Histoire du Privilége de Saint Romain/1193 à 1394

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1193. L’année de la captivité de Richard-Cœur-de-Lion, il n’y eut point de prisonnier délivré.

L’ENQUÊTE de 1210 nous l’a appris ; sous les règnes de Henri II et de Richard-Cœur-de-Lion, rois d’Angleterre et ducs de Normandie, Un prisonnier était tous les ans, sans difficulté, délivré au chapitre de Rouen. Nous avons vu, toutefois, qu’en l’année où Richard fut prisonnier du duc d’Autriche et de l’empereur Henri VI, c’est-à-dire en 1193, il ne fut point délivré de prisonnier. Ce fut sans doute en témoignage de deuil public, que l’église de Rouen s’abstint alors de demander, ou que peut-être les officiers de justice refusèrent de lui donner un prisonnier. Convenait-il de délivrer quelqu’un par pure grâce et avec tant d’appareil, tandis que le royal croisé était dans les fers ?

1194. Il y eut, en cette année, deux prisonniers délivrés.

Mais, l’année suivante, Richard était libre ; le diable était déchaîné, comme l’écrivait Philippe-Auguste à Jean-Sans-Terre ; et aucune raison ne s’opposant plus à ce que l’église de Rouen pût jouir de sa belle prérogative, le chapitre obtint un prisonnier pour l’année présente ; et, de plus, il lui en fut délivré un second pour l’année d’avant.

Pendant le règne de Jean-Sans-Terre, successeur de Richard-Cœur-de-Lion, le privilège de la fierte dut prendre de la consistance et de l’extension ; apparemment ce fut alors que le chapitre commença à le rendre indépendant du consentement annuel du souverain. Un prince indolent, apathique et voluptueux devait voir avec assez d’indifférence quelques fleurons se détacher d’une couronne que, depuis, il perdit si gaiement, après l’avoir acquise par le plus lâche de tous les crimes. Pendant ses absences fréquentes et prolongées, le chapitre de Rouen ne s’endormit pas ; et bientôt, lorsque ce prince eut été chassé et que Philippe-Auguste eut réuni la Normandie au royaume de France, l’avènement d’un nouveau roi qui avait besoin de se concilier le pays qu’il venait de conquérir ; les embarras, suite nécessaire de l’occupation récente d’une si vaste province ; l’ignorance dans laquelle étaient les officiers du roi de France sur la nature et l’origine d’un usage particulier à la province et qu’ils trouvèrent existant et déjà assez ancien, favorisèrent encore le chapitre, qui s’affermit de plus en plus dans sa possession autrefois précaire ; et lorsqu’en 1210, enfin, le gouverneur du château de Rouen, venant à faire plus d’attention à ce privilège, qui lui parut un empiétement sur les droits du roi son maître, voulut tenter d’en empêcher l’exercice, il était trop tard ; Philippe-Auguste le sentit ; l’ordre qu’il donna à ses deux commissaires (l’archevêque de Rouen et le châtelain d’Arques) de faire une enquête sur le point contesté, et, si le droit des chanoines se trouvait établi, de leur délivrer immédiatement leur prisonnier ; enfin, le résultat de l’enquête, dans laquelle furent entendus neuf témoins, montrent que si le prisonnier, refusé d’abord au chapitre, lui fut délivré en définitive, c’est que ce qui n’avait été, dans l’origine, qu’une grâce, était, dès-lors, par l’habileté du clergé, devenu un droit, pour ainsi dire inviolable et sacré, dans la possession duquel il n’eût pas été politique d’inquiéter l’église de Rouen.

Peut-être aussi serait-il juste de faire honneur de cette reconnaissance si spontanée du privilège de la métropole de Rouen, à la piété de Philippe et à ses sentimens bienveillans pour l’église et le clergé, sentimens qu’attestent tous les monumens de l’histoire, et qui même lui avaient valu, de son vivant, la qualification de roi des prêtres[1].

1207. Maire de Rouen contraint de rendre au chapitre un prisonnier qui avait levé la fierte.

Trois ans avant ces deux actes (en 1207) le maire de Rouen s’étant permis de retenir un prisonnier que les chanoines avaient élu pour lever la fierte, le chapitre avait lancé un interdit sur la ville. « A quoy le maire ne fit amende (réparation). Pourquoy ne fut levé ledit interdit, ny pour prières du roy, ny pour menaces qu’il fist, ny pour ambassade qu’il envoyast, jusques ad ce que le prisonnier fust restitué par le maire et amené par luy dans Nostre-Dame et en plain chapitre[2]. »

1299. Prisonnier arraché au supplice, par respect pour le privilége de saint Romain.

L’heureux résultat de l’enquête de 1210 n’était pas fait pour rendre le chapitre plus endurant sur les atteintes dont son privilège pourrait être l’objet. Un fait arrivé en 1299 va le prouver. A l’échiquier de Pâques, lors de l’insinuation du privilège, il avait été défendu, en pleine audience, à Pierre Saymel, bailli de Rouen, et à Geoffroy Avice, alors vicomte, de faire exécuter à mort ou transporter dans d’autres prisons aucun prisonnier détenu pour crime, jusqu’à ce que les chanoines de Notre-Dame, selon la coutume de l’église de Rouen et selon le privilège « accordé à la sainte vierge Marie et au bienheureux saint Romain », eussent choisi, le jour de l’Ascension de Notre Seigneur, un de ces prisonniers à leur volonté[3].

Robert d’Auberbosc, écuyer, était alors détenu sous le poids d’une accusation de meurtre. Au mépris de la notification du privilège et des défenses expresses de l’échiquier, le bailli fit mettre ce prisonnier en jugement. Le crime ayant été prouvé, Robert d’Auberbosc fut condamné à mort. Le bailli donna des ordres pour que la sentence fût immédiatement exécutée. En conséquence, le condamné fut attaché à la queue des chevaux et traîné au gibet. Mais, averti de ces préparatifs, le chapitre avait envoyé cinq de ses membres supplier les maîtres de l’échiquier et l’évêque de Dole, leur président, d’empêcher que d’Auberbosc fût mis à mort, et de le faire ramener dans les prisons du roi jusqu’à ce que l’église de Rouen eût choisi celui des détenus qui devrait lever la fierte cette année, le choix du chapitre pouvant tomber sur d’Auberbosc comme sur les autres détenus. Cette demande était trop juste pour n’être pas écoutée. Par l’ordre des maîtres de l’échiquier, Robert d’Auberbosc, qui était déjà près du gibet, fut ramené dans les prisons du roi, escorté d’une multitude innombrable d’habitans, parmi lesquels on remarquait les secrétaires de l’officialité et les archers de l’abbesse de Saint-Amand. Ce ne fut pas ce prisonnier que les chanoines choisirent, le jour de l’Ascension, pour lever la fierte ; mais le droit du chapitre avait été solennellement reconnu, et il ne voulait pas autre chose[4].

