là qu’elle se rattache à la sophistique contemporaine. Mais, d’autre part, on voit assez, par tout ce qui précède, à quel point elle la dépasse. La mode dont il avait profité a pu disparaître sans lui faire de tort : il est resté, comme un des grands représentants du bon sens satirique, comme un des maîtres toujours admirés de la raillerie.

IX

Du nom de Lucien, il est naturel de rapprocher, — sans méconnaître d’ailleurs les distances, — celui d’Alciphron, fantaisiste aimable comme lui, qui fut probablement son contemporain, et qui semble s’être quelquefois inspiré de lui. Le recueil de Lettres qu’il nous a laissé est une des plus agréables productions de la sophistique du second siècle[120].

Alciphron, dont nous ignorons entièrement la vie, semble avoir écrit dans la fin du second siècle. Eustathe (762, 62) le qualifie d’Atticiste, et tous ses caractères le rattachent en effet à ce goût d’atticisme délicat et savant qui se manifeste alors. Aristénète, dans le recueil de Lettres fictives qu’il publia au ve siècle, a supposé une lettre d’Alciphron à Lucien (I, 5) et une autre de Lucien à Alciphron (I, 22). Ces deux lettres nous les représentent comme deux amis, également enclins à s’amuser du spectacle des choses du jour, qui se racontent l’un à l’autre, en fins narrateurs, les petits faits de la chronique galante d’Athènes. Il y a tout lieu de croire qu’Aristénète, bien informé, nous a donné en cela une idée juste des relations des deux écrivains. Alciphron a dû être un sophiste athénien, du temps de Marc-Aurèle et de Commode, peut-être un peu plus jeune que Lucien, mais l’un de ceux qui ont le plus goûté ses spirituels dialogues, à mesure qu’ils paraissaient. C’est de lui peut-être qu’il a pris l’idée d’imiter à sa manière la comédie du ive siècle : il n’est guère possible de douter qu’une de ses lettres (III, 55), où il raconte un banquet de philosophes qui se querellent, ne soit une imitation directe du Banquet de Lucien, ni qu’il lui ait dû le nom de Lexiphanès, qu’il donne dans une autre à un poète comique (III, 71)[121].

Ses Lettres, au nombre de cent dix-huit, sans compter six morceaux incomplets[122], sont en réalité tout autre chose que de simples thèmes d’école. Sans doute, le genre lui-même n’est que la transformation ingénieuse d’un exercice scolaire signalé plus haut. Mais cet exercice, ainsi traité, est devenu une véritable forme dramatique. Ces lettres, censées écrites par des gens de toute sorte et de toute classe, pêcheurs, paysans, parasites, courtisanes, nous mettent en effet sous les yeux, dans de brefs récits, qui sont des tableaux, des situations analogues à celles qu’avait représentées autrefois la comédie. Philémon, Diphile, Ménandre et leurs contemporains sont les modèles d’Alciphron, en même temps que le sujet de ses compositions ; il imite leur style et leur manière de penser, il met en scène la société où ils ont vécu et qu’ils ont décrite ; parfois même, il nous fait raconter, soit par eux, soit par d’autres, quelques incidents de leur vie, réels ou fictifs[123]. Atticiste au sens le plus large du mot, il aime à se transporter dans l’Athènes épicurienne du ive siècle, dont il peint, avec grâce et esprit, l’élégance, les mœurs faciles, la vie brillante et dissipée, sans oublier d’ailleurs ni la misère des pauvres gens ni la ladrerie des avares. Son livre est pour nous un document historique, qui nous instruit en nous amusant. Ses peintures sont légèrement moqueuses, comme l’était la comédie qu’il imite ; mais elles le sont moins par le dessein de l’écrivain que par la fine vérité des mœurs. C’est de la satire légère, enjouée, pourtant précise, qui fait revivre les folles amours, les vices, les faiblesses, les travers d’une autre époque, avec la complaisance d’un lettré, habitué à voir tout cela à travers des œuvres charmantes. Dans cette exactitude, il y a d’ailleurs aussi un élément important d’invention fantaisiste. Celle des noms propres, en particulier, quand ils ne sont pas empruntés à l’histoire, est aussi libre que piquante.

Comme écrivain, Alciphron est un de ceux du second siècle qui possèdent le mieux l’ancienne langue attique. Moins sûr de lui pourtant et moins correct que Lucien, il a quelque chose de son aisance, de sa finesse, de son enjouement, sans l’égaler ni par la fantaisie ni par le trait.

Nous retrouverons plus loin le même genre, cultivé au siècle suivant par Élien et par Philostrate. Mais rien ne fait mieux ressortir le mérite d’Alciphron que de le comparer à ceux qui ont voulu faire après lui ce qu’il avait fait.

X

Nous ne nous éloignons guère de la sophistique, qui est le centre de ce chapitre, en passant à la poésie. Car, au second siècle, la poésie, sous presque toutes ses formes, c’est encore de la sophistique.

L’imitation étant alors le fond de toute production littéraire, il n’y avait pas de raison pour que les genres les moins appropriés au temps ne reprissent faveur parmi les lettrés. Une composition en prose du temps d’Adrien, le Concours d’Homère et d’Hésiode, nous montre combien la vieille épopée et ses représentants étaient alors en faveur dans les écoles. Il n’est pas étonnant que des hommes d’école aient songé à faire des épopées. Philostrate nous apprend que le sophiste Scopélien avait composé une Gigantomachie, digne de servir de modèle aux Homérides[124]. Un certain Arrien, que Suidas distingue du disciple d’Épictète, mais qu’on peut rapporter au même temps, non content de traduire en grec les Géorgiques de Virgile, écrivit une Alexandride en vingt-quatre chants, où il célébrait les conquêtes du roi de Macédoine, que l’autre Arrien racontait en prose[125]. Un peu plus tard, le sophiste Adrien de Tyr, sous Marc-Aurèle et Commode, versifiait des Métamorphoses en sept livres. Peut-être est-ce aussi en ce siècle qu’un certain Denys de Samos compose des Bassariques, dont il nous reste quelques fragments[126], et divers poèmes didactiques qui sont perdus[127]. En somme, toute cette poésie épique semble avoir eu peu de succès. Rhétorique pour rhétorique, celle qui était en prose valait encore mieux et dispensait de l’autre.

Mieux partagée que l’épopée, la poésie didactique avait au moins un mérite d’utilité ; elle apprenait quelque chose à ses lecteurs. C’est peut-être ce qui a fait vivre quelques-unes des nombreuses œuvres qu’elle produisit en ce siècle.

Denys d’Alexandrie, surnommé le Périégète, est surtout connu par le poème géographique qu’il composa sous Adrien[128]. Son père, appelé aussi Denys, était peut-être le grammairien qui, selon Suidas, fut bibliothécaire et secrétaire des empereurs, depuis Néron jusqu’à Trajan[129]. Son poème est un Tour du monde (Περιήγησις τῆς οἱκουμένης) en 1 187 hexamètres, élégants et bien tournés, où il décrit à grands traits, d’après la carte d’Ératosthène, la Libye, l’Europe et l’Asie. Le mérite de la forme, joint à la concision substantielle de l’exposé, lui valut de devenir un livre d’enseignement et d’être abondamment commenté. Il nous est parvenu accompagné de scolies diverses, d’un commentaire d’Eustathe, d’une paraphrase grecque anonyme. Nous en avons de plus deux traductions latines en vers, l’une du ive siècle, due à Rufus Festus Avienus (Descriptio orbis), l’autre du vie siècle, œuvre du grammairien Priscianus[130].

Plus encore que la géographie, l’histoire naturelle, par la variété des choses qu’elle offrait à décrire, paraissait faite pour alimenter la poésie didactique. Au siècle précédent, comme on l’a vu, c’était surtout la médecine qui avait eu le privilège de tenter les versificateurs. Sous Marc-Aurèle, nous rencontrons encore un médecin-poète, Marcellus de Sida, qui compose un poème sur son art, en quarante-deux livres (Ἰατρικά)[131] ; il nous en reste trois fragments, formant ensemble une cinquantaine de vers, qui donnent, il faut l’avouer, une bien médiocre idée de l’ouvrage[132]. Dans le même genre, on peut mentionner en passant les fragments d’un poème anonyme Sur les vertus des simples (Περὶ βοτανῶν), d’époque inconnue[133].

Mais les parties descriptives de l’histoire naturelle semblent avoir eu plus de vogue au second siècle que la médecine. Le principal représentant du genre est Oppien[134]. Né à Corycos, en Cilicie, vers le milieu du siècle, il composa, à la fin du règne de Marc-Aurèle, un poème en cinq livres Sur la pêche (Ἁλιευτικά), qui est venu jusqu’à nous en son entier. Dédié à l’empereur et à son fils Commode, ce poème dut être publié entre 177 et 180. Le poète y décrit les diverses espèces de poissons (l. I), leurs mœurs, leurs combats (l. II), la façon de les pêcher (l. III-V). Son œuvre, extrêmement admirée des Byzantins[135], a incontesta­blement des mérites d’élégance et de savoir-faire ; ses descriptions ne manquent pas de grâce ni même d’une certaine force ; au demeurant, il y a en tout cela plus de rhétorique que de véritable poésie. Oppien n’a pas d’impressions personnelles : il met en vers ce qu’il a lu, sans s’élever au-dessus d’une habile médiocrité. — Nous avons sous son nom un autre poème, les Cynégétiques (Κυνηγετικά), en quatre livres, qui serait, suivant ses biographes, une œuvre de jeunesse. Mais les Cynégétiques sont adressés à Caracalla, et par conséquent postérieurs à 211[136]. S’ils appartiennent réellement au même poète, ils ne pourraient donc, au contraire, être attribués qu’à sa vieillesse. Il vaut mieux admettre qu’ils sont d’un second Oppien. La description que l’auteur y fait de sa patrie (II, 113-138) se rapporte à la vallée de l’Oronte en Syrie, et non à la Cilicie ; de plus, l’œuvre est sensiblement inférieure en mérite littéraire au poème de la Pêche, et la facture du vers en est différente[137]. Dans un développement mal conduit, le poète traite d’abord des qualités du chasseur, des chiens et des chevaux (l. I), puis des bêtes à cornes (l. II), des bêtes féroces (l. III), enfin des différentes espèces de chasse (l. IV). Bien qu’il se donne lui-même pour un chasseur (IV, 16), il n’y a pas plus d’observation personnelle dans ce poème que dans le précédent. Lui aussi se borne à versifier ses auteurs, dont il reproduit sans critique les affirmations paradoxales[138].

L’apologue en vers se rattache à la fois à la poésie qui enseigne et à celle qui raconte. Faisons une place ici, malgré l’incertitude des dates, au fabuliste Babrius, qui est certainement antérieur au iiie siècle, mais qui paraît postérieur au premier[139].

Nous ne savons rien de sa personne ni de sa vie. Son nom paraît un nom latin[140] ; sa langue renferme des latinismes, et sa versification porte des traces de l’accentuation latine[141]. D’autre part, lui-même parle de l’Arabie comme quelqu’un qui l’a vue (Fable 57), et ses fables paraissent s’être répandues en Orient d’abord[142]. On peut donc le considérer avec vraisemblance comme un Romain hellénisant qui a dû séjourner en Orient. De même que son origine, le temps où il vécut ne peut être déterminé qu’approximativement et par conjecture. Babrius est antérieur au iiie siècle, car à partir de ce temps, il est cité assez fréquemment[143] ; mais il doit l’être de peu, car auparavant il n’est mentionné par personne ; il ne l’est même pas par les écrivains les plus familiers avec la littérature ésopique, tels que Plutarque. Ajoutons que tout en lui trahit l’influence de la sophistique. Quant aux deux noms qui figurent dans ses deux prologues, il n’y a rien à en tirer, comme indication chronologique. Le premier est celui d’un enfant qu’il appelle Branchos (Βράγχε τέκνον, Prol. I.). Le second est celui d’un roi Alexandre, père du jeune lecteur à qui le poète s’adresse (ὦ παῖ βασιλέως Ἀλεξάνδρου, Pr. ii) ; ces deux noms sont inconnus, et les conjectures faites sur cet Alexandre n’ont abouti à rien de certain[144] ; le plus probable cst qu’il s’agit d’un des petits rois obscurs de l’Orient grec.

La forme primitive du recueil de Fables de Babrius (Αἰσώπειοι μῦθοι) est impossible à retrouver aujourd’hui sous les altérations qui l’ont défiguré. Suidas cite un recueil en dix livres. Cette division a disparu dans notre manuscrit unique, l’Athous, qui donne 123 fables par ordre alphabétique, depuis Α jusqu’à Ο, c’est-à-dire les deux tiers au plus de l’ensemble primitif. Parmi ces fables, sont insérés deux prologues, qui semblent partager le recueil en deux livres, l’un au début, l’autre après la fable 107 ; mais ce n’est là qu’une fausse division, superposée à l’ordonnance primitive[145]. C’est pourtant celle qu’Avianus paraît avoir connue (Préf. : duo volumina). Le texte de Babrius a donc été altéré de très bonne heure, ce qui tint à son succès même. Adopté dans les écoles, il fallut l’approprier à l’usage qu’on en voulait faire. On écourta certaines fables ; à presque toutes, on ajouta des épilogues, qui n’étaient pas du poète ; on en modifia le classement, pour qu’elles fussent plus faciles à trouver ; enfin on fit entrer dans le recueil d’autres apologues de divers auteurs. Car Babrius nous apprend lui-même (Prol. ii, 11) qu’il eut des imitateurs, et il s’en plaint aigrement, comme de concurrents qui lui faisaient tort. Voilà comment nous avons affaire aujourd’hui à un texte fort altéré, que l’on peut quelquefois corriger et compléter, soit à l’aide des paraphrases en prose, soit grâce à quelques fragments récemment découverts à Palmyre[146].

