Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Pierre-le-Vieux

La bibliothèque libre.
H. Lardanchet (vol. IIp. 52-58).

SAINT-PIERRE-LE-VIEUX

Saint-Pierre-le-Vieux était situé, au sud et en dehors du cloître, vis-à-vis de l’archidiaconé ; les derniers vestiges en ont disparu en 1866. À ce moment, un fervent des choses lyonnaises, Paul Saint-Olive, en a dessiné quelques esquisses lesquelles appartiennent aujourd’hui à la bibliothèque du Palais Saint-Pierre ; l’une de ces esquisses a été gravée par Tournier et aussi jointe à la note publiée, la même année, par A. Vachez sur les familles Laurencin et Bellièvre. Rapprochées du plan scénographique, ces esquisses permettent de suivre les modifications apportées à l’aspect extérieur des bâtiments. Les grandes lignes en sont une tour carrée épaulée au levant de deux contreforts et de chaque côté de laquelle s’ouvre une baie ogivale ; au couchant, suit l’église elle-même. Celle-ci était de proportions fort restreintes ; elle mesurait à l’intérieur vingt mètres sur douze.

De longues années avant sa démolition, vraisemblablement au moment de sa vente comme bien national, l’église avait été dépouillée de tous les matériaux présentant quelque intérêt archéologique. Grâce à cet enlèvement, une partie de ceux-ci ont été conservés : Meynis indique comme en provenant « les colonnettes qui décorent aujourd’hui la chapelle de Saint-Martin d’Ainay », c’est-à-dire la chapelle Saint-Joseph ; le musée municipal possède de son côté, outre deux inscriptions funéraires à la mémoire l’une de Pierre Bullioud, décédé le 14 janvier 1575, l’autre de Claude Bellièvre, décédé en octobre 1557, un très curieux bas-relief qui surmontait le portail.

Cette pièce représente à gauche un monument octostyle, dont les colonnes libres et les arceaux à plein cintre supportent un dôme étagé ; à droite, un groupe est formé par saint Pierre tenant les clefs de la main droite, et, devant lui, un personnage, vraisemblablement l’artisan du monument. Une double légende accompagne ces figures, qui pourrait être d’un grand intérêt pour l’histoire de l’édifice si le sens n’en était presque incompréhensible. Artaud en a tenté une interprétation fort hasardée ; plus sage, Commarmond s’est borné à la publier, à peu près exactement

Le bas-relief ayant été reproduit tout entier en tête de notre notice, nous retiendrons seulement la dernière partie de la légende. Celle-ci semble pouvoir être interprétée : Hoc monumentum Villelmus Benedicti (fecit ou ædificare fecit), Guillaume, fils de Benoît, a édifié ou fait édifier ce monument. Si le monument figuré représente Saint-Pierre-le-Vieux, quel était ce Guillaume qui en fut l’artisan ? Le patronage de l’église appartint plus tard à l’archidiacre de Saint-Jean ; faut-il ciiercher cet artisan parmi les chanoines revêtus de cette dignité ? Un Guillaume de Coligny en exerça précisément les fonctions pendant de longues années à la fin du xiie siècle. Le nom de son père n’est pas connu, mais, nous ne croyons pas qu’il puisse être identifié avec le Guillaume du bas-relief. Du reste celui-ci n’est-il pas d’une époque antérieure ?

Nos vieux chroniqueurs lyonnais, réduits aux conjectures quant à l’origine de Saint-Pierre-le-Vieux, ont donné ample carrière à leur imagination toujours féconde. Bullioud, qui les résume, mentionne la légende qui rattache la construction de cette église au passage à Lyon de l’apôtre saint Paul. Ce serait sur les exhortations de celui-ci que les premiers chrétiens de la cité auraient élevé ce sanctuaire et l’auraient placé sous le vocable du prince des apôtres. Saint-Pierre-le-Vieux serait ainsi la seconde des églises lyonnaises ; la première étant celle édifiée en l’honneur de la Vierge Marie ; la troisième, construite peu après, aurait été dédiée à Paul de Tarse lui-même.

Sans faire cette version absolument sienne, Bullioud indique, comme témoignage de la très haute antiquité de Saint-Pierre-le-Vieux, la forme primitive du monument, — il n’observe pas que, quelques lignes plus bas, il mentionne des destructions et reconstructions successives, — la grossièreté des matériaux employés, la situation un peu cachée et presque souterraine, enfin l’existence de certaines pierres tumulaires si anciennes, dit-il, que le souvenir des familles auxquelles elles se référaient avait à peu près disparu. Et, comme la vanité ne perd jamais ses droits, il place, parmi ces très anciens monuments, « à la porte de l’entrée principale », celui des Bullioud. Sans remarquer qu’il parle lui-même d’une simple inscription familiale, cum insculpta parva gentilitia, il cite comme y figurant un Étienne en 1160 et, en 1250, Jean, capitaine et prévôt du cloître du palais de l’ archevêque Philippe de Savoie. L’inscription existait encore un xviie siècle, et Pernetti la rapporte : Tumulus famille Bollioud.