1302. Prisonnier transféré hors la ville de Rouen, au mépris de l’insinuation du privilège saint Romain.

Cette leçon aurait dû suffire au bailli de Rouen. Toutefois, dès l’an 1302, ce magistrat, encore au mépris de semblables défenses qui lui avaient été faites en pleines assises, dans le château, onze jours avant l’Ascension, fit transporter, des prisons de Rouen dans celles du Pont-de-l’Arche, Nicolas Letonnelier, de la paroisse de Saint-Germain près Cailly, détenu pour meurtre. En vain les chanoines le supplièrent, à diverses reprises, de faire réintégrer cet individu dans les prisons de Rouen, du moins jusqu’à l’Ascension. Il n’eut aucun égard à leurs instances réitérées, et on ne put obtenir de lui d’autre réponse, sinon que les chanoines étaient libres de choisir, pour la cérémonie, tel prisonnier qu’ils voudraient, excepté Nicolas Letonnelier. C’était la seconde fois que le bailli s’en prenait au privilège de l’église de Rouen. Cette récidive, l’opiniâtreté inflexible avec laquelle, en cette occurrence, il repoussa toutes les représentations qu’on voulut lui faire, semblaient déceler en lui de sinistres desseins contre ce privilège. Il y eut grande rumeur au chapitre. Les chanoines s’écrièrent qu’on attentait au privilège de saint Romain, que l’on méconnaissait leur droit, que l’on portait atteinte à la liberté de leurs suffrages. Le jour de l’Ascension ils ne désignèrent point de prisonnier pour lever la fierte, mais ils se rendirent processionnellement, comme de coutume, avec toutes les châsses de la cathédrale, à la place de la Vieille-Tour. Là, par l’ordre du chapitre, un de ses orateurs, et peut-être n’avait-on pas choisi le plus modéré de tous, raconta au peuple ce qui s’était passé entre le bailli et l’église. On peut imaginer l’effet de cette communication officieuse et de ces doléances, sur une population dévouée au clergé, enthousiaste du privilège, et déjà indisposée de ne point voir ce prisonnier, objet pour elle d’une si ardente curiosité, d’un si vif intérêt. Pour ne point laisser se refroidir les sentimens sympathiques qu’avait excités cette harangue, le chapitre eut recours à un moyen que déjà, il avait employé avec succès. Aux yeux des habitans de Rouen, il n’y avait rien de plus auguste et de plus sacré que la fierte de Saint-Romain, où reposaient les vénérables restes du saint pontife. Cette fierte était pour la ville comme un palladium auquel semblaient attachées ses destinées. On racontait de grands miracles opérés par ces saintes reliques, dans des calamités auxquelles avait été en proie la capitale de la Normandie. Le dernier, tout récent encore, était présent à tous les esprits. Il y avait à peine six ans[5]. la Seine en fureur avait rompu une arche du pont de Rouen, et, s’élançant de son lit, avait renversé les murailles et allait inonder la ville. Tout-à-coup on avait vu une procession générale s’avancer lentement vers le fleuve, ayant à sa tête l’archevêque Guillaume Flavacourt, et au milieu d’elle un bras de saint Romain, que des prêtres portaient avec respect. A peine cette sainte relique avait-elle paru, qu’à la vue de tout le peuple émerveillè, la Seine, devenue docile, s’était retirée dans son lit, vaincue aujourd’hui par la seule apparition des restes de saint Romain, comme, six siècles avant, elle l’avait été par la présence du saint pontife et par sa voix puissante et souveraine. Tant de merveilles avaient accru la dévotion des Rouennais pour saint Romain leur ancien évêque, et sa châsse était devenue ainsi pour eux l’objet d’un véritable culte et d’une sorte d’adoration. Cette sainte châsse, cette fierte révérée, envers laquelle un imprudent magistrat s'était rendu coupable d'un double outrage, le chapitre la laissa exposée solennellement aux yeux du peuple, dans la place de la Vieille-Tour, en déclarant qu’elle demeurerait dans cet endroit, tant que Nicolas Letonnelier n’aurait pas été ramené des prisons du Pont-de-l’Arche dans celles de Rouen, et que l’église de Rouen n’aurait pas été restituée pleinement dans sa possession et dans la liberté de ses suffrages. Cela fut exécuté ponctuellement, et la fierte de Saint-Romain resta ainsi exposée en permanence à la Vieille-Tour, le jeudi jour de l’Ascension, le vendredi et le samedi, gardée jour et nuit par des ecclésiastiques et par un nombre considérable de fidèles qui se faisaient un devoir de cette pieuse assistance. Chaque jour, le clergé et le chapitre de Notre-Dame venaient, processionnellement, visiter et honorer la châsse. Une multitude innombrable suivait ces processions, et témoignait ainsi hautement de sa sympathie pour l’église, de son vif attachement pour le privilège de saint Romain. Cette exposition extraordinaire de la fierte du saint, ces processions inaccoutumées n’avaient pu avoir lieu sans quelque mouvement dans le peuple, que les chanoines avaient fort adroitement semblè prendre pour arbitre, en lui racontant, le jour de l’Ascension, leurs démêlés avec le vicomte, Ce dernier sentit qu’il n’était pas le plus fort. Dès le samedi, il fit réintègrer Nicolas Letonnelier dans les prisons de Rouen, et s’empressa d’en donner avis au chapitre, qui, de son côté, ne perdit pas de tems. Le dimanche, deux chanoines furent envoyés à la prison pour recevoir, suivant l’usage, les déclarations de tous les prisonniers. Ces députés vinrent faire leur rapport au chapitre, qui, se voyant rétabli dans son droit et dans la liberté de son élection, choisit pour lever la fierte, non point ce Nicolas Letonnelier dont la translation avait causé tant de bruit, mais Guillaume de Montguerard, écuyer ; ce qui prouva qu’en cette occasion encore le chapitre n’avait voulu que forcer les magistrats à reconnaître son droit et à respecter son pouvoir. Le vicomte ayant délivré, sans difficulté, ce prisonnier aux députés du chapitre, la procession se rendit solennellement de la cathédrale à la Vieille-Tour, avec toutes ses châsses et ses reliquaires, comme si c’eût été le jour de l’Ascension. Une foule encore plus considérable qu’à l’ordinaire se pressait sur la place. Le peuple avait entendu, trois jours auparavant, les chanoines lui exposer leurs griefs contre les magistrats civils ; il était juste qu’on lui fît connaître la suite de cette affaire ; il n’eut rien à désirer à cet égard ; un des orateurs du chapitre harangua encore une fois cette multitude, et lui annonça que le bailli avait fait enfin réparation à l’église, en réintégrant au château le prisonnier qui en avait été extrait ; après quoi Guillaume de Montguerard leva la fierte, et le reste de la cérémonie se passa sans nouvel incident[6]. Le chapitre, on le voit, n’en est plus à ces tems d’essai où il obtenait un prisonnier comme par grâce. Maintenant que d’une pieuse coutume il a fait un droit, et que ce droit a été solennellement reconnu par Philippe-Auguste, il parle et agit en maître ; il interdit les officiers qui osent attenter à son privilège ; il les dénonce publiquement à un peuple épris d’une solennité imposante, particulière à la province, et prêt à menacer les magistrats téméraires qui voudraient la troubler.