Babrius semble avoir commencé par mettre en vers des sujets pris dans un des recueils courants d’apologues ésopiques. Encouragé par le succès, il développa ensuite librement des proverbes, des sentences, recueillit et raconta à sa façon des anecdotes, des traits de diverse sorte, empruntés aux historiens, aux nouvellistes, aux philosophes, aux rhéteurs. Très soigné dans sa versification, il se fit des règles personnelles, qu’il observa curieusement ; par exemple, il a l’habitude de terminer son vers par une syllabe longue, de mettre l’accent tonique sur la pénultième, de ne jamais négliger la césure[147]. Son vers, le choliambe, très voisin de la prose, est bien approprié au genre qu’il traite. Mais, avec cela, il faut reconnaître qu’il a peu d’invention, peu de vigueur de pensée, peu d’imagination, et, en somme, qu’il manque de qualités vraiment personnelles. Sa langue est celle des rhéteurs du temps, avec un mélange de formes ioniennes[148]. Si la meilleure et la plus longue de ses fables, Le lion malade, le renard et le cerf (fable 84), dénote un certain sens dramatique et des ressources d’esprit, un trop grand nombre d’autres pèchent par la platitude et la vulgarité. Peut-être, du reste, Babrius, s’il eût été original, aurait-il eu moins de succès. Cette médiocrité, qui n’embarrassait jamais, le rendait propre à être lu dans les écoles. La faveur dont il a joui commença dès le iiie siècle et se prolongea à travers tout le moyen-âge byzantin.

De même que la poésie didactique, la poésie lyrique, au second siècle, n’est vraiment qu’une poésie d’école ou de petits cercles lettrés.

Laissons de côté les Anacreontea, dont une partie semble appartenir aux deux premiers siècles de notre ère ; nous parlerons plus loin du recueil tout entier, lorsque nous arriverons au temps où il paraît s’être achevé, c’est-à-dire au ve siècle.

Dans un tout autre genre, les Hymnes Orphiques, dont un grand nombre aussi sont attribués au premier et au second siècle de notre ère[149], peuvent être cités comme des exemples de cette stérile production poétique, assujettie à d’étroites conditions. Notre recueil en comprend quatre-vingt-huit, sur lesquels une dizaine seulement doivent être rapportés soit à la période alexandrine, soit à une plus haute antiquité[150]. Ce sont des prières ou plutôt des litanies, consistant surtout en énumérations de titres et d’attributs. Destinées à accompagner des sacrifices, elles offrent un mélange des diverses idées philosophiques du temps, associées aux vieilles traditions orphico-pythagoriciennes. Elles ont dû satisfaire la dévotion païenne des contemporains par la pompe obscure des invocations, mais sans jamais sortir d’une petite église, dont les fidèles seuls étaient en état de les comprendre.

Un art plus savant, mais un art de pure imitation, se manifeste dans quelques autres œuvres lyriques du même temps, dont les auteurs ne nous sont guère connus que de nom. Mésomédès de Crète, affranchi de l’empereur Adrien, qui le tint toujours en grande faveur, avait composé, d’après Suidas, un Éloge d’Antinoüs et divers autres poèmes lyriques[151]. Il nous reste de lui un Hymne à Némésis, qui témoigne de quelque habileté technique, mais qui doit surtout sa notoriété à ce qu’il a gardé sa notation musicale. Il en est de même de deux autres hymnes, adressés l’un à la Muse Calliope, l’autre à Apollon, qui portent le nom du poète Denys d’Alexandrie, d’ailleurs inconnu ; il est assez vraisemblable qu’ils datent du même temps[152].


Si la vie de société et le goût du bel esprit favorisaient médiocrement la poésie lyrique, l’épigramme au contraire ne pouvait que s’en bien trouver. Le second siècle paraît avoir été aussi fécond en ce genre que les précédents. D’après Suidas, le grammairien Diogénianos d’Héraclée, que nous retrouverons ailleurs, publia, sous Adrien, une Anthologie d’épigrammes (Ἀνθολόγιον ἐπιγραμμάτων)[153]. Les débris en sont sans doute dispersés dans notre Anthologie palatine. Diogénianos n’était peut-être que collectionneur ; un de ses contemporains, Straton de Sardes, qui fit, lui aussi, un recueil d’épigrammes, était de plus poète. Son recueil constitue aujourd’hui le IXe livre de l’Anthologie palatine, ou il a pour titre Μοῦσα παιδική. Le genre d’amour que la sophistique du temps opposait à l’amour naturel est le sujet qui y est traité, avec une imagination souvent licencieuse, soit par Straton lui-même, soit par les autres poètes qu’il y a groupés. — En dehors de ces recueils, quelques épigrammatistes isolés de ce temps nous sont connus. Citons seulement Ammianos, de qui nous avons encore une vingtaine d’épigrammes, une entre autres adressée au sophiste Antonius Polémon.


Déjà réduite à peu de chose au siècle précédent, la poésie dramatique s’efface et disparaît de plus en plus en celui-ci. Pourtant, on n’avait pas encore cessé tout à fait de jouer les tragédies classiques. Artémidore, vers le milieu du siècle, parle de concours de tragédies qui avaient lieu à Rome, et Philostrate rapporte une anecdote sur l’acteur tragique Clément de Byzance, qui joua la tragédie en 195 aux jeux Amphictyoniques[154]. Les nombreuses allusions de Lucien à l’art tragique prouvent également que la tragédie classique n’avait pas déserté les théâtres. Mais les modèles anciens, comme nous l’avons remarqué dès la fin du ier siècle, ne suscitaient plus d’imitation. Philostrate, il est vrai, cite un certain Isagoras, qu’il appelle « poète de tragédie », et qui fut, vers la fin du siècle, élève du sophiste Chrestos de Byzance. D’autres inconnus, dans le même temps, ont pu cultiver le même genre[155] ; mais il est clair que cette tragédie sophistique consistait seulement en amplifications dialoguées.

XI

Après avoir ainsi passé en revue les diverses productions littéraires qui se rattachent à la sophistique, il nous reste, pour mesurer toute l’étendue de son activité, à parler sommairement des quelques formes de la philologie qui en ont été les auxiliaires, à savoir de la grammaire, de la rhétorique et de la lexicographie. Nous serons d’autant plus brefs sur ces sujets qu’ils n’intéressent la littérature qu’indirectement.


Jamais, à coup sûr, la rhétorique n’avait été plus universellement étudiée et cultivée qu’elle ne le fut alors. Mais après les discussions des Apollodoréens et des Théodoréens, elle n’offrait vraiment plus rien de nouveau à dire. Quintilien, à Rome, avait pu encore, au temps de Domitien, composer sur la rhétorique un ouvrage, sinon neuf, du moins intéressant et même personnel, en traçant, avec un réel talent de composition et de style, un tableau complet de l’éducation de l’orateur. Mais cela supposait une largeur de vues dont il ne semble pas qu’aucun des maîtres grecs du temps ait été capable. En tout cas, après Quintilien, ce livre n’était plus à faire. Toute la littérature technique du second siècle est purement et simplement une littérature d’école. Curieuse à consulter en tant que document, elle n’a en elle-même qu’une valeur bien médiocre.

Quelques-uns des livres de classe qu’elle a produits ont eu pourtant de la renommée. — Sous Adrien, le rhéteur Alexandre, fils de Nouménios[156], composa un Traité de Rhétorique, dont il ne nous reste que trois extraits[157], mais dont la substance semble avoir passé dans une Rhétorique anonyme (dite l’Anonyme de Séguier) sur laquelle nous allons revenir. Il y discutait les idées des Apollodoréens et des Théodoréens, avec une tendance marquée vers la manière de voir de ces derniers. L’ouvrage, peu original sans doute, offrait un résumé complet de tout ce que la rhétorique grecque avait produit de plus essentiel. Par là s’explique le succès dont il semble avoir joui dans les siècles suivants : il dispensait de la plupart des écrits antérieurs. On ignore s’il faut rattacher à cette Rhétorique le traité Sur les figures de pensée et de mots, en deux livres, qui nous est parvenu sous le nom du même auteur[158]. Ce traité, tel que nous le possédons, n’est d’ailleurs qu’un abrégé de l’original[159]. Celui-ci fit autorité dans les écoles jusqu’aux derniers temps de l’hellénisme. Tous les rhéteurs qui ont écrit sur les figures relèvent d’Alexandre, en particulier Tibère (Περὶ τῶν παρὰ Δημοσθένει σχημάτων), Phœbammon (Περὶ σχημάτων ῥητοριακῶν), Hérodien (Περὶ σχημάτων), Polybe de Sardes, Zonaeos, et d’autres. — Comme nous venons de le dire, un auteur dont le nom est inconnu (on l’appelle l’Anonyme de Séguier) se servit de la Rhétorique d’Alexandre pour composer un peu plus tard un traité qui nous est parvenu sous le titre de Τέχνη τοῦ πολιτικοῦ λόγου[160]. Le dernier éditeur, Graeven, l’a attribué au rhéteur Cornutos, qui vivait vers l’an 200 après J.-C. L’intérêt de l’ouvrage est surtout dans les renseignements qu’il nous donne, concernant l’histoire de la rhétorique sous l’empire. — Ælius Théon, probablement contemporain d’Adrien, était, selon Suidas[161], un sophiste d’Alexandrie, qui composa divers écrits de rhétorique aujourd’hui perdus, une τέχνη, des Recherches sur l’arrangement du discours (Ζητήματα περὶ συντάξεως λόγου), des Commentaires sur Xénophon, Isocrate, Démosthène. Il est connu par ses Exercices préparatoires (Προγυνάσματα), le seul de ses ouvrages qui ait subsisté[162]. Ce petit livre, malheureusement incomplet, est une curieuse tentative pour perfectionner les exercices alors en usage dans les écoles. Théon les énumère et les classe, il en propose même de nouveaux ou renouvelle les anciens ; sa liste comprend la Chrie, la Fable et le Récit, la Confirmation et la Réfutation, le Lieu commun, la Description, la Prosopopée, l’Éloge, la Comparaison, la Thèse, la Proposition de loi. Chacun de ces exercices est défini et expliqué avec clarté ; dans ses préceptes comme dans ses exemples, l’auteur fait preuve de goût et de sens pratique. Dans un genre d’ailleurs très modeste, son ouvrage est instructif. Il rivalisa quelque temps avec l’ouvrage analogue d’Hermogène, jusqu’à ce que l’un et l’autre fussent remplacés par celui d’Aphthonios, vers la fin du ive siècle.

Un seul de ces écrivains techniques du second siècle, Hermogène de Tarse, fut vraiment célèbre[163]. Doué d’une précocité extraordinaire, il se fit un renom comme sophiste dès sa jeunesse. Il avait quinze ans, selon Philostrate, lorsque Marc-Aurèle voulut l’entendre improviser, l’admira et le combla de présents[164]. À l’âge d’homme, ses facultés d’orateur s’affaiblirent, sans motif apparent, ou du moins cessèrent de progresser, et, à partir de ce moment, il ne fut plus qu’un sophiste ordinaire[165] : il vécut ainsi jusqu’à un âge fort avancé. Ce qui a rendu sa réputation durable, c’est ce qu’il a écrit sur la rhétorique. Suidas affirme que ces écrits furent composés par lui dans sa jeunesse ; mais Suidas s’imaginait qu’Hermogène était tombé de bonne heure dans une sorte de sénilité. Il est bien plus probable que ce fut en voyant diminuer ses succès d’orateur qu’il se décida à devenir théoricien. Ses écrits témoignent d’un ensemble de qualités et de connaissances qu’on ne peut guère attribuer à un tout jeune homme. Rapprochés les uns des autres, ils constituent une sorte de cours de rhétorique. Une première partie comprend les Exercices préparatoires (Προγυμνάσματα), œuvre sans originalité, très semblable à celle de Théon sur le même sujet, mais beaucoup moins personnelle[166]. Vient ensuite le traité Sur la constitution des causes (Περὶ τῶν στάσεων)[167] ; sorte d’introduction à la rhétorique proprement dite, où le maître, conformément aux méthodes traditionnelles de l’école, distingue et définit les diverses catégories de causes, que l’orateur peut avoir à plaider, en les classant d’après la manière dont se pose la question capitale[168]. Puis, le traité Sur l’Invention (Περὶ εὐρέσεως), en quatre livres, dédié à un certain Julius Marcus ; l’auteur y étudie successivement les ressources de l’invention oratoire dans les exordes (l. I), dans les narrations (l. II), dans les preuves (l. III), dans le style (l. IV). Un troisième écrit en deux livres, le plus connu de tous, traite des Espèces de style (Περὶ ἰδεῶν). Hermogène s’y est proposé une tâche qui lui paraissait nouvelle[169], celle de définir chacune de ces espèces avec plus de précision qu’on ne l’avait fait encore, et, par conséquent, d’offrir les moyens de les produire toutes à volonté ; il faut reconnaitre qu’elles sont en effet caractérisées et analysées par lui avec une subtilité remarquable. Les derniers chapitres contiennent une série d’appréciations critiques sur divers auteurs, qu’il cite en exemples. Enfin, cet ensemble se complète par un court traité, assez improprement intitulé Sur la méthode de l’éloquence (Περὶ μεθόδου δεινότητος), qui contient en fait des notes passablement incohérentes sur diverses particularités du style oratoire.

