Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — février 1835

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Oiseaux parasites : Le coucou d’Europe et la passerine des États-Unis
Oiseaux parasites : Le coucou d’Europe et la passerine des États-Unis


MÉLANGES

D’HISTOIRE NATURELLE.


OISEAUX PARASITES.
Le Coucou d’Europe et la Passerine des États-Unis.

Les mœurs singulières du coucou ont, depuis un temps immémorial, attiré l’attention des savans comme celle du vulgaire ; elles ont été dans les temps modernes l’objet d’observations nombreuses, faites par des hommes doués d’une très grande sagacité et d’une persévérance à toute épreuve. On pouvait croire que l’histoire de l’oiseau était complètement tracée, lorsqu’une lettre adressée à l’Académie des sciences, par M. Prévost, chef des travaux de zoologie au Muséum d’histoire naturelle, est venue prouver que la matière n’était rien moins qu’épuisée.

Avant de parler des nouvelles observations de M. Prévost, je crois devoir rappeler les recherches de quelques-uns de ses prédécesseurs, et même les notions qu’on trouve à ce sujet dans les naturalistes anciens. On verra que plusieurs des contes qui avaient cours au temps d’Aristote, se sont perpétués jusqu’au nôtre. Une histoire, au bout de vingt jours, est quelquefois devenue complètement méconnaissable ; un conte, un souvenir traverse sans altération un espace de vingt siècles.

Au temps d’Aristote, le peuple croyait, comme il le croit encore aujourd’hui dans quelques parties de l’Europe, que le coucou, chaque année, se métamorphose en une espèce d’épervier ; cette opinion bizarre se fondait sur une ressemblance de port et de plumage entre les deux oiseaux, et sur ce que l’un d’eux disparaissait à l’époque où l’autre commençait à se faire voir. Ces raisons ne semblaient rien moins que concluantes au grand naturaliste. Le port du coucou, disait-il, diffère beaucoup de celui de l’épervier et serait plutôt comparable à celui de la tourterelle. Il y a bien quelque ressemblance dans la couleur du plumage ; mais la disposition des taches est différente ; d’ailleurs le coucou n’a ni la tête, ni le bec, ni les ongles de l’oiseau de proie. S’ils paraissent se remplacer mutuellement, c’est que tous les deux sont des oiseaux de passage, qui choisissent une époque différente pour visiter notre pays ; d’ailleurs ils s’y rencontrent quelquefois en même temps, et, dans ce cas, on a vu des coucous dévorés par les éperviers. Quand il n’y aurait pas d’autres raisons, celle-là seule suffirait pour montrer qu’il n’existe entre eux aucune parenté, puisqu’aucun oiseau ne fait sa proie d’un autre oiseau de la même espèce.

Personne, poursuit Aristote, n’a vu de nichée de coucou, car cet oiseau ne prépare point de berceau pour sa progéniture, mais il va chercher le nid de quelque oiseau plus petit, mange une partie des œufs qui s’y trouvent et dépose le sien en place ; quelquefois, mais très rarement, il en met deux. Cependant les propriétaires du nid couvent l’œuf substitué, et quand le jeune coucou est éclos, ils prennent soin de le nourrir ; on dit même qu’à mesure que cet étranger grandit, ils rejettent, pour lui faire place, leurs propres petits qui périssent ainsi misérablement. Certaines gens vont plus loin, et assurent que la mère devient si fière de ce gros nourrisson, qu’elle prend de l’aversion pour tous les autres, et les tue pour lui en faire un repas. D’autres soutiennent que c’est la femelle du coucou qui vient faire elle-même cette exécution, et qui dévore les jeunes oiseaux. Au reste, il y a des versions très différentes sur ce sujet, car l’on prétend aussi que le jeune coucou est lui-même le meurtrier de ses frères adoptifs, soit qu’il les étrangle quand il est assez fort, ce qui est l’opinion de plusieurs personnes, soit qu’il les fasse seulement mourir de faim, en accaparant toute la nourriture qui arrive au nid. Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de reconnaître dans le coucou beaucoup de prévoyance, puisque, se sentant incapable de protéger convenablement ses petits, il trouve moyen de les faire garder à d’autres. Il n’a pas en effet assez de courage pour les défendre lui-même, et il fuit devant des oiseaux d’une taille bien inférieure à la sienne.

Ce n’est pas à une seule espèce d’oiseaux que le coucou confie le soin de sa progéniture ; on le voit choisir tantôt le verdier, qui fait son nid sur les plus grands arbres, et tantôt l’alouette, qui le construit à terre ; quelquefois c’est à la fauvette qu’il s’adresse, mais le nid du ramier est celui qu’il paraît préférer pour y déposer son œuf.

Quand approche l’époque où le coucou disparaît, c’est-à-dire vers le lever de la canicule, il change de couleur et fait entendre plus rarement sa voix.

Voilà en somme ce que dit Aristote des habitudes du coucou, et ce que Pline a copié à sa manière, c’est-à-dire en répétant à peu près les mêmes phrases, et les ajustant de manière à ce qu’elles fassent un sens tout différent ; établissant par exemple, dès le début, que le coucou est un épervier métamorphosé, puis reproduisant sur-le-champ les faits qui ont servi au naturaliste grec à prouver que ce sont deux oiseaux différens. Afin qu’on voie jusqu’à quel point l’écrivain romain sait défigurer un texte, je donnerai ici le passage principal dans lequel il parle du coucou ; mais je ferai remarquer auparavant qu’il n’a pas su de quel oiseau Aristote a voulu parler ; il s’est contenté d’écrire en lettres latines le nom grec ϰοϰϰοξ (kokkox), et sans se douter qu’il y eût rien de commun entre le cuculus d’Italie et le coccyx de Grèce.

« Le coccyx, dit-il, paraît n’être autre chose qu’un épervier qui a changé de figure ; en effet, quand on a vu les premiers, les autres disparaissent au bout de peu de jours. Le coccyx lui-même ne se montre que pendant une petite partie de l’été, après quoi on ne le voit plus. Il est le seul des éperviers qui n’ait pas les ongles crochus et qui n’ait pas la forme de la tête propre à cette famille ; il n’en a guère que la couleur, et pour le reste, il est plutôt comparable à la colombe. Il devient aussi quelquefois la proie de l’épervier, quand il leur arrive de se rencontrer, et c’est de tous les oiseaux le seul qui serve de pâture à sa propre espèce. Le coccyx se montre au printemps et disparaît au lever de la canicule. Il pond toujours dans un nid étranger, principalement dans le nid des ramiers. Il n’a le plus souvent qu’un œuf, rarement deux, et c’est encore une particularité qui le distingue entre tous. Le motif qu’il a pour placer ainsi ses petits en maison étrangère, c’est qu’il connaît la haine que lui portent tous les autres oiseaux, qui tous et jusqu’aux plus petits lui font la guerre. Voyant donc que sa race courrait grand risque de s’éteindre, s’il n’avait recours à la ruse, à défaut du courage dont il est dépourvu, il ne construit point de nid. La femelle, dans le nid de laquelle il va déposer son œuf, nourrit le petit lorsqu’il est éclos. Ce petit, naturellement avide, enlève la nourriture à ses compagnons ; il engraisse et charme ainsi les yeux de sa nourrice. Celle-ci se complaît et s’admire dans son ouvrage ; ses enfans bientôt ne lui paraissent que de chétifs avortons ; elle les méconnaît et les laisse égorger par l’étranger, qui finit par la tuer elle-même quand il se sent en état de voler. À cette époque, il a la chair plus délicate qu’aucun autre oiseau. »

On ne trouve dans Pline aucun autre passage relatif au coccyx ; quant au cuculus, il en est question dans plusieurs endroits : d’abord à l’occasion de la vendange, et parce qu’en ces temps-là les vignerons poursuivaient du triste chant de cet oiseau ceux qui tardaient trop à tailler leur vigne, comme pour leur prédire que le printemps qui est l’époque de l’apparition du coucou les surprendrait encore la serpe à la main. La seconde fois, c’est à propos de remèdes. Un coucou enveloppé dans une peau de lièvre et attaché sur le front, est, suivant notre auteur, un moyen merveilleux pour provoquer le sommeil.

