Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 18

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XVIII. La colonie d’Anguille eſt très-misérable, & ſon ſort ne peut pas changer.

L’Anguille a ſept ou huit lieues de long, ſur une largeur très-inégale, mais qui n’excède jamais deux lieues. On n’y voit ni montagnes, ni bois, ni rivières. Son ſol n’eſt que de la craie.

Quelques vagabonds Anglois s’établirent ſur ce rocher poreux & friable, vers l’an 1650. Après un travail opiniâtre, ils arrachèrent enfin à cette eſpèce de tuf un peu de coton, un peu de millet & quelques patates. Six veines de terre végétale, qu’on découvrit avec le tems, reçurent des cannes qui, dans les meilleures récoltes, ne donnent que cinquante milliers de ſucre, & n’en produiſent quelquefois que cinq ou ſix milliers. Ce qui ſort de plus de la colonie y a été porté clandeſtinement de Sainte-Croix, où les habitans d’Anguille ont formé pluſieurs plantations.

Dans les années de séchereſſe, qui ſe répètent trop ſouvent, l’iſle ne trouve des reſſources que dans un étang dont on livre le ſel aux nouveaux Anglois, & dans la vente des moutons & des chèvres, qui réuſſiſſent mieux ſous ce climat ſec, ſur ces plaines arides, que dans le reſte de l’Amérique.

Anguille ne compte que deux cens perſonnes libres & cinq cens eſclaves. Elle a cependant une aſſemblée & même un chef, toujours choiſi par les habitans & confirmé par le gouverneur d’Antigoa. Un étranger, envoyé pour conduire ce foible établiſſement, ſeroit infailliblement repouſſé par des hommes qui ont conſervé quelque choſe du caractère indépendant & des mœurs un peu ſauvages de leurs pères.

Les côtes de l’iſle n’offrent que deux rades ; & encore n’y a-t-il que de très-petits bateaux qui puiſſent y mouiller. L’une & l’autre ſont protégées par quatre canons, qui, depuis un demi-ſiècle, ſont hors de tout ſervice.