Ce qui manque le plus à Hermogène, c’est l’esprit philosophique. Non seulement cet ensemble considérable n’est dominé par aucune vue générale, mais, dans le détail même, jamais le moindre effort pour remonter aux principes, pour ramener par exemple la rhétorique à la psychologie et à la logique, ou tout simplement pour synthétiser ses observations. Ses écrits, indistinctement, se réduisent à de simples recueils de définitions, d’exemples et de recettes. Son mérite propre, assez vain d’ailleurs, c’est la finesse dont il fait preuve dans les divisions et les distinctions. Malgré cette médiocrité, Her- mogène a eu dans les derniers siècles de l’hellénisme une réputation durable : toute la rhétorique pratique était comme condensée dans ses écrits sous une forme élémentaire ; il en devint le représentant par excellence. De siècle en siècle, les professeurs ne crurent pouvoir mieux faire que de répéter ce qu’il avait dit ou de le commenter. Citons, parmi ces commentateurs, le phrygien Métrophanès, de date inconnue, dont l’ouvrage est perdu[170] ; le néoplatonicien Syrianos[171] et le sophiste Sopatros au ve siècle ; les critiques Marcellinos, Troïlos, enfin plusieurs Byzantins, dont les plus connus sont Grégoire de Corinthe et Planude[172]. Cette longue popularité prouve simplement qu’Hermogène a contribué plus que personne à faire de la rhétorique, autrefois vivante, une scolastique immuable et stérile.


Les maîtres de rhétorique, qui étudiaient les méthodes du discours, avaient pour auxiliaires naturels les grammairiens, qui déterminaient les règles du langage, et les lexicographes, qui établissaient en quelque sorte l’état civil des mots. La grammaire et la lexicographie, fort actives au second siècle sont aussi en ce temps, l’une et l’autre, en rapports plus étroits que jamais avec la littérature.

La théorie grammaticale, comme on l’a vu plus haut, semble être restée longtemps ce que l’avait faite Denys le Thrace au premier siècle avant notre ère. Au second siècle seulement, un progrès important se produit avec Apollonios Dyscole et son fils Hérodien, probablement sous l’influence de la rhétorique et de ses méthodes d’analyse.

Apollonios, surnommé Δύσκολος (le difficile), était un grammairien d’Alexandrie, qui enseignait dans cette ville au temps d’Adrien. Nous ignorons tout de sa vie, mais son œuvre nous est assez bien connue[173]. Sans avoir peut-être encore l’idée de constituer un cours de grammaire complet d’après un plan méthodique, il entreprit du moins d’approfondir, dans des écrits spéciaux, la plupart des points de la grammaire d’alors. Beaucoup de ces écrits se sont perdus. Les seuls que nous possédions sont les quatre suivants : Du Pronom (Περὶ Ἀντωνυμίας), Des Adverbes (Περὶ Ἐπιρρημάτων), Des conjonctions (Περὶ Συνδέσμων), et enfin la Syntaxe (Περὶ Συντάξεως) en quatre livres. Les plus importants, avec ce dernier, étaient les traités perdus Sur la division des parties du discours (Περὶ μερισμοῦ τῶν τοῦ λόγου μερῶν) en quatre livres, Sur le nom (Περὶ ὀνομάτων) et Sur le verbe (Περὶ ρημάτων). Ce serait sortir de notre sujet que d’étudier ici en détail la doctrine et la méthode grammaticales d’Apollonios. Ce qui le distingue, en un mot, c’est moins d’avoir fait définitivement de la grammaire une discipline spéciale, que de l'avoir constituée comme science par une série de théories réfléchies. Doué d’une faculté d’analyse remarquable, il a commencé à se rendre compte, bien mieux qu’on ne l’avait fait avant lui, de la vraie nature du langage et de ses éléments. Grâce à lui, certaines explications routinières ont disparu à jamais, et, en revanche, beaucoup de vérités ont été solidement établies, soit par des vues heureuses, soit par de bonnes définitions, qui ont montré les faits sous leur vrai jour[174]. C’est là un mérite qu’il convient de ne pas diminuer. Mais, d’autre part, il ne faut pas attribuer à Apollonios plus de philosophie qu’il n’en a. Plus clairvoyant dans les détails que dans les ensembles, il n’a pas su fonder la syntaxe sur l’étude de la proposition ; de là, quantité d’observations sans portée, d’autant plus erronées souvent qu’elles sont d’ailleurs plus ingénieuses. Ajoutons, sans lui en faire un reproche, qu’il n’a pas plus qu’aucun de ses prédécesseurs l’idée du développement historique d’une langue. D’ailleurs, son style est obscur. Avec une intelligence juste des convenances de son sujet, il vise en général à la concision des formules ; mais sa langue est abstraite, technique ; il dit lourdement et péniblement des choses qui pouvaient être énoncées beaucoup mieux dans le langage de tout le monde. Un grammairien peut se montrer écrivain en traitant de la grammaire ; Apollonios ne l’est à aucun degré. Cela ne l’a pas empêché d’exercer une influence durable et justifiée. Il était le premier qui eût composé une syntaxe savante ; celle qu’il avait faite, tout incomplète qu’elle nous paraisse, est restée comme le fondement sur lequel se sont appuyées désormais toutes les grammaires de l’antiquité[175].

Presque aussi renommé comme grammairien que son père, le fils d’Apollonios, Hérodien, qui vécut sous Marc-Aurèle et professa à Rome, lui est en réalité très infé- rieur en mérite original[176]. Son principal ouvrage en 21 livres (Καθολικὴ προσῳδία), dont nous ne possédons plus que des extraits, traitait de toutes les questions relatives à l’accentuation, et par conséquent à la prosodie grecque. Compilation méthodique, œuvre d’immense érudition, où l’auteur avait mis à profit les travaux de ses prédécesseurs, surtout des savants alexandrins, sans y ajouter, semble-t-il, rien qui fût vraiment de lui. Il avait composé aussi un grand nombre d’écrits relatifs à des sujets de grammaire (Sur l’Orthographe, Sur les noms, Sur les déclinaisons, etc.) ; il y suivait les traces de son père[177]. Le seul qui subsiste en son état primitif, un opuscule sans grande valeur, Sur quelques particularités de langage (Περὶ μονήρους λέξεως), a pour objet d’étudier un certain nombre de formes étrangères à l’analogie. Les autres ont été remaniés et abrégés, ou réduits à l’état de fragments[178]. Le plus connu était son double ouvrage Sur l’accentuation homérique dans l’Iliade et dans l’Odyssée (Ὁμηρικὴ προσῳδία), divisé en deux parties (Ἰλιακὴ προσῳδία, Ὀδυσσειακὴ προσῳδία) dont il nous reste de nombreux extraits[179].

Un peu plus ancien qu’Hérodien, mais connu surtout comme lui par les citations des scoliastes d’Homère, Nicanor[180], fils d’Hermias, d’Alexandrie, vivait, semble-t-il, sous l’empereur Adrien. Il prit pour domaine spécial la ponctuation, dans son rapport avec les nuances du sens : objet qui n’était étroit qu’en apparence. Développant les indications déjà esquissées par Denys le Thrace, il distingua toute une série de signes (στιγμαί), qui devaient marquer les rapports des phrases entre elles[181]. On lui donna pour cette raison le surnom de Στιγματίας. Son principal ouvrage traitait de la ponctuation dans Homère (Περὶ στιγμῆς) en six livres, divisés en deux parties (περὶ Ἰλιακῆς σιτγμῆς, περὶ Ὀδυσσειακῆς στιγμῆς). Il en reste de nombreux extraits dans les scolies de Venise, et ces extraits permettent d’apprécier combien les observations de Nicanor étaient liées à l’interprétation exacte du texte[182]. Il écrivit aussi Sur la ponctuation chez Callimaque et sur divers autres sujets, soit de grammaire, soit d’histoire[183].

En somme, grâce à Apollonios Dyscole surtout, la grammaire, au second siècle, tient assez honorablement son rang. On ne peut pas dire que la lexicographie, dans son ensemble, donne une impression aussi bonne. Elle dénote plus de patience que de vraie méthode, et manifeste en outre une regrettable étroitesse de vues.

La plupart des lexicographes d’alors appartenaient à la classe de puristes qui se qualifiaient eux-mêmes d’Atticistes. Les modèles classiques avaient été remis en honneur dans les écoles, comme on l’a vu plus haut, dès le temps de Denys d’Halicarnasse et de Cécilius ; quand le relèvement de la sophistique se produisit à la fin du ier siècle, ils y régnèrent sans conteste. Dès lors, on éprouva le besoin de connaître à fond la langue des orateurs d’Athènes et de leurs contemporains. D’une part, pour l’interprétation de leurs discours, il était nécessaire de savoir au juste la valeur des termes qu’on y rencontrait. Or, sans parler des termes techniques de la langue du droit, beaucoup d’autres n’étaient plus de ceux dont on se servait ordinairement au second siècle : il fallait donc qu’ils fussent recueillis et expliqués. D’autre part, certains maîtres en renom, vrais artistes de discours, se piquaient de n’employer que des mots de pure tradition classique ; ils prétendaient parler attique comme Démosthène ou Platon ; et, comme ils faisaient la mode, il ne manquait pas de gens pour les imiter. À ceux-là, il fallait des dictionnaires qui leur permissent de savoir ce qui était attique et ce qui ne l’était pas[184]. Il y avait donc deux tendances, originairement distinctes, l’une savante, visant à la connaissance des choses, l’autre artistique, visant à l’imitation d’un certain langage, qui favorisaient également la lexicographie et l’invitaient à se tourner vers l’atticisme. De ces deux tendances, c’est tantôt l’une, tantôt l’autre, qui prévaut chez les lexicographes du temps, sans qu’il soit toujours possible d’en faire exactement la distinction. Mais, d’une manière générale, la seconde semble l’emporter ; leur but à presque tous, c’est de contribuer à restaurer artificiellement dans l’éloquence une langue tombée en désuétude.

Cette tendance apparaissait déjà chez quelques grammairiens du ier siècle. On pourrait, si c’en était ici le lieu, la suivre comme à la trace chez divers auteurs oubliés, tels que Dorothée d’Ascalon[185], Épithersès de Nicée, Nicandre de Thyatire[186], Irénée surtout[187]. Celui-ci, dès la fin du ier siècle, donnait déjà une attention toute particulière à la langue attique, ainsi qu’en témoignent les titres de ses ouvrages perdus, Les termes attiques (Ἀττικὰ ὀνόματα en trois livres), l’Usage attique en matière de langage et d’accent (Ἀττικῆς συνηθείας τῆς ἐν λέξει καὶ προσῳδίᾳ βιβλία τρία), Sur l’atticisme, il ne nous en reste qu’un très petit nombre de passages, cités par divers scoliastes et par le Grand Étymologique.

Mais c’est au temps d’Adrien que la lexicographie atticiste semble vraiment prendre son essor. Son principal représentant est alors Ælios Dionysios, d’Halicarnasse[188]. Sous le titre d’expressions attiques (Ἀττικὰ ὀνόματα), il avait composé un lexique en cinq livres, qu’il compléta plus tard par un supplément, également, en cinq livres. À l’explication des termes, il avait joint des exemples abondants, qui en marquaient l’emploi et le vrai sens. Photius (cod. 152) vante ce double recueil, « également utile à ceux qui veulent parler attique et à ceux qui désirent simplement lire les écrivains attiques. » Un peu plus tard, sous Antonin ou même sous Marc-Aurèle, Pausanias, probablement le sophiste de Césarée mentionné par Philostrate[189], composa un lexique analogue, qui ne différait guère de celui d’Ælios Dionysios qu’en ce qu’il contenait beaucoup plus de mots avec moins d’exemples. Selon Photius (cod. 153), ce second lexique complétait admirablement le précédent[190]. Autour de ces deux maîtres, se groupent, dans la même période, d’autres atticistes moins importants. Julius Vestinus, d’Alexandrie, publie, sous Adrien, des Recueils de mots tirés de Démosthène, de Thucydide, d’Isée, d’Isocrate, de Thrasymaque et des autres orateurs[191]. Valérius Pollion, son compatriote et son contemporain, composa comme lui un Recueil de locutions attiques, qui contenait, d’après Photius (cod. 149), un très grand nombre de termes poétiques[192]. À son tour, le fils de Pollion, Diodore, philosophe et grammairien à la fois, traita un sujet de même nature, mais plus restreint, en écrivant une Explication de quelques termes difficiles chez les dix orateurs[193], et sur ce terrain, il se rencontrait avec deux autres érudits contemporains, Philostrate de Tyr et Julien[194], tant ces études étaient alors en faveur.

Parmi tous ces représentants de l’atticisme, les plus intéressants pour nous sont Mœris et Phrynichos, dont quelques œuvres ont subsisté.

