Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 62

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Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome Vp. 168-182).

LETTRE LXII.

Miss Byron à Miss Selby.

Mercredi au soir, 5 d’Avril.

Je crois vous avoir dit que Miss Grandisson avoit emporté ma Lettre d’hier. À notre arrivée, les deux Sœurs m’ont félicitée de la préférence que leur Frere m’a donnée sur elles, en me communiquant, d’une maniere si tendre, ses affaires & ses résolutions. Mylord L… est venu aussi-tôt. On lui avoit montré la Lettre. Il m’a fait les mêmes complimens. Sur quoi donc, Lucie ? Apparemment sur ce qu’il n’est pas impossible que le Ciel ne retire à lui la malheureuse Clémentine, ou qu’elle ne soit renfermée dans un Cloître, ou qu’on ne dispose d’elle autrement ; & que dans cette supposition votre Henriette peut espérer la main de Sir Charles, c’est-à-dire un Mari civil, & la moitié d’un cœur. N’est-ce pas la somme totale de ces humiliantes félicitations ?

Le Chevalier étoit dans son Cabinet, avec M. Lowther, ce Chirurgien qui doit l’accompagner en Italie. Il n’a paru d’abord qu’un moment pour nous faire les civilités d’usage, & pour nous demander permission de retourner à sa Compagnie. Avec M. Lowther, il y avoit deux Médecins, renommés pour les maladies qui regardent la tête, auxquels il avoit déja communiqué la situation de l’infortunée Clémentine, & qui lui apportoient leur opinion sur le traitement qu’elle demande, suivant la différence des symptômes. Lorsqu’il est revenu à nous, il nous a demandé si nous ne jugions pas comme lui, que les maladies des nerfs étant plus communes en Angleterre que dans tout autre Pays, les Médecins Anglois devoient s’entendre mieux à les traiter que ceux des autres Nations ? En approuvant ses idées, Miss Grandisson lui a déclaré naturellement que son voyage alarmoit beaucoup tous ses Amis, & que nous ne pensions point sans défiance à l’humeur fiere & emportée du général. Miss Byron, a-t-elle ajouté, nous dit que Madame Bemont ne vous conseille point de reparoître en Italie.

Il a répondu que le jeune Marquis della Porreta étoit à la vérité d’un naturel fort ardent, mais qu’il n’en étoit pas moins galant-homme ; qu’il aimoit passionnément sa Sœur, & que dans un cas de cette nature, le chagrin méritoit quelque indulgence ; qu’avec de justes sujets d’affliction, il étoit naturel d’en regretter amérement la source. Je n’appréhende rien de lui, a continué Sir Charles, en nous regardant d’un air serein, & je ne vois d’ailleurs aucun sujet de défiance. On m’appelle : le succès sera tel qu’il plaira au Ciel. Si mon voyage est utile à quelqu’un, je m’en crois récompensé. S’il l’est à plusieurs, je suis heureux ; & quel que soit l’évènement, je serai plus satisfait que je ne le pourrois être, si je fermois l’oreille à la priere de l’Évêque, ne vînt-elle que de lui.

Mylady a voulu savoir quel jour Sir Charles avoit choisi pour nous quitter. Il n’est réglé que depuis un instant, a-t-il répondu. M. Lowther m’a promis d’être prêt pour le commencement de la semaine prochaine, & je compte être à Douvres de Samedi en huit.

Nous nous sommes regardés les uns les autres : Miss Grandisson m’a dit ensuite que j’avois changé plusieurs fois de couleur, & qu’elle avoit eu de l’inquiétude pour moi. Il est vrai que j’ai senti quelque émotion. Peut-être ferai-je bien de ne pas recevoir ses adieux au moment de son départ. Ah, Lucie ! c’est dans neuf jours. Cependant, moins de neuf jours après, je serai dans les bras des plus tendres Parens qu’il y ait dans la nature.

Sir Charles, tirant sa Sœur à l’écart, lui a demandé un moment d’entretien. Ils ont passé une demi-heure ensemble, & nous rejoignant : ma joie est extrême, nous a-t-il dit, que Charlotte consente à recevoir la main de Mylord G… Elle a de l’honneur ; son cœur suivra la sienne. Mais j’ai une demande à lui faire devant nos Amis communs : le Comte de G… & toute sa Famille se joignent à moi, c’est qu’elle m’accorde le plaisir de la voir Mylady G…, avant que je quitte l’Angleterre.

