Histoire des Trois Royaumes/IV, VII

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Traduction par Théodore Pavie.
Duprat (2p. 98-116).


CHAPITRE VII.


Complot contre Tsao-Tsao.


I.


[Règne de Hiao-Hien-Ty. Année 199 de J.-C. ] « Général vaincu, s’écria Tsao avec colère, oses-tu bien m’injurier ainsi ? » Et tirant le glaive du fourreau, il allait le tuer, quand Hiuen-Té arrêta son bras : « Cet homme est loyal et sincère, s’écria-t-il, laissez-le vivre[1] ! » — Et Yun-Tchang se précipita à genoux devant Tsao en disant : « C’est un guerrier fidèle et loyal ; je réponds de lui sur ma tête ! »

« Oui, répliqua Tsao remettant le sabre dans le fourreau[2] ; je sais que cet homme est fidèle et loyal ; je voulais rire ! » De sa propre main, il délia les liens du captif, le couvrit de ses vêtements et ajouta : « Eussiez-vous tué toute ma famille, je ne me souviendrais plus de rien ! » Tchang-Liéao fit sa soumission, dont le grade de général de division et le titre de prince[3] furent le prix ; en outre il eut ordre d’aller près de son collègue Tsang-Pa pour l’inviter à se rendre. Celui-ci, sachant que Liu-Pou avait été mis à mort, et que Tchang-Liéao venait de se soumettre, se présenta en suppliant avec une centaine de soldats. Tsao lui donna de l’or, de l’argent, des vêtements de soie, et le chargea à son tour d’attirer sous les drapeaux de l’Empereur d’autres chefs battus, qui acceptèrent les propositions du vainqueur.

C’étaient Sun-Kouan, Ou-Tun et Yn-Ly ; Tchang-Hy persista seul dans la révolte. Tsang-Pa fut créé vice-roi de Lang-Yé ; les autres généraux obtinrent aussi de l’avancement, et eurent pour emploi de garder le littoral des districts de Tsing et de Su-Tchéou. Tsao distribua aux trois corps d’armée tout le butin pris dans la ville de Hia-Pey ; quant à la femme de Liu-Pou, il la fit conduire à la capitale, ainsi que la concubine Tiao-Tchan.

Lorsque le premier ministre entra dans la ville de Su-Tchéou, le peuple vint au-devant de lui en brûlant des parfums sur son passage. Tous les habitants le suppliaient de leur donner Hiuen-Té pour gouverneur, ce Liéou-Hiuen-Té a acquis de bien grands mérites, répondit Tsao ; il faut que je le présente à Sa Majesté avant de vous le donner pour maître ! » Et comme le peuple se prosternait avec reconnaissance, Tsao, qui était à cheval, se retourna vers Hiuen-Té pour lui dire : « Seigneur, quand vous aurez fait votre cour à l’Empereur, vous reviendrez ici sans plus tarder. »

En attendant, il laissa le Su-Tchéou (le chef-lieu et la province) sous le commandement d’un général de division, nommé Tché-Tchéou, et se rendit à la capitale.

Tous les officiers qui avaient pris part à la campagne, obtinrent de l’avancement et reçurent des récompenses ; Tsao voulut que Hiuen-Té habitat l’aile gauche de son palais. Dès le lendemain de leur arrivée, il le mena faire sa cour à l’Empereur ; Hiuen-Té s’agenouilla, tandis que le premier ministre faisait à Sa Majesté le récit de ses belles actions. « Général, dit alor s le petit prince en s’adressant à Hiuen-Té, à quelle famille appartenez-vous ? »

Hiuen-Té ne put retenir ses larmes, et l’Empereur, tout troublé, lui demanda quel chagrin subit causait au général une si grande émotion. « Votre Majesté ayant daigné m’interroger sur mes ancêtres, je me suis senti tristement affecté[4], » répondit le héros ; et après avoir développé toute sa généalogie, il ajouta : « Je compte des Empereurs parmi mes aïeux, et ce qui m’arrache des larmes, c’est de soutenir d’une façon si indigne la gloire d’une pareille ascendance ! » Le jeune souverain se fit aussitôt apporter les registres de sa famille, et y lut ce qui suit :

« Tching-Ty (neuvième souverain) de la famille des Han, eut quatorze fils ; le septième fut Tsing-Wang, qui s’établit dans le Tchong-Chan. (Il se nommait aussi) Liéou-Cheng, et eut pour fils Liéou-Tchen, prince de Lo-Tching-Ting ; Liéou-Tchen eut pour fils Liéou-Ngan, prince de Pey, qui eut pour fils Liéou-Lou, prince de Tchang. Liéou-Lou eut pour fils Liéou-Lien, prince de Y-Chouy, qui eut pour fils Liéou-Hing, prince de Kin-Yang. Liéou-Hing eut pour fils Liéou-Kien, prince de Ngan-Koue, qui eut pour fils Liéou-Ngay, prince de Kouang- Ling, Liéou-Ngay eut pour fils Liéou-Hien, prince de Kiao-Chouy, qui eut pour fils Liéou-Chu, prince de Tsou-Y. Liéou-Chu eut pour fils Liéou-Y, prince de Ky-Yang, qui eut pour fils Liéou-Py, prince de Youen-Tsé. Liéou-Py eut pour fils Liéou-Ta, prince de Yng-Tchouen, qui eut pour fils Liéou-Pou-Y, prince de Fong-Ling. Liéou-Pou-Y eut pour fils Liéou-Hoay, prince de Tsy-Tchouen, qui eut pour fils Liéou-Hiong. Ce dernier donna le jour à Liéou-Hong, lequel n’eut point de titre et fut père de Liéou-Pey (surnommé Hiuen-Té). »