1327. Incident qui suspend la cérémonie de la fierte.

Un autre incident, qui signala l’année 1327, avait sa source, non plus dans une méconnaissance du droit du chapitre, mais dans une méprise résultant de ce que le prisonnier qu’il choisit cette fois pour lever la fierte s’était fait écrouer sous un faux nom. Le nommé Pierre Dautuel (ou Dantuel), banni précédemment à cause d’un crime, avait rompu son ban et s’était rendu coupable d’un meurtre. Arrêté et conduit aux prisons du château de Rouen, il fut interrogé par les magistrats, qui ne le reconnurent point. Lui-même, pour éviter l’aggravation de peine que lui auraient value la rupture de son ban et la récidive, cacha son véritable nom, et dit qu’il s’appelait Guiot Duval ou de la Vallèe, en sorte qu’il fut écroué et détenu sous ce nom supposé. Aux Rogations, lorsque les députés du chapitre vinrent dans la prison recevoir les déclarations des détenus qui prétendaient au privilège, Pierre Dautuel leur confessa tout, mais oublia apparemment de leur dire qu’il avait été écroué sous un faux nom. Le jour de l’Ascension, ce fut sur lui que tomba le choix du chapitre. Suivant l’usage existant alors, la procession s’étant rendue à la Vieille-Tour, deux chapelains furent envoyés au château pour chercher le prisonnier élu et l’amener au lieu où était la châsse. Mais au château, lorsque les deux chapelains demandèrent Pierre Dautuel, on leur répondit (ce qui était vrai) que l’on ne connaissait dans les prisons aucun détenu qui portât ce nom. Le clergé qui attendait le prisonnier à la Vieille-Tour, vit avec étonnement revenir seuls les deux chapelains, qui lui firent leur rapport sur ce qui s’était passé dans la prison. La conjoncture était pressante. Les chanoines allèrent tenir conseil dans les halles ; et là, il fut résolu que le chapitre s’en tiendrait à son élection. Les deux chanoines qui avaient reçu les confessions des prétendans au privilège furent envoyés au château où était le vicomte. A leur prière, on fit venir tous les prisonniers, parmi lesquels les deux députés reconnurent aussi-tôt Pierre Dautuel, qu’ils désignèrent au vicomte, en lui disant que c’était cet individu même que le chapitre réclamait pour lever la fierte. Il y eut, à ce sujet, entre eux et cet officier, de longs et vifs pourparlers. Mais enfin Dautuel leur fut délivré, et ils le conduisirent à la Vieille-Tour, où le chapitre, le clergé et le peuple attendaient impatiemment l’issue de ce débat[7].

1358. Un meurtrier ayant levé la fierte, arrêté après la cérémonie, recouvre sa liberté par les soins du chapitre.

En 1358, le nommé Jehan Dismois, de la paroisse de Mesnières, détenu à Rouen pour soupeçon d’omicide fait a la personne de Jehan Dugardin, avait été élu par le chapitre, le jour de l’Ascension, délivré par le bailli, et avait levé la fierte avec les solennités ordinaires. Peu de jours après la fête, les officiers du bailliage d’Eu firent arrêter Jehan Dismois, à raison de ce même meurtre, dont il avait obtenu la rémission. Le chapitre se plaignit au bailli de Rouen (Guillaume Richer), qui se hâta d’écrire au bailli et vicomte d’Eu, que c’estoit violer le prèvïlège et libertés de l’église de Rouen, en vitupère de la dicte église et de monsieur saint Romain, et au préjudice du duc de Normandie et de sa jurisdiction et délivrance. Il les requérait de vouloir mettre au délivre, sans aucun délai ou difficulté, le corps et les biens d’icelui prisonnier, en le laissant joïr franchement des dis privilèges et libertés ; « et vous plaise tant faire, leur disait-il en terminant sa lettre, comme vous vouldriez que nous féîssons pour vous en cas semblable ou grégneur (plus grand), ce que nous ferions volentiers. Et agissez en telle manière que il ne conviengne pas pourvoier (user) d’autre remède, en nous rescripvant, s’il vous plaist, ce que il vous en plaira à faire[8]. » Les officiers du bailliage d’Eu se hâtèrent de déférer à l’invitation du bailli de Rouen et de mettre Dismois en liberté.

Dans notre Dissertation préliminaire, nous avons avancé que tant que le privilège de saint Romain exista, il fut, surtout dans les premiers tems, entre l’église de Rouen et les magistrats séculiers de cette ville, un objet de continuelles disputes. Nous avons ajouté que ces débats, d’abord très-multipliés, ne devinrent un peu moins fréquens que dans les derniers tems, lorsque des édits royaux eurent réglé l’exercice du privilège de la fierte, et que la jurisprudence du parlement et du grand-conseil fut enfin fixée sur cet objet. Quoi de plus propre à prouver la vérité de ces assertions, que les scènes dont on vient de lire le récit ! mais quoi de plus propre à prouver aussi ce que nous avons ajouté, que si, dans les époques antérieures, on ne trouve aucune trace, ni du privilège, ni de débats sur le privilège, c’est qu’il n’existait point encore alors. Le moyen de croire en effet qu’un usage qui, seulement de 1210 à 1358, donna lieu aux scènes que nous venons de décrire, aux réclamations que nous avons fait connaître, et à d’autres de même nature que nous omettons pour ne point fatiguer le lecteur, put exister depuis saint Romain jusqu’à Henri II, duc de Normandie, c’est-à-dire pendant cinq siècles, sans donner lieu au plus petit débat, sans être l’objet de la plus légère remarque de la part des annalistes, et cela dans un tems où l’histoire ne s’occupait que de l’église. Mais il nous faut continuer le récit des démêlés auxquels le privilège continua de donner lieu, des scènes dont il fut encore l’occasion. On a vu, en 1299, le chapitre dénoncer à l’échiquier le bailli de Rouen, qui, depuis l’insinuation du privilège, et avant l’Ascension, avait condamné à mort Robert d’Auberbosc, et l’avait envoyé au supplice. L’échiquier fit droit aux justes réclamations du chapitre ; et d’Auberbosc, qui allait recevoir le coup mortel, fut arraché des mains du bourreau et ramené dans les prisons.

1361. Exécution d’un criminel, après l’insinuation et avant l’Ascension. Le chapitre excommunie le bailli de Rouen, qui, enfin, est forcé de lui demander pardon.