J’allais oublier un troisième passage qui vaut cependant bien la peine d’être cité. « Lorsqu’un homme, dit Pline, entend pour la première fois le chant du coucou, s’il marque sur le sol, au moyen d’une raie, l’espace recouvert par son pied droit, la terre prise dans l’intérieur de ce contour aura la vertu singulière d’écarter les puces de tous les lieux où on la parsemera. »

Il est juste cependant de faire remarquer que Pline, tout ami qu’il est du merveilleux, ne semble pas croire à l’efficacité de ces deux moyens, et qu’il ne les rapporte qu’à l’occasion des pratiques superstitieuses répandues de son temps parmi les personnes adonnées à l’étude des sciences occultes. Au reste, même en écartant ces deux passages, il reste encore bien assez de fables dans son histoire du coucou. On ne trouve au contraire presque rien qui ne soit vrai dans celle que nous a laissée Élien, et il faut croire que cette fois l’auteur a été bien servi par le hasard, car d’ordinaire ce n’est pas par l’esprit de critique qu’il se distingue.

Élien est certainement de tous les naturalistes anciens, celui qui a le mieux parlé des mœurs du coucou. Ainsi Aristote s’était trompé en disant que la femelle cherche de préférence le nid des ramiers pour y déposer son œuf, car la nourriture qui convient aux pigeonnaux ne convient nullement au jeune coucou. Élien, au contraire, en désignant les oiseaux dont le nid reçoit l’œuf étranger, ne cite que des espèces qui, du moins dans le premier âge, ont un régime insectivore. Il remarque aussi, et très justement, que ce n’est point aux nids vides que le coucou s’adresse, mais à ceux qui ont déjà plusieurs œufs ; seulement, ajoute notre auteur, s’il en trouve un trop grand nombre il en emporte un ou deux à la place de celui qu’il laisse, et pour faire cette substitution il guette le moment où les maîtres du logis sont absens l’un et l’autre.

« Le jeune coucou, poursuit Élien, sentant bien qu’il n’est qu’un intrus, s’empresse d’aller rejoindre ses vrais parens dès l’instant qu’il peut se confier à ses ailes ; d’ailleurs, ajoute-t-il, à cette époque son plumage le faisant reconnaître pour étranger dans la maison, il y est battu de tous, et n’a rien de mieux à faire que d’en déloger au plus vite. » Ceci n’est pas exact ; le jeune coucou continue d’être soigné par sa mère adoptive long-temps après qu’il est en état de voler, et le premier usage qu’il fait de ses ailes est pour aller à sa rencontre lorsqu’elle lui apporte la becquée.

Sur ce point, au reste, l’opinion d’Élien se rapproche de celle qu’on trouve exprimée dans le premier livre des Ixeutiques. « Le coucou, dit Oppien, est le premier oiseau qui nous annonce le printemps. Il ne construit point lui-même son nid, mais il va chercher celui de quelque autre oiseau, et après avoir dévoré les œufs qui s’y trouvaient, il laisse les siens à leur place. Les œufs substitués sont couvés par l’étrangère qui ne reconnaît son erreur qu’après que les petits sont éclos. Indignée de la fraude, elle abandonne son nid et va en construire un autre. La vraie mère alors revient et pourvoit aux besoins de sa jeune famille. »

Oppien ne dit point quels motifs portent la femelle du coucou à confier à une autre mère le soin de couver ses œufs ; Élien pense que c’est parce qu’étant d’un tempérament très froid, elle sent qu’elle ne pourrait leur communiquer la chaleur dont ils ont besoin pour éclore. De notre temps, on a émis une opinion diamétralement opposée, et qui pour cela n’en est pas plus juste. Les coucous, à en croire Levaillant, sont des oiseaux très ardens en amour, et qui pendant toute la saison de la ponte, sont dans une sorte de fièvre continuelle. S’ils voulaient couver eux-mêmes leurs œufs, ils les cuiraient, pour ainsi dire, et c’est pour parer à ce danger que la nature leur a donné l’instinct d’aller pondre dans un nid étranger.

Toutes les fois qu’un animal présente, soit dans ses mœurs, soit dans ses formes, quelque chose d’un peu étrange, il devient bientôt l’objet d’une foule de fables ridicules. Le coucou nous en offre un exemple, puisque son histoire s’est successivement enrichie de plusieurs circonstances merveilleuses, dont quelques-unes même n’ont aucun rapport avec celle qui avait d’abord appelé l’attention.

On avait remarqué, par exemple, que cet oiseau, dont le vol est ordinairement très élevé, et qui ne se perche guère que sur les plus grands arbres, a de tout autres allures pendant les premiers jours qui suivent son apparition. Alors, en effet, il se tient dans les broussailles, où on le voit sautillant de branche en branche, et quelquefois même descendant jusqu’à terre. On supposa assez naturellement qu’il se ressentait encore des fatigues du voyage ; aujourd’hui on croit que s’il se tient ainsi près du sol, c’est qu’à cette époque de l’année il ne pourrait trouver ailleurs les insectes dont il se nourrit. La première explication, au reste, si elle n’était pas vraie, était du moins très plausible. On admit assez volontiers que ce qui empêchait l’oiseau de s’élever, c’était le manque de forces ; mais quelques personnes soupçonnèrent que cet épuisement était le résultat d’une mue qu’il avait subie avant de partir pour nos climats. Cette hypothèse, cependant, offrait une grande difficulté, car l’on ne concevait pas comment un oiseau déjà épuisé pouvait entreprendre un long voyage. Quelqu’un la résolut d’une manière tout-à-fait inattendue, en disant que le coucou faisait le trajet sur les épaules du milan, qui avait la complaisance de lui servir de monture. Je ne sais qui a imaginé le premier ce beau conte, mais le plus ancien auteur qui en parle est Isidore de Séville. C’est aussi à ce bon évêque que nous devons l’histoire des cigales qui naissent des crachats du coucou.

C’est une chose assez rare que de voir cracher un oiseau, et plus rare encore de voir naître des insectes de sa salive ; mais cela arrive par une permission toute spéciale de la Providence qui veut que l’ingratitude du coucou ne reste pas impunie. Il a étranglé sa mère nourricière, il sera poignardé à son tour par les êtres qui lui doivent l’existence : a filiis expecta ea quæ patri feceris. En effet, les cigales dont nous venons de parler ne sont pas plus tôt en état de se mouvoir, qu’elles s’attachent sous l’aile de l’oiseau, le percent de leur aiguillon, et le font mourir par leurs piqûres répétées.

Quelque ridicules que paraissent ces contes, il ne faut pas croire qu’on les ait inventés à plaisir ; chacun d’eux, au contraire, repose probablement sur quelque fait mal observé. Ainsi le coucou ressemble à l’épervier par le vol, par la longue queue, par la couleur générale du plumage, par celle des yeux et des pieds, par l’espèce de manchette qui retombe de la jambe sur le tarse. On aura vu un épervier accroché sur le dos d’un milan, animal qui, comme on le sait, est fort lâche et se laisse battre par des oiseaux d’une taille bien inférieure à la sienne, on aura cru que c’était un coucou qui courait la poste.