Ainsi, pensa le petit Empereur (qui trouva cette généalogie conforme à celle que Hiuen-Té lui avait exposée), ce personnage est véritablement mon oncle ! Et il réfléchissait en lui-même à l’autorité que Tsao s’était arrogée dans le maniement de toutes les affaires, et comme ce ministre tout-puissant ne faisait aucun cas de sa personne sacrée. Maintenant qu’il avait retrouvé cet oncle, héros qui comptait dans l’Empire, il lui semblait que le ciel auguste lui montrait la route à suivre ! Aussitôt il voulut que Hiuen-Té eut ses entrées libres dans le palais impérial, lui témoigna les égards dus au frère de son propre père, et le traita dans un splendide festin. Il désira même que Tsao accordât un titre plus élevé a son parent ; le premier ministre nomma Hiuen-Té général en chef du second corps d’armée et prince de Y-Tching-Ting. Hiuen-Té s’était agenouillé pour témoigner sa reconnaissance ; les cérémonieuses politesses une fois achevées, il se retira.

Dès lors, tout le monde l’appelait oncle de l’Empereur. Quand Tsao fut rentré dans son palais, le conseiller Sun-Yo et tous ses collègues vinrent le trouver et lui dirent : « Le fils du Ciel a reconnu le lien de parenté qui l’unit à Hiuen-Té ; nous craignons que cette déclaration ne soit de mauvais augure pour voire excellence ! — Oh ! répondit le ministre, Hiuen-Té et moi, nous sommes unis comme deux frères ; songerait-il à devenir mon rival ? — Il est un des premiers hommes de l’époque, ajouta Liéou-Yé, et qui sait jusqu’où il peut arriver[5] ? — Eh bien, dit Tsao, avec les bons comme avec les méchants, on n’a que trente ans (la durée d’une vie humaine) à échanger des marques de politesse. Quelle que soit sa façon d’agir envers moi, je sais comment je dois me conduire[6] ! » On le vit en effet paraître en public assis sur un même char avec Hiuen-Té ; il partageait sa chambre avec lui, lui donnait une part des meilleurs mets, et le comblait d’attentions comme s’il eût été son jeune frère.

Un jour le mandarin Tching-Yo vint le voir et lui dit aussi : « Vous voici débarrassé de Liu-Pou ; tout l’Empire tremble devant vous ; le moment n’est-il pas venu de vous déclarer le chef des vassaux, de régner enfin ? — Ces Han ont encore des partisans dévoués et en grand nombre, reprit Tsao ; gardons-nous de dévoiler prématurément de pareils desseins. Mon intention est de conduire le jeune prince à une partie de chasse, afin d’examiner les façons d’agir et d’étudier le caractère des grands de la cour. » Et le mandarin se retira en admirant les vues profondes du premier ministre.

Après avoir choisi d’excellents chevaux, des faucons de prix et de bons chiens, Tsao fit préparer des arcs, des flèches (tout ce qui était nécessaire pour une chasse de ce genre) ; hors des murs un corps de cavalerie légère avait été rassemblé. Quand le ministre le pria de se mêler à cette partie de plaisir, le jeune prince demanda avec une certaine inquiétude si, en se livrant à cette récréation, il ne blesserait pas les rites[7] ? — « Les anciens Empereurs, répondit Tsao, faisaient à chaque saison, quatre fois l'an, une grande chasse qui leur donnait le prétexte de montrer aux vassaux la majesté de leurs armées. Maintenant que l’Empire ne jouit, presque sur aucun point, d’une parfaite tranquillité, l’expédition à laquelle j’invite votre altesse, peut être avantageuse par quatre raisons. — 1° Si vous restez toujours au fond du palais, vos forces, votre énergie ne se développeront pas ; au contraire, l’exercice de l’équitation joint à celui de l’arc, contribuera à vous rendre fort et robuste. — 2° Ce sera une occasion de déployer à la face de l’Empire un appareil guerrier et imposant, qui inspire la crainte et le respect. — 3° Dans l’oisiveté, l’armée s’engourdit ; par suite de cette torpeur, elle dépérit ; en lui donnant du mouvement, on lui rend l’énergie et la santé. — 4° Enfin, depuis l’Empereur jusqu’aux vassaux, tous les grands personnages doivent savoir tirer de l’arc à cheval. »

Docile à ces instructions, l’Empereur monta sur un cheval de choix, suspendit à la selle un arc enrichi de sculptures[8], avec un carquois plein de flèches d’or, et sortit de la capitale au milieu de tout son cortège. Hiuen-Té, et un peu plus loin ses deux frères d’armes (Yun-Tchang et Tchang-Fey), portant un simple plastron sous la tunique, armés pour la chasse, marchaient derrière Sa Majesté ; ils menaient à leur suite chacun dix cavaliers. Il n’y avait personne dans la foule qui n’admirât la tournure martiale des deux héros, compagnons de Hiuen-Té. On voyait surtout Tsao-Tsao, monté sur un cheval aux crins jaunes, pareil à un dragon, vif et rapide en ses allures ; il emmenait sur ses pas cent mille hommes de guerre, et c’était ainsi qu’il accompagnait le jeune prince à cette partie de chasse. Le ministre (chevauchait presque côte à côte avec l’Empereur) ; il ne s’en fallait que d’une tête de cheval, qu’ils ne fussent sur la même ligne. Derrière lui se tenaient ses plus zélés partisans ; venaient ensuite, à grande distance, les autres mandarins échelonnés selon leur rang. Chacun avait au-dessus de sa flèche un petit étendard portant son nom (afin qu’on pût reconnaître celui qui frapperait l’animal).

