Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand/Édition Garnier/Avertissement de Beuchot

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Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le GrandGarniertome 16 (p. 373-376).


AVERTISSEMENT

DE BEUCHOT.

Voltaire, qui avait, en 1731, publié son Histoire de Charles XII, pensait, quelques années après, à devenir l’historien de Pierre Ier, empereur de Russie, le rival du roi de Suède. On le voit, en 1737, prier Frédéric, prince royal de Prusse, de transmettre à un agent qu’il avait en Russie une série de questions[1]. Plusieurs autres lettres, soit de Frédéric, soit de Voltaire[2], prouvent l’existence d’un projet que Voltaire n’avait pas encore exécuté, et peut-être même avait abandonné, lorsqu’en 1748 il publia les Anecdotes sur le czar Pierre le Grand[3].

Mais, lorsqu’en 1757 le comte Schouvaloff se fut mis en correspondance avec Voltaire, et l’eut engagé à écrire l’Histoire de Pierre Ier, le philosophe de Ferney se rendit promptement à ses désirs.

La première partie de l’Histoire de Russie sous Pierre le Grand fut imprimée en 1759[4], et c’est la date que porte l’édition originale. Toutefois, la publication n’eut lieu que l’année suivante, parce que l’auteur attendait le consentement de la cour de Pétersbourg[5], où son volume fut gardé un an[6]. Avant l’impression, Voltaire avait déjà envoyé en Russie son ouvrage manuscrit ; on le soumit à Lomonossoff, homme non moins remarquable par ses talents que par ses connaissances, et auteur d’une Pétréide, poëme en deux chants. Quelques-unes des observations de Lomonossoff, publiées dans le Télégraphe de Moscou, n° 6 de 1828, ont été reproduites, la même année, dans le septième cahier du Bulletin du Nord, journal scientifique et littéraire, imprimé en la même ville.

Parmi les remarques de Lomonossoff il en est une qui porte sur ces paroles du chapitre II, page 423 : « C’est d’un homme devenu patriarche de toutes les Russies que Pierre le Grand descendait en droite ligne. » C’est juste, dit Lomonossoff ; mais Pierre le Grand ne fut pas czar par la raison que son grand-père avait été patriarche. Voltaire n’a tenu aucun compte de cette critique ; mais il a fait son profit de toutes les autres, à en juger par celles qui sont conservées dans les journaux russes dont j’ai parlé.

Le volume de 1739 avait une préface divisée en six paragraphes. Le premier a été changé et divisé en deux : les autres forment à présent les paragraphes iii à vii de la Préface historique et critique.

L’ouvrage était en circulation depuis peu de temps, lorsqu’on vit paraître une Lettre du czar Pierre à M. de Voltaire sur son Histoire de Russie, 1761, in-12 de 39 pages. Ce pamphlet, sorti des presses de Dalles, à Toulouse, avait pour auteur La Beaumelle, qui depuis longtemps s’acharnait sur Voltaire, et qui, suivant son usage, remplit son écrit de passion et de personnalités.

Dans sa lettre à Schouvaloff, du 11 juin 1761, Voltaire accuse réception de Remarques sur le premier tome de l’Histoire de Russie. Ces remarques avaient été imprimées, en 1760 et 1761, dans les premier et deuxième volumes du Nouveau Magasin des sciences utiles, qui se publiait à Hambourg ; elles sont de Gérard-Frédéric Muller, né en 1705, mort en 1783[7]. Voltaire ne savait pas qui en était l’auteur ; mais à sa manière d’écrire certains noms, à sa prodigalité des s, c, k, h, il pensait que ce devait être un Allemand : il ne se trompait pas, comme on voit ; et, plus piqué que convaincu de ses critiques, il lui souhaitait plus d’esprit et moins de consonnes.

C’est probablement de la même main que sont les Observations extraites d’un journal de Hambourg, rapportées dans le Journal encyclopédique, du 1er décembre 1762, avec des notes qui semblent avoir été dictées par Voltaire. C’est à quelques-unes de ces observations que répondait Voltaire dans le passage qui fait partie de la note de la page 389.

La seconde partie de l’Histoire de Russie ne vit le jour qu’en 1763. L’auteur, pour la terminer, interrompit ses Commentaires sur Corneille. En tête de cette seconde partie était une préface intitulée Au lecteur, dont la partie conservée forme, depuis 1768, le paragraphe viii de la Préface historique et critique de Voltaire (voyez pages 389 et suivantes). J’ai mis en variante la partie qui avait été retranchée, lorsqu’en 1768 l’auteur fondit en une seule les deux préfaces de 1759 et 1763.