Quant au conte des cigales, il parait reposer sur une double erreur.

On aura pu voir quelquefois, sur des buissons autour desquels le coucou avait voltigé, une substance blanche mousseuse qu’on connaît sous les noms de crachat de grenouille, écume printanière, etc. On aura cru que c’était l’oiseau qui l’avait laissée. Au centre de cette écume, si on l’examine de près, on trouve une larve d’abord très petite, mais qui, grossissant peu à peu, se transforme en un insecte de la famille des cigales, la cercope écumeuse. Voilà donc les cigales engendrées de la salive de l’oiseau ; maintenant il n’y a nulle difficulté à comprendre comment on aura pris pour des cigales certains insectes ailés, autrefois connus sous le nom de mouches-araignées, insectes qui s’attachent en effet à l’aisselle des oiseaux, et les piquent cruellement.

Isidore de Séville admet, comme on l’a vu, que le coucou émigre chaque année à l’approche de l’automne, et revient au printemps dans nos pays porté sur le dos du milan ; un autre auteur dont on ne connaît ni le nom, ni l’époque précise, explique différemment la disparition de l’oiseau pendant l’hiver, et suppose qu’il se cache dans des trous creusés en terre ou dans l’intérieur des vieux troncs d’arbres. « On l’y trouve quelquefois, dit-il, tout souffreteux, dépouillé de ses plumes et ressemblant plus alors à un crapaud qu’à un oiseau. » Cette opinion se fondait encore sur des observations vraies ; seulement on avait généralisé mal à propos un fait purement exceptionnel.

En admettant l’hibernation du coucou, il fallait supposer, ou bien que l’oiseau passait l’hiver engourdi dans sa retraite, comme les marmottes et les loirs, ou qu’il y vivait, comme les castors, des provisions amassées durant l’été. L’auteur du livre de la Nature des choses se décida pour la dernière opinion. Albert-le-Grand, au contraire, se fondant sur le témoignage de plusieurs personnes qui avaient déterré de ces coucous sans plumes, et n’avaient rencontré dans leur gîte nulle apparence de provision, s’inclina plutôt pour la première. Albert, dans un chapitre très curieux où il traite en général des soins que prennent les oiseaux de leur progéniture, suppose que la femelle du coucou conserve pour son petit, même pendant qu’il est sous la tutelle étrangère, une active sollicitude ; suivant lui, elle visite souvent le nid, voit si la nourriture qu’on lui apporte est suffisante, et à mesure qu’il a besoin d’une plus grande quantité d’alimens, elle trouve moyen de les lui assurer en faisant disparaître successivement les compagnons qui partageaient avec lui la pitance. Nifo, médecin italien qui écrivait vers la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle, croit que c’est le jeune coucou qui fait périr ses compagnons, non par malice et en les étranglant, comme l’avaient dit les anciens, mais en les étouffant de son poids, ou en les faisant tomber du nid dont il occupe bientôt à lui seul toute la capacité.

Albert savait bien que le jeune coucou a besoin, pour sa nourriture, de vermisseaux et non de graines, et par conséquent qu’il serait très mal hébergé dans le nid des ramiers. Il n’ose cependant dire que Pline et Aristote se sont trompés, et il aime mieux supposer qu’il existe une autre espèce de coucou, plus grande que l’espèce commune, et dont le genre de vie se rapproche davantage de celui des pigeons.

Plusieurs des écrivains encyclopédistes qui appartiennent à cette époque remarquable, Granvill, Arnauld de Villeneuve et autres, parlèrent aussi du coucou, car dans leurs livres rien ne devait être omis ; mais, sur ce sujet comme sur presque tout ce qui concerne l’histoire naturelle, ils ne donnèrent que le résultat de leurs lectures, et, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé, dans tout ce qu’ils disent de l’oiseau, un seul fait, un seul conte même, qui ne fût déjà consigné ailleurs.

Dans tous les ouvrages des naturalistes anciens, et dans ceux de leurs premiers imitateurs, on ne trouve, à proprement parler, aucune description ; aussi est-on quelquefois fort embarrassé pour savoir à quelle espèce doivent s’appliquer les renseignemens qu’ils nous ont laissés. Aristote avait désigné le coucou d’une manière assez reconnaissable, mais cependant il avait négligé d’indiquer une particularité de structure qui distingue cet oiseau de la plupart de ceux avec lesquels on pourrait le confondre, je veux parler de la disposition des doigts dont deux seulement sont dirigés en avant, et les deux autres en arrière. Il faut croire qu’il ignorait le fait, puisque d’une part lorsqu’il énumère les oiseaux chez lesquels s’observe cette conformation, il ne nomme point le coucou, et que de l’autre, il compare ses pieds à ceux de la colombe. Belon, au contraire, quoique séparant dans son livre le coucou des grimpeurs, a eu soin de faire remarquer la direction des doigts qui se trouve aussi convenablement exprimée dans sa figure. « Le coqu, dit-il, a les jambes pattues, c’est à savoir qu’il y a des plumes attachées par le dehors, qui lui couvrent les jambes jusque dessus les pieds qui sont de telle nature qu’il a deux doigts derrière et deux devant et desquels ceux de la partie du dehors sont les plus grands, comme ès pics-verds. » Belon parle des mœurs de l’oiseau d’une manière assez incomplète sans doute, mais telle cependant que si les observations postérieures permettent d’ajouter beaucoup à ce qu’il a écrit, elles n’obligent pas à en retrancher une seule ligne.

« Nature, dit-il, a montré à l’endroit de cet oyseau qu’elle est soigneuse de son ouvrage : car comme le coqu ne pond qu’un œuf, et lequel il pouvait bien mettre au nid d’un serin, tarin, pinson, ou autre animal qui abesche ses petits de grain, toutefois elle a voulu luy chercher le nid d’un oyseau décent à sa nourriture, luy enseignant qu’il faylloit qu’il le mist en celui d’un oyseau qui nourrist ses petits de verms, et principalement d’une fauvette, qui était anciennement nommée curruca. Il a esté aussi veu pondre au nid d’une alouette contre terre, et au nid d’un coulomb ramier, et au nid d’un verdier. Si nature eust permis que le coqu eust mis son œuf dedens le nid d’un plus petit oyseau que lui, elle eust esté injuste si elle eust fait qu’il eust pondu plusieurs œufs : car luy qui est de grosse corpulence estant repu par un si petit oyseau comme est la fauvette, fust mort de faim si le père et la mère n’eussent fourni à la mangeaille ; mais comme le père et la mère pouvoient bien fournir à une quantité de petits, ainsi pourront-ils bien satisfaire à la nourriture d’un seul ou deux coqus, encore qu’ils mangent par jour autant de viande qu’eussent peu faire leurs six petits oysillons. »


Belon parle de la transformation de l’épervier en coucou, fable déjà réfutée du temps d’Aristote, et à laquelle il était lui-même bien loin d’ajouter foi ; il ne la rappelle probablement que pour avoir l’occasion de citer un vieux dicton à double entente qu’on me permettra de ne pas reproduire ici. Aldrovande n’a pas aperçu l’équivoque, et, s’en tenant au sens le plus décent, il a été conduit à supposer qu’en France on croyait généralement à la métamorphose du coucou.


Aldrovande et Gesner ont parlé beaucoup plus longuement que Belon des habitudes du coucou, et ont entassé à ce sujet une foule de citations qui n’apprennent rien autre chose, si ce n’est que cet oiseau était quelquefois confondu avec l’engoulevent ; nous verrons que la même erreur a été commise plus d’une fois et jusque dans ce siècle.