« Mon oncle, dit le petit Empereur à Hiuen-Té[9], quand le cortège fut rendu sur le lieu de la chasse, je serai bien aise de vous voir percer de vos flèches quelque gibier ! » Hiuen-Té monta a cheval (il en était descendu par respect) sur l’ordre de l’Empereur, et tout à coup un lièvre partit devant lui du milieu des herbes : « Tirez, tirez ! » cria le jeune souverain ; et une flèche ayant percé le lièvre à la course, il applaudit à l’adresse du chasseur. Hiuen-Té se jeta à bas de son cheval pour s’incliner respectueusement devant l’Empereur ; puis il se remit en selle, et a quelque distance de là, comme le cortège traversait un coteau, un beau cerf accourut de ce côté.

Trois fois, mais en vain, le jeune prince décocha des flèches contre l’animal ; puis il se tourna vers Tsao-Tsao, pour le prier d’en lancer une à son tour. Le ministre prenant aussitôt l’arc précieux des mains du prince, y appliqua une flèche d’or, le tendit avec force et abattit le cerf. Ce fut une explosion parmi tous les courtisans : « C’est le fils du Ciel qui a lancé le trait ! » disaient-ils unanimement[10], et sautant de joie, ils se prosternèrent et crièrent d’une seule voix : « Vive l’Empereur ! »

Tsao-Tsao accourant au galop, abordait de front Sa Majesté[11] et se trouvait droit devant elle ! A cette vue les mandarins pâlirent ; derrière Hiuen-Té, Yun-Tchang ayant peine à contenir son indignation, fronçait le sourcil, roulait des prunelles ardentes ; le sabre au poing, il fouettait déjà son cheval pour aller décapiter l’arrogant ministre. Hiuen-Té lui fit signe des yeux ; respectant cet ordre tacite d’un frère[12] aîné, le héros doué d’humanité et de modération n’osa exécuter son dessein. Au même instant Tsao regarda en face Hiuen-Té ; celui-ci s’empressa de le saluer avec politesse en disant : « Votre excellence a l’adresse d’un esprit ! Dans tout le siècle, on n’a pas vu un archer qui l’égale ! — C’est grâce au bonheur de Sa Majesté[13] que j’ai frappé juste ! » répondit Tsao en souriant ; puis il se mit à son tour à féliciter le petit prince ; mais au lieu de lui rendre son arc et ses flèches, il continua de les porter à sa ceinture au grand scandale des vieux mandarins, qui tous poussaient de profonds soupirs.

Après la chasse, on fit un repas dans la campagne et le cortège revint à la capitale. « Frère, dit Hiuen-Té à Yun-Tchang, vous avez été bien prompt ce matin à tirer votre sabre ! — Ce brigand de ministre insulte l’Empereur et humilie les grands ; j’ai peine à supporter de pareilles choses ! Je voulais délivrer la dynastie du fléau qui l’opprime ; pourquoi m’avez-vous arrêté ? — Si vous jetez le rat, prenez garde au vase[14]. Quand je vous ai vu en colère, je me suis hâté d’arrêter votre bras, parce que Tsao était entouré d’un très grand nombre de ses partisans les plus dévoués. Vous eussiez manqué votre coup, sans acquérir aucun mérite. Et s’il s’était porté à quelque extrémité envers l’Empereur, la faute en retombait sur nous ! J’ai donc dû réprimer votre mouvement ! — Frère, reprit Yun-Tchang, vous le verrez ! En m’empêchant de tuer aujourd’hui cet hypocrite, ce tyran, vous avez préparé dans l’avenir de grands malheurs ! — Ce sera à nous d’y veiller, » répondit Hiuen-Té.

Cependant, de retour dans son palais, le jeune souverain se rendit près de l’Impératrice Fo-Hwang-Héou, et lui dit en versant des larmes : « Hélas, hélas ! depuis que je suis sur le trône, je n’ai cessé d’avoir à souffrir l’oppression de quelque arrogant ministre. D’abord, j’ai eu à endurer le joug de Tong-Tcho ; puis sont venus les troubles suscités par Ly-Kio et Kouo-Ssé[15]. Les autres hommes n’ont point de pareilles douleurs ; c’est à vous et à moi qu’elles sont réservées !... J’avais cru trouver en Tsao un soutien, un appui de mon trône ; voila que par une suite de menées artificieuses, de desseins ambitieux, il s’est emparé de toute l’autorité dans l’Empire, et je ne suis plus rien à ses yeux. Quand je m’assieds sur le siège impérial et que je l’ai la devant moi, il me semble que je suis sur un tas d’épines. Aujourd’hui, à la chasse, il s’est tenu devant ma personne, quand les mandarins criaient : Vive l’Empereur ! comme si ces cris eussent été pour lui. Bientôt, un jour ou l’autre, j’en suis sûr, il réalisera sa secrète pensée en usurpant le pouvoir souverain. Et cependant, nous ne savons pas même, ni vous, ni moi, dans quel lieu il nous faudra mourir ! »

« Quoi, répondit l’Impératrice, parmi ceux qui de père en fils, depuis quatre siècles, vivent des libéralités de la dynastie des Han, il ne se trouvera pas un homme dévoué qui emploie toutes ses forces à tirer son souverain de cette triste situation ? »

En parlant ainsi, elle mêlait ses larmes à celles du petit Empereur, quand un mandarin, entrant tout à coup dans l’appartement retiré où ils se désolaient, s’écria : « Sire, et vous auguste princesse, calmez vos alarmes ! Je vous trouverai un homme qui délivrera l’Empereur des maux qu’il souffre, qui rendra le repos a la dynastie en affermissant le trône ! »