Phrynichos, qui paraît avoir tenu école de rhétorique en Bithynie sous Marc-Aurèle et sous Commode, est en quelque sorte l’Atticiste par excellence[195]. Passionné pour la pureté de la langue, il trouva le moyen, malgré des maladies douloureuses et persistantes, de se dévouer à ce qu’il considérait comme la bonne cause. Sous le titre de Préparation sophistique (Σοφιστικὴ προπαρασευή) Il avait composé un ample lexique des mots attiques, en 37 livres[196]. Cet ouvrage ne nous est plus connu que par le sommaire analytique qu’en donne Photius (cod. 158) et par un assez long fragment[197]. Dédié à l’empereur Commode, il était destiné, comme l’indiquait son titre, à ceux qui voulaient exercer l’art de la parole, et il avait pour objet de leur fournir une provision de termes et de locutions autorisées[198]. C’était en quelque sorte un « cahier d’expressions », composé par un professeur érudit et homme de goût[199]. Celui-ci n’avait d’ailleurs en aucune façon la prétention d’imposer le même langage à tous les genres. Entre les expressions qu’il avait recueillies, il distinguait celles de l’éloquence, de l’histoire, de la conversation, de la causerie satirique, des propos d’amour : preuve d’un discernement juste ; mais, pour le choix de ses autorités, Phrynichos se montrait sévère. Bien qu’il admirât fort quelques contemporains, par exemple l’orateur Ælius Aristide, expressément loué par lui au xie livre, il ne reconnaissait comme modèles du pur attique que Platon, Démosthène et les neuf autres orateurs du canon alexandrin, puis Thucydide, Xénophon, Eschine le Socratique, Critias et Antisthène, enfin Aristophane ; et pour la poésie, Eschyle, Sophocle et Euripide. Encore faisait-il un second choix entre ces élus eux-mêmes, pour mettre définitivement à part Platon, Démosthène et Eschine le Socratique, considérés seuls comme les représentants de la perfection. Tout cela, évidemment, était assez puéril, comme d’ailleurs l’atticisme lui-même. Ni Phrynichos ni ses coreligionnaires ne sentaient, comme ils l’auraient dû, la nécessité de renouveler la langue d’autrefois par des emprunts au parler contemporain. Mais, du moins, ils la connaissaient bien, ils en appréciaient et en faisaient goûter la beauté, et ils réagissaient avec raison contre le laisser-aller et la banalité du langage courant. — Outre ce grand ouvrage, Phrynichos en avait composé, probablement dans sa jeunesse, un autre beaucoup plus court, qui nous est parvenu. C’est l’Atticiste (Ἀττικιστής de Suidas) ou Choix de noms et de verbes attiques en deux livres (Ἐκλογὴ ὀνομάτων καὶ ῥημάτων ἀττικῶν), dédié à Attidius Cornelianus[200] ; simple liste de mots, ou plutôt de prohibitions grammaticales, souvent présentées sous la forme traditionnelle : « Ne dites pas ceci, dites cela ». Tout sec qu’il est, ce petit opuscule a son prix pour nous, car il est d’un connaisseur, et de plus il témoigne de l’usage contemporain[201]. Critique impitoyable des écrivains de son temps, sans en excepter les plus renommés, Phrynichos y est sévère même pour les anciens, en particulier pour Ménandre[202]. C’est un orthodoxe intransigeant, qui fait de haut la leçon au vulgaire (ἀμαθεις) et ne peut souffrir qu’on mêle aux mots autorisés (δόκιμα) les expressions au goût du jour (λέξεις ἐπιπολάζουσαι).

À Phrynichos se rattache étroitement Ælius Mœris[203]. Nous ne savons rien de lui ; mais nous possédons encore son Recueil d’expressions attiques (Λέξεις ἀττικαί), appelé aussi, comme celui de Phrynichos, l’Atticiste (Photius, Μοίριδος Ἀττικιστής). Malgré une citation de Phrynichos (Ἰσοτελής), qui pourrait être interpolée, il paraît douteux que cet opuscule, sec et assez insignifiant, soit postérieur à la Préparation sophistique[204].

L’intolérance de ces puristes ne pouvait être acceptée de tous sans protestation. Lucien, atticiste lui-même, se moque pourtant, sinon de tous les Atticistes, du moins de certains d’entre eux ; Galien combat leurs exagérations ; d’autres en firent autant. Un grammairien, nommé Oros, qui nous est d’ailleurs inconnu, écrivit un lexique intitulé Contre Phrynichos (Κατὰ Φρυνίχου)[205]. De là, sans doute, dérive le court lexique anonyme qui nous a été conservé parmi les lexiques dits de Séguier, sous le titre de Antiatticiste (Ἀντιαττικστής)[206] ; on y trouve un certain nombre de citations de Phrynichos, de qui l’auteur s’applique à combattre les opinions, en justifiant par de bonnes autorités mainte expression qu’il avait condamnée. Ce petit opuscule a le mérite de nous faire assister aux combats de grammairiens qui ont passionné les écoles du second siècle.

D’autres philologues, moins engagés dans les luttes de l’atticisme, se sont fait alors une notoriété par divers travaux, où la curiosité des choses le dispute à celle des mots. Quelques-uns d’entre eux ne peuvent être ici nommés qu’en passant. Tels sont Diogénianos d’Héraclée sous Adrien[207], Télèphe de Pergame, sous Antonin et Marc Aurèle[208], Héron d’Athènes[209], Palamède d’Élée, dont l’époque même est mal déterminée[210]. Mais il faut s’arrêter un peu plus sur le rhéteur Julius Pollux, de Naucratis[211]. Venu à Rome sans doute sous Antonin ou sous Marc-Aurèle, il fut un des maîtres de rhétorique du jeune Commode. Plus tard, la faveur de son élève, devenu empereur, l’appela à la chaire d’éloquence d’Athènes ; il mourut à l’âge de cinquante-huit ans. Lucien paraît l’avoir mis en scène dans son Lexiphane, et il l’attaqua violemment dans son Maître de rhétorique[212]. Il est difficile de dire ce qu’il pouvait y avoir de fondé dans les imputations injurieuses dont cette satire est pleine ; mais il semble bien que le talent de Pollux, comme orateur, n’ait pas été à la hauteur de ses fonctions : Philostrate, son biographe, en fait peu de cas[213]. Ses discours, dont les principaux sont énumérés par Suidas, ne subsistent plus. Nous n’avons de lui qu’un seul ouvrage, l’Onomasticon, connu et apprécié, non pour son mérite littéraire, qui est nul, mais pour les faits qu’il contient. Dans la préface, l’auteur, s’adressant au jeune Commode, déjà associé à l’empire, lui explique son dessein. Il veut offrir à son élève une provision de mots, afin de lui faciliter l’art de la parole : pour cela, il se propose de lui faire connaître, à propos de chaque objet, les termes divers par lesquels on peut ou le designer, ou le qualifier, ou énoncer les idées qui s’y rapportent. L’Onomasticon, divisé en dix livres, passe donc en revue successivement toutes les choses principales dont on peut avoir occasion de parler dans un discours : et, pour chacune d’elles, il donne des listes de noms, qu’il distingue quelquefois les uns des autres en précisant leur signification, des listes d’adjectifs et de locutions, dont il marque l’emploi[214]. En outre, quand il reste de la place à l’auteur à la fin d’un livre, il ajoute des listes de synonymes. Véritable encyclopédie par conséquent, assez mal ordonnée, et réduite souvent à n’être qu’une nomenclature, mais qui contient aussi des explications utiles, des citations intéressantes, et précieuse en somme pour la connaissance de l’antiquité[215].

À défaut de chronologie sûre, certains indices nous autorisent à mettre à côté de Pollux un autre lexicographe renommé, Valérius Harpocration, d’Alexandrie, auteur du Lexique des dix orateurs (Λέξεις τῶν δέκα ῥητόρων), si utile à l’intelligence des orateurs attiques[216]. Suidas nous a mis dans un grand embarras en négligeant d’indiquer en quel temps il a vécu[217] ; mais comme il le nomme après plusieurs autres personnages du même nom, il y a quelque raison de le croire moins ancien qu’eux ; et l’on est ainsi tenté de l’identifier avec l’Harpocration que J. Capitolinus mentionne parmi les grammatici græci qui contribuèrent à l’éducation du jeune Ælius Verus (Verus, c. 2)[218]. Si cela est exact, il aurait vécu sous le règne d’Antonin et de Marc-Aurèle. Rien dans son ouvrage se s’oppose à cette conjecture[219]. Les autres écrits d’Harpocration sont perdus[220]. Le Lexique subsiste sous deux formes, l’une plus complète, qui est l’original même, sauf quelques passages écourtés ou mutilés, l’autre abrégée[221]. Il est difficile, dans l’ignorance où nous sommes des sources de cet ouvrage, d’apprécier, sûrement le mérite propre de l’auteur : ce qu’on peut dire, c’est qu’en tout cas, il fait preuve partout d’une érudition sûre et solide, de connaissances variées et précises, d’un goût juste et de lectures étendues. En même temps qu’il étudie la langue des orateurs, il nous informe d’une foule de détails intéressants, relatifs aux antiquités athéniennes, aux questions de droit, aux usages religieux et civils, aux magistratures. Ses explications sont nettes, sans bavardage, appuyées sur des témoignages de valeur. Il résume pour nous l’érudition alexandrine et supplée heureusement à bon nombre d’auteurs perdus.

Avec la lexicographie, une autre forme de production philologique qui fut alors encouragée et favorisée par la sophistique est la parœmiographie. Dès le temps d’Aristote, et peut-être antérieurement, on avait commencé en Grèce à recueillir les proverbes courants, à en faire des collections. Les plus célèbres et les plus complétés avaient été constituées à la fin de la période alexandrine par Didyme et le crétois Lucillos de Tarrha. On les réunissait alors par curiosité, par érudition, ou dans une intention morale. La sophistique en fit un des ornements du discours, et par la même les mit singulièrement en honneur. Un orateur qui voulait plaire devait en avoir une ample provision à son service, pour relever à propos une pensée générale et orner un développement.

Ce fut pour répondre à ce besoin que le sophiste Zénobios composa, au temps d’Adrien, un abrégé en trois livres des recueils de Didyme et de Lucillos (Ἐπιτομὴ τῶν παροιμιῶν Διδύμου καὶ Ταῤῥαίου ἐν βιβλίοις τρισί[222]). Comme le titre même l’indique, c’est une réduction de travaux antérieurs plus complets ; Zénobios n’a fait que fondre ensemble deux recueils plus développés, dont il n’a gardé que l’essentiel, à savoir le texte même des proverbes, avec une courte explication de leur origine et de leur sens. Son abrégé s’est conservé comme un des éléments d’un Corpus parœmiographorum formé au moyen âge, et dont nous parlerons plus loin (ch. VII, sect. II, fin).


Après toutes ces formes de la philologie, la métrique et la musicographie ne peuvent guère figurer ici que pour mémoire.

On a vu plus haut ce qu’était devenue la métrique dans la période alexandrine et au début de l’empire. Elle ne change guère au second siècle.

Bornons-nous à nommer Dracon de Stratonicée, qui dut vivre, au plus tard, au commencement de ce siècle ; car il est cité par Apollonios Dyscole (De Pronom. p. 20)[223]. Suidas lui attribue, outre divers ouvrages de grammaire, des traités Sur les mètres, Sur les drames satyriques, Sur des rythmes de Pindare, Sur les mètres de Sapho, Sur les rythmes d’Alcée. Il ne nous reste rien de tout cela, sauf ce qui peut subsister du traité sur la versification de Pindare dans les scolies afférentes à ce poète. Le traité Des mètres que nous avons sous le nom de Dracon n’est qu’une falsification datant du xvie siècle[224].

Héphestion nous est bien mieux connu, car nous avons encore un ouvrage de lui, qui est le résumé de sa doctrine. C’était un grammairien d’Alexandrie, probablement celui qui fut, avec Télèphe de Pergame et Harpocration, chargé de l’éducation grammaticale d’Ælius Verus[225]. Il vivait donc au milieu du second siècle. Divers ouvrages de critique littéraire que lui attribue Suidas n’ont laissé aucune trace ; mais nous possédons encore son Manuel de métrique (Ἐγχειρίδιον περὶ μέτρων) et une partie de son Traité de la composition poétique (Περὶ ποήματος)[226]. Un fragment des Prolégomènes (attribués au philosophe Longin) qui accompagnent ces deux ouvrages, nous apprend qu’Héphestion avait d’abord composé un traité de métrique en quarante-huit livres, qu’il le réduisit ensuite à onze livres, puis à trois, enfin à un seul, qui est justement notre manuel[227]. Si ce témoignage doit être cru, on voit qu’Héphestion, après avoir fait œuvre de savant, voulut mettre ses leçons à la portée des commençants. Il y réussit. Son livre fut adopté dans les siècles suivants pour l’enseignement de la métrique. La doctrine d’Héphestion a les défauts de la théorie métrique de son temps : elle ne va pas au fond des choses, elle en méconnaît même assez souvent la vraie nature ; mais son exposé est clair, ses formules sont précises et appuyées sur des citations. Quant au Traité de la composition poétique, il contient des renseignements précieux sur les diverses manières d’assembler les vers, sur les parties des poèmes, notamment sur la parabase comique[228].

Parmi les musicographes, quelques-uns seulement touchent à l’histoire littéraire ; ce sont ceux qui avaient parlé, à propos de musique, des poètes lyriques. Les autres sont purement des spécialistes qui ne peuvent être étudiés ici.

Denys d’Halicarnasse, le jeune, surnommé le musicien, vivait sous Adrien[229]. Il avait écrit quatorze livres de Notes sur le rythme (Ῥυθμικὰ ὑπομνήματα), douze livres d’Exercices musicaux (Μουσικαὶ διατριβαί), cinq livres sur les questions musicales touchées par Platon dans sa République, enfin une grande Histoire de la musique, (Μουσικαὶ ἱστορία), pleine de renseignements techniques et biographiques, en cinquante-six livres. Tout cela est perdu, mais l’Histoire de la musique paraît avoir été utilisée au siècle suivant par Rufus, auteur d’un ouvrage de même titre, dont certaines parties passèrent au ve siècle dans la chrestomathie de Sopatros[230]. On en retrouve aussi quelques traces dans le lexique de Suidas[231].

Les autres musicographes grecs dont les œuvres nous ont été en partie conservées sont postérieurs à Denys d’Halicarnasse, et la plupart d’entre eux ne devraient pas figurer dans ce chapitre, si nous nous attachions rigoureusement à la chronologie. Mais, en général, les dates qu’on leur assigne étant hypothétiques, il est préférable de les grouper ici.

