Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IV/Chapitre 11

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XI. Entrepriſes des François ſur l’iſle de Ceylan & ſur S. Thomé. Leur établiſſement à Pondichery.

Surate où on l’avoit fixé, ne rempliſſoit pas l’idée qu’il s’étoit formée d’un établiſſement principal. Il en trouvoit la poſition mauvaiſe. Il gémiſſoit d’être obligé d’acheter ſa sûreté par des ſoumiſſions. Il voyoit du déſavantage à négocier en concurrence avec des nations plus riches, plus inſtruites, plus accréditées. Il vouloit un port indépendant au centre de l’Inde, dans quelqu’un des lieux où croiſſent les épiceries, ſans quoi il croyoit impoſſible qu’une compagnie pût ſe ſoutenir. La baie de Trinquemale dans l’iſle de Ceylan lui parut réunir tous ces avantages, & il y conduiſit une forte eſcadre qu’on lui avoit envoyée d’Europe ſous les ordres de la Haye, & dont il devoit diriger les opérations. On crut, ou l’on feignit de croire qu’on pouvoit s’y fixer ſans bleſſer les droits des Hollandois, dont la propriété n’avoit jamais été reconnue par le ſouverain de l’iſle, avec qui l’on avoit un traité.

Tout cela pouvoit être vrai, mais l’événement n’en fut pas plus heureux. On publia un projet qu’il falloit taire. On exécuta lentement une entrepriſe qu’il falloit bruſquer. On ſe laiſſa intimider par une flotte qui étoit hors d’état de combattre, & qui ne pouvoit pas avoir ordre de haſarder une action. La diſette & les maladies firent périr la majeure partie des équipages & des troupes de débarquement. On laiſſa quelques hommes dans un petit fort qu’on avoit bâti, & où ils furent bientôt réduits à ſe rendre. Avec le reſte on alla chercher des vivres à la côte de Coromandel. On n’en trouva ni chez les Danois de Trinquebar, ni ailleurs ; & le déſeſpoir fit attaquer Saint-Thomé, où l’on fut averti qu’il régnoit une grande abondance.

Cette ville long-tems floriſſante avoit été bâtie il y avoit plus d’un ſiècle par les Portugais. Le roi de Golconde ayant conquis le Carnate, ne vit pas ſans chagrin dans des mains étrangères une place de cette importance. Il la fît attaquer en 1662 par ſes généraux, qui s’en rendirent maîtres. Ses fortifications, quoique conſidérables & bien conſervées, n’arrêtèrent pas les François qui les emportèrent d’aſſaut en 1672. Ils s’y virent bientôt inveſtis, & forcés deux ans après de ſe rendre ; parce que les Hollandois qui étoient en guerre avec Louis XIV, joignirent leurs armes à celles des Indiens.

Ce dernier événement auroit achevé de rendre inutile la dépenſe que le gouvernement avoit faite en faveur de la compagnie, ſi Martin n’avoit été du nombre des négocians envoyés ſur l’eſcadre de la Haye. Il recueillit les débris des colonies de Ceylan & de Saint-Thomé, & il en peupla la petite bourgade de Pondichery qu’on lui avoit nouvellement cédée, & qui devenoit une ville, lorſque la compagnie conçut les plus belles eſpérances d’un nouvel établiſſement qu’on eut occaſion de former dans l’Inde.