Dans celui qui s’exprimait de la sorte, l’Empereur reconnut le père de l’Impératrice, Fou-Wan : « Vous savez donc quelles sont nos secrètes douleurs, lui dit le petit souverain en essuyant ses larmes ! — Dans ce qui s’est passé à la chasse d’hier, répliqua Fou-Wan, qui n’a pas deviné que Tsao a l’intention formelle d’usurper le trône ? Tsao veut manifestement jouer le rôle d’un Tchao-Kao[16] ! — Dans toute ma cour, dit l’Empereur, autour de moi, il n’y a que des parents ou au moins des créatures de cet homme ! Qui donc serait assez dévoué pour oser quelque chose contre le tyran ? »

« Aussi, dit Fou-Wan, ce devra être quelque parent de votre altesse x ou personne. Moi, votre vieux serviteur, je suis désormais sans aucune autorité ; il me serait difficile de rien entreprendre ! Mais, sire, l’oncle maternel de Votre Majesté, le général Tong-Tching »

« Oui, interrompit le jeune souverain ; cet oncle maternel a [17] rendu déjà de nombreux services à la dynastie, je le sais, je le sais ! Il faut qu’il pénètre auprès de nous pour que nous préparions avec lui ces grands projets. — Autour de votre personne, je ne vois que de très chauds partisans du ministre pervers ; si nos projets sont divulgués, d’effrayantes calamités nous menacent ; cependant, sire, votre sujet a trouvé un moyen de communiquer avec Tong-Tching, sans courir de danger. »


II[18]


« Parlez, parlez ! » dit l’Empereur. Fou-Wan reprit : « Sire, faites préparer un vêtement de cour et une ceinture de jade, dans laquelle il vous sera facile de glisser un ordre écrit de votre main ; ces objets, vous les donnerez en présent à Tong-Tching, en lui recommandant de ne pas chercher à rien découvrir avant d’être de retour à son hôtel[19]. » L’Empereur traça quelques lignes avec du sang qu’il tira de son doigt, et quand l’Impératrice eut cousu le précieux écrit dans l’intérieur de la ceinture, il se l’attacha lui-même autour du corps, par-dessus la tunique brodée ; puis Tong-Tching ayant été introduit, il lui dit : « Le chagrin que nous avons ressenti hier nous a remis en mémoire vos services passés ; hélas ! nous soupirons nuit et jour ! Venez donc faire avec nous, dans l’intérieur du palais, une petite promenade qui soulage un peu notre pauvre cœur ! »

Tong-Tching s’inclina respectueusement, et l’Empereur l’ayant conduit dans la salle des ancêtres, se mit à considérer les portraits des plus illustres personnages de l’Empire[20], qui étaient suspendus à la muraille. Au milieu, on voyait le fondateur de la dynastie des Han, entre vingt-quatre Empereurs. Le jeune souverain brûla des parfums et salua les vénérables images ; puis montrant du doigt l’ancêtre des Han :

« Quel homme était mon aïeul ? » demanda-t-il.

« Quoi ? votre altesse ignore ce qu’était ce grand Kao-Tsou qui fonda la dynastie ? »

« D’où venait-il ; comment a-t-il établi notre l’a mille sur le trône ? — Sire, répondit Tong-Tching tristement surpris ; vous ne faites pas ces questions sérieusement ? Se peut-il que vous ne connaissiez pas les actions de votre aïeul ? »

« Faites-moi les connaître, » répondit l’Empereur.

Tong-Tching reprit : « Le grand Kao-Tsou vint d’un petit village du Ssé-Tchang, dont il était chef. Avec son glaive long de trois pieds, il abattit la tête d’un serpent blanc dans les monts Mang-Sang[21], assembla des soldats fidèles, et bientôt fut seul maître dans tout l’Empire. En trois ans, il eut détruit les Tsin ; en cinq ans, il eut anéanti le nouveau royaume de Tsou. Ainsi il a fondé cette dynastie impérissable, qui compte quatre siècles de durée. »

« Notre aïeul était un si grand héros, et ses descendants sont tombés si bas ! dit l’Empereur en soupirant ; comment la dynastie a-t-elle pu dépérir à ce point ! — L’illustre Kao-Tsou, sire, était un homme d’un esprit et d’une vertu supérieurs, que personne de nos jours ne peut égaler ! »

Le jeune Empereur demanda l’histoire de deux personnages, dont il montrait les portraits à côtés de celui de Kao-Tsou ; Tong-Tching lui répondit : « A la gauche du grand monarque vous voyez Tchang-Léang, à sa droite Siao-Ho. »

« Quels éclatants services ont-ils donc rendus, pour figurer ici à côté de mon aïeul ? »

« C’est que si votre ancêtre a établi sa dynastie sur le trône, sire, il l'a dû en partie au secours que lui ont prêté ces deux personnages. L’un, assis dans sa cabane[22], formait les plans au moyen desquels Kao-Tsou étendit sa puissance par toute la Chine ; l’autre sut veiller à la défense de la dynastie, nourrir le peuple par sa prévoyance, et faire en sorte que jamais la solde ni les vivres ne manquassent aux armées. Aussi Kao-Tsou honora-t-il toujours leurs vertus. »

« Ah ! reprit l’Empereur, de pareils mandarins rendent de grands services à l’état ! Ils méritent qu’on leur offre des sacrifices[23] ! » Puis un coup d’œil jeté autour de lui l’ayant convaincu que ses serviteurs étaient loin, il dit mystérieusement à Tong-Tching : « Il faut que vous restiez désormais près de ma personne, que vous me rendiez des services, à l’exemple de ces deux ministres. »