Aristote et Élien, ainsi que je l’ai dit, expliquaient différemment l’habitude qu’a la femelle du coucou d’aller pondre dans un nid étranger, supposant, l’un, qu’elle ne se sentait pas le courage nécessaire pour défendre sa famille, l’autre, qu’elle savait son tempérament trop froid pour couver et faire éclore un œuf. Ces deux opinions partagèrent les naturalistes jusque dans le XVIIIe siècle ; Hérissant alors en proposa une troisième qui était fondée sur l’organisation de l’animal. Cet anatomiste remarqua que chez le coucou l’estomac est placé autrement que chez la plupart des autres oiseaux, et qu’au lieu d’être protégé par le sternum, il est recouvert seulement par les muscles du bas-ventre. Suivant lui, une pareille disposition ne permettait pas à la femelle de couver, puisque dans cet acte l’estomac eût été comprimé de manière à troubler la digestion. On pouvait objecter à cela que le jeune coucou, tant qu’il reste dans le nid, a l’estomac comprimé justement de la même manière que l’aurait sa mère dans l’incubation, et que cela ne paraît diminuer en rien son appétit, qui est au contraire des plus voraces. On pouvait enfin faire remarquer que la même disposition organique se retrouve chez certains oiseaux, qui cependant couvent leurs œufs et élèvent leurs petits.

Au reste, quelle que fût l’opinion qu’on adoptât relativement aux causes qui portent la femelle du coucou à aller pondre dans un nid étranger ; qu’on regardât cette anomalie comme dépendante de l’organisation du tempérament, ou du caractère, une même question se présentait toujours à résoudre : la mère, après avoir placé sa progéniture sous une tutelle étrangère, continue-t-elle à y prendre intérêt ? Ce fut pour résoudre cette question que Lothinger fit des observations et des expériences nombreuses, mais dont le résultat ne semble pas bien concluant. Lothinger crut aussi remarquer que les oiseaux qui ne font nulle difficulté d’adopter l’œuf du coucou, quoiqu’il soit souvent très différent des leurs, abandonnent au contraire leur nid lorsqu’on y dépose des œufs provenant de toute autre espèce. Il paraît que les expériences qui l’avaient conduit à cette conclusion n’étaient pas faites avec les précautions convenables, puisque celles que rapporte Montbeillard donnent un résultat.

Lothinger soutenait encore que le coucou femelle enlève les œufs qui se trouvent dans le nid où elle dépose le sien. D’autres observations, faites en Angleterre par le célèbre Jenner, semblèrent prouver que c’était le jeune coucou lui-même qui se chargeait du soin de vider le nid. Il reconnut cependant que, dans certains cas, c’est la couveuse qui, lorsque son nid est trop plein, fait tomber quelques-uns des œufs en cherchant à les arranger ; l’accident porte presque toujours sur les siens, mais cela tient seulement à ce que l’œuf étranger, étant le plus gros et le plus lourd, occupe naturellement le fond, et se trouve ainsi moins exposé à tomber.

Jenner a décrit, avec beaucoup de soin et de précision, les manœuvres qu’emploie le jeune coucou pour rester seul en possession du nid. « Peu d’heures après sa naissance, on le voit, dit l’observateur, s’agiter et chercher à se glisser sous le petit oiseau dont il partage le berceau. Il parvient enfin à le placer sur son dos où il le retient en élevant ses ailes ; alors, se traînant à reculons jusqu’au bord du nid, il se repose un instant, puis, faisant un effort, il jette sa charge dehors ; il reste, après cette opération, fort peu de temps sans tâter avec l’extrémité de ses ailes, comme s’il voulait se convaincre du succès de son entreprise.

« En grimpant sur les bords élevés du nid, le coucou laisse quelquefois tomber sa charge, mais il recommence bientôt son travail, et ne le discontinue que lorsqu’il est venu à bout de son entreprise. On est surpris de voir les efforts réitérés d’un coucou de deux ou trois jours, lorsqu’on voit à côté de lui un petit oiseau déjà trop lourd pour qu’il puisse le soulever ; il est alors dans une agitation continuelle et ne cesse de travailler. Mais, quand il est âgé de douze jours environ, il perd le désir de jeter dehors ses compagnons, et s’il lui en reste, il ne les inquiète plus ; il paraît bien moins gêné de la présence des œufs que de celle des petits, et on a vu souvent un coucou de neuf à dix jours ne pas toucher à un œuf qu’on plaçait près de lui, et chasser un petit oiseau qu’on y mettait en même temps.

« La configuration particulière du jeune coucou, différente de celle des autres oiseaux, est très propre à lui faire exécuter cette opération. La partie supérieure de son corps, depuis la nuque jusqu’au croupion, est très large, et on aperçoit dans son milieu une dépression considérable qui semble faite pour recevoir les œufs ou les petits oiseaux que le coucou veut rejeter ; vers le douzième jour, la cavité s’efface, et l’animal perd en même temps le désir de jeter les objets dont il est entouré. »

Ce que dit Jenner de la conformation particulière que présente le coucou dans les jours qui suivent sa naissance, n’offre rien de plus extraordinaire qu’une foule de dispositions qu’on observe chez d’autres animaux à une époque déterminée de leur développement, et qui disparaissent quand les besoins auxquels elles sont destinées à satisfaire, viennent à cesser ; toutefois de pareils faits ne peuvent être admis qu’après une vérification qui doit être plus scrupuleuse à mesure qu’ils s’écartent plus du cas général, et celui-là demanderait peut-être un nouvel examen.

Une fois, Jenner trouva dans un même nid deux coucous et une fauvette qui étaient éclos dans la matinée ; en quelques heures, les deux coucous commencèrent à se disputer la possession du nid, et leur dispute dura jusqu’au lendemain après-midi. Ce fut alors seulement que le plus gros parvint à jeter l’autre hors du nid, ainsi que la fauvette et un œuf qui n’était point éclos. Jusque-là les combattans semblaient avoir alternativement l’avantage, et chacun portait successivement son antagoniste jusqu’au bord du nid, d’où il retombait au fond, accablé sous le poids de sa charge. Enfin, après beaucoup d’efforts, le plus robuste l’emporta, et il fut le seul qui fut nourri par les fauvettes.

Le colonel Montagu rapporte, dans l’introduction du Dictionnaire ornithologique, des faits dont il a été témoin, et qui confirment pour tous les points essentiels ce qu’avait avancé Jenner. « Un paysan, dit-il, me fit voir dans son jardin un nid de friquets qui contenait un jeune coucou, et m’apprit qu’il s’y trouvait déjà quatre œufs quand l’étrangère y vint mettre le sien. Un matin, en allant à sa journée, il vit que le petit coucou et deux de ces friquets étaient éclos pendant la nuit ; le soir, quand il revint, il n’y avait plus dans le nid que le petit coucou, tout le reste avait disparu. Désirant depuis long-temps observer les manœuvres qu’emploie le jeune oiseau pour se débarrasser de ses compagnons, j’emportai celui-là chez moi, et je mis près de lui une jeune hirondelle ; il ne tarda pas à la faire déloger. Je la replaçai à ses côtés, il la fit sauter de nouveau, et je lui fis recommencer ce manége autant de fois que je le voulus. Il avait, lorsque je l’emportai, cinq à six jours au plus, et pendant cinq jours encore il continua à manifester cette disposition insociable. Pour arriver à son but, il se remuait, se retournait, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à se glisser sous l’hirondelle ; alors, par un mouvement brusque du croupion, une espèce de ruade, il la faisait sauter du haut en bas ; quelquefois il ne réussissait pas du premier coup, car l’hirondelle était plus âgée que lui et déjà assez active, mais il ne se rebutait pas pour un premier échec, et après s’être reposé quelque temps comme pour reprendre des forces, il renouvelait ses tentatives, et n’avait pas de repos qu’il n’en fut venu à ses fins. Au bout de cinq jours, ainsi que je l’ai déjà dit, cette disposition cessa, et il permit à la jeune hirondelle de rester près de lui dans le nid. »

M. Blackwall a fait sur le même sujet des observations qu’on peut lire dans les Mémoires de la Société des sciences de Manchester ; comme elles ne diffèrent en rien d’important des précédentes, nous pouvons nous dispenser de les reproduire ici.