Le plus ancien[232] paraît être Alypios, auteur d’une Introduction à l’harmonique (Εἰσαγωγὴ ἁρμονική), qui peut avoir vécu au iiie ou au ive siècle ; son ouvrage est celui qui nous offre le plus complet exposé du système de notation des Grecs[233]. — Bacchios écrivit au ive siècle, sous Constantin, une Introduction à l’art de la musique (Εἰσαγωγὴ τέχνης μουσικῆς), par demandes et par réponses, qui ne nous est parvenue probablement que remaniée[234]. — Aristide Quintilien, le plus connu de ces spécialistes, a été longtemps considéré comme appartenant au second siècle, en raison des ressemblances que sa doctrine paraissait offrir avec celle des néopythagoriciens[235]. On admet plutôt aujourd’hui qu’il doit être postérieur à Porphyre ou même à Jamblique, ce qui le mettrait au ive siècle[236]. La valeur de son Traité de musique en trois livres (Περὶ Μουσικῆς) vient surtout des sources anciennes dont on y retrouve la trace[237]. — Gaudentios, d’époque incertaine, nous a laissé une Introduction à l’harmonique (Εἰσαγωγὴ ἁρμονική), qui procède d’Aristoxène.


Si l’on embrasse d’un coup d’œil l’ensemble de ces travaux philologiques, on ne peut nier que le second siècle n’ait été singulièrement studieux et que la sophistique n’ait joué le rôle d’un stimulant chez un grand nombre des hommes de ce temps. Mais, d’autre part, cette philologie de la période impériale, qui se montre ici avec ses caractères propres, paraît en somme médiocre, si on la compare à celle de la période alexandrine. Pas un de ceux que nous venons de citer ne saurait être comparé à un Zénodote, à un Aristarque, ni même à un Didyme. Leur science à tous est bien plus assujettie à la tradition, bien moins critique et hardie ; surtout, elle est plus utilitaire, elle semble avoir perdu les hautes visées scientifiques. Ces caractères, nous les retrouverons aussi : chez les érudits qui cultivent alors les dépendances de l’histoire. Et pourtant, ces philologues du second siècle sont encore bien supérieurs à leurs successeurs des siècles suivants. Il est visible que l’hellénisme savant est déjà en décadence, dans ce temps même ou l’hellénisme artistique a paru reprendre quelque éclat. Nous nous en rendrons mieux compte, en étudiant, dans le chapitre suivant, les œuvres et les hommes du même siècle qui sont plus indépendants de la sophistique.