« Votre sujet, sire, étant tout à fait dénué de mérite, n’est point digne de — Déjà vous avez acquis des titres à ma reconnaissance en me sauvant dans ma retraite vers les provinces de l’ouest[24] ; je n’en ai pas perdu le souvenir. Il n’a pas été en mon pouvoir de vous récompenser, mais prenez cette tunique et cette ceinture. Désormais, je veux que vous restiez auprès de ma personne.... » Et tout en passant autour de son corps la précieuse ceinture, l’Empereur lui dit à l’oreille : « Examinez ces objets bien attentivement ; et ne refusez point la mission que je vous confie ! » Tong-Tching s’était incliné jusqu’à terre ; revêtu de ces marques de dignité, il prit congé du jeune souverain.

Déjà cependant, des affidés du premier ministre étaient allés l’avertir que l’Empereur tenait une conférence avec Tong-Tching dans la galerie des portraits[25]. Aussitôt Tsao se rendit à la cour, et il y entrait au moment où l’oncle maternel du souverain sortait lui-même de la galerie. Ils se trouvèrent donc face à face à la porte ; ne pouvant éviter de passer devant Tsao-Tsao, Tong-Tching se rangea un peu et le salua avec une certaine émotion. « Oncle de l’Empereur, dit Tsao, vous ici ! d’où venez-vous ? — Sa Majesté ayant eu la bonté de m’appeler, par hasard, m’a fait présent de cette tunique et de cette ceinture ! »

« Et à quel propos Sa Majesté vous a-t-elle donné ces beaux vêtements ? — En souvenir des services que je lui ai rendus jadis en la délivrant des rebelles qui la poursuivaient dans les provinces occidentales »

« Allons, reprit Tsao, défaites un peu cette ceinture, que je la voie ! » Le fidèle mandarin, se rappelant avec quel air mystérieux le jeune prince lui avait parlé à l’oreille, soupçonnait ce que contenait cette ceinture ; dans la crainte que Tsao ne vint à découvrir le secret, il hésitait visiblement à lui obéir. Déjà Tsao avait dit à ses gens de la dénouer ; il la prit dans ses mains, l’examina et ajouta avec un grand éclat de rire : « En vérité, voilà une fort belle ceinture de jade ! Et cette tunique, voyons-la !... »

Malgré ses répugnances, Tong-Tching n’osait repousser cette demande ; il se dépouilla de la tunique et la remit à Tsao. Celui-ci, après l’avoir examinée à la clarté du soleil (de manière à voir au travers), s’en revêtit lui-même, puis s’attachant la ceinture de jade, et se retournant vers les gens de sa suite : « Eh bien, leur dit-il, comment me va ce costume ? — A merveille ! » répondirent ses serviteurs.

« Maintenant que j’ai endossé ces vêtements, ajouta-t-il en s’adressant à Tong-Tching, il me reste à vous offrir quelque cadeau en retour. — Je les tiens de la munificence de l’Empereur, reprit le mandarin, et je ne puis les abandonner si légèrement. »

« S’il vous les a donnés, c’est qu’il y a quelque part dans la doublure certain écrit... — Un personnage inutile comme moi oserait-il recevoir de Sa Majesté une mission importante, répliqua Tong-Tching avec empressement ; votre excellence s’est adjugé ce vêtement, qu’elle le garde !.... »

« Non, dit Tsao, vous le tenez de l’Empereur et je m’en emparerais !.... Je voulais plaisanter, voilà tout ! » Et là-dessus il remit la tunique et la ceinture à Tong-Tching, qui prit congé de lui et revint à son hôtel.

Il se mit à examiner la tunique avec attention ; il la tourna et la retourna sans rien y découvrir. « Cependant, pensait-il, l’Empereur m’a fait signe des yeux quand je me retirais, il m’a fait signe de la main, et ces gestes-là signifiaient quelque chose ! J’ai beau regarder cette tunique dans tous les sens, je n’y vois rien, rien du tout..... C’est extraordinaire ! »

De toute la nuit, il ne put fermer l’œil ; et comme il réfléchissait toujours aux paroles de l’Empereur, l’idée lui vint d’examiner aussi la ceinture. Elle était en dehors, ornée de figures de dragon gravées sur le jade ; en dedans, une étoffe brochée d’or sur fond violet lui servait de doublure. En vain il l’étudié des yeux avec la plus scrupuleuse attention, en dessus, en dessous ; une fatigue subite s’empare de lui, il s’accoude sur la table et s’assoupit. Tout à coup un moucheron de la lampe venant à tomber sur la doublure de cette ceinture, en consume un petit morceau. Tong-Tching, éveillé en sursaut, voit paraître sous l’étoffe qui brûlait un morceau de gaze blanche ; avec un couteau, il le décoût, l’ouvre...... C’était un édit secret de l’Empereur, ainsi conçu :

