Histoire et description naturelle de la commune de Meudon/Chapitre I

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CHAPITRE Ier.

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STATISTIQUE.
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I.

Situation, Populations, Édifices, Établissements publics.




Meudon est un gros village qui faisait autrefois partie de l’Isle-de-France ; compris dans le département de Seine-et-Oise, arrondissement de Versailles et canton de Sèvres, il est situé à l’ouest de Paris, à un myriamètre de cette capitale ; longitude 0° 6′ ouest, latitude 48° 5′ 14". Il se montre en amphithéâtre sur le revers d’une colline exposée au soleil levant et à l’entrée d’un magnifique vallon qui pénètre fort avant dans la forêt du même nom. La commune de Meudon se compose du village et de hameaux désignés sous le nom de Fleury, du Val de-Meudon, des Moulineaux, du Bas-Meudon et de Bellevue.

Dans le dénombrement de l’an 1709, Meudon et Fleury (ce hameau ne faisait pas alors entièrement partie de la paroisse de Meudon) formaient 200 feux ; en 1745, d’après celui de Doisy, 305 feux ; on trouve, dans le Dictionnaire de la France ancienne et moderne imprimé en 1726, le chiffre de 1 380 habitants, et, dans le Dictionnaire universel de la France (1771), on en compte 120 de plus.

D’après le recensement de la commune, fait en 1841, la population s’élevait à 3 174 âmes dont 1 504 pour le sexe masculin[1], et 1 670 pour le sexe féminin[2].

La population flottante est de 3 600 âmes environ ; elle s’est accrue considérablement depuis l’établissement du chemin de fer de Paris à Versailles, sur la rive gauche de la Seine.

À part le château, Meudon ne se fait guère remarquer par ses monuments ; malgré son ancienneté, il est resté dans toute la simplicité du premier village venu ; ses rues même, loin d’être belles, sont au contraire généralement en pente, étroites et tortueuses.

L’église paroissiale est construite dans le goût d’architecture qui succéda au gothique, aussi ne remonte-t-elle que vers l’année 1570. Rien ne prouve, comme on l’a avancé, que le grand dauphin, fils de Louis XIV, l’ail fait rebâtir plus solidement ainsi que son clocher[3] ; ce qu’il y a seulement de certain, c’est qu’après l’échange de la terre de Choisy-sur-Seine pour celle de Meudon, ce prince, afin de témoigner sa piété envers saint Martin, évêque de Tours et patron du lieu, auquel les habitants ont joint saint Blaise[4], fit garnir l’église de très belles tapisseries et y offrit le pain bénit.

Quoi qu’il en soit, cette église, digne de l’attention des connaisseurs, passe pour être une des plus ornées des environs de Paris ; on y remarque un grand nombre de tableaux, notamment celui de l’adoration des Mages, fait par M. Ed. Odier, et donné par lui en 1840 ; et deux toiles de M. Descamps, représentant : l’une, le beau trait de charité chrétienne de saint Martin, rapporté par Sulpice-Sévère ; et l’autre, saint Blaise, guérissant un enfant du croup ; elles ont été, sur la demande de M. le général Jacqueminot qui s’intéresse vivement à la commune, accordées en 1841 par le ministère de l’intérieur. La chaire fait honneur au goût de M. Provost, architecte honoraire de la chambre des pairs, qui en a donné le plan, exécuté habilement par un ouvrier de Fleury.

Je renvoie, pour la description du château, du viaduc du Val-de-Fleury, etc., aux détails historiques qui vont bientôt suivre.

Meudon possède une école mutuelle, qui répand le bienfait de l’instruction sur 120 jeunes garçons dont 80 sont à la charge de la commune. Un autre établissement, dirigé par les dignes sœurs de l’ordre de saint Vincent, rend gratuitement le même service à 70 jeunes filles environ.

Il existe aussi un bureau de bienfaisance ; grâce à la charité publique et à plusieurs legs, notamment celui de M. Roudier[5], dont une rue du village porte à juste titre le nom, les pauvres y reçoivent des secours qu’ils rencontreraient difficilement ailleurs.