C’est dans la préface de 1763 (aujourd’hui paragraphe viii) qu’il est question de l’exil en Sibérie de Charles de Talleyrand, prince de Chalais. Voltaire discute et conteste l’ambassade auprès d’Ivan Basilovitz, dont on prétend que Charles de Talleyrand fut chargé. Malgré les justes raisonnements de Voltaire, cette fable a été répétée depuis. P.-C. Levesque, qui, auteur d’une Histoire de Russie, n’était pas fâché de prendre Voltaire en défaut, a lu, en 1796, à l’institut, un mémoire sur les anciennes relations de la France avec la Russie, et il fait tout son possible pour accréditer le récit d’Oléarius sur l’ambassade et l’exil de Talleyrand. Or, de ces deux circonstances, l’exil n’est contesté ni par Voltaire ni par personne. La difficulté réelle porte uniquement sur le titre d’ambassadeur du roi de France, donné par Oléarius à Talleyrand. Ce titre ayant encore été donné à Talleyrand, dans un article d’un journal français, du 29 mars 1827, le prince russe A. Labanoff publia une Lettre à M. le rédacteur du Globe, au sujet de la prétendue ambassade en Russie de Charles de Talleyrand, Paris, F. Didot, in-8° ; seconde édition, augmentée d’un post-scriptum, contenant une Lettre de Louis XIII, 1828, in-8°. Le prince Labanoff appuie l’opinion de Voltaire, et réfute celle de Levesque. La question de l’ambassade est tranchée par la lettre de Louis XIII, du 3 mars 1635, adressée à l’empereur et grand-duc Michel Fœdorovitz. Le roi de France réclame Talleyrand comme son sujet, mais dit qu’il était arrivé à Moscou de la part de Belhlem Gabor. C’était donc de Bethlem Gabor (prince de Transylvanie, comme le dit le prince Labanoff), et non du roi de France, que Talleyrand tenait sa mission ou ambassade.

La lettre de Louis XIII avait été publiée, en 1782, avec des Éclaircissements, par G.-F. Muller, dans le tome XVI du Magasin pour l’histoire et la géographie, par Busching ; l’article est intitulé Éclaircissements sur une lettre du roi de France Louis XIII, etc. Ces Éclaircissements, publiés peu avant la mort de Muller, mais quatre ans après celle de Voltaire, qui ne pouvait ni en profiter ni y répondre, ont dû cependant être écrits en 1763, puisque Muller parle du tome second de l’Histoire de Russie, comme venant de paraître. L’humeur contre Voltaire perce à chaque phrase, et va (page 351) jusqu’à reprocher à Voltaire de répéter la fable du chapeau cloué sur la tête d’un ambassadeur. Lorsque Voltaire parla, en 1739 (voyez pages 420-421), du chapeau cloué, ce fut comme d’un conte ; lorsqu’il en parla en 1763 (voyez page 391], ce fut comme d’un mensonge. Je ne prétends pas que Voltaire soit infaillible ; mais on voit que parfois ses détracteurs sont bien injustes.

La première partie de l’Histoire de Russie avait dix-neuf chapitres ; la seconde n’en a que seize, mais ils sont suivis de Pièces justificatives concernant cette histoire.

Une critique de la seconde partie se trouve dans le recueil allemand de Busching, ayant pour titre : Pièces et Nouvelles littéraires de la Russie, 1764.

Au chapitre iii de la seconde partie (voyez page 535). Voltaire cite, sans le nommer, un ministre dont on a imprimé des Mémoires sur la cour de Russie. Ce ministre doit être Weber, ambassadeur ou envoyé de Saxe. C’est du moins à ce Weber que Mylius (Bibl. anonymorum, n° 846, page 147, et n° 2370, page 302) attribue un ouvrage allemand, publié en 1721, in-4°, dont il existe deux traductions françaises : l’une sous le titre de Mémoires pour servir à l’histoire de l’empire russien, sous le règne de Pierre le Grand, La Haye, 1725, in-12 ; l’autre intitulée Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Grande-Russie ou Moscovie, Paris, 2 volumes in-12.

Palissot, qui a donné une édition peu estimée des Œuvres choisies de Voltaire en 55 volumes in-8°, a ajouté à l’Histoire de l’empire de Russie des notes qui lui avaient été fournies par P.-C. Levesque, dont j’ai parlé ci-dessus et page 439, et qu’il m’a semblé inutile de reproduire.

Dans la plupart des éditions, c’est à la suite de l’Histoire de Pierre le Grand qu’on a mis les Anecdotes sur ce prince. Ces deux ouvrages sur le même personnage ne sont aucunement liés l’un à l’autre. C’est donc dans les Mélanges, à la date de 1748, que nous avons placé les Anecdotes.
B.
Ce 20 décembre 1829.

  1. Lettre de mai 1737.
  2. Voyez, dans la Correspondance, les lettres de Frédéric des 6 mars, 6 août ; 12 et 19 novembre 1737 ; 26 janvier, 4 février, 28 mars 1738 ; et celles de Voltaire d’octobre 1737, janvier et avril 1738.
  3. Ces Anecdotes sont dans les Mélanges.
  4. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à M. Keat, du 20 juin 1759. (L. M.)
  5. Lettre de Voltaire à Tressan, du 23 septembre 1760.
  6. Lettre à Mairan, du 9 auguste 1760.
  7. C’est le même à qui est adressée la lettre latine qu’on trouvera dans la Correspondance, à la date du 28 juin 1746.