  1. Les principaux documents anciens sur le sujet se trouvent dispersés chez les auteurs du temps qui seront cités au fur et à mesure dans ce chapitre, en particulier chez Philostrate, Vies des Sophistes. On peut consulter, aujourd’hui encore, la compilation de Cresolli, Theatrum veterum rhetorum, oratorum, declamatorum, etc. (Paris, 1620). Comme études modernes, signalons Westermann, Geschichte d. Beredsamkeit (Leipzig, 1833), § 84 et suiv. ; les commentaires de Kayser sur les Vies de Philostrate dans son édition de 1838 ; Bernhardy, Gesch. d. Griech. Litt., t. I, p. 509 ; un bon chapitre d’Erwin Rohde, Der griechische Roman, Leipzig, 1876, (chap. III) ; les tomes II, III, IV de Schmidt, der Atticismus, et l’Introduction du livre de H. von Arnim sur Dion de Pruse.
  2. Philostrate, Vies des Soph., I, 19. C’est presque certainement le même que le Nicétès Sacerdos, dont Pline le Jeune suivit les leçons en même temps que celles de Quintilien (Epist., VI, 5), et que Tacite mentionne dans le Dialogue des orateurs, ch. xv, 5, composé probablement en 81 (Dialogue des or., éd. Goelzer, Introd., p. xii). Mais il paraît plus difficile de l’identifier au Nicétès dont Sénèque le père, dans ses Controverses, fait mention comme d’un maître déjà renommé sous Tibère, et dont il cite d’assez nombreux fragments ; car celui-là devait être né dans les premières années de notre ère et il aurait eu par conséquent plus de 90 ans sous Nerva, qui monta sur le trône en 95.
  3. Philostrate, V. S., I, 21. Suidas, Σκοπελιανός. — Sur son ambassade pour les vignes, consulter (outre Philostrate) Suétone, Domitien, ch. vii. Sur les poésies de Nikétès et de Scopélianos, voir plus loin § X.
  4. Philostrate, V. S., I, 20. Suidas, Ἰσαῖος, fin de l’article, où il est appelé Ἰσαῖος ὁ ῥήτωρ νεώτερος. Pline, Epist., II, 3. Juvénal, Sat. I, 3, V, 74, et la scolie.
  5. Philostr., V. S., I, 23 ; Suidas, Λολλιανός.
  6. Philostrate, V. S., I, 23 : Προὔστη μὲν τοῦ Ἀθήνησι θρόνου πρῶτος. Cf. Hertzberg, Hist. de la Grèce, traduction Bouché-Leclercq, t. II, p. 361 (note 2) et 413.
  7. Philostrate, V. S., I, 25 ; Suidas, Πολέμων Λαοδικεύς.
  8. On les trouve, joints à divers autres ouvrages, dans plusieurs mss. de Florence, de Rome et de Paris, qui semblent tous dériver d’un même archétype. Le Laurentianus 56, 1 (xiiie siècle) est celui qui s’en rapproche le plus. Ces deux déclamations ont été éditées par Henri Estienne (1567), Prevosteau (Paris, 1586), Possin (Toulouse, 1637), Orelli (Leipzig, 1819). Nous en avons aujourd’hui une édition critique, due à Hugo Hinck (Leipzig, 1873), dans la bibl. Teubner. Voir aussi H. Jüttner, De Polemonis vita, operibus, arte, Breslau, 1898.
  9. On cite souvent ces discours sous le titre de Oraisons funèbres de Callimaque et de Cynégyre, et le Laurentianus 56, 1 les qualifie de Ἐπιτάφιοι. Cette désignation est manifestement inexacte. Ce sont des discours judiciaires, par conséquent des plaidoyers.
  10. Philostrate, V. S., II, 1. Suidas, Ἡρώδης. — Vidal-Lablache, Hérode Atticus, Paris, 1872.
  11. Philostr., V. des Soph., II, c. 3.
  12. Aulu-Gelle, XVIII, 10 : In Herodis villam quæ est in agro attico, loco qui appellatur Cephisiæ, aquis et nemoribus frequentem, æstu anni medio concesseram. — Sur les ruines de cette villa, cf. Vidal-Lablache, op. cit., p. 6.
  13. Sur la vie intime d’Hérode, ses entretiens, sa société, voir les souvenirs d’Aulu-Gelle, I, 2 ; IX, 2 : XVIII, 10 ; XIX, 12. — Parmi ses disciples, il avait fait un choix des dix plus remarquables, qu’il admettait à des exercices privés, appelés Κλεψύδριον (Philostr., V. S., II, c. 10, 1 et 13.)
  14. Philostr., V. S., II, 2.
  15. Philostrate, Sur Le genre épistol. (t. II, p. 258, Kayser, Bibl. Teubner) : Ῥητόρων δὲ ἄριστα μὲν Ἡρώδης ὁ Ἀθηναῖος ἐπέστελλεν, ὑπεραττικίζων δὲ καὶ ὑπερλαλῶν ἐκπίπτει πολλαχοῦ τοῦ πρέποντος ἐπιστολῇ χαρακτῆρος.
  16. Nous avons sous son nom un discours intitulé Περὶ πολιτείας (Orat. Attici, Didot, II, p. 189) ; c’est la harangue fictive d’un Thébain qui engage ses concitoyens à déclarer la guerre au roi de Macédoine, Archélaos. Mais l’authenticité de ce morceau ne semble pas pouvoir être défendue.
  17. Philostr. V. des Soph., II, 3.
  18. Philostrate (V. S., I, 21, 5) dit de Scopélien : Προσέκειτο μὲν οὖν ἅπασι ποιήμασι, τραγῳδίας δὲ ἐνεφορεῖτο. Cf. même ouvr., II, 27, 6 : Νικαγόρου δὲ τοῦ σοφιστοῦ μητέρα σοφιστῶν τὴν τραγῳδίαν προσειπόντος, διορθούμενος ὁ Ἱππόδρομος τὸν λόγον· Ἐγὼ δὲ, ἔφη, πατέρα Ὅμηρον. Ce même Hippodromos disait que si Homère était la « voix » des sophistes, Archiloque était leur « souffle. »
  19. Philostr., V. S., I, 20, 2.
  20. Ibid., 21, 5.
  21. Ibid. II, 10, 1.
  22. Ibid. I, 25, 7.
  23. V. S. I, 25, 7 : Φθέγμα δὲ ἦν αὐτῷ λαμβρὸν καὶ ἐπίτονον καὶ κρότος θαυμάσιος οἱος ἀπεκτύπει τῆς γλώττης.
  24. Ibid., II, c. 10, 5 : Ἠκροῶντο δὲ ὡσπερ εὐστομούσης ἀνδόνος. τὴν εὐγλωττίαν ἐκπεπληγμένοι καὶ τὸ σχῆμα καὶ τὸ εὔστροφον τοῦ φθέγματος καὶ τοὺς πεζῇ τε καὶ σύν ᾠδῇ ῥυθμούς.
  25. Maître de rhétorique, 19 : Ἢν δέ ποτε καὶ ᾆσα : καιρός εἶναι δοκῇ, πάντα σοι ᾀδέσθω καὶ μέλος γιγνέσθω. Cf. Philostr., Vies des Soph., II, 28 : καμπαῖς ᾀσμάτων, αἴς κἂν ὑπορχήσαιτό τις τῶν ἀσελγεστέρων.
  26. Philostr., V. S., I, c. 21, 5.
  27. Ibid., II, c. 25, 7.
  28. On désignait ce jeu, comme celui des acteurs, par le mot ἀγωνίζεσθαι, qui pouvait s’employer avec le nom du rôle à l’accusatif : Ἀρτάβαζον ἀγωνίζεσθαι, « jouer Artabaze », c. à. d. prononcer un discours censé tenu par Artabaze ; Philostr., V. S., II, c. 5, 4. On disait même ὑποκρίνεσθαι, par exemple : τὸ Δαρεῖου καὶ Ξέρξου φρόνημα καλῶς ὑποκρίνεσθαι (Ibid., I, c. 25, 9). Aristide, Or. 49 (Dind., p. 493) : ἄν μὲν Δημοσθένη, ἤ Μιλτιάδην, ἢ Θεμισστοκλέα, ἢ τὸν ὁμώνυμον (Aristide) ὑποκρίνωμαι, τὸ ἐκεὶνων ἦθος εἰκάσαι δεῖ με.
  29. Ælius Aristide, qui passait pour avoir peu voyagé, était allé en Italie, en Grèce et en Égypte. Philostr., V. S., II, c. 9, 1. — Voyages de Lucien en Gaule, voy. plus loin. — Voyages de Ptolémée de Naucratis, Phil., V. S., II, 15, 2 : Πλεῖστα δὲ ἐπελθὼν ἔθνη καὶ πλείσταις ἐνομιλήσας πόλεσι ὡσπερ ἐπὶ λαμπροῦ ὀχήματος τῆς φήμης πορευόμενος διῄει τὰ ἄστη.
  30. Pline, Epist., II, 3 : Magna Isæum fama præcessorat.
  31. Lucien, Περὶ τοῦ οἴκου. — À Rome, Adrien de Tyr donnait ses séances oratoires dans l’Athenaeum (Philostr., V. S., II, 1), 5). Sur ce palais, bâti par Adrien, pour être un ludus ingenuarum artium, voir Aurelius Victor, de Cæsar., 14, 2, et Dion Cass., LXXIII, 11.
  32. Ælius Aristide, invité à parler devant Marc-Aurèle, demandait l’autorisation d’amener ses élèves et qu’il leur fût permis de crier et d’applaudir, καὶ βοᾶν καὶ κροτεῖν. (Phil., V. S., II, c. 9.)
  33. Aristide, Περὶ τοῦ παραφθέγματος, p. 530, Dindorf : Σκοτοδινιᾷ δὴ πᾶς ἐνταῦθα ἀκροατὴς καὶ οὐκ ἔχει τίς γένηται, αλλ’ ὥσπερ ἐν παρατάξει κυκλούμενοι θορυβοῦνται, καὶ ὡς ἕκαστος ἔχει φύσεως ἢ δυνάμεως οὕτως.
  34. Voyez, sur cette inspiration, une autre curieuse page d’Aristide, même discours, p. 528. « Une lumière divine, dit-il, environne l’orateur », et il ajoute : εὐθὺς μὲν τόνου καὶ θερμης ἐνέπλησε μετ’ εὐθυμίας, ἦρε δέ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἄνω καὶ τὰς τρίχας διέστησε, etc.
  35. Voir Philostr., V. S., passim.
  36. Ibid., I, c. 25, 7.
  37. Ibid., I, c. 25, 10.
  38. Titre d’un discours de Lucien.
  39. Philostr., V. S., I, c. 26.
  40. V. des Soph., I, c. 25, 3.
  41. Aulu-Gelle, V, 1.
  42. Dion, Disc. 33, exorde.
  43. Sur l’opposition du genre judiciaire (δικανικόν) et du genre sophistique (σοφιστικόν), voyez Phil., V. Soph., II, 4, 2.
  44. Philostrate, V. des Soph., I, c. 21, 3 : Νικήτην μελετήσαντα μὲν ἐπιφανῶς, πολλῷ δὲ μεῖζον ἐν δικαστηρίοις πνεύσαντα.
  45. Ibid., 4 : τῆς τοῦ Σκοπελιανοῦ ἐν τοῖς δικαστηρίοις ἀκμῆς.
  46. Ibid., 5.
  47. Ibid., c. 22, 4.
  48. Philostrate, V. d. S., I, c. 95, 8.
  49. Ibid., c. 21, 8. Cf. c. 25, 1, Polémon : Πλείστου δὲ ἄξιος τῇ πόλει καὶ τὰ πρεσβευτικὰ ἐγένετο φοιτῶν παρὰ τοὺς αὐτοκράτορας.
  50. Ibid. c. 21, 5 ; Scopélien : Παρῄει δὲ καὶ ἐς τούς δήμους ἀνειμένῳ τε καὶ διακεχυμένῳ τῷ προσώπῳ καὶ πολλῷ πλέον, ὅτε σὺν ὀργῇ ἐκκλησιάζοιεν, ἀνιεὶς αὑτοὺς καὶ διαπραύνων τῇ τοῦ εἴδους εὐθμίᾳ.C. 25, 1 ; Polémon : Ἐνσπουδάζων δὲ τῇ Σμύρνῃ τάδε αὐτὴν ὤνησεν .. ὁμοοῦσαν καὶ ἀσταρίαστον πολιτεύειν· τὸν γὰρ πρὸ τοῦ χρόνον ἐστασίαζεν ἡ Σμύρνα καὶ διεστήκεσαν οἱ ἄνω πρὸς τοὺς ἐπὶ θαλάττῃ.
  51. Les Sophistes en renom se faisaient payer fort cher. Philostrate (V. Soph., II, 23, 2) nous apprend que Damianos d’Éphèse paya dix mille francs à Aristide et autant à Adrien de Tyr pour suivre leurs leçons.
  52. Jul. Capitol., Anton. Pius, II, 3. Voir Hertzberg, Hist. de la Grèce sous la dom. rom., trad. Bouché-Leclercq, t. II, p. 364, note 2.
  53. Chaire municipale, qui subsista ensuite à côté de la chaire impériale ; on l’appelait ὁ πολιτικὸς θρόνος (Phil., V. Soph., II, 20, où l’on voit que les honoraires étaient d’un talent.)
  54. Philostr., V. Soph., II, 2. Les honoraires étaient de dix mille drachmes. Ibid. 11, 1.
  55. Même ouvr., II, 7 ; 9, 2 ; 10, 4.
  56. Même ouvr., II, 8, 2 ; 10, 5.
  57. Voir par exemple, même ouvr., II, 24, 1. Antipater d’Hiérapolis, nommé, par Sévère chef du secrétariat impérial (ταῖς βασιλείοις ἐπιστολαῖς ἐπιταχθείς) ; selon Philostrate, il excella dans ces fonctions. Un autre sophiste, Quirinus de Nicomédie, devint avocat du fisc. (Ibid. II, 29). Lucien fut secrétaire du gouverneur d’Égypte pour les affaires judiciaires.
  58. Philostrate, V. des S., II, c. 10, 2.
  59. Biographie : Philostr., V. S., II, 9 ; Suidas, Ἀριστείδης ; Prolégom. anonymes en grec, dans l’édition de Dindorf, t. III, p. 137 ; nombreux renseignements dans ses propres écrits. — Voir en tête de l’édition de Dindorf les Collectanea de J. Masson. Consulter aussi Baumgart, Ælius Aristides als Repräsentant der sophistischen Rhetorik d. sweiten Jahrh. der Kaiserzeit, Leipzig, 1874, et l’art. de W. Schmid dans l’encyclop. de Pauly-Wissova. La chronologie de J. Masson a été contestée par Waddington (Mém. de l’Acad. des inscr. XXVI, p. 203), qui place la naissance d’Aristide douze ans plus tôt, en 117. Il y a donc doute sur quelques points.
  60. Κατὰ τῶν ἐξορχουμένων
  61. Voy. Isocrate, de Pace, argum.
  62. H. E. Foss, Commentatio critica qua probatur declamationes duo Leptineas non esse ab Aristide scriptas, Altenburg, 1841.
  63. H. Baumgart, ouv. cité, p. 6 et suiv.
  64. Voir surtout le discours XLII, Περὶ ὁμονοίας ταῖς πόλεσιν, et comparer avec Dion (or. 38, 39, 40), qui est très supérieur en sincérité pratique.
  65. Ce qui n’empêche pas, bien entendu, qu’on n’y trouve quantité de détails intéressants pour l’histoire morale, religieuse, littéraire du temps.
  66. Prolég. Dindorf, p. 741, 12 : Ἤδη μὲν Λογγῖνος καὶ πάντες οἱ κριτικοὶ πολλὰ προειρήκασιν ὡς γόνιμος, ὡς ἐνθυμηματικὸς τυγχάνει καὶ βίαιος καὶ καθόλου τὸν Δημοσθένην μιμούμενος.Ibid., l. 21 : τῇ τῶν ἐνθυμημάτων πυκνότητι δημοσθενίζει.
  67. Voir sur ce sujet Schmidt, Atticismus, t. II.
  68. Disc. sacrés, LV. (Or. XXVI, p. 507, Dindorf). Au début de sa maladie, il raconte qu’il vit en songe un philosophe, Rhosandre, qui lui dit : Παρῆλθες ἡμῖν τῷ ἀξιώματι τὸν Δημοσθένη, ὡς μηδ’ αὐτοῖς ἄρα τοῖς φιλοσόφοις εἶναι ὑπερφρονῆσαι. Et il ajoute : τοῦτο τὸ ῥῆμα πᾶσαν ἐμοὶ τὴν ὕστερον φιλοτιμίαν ἐξῆψε..
  69. Son contemporain, l’atticiste Phrynichos, faisait de lui la plus grand éloge dans le 10e livre de sa παρασκευὴ σοφιστική (Phot., cod. 458, p. 104, a, Bekker) ; il n’est pas douteux, étant donné l’esprit de l’ouvrage, qu’il ne le louât justement à ce point de vue.
  70. Longin, fragm. 12 (Spengel, Rhet., Græci, I, p. 396) le considère comme celui qui a réprimé, dans l’éloquence, la mollesse qui était à la mode en Asie : τὴν πλεονάσασαν περὶ τὴν Ἀσίαν ἔκλυσιν ἀνεκτήσατο Ἀριστείδης· συνεχῶς γὰρ ἐστι καὶ ῥέων καὶ πιθανός. Par le mot ῥέων, Longin semble opposer la continuité du discours, la suite logique de la démonstration (πιθανός), aux traits incohérents et sans suite. Cf. Prolég. Dindorf, p. 741, 25 : Οὐδὲν ἐκ τῆς Ἀσίας ἐπεφέρετο κενὸν ἢ κοῦφον ἢ εὔηθες.
  71. Il est cité comme un classique par les auteurs de traités de l’âge suivant. Voir l’index des Rhet. gr. de Spengel.
  72. Voir les témoignages recueillis dans le t. III, de l’éd. Dindorf, p. 772 et suiv. — Eunape, dans la vie d’Himérios, l’appelle ὁ θεῖος Ἀριστείδης. — Cf. Pauly-Wissowa, I, col. 892.