Le grand dauphin passe aussi pour avoir gratifié Meudon d’une belle fontaine ; mais il est à regretter qu’elle ne soit pas au milieu de la place du village et qu’il faille en sortir ou grimper jusqu’au château suivant l’expression des habitants, afin de se procurer de l’eau douce et potable.

Malgré son importance, la commune n’a pas de local convenable pour sa mairie.

Industrie, Commerce.
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Afin de rendre un compte aussi fidèle que possible de l’industrie et du commerce des habitants de la commune de Meudon, je ne puis mieux faire que de reproduire ici, presque entièrement, le rapport de M. Obeuf adressé à M. le préfet de Seine-et-Oise, pour le 2e semestre de 1841, et qu’il a bien voulu me communiquer[6].

« La culture de la vigne, qui réclame les bras d’une grande partie de la population de la commune de Meudon, est dans un état on ne peut plus prospère, attendu que les produits de cette branche d’exploitation s’écoulent de plus en plus facilement par la grande consommation qui s’en fait dans le pays.

« Les établissements de blanchisseurs de linge, au nombre de 98, qui occupent journellement au moins 300 femmes, prennent chaque jour plus d’importance à cause du voisinage de la capitale. Cette industrie soutient plus de 170 ménages ; non seulement elle y répand l’aisance, mais fait même la fortune de plusieurs blanchisseurs. Il existe, en outre, une blanchisserie qui fonctionne au moyen de deux machines à vapeur à basse pression. Cet établissement est en pleine activité ; il occupe pendant toute l’année 38 personnes des deux sexes dont le salaire est de 1 franc jusqu’à 5 francs 50 cent, par jour. Trois voitures, attelées chacune d’un cheval, faisant partie de cet établissement, servent tous les jours à transporter le linge à Paris.

« Meudon possède 50 carrières de moellon dont on tire un bien faible produit, faute de facilité pour le transport, car la qualité de cette pierre est excellente ; mais le pays plat et les bonnes routes des autres communes qui avoisinent Paris, sont une concurrence que le pays ne peut soutenir.

« II n’existe sur le territoire qu’une seule plâtrière ; encore va-t-elle cesser d’être exploitée, attendu le faible produit qu’en retire le propriétaire. Elle ne livre qu’un très petit nombre de sacs de plâtre à la consommation voisine de Meudon, à Sèvres et à Issy.

« En revanche il possède 10 carrières de blanc dit d’Espagne qui peuvent fabriquer 3 à 4 millions de pains par année, au prix de 6 à 7 francs le mille. Ces carrières occupent tous les jours une vingtaine d’ouvriers, hommes et femmes ; les hommes à raison de 2 francs 50 cent, par jour, les femmes à raison de 1 franc les 1,000 pains ; chaque exploitation a en outre une charrette et un cheval.

« La fabrique de capsules du Bas-Meudon est en pleine activé ; elle produit par année environ 450 millions d’amorces fulminantes, dont les trois quarts au moins sont livrés à l’exportation. Cet établissement occupe journellement 60 à 80 ouvriers, hommes, femmes et enfants, dont le salaire varie depuis 1 fr. jusqu’à 6 fr. par jour.

« La féculerie et distillerie des Moulineaux prend de jour en jour de l’accroissement. Cette fabrique peut râper annuellement dix à douze mille septiers de pomme de terre et fournir par la distillation environ 600 hectolitres d’alcool à 36 degrés de l’aréomètre de Cartier. Elle occupe 10 ouvriers dont le salaire est de 2 fr. 50 c. à 3 fr. 50c. par jour, suivant la nature de leurs occupations ; enfin, ses produits sont destinés en grande partie à être consommés dans la banlieue de Paris.

« La verrerie du Bas-Meudon a beaucoup diminué de son importance depuis 3 ans, par suite de la suppression de la fabrication du cristal. Cette manufacture n’occupe aujourd’hui que 80 à 100 ouvriers, tandis qu’auparavant il lui en fallait 200. Le nombre de bouteilles de toutes formes fabriquées dans cet établissement, s’élève annuellement à environ 1,200,000. On ne peut apprécier le salaire de chacun des ouvriers, attendu que la plupart travaillent à leurs pièces.

