Histoire du célèbre Pépé/21

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CHAPITRE XXI ARRIVÉ

Le portrait fut reçu.

Qui fut content ? Pépé ! Et les Alcindor, les Giraud, la troupe du cirque, tous les amis de Pépé étaient contents.

Et Colette ! Elle rougissait de joie !

— Mon portrait au Salon ! faisait-elle, mon portrait par Pépé !

Et elle dit à sa mère :

— Nous irons, le jour du vernissage, dis, maman ?

— Si nous irons ! s’écria Mme Alcindor. Nous y resterons toute la journée !

Ils attendirent le jour du vernissage, qui est le jour véritable de l’ouverture du Salon, le jour officiel où on ne vernit plus un seul tableau, avec une impatience nerveuse.

— Pourvu que je sois bien placé ? se disait Pépé.

— On va me trouver jolie, dit Colette.

— Pourvu qu’il soit sur la cimaise ! pensait Mme Alcindor.

Enfin, ils purent se précipiter au Salon.

Ô bonheur ! le portrait de Colette était sur la cimaise, bien dans son jour, admirablement placé au centre du grand salon d’honneur.

Il produisit un effet prodigieux.

Les tableaux qu’on avait accrochés à côté, quoique fort lumineux, étaient éteints, la salle paraissait éclairée par ce portrait plutôt que par le jour tombant du plafond, la tête peinte suivait le visiteur, son regard ne quittait pas les yeux de ceux qui le fixaient.

Et quand on passait dans une autre salle, ce regard s’était tellement gravé qu’on l’avait encore, qu’il s’interposait entre vous et les nouveaux tableaux qu’on regardait.

Aussi la foule était-elle grande autour du portrait. On se poussait pour le voir, on attendait son tour.

Les journalistes, les critiques d’art se mirent à le vanter. Ce fut le grand succès du Salon.

On commença à parler de la personne du peintre, à se demander quel était ce Pépé ? qui se cachait sous ce pseudonyme ? si ce n’était pas un peintre connu qui se dissimulait ? si Pépé était étranger ou Français ?

Toutes ces questions amusaient beaucoup Pépé et Mme Alcindor, mais, en même temps, il sentait quelque gêne à voir tout le monde occupé de sa personne. Il était triste aussi de ne plus se trouver chaque jour avec Colette qui, son portrait fini et la maison meublée, sortait moins de sa pension.

Alors il imagina un voyage en Normandie, à Saint-Aubin-sur-Auquainville, et persuada à Mme Alcindor qu’elle devait l’accompagner avec Colette.

— Tu vas encore me forcer à quitter mon cirque ! s’écria Mme Alcindor. Et pourquoi ? pour faire un voyage de noces avant la noce…

— Un voyage de fiançailles.

— Ça ne se fait pas.

— Oh ! si on veut… Nous ne resterons pas éloignés de Paris longtemps, une semaine… Pour me reposer des questions indiscrètes des journalistes.

— Tu sais que je ne te refuse jamais rien.

On alla chercher Colette.

— Je ne vais pas rentrer coucher à la pension ? s’écria-t-elle. Quel bonheur ! Je quitte Paris pour voyager ! Quel plaisir !

Ils louèrent un compartiment pour eux seuls, jusqu’à Lisieux.

— Tu as peint un chef-d’œuvre, fit Mme Alcindor. Tout le monde le dit.

— C’est Colette, répondit Pépé simplement.

— On entend les gens qui entrent au cirque en causer.

Mametta, Margarita, Rig, Gig et Pig sont allés le voir hier et ils sont revenus enthousiasmés.

— Et Moutonnet ? demanda Pépé. J’aurais voulu connaître son opinion. Il fallait que Margarita le menât au Salon.

— Moutonnet, dit Mme Alcindor, il ne va plus. Il a des rhumatismes, le pauvre vieux ; nous n’avons plus qu’à le soigner.

— Pauvre Moutonnet, fit Pépé en soupirant.

— Est-ce que tu ne m’expliqueras jamais, maman, demanda Colette, ce que signifient ces choses de cirque dont je t’entends souvent parler. Il est assez singulier qu’une grande fille comme moi ne sache pas encore exactement ce que sont ses parents. Ce que tu as fait travailler ma tête à deviner ce que tu fais !… Mais il y a longtemps que je me suis dit que tu devais être saltimbanque et que tu n’osais pas me l’avouer.

— Oui, tu as raison, Colette, il faut que tu saches qui tu es. Je ne t’ai rien dit jusqu’ici parce que si tu en avais jamais parlé, et tu l’aurais fait quand tu étais enfant, tes compagnes t’auraient rendue malheureuse en te plaisantant sur la profession de tes parents… Nous tenons un cirque.

