Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre II/Chapitre 2

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II. Fondation de la république de Hollande.

Alors ſe préparoit en Europe une grande révolution dans les eſprits. La renaiſſance des lettres, un commerce étendu, les inventions de l’imprimerie & de la bouſſole, amenoient le moment où la raiſon humaine devoit ſecouer le joug d’une partie des préjugés, qui avoient pris naiſſance dans les tems de barbarie.

Beaucoup de bons eſprits étoient guéris des ſuperſtitions Romaines. Ils étoient bleſſés de l’abus que les papes faiſoient de leur autorité ; des tributs qu’ils levoient ſur les peuples ; de la vente des expiations, & ſur-tout de ces ſubtiles abſurdités, dont ils avoient chargé la religion ſimple de Jéſus-Chriſt.

Mais ce ne furent pas ces bons eſprits qui commencèrent la révolution. Un moine turbulent eut cet honneur. Son éloquence barbare ſouleva les nations du Nord. Quelques hommes éclairés aidèrent à détromper les autres peuples. Parmi les princes de l’Europe, les uns adoptèrent la religion des réformateurs ; d’autres ſe tinrent unis à Rome. Les premiers, entraînèrent aſſez aisément leurs ſujets dans leurs opinions ; les autres eurent de la peine à empêcher les leurs d’embraſſer les opinions nouvelles. Ils employèrent pluſieurs moyens ; mais trop ſouvent ceux de la rigueur. On vit renaître l’eſprit de fanatiſme, qui avoit détruit les Saxons, les Albigeois, les Huſſites. On releva les gibets, on ralluma les bûchers, pour y envoyer les novateurs. Aucun ſouverain ne fit plus d’uſage de ces moyens que Philippe II. Son deſpotiſme s’étendoit ſur toutes les branches de ſa vaſte monarchie ; & le fanatiſme y persécutoit ceux auxquels on donnoit les noms d’hérétiques ou d’infidèles. Les Pays-Bas furent plus particulièrement le théâtre de ces violences ; & des milliers de citoyens périrent ſur l’échafaud. Ces peuples ſe révoltèrent. On vit alors ſe renouveler le ſpectacle que les Vénitiens avoient donné au monde pluſieurs ſiècles auparavant. Un peuple qui fuyoit la tyrannie, & qui ne trouvoit plus d’aſyle ſur la terre, alla le chercher ſur les eaux. Sept petites provinces, au Nord du Brabant & de la Flandre, inondées plutôt qu’arrosées par de grandes rivières ; ſouvent ſubmergées par la mer, qu’on contenoit à peine avec des digues ; n’ayant pour richeſſes que le produit de quelques pâturages, & une pêche médiocre, fondèrent une des plus riches, des plus puiſſantes républiques du monde, & le modèle, peut-être, des états commerçans. Les premiers efforts de leur union ne furent point heureux ; mais ſi les Hollandois commencèrent par des défaites, ils finirent par des victoires. Les troupes Eſpagnoles, qu’ils avoient à combattre, étoient les meilleures de l’Europe : elles eurent d’abord des avantages. Peu-à-peu les nouveaux républicains les leur firent perdre. Ils réſiſtèrent avec confiance ; ils s’inſtruiſirent par leurs fautes même, par l’exemple de leur ennemi, & ils le ſurpaſſèrent enfin dans la ſcience de la guerre. La néceſſité de diſputer pied à pied le terrein étroit de la Hollande, fit perfectionner l’art de fortifier les pays & les villes.

La Hollande, cet état ſi foible dans ſa naiſſance, chercha des armes & de l’appui par-tout où elle put en eſpérer. Elle donna des aſyles aux pirates de toutes les nations, dans le deſſein de s’en ſervir contre les Eſpagnols ; & ce fut-là le fondement de ſa puiſſance maritime. Des loix ſages, un ordre admirable, une conſtitution qui conſervoit l’égalité parmi les hommes, une excellente police, la tolérance, firent bientôt de cette république un état puiſſant. En 1590, elle avoit humilié plus d’une fois la marine Eſpagnole. Elle avoit déjà du commerce, & celui qui convenoit le mieux à ſa ſituation. Ses vaiſſeaux faiſoient alors ce qu’ils font encore aujourd’hui : ils ſe chargeoient des marchandiſes d’une nation, pour les porter à l’autre.

Les villes anséatiques, & quelques villes d’Italie, étoient en poſſeſſion de ces tranſports : les Hollandois, en concurrence avec elles, eurent bientôt l’avantage ; ils le durent à leur frugalité. Leurs flottes militaires protégeoient leurs flottes marchandes. Leurs négocians prirent de l’ambition, & aſpirèrent à étendre de plus en plus leur commerce. Ils s’étoient emparés de celui de Liſbonne, où ils achetoient les marchandiſes des Indes pour les revendre dans toute l’Europe.

Philippe II, devenu le maître du Portugal, défendit, en 1594, à ſes nouveaux ſujets, toute relation avec ſes ennemis. Ce deſpote ne prévoyoit pas, qu’une interdiction qu’il croyoit devoir affoiblir les Hollandois, les rendroit, en effet, plus redoutables. Si ces ſages navigateurs n’avoient pas été exclus d’un port d’où dépendoit tout le ſuccès de leurs opérations navales, on peut penſer que, contens de couvrir de leurs vaiſſeaux les mers d’Europe, ils n’auroient pas ſongé à porter leur pavillon dans des mers plus éloignées. L’impoſſibilité de maintenir leur commerce ſans les productions de l’Orient, les força à ſortir d’une ſphère, peut-être trop étroite pour la ſituation où ils ſe trouvoient. On réſolut d’aller puiſer ces richeſſes à leur ſource.