Miss Charlotte n’a pu garder le silence. Je vous ai dit, mon Frere, qu’il m’est impossible de vous obéir, si vous partez dans neuf jours.

Sir Charles m’a demandé particuliérement mon entremise. Je ne pouvois douter, lui ai-je dit, que Miss Grandisson n’obligeât son Frere. Elle n’a pas laissé de protester contre un terme si présent. Il a recommencé ses instances d’un air tendre, mais extrêmement sérieux. Il a représenté que toutes sortes de raisons l’obligeoient de mettre ordre à ses affaires avant que de s’éloigner, & qu’il partiroit avec plus de satisfaction, s’il voyoit sa Sœur engagée dans un mariage si digne d’elle. Mylord, a-t-il ajouté avec plus de chaleur, fait profession de vous adorer. Votre dessein est d’être à lui. Obligez un Frere qui souhaite de vous voir heureuse, quoiqu’il ne se promette gueres de l’être jamais lui-même.

Ô Sir Charles ! s’est écriée Charlotte, vous me perdez par votre air grave, & par l’excès de votre bonté.

Il n’est pas question d’une entreprise badine. Je ne connois rien de plus sérieux, Charlotte. J’ai des affaires sans nombre. Mon cœur est dans cette chere Assemblée, mais divers engagemens vont m’en éloigner jusqu’à Mercredi prochain. Si vous rejettez aujourd’hui ma priere, je n’ajoute rien. Expliquez-vous librement. Avez-vous d’autres objections que la peine d’un aveu ? Je cesse de vous presser.

Ainsi, Monsieur, c’est votre dernier mot. Elle n’a pas manqué d’accompagner cette réponse d’un certain air de fierté.

Entendons-nous, chere Sœur : Ce n’est pas celui de Mylord, mais c’est le mien. Je voudrois vous voir un peu plus sérieuse sur une affaire de cette importance. Si vous pouvez me nommer un jour avant Mardi, vous m’obligerez sensiblement. Je m’en remets à vos réflexions.

Il est sorti. Chacun s’est efforcé d’engager Miss Charlotte à satisfaire son Frere. Mylady L… lui a représenté qu’il avoit quelques droits sur la complaisance de ses Sœurs, & qu’il s’étoit expliqué plus fortement encore avec elle & son Mari ; qu’une vue, d’ailleurs aussi sérieuse que celle d’arranger ses affaires avant son départ, ne souffroit pas d’objections badines. Vous savez, Charlotte, a-t-elle continué, qu’il ne peut avoir d’autre motif que votre intérêt, & vous m’avez dit que votre dessein est d’épouser Mylord G… ; que vous estimez son Pere, son Oncle & toute sa Famille. Ils ont tous aussi la plus haute estime pour vous. Les articles sont dressés. Mon Frere vous le dit hier au soir. Il ne manque que votre choix pour le jour…

Charlotte a répondu impatiemment : je lui voudrois voir la moitié de cet empressement pour se marier lui-même.

Il l’auroit, n’en doutez pas, a repliqué Mylady, s’il étoit aussi libre que vous.

Belle proposition ! a repris la capricieuse Personne. Me marier dans huit jours avec un homme que je n’ai pas cessé de quereller depuis quinze ! L’orgueil & la pétulance doivent finir par degrés, ma Sœur. Un mois n’est pas trop pour rendre un peu de douceur à mes traits, & pour l’accoutumer à sourire devant moi.

Votre Frere, chere Charlotte, ai-je pris la liberté de lui dire, vous a fait entendre qu’il aime votre vivacité, mais qu’il vous aimeroit encore plus, si vous consultiez le tems & l’occasion. Songez, ma Sœur, a dit aussi-tôt Mylord L…, qu’il est sorti dans la résolution de ne vous pas presser davantage, si vous le refusez aujourd’hui.

Je hais cet air décisif, a-t-elle répondu.

Mais Charlotte, ai-je repris, ne vous a-t-il pas avoué, du ton le plus sérieux, qu’il y a une espece de nécessité ?

Devinez, chere Lucie, la réponse de Miss Grandisson. Tenez, Henriette, je n’aime point cette Clémentine. C’est d’elle que vient tout le mal.

