Aller au contenu

Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 45

La bibliothèque libre.
◄  Chapitre 44 Chapitre 46   ►



CHAPITRE XLV.
OBSÈQUES DU GRAND HENRI.

C’est un usage de ne célébrer les funérailles des rois de France que quarante jours après leur mort. Le corps embaumé est enfermé dans un cercueil de plomb, sur lequel on élève une figure de cire qui le représente au naturel autant qu’on le peut. Vis-à-vis cette figure on sert la table royale à l’heure ordinaire des repas, et les viandes sont abandonnées aux pauvres. Des prêtres jour et nuit chantent des prières autour de l’image. Cette coutume est venue d’Asie dans nos climats. Il faut remonter jusqu’aux anciens rois de Perse pour en apercevoir l’origine ; elle est rarement observée. Les dépenses qu’elle exige sont trop fortes dans un pays où souvent l’argent manque pour les choses les plus nécessaires. Henri IV avait laissé de grands trésors. Plus sa mort était déplorable, plus sa pompe funèbre fut magnifique.

Le 29 juin[1] le corps fut porté de la grande salle du Louvre à Notre-Dame, où on le laissa en dépôt, et le lendemain à Saint-Denis. L’effigie en cire était portée sur un brancard après le cercueil. Tous les corps de l’État assistaient en deuil à cette cérémonie ; mais le parlement était en robes rouges, pour marquer que la mort d’un roi n’interrompt pas la justice.

Il voulut suivre immédiatement la figure de cire ; mais l’évêque de Paris prétendit que c’était son droit. Cette contestation troubla longtemps la cérémonie. Les huissiers du parlement voulurent faire retirer l’évêque de Paris Henri de Gondi, et l’évêque d’Angers Miron, qui faisait les fonctions de grand-aumônier.

Le convoi s’arrêta, le peuple fut étonné et scandalisé, l’ordre de la marche devait avoir été réglé pour prévenir toute dispute ; mais de pareilles querelles n’ont été que trop fréquentes dans ces cérémonies. Il fallut recourir à la décision de la reine, et que le comte de Soissons, à la tête d’une compagnie des gardes, maintînt les deux évêques dans le poste qui leur semblait dû, puisqu’il s’agissait de la sépulture, qui est une fonction ecclésiastique. Les gardes même saisirent un conseiller qui faisait résistance : c’était Paul Scarron, le père du fameux poète burlesque Paul Scarron, plus célèbre encore par sa femme[2].

Lorsqu’on fut arrivé à Saint-Denis, les gentilshommes ordinaires du roi portèrent le cercueil dans le caveau. De somptueux repas sont toujours la fin de ces grands appareils. Le cardinal de Joyeuse, qui officia dans Saint-Denis, l’évêque d’Angers, qui prononça l’oraison funèbre, dînèrent au réfectoire des religieux avec tout le clergé. On dressa trois tables dans la salle du chapitre : la première, pour les princes et les grands officiers de la couronne ; la seconde, pour le parlement ; et la troisième, pour tous les officiers de la maison du roi.

Il semble que, si le parlement avait été regardé dans ces cérémonies comme cour des pairs, il aurait dû manger avec les princes du sang qui sont pairs ; et que, siégeant avec eux dans la même cour de justice, il pouvait se mettre avec eux à la même table ; mais il y a toujours quelque chose de contradictoire dans tous les usages. On prétendait que le parlement n’était la cour des pairs que quand les princes et pairs venaient tenir cette cour ; et l’étiquette ne souffrait pas alors que les princes, et surtout les princes du sang, admissent à leur table les conseillers au parlement.

Ces détails concernant les rangs sont le plus mince objet de l’histoire ; et tous les détails des querelles excitées pour la préséance sont les archives de la petitesse plutôt que celles de la grandeur.

  1. 1610. (Note de Voltaire.)
  2. Devenue Mme de Maintenon, et femme de Louis XIV.