<Histoire ecclésiastique du peuple anglais
Copie de la lettre du pape Grégoire au père abbé Mellitus, sur le point de partir pour la Bretagne [601].
Les émissaires partis, le saint-père Grégoire leur adressa une lettre qui mérite d'être sauvée de l'oubli, où il montre toute sa sollicitude pour le salut de notre peuple. La lettre était écrite en ces termes :
« A son très cher fils le père abbé Mellitus, Grégoire serviteur des serviteurs de Dieu.
« Nous n'avons cessé d'être soucieux après le départ de la congrégation qui t'accompagne, parce que nous ne savons rien de l'heureuse issue de ton voyage. Lorsque le Dieu Tout-Puissant 'aura fait parvenir auprès du très révérend évêque Augustin, notre frère, dis-lui que j'ai longuement réfléchi au sujet des Angles: je veux dire qu'il ne faut pas détruire les temples qui abritent les idoles, mais les idoles qui s'y trouvent ; on aspergera les temples avec de l'eau bénite, puis on érigera des autels où seront disposées les reliques. Car si ces temples ont été convenablement bâtis, il est indispensable qu'ils passent du culte des démons au service du vrai Dieu. Ainsi, voyant que leurs temples ne sont pas détruits, les habitants pourront renoncer du fond de leur cœur à leurs erreurs et, connaissant désormais le vrai Dieu, se sentir d'autant plus prêts à revenir l'honorer dans des lieux qu'ils fréquentaient naguère.
« Comme on les avait habitués à égorger un grand nombre de bêtes pour les offrir en sacrifice aux démons, il faudra également, à la place de ces sacrifices, instituer des fêtes solennelles: le jour de la dédicace ou de la naissance des saints martyrs dont on expose. les reliques, on pourrait leur faire aménager des huttes de branchages autour de ces temples convertis en églises, et célébrer la solennité au cours d'un festin à tonalité religieuse. Ils n'offriraient plus de bêtes au diable, mais abattraient du bétail pour glorifier Dieu par leur repas, faisant monter leurs actions de grâce vers Celui qui leur prodigue tous ces biens nécessaires à leur subsistance. De la sorte, pendant qu'on accordera ces plaisirs à leur corps, leur âme sera plus réceptive aux consolations de la grâce divine.
« Il est impossible de tout effacer d'un seul coup de leurs cœurs rudes; de la même manière, celui qui s'efforce de gravir un endroit élevé s'élève par degrés et petits pas, non par des bonds. Ainsi, lorsque les enfants d'Israël étaient en Égypte, le Seigneur se fit connaître Lui-même, mais Il leur permit de conserver l'usage des sacrifices qu'ils avaient l'habitude d'offrir naguère au diable, lorsqu'Il leur enjoignit, dans le culte qu'ils Lui rendraient, de Lui offrir des animaux en sacrifice. Ainsi, pendant que leurs cœurs changeaient, ils perdaient une chose dans le sacrifice tout en en conservant une autre: ils continueraient d'offrir, certes, des bêtes en sacrifice, mais, comme ils les abattraient pour les offrir au vrai
Dieu et non pas aux idoles, ces rites n'auraient plus rien à voir avec les anciens sacrifices. Tout cela, je le confie à ton affection pour que tu en fasses part à notre frère, afin qu'il examine, sur place, de quelle manière le mettre à exécution.
«Que Dieu te garde sain et sauf, mon cher frère.
« En date du 18 juillet, la dix-neuvième année du règne de notre pieux et auguste empereur Maurice Tibère, la dix-huitième année après le consulat de Notre dit Seigneur, la quatrième indiction. »