En 1361, dans une conjoncture semblable, le chapitre fut averti trop tard ; et, chose inouie jusqu’alors, une exécution capitale eut lieu dans Rouen entre l’insinuation du privilège et la fête de l’Ascension ; mais l'église de Rouen ne laissa pas impuni ce nouvel attentat a son privilége. Cette année, à l’époque ordinaire, le privilège avait été insinué au bailliage, en présence du bailli Nicolas Dubosc. Toutefois, et cela doit étonner après tant d’expériences toujours malheureuses, ce magistrat ne craignit pas, malgré les notifications expresses du chapitre, de faire le procès à un nommé Roger Letailleur (ou Letellier), prisonnier au château, de le condamner à mort, et, pour comble d’imprudence, il osa le faire exécuter avant l’Ascension. Cette procédure avait été bien secrète, et Letailleur avait été conduit clandestinement au supplice, sans quoi le chapitre n’aurait pas manqué de faire pour ce prisonnier, ce qu’en 1299 il avait fait pour Robert d’Auberbosc ; et, sans doute, ses démarches n’auraient pas eu moins de succès. Mais, lorsqu’on vint l’avertir, le mal était sans remède. Restait, du moins, à venger un attentat si inouï « qui alloit au deshonneur du glorieux sainct Romain, une violation si manifeste du privilège de l’église de Rouen. » Les chanoines tentèrent d’abord les moyens de douceur. Plusieurs fois ils remontrèrent au bailli la faute énorme qu’il avait faite ; plusieurs fois ils le conjurèrent de se repentir de cette action téméraire. Mais ces avances officieuses furent en pure perte ; le bailli « demoura opiniâtre dans son erreur, au scandale de tout le peuple,. qui ne vit plus en lui qu’un infracteur des privilèges de l’église. » La patience du chapitre était épuisée, et il en vint enfin aux moyens de rigueur. Le souverain pontife lui avait donné plein pouvoir d’excommunier ceux qui voudraient violer les droits et immunités de l’église de Rouen, après les avoir avertis canoniquement, et de les tenir pour excommuniés notoires et publics, par l’autorité du saint-siége, jusqu’à ce qu’ils eussent fait satisfaction à l’église et reconnu leur faute. Le tems était venu de recourir à ce moyen extrême contre un sacrilége endurci ; car « telle meschanceté ne debvoit demourer impunie. » Mandement fut donc adressé aux curés de Saint-Etienne-la-Grande-Église, de Saint-Godard et de Saint-Sauveur, pour qu’ils eussent à signifier au bailli Nicolas Dubosc « qui s’estoit porté avec tant de chaleur contre le chapitre et l’église de Rouen », que, par l’autorité du saint-siège, le chapitre ne lui donnait plus que trois jours pour reconnaître sa faute, recevoir telle punition qu’il plairait aux chanoines, et réparer son crime contre le chapitre, contre l’église, contre Dieu et le glorieux confesseur saint Romain. Le chapitre fut obéi. Le curé de Saint-Sauveur fit cette notification au bailli Nicolas Dubosc, à sa propre personne, en lui déclarant que « s’il demouroit encore opiniastre, le temps des dits trois jours estant expiré, il seroit excommunié dès lors, et que la sentence d’excommunication seroit publiée dans toutes les églises de Rouen. » Le bailli Dubosc était opiniâtre ; il appela de la sentence du chapitre et fit saisir le temporel de l’église de Rouen. Mais ce conflit scandaleux ne devait pas se prolonger plus long-tems. Le duc de Normandie (Charles, qui régna depuis sous le nom de Charles V), averti de ces démêlés qui troublaient la ville, chargea Simon Le Bagneux, vicomte de Rouen, d’informer du prétendu attentat fait par le bailli au privilége de saint Romain. Dans le préambule de ses lettres-patentes de commission, le prince se montrait on ne peut pas plus favorable à ce privilége de l’église de Rouen, et annonçait la résolution de prononcer lui-même sur le différend entre cette église et le bailli. Ce dernier, dont les torts étaient évidens, sentit que le moment était venu de les reconnaître. « Après avoir donné mainlevée de la saisie des biens de l’église, il se submit à faire réparation de la faute par luy commise » ; et, bientôt en effet, il demanda au chapitre son pardon, qui lui fut accordé. L’attentat au privilège étant ainsi réparé, l’excommunication fut levée, les procédures commencées cessèrent, et on ne fit point une information qui devenait désormais sans objet.

1363. Les officiers d’une reine douairière de France attentent au privilége

Deux ans après, on vit le chapitre défendre son privilège contre Blanche d’Evreux, veuve de Philippe de Valois, dont les officiers poursuivaient un individu qui avait levé la fierte, et voulaient le juger a raison du crime même pour lequel il l’avait obtenue. En 1363, Jean Le Bourgois, de la paroisse de Saint-Jacques-de-Neufchâtel, accusé d’avoir tué Guillaume Lelong, avait obtenu le privilège de saint Romain, à raison de ce fait. Neufchâtel faisant alors partie des apanages de la reine Blanche, Jean Le Bourgois était subject ou justiciable de cette reine. Les officiers de la princesse, peu de tems après l’Ascension, le firent appeler à ban, à raison du crime qu’il avait commis, saisirent ses biens comme confisqués, et en firent annoncer la vente à l’encan. Le chapitre se plaignit à la reine Blanche de ces procédures étranges contre un homme que le privilège de saint Romain avait rendu inviolable, et fit notifier à cette princesse l’acte de délivrance de Le Bourgois, en vertu du privilège de la fierte. Ils la supplièrent que, « en l’onneur et remembrance (mémoire) du glorieux saint Monsieur saint Romain et de l’église de Rouen, elle voulsist (voulût) tenir et faire tenir par ses officiers la dicte délivrance, la quelle, par la grâce et par les mérites du dit benoist (bénit) saint, avoit eue le dit Bourgoiz, et que elle voulsist souffrir que les lettres de la dicte délivrance eussent leur plain et parfaict effect, tant en corps et biens du dit Bourgoiz que autrement. »

Le procureur de la reine Blanche voulait faire continuer les procédures commencées ; mais elle, « comme très vraie, très dévote et très parfaicte catholique, coulumpne (colonne) et garde de l’église », ordonna à ses officiers de suspendre leurs procédures. Philippe d’Alençon, archevêque de Rouen, était son neveu ; elle le chargea « d’ordonner de la dicte besongne, promettant d’avoir ferme et agréable ce qu’il lui en plairoit ordonner et faire. » Le chapitre n’avait garde de refuser ce prélat pour arbitre. Philippe d’Alençon, après avoir entendu les gens de la reine Blanche et les députés du chapitre, trouva que « Le Bourgois n’avoit onques monstré sa lettre de délivrance à la reine Blanche, ne à aulcun de ses gens ; et que, pour ce, ma dicte dame qui, de nouvel, estoit venue à sa dicte terre, avoit eue juste ignorance du droict de l’esglise de Rouen. » Il décida, en conséquence, que « la dicte dame et ses gens debvoient estre excuséz et quictes de tous blasmes et reprouches à leur procédé. » Mais ce prélat prononça, bien entendu, que « Jehan Le Bourgois, son corps et ses biens, par vertu du privilège Saint-Romain et par l’élection du chapitre, estoit à plein délivré, quitte et absoulz du dict homicide, et qui, pour le dict homicide, ou autres crimes commis avant la dicte délivrance, il ne debvoit ne ne pouvoit estre détenu et arresté, ni ses biens saisis. »