Jenner, Montagu, Blackwall, tout en constatant les dispositions insociables du jeune coucou, n’ont rien vu qui indiquât en lui ce naturel sanguinaire que lui prêtaient les anciens naturalistes. Montbeillard, au reste, avait déjà fait à ce sujet une épreuve assez concluante.

A priori il lui semblait très invraisemblable qu’un oiseau qui, à l’état adulte, se nourrit d’insectes, montrât, dans le jeune âge, des habitudes carnassières ; cependant, comme on bâtit peu solidement lorsqu’on fonde seulement sur des probabilités, il voulut constater le fait par la voie de l’expérience.

« Le 27 juin, dit-il, je mis un jeune coucou de l’année, qui avait déjà neuf pouces de longueur totale, dans une cage ouverte, avec trois jeunes fauvettes qui n’avaient pas le quart de leurs plumes et ne mangeaient pas encore seules ; le coucou, loin de les dévorer ou de les menacer, semblait vouloir reconnaître les obligations qu’il avait à l’espèce ; il souffrait avec complaisance que ces petits oiseaux, qui ne paraissaient point du tout avoir peur de lui, cherchassent un asile sous ses ailes, et s’y réchauffassent comme ils eussent fait sous les ailes de leur mère : tandis que dans le même temps une jeune chouette de l’année qui n’avait encore vécu que de la béquée qu’on lui donnait, apprit à manger seule en dévorant toute vivante une quatrième fauvette qui avait été attachée auprès d’elle. »

Ce qu’on peut conclure de tout ceci, c’est que le jeune coucou, comme beaucoup d’autres êtres à deux pieds et sans plumes, est d’un naturel assez doux tant qu’on ne le gêne point, mais veut avoir ses aises à tout prix. Qu’il n’y ait point de nid à occuper, et les jeunes fauvettes pourront rester près de lui sans être inquiétées ; qu’il y ait une place à prendre, au contraire, et il ne se donnera point de repos qu’il n’ait écarté tous ceux qui y auraient des droits. Du reste, point de cris, point d’emportemens, point de sang répandu ; un coup d’épaule donné à propos, et tout est fini. On ne peut reprocher au coucou d’avoir tué ses compagnons, il n’a pas donné un coup de bec ; à la vérité ils sont morts, ils sont morts de faim et de froid ; mais encore une fois ce n’est pas lui qui les a tués : c’est un personnage irréprochable.

Le coucou ne dévore pas ses petits compagnons, quoiqu’il ne les aime guère, à plus forte raison ne tuera-t-il pas la nourrice qui lui prodigue ses soins presque jusqu’au moment où il quitte notre pays. Cependant Linnée et plusieurs autres naturalistes ont cru à cette fable, qui avait déjà fourni à Melanchton le texte d’un très beau discours sur l’ingratitude. Ils se fondent peut-être sur quelques observations analogues à celle qu’a faite Klein, qui cependant n’en tire pas les mêmes conclusions. Klein, étant encore fort jeune, découvrit, dans le jardin de son père, un coucou élevé par deux fauvettes. Lorsque le jeune oiseau fut à demi emplumé, il l’enferma dans une cage qu’il laissa dans un lieu voisin du nid. Quelques jours après, il trouva la mère fauvette prise entre les butons de la cage, ayant la tête engagée dans le gosier du coucou, qui l’avait probablement avalée par mégarde, croyant avaler seulement la chenille qu’elle lui présentait de trop près. Il avait, au reste, porté la peine de sa maladresse, et en étouffant sa nourrice, il s’était lui-même étouffé.

Si les expériences que nous avons rapportées prouvent que le jeune coucou travaille presque dès l’instant de sa naissance à jeter hors du nid tout ce qui s’y trouve ; il ne s’ensuit pas nécessairement que ce soin repose uniquement sur lui, et il se pourrait que sa mère vînt l’aider quand il a affaire à trop forte partie. On pensera peut-être qu’une femelle qui ne couve pas son œuf ne peut s’intéresser au petit une fois qu’il est éclos ; cette conclusion serait un peu hasardée ; dans les parties tropicales de l’Afrique, l’autruche ne couve point ses œufs, et ce n’en est pas moins, quoiqu’on die, une mère tendre et dévouée. Il n’y aurait pas non plus d’invraisemblance à supposer que la fauvette, se sentant, au bout de quelques jours, incapable de fournir à tous ses nourrissons une quantité suffisante d’alimens, rejette les plus faibles dans l’espoir de sauver le reste de la couvée. Pour savoir à quoi s’en tenir sur ce sujet, Jenner fit l’expérience suivante. Ayant découvert un nid de friquets où se trouvait un œuf de coucou, il épia le moment où le jeune oiseau sortit de sa coquille, et quatre heures après il le fixa au fond du nid par des liens qui le serraient de manière à ce qu’il ne put se soulever. Cela ne parut nuire en rien au développement de l’oiseau, mais cela fut très favorable à celui des petits friquets, qui ne furent point jetés hors du nid. Pendant cinq jours, ils partagèrent avec l’étranger les soins de leurs parens, qui ne semblaient faire aucune différence entre eux et lui. Aucun coucou, pendant ce temps, ne s’approcha du jeune captif. On ne put continuer jusqu’au bout l’observation, la couvée ayant été dénichée par quelque enfant.

Tout incomplète qu’est cette observation, elle confirme ce qu’on ne faisait jusque-là que soupçonner, à savoir qu’une fois que la femelle a pourvu à la conservation de sa progéniture en la plaçant sous une tutelle convenable, elle ne s’en occupe plus. Lothinger, à la vérité, croyait avoir dans un cas remarqué le contraire. Ayant enlevé du nid un de ces oiseaux, il le plaça à terre à quelque distance du lieu où il l’avait trouvé, et bientôt il entendit un coucou adulte qui semblait répondre par son chant aux cris de détresse du petit. Je n’élève aucun doute sur l’exactitude du fait en lui-même, mais il ne m’est pas prouvé même que les deux oiseaux se répondissent l’un à l’autre. Je ferai remarquer que, puisque l’adulte chantait, ce ne pouvait être qu’un mâle, car le cri de la femelle n’est qu’une sorte de gloussement et non un chant ; or, on sait que parmi les oiseaux les seules espèces où le mâle s’occupe des petits, sont celles qui vivent par paires dans la saison des amours : et l’espèce du coucou n’est pas de ce nombre.

« Il est fort douteux, dit Montbeillard, que ces oiseaux s’apparient, ils éprouvent les besoins physiques, mais rien qui ressemble à l’attachement ou au sentiment. Les mâles sont beaucoup plus nombreux que les femelles, et se battent pour elles assez souvent ; mais c’est pour une femelle en général, sans aucun choix, sans nulle prédilection, et lorsqu’ils sont satisfaits, ils s’éloignent et cherchent de nouveaux objets, qu’ils quitteront de même sans les regretter, sans prévoir le produit de toutes ces unions furtives, sans rien faire pour les petits qui en doivent naître ; ils ne s’en occupent pas même après qu’ils sont nés : tant il est vrai que la tendresse mutuelle des père et mère est le fondement de leur affection commune pour leur progéniture. »

Si, comme le dit Montbeillard, qui est en ce point d’accord avec les meilleurs observateurs, il y a beaucoup plus de mâles que de femelles, chacune de celles-ci doit avoir successivement beaucoup d’adorateurs ; dès lors il devient difficile qu’elle s’occupe des soins du ménage, qu’elle ait un attachement bien vif pour le fruit d’une union qui est déjà oubliée ; l’espèce périrait donc si l’inconstante femelle ne trouvait dans le nid des fauvettes une sorte d’hospice des enfans trouvés.