— Il n’y a là rien de déshonorant, dit Colette.

— Non ; et nous sommes tous de fort braves gens. Nous, les Alcindor, nous avons une grosse fortune, nous, toi, par conséquent. Mais le monde a des préjugés contre les saltimbanques comme aussi contre les acteurs, contre tous ceux qui se montrent à la foule et qui l’amusent ou la distraient.

Mme Alcindor mit sa fille au courant du métier de ses parents et quand elle eut fini, Pépé, prenant la parole à son tour, lui dit :

— Et moi, Colette, voulez-vous connaître mon histoire ?

— Oh ! oui, fit la jeune fille.

Il la lui raconta.

— Hé bien, s’écria Colette quand il eut fini, voici ma con­clusion : nous sommes tous d’honnêtes personnes.

Pépé prit sa petite main effilée et y déposa un baiser.

— Je crois, pensa Colette, que, pour finir le chapitre des confidences, Pépé devrait demander la main qu’il tient.

Mais on arrivait à Lisieux.

— Je vais être contente de voir ces Fougy qui ont été bons pour vous, dit Colette à Pépé.

— Nous allons les surprendre.

Ils passèrent la nuit à Lisieux et partirent dans un char-à-bancs.

La campagne était riante, éclairée par un chaud soleil du commencement de mai. La prairie était toute émaillée de primevères. Dans les bois, le long du talus des haies, on ne voyait que pétales jaunes et, par touffes, la violette qui embaumait, se cachant sous l’églantier et l’aubépine. Les pommiers étaient en fleur ; l’horizon était rose.

— Que c’est beau, la campagne ! s’écria Colette en battant des mains.

Quand ils arrivèrent dans le plant de Saint-Aubin, ils pas­sèrent sous une pluie de pétales, et Pépé reconnaissait les arbres sous lesquels il s’était abrité, sur lesquels il avait grimpé. Il indiquait à Colette ceux qui produisaient de bonnes pommes.

— Tenez, ce petit, là, dit-il, il donne des pommes de pigeonnet exquises.

Ils s’arrêtèrent devant le vieux manoir.

Le père et la mère Fougy vinrent avec Aimée regarder curieusement ces arrivants qu’ils ne connaissaient pas.

Pépé s’avança vers eux et leur dit :

— Voulez-vous que je vous embrasse ?

Ils se reculèrent instinctivement.

Puis, tout à coup, Aimée, qui considérait attentivement le jeune homme, s’écria :

— C’est Pépé !

Et tous les Fougy crièrent comme elle :

— C’est Pépé !

On s’embrassa et on se rua sur le jardin potager et sur les volailles de la basse-cour, la bonne façon de recevoir en Normandie comme en d’autres endroits de France étant de bien faire manger ses hôtes.

On envoya vite quérir Adèle pour que la fête fût complète. Elle arriva avec son mari et une demi-douzaine d’enfants gras et joufflus qui faisaient honneur au cidre de la vallée d’Auge.

— Te souviens-tu, Pépé, disait la mère Fougy, comme tu aimais les galettes de sarrasin ? Je vais t’en faire, et de bonnes ! Veux-tu de la bouillie aussi, avec un bon morceau de beurre frais au milieu ?

— Certainement, de tout ! répondait Pépé.

Il emmenait Colette dans la laiterie et lui disait :

— Passez donc votre doigt ainsi, dans la crème, et portez-le ensuite entre vos jolies petites lèvres de corail… C’est bon ?

— Très bon !

— Oh ! les coquins ! s’écriait Aimée survenant, ils vont me lécher tous mes pots !

Pépé apprit à Colette à pêcher dans le vivier.

— À cette époque-ci, vous allez prendre mes plus grosses carpes, dit le père Fougy.

— On les mettra à la sauce au cidre.

— Elles ne sont pas bonnes.

— Alors, nous les rejetterons dans l’étang après leur avoir enlevé l’hameçon.

— Elles iront porter la nouvelle aux autres et nous n’en prendrons plus, dit Colette.

— Elles ne parleront pas, puisqu’on dit : muet comme une carpe.

— C’est juste.

Pépé montrait à Colette les champs, les bois.

— Voyez-vous, dit Pépé, voyez-vous Colette, c’est là que le méchant homme m’entraîna.

— Oh ! le vilain !… pauvre petit Pépé !

— Je suis bien heureux, à présent, qu’il m’ait enlevé, Colette. S’il ne m’avait pas enlevé, je serais resté ici, et je ne vous aurais pas connue.

— Vous seriez un petit paysan au lieu d’être un grand artiste.

— Je ne vous aurais pas connue, répéta Pépé.