1391. Le privilége abolissait la confiscation, et déchargeait de l’amende.

C’était, il est vrai, un des effets du privilège de saint Romain, d’abolir la confiscation encourue par celui qui avait levé la fierte ; il était aussi déchargé de l’amende qui avait pu être prononcée contre lui à raison de son crime, quelque considérable qu’elle fût. Il ne restait tenu que des dommages-intérêts envers les parties civiles, comme nous le verrons bientôt. Mais s’il avait possédé, précédemment, une charge ou un office qui eût été confisqué sur lui, par l’effet de son crime, le recouvrait-il après avoir levé la fierte ? L’affirmative semblerait résulter du fait que nous allons rapporter. En 1391, Richard Le Prévost avait levé la fierte. Avant son crime, il était titulaire de la sergenterie du Bourguignon, dans la forêt de Lalonde, près Elbeuf ; mais Louis de Tournebu, seigneur de Lalonde, avait fait saisir cette sergenterie et l’avait retenue en sa main, après même que Le Prévost eut levé la fierte. Le Prévost dénonça au chapitre cette saisie comme un attentat au privilège de saint Romain, et fit assigner le sieur de Tournebu devant le bailli de Rouen. Le chapitre était alors un adversaire redoutable, et les plus grands seigneurs craignaient de se commettre avec lui. Le sieur de Tournebu sentit le besoin de se mettre promptement d’accord avec une compagnie dont le crédit était si grand. « Icellui escuier, pour révérence et honneur de l’èglise et du prévillège Saint-Romain, et pour icellui révérer et honnourer à tout son povoir, alla par devers les doyen et chappitre, en l’esglise cathédrale, et leur dit, présens plusieurs personnes notables, que la sergenterie du Bourguègnon estoit tenue de luy par foy et hommage, à cause de sa terre de la Londe, et qu’avant l’arrestation de Le Prévost, il avoit fait prendre et mettre en sa main ceste sergenterie, publiquement, à oye de paroisse, ou autres lieux accoustumés, deuement et coûstumièrement, et l’avoit faict desservir en sa main, pour son droict garder, et ce, pour les hommages, reliefs, treizièmes, rentes, aydes, et autres droictures à luy deues, et non pour autre cause. Il ne vouldroit (ajouta-t-il) faire aucune chose contre les franchises, libertés, noblesces, honneurs et révérences du prévillège de Monsieur sainct Romain, ne l’usage et commune observance d’icellui. » Il reconnut hautement que, par l’effet du privilège, Richard Le Prévost « avoit esté délivré en corps et biens, meubles et héritages, quant aux cas crimineulx (criminels). » Quant à la sergenterie du Bourguignon, Le Prévost l’ayant, depuis peu, satisfait de ce qu’il lui devait, il déclarait lui rendre cette sergenterie, pour en jouir comme avant la saisie. Peu de jours après, le sieur de Tournebu et le procureur du chapitre allèrent à l’audience du bailli, et lui firent connaître ce qui s’était passé au chapitre. Jean de la Tuile, bailli de Rouen, encore peu instruit apparemment de la pratique du privilège, « voulant savoir se (si) ce que dit estoit vray estoit, et se l’en (l’on) en avoit accoustumé à user ainsi que dit est, et s’il estoit raisonnable à passer sans faire préjudice au roy, demanda aux saiges (sages) assistenz, advocas et autres es tans en la court, ce qu’il en estoit des choses dessus dictes. Ils distrent (dirent) et respondirent que l’en (l’on) en avoit, ainsi que dessus est dict, usé et observé par vertu du dict prévillège, de tel temps qu’il n’estoit mémore (mémoire) du contraire », et ainsi finit ce débat. On pensa donc que si Le Prévost eût été privé de sa sergenterie, à raison de son crime, il aurait dû ensuite la recouvrer par cela seul qu’il ait obtenu le privilège de saint Romain. Mais était-ce toujours l’effet de ce privilège de réintégrer dans leurs offices ceux qu’un crime en avait fait dépouiller ? L’affirmative semblerait résulter de ce qui précède, et toutefois, il n’y avait rien de fixe à cet égard. Ainsi, un revendeur de poisson à Rouen, condamné à mort pour crime de fausse monnaie, ayant, vers la fin du xve siècle, levé la fierte à raison de ce crime, voulut ensuite recouvrer son office de revendeur, que l’arrêt de condamnation avait déclaré confisqué, et qui avait été donné par le roi à un autre titulaire. Il se fondait sur ce que, par l’effet du privilège, il avait été « restabli dans sa bone fame (réputation) et renommée. » Mais l’échiquier de Rouen, par un arrêt du 22 décembre 1506, décida que cet office « estoit et demeureroit confisqué et resteroit à l’impétrant[9]. »

Le contraire fut décidé, mais ailleurs, à l’égard de Raoul Coignet, qui avait levé la fierte en 1586, comme coupable du meurtre de son frère. Dès 1585, le parlement de Paris l’avait condamné à mort par contumace, pour ce crime ; son office de conseiller-secrétaire du roi aux finances avait été confisqué sur lui, et un sieur Charles Benoise en avait été pourvu. Après avoir obtenu le privilège, ses démarches pour recouvrer son office furent couronnées de succès. Par lettres-patentes de janvier 1590, il fut rétabli dans sa charge, qu’il conserva jusqu’en 1602, où il la résigna en faveur de Michel Renouard[10]. M. Des Gentils sieur de Thirac, conseiller au parlement de Bordeaux, qui avait levé la fierte en 1618, à raison d’un meurtre et d’un rapt, prenait encore, plusieurs années après[11], dans des actes que j’ai vus, le titre de « conseiller du roy en sa court de parlement de Bordeaulx. » Mais l’avait-il en effet conservé ? Je l’ignore. J’ignore également si Maximilien Marc, l’un des huissiers du parlement de Rouen, qui avait levé la fierte en 1629, perdit pour toujours son office, dont cette cour souveraine l’avait dépouillé peu de tems après le crime. Toujours est-il certain qu’au moment où il obtint le privilège, les instances du chapitre pour lui faire rendre sa charge ne furent point écoutées. Mais voici un dernier fait qui paraît décisif. Un sieur Duval, de Lisieux, avait levé la fierte en 1753. Son père, qui était procureur, étant venu à mourir deux ans après, il voulut exercer la charge de procureur, seul héritage que lui eût laissé le défunt. Et comme on lui faisait des difficultés, à cause du crime qui l’avait mis dans le cas de solliciter la fierte, il eut recours au chapitre de Rouen, et supplia cette compagnie de lui faire savoir si, en vertu du privilège de saint Romain, il pouvait posséder toutes charges et offices publics. Le chapitre lui répondit[12] que « jamais difficulté n’avoit été plus mal fondée que celle qui lui étoit faite. Ce privilège, ajoutait le chapitre, est une grâce qui abolit le crime avec toutes ses suites, dont l’infamie et l’incapacité d’entrer dans les charges publiques est une des principales. Aussi, parmi tous ceux qui ont joui de cette grâce, dont plusieurs ont occupé des places très-distinguées et très-importantes dans l’état, aucun n’a jamais été inquiété à ce sujet. On ne connoît qu’un exemple d’une pareille contestation, mais qui a été décidé d’une manière si authentique en faveur du privilège, que jamais la chose ne doit désormais paraître équivoque. Si donc il n’y a point d’autre obstacle à votre réception, vous pouvez être tranquille. Le chapitre se portera volontiers à vous aider de ses titres et de sa protection, regardant comme une atteinte à son privilège toute difficulté qu’on pourroit vous faire à ce sujet. »

Enqête de 1394. Tous les complices participaient-ils à la grâce obtenue, au moyen du privilége, par un des auteurs du crime ?

Mais, sans anticiper davantage sur l’ordre des faits, arrêtons-nous à l’année 1394, si mémorable dans l’histoire du privilège de saint Romain, et où les conséquences de ce beau privilège furent si habilement et si curieusement développées. Cette année, à la fête de l’Ascension, la fierte avait été levée par le nommé Jehan Maignart, de la paroisse de Saint-Maclou de Rouen, coupable de l’assassinat de Rogier Le Veantre. Il n’avait pas été seul à commettre ce meurtre, et une scène qui se passa dans la ville, le jour de l’Ascension, semblerait même indiquer que, s’il était pour quelque chose dans ce crime, du moins n’y avait-il pas eu le principal rôle. Après la cérémonie de la fierte, les confrères de Saint-Romain conduisaient, comme en triomphe par les rues de Rouen, Jehan Maignart, couronné de fleurs. Au bout de la rue de l’École, une femme du peuple apostropha le prisonnier en ces termes : « Faux traître, meurdrier, tu as pris le fait sus toy, pour délivrer autry ; tu t’en repentiras. Je pri à dieu et à Monseigneur saint Romain que tu faches encore le fait de quoy tu saies trainné et pendu. » Cette insulte faite au prisonnier, en présence de tous les membres de la confrérie de Saint-Romain et d’une multitude nombreuse, fut dénoncée au chapitre, qui, touché du repentir de la coupable, la condamna, pour toute pénitence, à aller avec son mari entendre deux messes à Sainte-Catherine-lez-Rouen[13]. Mais cet incident avait éclairé la justice ; et, après la fête, les officiers du roi recherchèrent les complices de Maignart, entre autres Pierre Robert et Guillaume Marie, et procédèrent activement contre eux, à raison de l’assassinat de Le Veautre. Le chapitre en porta plainte au roi Charles VI, qui, par une charte du 26 février suivant, ordonna qu’une enquête serait faite pour constater si, dans l’usage suivi jusqu’alors, les complices avaient toujours, comme le prétendait le chapitre, participé à la décharge pleine et entière obtenue par le prisonnier admis à lever la fierte.