À l’instant même, le bruit d’un carrosse, s’est fait entendre à la porte, & notre Émilie est entrée en courant, pour nous apprendre que c’étoit Mylord G…, le Comte son Pere, & Mylady G…, sa Tante. Miss Grandisson a changé de couleur. Elle a prétendu que c’étoit un tour de son Frere. Juste Ciel ! a-t-elle dit ; je serai donc affligée de toutes parts ? Mais je sais le parti que j’ai à prendre. Je ferai la sotte, pour ne rien faire de pis. C’est ce que j’appréhende peu, lui a répondu sa Sœur. Cependant souvenez-vous des instances de mon Frere, & ménagez un peu Mylord G… devant son Pere & sa Tante, si vous ne voulez pas nous chagriner tous. Comment faire ? a-t-elle répliqué. Notre derniere querelle dure encore. Mais conseillez-lui donc de ne pas faire l’impertinent, ni l’homme trop sûr de ses avantages.

Sir Charles est entré aussi-tôt, donnant la main à Mylady G… Après les premiers complimens : de grace, mon Frere, lui a dit Miss Grandisson, en le tirant vers moi, ne saviez-vous rien de cette visite ? Il est convenu qu’il les avoit invités à dîner, mais sans aucun dessein de la surprendre. Votre consentement, a-t-il ajouté, me causera la plus vive satisfaction, mais vous ne m’en serez pas moins chere si vous le refusez. Elle l’a prié en deux mots, avec toute la force qu’elle y pouvoit mettre en parlant fort bas, d’être moins généreux ou moins pressant. Mylady G…, sans paroître surprise de ce petit dialogue, qui n’avoit duré qu’un instant, s’est levée, l’a prise par la main, & l’a priée de passer avec elle dans le Cabinet voisin. Elles n’en sont sorties qu’à l’heure du dîner. Jamais Miss Grandisson ne m’avoit paru plus aimable qu’à son retour. Une rougeur charmante étoit répandue sur ses deux joues. L’air de satisfaction qu’elle avoit dans les yeux, faisoit briller dans toute sa figure des graces que je n’y avois pas encore remarquées, & sembloit adoucir la majesté naturelle de ses traits. Mylord G… a paru charmé, comme si son cœur en avoit tiré les plus doux présages. Le vieux Comte n’a pas marqué moins de contentement.

Pendant le dîner, Miss Grandisson a peu parlé, & je lui ai trouvé l’air pensif. Ce changement m’a causé beaucoup de joie : il me fait juger qu’à mesure que l’Amant touche de plus près à la qualité de Mari, les vivacités excessives d’une Maîtresse se perdent dans les complaisances d’une Femme obligeante. Cependant, par intervalles, lorsque la joie de Mylord vouloit déborder sur ses levres, j’ai fort bien observé qu’elle reprenoit ce regard qui inspire tout à la fois l’amour & la crainte. Après le dîner, Mylady G… & le Comte ont demandé une conférence avec Sir Charles & Mylady L… Elle n’avoit pas duré long-tems, lorsque Sir Charles est venu prendre Miss Grandisson, qu’il a conduite à l’Assemblée. J’ai remarqué souvent de l’altération sur le visage de Mylord G…

Sir Charles a quitté le conseil, & nous a rejoints. Nous étions debout. Il s’est adressé à moi : J’espere, m’a-t-il dit, que Charlotte se laissera vaincre, mais je ne la presserai plus. Il sembloit prêt à nous donner d’autres explications, lorsque Mylady L… l’est venue prier d’aller avec moi au-devant de sa Sœur, qui avoit quitté Mylady G… & le Comte, & qui faisoit quelque difficulté de rentrer. Nous nous sommes avancés vers elle jusqu’à l’antichambre, où nous l’avons rencontrée. Ah ! chere Henriette, s’est-elle écriée : plaignez-moi, ma chere. L’humiliation est la fille de l’orgueil. Ensuite se tournant vers Sir Charles : eh bien, Monsieur, lui a-t-elle dit, je me reconnois vaincue par vos instances, puisque vous êtes prêt à nous quitter, & par les importunités de Mylady G…, du Comte & de ma Sœur. Sans ordre dans mes idées, sans préparation dans les habits, je suis résolue d’obliger le meilleur de tous les Freres. Faites, Monsieur. Disposez de moi comme vous l’entendrez.