Quelle que soit, au reste, la cause qui détermine la femelle à aller déposer son œuf dans un nid étranger, il reste à savoir comment elle s’y prend pour l’y introduire ; beaucoup de ces nids sont tellement exigus, qu’on ne voit pas comment elle pourrait s’y placer pour pondre ; d’autres, tels que ceux du rouge-gorge ou du pouillot, ont une entrée fort étroite, et par laquelle évidemment elle ne saurait passer. C’est une difficulté à laquelle on ne paraît avoir songé qu’au moment où on en a trouvé la solution.

C’est à Levaillant que sont dues les observations relatives à ce sujet, et elles ont été faites sur une espèce africaine (le coucou doré ou didric), dont le voyageur a étudié avec très grand soin les habitudes.

« J’avais, dit-il, cherché pendant bien long-temps à surprendre l’oiseau dans le moment même où il dépose son œuf, mais je commençais à perdre l’espoir d’y réussir, lorsqu’un jour ayant tué une femelle de cette espèce, et voulant, suivant mon usage, lui introduire dans le gosier un tampon de filasse, afin d’empêcher le sang de couler sur les plumes, je fus très surpris, lorsque je lui ouvris le bec, de trouver dans sa gorge un œuf bien entier, et que je reconnus aisément pour un œuf de didric. J’appelai aussitôt mon fidèle Klaas pour lui montrer ce que je venais de trouver. Le bon Hotentot n’en fut pas moins surpris que moi, mais il se rappela alors que dans plusieurs circonstances, ayant tué des didrics femelles, il avait trouvé près d’elles, à terre, au moment où il allait les relever, un œuf récemment brisé. Je me souviens, en effet, qu’il m’avait dit plusieurs fois, en m’apportant des femelles de cette espèce : Celle-ci pondait au moment où je l’ai abattue. Comme j’avais un grand désir de confirmer cette première observation par d’autres semblables, je ne négligeai aucune occasion de tuer des femelles de didric, et cela explique le grand nombre que j’en ai rapportées en Europe ; cependant je n’ai eu depuis qu’une seule fois l’occasion de voir une femelle avec son œuf dans le gosier. »

Les observations de Levaillant servent à faire comprendre un fait rapporté long-temps auparavant dans un ouvrage sur l’instinct des animaux, et qui n’avait pas d’abord été bien compris ; c’est l’histoire d’un coucou que deux rouges-gorges mâle et femelle cherchaient à éloigner de leur nid. « Tandis que l’un des rouges-gorges donnait au coucou des coups de bec dans le bas-ventre, celui-ci avait dans les ailes un trémoussement presque insensible, ouvrait le bec fort large, et si large, que l’autre rouge-gorge qui l’attaquait en front s’y jeta plusieurs fois, et y cacha sa tête tout entière, mais toujours impunément, car le coucou n’éprouvait aucun mouvement de colère. Bientôt cependant il chancela, perdit l’équilibre, et tourna sur sa branche, à laquelle il demeura suspendu les pieds en haut, les yeux à demi fermés, le bec ouvert et les ailes étendues. Étant resté environ deux minutes dans cette attitude, et toujours pressé par les deux rouges-gorges, il quitta sa branche, alla se percher plus loin et ne reparut plus. »

L’auteur pense que ce coucou était une femelle pressée par le besoin de pondre ; mais il est bien plus probable que c’est une femelle qui avait pondu, et qui, venant apporter son œuf dans le nid des rouges-gorges, en fut empêchée par le retour imprévu de ces oiseaux. Elle avait son œuf dans la gorge, et voilà pourquoi elle restait constamment le bec ouvert. Dans un des mouvemens qu’elle faisait pour éviter les coups, l’œuf se sera engagé trop avant et aura bouché l’entrée du canal aérien ; de là suffocation, jusqu’à ce qu’un mouvement convulsif de la gorge, indépendant de la volonté de l’oiseau, aura fait avaler l’œuf et permis à la respiration de recommencer. L’œuf avalé, le coucou n’avait plus rien à faire avec le nid des rouges-gorges, et il était naturel qu’il s’éloignât.

Nous arrivons enfin aux faits observés par M. Prévost, qui a eu la bonne fortune de voir ce qu’avait cherché vainement Levaillant, la femelle déposant son œuf dans le nid où il doit être couvé.

« On sait, dit ce naturaliste, que les coucous qui arrivent dans notre climat dans le premier mois du printemps successivement et d’une manière isolée, continuent à vivre solitaires, occupant chacun une sorte de canton, un espace assez circonscrit dans lequel ils restent tout l’été. Cependant j’ai reconnu que cette sorte de cantonnement n’a lieu que pour les mâles, et que la femelle, au contraire, parcourt un espace beaucoup plus considérable, comprenant plusieurs de ces cantons ; que cette femelle fait choix d’un mâle, avec lequel elle s’accouple, et qu’aussitôt qu’elle a pondu le produit de cet accouplement, et s’est assurée que les oiseaux dans le nid desquels elle l’a déposé en prennent soin, elle va chercher un nouveau mâle qu’elle abandonne ensuite, comme elle avait abandonné le premier. »

M. Prévost rapporte en détail une des observations qui l’ont conduit à ces conclusions, et nous la reproduirons ici dans ses propres termes.

« Après bien des tentatives inutiles, je réussis, dit-il, il y a quelques années, à prendre au filet, vers la fin du mois d’avril, un coucou femelle que je venais de voir retirer d’un nid, et déposer sur l’herbe un œuf de bergeronette. Pour la rendre reconnaissable, je lui colorai les ailes avec de la teinture écarlate, je fixai sur sa tête un morceau de drap rouge, et je la remis aussitôt en liberté.

« Placé le lendemain de manière à pouvoir l’observer, je la vis, au point du jour, s’abattre auprès du même nid de bergeronette, et y enfoncer la tête. Dès qu’elle en fut éloignée, je m’approchai du nid, et je vis qu’elle venait de déposer son œuf. Dans l’espace de quatre heures environ, elle revint plus de cinquante fois dans le même bois, tantôt s’y arrêtant, tantôt passant avec rapidité. Trois jours après, je la vis dans un autre canton du même lieu, et pendant plus de six semaines, je la retrouvai successivement dans les cantons de six ou sept mâles, qu’il m’était presque toujours possible de distinguer par leur chant qui varie suivant l’âge, et je la vis s’accoupler successivement avec deux. Plusieurs œufs, provenant certainement de cette femelle, furent trouvés en différens endroits du bois par les gardes qui m’aidèrent dans cette recherche.

« Les coucous, comme cela a été observé par plusieurs auteurs, sont très ardens en amour. C’est dans l’attente de la femelle que le coucou mâle s’agite et change à chaque instant de place pendant la saison des amours ; c’est pour l’appeler et l’inviter à le choisir qu’il répète incessamment son cri ; et lorsqu’à son tour elle fait entendre le gloussement qui est son cri d’appel, il se précipite vers elle et la poursuit avec rapidité. On voit souvent une femelle entraîner ainsi à sa poursuite plusieurs mâles à la fois qui s’en disputent la possession par de violens combats.