  73. Suidas, Μάξιμος Τύριος φιλόσοφος. Syncelle (331 A), d’après Eusèbe, le fait vivre sous Antonin ; mais il semble qu’Eusèbe l’a confondu avec le stoïcien Maxime, qui fut un des maîtres de Marc-Aurèle. Les six premiers discours du recueil portent le titre : Τῶν ἐν Ῥώμῃ διαλέξεων τῆς πρώτης ἐπιδημίας ; ce qui prouve qu’il y fit plusieurs séjours distincts. Il est fort douteux qu’il puisse être identifié, comme le voulait Bergk (Griech. Litt., IV, p. 551, n. 45, avec le Σιδώνιος σοφιστὴς dont il est question dans le Demonax de Lucien, c. 44.
  74. Il est appelé πλατωνικός φιλόσοφος : dans le titre commun des six premières dissertations. Il professe du reste très haut son admiration pour Platon (Or. 17, c. 1 et Or. 27, c. 4.)
  75. Voyez notamment Or. VIII, 8 ; souvenirs d’Arabie et de Phrygie.
  76. C’est ainsi qu’il touche à des sujets admirables et n’en tire presque rien. Voir, en particulier, les quatre dissertations XXIV-XXVII, Sur l’érotique de Socrate.
  77. Voir Zeller, Ph. der Gr., t. V, p. 203 sqq.
  78. Dissertations XIV et XV, Sur le génie de Socrate (Περὶ τοῦ Σωκράτους δαιμονίου).
  79. I, II, III, Περὶ ἡδονῆς ; V, Ὅτι ἔστι καὶ ἐκ τῶν περιστάσεων ὠφελεῖσθαι ; VI, Πῶς ἄν τις φίλον παρασκευάσαιτο ; XVIII, Εἰ τὸν ἀδικήσαντα ἀνταδικητέον ; XXXIV, Πῶς ἄν τις ἄλυπος εἴη ; XXXVII, Εἰ συμβάλλεται πρὸς ἀρετὴν τὰ ἐγκύκλια μαθήματα.
  80. Ressemblances de sujets et quelquefois d’idées. Mais, pour apprécier ce qu’elles cachent de différences profondes, comparer, par exemple, le traité de Plutarque Sur la différence entre l’ami et le flatteur, et la dissert. XX, Τίσι χωριστέον τὸν κόλακα τοῦ φίλου.
  81. VIII, Εἰ θεοῖς ἀγάλματα ἱδρυτέον ; X, Τίνες ἄμεινον περὶ θεῶν διέλαβον, ποιηταὶ ἢ φιλόσοφοι ; XI, Εἰ δεῖ εὔχεσθαι ; XVII, Τί ὁ Θεός κατὰ Πλάτωνα ; XIX, Εἰ, μαντικῆς οὔσης, ἔστι τὶ ἐφ’ ἡμῖν.
  82. Suidas, Λουκιανὸς Σαμοσατεύς, notice insignifiante. Photius, cod. 128, parle de ses écrits, mais non de sa vie. — À consulter : Mees, De Luciani studiis et scriptis juvenilibus, Rotterdam, 4841 ; K. G. Jacob, Characteristik Lukians von Samosata, Hambourg, 1832 ; K. F. Hermann, Zur Characteristik Lukians, 1849 ; J. Sommerbrodt, Introduction des Ausgewahltschriften des Lucian, Berlin, 1860 ; Maurice Croiset, Essai sur la vie et les œuvres de Lucien, Paris, 1882.
  83. Suidas le fait naître sous Trajan. La date approximative de 185 résulte de l’ensemble de sa vie, en particulier de ce qu’il se donne à lui-même 40 ans dans l’Hermotime, manifestement écrit à Athènes, lorsque l’auteur eut renoncé à la rhétorique, mais peu après. Or Lucien s’est fixé à Athènes vers 164. Cf. Double accusation, 32.
  84. Pour tout ceci, voir Songe, 1-16.
  85. Double accusation. 21. La Rhétorique dit : Τουτονὶ κομιδῆ μειράκιον ὄντα, βάρβαρον ἔτι τὴν φωνὴν καὶ μονονουχὶ κάνδυν ἐνδεδυκότα ἐς τὸν Ἀσσύριον τρόπον, περὶ Ἰωνίαν εὑροῦσα πλαζόμενον ἔτι καὶ ὅ τι χρήσαιτο ἑαυτῷ οὐκ εἰδότα παραλαβοῦσα ἐπαίδευσα. — 30. Lucien répond : Καὶ γὰρ ἐπαίδευσε καὶ συναπεδήμησε καὶ ἐς τοὺς Ἕλληνας ἐνέργαψε.
  86. Suidas, p. c. Ἦν δὲ οὖτος τὸ πρὶν δικηγόρος ἐν Ἀντιοχείᾳ τῆς Συρίας, δυσπραγήσας δ’ἐν τούτῳ ἐπὶ τὸ λογογραφεῖν ἐτράπη.
  87. Double accus., 27.
  88. Double accus., 27 : Καὶ τὰ μὲν ἐπὶ τῆς Ἑλλάδος καὶ τῆς Ἰωνίας μέτρια ἐς δὲ τὴν Ἰταλίαν ἀποδημῆσαι θελήσαντι αὐτῷ τὸν Ἰόνιον συνδιέπλευσα καὶ τὰ τελευταῖα μέχρι τῆς Κελτικῆς συναπάρασα εὐπορεῖσθαι ἐποίησα.
  89. Apologie pour les salariés, 15, adressée à Sabinus : ὃν (moi que) πρὸ πολλοῦ ᾔδεις ἐπὶ ῥητρορικῇ δημοσίᾳ μεγίστας μισθοφορὰς ἐνεγκάμενον, ὁπότε κατὰ θέαν τοῦ ἐσπερίου ὠκεανοῦ καὶ τὴν Κελτικὴν ἅμα ἐπιὼν ἐνέτυχες ἡμῖν τοῖς μεγαλομίσθοις τῶν σοφιστῶν ἐναριθμουμένοις.
  90. Cela est prouvé par les allusions contenues dans les Portraits, la Défense des Portraits et le traité sur la Manière d’écrire l’histoire. Voir M. Croiset, Observations sur deux dialogues de Lucien (Ann. de l’assoc. pour l’encouragement des Études gr., 1879).
  91. Songe, 18.
  92. Alexandre, 56. Cf. Peregrinus, 42.
  93. Cela résulte principalement des allusions dont ses Dialogues fourmillent. Ils sont pleins des choses d’Athènes.
  94. Double accusation, tout le dialogue ; Maître de rhétorique, fin ; Pêcheur, c. 25.
  95. Déf. des Portraits, 14, Pêcheur, 44-45, et surtout 26-27, et Apologie pour les Salariés, 3.
  96. Mêmes passages du Pêcheur, notamment 27, où il atteste le grand succès des Sectes à l’encan.
  97. Tela Cronios (Mort de Peregrinus, 1 et 43) et Celse, (Alexandre, 1 et 61).
  98. Dionysos, 6 ; Hercule, 7 ; Excuse pour un mot dit de travers, 1.
  99. Apologie pour les salariés, c. 9-12.
  100. Ibid., 12 : Καὶ τὰ μετὰ ταῦτα δὲ οὐ φαῦλαι ἐλπίδες, εἰ τὰ εἰκότα γίγνοιτο, ἀλλ’ ἔθνος ἐπιτραπῆναι ἤ τινας ἄλλας πράξεις βασιλικάς.
  101. Lors de la mort de Peregrinus, il avait failli, nous dit-il en riant, être déchiré par eux. Peregr., c. 2 : Καὶ τὰ μετὰ ταῦτα δὲ οὐ φαῦλαι ἐλπίδες, εἰ τὰ εἰκότα γίγνοιτο, ἀλλ’ ἔθνος ἐπιτραπῆναι ἤ τινας ἄλλας πράξεις βασιλικάς.
  102. Lucien lui-même cite (Démonax, c. I) une biographie du béotien Sostratos.
  103. Imitations des Byzantins, voir Krumbacher, Gesch. d. Byzant. Liter., no 91, 95, 106, 197 (42). Cf. Hase, Notices et Extraits, t. IX (1813) 2, p. 129, qui signale beaucoup d’imitations encore inédites.
  104. Kayser, Philostr., Vitæ sophist., préf. p. xxxiii, Heidelberg, 1838.
  105. Voy. Athénée, p. 506 c, d’après Nicias de Nicée, et Diog. L., III, 62, d’après Favorinus.
  106. Krumbacher, ouv. cité, no 91.
  107. C. F. Ranke, Lukian und Polluz, p. 16.
  108. C’est ainsi par exemple que le Démonax, dans toute la seconde partie, semble démentir son origine ; ce n’est qu’une collection de mots et d’anecdotes ; mais, à prendre l’œuvre dans son ensemble, on y reconnaît Lucien à bien des traits ; et dès lors, on peut supposer, ou qu’elle n’a pas été achevée, ou plutôt qu’elle a été abrégée et remaniée ; voir Schwarz, Uber Lukians Demonax. Zeitschr. f. osterr. Gymnas. 1878, p. 561, et Ziegeler, Jahrb. f. Philol., 1881, p. 327. — Quant à mettre en doute l’authenticité d’une œuvre telle que le Peregrinus (Cockerill. Peregrinus Proteus, Edinburgh, 1819), c’est, à mon avis, prendre parti contre l’évidence même.
  109. Maurice Croiset, Essai s. Lucien, c. II.
  110. Wetzlar, Commentatio de Luciani ætate, vita et scriptis, Marburg, 1833. M. Croiset, le Nigrinus de Lucien, Mém. de l’Ac. des Sc. et Lettres de Montpellier, t. VI.
  111. Hermot., c. 44.
  112. Double accus., c. 32 : Ἀνδρὶ ἤδη τετταράκοντα ἔτη σχεδὸν γεγονότι.
  113. On sait que le même récit a été traité en latin, non sans d’importantes variations, par Apulée. Les deux écrivains semblent indépendants l’un de l’autre ; mais la question de leurs rapports mutuels, et avec Lucius de Patras, est un sujet de controverses. Voir surtout : Teuffel. Stud. und Characteristiken (2e éd.), p. 312 ; E. Rohde, Ueber Lucians Schrift Λούκιος, Leipzig, 1869 ; K. Bürger, De Lucio Patrensi, Berlin, 1887 ; H. Dec, De ratione inter Ps. Luciani Asinum et Apul. metamorph., Leiden, 1891.
  114. Double accusation, c. 31.
  115. Pêcheur, c. 20.
  116. Zeus tragédien, fin.
  117. A. Du Mesnil, Grammaticæ, quam Lucianus in scriptis suis secutus sit, ratio cum antiquorum atticorum ratione comparatur, Stolpe. 1867 ; Sam. Chabert, l’Atticisme de Lucien, Paris, 1897.
  118. H. Blümner, De locis Luciani adartem spectantibus, Berlin, 1866 ; Archaeologische Studien zu Lucian, Breslau, 1867.
  119. Rabasté, Quid comicis debuerit Lucianus, Paris, 1856.
  120. Sur Alciphron, voir l’art. de Passow dans l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber (Cf. Vermischte Schriften, p. 91 et suiv.), et celui de W. Schmid, dans l’Encyclop. de Pauly-Wissowa.
  121. Comparer aussi la lettre III, 40 et le début du Coq.
  122. La division en trois livres remonte à Bergler qui édita les lettres d’Alciphron au xviiie siècle (Leipzig, 1715). L’édition princeps (Collectio epist. graec. aldina, Venise, 1499) ne contenait que les deux premiers livres. Bergler a formé le 3e livre de lettres découvertes par lui dans des mss. de Vienne et du Vatican. D’autres encore encore ont été ajoutées depuis à la collection par Wagner, Abresch, Soiler.
  123. Lettre de Ménandre à Glycère, II, 3 ; de Glycère à Ménandre, II, 4.
  124. V. des Soph., I, 21, 9.
  125. Suidas, Ἀρριανὸς ἐποποιός. Étienne de Byz., v. Σάνεια et Ἄστραια.
  126. Ét. de Byz., v. Κάσπειρος. Fragm. dans Bernhardy, Dionys. Perieg. p. 515-547.
  127. Des Λιθιακά, des Ὀρνιθιακά, des Ἰξευτικά (Suidas), dont nous possédons encore une paraphrase en prose, Didot, Poet. bucol., p. 407 ; Schol. Harleian. ad Odyss. X, 323, Le scol. de Denys le Périégète at- tribue ces poèmes à son auteur (éd. C. Müller, p. 427) ; mais cette opinion est réfutée par Eustathe, Comment. de Denys le Périég., p. 81.
  128. On a longtemps multiplié les conjectures sur son origine et sur le temps où il a vécu. Ces doutes ont été levés par une petite découverte de Leue, Philol. 42, 175. Les vers 112-134 forment un acrostiche qui se lit : Διουσιίου (sic) τῶν ἐντὸς Φάρου (fils de Dionysios d’Alexandrie) ; et les vers 522-532 en forment un autre qui donne : Ἐπὶ Ἁδριανοῦ. Cf. scol. éd. C. Müller, p. 427.
  129. Suidas, Διονύσιος Ἀλεξανδρεὺς ὁ Γλαύκου υἱός.
  130. Ces traductions, avec la paraphrase latine, le commentaire d’Eustathe et les scolies, font suite au texte de la Περιήγησις, dans l’édition de C. Müller, Geogr. gr. minores, t. II.
  131. Suidas, Μάρκελλος Σιδήτης.
  132. Poetæ bucolic. et didact., Didot, p. 169.
  133. Ibid., p. 173.
  134. Nous avons quatre notices biographiques sur Oppien (Westermann, βιογράφοι, p. 63-68). Trois d’entre elles, qui sont d’ailleurs identiques quant au fond, le font vivre par erreur au temps de Sévère et de Caracalla. Suidas, seul, le met à sa vraie date, qui est attestée par de fréquentes allusions des Ἁλιευτικά. Il y a peu de fond à faire sur les récits des autres biographes. Ils nous racontent que le père d’Oppien, Agésilas, riche et philosophe, fut exilé à Malte par Sévère, mais qu’après la mort de Sévère, Oppien obtint de Caracalla la grâce de son père. Cela s’applique peut-être à un autre Oppien, auteur des Cynégétiques.
  135. Voir les biographies, en particulier celle de Constantin Manassès en vers politiques.
  136. Cynégét. 1, début. Les vers 4 et suiv., qui contiennent l’éloge de Julia Domna, semblent indiquer que le poème a été composé pour la petite cour lettrée que cette impératrice avait formée.
  137. Lehrs, Quæstiones epicæ, V (De Halieuticorum et Cynegeticorum discrepantia).
  138. Les mêmes biographes attribuent aussi à un Oppien, quel qu’il soit, un poème Sur la chasse à la glu (Ἰξευτικά), que nous n’avons plus ; peut-être n’y a-t-il là qu’une confusion avec le poème analogue de Denys de Samos, signalé plus haut (p. 619) comme auteur de diverses compositions didactiques.
  139. Suidas, art.  Βαβρίας ἢ Βάβριος, ne nous apprend que le titre et le contenu de son livre. Voir l’art.  de O. Crusius dans l’encyclop. de Pauly-Wissowa ; on y trouvera toute la bibliographie du sujet.
  140. Les Byzantins ont tiré du génitif Βαβρίου les deux formes de nominatif Βαβρίας et Βάβριος. Mais Avianus, au ive ou au ve siècle, le nomme Babrius (Préf. de ses Fables) ; nom latin, qui semble identique à Barbius. D’après le titre conservé dans le Harleianus 3521, le nom complet était Valerius Babrius (dont le ms. de l’Athos a fait Βαλεβρίου pour Βαλερίου Βαβρίου).
  141. Crusius, De Babrii ætate, 114 et suiv., 180 et suiv.
  142. Voir les témoignages réunis en tête de l’édition de Crusius.
  143. Voir les témoignages dans l’édition de Crusius. Le plus ancien est celui du Pseudo-Dosithée, qui, au commencement du iiie siècle, fait figurer deux fables de Babrius dans ses Ἑρμηνεύματα.
  144. On a voulu y reconnaître tour à tour Alexandre fils d’Antoine et Cléopâtre, Alexandre petit-fils d’Hérode et roi en Cilicie sous Vespasien, Caracalla, Alexandre Sévère, etc.
  145. Elle paraît toutefois marquer deux époques dans la manière de Babrius et répondre à deux publications successives.
  146. Voir la Bibliographie en tête du chapitre, p. 545.
  147. Lachmann, Préface de son édition ; Ahrens, Philol., LIII, 214.
  148. Th. Zachariæ, De dictione Babriana, Leipzig, 1875.
  149. Chr. Petersen, Philol. XXVII, p. 385 et suiv.
  150. Abel, Orphica, Leipzig, 1885, p. 55-102.
  151. Suidas, Μεσομήδης.
  152. Ces trois hymnes se trouvent, avec leur notation, dans Westphal, Metrik, I1, Anhang, p. 54 et suiv. Cf. pour l’hymne de Mésomédès, Jacobs, Anthol., III, p. 6, et IX, p. 341.
  153. Suidas, Διογενειανὸς. Jacobs, Anthol., Prolég. I, p. xlvi.
  154. Artémidore, Des songes, IV, 53 ; Philostrate, Vies des Soph. I, 27, 3. Cf. II, 46, où il parle de la société des artistes dionysiaques de Rome (Haigh, Tragic drama, p. 456).