Ma Sœur, nous a dit Mylady L…, consent que le jour soit Mercredi prochain. Sir Charles a répété que s’il lui restoit quelque objection, & pour peu qu’elle balançât… Je ne balance point, Monsieur, a-t-elle répondu, mais j’avois jugé qu’un mois ou deux, n’étoit pas trop pour me donner le tems de regarder autour de moi, & qu’après avoir traité Mylord G… avec un peu d’extravagance je devois lui faire espérer, par degrés, plus de bonheur qu’il ne doit s’en promettre avec moi. Sir Charles l’a serrée entre ses bras, en lui disant qu’il reconnoissoit sa charmante Sœur. Il lui a demandé la permission de la présenter solennellement au Comte & à Mylady G… Je l’ai accompagnée. Cette cérémonie s’est faite avec beaucoup de noblesse. Aussitôt, le Comte est sorti pour amener son Fils, qu’il a présenté d’abord à Sir Charles. Miss Grandisson m’a dit à l’oreille, en le voyant approcher : je suis perdue, chere Henriette ; nous touchons à la plus fâcheuse Scene de la Comédie. Mylord G… a mis un genou à terre, pour lui baiser la main : mais le transport de sa joye lui ôtoit le pouvoir de parler, car il venoit d’apprendre que l’heureux jour est Mercredi.

Il est donc impossible, chere Lucie, que Sir Charles n’emporte point tout ce qu’il prend à cœur ! Lorsqu’étant retourné en Italie, il paroîtra dans la maison Della Porretta, qui sera capable de lui résister ? La considération, qu’il s’y est attirée par son mérite, ne sera-t’elle pas augmentée du double ? L’homme, dont ils ont souhaité l’absence, est invité aujourd’hui à reparoître chez eux. Toutes les ressources sont épuisées pour la guérison de Clémentine. Il jouit à présent d’une grosse fortune. La renommée de ses vertus a passé dans les Pays éloignés. Ô ma chere ! quels obstacles pourront tenir devant lui ? Et si c’est la volonté du Ciel que Clémentine se rétablisse, tous ses Amis ne doivent-ils pas concourir à la lui donner aux conditions qu’il a proposées ? Lui-même, après les avoir offertes, sera-t-il libre de les rejetter ?

Il est évident que son cœur est à Boulogne. Je conviens qu’il y doit être ; & cependant je n’ai pu me défendre d’être vivement touchée du langage que je lui ai entendu tenir, à l’occasion de quelque chose que Mylord L… lui disoit : « Je suis impatient de repasser la mer. Si je n’attendois pas le Chirurgien, j’aurois porté ma réponse en personne aux dernieres Lettres que j’ai reçues d’Italie. » Mais puisqu’il est appelé par l’honneur, par la compassion, par l’amour, par l’amitié, que je trouve plus noble encore que l’amour, qu’il suive des loix si fortes. Il m’accorde son estime ; je veux être digne aussi de son amitié. Il m’en coûtera quelques tourmens ; mais peut-on mettre quelqu’un au-dessus du monde entier, & n’en pas ressentir quelquefois à son occasion ?

Sir Charles nous a parlé de l’engagement qu’il a pris pour demain, de finir le triple mariage des Danbys. Le jour d’après, il doit se rendre à Windsor, pour accompagner Mylord W… son Oncle, dans sa premiere visite au Château de Mansfield. Vous, ma Sœur, a-t-il dit à Mylady L…, vous vous chargerez, s’il vous plaît, de faire remonter les Diamans de feu ma Tante, dont Mylord W… veut faire présent à sa nouvelle Épouse. Ils sont si riches, qu’ils ne demandent point d’autre changement. Vous serez tous charmés, a-t-il ajouté, en s’adressant à Mylord L… & à ses deux Sœurs, de votre seconde Tante & de toute sa Famille. J’envisage avec joie le bonheur qui attend le Frere de ma Mere dans sa vieillesse ; & je ne me réjouis pas moins d’un évènement qui va délivrer de l’oppression une ancienne & vertueuse Famille.

Vous auriez vu, chere Lucie, le même air de satisfaction briller dans les yeux de toute l’Assemblée. Nous nous regardions avec complaisance, pour nous communiquer notre sensibilité mutuelle. Je croyois voir au milieu de nous un Prince bienfaisant, qui faisoit son bonheur du plaisir qu’il nous causoit. Mais où sera-t-il dans huit jours ? Et si cette réflexion m’est permise, à qui sera-t-il dans un an ?