À côté des fantaisies que nous venons de rappeler, que sont les données de l’histoire ? Nulles, ou à peu près, il faut l’avouer. Dans un inventaire des reliques conservées à l’église Saint-Just, inventaire dressé vers le milieu du xiiie siècle, figurent des reliques de saint Péregrin, premier chapelain de l’église Saint-Pierre-le-Vieux, capellani primi ecclesie Sancti Petri Veteris Lugdunensis. Admettant cette mention avec les réserves qu’elle comporte, il faudrait donc placer à peu près à la même époque la construction de l’église et l’existence du saint prêtre lyonnais. Malheureusement la vie de ce dernier est aussi peu connue que l’histoire de l’église elle-même ; les Bollandistes, après avoir constaté le manque de documents, le font vivre au commencement du iiie siècle.

Saint-Pierre-le-Vieux en 1550, d’après le plan scénographique.

Même pour le moyen âge, les traces laissées par Saint-Pierre-le-Vieux sont insignifiantes. De l’absence presque complète de libéralités en sa faveur, on peut déduire que l’église n’avait alors qu’une importance bien secondaire. Une seule fois, au 28 mai, l’obituaire de Saint-Jean notant le décès de l’archiprêtre Pierre, peut-être Pierre de Briord, indique qu’il laissa à Saint-Pierre-le-Vieux unum tractorium. Il est juste d’observer toutefois que les libéralités, qui allaient en si grand nombre au chapelain de Saint-Romain, allaient aussi en un sens à Sainl-Pierre-le-Vieux, puisque ce chapelain assurait le service religieux des deux églises.

Il semble du reste qu’à cette époque elles ont fait l’une et l’autre partie intégrante d’une même organisation, Saint-Pierre-le-Vieux et son cimetière étant utilisés presque exclusivement pour les sépultures qui, on l’a vu, étaient interdites à Saint-Romain. De cette destination devait naître une conséquence, la construction à Saint-Pierre-le-Vieux de chapelles destinées par les familles notables à leur sépulture et la fondation de prébendes pour assurer le service de ces chapelles.

Dans son testament, en date du 1er juillet 1348, Guillaume de Montdidier, curé de Saint-Michel à Lyon, fait élection de sépulture dans le cimetière de Saint-Pierre-le-Vieux, « derrière la chapelle de la Sainte-Vierge ».

Un demi-siècle plus tard, ce même Guillaume de Rames qui édifiait à Saint-Romain une chapelle en l’honneur de Marie, en élevait une autre à Saint-Pierre-le-Vieux et la plaçait sous le double vocable de Notre-Dame et de saint Michel. Peu après, Pierre et Guillaume de Montpensier, tous deux panetiers, faisaient construire la chapelle Saint-Jacques et
Saint-Pierre-le-Vieux au xvie siècle.
Les remparts du cloître au midi, sur la rue Pisse-Truie. — Au premier plan, le cimetière Saint-Pierre-le-Vieux. — À gauche, les remparts et la tour de l’archidiaconé, près de la porte de Coligny. — Le point de vue est pris du commencement de la rue Saint-Pierre-le-Vieux : actuelle, autrefois prolongement de la rue Pisse-Truie.
Saint-Sébastien ; le 21 novembre 1411, ils traitaient pour son service avec le curé de Saint-Romain. Ici se place un de ces curieux incidents dont est semée l’histoire de tous les temps. Le 27 juin 1421, Pierre Bullioud, curé de Saint-Romain, se présentait au Chapitre de Lyon, accompagné de quelques-uns de ses paroissiens, et déclarait que, pendant la nuit, des malfaiteurs s’étaient introduits dans l’église Saint-Pierre-le-Vieux, y avaient enlevé des « images » et les avaient transportées à Sainte-Croix. L’explication fut fournie sur-le-champ par Pierre Farmond, lequel prétendit que les images avaient été déposées à Saint-Pierre-le-Vieux seulement à titre provisoire. Devant ces prétentions, les chanoines ordonnèrent une information.

Au commencement du xvie siècle, on trouve à Saint-Pierre-le-Vieux une chapelle du Saint-Sépulcre ; Girard Cusin, curé de Saint-Romain, y fonde deux messes par semaine le 28 janvier 1512. Un trésorier du Chapitre, Guillaume Perrinet, y avait établi aussi une prébende ; son décès est du 24 mars 1515.

En mai 1562, lors de la prise de Lyon par les protestants, Saint-Pierre-le-Vieux, comme Saint-Romain, dut payer aux vainqueurs un large tribut ; les autels furent complètement détruits, et de longues années s’écoulèrent avant qu’on pût songer à leur rétablissement. Vingt ans plus tard, le 5 septembre 1583, on posait la première pierre de la chapelle des Bellièvre. Nous avons déjà rappelé la publication par A. Vachez de la généalogie de cette famille ; nous nous bornerons dès lors à noter que, par son testament, en date du 10 août 1483, Barthélémy Bellièvre avait fondé une messe dans la chapelle Saint-Jacques et Saint-Sébastien. Ce fut le petit-fils de Barthélémy, Pompone, « celui des Bellièvre dont la haute fortune jeta le plus d’éclat sur le nom de cette noble famille », qui fit construire, « à droite en entrant », une chapelle « soubz le vocable et à l’honneur de M. Saint Claude, pour ce que le père de Monsieur le Chancelier Bellièvre vivant à présent s’appelait Claude ».