— Vous n’auriez pas fait mon portrait, dit Colette en riant. Ils passèrent le temps en promenades délicieuses sous les pommiers fleuris, trouvant qu’ils étaient mieux à la campagne qu’à Paris, puisqu’ils s’y quittaient moins.

— J’espère que je ne vais pas rentrer en pension, fit Colette, lorsqu’ils reprirent le chemin de fer. Je sais qui je suis, à présent, il n’y a plus rien de caché, je puis donc demeurer avec papa et maman.

— Non, dit Mme Alcindor, je ne veux pas.

— Logez avec elle, à Montmartre, dit Pépé.

— C’est ça ! s’écria Colette.

— Oh ! je le veux bien, si ton père y consent, dit Mme Alcindor… Ce sera un moyen de préparer la maison à vous recevoir, ajouta-t-elle en elle-même.

Mlle Colette, à sa grande joie, ne rentra pas en pension, et Mme Alcindor et elle prirent des domestiques et habitèrent Montmartre.

— Tu me feras voir le cirque, un de ces jours ? demanda Colette.

— Plus tard, dit Mme Alcindor.

— As-tu lu le journal ? On y chante encore le tableau de Pépé.

— Comment le trouves-tu ?

— Le tableau ?

— Non, Pépé.

— Oh ! si gentil, maman ! si aimable !

Mme Alcindor avait pris ses arrangements avec son mari pour donner Colette à Pépé, mais Alcindor soulevait encore quelques objections contre ce mariage.

— S’il ne devenait rien, faisait-il, qu’un peintre vulgaire.

Tout à coup, on apprit qu’il avait une médaille. Une médaille ! Pour la première fois qu’il exposait, pour son premier tableau !

Pépé accourut à Montmartre.

— Vous savez ? vous savez ? fit-il.

— Tu as une médaille.

— Oui, oui. Quel succès ! Tout le monde en parle, tout Paris applaudit à l’honneur qui m’est fait. Le jury a déclaré que le portrait de Colette est le plus beau du Salon. Voilà ce que c’est que d’avoir un modèle comme Colette !

— Voilà ce qu’on gagne à être un bon peintre, dit Colette. Vous serez un grand artiste.

— Il l’est ! s’écria Mme Alçindor enthousiasmée.

Et allant trouver son mari, elle lui dit :

— Tu vois ! tu vois !…

— Oui ; donne-lui Colette, dit celui-ci. Les journaux ne parlent que de Pépé. Il sera décoré.

Les feuilles publiques étaient pleines du jeune peintre, et nul n’ignorait plus ni son nom ni sa gloire.

Lui-même, il sentit le besoin d’aller revoir son tableau, de se rendre compte de ce que lui donnait de plus la médaille qu’on venait de lui décerner.

Comme il était planté devant, il remarqua un homme et une femme convenablement habillés qui tournaient autour de lui.

— Ce n’est pas lui, va, disait l’homme ; viens, allons-nous-en.

— Oh ! si… si… ce doit être lui, disait la femme.

Et Pépé entendit cette femme dire assez haut, sans doute pour qu’il entendît :

— Quel malheur qu’il ait des gants… s’il ôtait ses gants… Il fixa celle qui parlait ainsi et ses yeux lui semblèrent bons et étaient humides de larmes.

Alors doucement, tandis qu’elle suivait le mouvement, il ôta son gant et découvrit la main sur laquelle était tatoué le P-P.

Et la femme se jeta à son cou avec un cri de joie qui remua Pépé jusque dans ses entrailles. L’homme et la femme pleuraient en l’embrassant.

— Mon fils, disaient-ils, tu es mon fils.

Ils partirent tous trois, fuyant la foule qui s’assemblait autour d’eux, et, quand ils se sentirent libres, la main dans la main, pleurant, riant, ils se reconnurent et se racontèrent leurs malheurs.

— Ah ! va, dit la mère, nous avons bien souffert ! mon pauvre Pépé, ta mère, y songes-tu ? ta mère, obligée de t’abandonner ! Sais-tu qu’en te voyant enlever, sur la place Malesherbes, ç’a été pour moi comme si je t’avais tué, enterré ! Je suis revenue chez nous en me traînant. J’ai trouvé ton père. Nous nous sommes regardés. Nous avons fait un geste qui voulait dire : c’est fait, plus rien ; et nous sommes sortis, tous deux, sans prononcer un mot. Nous avons été jusqu’à la Seine, nous avons descendu doucement sur le terre-plein, au Pont-Neuf. Nous nous sommes regardés encore, dans les yeux, nous comprenant sans nous parler. Nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre. Nous avons serré nos bras fortement pour qu’on ne nous séparât pas quand on nous retrouverait, et nous avons roulé dans l’eau. J’ai eu un éblouissement et j’ai pensé : Mon enfant. Et puis…

— On vous a sauvés ?