« La statistique des petits produits agricoles et celle des établissements locaux de peu d’importance, ne varie jamais. Quant aux ouvriers maçons, terrassiers, etc., etc., ils trouvent tous de l’occupation, soit dans le pays, soit dans les communes avoisinantes. »

Constitution physique et morale des habitants.
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En général, les Meudonnais sont laborieux, durs à la peine, vifs, entreprenants ; ils se sentent un peu de l’air des montagnes ; ils sont amis de la gaîté et de la danse, mais Béranger exagère, je crois, leur ardeur à ce plaisir, lorsque, pour faire ressortir la puissance de l’archet de Guilain, ménétrier de Meudon et roi du rigodon, qui vivait au temps de Rabelais, il raconte que :

« Un jour, sous sa fenêtre,
Passe un enterrement ;
Le cortège et le prêtre
Entendent l’instrument :
Ils sautent ; la prière
Cède aux joyeux accords ;
Et jusqu’au cimetière
On danse autour du corps. »

La population n’est pas belle, je le dis à regret ; cela dépend d’une cause qui règne, dans toute la banlieue, de l’excès de travail ; les besoins de Paris sont tellement variés et multipliés, les producteurs ont un débouché si facile et si avantageux sur les marchés, que, pour peu qu’ils soient stimulés par la présence d’une Famille nombreuse, ils se livrent à un travail au dessus de leurs forces. Tout produit et se vend aux abords de la capitale : les plantes potagères y poussent comme par enchantement ; le sol, aussi bien que dans les colonies, rapporte deux ou trois fois dans le cours d’une année ; à l’orge, au seigle, coupés en vert pour les nourrisseurs, succèdent immédiatement d’autres céréales ou des légumes ; les plus mauvaises terres ne cessent de donner, tandis qu’à douze ou quinze lieues de distance dans la Brie et la Picardie, par exemple, on laissait encore, il y a peu d’années, sous le nom de jachères, les meilleurs champs de la France improductifs, comme si la terre, à l’instar des solipèdes ou de certains ruminants, avait ses alternatives de travail et de repos.

Il résulte de cette grande activité qui règne autour de la capitale, que plus on approche de ses murs, plus on voit l’homme prendre de peine et s’exténuer ; sa constitution physique se détériore de bonne heure, et il la transmet à ses enfants : de là, ces populations dégénérées où il est si difficile aujourd’hui de signaler quelques beaux types. Les paysannes elles-mêmes, soumises comme les hommes, dès l’âge le plus tendre, aux travaux les plus durs, ont perdu cette fleur de beauté qui demande à être cultivée avec tant de soin. Chaque fois que l’on rencontre un individu dégradé au physique, on ne manque pas de l’attribuer à l’abus des boissons, des femmes, ou à l’effet de quelque traitement secret, de quelque maladie honteuse ; c’est souvent une erreur, c’est un reproche qui n’est pas toujours mérité. Voit-on ordinairement les riches débauchés, habitués à tous les genres d’excès, dépérir, se courber devant Bacchus et Mercure ? En général, ils résistent parfaitement à ce genre de vie qui devient pour eux comme une seconde nature, et ne les empêche pas, de débiles qu’ils peuvent être au début, d’acquérir tout leur développement ; c’est moins la débauche que le travail qui courbe, pendant que la misère ulcère le corps et ronge les os ! Le vin et les femmes ne sont donc pas, je le répète, pour la classe pauvre et laborieuse de la banlieue, la cause principale de l’état de dégradation dans lequel tombe une foule d’ouvriers. A l’excès de travail dont je viens de parler, ajoutons que la viande de boucherie, dont le prix élevé augmente tous les jours, pendant que la qualité diminue, lui manque souvent, et se trouve remplacée par des légumes incapables de réparer entièrement des forces épuisées ; car il est physiologiquement reconnu que le travail manuel est proportionnel à la nature, à la qualité et à la quantité de nourriture ingérée dans l’estomac[7]. Que l’on donne, par exemple, largement de la bonne viande aux hommes de peine, et on leur verra faire, sans y être provoqués autrement, ainsi que M. Boulay de la Meurthe en a cité des exemples frappants, le double de ce que font ceux qui sont habituellement mal nourris, ou qui ne consomment guère que des légumes. Le vin est aussi pour l’actif travailleur un véritable besoin ; de ce qu’il va au cabaret y faire des libations qui ne le ravalent que trop souvent à l’état des brutes, de rigides philosophes[8] ont pensé lui interdire l’usage d’une liqueur essentiellement fortifiante, quand, au contraire, il eût été plus sage de le conseiller, sauf à n’en pas faire abus, et d’une manière continue, tous les jours laborieusement employés ; consommé à propos et modérément, le vin est aux forces physiques et morales ce que le café est au cerveau ou aux facultés purement intellectuelles : en suppléant au défaut d’abondance et de qualité nutritive, il fait oublier la fatigue et les privations :