« Moi, l’Empereur, j’ai entendu dire que le premier des cinq devoirs établis entre les hommes, est celui qui regarde les pères et les enfants ; le plus important est celui qui concerne, aux deux extrémités de la société, l’Empereur et le sujet. Naguères le brigand Tsao-Tsao, s élevant lui-même du milieu des officiers de la cour, a effrontément usurpé le rang de ministre ; il est donc coupable d’intrigues et de tyrannie. Entouré de ses partisans, il annule l’autorité du trône ; il distribue les récompenses et les châtiments, les grades et les titres, sans faire aucune attention à mes propres volontés. Nuit et jour, je me consume dans de douloureuses pensées, en songeant que l’état penche vers sa ruine ! Vous êtes l’un des grands de l’Empire, vous êtes uni à ma personne par les liens du sang. Rappelez-vous que si Han-Kao-Tsou[26], au milieu de bien des difficultés et des périls, a pu fonder la dynastie, c’est qu’il a rassemblé des serviteurs fidèles et loyaux ; (faites de même) triomphez en écrasant les rebelles et les ambitieux avec leurs complices ; raffermissez le trône chancelant ; extirpez la race des tyrans jusqu’à sa racine. Quel bonheur vous causerez à mes ancêtres ! Dans mon anxiété, j’ai écrit avec mon sang l’ordre ci-joint que je vous confie. Surtout de la prudence ! Ne refusez pas la mission dont je vous charge.

» Écrit le troisième mois de la quatrième année Kien-Ngan. »

A la lecture de ces lignes, Tong-Tching fondit en larmes. Agité de mille pensées, il ne pouvait ni manger ni boire, ni rester en un même lieu ; une invincible tristesse l’accablait. Cachant aussitôt cet écrit dans sa manche, il se retira dans son. cabinet de travail, et le lendemain se mit à relire l’édit impérial deux et trois fois, sans trouver aucun moyen de secourir le prince ; puis il. le plaça sur son bureau, rêvant toujours de quelle façon il viendrait à bout d’abattre l’arrogant ministre. Ses pensées l’occupant, mais aucun projet ne s’offrant à son esprit, Tong-Tching s’allongea sur sa table et s’endormit ; il était donc sous l’empire du sommeil, quand l’intendant du palais, Wang-Tsé-Fou, se présenta à son hôtel. Les portiers n’osèrent lui refuser l’entrée, car il était très lié avec leur maître ; si bien que le mandarin pénétra jusque dans le cabinet, et Tong-Tching ne s’éveilla pas. De dessous la manche de celui-ci sortaient le morceau de gaze blanche et le mot : moi, l’Empereur ! Wang-Tsé-Fou tout surpris attira furtivement l’écrit impérial et le glissa dans sa propre manche, puis il dit à haute voix : « Eh ! mon ami, vous dormez là bien tranquillement ! »

Éveillé en sursaut, Tong-Tching s’aperçoit que l’édit impérial a disparu ; il est prêt à se trouver mal, ses pieds et ses mains tremblent : « Ah ! reprit Wang-Tsé-Fou, vous voulez tuer le premier ministre ; et bien, je vous dénonce ! »

« Frère, répondit Tching en sanglotant, si vous me dénoncez, c’en est fait des Han et de tout ce qui reste de la famille impériale !»

« J’ai voulu rire, dit le mandarin ; de père et fils, nous vivons, mes ancêtres et moi, des revenus que nous ont assurés les Han, et je me montrerais si ingrat envers un Empereur de cette dynastie !.. Je suis prêt à vous aider de toutes mes forces dans votre projet d’anéantir les brigands qui oppriment le souverain.»

« Si telles sont vos intentions véritables, quel bonheur pour la dynastie ! — Entrons dans un appartement plus secret, reprit Wang-Tsé-Fou, et dressons ensemble une liste des hommes dévoués qui peuvent être associés au complot ; sacrifions-nous, nous et nos parents jusqu’au troisième degré, pour reconnaître les bienfaits que nous avons reçus des Han ! »

Au comble de la joie, Tong-Tching prenant une pièce de satin blanc, y écrivit d’abord ses propres noms, puis la passa a son ami qui y traça les siens et dit : « Je propose le général Ou-Tsé-Lan, avec lequel je suis intimement lié ; si nous l’appelons, je suis certain qu’il nous prêtera son appui contre les rebelles ! »

« Et moi, ajouta Tong-Tching, je propose parmi les grands de l'Empire, un gouverneur de province, Tchong-Tsy ; comme celui que vous venez de nommer, il est mon ami et n’hésitera pas à se joindre à nous. »

Ainsi ils tenaient conseil, quand des serviteurs annoncèrent l’arrivée de Tchong-Tsy et de Ou-Tchu. « C’est le ciel qui les envoie ! » s’écria Tong-Tching ; faisant signe à Wang-Tsé-Fou de se cacher derrière un paravent, il alla lui-même au-devant de ses hôtes et les introduisit dans la bibliothèque. Lorsqu’ils eurent bu le thé, l’un des nouveaux venus, Tchong-Tsy, se mit à dire : « En rentrant de cette partie de chasse d’hier, seigneur, ne vous sentiez-vous pas triste et agité ? »

« Hélas ! reprit Tong-Tching, ces sentiments de douleur et de mécontentement ne peuvent rien produire ! »

« Si je trouvais des hommes de cœur pour me seconder, je m’engagerais par serment à tuer ce brigand de Tsao, dit l’autre mandarin. — Quand il s’agit de délivrer l’Empereur des tyrans qui l’oppriment, ajouta Tchong-Tsy, on meurt sans regret ! »

Tout à coup Wang-Tsé-Fou sortant de derrière le paravent, s’écria : « Vous formez un complot contre le premier ministre, et bien, celui qui vous reçoit vous dénoncera ! — Le mandarin fidèle ne craint pas la mort ; celui qui craint la mort n’est pas fidèle à son prince, répondit Tchong-Tsy ; si nous perdons la vie, même après le trépas nous resterons dévoués aux Han, au lieu de nous avilir comme toi au service d’un traître ! »

« Précisément nous préparions un semblable complot, répartit Tong-Tching en riant, lorsque vous êtes arrivés. C’est le ciel qui vous amène, voyez !.... » Et il leur montra l'édit impérial. A cette vue, les deux mandarins versèrent des larmes, et Tchong-Tsy s’écria : « Eh bien, qui nous empêche de commencer ! » Tong-Tching leur donna le morceau de satin pour qu’ils écrivissent leurs noms ; Wang-Tsé alla chercher Ou-Tsé-Lan qui ne tarda pas à paraître, et quand ce dernier eut signé sur la liste des conjurés, ils passèrent tous dans la salle à manger, au fond de l’hôtel, où Tong-Tching leur offrit un repas.