« Si (disait le roi dans cette charte) s’il vous appert souffisamment estre ainsi que dict est, faictes et souffrez les dis chanoines joïr et user paisiblement (doresnavant) de leurs droiz, franchises, libertés, usages, possessions et saisines, sans içeulx molester ou soufrir estre molestez ou empeschiéz au contraire, ores ( aujourd’hui) ne pour le temps à venir. » Dans cette même charte, le Roi Charles VI exprime la volonté de conserver « les droiz, usages, franchises et possessions de la cathédrale de Rouen, où, dit-il, le cuer (le cœur) de nostre très chier seigneur et père (Charles V), que Dieu absoille, (absolve) repose, d’autant plus qu’elles sont faictes en la révérence de Dieu et du glorieux corps de saint Romain. »

Jean de la Tuile, bailli de Rouen, commis par le roi pour faire cette information, entendit quatre-vingt-sept témoins. Le procès-verbal de cette enquête existe encore. C’est un rôle en parchemin, fort bien écrit, long de neuf pieds. Les quatre-vingt-sept témoins qui y figurèrent sont divisés en groupes de huit, dix, quinze ou vingt, selon les divers chefs de l’enquête auxquels se rapportent leurs dépositions ; car les témoignages ne portèrent pas seulement, comme on aurait pu s’y attendre, sur le point de savoir si l’absolution obtenue par le principal coupable, au moyen de la fierte, profitait à ses complices, la principale toutefois, et même la seule question dont il se dût agir. Mais le chapitre avait jugé l’occasion favorable pour fortifier et étendre son privilège ; et, à propos d’une question unique, on le vit exposer une théorie générale assez complète, sur l’origine, la nature et les conséquences du privilège de saint Romain ; elle consiste en une série de propositions toutes consignées dans l’enquête, toutes attestées par des témoins sans doute sincères.

Le préambule du procès-verbal est ainsi conçu : « Ce sont partiez des faiz et articles que entendent à enseigner et infourmer à monsieur le bailli de Rouen ou à son lieutenant, les doyen et chappitre de Nostre-dame, sur les cas touchant le prévillége de monsieur sainct Roumaing, affin que certaines lettres sur ce octroyees par le roy nostre sire le 26e. jour de febvrier 1394, soient enterinées et acomplies. »

Viennent ensuite les propositions alléguées par le chapitre.

« Premièrement, il est tout noctoire (notoire) et cler, telment que aucun ne le doit ramener en doubte ou à ygnorance, que, par la grâce et prévilége de monsieur saint Romain, est, chascun an, délivré, à la feste de rouvoisons (Rogations), des prisons du roy nostre sire, à Rouen, un homme ou fame, prisonnier ès dictes prisons, pour quelconques cas criminel que détenus y soit. Et est baillé et délivre par les gens et officiers du roy nostre sire, tel homme ou fame, des diz prisonniers, comme les diz doyen et chapitre ou leurs gens, à ce par eulx envoiéz et ordenéz veullent nommer et demander. » C’est ce qu’un très-grand nombre de témoins attesta ; et on ne saurait s’en étonner, puisque, dès 1210, comme nous l’avons vu, l’usage de la délivrance annuelle d’un prisonnier avait été établi par une enquête.

La deuxième proposition figure déjà dans notre dissertation sur l’origine du privilège. Nous n’en croyons pas moins devoir la reproduire ici :

« Dit l’en (l’on dit) communément, et est bien à tenir et à croire pour vérité, que le dit prévilège fu ainsi ordené en l’onneur et remembrance (mémoire) des notables et beaux miracles que fist le glorieux saint Romain à la cité de Rouen et à tout le païs de environ ; entre les quieulx (quels) par la grâce de Dieu il prinst et mist en subiection un grant serpent ou draglon qui estoit environ Rouen, et dévouroit et destruisoit les genz et bestes du païs, telment que nulz n’osoit converser ne habiter en icelui païs ; et, ensement (pareillement) icelui glorieux saint chassa et mist hors d’icelui païz anemis (diables) et malvéz espéris (esprits) qui conversoient et habitoient en celui païs, telment que aucun n’y osoit demourer ; avecques plusieurs grans et notables miracles que Dieu fist pour luy en sa vie et depuis son trespassement, comme il peut estre sçeu nottoirement[14]. »

Puis le chapitre traçait la règle d’interprétation que l’on devait suivre dans tous les cas où il s’agirait du privilège de la fierte, et cette règle, comme on va le voir, était tout en faveur de l’église de Rouen.

« Item, le dit prévilège et grâce, qui est seul et singulier par tout le royalme de France, et ne fu pas ordené ne mis sus sans grant dévocion et juste cause, doit estre entendu et gardé très largement et favorablement, et ne doit estre diminué, ne aucun des gracieux usagez dont les sagez et notablez officiers du temps passé ont souffert et laissé user, estre changiéz ouappetissiés ; maiz doit chascun les emplir et garder ; car le dict prévilège et grâce puet servir et valoir à toutes genz communes de toux païs et estas… Le dict prévilège doit estre enténdu largement et amplement, en la faveur et entencîon de la loenge et gloire de Dieu et du dict glorieux saint. »

Cette proposition est suivie de cinq autres relatives au cerémonial du privilège, c’est-à-dire à l’insinuation, à la suspension des procédures et exécutions après cet acte ; à la visite des prisons, à l’élection du prisonnier, à la procession de la fierte. Ce n’est point ici leur place ; j’arrive donc à la neuvième proposition, la plus importante de l’enquête. *