« J’ai ouvert plusieurs femelles de coucous à l’époque des amours, et je ne leur ai jamais trouvé que deux œufs : l’un dans l’oviducte et prêt à sortir, l’autre encore attaché à l’ovaire ou un seul œuf à l’entrée de l’oviducte, et à l’ovaire, l’enveloppe déchirée d’un œuf récemment sorti. Dans l’un et l’autre cas, les ovules étaient toujours à peu près égaux en grosseur. »

Ces observations, et plusieurs autres que nous ne rapporterons pas, ont conduit M. Prévost aux conclusions suivantes :

1o  La femelle de coucou est essentiellement polygame ;

2o  L’action du mâle ne féconde qu’un ou deux ovules seulement ;

3o  Chaque accouplement est suivi d’une ponte ;

4o  Le nombre de ces accouplemens successifs ne permet pas à la femelle de couver les œufs et de soigner ses petits, et c’est pour qu’elle puisse satisfaire à cet instinct de changement qu’elle a reçu un autre instinct par lequel elle confie à des soins étrangers sa progéniture.

Nous avons dit que plusieurs naturalistes anciens et modernes supposaient que le coucou ne quitte point notre pays, mais qu’à l’approche de la mauvaise saison, il s’enfonce dans des trous où il reste jusqu’au printemps ; les migrations de ces oiseaux avaient dû en effet être moins remarquées que celles de la plupart des espèces voyageuses, car, ainsi que le fait observer M. Prévost, les coucous partent et arrivent isolément, tandis que les autres oiseaux de passage, plusieurs jours même avant de se mettre en route, se réunissent en bandes nombreuses ; c’est ce que chacun, par exemple, a pu observer pour les hirondelles. Quoiqu’on ait rarement occasion d’observer le départ des coucous, on sait, à n’en pouvoir douter, qu’au commencement de l’automne, ils se rendent en Afrique ; à Malte, on les voit passer deux fois l’an en même temps que les cailles, et que certaines espèces de passereaux.

Il arrive souvent qu’à l’époque du départ, les derniers éclos n’ont pas encore la force nécessaire pour suivre leurs compagnons ; ne pouvant supporter le froid, ils vont chercher refuge dans des trous où ils vivent misérablement, mangeant des araignées ou des larves qu’ils trouvent dans le bois pourri. Avant que cette ressource leur ait manqué, et elle cesse nécessairement vers le mois d’octobre, ils perdent leurs plumes, se recouvrent d’une espèce de gale, et deviennent si laids, que quand on les a trouvés à cette époque, leur peau rugueuse, leurs gros yeux et leur large bec qui s’ouvre pour demander la pâture, les ont fait généralement comparer à des crapauds. Montbeillard, qui refuse, on ne sait pourquoi, de croire à ce fait, qu’attestent des témoins nombreux et irréprochables, suppose que ce sont de vrais crapauds qu’on a pris pour des coucous ; une pareille assertion n’a pas besoin d’être réfutée ; elle est d’autant plus étrange de la part de cet écrivain, qu’il savait que les jeunes coucous conservés en cage perdent leurs plumes et deviennent galeux tout comme ceux qui restent abandonnés à leurs propres ressources.

S’il n’est pas permis de croire qu’on ait pris des crapauds pour des coucous, il n’y a pas la même difficulté à supposer qu’on ait confondu ces derniers avec d’autres oiseaux qui ont la même taille et à peu près le même port, avec les engoulevens. Ainsi un poète italien du XVe siècle, Tite Vespasien Strozzi, a évidemment fait cette confusion dans les deux vers suivans, que je ne cite peut-être pas exactement, parce que je n’ai pu recourir à l’original :


Accipitrem cautâ cuccus sic decipit astu,
Dum vagus incertas itque reditque vias.


Ces deux vers peignent très bien le vol irrégulier et capricieux de l’engoulevent, et ne peuvent convenir, au contraire, en aucune façon à celui du coucou.

Par suite de la même confusion, plusieurs observateurs ont été induits à croire que le coucou, au moins dans certaines circonstances, couve ses œufs et élève ses petits. En lisant les différens passages qui ont été cités à l’appui de cette opinion, on voit que le prétendu nid de coucou est toujours à terre ; le plus souvent même il n’y a point de nid, et l’œuf ou le petit repose sur la terre nue ou au milieu d’un tas de feuilles sèches. Or, on sait que l’engoulevent ne fait pas d’autres frais pour loger sa jeune famille ; cette négligence apparente se remarque non-seulement dans l’espèce commune, mais encore dans toutes les espèces étrangères dont on a jusqu’à présent observé les habitudes.

La méprise s’est faite aussi quelquefois en sens inverse, et le pauvre engoulevent, qui était déjà bien assez calomnié, a été accusé encore de ne montrer que de l’indifférence pour sa progéniture. Cette dernière accusation est moins ridicule, mais elle n’est pas moins fausse que celle qui lui a valu le nom de Tette-chevre, sous lequel il est connu en certaines provinces de France.

On ne connaît, dans l’ancien monde, aucun oiseau dont les mœurs ressemblent à celles du coucou, mais il en existe un dans le nouveau continent.

Cet oiseau, qui habite toute l’année les États-Unis, est nommé communément cow-bird (oiseau aux vaches), parce que souvent on le voit dans les champs occupé à chercher sa nourriture sur les pas du bétail ; Viellot le désigne sous le nom de passerine des prés ; M. Cuvier le range parmi les moineaux. Wilson est le premier naturaliste qui ait décrit les mœurs de cet oiseau, et pour les faire connaître nous emprunterons ses propres expressions.

« J’avais, dit-il, maintes fois, trouvé, dans les nids de trois ou quatre espèces de petits oiseaux, un œuf qui différait par la taille et la couleur de ceux auprès desquels il était placé. J’avais remarqué qu’en quelque nid que cet œuf se rencontrât, c’était toujours même grosseur, même disposition de taches ; je me rappelais bien avoir entendu dire autrefois que la passerine des prés pond dans un nid étranger, mais on n’en parlait que d’une manière très vague ; enfin un beau jour j’aperçus une femelle de cette espèce dans le nid d’un gobe-mouche aux yeux rouges, nid qui est très petit, et construit si singulièrement, qu’on ne peut le confondre avec aucun autre. Soupçonnant alors son dessein, je me retirai doucement, de peur de l’effaroucher, et revenant peu de temps après, je trouvai l’œuf qu’elle venait d’y déposer, et qui ressemblait de tout point à ceux que j’avais déjà remarqués dans d’autres nids. Depuis ce temps, j’ai plus d’une fois trouvé le petit de la passerine dans les nids de différens oiseaux. Je l’ai vu, lorsqu’il était plus âgé, suivre ses pères adoptifs en voletant de branche en branche, et criant pour la becquée. Au moment où j’écris, j’ai sous les yeux une passerine qui a été nourrie par des fauvettes à jaune-gorge, dans le nid desquelles je l’ai prise il y a six mois. »

Habituellement la passerine des prés fréquente les pâturages et les lieux découverts, mais pendant la saison des amours on la trouve souvent dans des lieux écartés, rôdant autour des buissons et cherchant évidemment les nourrices auxquelles elle doit confier le soin de couver ses œufs et d’élever ses petits. Les nids dans lesquels Wilson a trouvé des œufs de passerine, diffèrent beaucoup les uns des autres, tant pour la construction que pour l’emplacement ; ainsi le cordon bleu niche dans le creux des arbres, et le moineau babillard dans les buissons de cèdre ; la fauvette à calotte dorée place sur la terre son nid en forme de four, la fauvette à jaune-gorge cache le sien sous des touffes de bruyère. La fauvette olivâtre, le gobe-mouche aux yeux blancs et le gobe-mouche chanteur suspendent leur nid, le premier entre deux petites branches, le second à quelque liane, et le troisième enfin tout à l’extrémité d’un rameau flexible, quelquefois à plus de soixante pieds au-dessus du sol.