Tout à coup, on vint dire que le commandant en chef du Sy-Liang, Ma-Teng[27], se présentait pour faire visite. « Répondez que je suis malade et hors d’état de le recevoir, » répliqua TongTching ; mais le portier revint, annonçant que Ma-Teng furieux avait dit : « Hier soir, j’ai vu de mes yeux votre maître sortir du palais avec une tunique brodée et une ceinture de jade ; je l’ai vu à la porte Tong-Hoa ; et le voilà qui se dit malade pour ne pas me recevoir ! Je ne viens pas lui demander à dîner ; que je puisse seulement échanger un mot avec lui, et je retourne dans ma province ! Sera-t-il assez impoli pour me refuser sa porte ? »

Dès que le portier eut répété ces paroles un peu vives de Ma-Teng, Tching se leva en priant ses convives d’attendre un instant, et alla au-devant du gouverneur. Après les politesses d’usage, quand ils eurent pris tous deux des sièges, Ma-Teng dit : « Les armées du Sy-Fan[28] viennent de faire invasion sur nos frontières ; j’accours tout exprès pour demander à l’Empereur qu’il me prête des troupes, et je repars à l’instant. Comme vous êtes l’oncle de Sa Majesté, un des plus anciens et des plus élevés en dignité de tous les mandarins, je suis venu vous faire une visite avant de quitter la capitale. Pourquoi m’avez-vous reçu avec si peu d’empressement ? — Votre humble serviteur est souffrant, reprit Tong-Tching, voilà ce qui l’a empêché de courir à votre rencontre....... Il est bien coupable envers vous ! — Je vois sur votre visage les marques d’une santé florissante, dit Ma-Teng, vous n’avez pas du tout l’air d’être malade.... »

Tong-Tching ne put rien répondre ; Ma-Teng secoua sa manche et se retira en poussant un profond soupir : « Tous ces gens-là, murmura-t-il, sont incapables de soutenir la dynastie ! » En entendant ces paroles, Tong-Tching crut deviner les pensées du gouverneur ; il le ramena poliment vers un siège, et lui demanda ce qu’il voulait dire par cette phrase : « Des gens incapables de soutenir la dynastie ? »

« Ce qui s’est passé à la chasse d’hier, répliqua Ma-Teng, m’a rempli d’indignation. Vous, oncle, proche parent de l’Empereur, vous ne pensez qu’au plaisir et à la bonne chère, et vous ne songez pas à vous acquitter envers le souverain ! Comment auriez-vous assez de capacité pour être le soutien de la famille impériale ! » Tong-Tching craignit qu’il n’y eût un piège sous ces paroles pleines de zèle ; aussi répondit-il en soupirant : « Son excellence Tsao-Tsao est le soutien, le pilier sur lequel s’appuie la dynastie ; pourrions-nous prétendre à une si haute position ! — Vous tenez ce brigand de ministre pour un parfait honnête homme, » reprit Ma-Teng avec colère !

« Il y a des yeux qui nous épient, des oreilles qui nous écoutent de tous côtés et de très près, dit Tong-Tching ; seigneur, veuillez baisser la voix. — Vous tenez à la vie : avec ceux qui craignent la mort, on ne peut convenablement traiter de si importantes affaires ! » Et en parlant ainsi, Ma-Teng se leva pour sortir. Il venait de mettre à nu les sentiments de fidélité et de loyauté qui animaient son cœur : « Seigneur, reprit Tong-Tching, venez voir quelque chose qui vous convaincra de mes véritables intentions. » A ces mots il le conduisit à son cabinet de travail et lui présenta l’édit impérial. Ma-Teng se mordit les lèvres jusqu’au sang (tant sa surprise fut grande). « Si vous êtes prêt, au-dedans, à secourir l’Empereur, s’écria-t-il, je me mets a votre disposition, au dehors, avec les troupes de Sy-Liang. »

Aussitôt Tong-Tching le présenta aux conjurés, lui montra la liste en le priant d’y joindre son nom, et tous ils jurèrent de se soutenir, serment qu’ils scellèrent en buvant une coupe de vin teint de leur propre sang. Ma-Teng dit : « Je jure de me dévouer jusqu’à la mort ! Si nous sommes dix, le succès de notre entreprise est assuré. —Parmi les grands, reprit Tong-Tching, on ne trouve guère de serviteurs de la dynastie fidèles et loyaux. Si nous nous associons des traîtres, nous attirerons des malheurs sur nous et sur le souverain ! »

Ma-Teng demanda à voir la liste des mandarins ; arrivé à ceux qui, portant le nom de Liéou, tenaient par les liens du sang à la famille impériale, il frappa dans ses mains et dit : « Voilà ceux avec qui nous devons nous entendre ; aidés de leur secours, croyez-moi, nous sommes certains de réussir ! »