Au même moment était relevé l’autel de la chapelle de Bames, « soubz le vocable de la Vierge Marie, Sainte Catherine et Sainte Barbe, et encour de Saint Clair, parce que Madame Girinet m’a fait dire et promettre qu’elle feroit une fondation audit autel soubz le vocable dudit Saint Clair ». Les deux autels furent consacrés, le dimanche 20 mai 1601, par Jean Faure, archevêque de Tarse, et suffragant de Vienne.

Du reste le transfert du service paroissial de Saint-Romain à Saint-Pierre-le-Vieux allait ouvrir pour cette dernière église une ère de grande prospérité. En 1639, lors de sa prise de possession de la dignité d’archidiacre, Laurent de Sémianes-Evenes, « ayant considéré le pauvre estât du lieu où avoit jusques lors reposé le Sainct Sacrement », fit don d’un tabernacle en bois doré « assorti des figures d’un Salvator, d’une Résurrection, d’une Vierge, d’un Sainct Pierre et d’un Sainct Romain… Sur les gradins du pied d’estal dicelluy », les armes du donateur étaient apposées « départ et d’autre ». Deux ans plus tard, à Pâques 1641, Magdeleine Joard offrit un reliquaire pour y déposer le corps de saint Zacharie.

Toutefois le principal artisan de la restauration de Saint-Pierre-le-Vieux fut l’un des paroissiens, Jacques Girinet, qu’on a vu fonder les vêpres à Saint-Romain en 1639. Il avait déjà fait exécuter un certain nombre de travaux, lorsque, le 26 juillet 1643, il traita avec le curé Michel Gombel et avec les marguilliers pour leur achèvement. Aux termes de cet accord, Girinet devait faire construire à ses frais la chapelle du clocher et le chœur de l’église, et dans ce chœur placer un grand autel. Le curé s’engageait de son côté à faire voûter la chapelle des Bellièvre.

Depuis plus d’un siècle, la confrérie de saint Roch avait son siège à Saint-Pierre-le-Vieux ; chaque année, « non le jour de la fête, mais le dimanche suivant », elle y célébrait sa fête patronale ; il y avait procession et grand’ messe ; le roi et la reine faisaient chacun un don à l’église. Il ne semble pas toutefois que les confrères aient eu une chapelle particulière. Ce fut seulement le 20 mars 1658, qu’à la requête de leurs courriers, ils obtinrent du Chapitre de Lyon confirmation de la cession faite à leur profit par les paroissiens d’un emplacement entre l’église et la rue, emplacement destiné à la construction d’une chapelle en l’honneur de saint Roch et de Notre-Dame.

Saint-Pierre-le-Vieux en 1866, au moment de sa démolition.

Concurremment à la chapelle de Saint-Roch, une autre chapelle fut édifiée dans l’aile droite de l’église sous le vocable de Notre-Dame-de-Bonnes-Nouvelles. Louise Perrachon, veuve de Jacques Ferriol, conseiller du roi en la sénéchaussée et siège présidial de Lyon, aux frais de laquelle cette chapelle avait été construite, y fonda, le 16 février 1644, cinq grand’messes.

Enfin en 1691, les cloches de l’église furent refondues.

Au milieu du xviiie siècle, Saint-Pierre-le-Vieux comptait 1.600 communiants. Le cimetière était devenu insuffisant, et, en 1752, les paroissiens durent acquérir, pour servir de cimetière, un petit terrain situé rue Dorée et rue Ferrachat ou du Louvre. Le propriétaire antérieur de ce terrain, Louis Clémencin, bourgeois de Lyon, l’avait légué à l’Aumône Générale, et ce furent les recteurs de l’Aumône qui traitèrent ; ils reçurent en échange la rente de 100 livres due par le Chapitre à la fabrique de Saint-Pierre-le-Vieux pour l’aliénation de l’ancienne église Saint-Romain.

Mises en vente comme bien national, l’église, la sacristie et la maison curiale de Saint-Pierre-le-Vieux furent adjugées, le 11 janvier 1791 , à Catherin-François Boulard, architecte, qui, huit jours plus tard, le 19, fit connaître qu’il avait enchéri pour le compte de Louis-Firmin-Joachim Boitard, négociant : en conséquence, ce dernier fut déclaré adjudicataire définitif. Aux termes de la vente avaient été réservées à la nation, « toutes les décorations de l’église et sacristie, consistant en autels, rétables, tableaux, confessionnaux, grilles, cloches, beffrois et autres objets de ce genre ». Ce fut vraisemblablement en exécution de cette clause que furent enlevés le bas-relief et les pierres tumulaires, aujourd’hui au musée de Lyon, et les colonnes transportées à Ainay.

Les bâtiments convertis en ateliers et logements ont subsisté jusqu’en 1866, où, on l’a vu, ils ont été complètement démolis.