Il s’est fort étendu sur son Ami Belcher, qu’il espere encore de voir en Angleterre, avant son départ. Il s’est plaint de M. Everard Grandisson, qu’on n’a pas vu depuis plusieurs semaines, & qu’il croit livré pour quelques mois, suivant son usage, à quelque nouvelle galanterie. Dans l’étendue de sa bonté, il le croit sincere, chaque fois qu’il lui voit rompre une mauvaise habitude. Il espere, dit-il, que tôt ou tard il reconnoîtra parfaitement toutes ses erreurs. Ah, ma chere ! quel personnage est celui d’un Libertin, lorsqu’on le compare au glorieux rôle qu’un homme du caractere de Sir Charles fait dans la société ! Mylady G… & le vieux Comte ne se rassasient point de le regarder & de l’entendre. Ils sembloient fiers de l’alliance qu’ils vont former avec un homme auquel ils ne connoissent rien d’égal.

Dans votre derniere Lettre, Lucie, vous me marquez que M. Greville a la hardiesse de laisser échapper des menaces contre ce modèle des hommes. Plaisante espece ! Que mon cœur se soulève contre Greville ! Mais ne parlons plus de ces ames de boue.

(N.) On n’a donné la Lettre précédente que pour soutenir le caractere de Miss Grandisson, & pour lier le changement de son état & de son nom, avec quantité d’incidents qui doivent le suivre : mais on passe sur toutes les Lettres qui concernent le mariage des Danbys, de Mylord W…, de Miss Grandisson même, & l’arrivée de M. Belcher. Sir Charles est toujours bon, toujours généreux, juste, intrépide. Son caractere ne varie point dans les moindres circonstances. L’admiration croît sans cesse dans tous ceux qui ont quelque chose à démêler avec lui ; & celle de Miss Byron devient si vive & si tendre, qu’on ne peut plus se tromper à ses véritables sentimens ; c’est un amour vertueux, mais le plus passionné. Ses agitations reçoivent un surcroît fort extraordinaire par l’arrivée imprévue de la Signora Olivia, cette même Dame de Florence, qui a conçu depuis long-temps une violente passion pour sir Charles, & que l’absence a si peu guérie, qu’elle vient le chercher en Angleterre pour lui offrir, avec son cœur & une immense fortune, le sacrifice de sa Religion. À la vérité, cette offre est amenée par degrés. Olivia n’a quitté sa Patrie que sous le prétexte d’un ancien goût pour les voyages. Elle voit d’abord les Sœurs de Sir Charles, sous de simples apparences de politesse. Elle ne le voit lui-même qu’à titre d’Amie, qui ne peut l’avoir oublié depuis qu’elle a quitté Florence, & qui est charmée de n’être pas étrangère pour tous les Anglois. Mais l’amour triomphe bientôt de ces ménagemens. Il la porte à s’ouvrir aux Dames Grandisson, à presser leur Frere, à déclarer qu’elle ne veut pas être outragée par des refus ; & lorsqu’elle apprend qu’il se dispose à retourner en Italie, elle tombe dans une furieuse irrésolution. Cependant Madame de Maffei, vieille Tante dont elle est accompagnée, la ramène fort sagement à des considérations d’honneur, qui lui font prendre le parti d’attendre en Angleterre le retour de sir Charles. Outre les espérances dont cette Dame la flatte pour l’avenir, elle lui persuade que retourner en Italie, sur les traces, & comme à la suite d’un homme pour lequel on lui connoît une tendresse fort vive, c’est se déshonorer tout-à-fait, au lieu qu’en demeurant tranquille en Angleterre, elle donnera lieu de penser que c’est uniquement son goût pour les voyages, qui lui a fait quitter sa Patrie, sans compter que pendant l’absence de Sir Charles, elle aura le temps de se lier avec les Dames Grandisson, & de se faire aimer dans une Famille qu’elle a tant d’intérêt à ménager. C’est Miss Byron qui fait ce récit dans plusieurs grandes Lettres à Miss Selby. Elle est peu alarmée des prétentions d’Olivia, mais ses craintes sont plus sérieuses que jamais du côté de Clémentine, & chaque instant qui approche le départ de Sir Charles, augmente son inquiétude. Elle observe tout, elle rend compte à son Amie de tout ce qu’elle voit & ce qu’elle entend. La vérité est, qu’elle ne laisse pas d’entrevoir combien il a de peine à la quitter. Il lui fait des adieux d’un air tremblant. Il lui recommande Émilie. Il se recommande lui-même. Enfin le jour même de son départ, il se dérobe à tous ceux qui espéroient de l’embrasser, comme s’il craignoit de s’attendrir trop, & de laisser paroître ce qui se passe dans son cœur. On apprend qu’il est parti, & Miss Byron en donne la premiere nouvelle à sa Cousine.