  1. Littéralement : a le cœur rouge. Cette expression rappelle un passage du livre de l’Histoire des Perses, par Aristide, où il est dit que le cœur de Léonidas était velu.
  2. Le surnom de Tchang-Liéao est Wen-Youen ; il avait formé un commencement de liaison avec Yun-Tchang, sous les murs de Hia-Pey ; voir plus haut, page 86. On a du remarquer cette puérile réponse que l’auteur chinois met parfois dans la bouche de ses héros. Quand ils reviennent d’un premier mouvement irréfléchi, ils disent comme des enfants : C’était pour rire ! A propos de la clémence de Tsao en cette occasion, l’édition in-18 donne les vers suivants :
    Liu-Pou demanda (lâchement) la vie, personne n’intercéda en sa faveur.
    Tchang-Liéao injuria (hardiment) Tsao en l’appelant bandit, et au contraire il eut la vie sauve.
  3. Littéralement : prince en dedans des passages.
  4. On a supprimé cette première fois la longue généalogie qui se retrouve amplement détaillée quelques lignes plus bas. Dans le second cas, on l’a traduite telle quelle, comme morceau historique et important, malgré la monotonie du qui autem genuit de cette série de petits princes.
  5. Littéralement : il n’est pas une chose dans un étang ; expression figurée dont le sens est expliqué par Morrison, à l’article che, (Bas. 4,858, Tchy).
  6. L’édition in-18 ne rapporte pas ce dialogue, dans lequel Tsao se montre fort tranquille parce qu’il a déjà pris ses mesures ; elle le remplace par une conversation qui met Tsao à même de développer ses plans.
  7. L’auteur chinois veut faire sentir combien Tsao tenait le jeune prince dans l’ignorance de l’antiquité ; comme on le sait, et comme ce ministre l’explique lui-même, les premiers Empereurs chassaient, ou au moins sous ce prétexte, parcouraient leurs états quatre fois par an. Voir Mémoires sur les Chinois, vol. Ier, et le Confucii Chi-King, édité par M. J. Mohl.
  8. Il s’agit ici de flèches appelées en tartare nirou ; elles sont fort grandes et destinées à chasser la grosse bête. Le lieu de la chasse est désigné ici sous le nom de Hu-Tien, qui a été omis pour ne pas embarrasser le récit.
  9. L’auteur insiste sur le penchant que le jeune prince ressent pour Hiuen-Té, et sur la conduite irréprochable, toute soumise de celui-ci, avec l’intention de l’opposer aux façons arrogantes de Tsao-Tsao. Ces mots : quand le cortège fut rendu sur le lieu de la chasse, manquent dans le texte chinois, et se trouvent dans la version tartare.
  10. C’était bien la flèche d’or qui avait percé le cerf ; les courtisans firent semblant de prendre le change. Ces mots : vive l’Empereur t sont la traduction du cri des Chinois : « (Qu’il vive) dix mille années ! » Au moment où la foule poussait ces acclamations, Tsao fit en sorte de se trouver à peu près dans la même position que l’Empereur ; c’était en quelque sorte essayer du rôle de souverain.
  11. Ce qui est en Chine un crime de lèse-majesté.
  12. Frère par adoption.
  13. Voir la note plus haut, page 91.
  14. Ce proverbe, dont les dictionnaires ne donnent pas le sens, parait signifier ici : Si vous voulez vous défaire de Tsao-Tsao, ménagez les jours de l’Empereur, que votre zèle imprudent pourrait compromettre. Le texte tartare traduit littéralement, et l’édition in-18 omet ce passage.
  15. Voir vol. Ier, les chap. II du livre II, et III du livre III.
  16. Voir vol. Ier, page 308, l’histoire de cet eunuque tout-puissant, qui vivait sous la courte dynastie des Tsin.
  17. Il était frère de la princesse Tang-Héou, mère adoptive de l’Empereur. Voir vol. Ier, livre III, chap. III.
  18. Livre IV, chap. X, page 151 du texte chinois.
  19. L’édition in-18 fait la remarque suivante : Ce fut Fou-Wan qui indiqua le stratagème de la ceinture, et cependant il ne figura pas même parmi les sept complices que Tong-Tching associa à ses projets ! — Le même texte ajoute, qu’après avoir donné ce conseil, il se retira prudemment. — Comme on le verra plus bas, l’Empereur écrivit sur un morceau de gaze blanche.
  20. Littéralement : des mandarins qui ont acquis des mérites.
  21. Voir sa biographie et celle de Tchang-Léang, dans le vol. III des Mémoires sur les Chinois, et l’ensemble des événements auxquels il est fait allusion, dans l’Histoire générale de la Chine, vol. II, page 443 et suivantes. — Dan s cette scène, qui ne manque pas de grandeur, pourquoi se trouve-t-il de ces traditions bizarres qui en gâtent l’effet ! Ce serpent blanc fabuleux peut être quelque chose comme la tarasque.
  22. Le texte tartare dit : tatan tobo te tahe, était assis dans la cabane, dans la chaumière. On peut voir dans cette phrase une allusion à la retraite de Tchang-Léang à Hia-Py.
  23. Ou plutôt, selon la version tartare : C’est bien justement qu’en les plaçant à côté des ancêtres, on leur rend les mêmes honneurs.
  24. Voir vol. Ier, page 232.
  25. Littéralement : des mandarins qui ont bien mérité.
  26. L’écrivain chinois oublie, en mettant cette citation dans le décret, que le jeune Empereur, ignorant les actions de ses aïeux, ne les a apprises que quelques minutes après avoir écrit ces lignes, de la bouche même de Tong-Tching.
  27. Voir vol, Ier, page 163.
  28. C’est-à-dire les barbares de l’ouest qui avoisinaient la province occidentale de Sy-Liang.