Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 53
Richelieu, ayant fait déclarer solennellement la guerre à toute la maison d’Autriche dans l’Allemagne et dans l’Espagne, en 1635, fut sur le point de voir le royaume ruiné l’année suivante. Les ennemis passèrent la Somme, prirent Corbie, ravagèrent toute la Picardie et la Bourgogne ; Paris fut exposé, et plusieurs citoyens en sortirent. Les troupes étaient peu nombreuses, intimidées et dispersées ; les meilleurs officiers suspects au cardinal, emprisonnés ou exilés, les finances épuisées. On ne regardait alors ce ministre que comme un tyran maladroit[1].
Dans cette crise de l’État, la ville de Paris offrit de soudoyer six mille cinq cents hommes ; le parlement résolut d’en lever deux mille cinq cents ; l’Université même promit quatre cents soldats. Le cardinal doutait si ces offres étaient faites contre les ennemis ou contre lui-même.
Le parlement voulut nommer[2] douze conseillers pour avoir soin de la garde de Paris, et pour faire contribuer à la levée des troupes que Paris devait fournir.
Le ministre sentit qu’une telle démarche était une insulte plutôt qu’un secours. La compagnie du parlement ne lui parut pas instituée pour garder les portes de la ville, et pour faire les fonctions du gouverneur et des généraux d’armée. Il savait qu’on avait parlé de lui dans la séance. Le roi manda au Louvre les présidents et les doyens de chaque chambre ; il leur renouvela les défenses de se mêler d’aucune affaire d’État. Enfin le ministre et les généraux ayant réparé leurs fautes, et les ennemis ayant été chassés du royaume, le parlement obéit.
On ne put terminer cette campagne qu’avec des frais immenses. Les finances sont le premier ressort de l’administration, et ce ressort est toujours dérangé. Richelieu n’était pas un Sully qui eût su s’assurer de quarante millions, et préparer les vivres, les munitions, les hôpitaux, avant de faire la guerre. Ni sa santé, ni son génie, ni son ambition, ne lui permettaient d’entrer dans ces détails indispensables, dont la négligence doit diminuer beaucoup sa gloire. Il fut obligé de retrancher trois quartiers d’arrérages que le roi devait aux rentiers de l’Hôtel de Ville. Cette banqueroute était odieuse ; il eût mieux valu sans doute établir des impôts également répartis ; mais c’est ce qu’on n’a su faire en France qu’après une longue épreuve de moyens aussi honteux que ruineux. Le gouvernement, depuis Sully, ne savait que créer des charges inutiles, que la vanité achetait à prix d’argent, et se remettre à la discrétion des traitants.
Richelieu avait créé vingt nouveaux offices de conseillers au parlement en 1635. La compagnie en avait été indignée ; la banqueroute faite aux rentiers excita les cris de tout Paris. Ces citoyens, privés de leur revenu, vinrent se plaindre chez le chancelier Châteauneuf. Pour réponse on en mit trois à la Bastille. Le parlement s’assemble, on délibère, on parle fortement. Le cardinal avait ses espions ; il fait enlever Gayant, Champrond, Sallo, Sevin, Tubeuf, Bouville, Scarron[3]. Un édit du roi interdit la troisième chambre des enquêtes. Les magistrats arrêtés furent ou exilés ou enfermés, et les rentiers perdirent leurs arrérages.
Il est évident que le gouvernement du cardinal de Richelieu était à la fois vicieux et tyrannique ; mais il est vrai aussi qu’il eut toujours à combattre des factions. La fierté sanguinaire du ministre, et le mécontentement de tous les ordres du royaume, furent les semences qui produisirent depuis les guerres de la Fronde. Le parlement, ayant perdu sous Richelieu toutes les prérogatives qu’il réclamait, ne combattit dans les dernières années de Louis XIII que contre la chambre des comptes.
Ce monarque ayant ôté la protection de la France à sainte Geneviève, qu’on croyait la patronne du royaume parce qu’elle l’était de Paris, conféra cette dignité à la vierge Marie[4].
Ce fut une très-grande solennité dans l’église de Notre-Dame. Les cours supérieures y assistèrent. Le premier président du parlement marcha le premier à la procession. Les présidents à mortier ne voulurent pas souffrir que le premier président des comptes le suivit. Celui-ci, qui était grand et vigoureux, prit un président à mortier à brasse-le-corps, et le renversa par terre. Chaque président des comptes gourma un président du parlement, et fut gourmé. Les maîtres s’attaquèrent aux conseillers. Le duc de Montbazon mit l’épée à la main avec ses gardes pour arrêter le désordre, et l’augmenta. Les deux partis allèrent verbaliser chacun de leur côté. Le roi ordonna que dorénavant le parlement sortirait de Notre-Dame par la grande porte, et la chambre des comptes par la petite.
- ↑ On l’insultait dans tout Paris ; il monta en carrosse, alla droit à l’Hôtel de Ville, sans suite, au pas ; et cette preuve de confiance non-seulement fit taire les clameurs, mais provoqua un enthousiasme admirable. (G. A.)
- ↑ 11 août 1636. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ce dernier est probablement le même dont il a été question chapitre XLV, page 10.
- ↑ Les lettres patentes sont du 10 février 1638.