  155. Welcker, Griech. Tragoed., p. 1323, semble attribuer aussi des tragédies aux sophistes Nikétès et Scopélianos en se fondant sur Philostrate, I, 21, 5 ; il y a là une erreur ; Philostrate dit simplement que Nikétès et Scopélianos étaient grands lecteurs de tragédies.
  156. Suidas, Ἀλέξανδρος Αἰγαῖος et Νουμήνιος. — Pauly-Wissowa, Alexandros, no 96.
  157. Walz, Rhet. Gr. IX, 331-339 ; Spengel, Rhet. Gr. III, 1, 6.
  158. Kayser, Jahrb. f. Philol., LXX, 1854, p. 295.
  159. Walz, VIII, p. 421 sqq. Spengel, III, 9 sqq. Steusloff, Quibus de causis Alexandri Numenii liber putandus sit spurius, etc. Breslau, 1861. — Nous en avons un autre abrégé dans le traité d’Aquila Romanus, De figuris sententiarum et elocutionis ; plusieurs traités analogues proviennent de la même source (Pauly-Wissowa, art.  cité).
  160. Publié pour la première fois en 1840 par Séguier de Saint-Brisson d’après le Parisinus no 1874 (Notices et Extraits, XIV, 2). Spengel, Rhet. Gr. I, 427-460. — Voir Pauly-Wissowa, art.  Anonymi, 8, I, c. 2. (2328). — Éd. récente, Græven, Cornuti artis rhetoricæ epitome, Berlin, 1391.
  161. Suidas, Ἀλεξανδρεύς, Théon est en tout cas postérieur à Théodore de Gadara qu’il cite (c. 42) et antérieur à Hermogène qu’il ne nomme nulle part.
  162. Walz, t. I, p. 145 ; Spengel, t. II, p. 59.
  163. Philostr., V. des Soph. II, 7 ; Suidas, Ἑρμογένης.
  164. Philostrate rapporte une phrase de cette improvisation, dont il note le mauvais goût :Ἰδού σοι, βασιλεῦ, ῥήτωρ παιδαγωγοῦ δεόμενος, ρήτωρ ἡλικίαν περιμένων.
  165. Εἶς τῶν πολλῶν νομιζόμενος, dit Philostrate. Cela ne permet guère de croire, comme l’affirme Suidas, qu’Hermogène fût tombé en enfance à 24 ans (περὶ τὰ κδ’ ἕτη ἐξέστη τῶν φρενῶν). Philostrate dit simplement qu’à l’âge d’homme il perdit son aptitude à improviser (ἀφῃρέθη τὴν ἕξιν) ; il continua à faire le métier de sophiste, seulement il le fit avec un succès médiocre ; un de ses rivaux, Antiochus, l’appelait ὁ ἐν παισὶ γέρων, ἐν δὲ γηράσσκουσι παῖς.. Plus tard, une sorte de légende se forma à son sujet : et peut-être ce bon mot, qui n’était qu’une méchanceté, en fut-il l’origine.
  166. Spengel, Rh. gr. t. II, p. 3-18. Walz, t. I, p. 9 sqq. Les Progymmasmata d’Hermogène semblent avoir été le moins estimé de ses ouvrages. Un scoliaste les qualifie d’obscurs (ἀσαφῆ καὶ δύσληπτα), il leur reproche de manquer d’exemples (ἀπαραδειγμάτιστα).
  167. Walz, III, 1 ; Spengel, II, 133.
  168. Sur cette doctrine des στάσεις, et en général sur toute cette rhétorique technique, l’ouvrage à consulter est Volkmann, Die Rhetorik d. Griechen und Römer. Leipzig, 2e éd. 1885 (abrégée dans le Manuel d’Iwan Müller, t. II).
  169. Περὶ ἰδεῶν, (p. 267 Spengel) : Οὐδὲ γὰρ ἔστιν ὅστις πρὸ ἡμῶν ὅσα ἐμέ γινώσκειν εἰς τήδε τὴν ἡμέραν ἀκριβές τι περὶ τούτων πραγματευσάμενός φαίνεται.
  170. Suidas, Μητροφάνης Εὐκαρπίας.
  171. Dernière édition : Hugo Rabe, Syriani in Hermogenem commentaria (Bibl. Teubner), 1894.
  172. Leurs commentaires ont été recueillis, au moins partiellement, dans les Rhet. græci de Walz.
  173. Suidas, Ἀπολλώνιος ; Βίος anonyme. É. Egger, Apollonius Dyscole, Essai sur l’histoire des théories grammaticales dans l’antiquité, Paris, 1854. — Pauly-Wissowa, Apollonius, 81, article substantiel de Cohn, contenant une bonne bibliographie.
  174. Voir par exemple (Syntaxe, I, p. 23 Bekker) comment il réfute ceux qui pensaient que l’article servait à « distinguer les genres », et du même coup pose en principe que chaque partie du discours procède d’une idée qui lui est propre : Ἕκαστον δὲ αὐτῶν ἐξ ἰδίας ἐννοίας ἀνάγεται. Ibid. p. 26 : « Le propre de l’article, c’est un rapport qui consiste à représenter une personne dont on a parlé précédemment » (ἔστιν οὖν ἴδιον ἄρθρου ἡ ἀναφορά ἣ ἐστι προκατειλεγμένου προσώπου παραστατική), et, partant de là, il montre que ce rapport se retrouve lorsqu’on parle d’une personne connue, lorsqu’on mentionne le genre entier, etc.
  175. En particulier, les Institutiones grammaticæ de Priscien.
  176. Suidas, Ἡρωδιανός ; Poblocki, De Herodiani vita, ingenio, scriptis, 1864. Priscien l’appelle Maximus auctor artis grammaticæ.
  177. Ces écrits ne semblent pas avoir constitué plus que ceux d’Apollonios un corps de grammaire.
  178. Sur les figures (Περὶ σχημάτων), Sur les fautes de langue (Περὶ ἡμαρτημένων λέξεων), etc. Le Φιλέταιρος est une simple liste de mots et de formes à préférer ou à éviter.
  179. Lehrs, De Arist. stud. homer., p. 34.
  180. Suidas, Νικάνωρ ὁ Ἑρμείου. Ét. de Byz., v. Ἄθριβις.
  181. Bachmann, Anecd., II, p. 753. Schol. in Dionys. Thrac., p. 163.
  182. Friedlaender, Nicanoris Περὶ Ἰλιακῆς στιγμῆς reliquiæ, Kœnigsberg, 1850.
  183. Fragments historiques dans C. Muller, Fr. Hist. græc. II, p. 632.
  184. E. Meyer, De lexicis rhetoricis, Opusc. Acad. II.
  185. Photius, cod. 156 ; Athénée, VII, p. 239 et XIV, p. 662. Ét. de Byz., v. Ἀσκάλων. Cf. Eust. ad Iliad. 23, 230 ; Schol. Hom. Il. X, 352 ; Athén. IX, p. 409 et XI, p. 481 D. Cf. C. Müller, Scriptor. Alex. Magni, p. 155, dans l’Arrien de Didot.
  186. Ét. de Byzance, Νίκαια, et Θυάτειρα. Athén., XV, p. 678. Harpocration, v. Μέδιμνος, Τριπτῆρα, Θυργωνίδαι.
  187. Suidas, Εἰρηναῖος et Πακᾶτος.
  188. Suidas, à propos du premier Denys d‘Halicarnasse (v. Διονύσιος Ἀλεξάνδρου), mentionne celui-ci, qu’il appelle « l’atticiste », comme son descendant.
  189. Galien, t. VII, p. 450. Suidas, Παυσανίας ; notice où le lexique n’est pas mentionné.
  190. Rindfleisch, De Pausaniæ et Ælii Dionysii lexicis rhetoricis, Kœnigsberg, 1866, dissertation à laquelle sont joints les fragments des deux lexicographes.
  191. Suidas. Οὐηστῖνος, cf. CIG, no 5900.
  192. Suidas, Πωλίων Ἀλεξανδρεύς. Photius. cod. 140.
  193. Suidas, même article ; Photius, cod. 150.
  194. Photius, cod. 150.
  195. Suidas, Φρύνιχος Βιθυνός. Photius, cod. 158, nous donna quelques renseignements de plus sur lui. Il l’appelle Φρύνιχος Ἀράβιος. J. Bronous, De Phrynicho atticista, Montpellier, 1895.
  196. Selon Suidas, 47 ou même 74. Mais il y a la probablement erreur, ou bien Suidas fait allusion a une édition autrement divisée ; car le sommaire de Photius va de Α à Ω, et il nous apprend d’ailleurs que le nombre 37 était indiqué par l’auteur lui-même dans la préface.
  197. Publié par Bekker dans les Anecdota, I, p. 1-74, d’aprés le ms. Coislinianus 345 de la Bibl. nationale.
  198. Phot. cod. Ἔστι δὲ τὸ βιβλίον λέξεων τε συναγωγὴ καὶ λόγων κομματικῶν, ἐνίων δὲ καὶ εἰς κῶλα παρατεινομένων, τῶν χαριέντως τε καὶ καινοπρεπῶς εἰρημένων τε καὶ συντεταγμένων.
  199. Pour le composer, Phrynichos avait profité des travaux de ses prédécesseurs, notamment de ceux d’Ælios Dionysios, mais il n’est pas douteux qu’il n’en eut tiré la plus grande partie de ses notes personnelles.
  200. Ecloga, Préface et no 356.
  201. Les principaux mss. sont un Mediceus et le Marcianus 486, Éd. princ., Rome, 1547. Éditions de Lobeck, avec les notes de divers philologues, Leipzig, 1820, et de Rutherford, The New Phrynichos, Londres, 1881, avec d’intéressantes remarques, qui sont parfois de vraies dissertations sur divers points de langue ou de grammaire.
  202. Critique de Favorinus, n. 97, 189, 171, etc. ; d’Antiochus, 175 ; de Plutarque, 166 ; de Lollianos, 159 ; 147 ; de Polémon, 147 et 395 ; d’Hypéride, 313 ; de Théophraste, 320 ; d’Alexis, 349, 348 ; de Ménandre, 341, 366, 498, 397, etc., et surtout 398, où il exhale sa mauvaise humeur contre lui.
  203. Photius, cod. 151.
  204. Le meilleur ms. est le Coislinianus 345, Édit. princ. de Hudson, Oxford, 1142. Édition annotée, de Pierson, Lahaye, 1159. Éditions de Jacobitz, Leipzig, 1830 ; de Koch, Leipzig, 183 ; de Bekker, Berlin, 1833.
  205. Suidas, Ὠρίων Ἀλεξανδρεύς. Suidas paraît avoir fait une confusion entre les noms d’Oros et d’Orion. Fr. Ritschl, De Oro et Orione, 1834 ; Hiller, Die Zeit des Grammat. Oros, Jahrb. f. class. Philol., 1869.
  206. Bekker, Anecd., t. I, no 2.
  207. Suidas, Διογενειανός. Sur le recueil de proverbes qui lui est attribué, voir plus loin.
  208. Suidas, Τήλεφος Περγαμηνός ; Spartien, Verus, c. 2. Suidas donne la liste détaillée de ses ouvrages.
  209. Suidas, Ἥρων Κότυος.
  210. Suidas, Παλαμήδης Ἐλεατικός. Athén. IX, 397. — Citations dans Etym. magn. Ἁρμάτειον μέλος. Schol. Arist. Paix, 882, 922 ; Guêpes, 710 ; Plutus, 313. Schol. Apoll. Rhod. I, 704 ; III, 106.
  211. Suidas, Πολυδεύκης Ναυκρατίτης. Philostrate, V. des Soph., II, 12.
  212. Hemsterhuis, Préf. de son édition. E. Ranke, De Polluce et Luciano, Quedlinbourg, 1831.
  213. Pass. cité : τὰ μὲν κριτικὰ ἱκανῶς ἠσκεῖτο…, τοὺς δὲ σοφιστικοὺς τῶν λόγων τόλμῃ μᾶλλον ἢ τέχνῃ ξυνέβαλλε θαρρήσας τῇ φύσει.
  214. Signalons spécialement le livre IV, qui traite de la musique, de la danse, du théâtre etc., le livre IX, où il énumère les monnaies (c. 51 et suivants).
  215. Un manuel de conversation grec-latin, intitulé Ἑρμηνεύματα, a été attribué par Boucherie à J. Pollux (Notices et extraits, t. XXII, p. 329) ; on l’attribuait auparavant à Dosithéos. Krumbacher a démontré que ni l’une ni l’autre de ces attributions n’était justifiée ; l’ouvrage est, selon lui, d’un inconnu du début du iiie siècle (Krumbacher, De codicibus quibus interpretamenta pseudodositheana nobis tradita sunt, Munich, 1883). Il n’est d’ailleurs intéressant que pour l’histoire de la langue.
  216. Suidas, Ἁρποκρατίων ὁ Βαλέριος. On peut se demander si Suidas, en cette circonstance comme en d’autres, n’a pas fait plusieurs personnages distincts d’un seul. Le sophiste Ælius Harpocration et le grammairien Caius Harpocration, qu’il distingue de Valérius Harpocration, se seraient pourtant, d’après lui, tous occupés spécialement des orateurs attiques. Cela est assez étonnant.
  217. E. Meier, De ætate Harpocrationis commentatiuncula, 1843 et 1855 (Opusc. Acad., t. II), faisait d’Harpocration un contemporain de Tibère ; Bernhardy, Quæstionum de Harpocr. ætate auctarium, Halle, 1856, la place au temps d’Adrien ; Dindorf, Préface de son édition, à la fin du second siècle ; H. de Valois (Préf. de l’édit. de Gronovius, Leyde, 1682), au temps de Libanios.
  218. Une scolie de l’Iliade (Venet. A, ch. X, 453) porte : Ταῦτα ἱστορεῖ Ἁρποκρατίων ὁ Δίου διδάσκαλος ἐν ποιήματι τῆς ί. Il y a sans doute lieu de lire avec Bast ἐν ποιήματι τῆς ί, c’est-à-dire dans son commentaire sur le xe chant ; mais, au lieu de Δίου, personnage inconnu, ne devrait-on pas lire Αἰλίου (Οὐήρου) ?
  219. Il est vrai qu’il ne cite ni grammairien ni lexicographe qui semble postérieur au temps d’Auguste ; mais cela s’explique aisément, si l’on songe que depuis ce temps il n’y avait guère eu de travail original sur les orateurs.
  220. Suidas attribue à Val. Harpocration une Anthologie (Ἀνθηρῶν συναγωγή). Il attribue à Caius Harpocration des traités sur Antiphon, Hypéride et Lysias ; à Ælius Harpocration, des écrits sur les orateurs, sur Hérodote, sur Xénophon, sur la rhétorique.
  221. Voir la bibliographie en tête du chapitre.
  222. Suidas, Ζηνόβιος.
  223. Suidas, Δράκων Στρατονικεύς.
  224. Draconis Liber de Metris poeticis, ed. G. Hermann, Leipzig, 1812. Sur la falsification, voir Voltz, De Helia monacho, Isaaco monacho, Pseudo-Dracone, 1886.
  225. Jul. Capitol., Verus, 2. Suidas, Ἡφαιστίων.
  226. Bibliographie en tête de ce chapitre.
  227. Prolégom., fr. 40, Westphal.
  228. Les deux opuscules d’Héphestion nous sont parvenus accompagnés de scolies, qui proviennent d’une double origine ; on les désigne sous le titre de scolies A et scolies B. Les scolies A, plus anciennes, ont presque pour nous la valeur d’un ouvrage original. (Westphal, Préf. p. 7.)
  229. Suidas, Διονύσιος Ἁλικαρνασσεύς. Il n’y a pas de raison bien probante pour l’identifier à l’atticiste Ælios Dionysos, sinon que celui-ci était sophiste aussi, qu’il vivait aussi sous Adrien, et qu’il était peut-être aussi d’Halicarnasse, puisque Suidas dit qu’il descendait du critique contemporain d’Auguste. Mais Suidas distingue ces deux Denys.
  230. Phot. cod. 161.
  231. Suidas, Ἡρωδιανός Σωτερίδας.
  232. Les œuvres des musicographes grecs ont été publiées par Meibom, Antiquæ musicæ auctores septem, Amsterdam, 1652, Aujourd’hui, l’édition à employer est celle de C. von Jan dans le bibliothèque Teubner, Musici græci, Leipzig 1805.
  233. Art. Alypios de C. von Jan dans Pauly-Wissowa.
  234. Art. Bakchios, ibid. Trad. Ruelle (Alypios et Bacchios), Paris, 1895.
  235. A. Jahn, préf. de son édition d’Aristide.
  236. Art. Aristides Quintilianus de C. von Jan dans Pauly-Wissowa.
  237. Outre l’édition de Meibom, il faut citer pour Aristide Quintilien l’édition partielle de Westphal, dans sa Métrique, I (1867) et l’édition complète de Alb. Jahn, Berlin, 1882.