« Par la dicte délivrance, le dict prisonnier ou prisonnière, pour révérence du dict sainct, et par l’observance sur ce usée (usitée) et gardée noctoirement de tel et si longtemps qu’il n’est mémoire au contraire, est absoubz et délivré de tous crimes précédens, et restitué à ses biens meubles et héritages, à sa bone fame (réputation) et renommée, avec tous ses complices et participans ou (au) fait des diz crimes dont il est délivrez, sans ce que on en puisse contre eulx ou aucun d’eulx, par justice ou autrement, faire poursuite ou réclamation aucune. » Cette proposition en contient deux. Nous reviendrons à celle qui concerne les complices. Mais arrêtons-nous d’abord à la première, où il est dit que le prisonnier qui a levé la fierte « est absoubz et délivré de tous crimes précédents. » Tel était, en effet, dans le principe, l’effet du privilége de saint Romain, de l’aveu même des officiers du roi. C’est ce que prouve l’acte de sauvegarde donné par le bailli de Rouen, le jour de l’Ascension 1269, à Nicole Lecordier, qui, ce jour-là, avait levé la fierte. Je transcris sur l’original : « Sachiés (dit le bailli) qe nous avon délivré franc é quite de tous forfès Nichole Lecordier, qui, autrefois, se nomma Pierres Le Tallèor, le jor de l’Ascension de nostre sengnor Jésucrist, par la droiture é par la franchise de l’iglise de Roëm é por la révérencedeu corps mon sengnor seint Romaing de Roëm, seronc la franchise que le dict seint mon sengnor seint Rommaing a, chascun an, à Roëm ; é li otrion franc aler é franc venir par la terre nostre sègnor le Roi, et est franz de tous forfès quielz qil soient, del tens en arrère jusqes au jor dui ; é, en tesmoing de ceste chose, nous avon mis en cest escrit le séel de la baillie de Roëm[15]. » Cette conséquence du privilège de la fierte, si clairement marquée dans l’acte que l’on vient de lire, avait été reconnue depuis par un autre bailli de Rouen, dans une charte de 1391, où il dit que Richard Le Prévost, sergent dans la forêt de Lalonde, « fut absoulz, par la levée de la fierte, de tous les cas crimineulx qui par luy avoient esté fais, commis ou perpétrés, de tout le temps passé jusques ou (au) jour et heure que il oui (eut) la dicte fierte[16]. » Mais, et ce témoignage est plus imposant, il existe dans les archives de la cathédrale une charte de Charles VII, du 17 mai 1446, où il est dit que le prisonnier qui a levé la fierte « est absolz du cas pour le quel il l’a levée et de tous crismes précédents. » On y trouve aussi un acte du 27 octobre 1469, émané du chapitre, à la vérité, où il est dit que ceux qui ont levé la fierte « sont francs, quictes et exempts de tous crimes commis et perpétréz en précédent de la lèvacion de la fierte de monsieur sainct Romain, et qu’ainsy a esté veu, usité, gardé et observé, le temps passé. » Ainsi, chose étonnante, tandis que les lettres de grace octroyées par le roi de France, signées de sa main, et scellées de son grand sceau, ne remettaient à l’impétrant que le seul crime spécifié dans leur contexte, et encore sous la condition expresse que l’aveu du prisonnier avait été sincère, sans quoi les magistrats, chargés de les entériner, pouvaient et devaient les déclarer nulles ; le privilége de l’église de Rouen, bien autrement efficace, ne se bornait pas à absoudre le prisonnier du crime à raison duquel il avait été mis en prison, ou que, volontairement, il était venu confesser, mais de ceux, peut-être plus énormes encore, qu’il n’avait point expiés et qu’il n’osait avouer, tant ils eussent inspiré d’horreur ! pouvoir exorbitant, sans doute, puisque le privilège de la fierte devenait ainsi, en quelque sorte, un baptême propre à effacer toutes les souillures antérieures, et à faire du prisonnier délivré, c’est-à-dire du plus infâme scélérat, peut-être, un nouvel homme à qui, nous le verrons bientôt, il n’était même plus permis de reprocher ses forfaits !

Quant à la seconde partie de la proposition, où il est dit que les complices du prisonnier délivré par le privilège, participaient à la grâce qu’il avait obtenue, la vérité en fut attestée par une multitude de témoins. Telles furent, en somme, leurs dépositions :

« Il est voix et commune renommée, et chose toute nottoire et publique à Rouen et environ, voire par toute l’archevesquie de Rouen, que quant aucun est délivré par le dit prévillége et a la dicte fierte, il délivre et franchist de tous crismes précédens tous ceulx et celles qui ont esté complices et participans avec luy, et sont lessiéz et ont esté et sont demoréz quictes, délivrés et paisibles des dis crimes, et restablis à leur bone fame (réputation) et renommée, et à leurs biens meubles et héritages. »

« Combien que les cas soient advenus plusieurs foiz que il ait eu ès diz faiz plusieurs complices autres que ceulx qui avoient eu la fierte, néanmoins onques nulz d’iceulx complices, de souvenance ou mémoire d’omme, n’en fu exécuté ne banny, ne ses biens confisquéz pour le fait ou crime dont l’un eust eu la fierte. »

« Mès a l’en veu (mais on a vu) plusieurs fois les cas escheoir, que quant la dicte fierte estoit livrée par ledit privilège au prisonnier ou prisonnière, ceulx qui avoient esté ses complices et participans ou (au) fait dont il avoit esté ainsi délivré, venoient plainement, publiquement et asseuréément (en sûreté) par la ville de Roëm, et que justice les véoit et savoit et les povoit savoir et veoir, et ne les empeschoit ne molestoit en aucune manière, mais les souffroit joïr paisiblement du prévilége et grâce de Monsieur saint Roumain. »

Tous ces témoins allèguèrent beaucoup d’exemples qui allaient à prouver que les complices de celui qui avait levé la fierte s’étaient, toujours ensuite, montrés impunément, sans qu’on les eût jamais inquiétés. Nous rapporterons quelques uns de ces faits, parce qu’ils servent à peindre les mœurs du tems.

« Vingt-cinq ans auparavant (c’est-à-dire vers 1370) dans une querelle de taverne, Jean Baratte avoit féry (frappé) Collin Gueroult d’ung coustel, par deux coux, dont mort s’en ensuy. » Jean Baratte se rendit aux prisons du château de Rouen. Thomas Baratte, son frère, complice du meurtre, avait pris la fuite, et « estoit allé se mettre en franchise aux Jacobins, à Rouen, où il fu grand espace de temps. Cependant son frère fut délivré par vertu du privilége saint Romain, et ot (eut) la fierte du dit saint, le jour de l’Ascension. Alors, Thomas Baratte, son frère, yssi (sortit) de la dicte franchise, et alla et conversa franchement et quictement en sa maison et par les rues de Rouëm tout publiquement et noctoirement, sans ce que justice ne (ni) les amis du mort luy demandassent riens. Et l’on disoit communément à Rouen que l’un avoit délivré l’autre par la dicte fierte. »

Voici le second fait : Cinquante ans auparavant, c’est-à-dire vers 1344, « Vatier Bernart, demourant en la paroisse Saint-Candre (le Vieil), en l’ostel de la Coste de la Baleine (on voit que cette hôtellerie de Rouen est bien ancienne), tua un homme en une taverne à Rouen. Pour lequel cas il ot la fierte. Il avoit plusieurs complices qui furent tous paisibles et quittes par la délivrance qu’il avoit obtenue. »

Le troisième fait est un peu plus détaillè. Laissons parler le témoin lui-même :

« Environ quarante-deux ans a, Jehan Vaudin, drapier, et Vatier Leroux tuèrent, en la rue Vatier Blondel (à Rouen), Jean de Collemare, drapier, et fu environ une feste de Toussains. Pour le quel cas les dicts Vaudin et Leroux furent appelès à ban et bannis du royalme ; lequel ban ils soustindrent par l’espace de trois ans ou environ. Et depuis, se vint le dit Vaudin rendre prisonnier ou (au) chastel de Roën, en espérance d’avoir la fierte..., laquelle lui fu donnée et octroyée…., et fu délivré en corps et en biens par vertu du prévilége saint Romain. Et tantost (aussi-tôt) que ledit Vatier Leroux sçeut que ledit Vaudin avoit esté ainsi délivré et qu’il avoit eu la fierte, il retourna en la ville de Roën, en la compaignie de sa fame et de ses enfans qui lors demouroient ou (au) clos Saint-Marc, et y feut reçeu par ses voisins joyeusement et liéement (avec satisfaction, joie), et, depuis, demoura paisible longues années, c’est assavoir douze ans et plus, et jusques au temps de sa mort, comme franc, quitte et délivre dudit cas, par la vertu de la délivrance que avoit eu ledit Vaudin, sans ce que, pour ledit cas, il fust arresté, poursuy ne empesché par justice, par les amis du mort, ne autrement, combien que la suer (sœur) d’icelui mort demourast près dudil Roux. »