— Oui. Nous avons repris connaissance dans une de ces petites baraques de sauvetage qu’on voit sur les bas-quais de la Seine. Un marinier nous avait repêchés. On nous porta à l’hôpital et le médecin de l’hôpital nous procura du travail. Depuis, le travail n’a pas fait défaut, et plus nous en avons eu, plus nous avons regretté notre Pierre. Nous pensions chaque jour à toi, et chaque jour nous nous disions : « Il faut vivre, pour le revoir. » Nous t’avons attendu vingt ans. Tu es beau, maintenant, tu es grand, tu es robuste. Ah ! qu’il fait bon t’embrasser ! Tu es toujours mon Pépé, va ! Et quand nous avons vu « Pépé » dans un journal, un morceau de journal qui nous est tombé par hasard sous la main, car nous n’en lisions pas…

— Si vous en aviez lu, dit Pépé, vous auriez eu connaissance d’un avis que fit publier Mme Giraud, qui m’avait recueilli, et, plus tard, vous auriez trouvé ce nom de Pépé dans les annonces du cirque Alcindor.

— Oui, nous aurions dû en lire, dit la mère. Nous les avons tous achetés lorsque ce morceau de journal nous a donné l’éveil. Et quand nous avons vu que « Pépé » avait un succès au Salon, nous nous sommes dit : « Si c’était notre enfant !… » Chaque jour, nous venions devant ton tableau, tâchant de te reconnaître. C’est moi qui t’ai reconnu, tu sais, c’est moi !… Pépé, de son côté, leur raconta ce qui lui était arrivé et comme quoi il aimait Colette.

— Tu vas l’épouser, dit la mère. Elle ne peut moins faire que t’aimer !

Le jeune artiste avait hâte d’instruire Mme Alcindor et Colette de ce qui survenait de nouveau dans son existence. Il reconduisit ses parents chez eux, dans l’intérieur propre des ouvriers qui sont dans l’aisance et ont fait des économies, et il leur promit de revenir à l’heure du dîner.

Il alla à Montmartre apprendre à Mme Alcindor qu’il avait retrouvé son père et sa mère.

— Ah ! quel bonheur ! s’écria Mme Alcindor. Mon mari n’en disait rien, mais je devinais qu’il regrettait que tu n’eusses pas d’autre nom que Pépé.

— Je me nomme Pierre Paulin, dit le jeune artiste, mais je resterai toujours Pépé.

— Oh ! oui, toujours Pépé, n’est-ce pas ? fit Colette.

— Toujours.

Mme Alcindor monta en sa chambre pour mettre son chapeau afin de courir voir Alcindor. Le jeune artiste la suivit.

— Madame Alcindor, dit-il, je suis maintenant un homme arrivé, je vous demande la main de Colette.

— Va la lui demander à elle-même, dit Mme Alcindor. Elle te l’accordera, tu peux en être sûr.

Pépé alla se mettre à genoux devant le fauteuil où Colette était assise, et lui dit :

— Colette, quand j’étais petit enfant et que j’allais vous voir à la pension, j’aimais Colette ; quand les enfants ont grandi, j’aimais Colette. Dites-moi si Colette veut me donner sa main ?

— Les voici toutes deux, dit Colette en les mettant dans celles de Pépé.

Le jeune artiste les couvrit de baisers.

Les Alcindor fixèrent au terme le plus proche leur mariage.

En outre des Alcindor et des parents de Pépé, on tint à avoir les Giraud et on fit venir les Fougy, Adèle, Aimée ; les camarades d’atelier de Pépé furent invités et tous les artistes du cirque, y compris le vieux Moutonnet qui eut son couvert à la table, auquel on noua une serviette autour du cou et qu’on bourra de pâtisseries, ce qui avait l’air de le rajeunir.

Colette était plus jolie que jamais en robe blanche et en voile de dentelle.

Rig, Pig et Gig, pleins de joie, firent des culbutes extraordinaires et Cabrion prononça un discours à la fin duquel il annonça qu’il venait de faire porter dans l’atelier de Pépé son portrait en gymnaste, un souvenir.

Les mariés s’installèrent dans la jolie maison de Montmartre où rien ne leur manqua. Pépé travailla beaucoup, beaucoup, ne mentit pas à son premier succès et devint un grand artiste. Il fut bientôt décoré et, en voyant son ruban rouge, Alcindor faillit mourir de plaisir. Colette et Pépé s’aimèrent toujours du plus profond de leur cœur et ils eurent de beaux enfants habillés comme des poupées qui faisaient l’admiration de tout le monde.