« Quis post vina gravem militiam, aut
Pauperiem crepat ? . . . . . . . . . . . »

Gardons-nous donc, physiquement, moralement et même politiquement, d’interdire au Français l’usage de cette liqueur bienfaisante. Que les échos des bois, des vallons, répètent ses chansons bachiques ! Depuis que les Phocéens, suivant les uns, Brennus, au dire des autres, ont introduit la vigne en France, le vin n’a-t-il pas contribué à modifier, de père en fils, le caractère de ses habitants[9] ? La légèreté française, le caractère français, sont dus probablement à l’usage universellement répandu du vin en France et à la qualité de ce vin. Qui sait s’il n’a pas joué un grand rôle dans nos combats, tandis que le Germain reste impassible à côté de son widerkompt rempli de bière, et que le Russe, saturé de lait et d’acoucis (concombres) qu’il aime à l’excès, se laisse tuer sans reculer d’un pas. J’oserais presque dire que le vin est une sauve-garde de la gloire nationale. Opprobre donc à l’empereur Domilien, qui fit impitoyablement arracher les vignes dans les Gaules ; et honneur à Probus, qui, deux siècles après, les fit replanter ! Loin de moi, cependant, la pensée que l’on ne puise du courage que dans les liqueurs fermentées ; il y a trop d’exemples du contraire. Napoléon en prenait à peine ; mais distinguons du courage calme et impassible du général qui plane sur le champ de bataille, le courage du soldat qui marche sans prévoir ; la spontanéité fait son principal mérite et quel stimulant est plus capable que le vin, de faire surgir chez lui cette qualité brillante !




  1. Garçons, 718 ; hommes mariés, 740 ; veufs, 46.
  2. Filles, 730 ; femmes mariées, 745 ; veuves, 197
  3. Il paraîtrait cependant que, vers la fin du XVIe siècle, il était pointu, et qu’il aurait été rasé afin de ne pas nuire à la vue de la terrasse du château.
  4. La fête du village a lieu le 2 juillet, jour de la translation des cendres de saint Martin.
  5. II a légué 4,000 fr. au bureau de bienfaisance, et 3,000 fr. à la fabrique.
    Parmi les bienfaiteurs de la commune, citons encore : M. Tenbergue qui lui a fait une rente de 325 fr. à la condition bien explicite d’avoir un vicaire, et M. Menissier lui a affecté 80 fr. de rente au bureau de bienfaisance.
  6. J’ai dû aussi à l’obligeance empressée de M. Lantin, greffier de la mairie de Meudon, plusieurs renseignements sur la statistique actuelle de la commune.
  7. Si le corps de l’homme, d’après les savantes recherches de M. Dumas, est un appareil de combustion ou d’oxydation et de locomotion, ingénieusement comparé à une machine à vapeur, il est évident que plus cet appareil sera alimenté, mieux il devra fonctionner
  8. Il existe dans les contrées glaciales de l’Europe, notamment en Scandinavie, des sociétés de tempérance, d’après les statuts desquelles, on s’engage à ne jamais boire que de l’eau. Je doute qu’elles fassent beaucoup de prosélytes en France, bien que la température soit plus élevée qu’en Norvège et en Suède.
  9. Je ne sais si Fourier, dans ses inconcevables rêveries sociales, a préconisé l’emploi du bon vin ; mais assurément il aurait pu le compter au nombre des ressorts qu’il fait jouer pour réformer et embellir l’espèce humaine.