Dix-huit témoins de la paroisse de Pavilly attestèrent un fait analogue. Laissons-les parler eux-mêmes :

« Y a vingt-quatre ans et plus, Guillaume Yon, laboureur de bras (ouvrier), et Guillaume Dangiens, tanneur, lors demourans à Pavilly, tuèrent un homme nommé Colin de la Chapelle, boucher à Pavilly. Pour lequel cas Yon fu prins et mis prisonnier ou chastel de Rouen, où il fu et demoura environ depuis septembre jusques à la feste de Rouvoisons (Rogations) après ensuivant, qu’il en fu delivré par vertu du prévilège saint Romain, et ot (eut) la fierte. Guillaume Dangiens se absenta du pays, et rendit fuitif, et fu en la dite fuite jusques ad ce que il sçeut que Guillaume Yon avoit eu la fierte pour le dit cas. Et lors, environ un quartier d’an aprèz la délivrance de Guillaume Yon, vint et retourna audit lieu de Pavilly, à son demeure, et illec se maria à une fame de Siherville près d’illec (de là), dont il ot (eut) plusieurs enfants... Depuis son retour jusques au temps de sa mort, il demoura paisiblement et quitement en la dicte ville, faisant son dit mestier de tanneur, voyans et sachans les gens de justice, et les amis du mort, sans ce que on luy demandast riens, pour cause du dit crime. »

Le fait qui précède fut aussi attesté par « noble et puissant seigneur monsieur Robert, seigneur d’Esneval, » mais avec une addition fort notable. Après avoir dit que Dangiens était revenu à Pavilly, et y avait « demouré franchement, quictement et paisiblement, longtemps après, jusques ou temps de sa mort, sans que les gens de justice ne les amis du mort luy demandassent riens pour cause du dict crime », Robert d’Esneval ajoute ;

« Aucuns des amis du boucher homicidé ayant appelè Dangiens meurdrier, injurieusement, pour le dit fait, Dangiens les poursuivit en justice pour cette injure et en obtint réparation. Pour moy, dit encore le sire d’Esneval, « se (si) ce n’eust esté la délivrance que Guillaume Yon avoit obtenue par vertu du prévilège saint Romain, j’eusse fait prendre le dit Guillaume Dangiens son complice, quand il revint à Pavilly, pour lui fère fère raison et justice, si comme il eust appartenu. »

Ajoutons enfin que l’effet du privilège, relativement aux complices, ne se bornait pas à les absoudre du crime à raison duquel le principal coupable avait levé la fierte ; mais que, non plus que ce dernier, ils ne pouvaient être recherchés à raison d’aucun crime antérieur, quel qu’il fût. « Quant aucun est délivré par le dict prévilège, et a la fierte, dit l’enquête de 1394, il délivre et franchist (absout) de tous crismes précédens tous ceulx et celles qui ont esté complices et participans avec luy, et sont lessiéz et ont esté et sont demoréz quictes, délivres et paisibles des dits crismes, et restablis à leur bone fame (réputation) et renommée et à leurs biens meubles et héritages. » En sorte que la confiscation encourue par le prisonnier et ses complices était abolie par l’effet de la levée de la fierte. C’est ce que nous aurons occasion de remarquer ultérieurement plus au long. Dans des tems de désordre et d’anarchie, où tant de crimes se commettaient par des bandes d’hommes armés, que l’on calcule le nombre des malfaiteurs qui, seulement dans l’espace de trente et quarante ans, se trouvaient ainsi, coupables et complices, lâchés de nouveau dans nos cités, par suite de cette abolition générale de tous leurs crimes antérieurs, marchant la tête haute, le poing sur la hanche, et tout prêts à citer devant les tribunaux, à poursuivre en réparation civile l’honnête homme indigné qui leur dirait leur fait, et sans doute on sera effrayé de l’état d’alarme et de défiance où une si scandaleuse impunité plaçait les citoyens paisibles.

Au reste, ce privilège, qui, en 1469, avait encore une étendue si grande, finit par être restreint dans des bornes plus étroites. Il avait pris ces accroissemens au tems des échiquiers ambulatoires, qui, ne siégeant qu’à intervalles, et souvent composés d’officiers nouveaux, ne pouvaient exercer dans leur district une action continue et uniforme. Mais l’échiquier, devenu stationnaire en 1499, mit un terme aux empiétemens du chapitre ; et, sans doute, c’est à cette cour souveraine qu’il faut attribuer l’importante modification qui réduisit l’effet du privilège de la fierte aux seuls crimes confessés par l’impétrant, et, de plus, non indignes de cette grâce. Alors s’introduisit la formule de délivrance : « pour les seuls cas par lui confessés, et ainsi qu’il les a confessés. » On pense bien qu’à cet égard la condition des complices suivit celle du principal auteur du crime ; et, en outre, le parlement modifia encore le privilège, en arrêtant, lors de l’enregistrement de l’édit de 1597, que, pour participer aux effets du privilège de saint Romain, les complices devraient se présenter en personne, sans quoi ils seraient exclus de la grâce obtenue par le principal auteur du crime. En ces deux points, l’édit de 1597 dérogea encore à celui de novembre 1512. Car, par ce dernier édit, Louis XII avait ordonné que les prisonniers délivrés « seroient absouls et délivrés, sans aucune punition, de tous cas et crimes précédemment par eux commis, sans que jamais on en pût contre eus ou aucuns d’iceus, par justice ou autrement, faire poursuite ou réclamation aucune. » Et à l’égard des complices, il prononçait, du moins implicitement, la même absolution que pour le principal coupable, c’est-à-dire une absolution de tous les crimes passés, quels qu’ils fussent.

  1. « Ecclesiam et ministros ejus adeo dilexit quod ecclesia malignantium ipsum Regem sacerdotum vocitabat. »
    Les annales de Saint-Victor disent du même monarque : « Ecclesiarum et religiosarum personarum amator et fautor. » (Nécrologe de l’église du Mans.)
  2. Manuscrit d’une bibliothèque particulière.
  3. « Codex eburneus. » (Livre d’ivoire.) Manuscrit de la bibliothèque publique de Rouen, n°. 69.
  4. « Codex eburneus. » Déjà cité.
  5. Un manuscrit de la bibliothèque Bigot rapportait ce fait comme arrivé en 1296. Pommeraye en parle dans son Histoire des archevêques de Rouen, in-f°., pages 129 et 489, et dans son ouvrage intitulé : La Vie et Miracles de saint Romain, archevêque de Rouen. Rouen, 1652, pages 74, 75 et suivantes.
  6. « Codex eburneus. » Déjà cité.
  7. « Codex eburneus ». Déjà cité.
  8. Acte du bailli de Rouen, en date du 24 mai 1358.
  9. Registres secrets du parlement.
  10. Tessereau, Histoire chronologique de la grande chancellerie de France, livre 2, page 209, et livre 3, pages 222 et 251.
  11. Requête au parlement de Rouen, de l’an 1621.
  12. Délibération du 24 octobre 1755.
  13. Registres du chapitre, année 1394, le samedi après l’Ascension.
  14. Quarante-sept témoins attestèrent qu’ils « l’avoient ainsi oy dire à leurs prédécesseurs ; qu’ils l’avoient oy preschier en plusieurs sermons, et que l’en disoit que ainsi estoit contenu en sa légende. »
  15. Anciennes archives du chapitre de la cathédrale de Rouen.
  16. Anciennes archives du chapitre de la cathédrale de Rouen.