« Tous ceux qui se sont occupés des mœurs des oiseaux, poursuit Wilson, ont pu remarquer qu’après que le nid est terminé, il se passe communément un jour ou deux avant que la femelle commence à pondre. Il paraît que ce temps est nécessaire pour que la maison soit bien sèche, et suffisamment solide ; pendant cet intervalle, il arrive quelquefois que la passerine, trop pressée, vient déposer un œuf dans le nid, mais c’est pour elle peine perdue, car les propriétaires l’abandonnent constamment. Quand au contraire ils ont déjà des œufs, ils ne les quittent pas, quoiqu’ils en trouvent un nouveau ; quand le petit de la passerine éclot, ils en prennent le plus grand soin et le nourrissent jusqu’au moment où il est en état de pourvoir lui-même à ses besoins. Au mois de juillet dernier, continue l’observateur, je trouvai le nid d’une fauvette à jaune-gorge qui était construit au milieu de feuilles sèches sous une touffe de bruyère, et j’y vis un jeune mâle de passerine qui le remplissait entièrement ; je me tins plusieurs heures aux aguets, observant les allures des deux fauvettes, afin de voir si elles n’avaient pas aux environs quelques-uns de leurs petits déjà capables de voltiger, et dont elles continuaient à prendre soin ; je n’en vis point, et je suis persuadé que tout le reste de la nichée avait péri de la même manière que périssent les commensaux du coucou.

« J’emportai le jeune oiseau et je le plaçai dans une cage où se trouvait déjà un cardinal. Pendant plusieurs minutes, le cardinal observa d’un œil défiant le nouveau venu, ne sachant trop encore s’il lui ferait bon ou mauvais accueil ; mais son indécision cessa dès l’instant où celui-ci commença à crier pour avoir la becquée : il l’adopta sur-le-champ et se mit en devoir de satisfaire à ses besoins. Depuis lors il n’a cessé d’avoir pour l’orphelin les soins les plus assidus et les plus recherchés ; s’il trouvait, par exemple, que la sauterelle qu’il avait apportée à son nourrisson était trop grosse pour que celui-ci pût l’avaler entière, il la reprenait et la divisait en morceaux, qu’il présentait successivement après les avoir à demi brisés dans son bec. Quelquefois il le considérait de tous les côtés pour voir si rien ne manquait à sa toilette, et quand il découvrait sur les plumes la moindre saleté, il l’enlevait avec un soin et une délicatesse remarquable. »

Viellot semble douter de l’exactitude des faits rapportés par Wilson, mais on ne voit pas sur quoi ce doute repose. Si le naturaliste français n’a pas observé lui-même les habitudes de la passerine, beaucoup d’autres personnes ont eu occasion de le faire, et leur témoignage a confirmé pleinement ce qui avait été d’abord annoncé. Au nombre de ces observateurs je citerai le docteur Potter, dont le récit fournit quelques renseignemens qu’on ne trouve pas dans celui de Wilson.

Potter a reconnu que les passerines ne s’apparient point. Dans le temps de la ponte, on les voit par troupes de quatre, cinq et même jusqu’à dix-neuf et vingt individus ; de temps en temps une femelle se détache de la bande, mais les autres ne semblent pas prendre garde à son départ, et aucun galant ne la suit.

« La femelle qui s’est séparée des autres, va communément se percher sur quelque lieu élevé, d’où elle peut suivre de l’œil les allures des oiseaux du voisinage, et voir ceux qui s’occupent de leur nid. Si le canton ne lui offre pas un observatoire commode, au lieu de rester ainsi en place, elle vole perpétuellement jusqu’à ce qu’elle ait trouvé ce qu’elle cherche. Voyant un jour une femelle fureter dans des taillis, je résolus de ne pas la quitter qu’elle n’eût fini sa besogne ; mais sachant qu’elle pouvait me mener loin, je montai à cheval, et je me tins prêt à la suivre. Elle se dirigea le long d’un ruisseau, entrant dans tous les buissons où les petits oiseaux ont coutume de construire leurs nids. J’avais déjà fait à sa suite plus de deux milles, sans la perdre de vue, si ce n’est dans les momens où elle fouillait l’intérieur d’un buisson, lorsque je la vis s’élancer dans une touffe très épaisse d’aulnes, d’où elle ressortit au bout de cinq à six minutes ; s’élevant alors en l’air, elle retourna triomphante vers ses compagnons qu’elle avait laissés dans une pâture. En pénétrant dans le fourré, je trouvai un nid de fauvette à jaune-gorge, contenant un œuf de la fauvette et un autre que l’étrangère venait très certainement d’y déposer. »

« J’oubliais de dire qu’un quart d’heure auparavant elle était entrée dans un buisson de cèdres, et y était revenue à plusieurs reprises, paraissant ne quitter ce lieu qu’à regret. C’est qu’il s’y trouvait, comme je m’en assurai un instant après, un nid de moineaux ; mais le propriétaire était sur sa porte, de sorte qu’il n’y avait pas eu moyen d’entrer. »

Il paraîtrait, d’après ce que disent Potter et Wilson, que la passerine ne porte pas son œuf dans le nid étranger, comme fait la femelle du coucou, mais qu’elle l’y pond directement ; au reste, il serait bien possible que, chez une espèce comme chez l’autre, les deux moyens fussent également pratiqués, mais dans des circonstances différentes, et suivant que la construction du nid permet à l’étrangère d’y pénétrer, ou lui en interdit l’entrée.

Tous les observateurs s’accordent à dire que la jeune passerine finit, comme le jeune coucou, par occuper seule le nid qui l’a reçue ; mais le dernier, comme nous l’avons dit, se débarrasse, par ses propres efforts, des œufs et des petits qui se trouvaient dans son berceau ; on ne sait pas encore s’il en est de même de la passerine, et il paraît au contraire que, dans certains cas, si ce n’est dans tous, une des deux mères doit prendre ce soin. Ainsi Potter a vu un œuf de passerine déposé, avec cinq œufs de cordon-bleu, dans un trou d’arbre, profond de plus d’un pied, et tout-à-fait vertical. Cinq jours après, le petit de la passerine était éclos, et il ne restait plus dans le nid que trois autres œufs. Un quatrième fut trouvé au pied de l’arbre. Certainement ce n’était pas le jeune oiseau qui l’avait jeté, et si c’était la femelle du cordon-bleu, on ne peut pas supposer qu’elle l’eût fait par maladresse.

J’aurais dû, lorsque j’ai parlé des observations de Blackwall sur les mœurs du jeune coucou, dire quelque chose des calculs qu’il a faits pour connaître le nombre des oiseaux qui sont détruits chaque année dans le nid : je vais réparer cette omission.

Blackwall croit pouvoir établir, d’après diverses observations, qu’il se trouve, terme moyen, une femelle de coucou pour un espace de terrain de 1,100,605 yards carrés. L’Angleterre ayant de superficie 153,176,320,000 yards carrés, on trouve que le nombre total des coucous femelles qui y arrivent chaque printemps est de 139,173 : or, chaque femelle pond dans cinq nids au moins, ce qui fait 695,865 œufs ; mais, comme chacun des oiseaux dans le nid desquels la femelle du coucou va déposer un seul œuf, élèverait, terme moyen, cinq petits ; il en résulte que le nombre des oisillons dont les coucous causent chaque année la mort en Angleterre (l’Écosse non comprise), est tout au moins de 5,479,325.


Roulin.