Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/11-1

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Chapitre XI.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre XI-S1.

Chapitre XI-S2.


CHAPITRE XI

ÉTAT DE LA FRANCE DE 1794 À 1800.

(Thermidor an II à brumaire an VIII — juillet 1794 à novembre 1799.)

§ 1er  — Législation financière.

Au point de vue envisagé dans ce chapitre, la condition effective d’un pays dépend beaucoup de l’état de ses finances ; car il ne suffit pas de décréter des améliorations, il faut, en outre, avoir les moyens de les réaliser. Or, sous le rapport financier, nous le savons déjà, la Convention laissait la France dans une situation déplorable. Cent livres en assignats valaient à Paris 3 livres 15 sous, avons-nous vu, chap. vi, en messidor an III (juillet 1795) ; elles valaient 3 livres en thermidor (août), 2 livres 5 sous en fructidor (septembre), 1 livre 9 sous en vendémiaire an IV (octobre 1795), à la fin de la Convention ; et tombaient bientôt — le 12 brumaire an IV (3 novembre 1795) — à 0 fr. 87. Les expédients financiers du Directoire seront exposés en leur temps (voir pour le papier-monnaie, en particulier, les chap. xii et xv) ; quelques-uns de ceux auxquels la Convention eut recours, ont été précédemment résumés, il me reste à cet égard à signaler les essais — entamés par elle et terminés sans succès sous le Directoire — d’emprunts et d’impôts sur certains signes présumés des ressources des contribuables.

Le 26 messidor an III (14 juillet 1795), — la Convention décidait simultanément deux emprunts. Pour l’un les participants étaient d’abord groupés par âge — il y avait 16 classes allant de cinq ans en cinq ans, — dans chaque classe, ou catégorie d’âges, ils étaient répartis en un nombre indéterminé de divisions composées chacune d’un nombre fixe de parts — 4 000 actions — dont le montant était acquitté en assignats à leur valeur nominale. Dans ces divisions la part de ceux qui mouraient profitait pour moitié au Trésor et pour moitié, jusqu’à un maximum déterminé — 12 000 livres par action, — aux survivants de la division ; c’était là le principe de la tontine si en vogue à la fin de l’ancien régime. À l’intérêt des parts qui montait de 2 à 4 0/0 suivant la catégorie d’âges, et à la chance, en survivant, de bénéficier d’une fraction des parts des décédés de la division, on ajouta l’appât de lots, — dans chaque division, 800 primes, montant à 800 000 livres, dont la première était de 150 000 livres — payables en parts additionnelles de cette combinaison tontinière ou en biens nationaux. Pour l’autre emprunt, au capital d’un milliard, chaque prêteur devait être inscrit sur le Grand-Livre de la dette consolidée et recevoir, pour le montant de son inscription acquitté également en assignats à leur valeur nominale, un intérêt annuel de 3 0/0. La dépréciation des assignats rendant ces deux opérations ruineuses pour l’État qui ne recevait, en échange des garanties offertes, que du papier avili, l’emprunt en rente perpétuelle fut clos par la loi du 1er frimaire an IV (22 novembre 1795), et la loi du 17 pluviôse suivant (6 février 1796) suspendit l’emprunt par voie de tontine nationale.

Voici tout de suite la situation de la dette dite perpétuelle à la fin du Directoire. Le montant des rentes de cette dette était alors de 40 216 000 fr. ; en ajoutant les 6 086 000 fr. de rentes représentant la dette des pays réunis à la France, Belgique, etc., on arrivait à un total de 46 302 000 fr. (Vührer, Histoire de la dette publique en France, t. Ier, p. 425). Outre cette dette, existait la dette viagère provenant des pensions de retraites civiles et militaires. La loi fondamentale en cette matière, encore en vigueur pour certains fonctionnaires d’ordre politique tels que les préfets, était la loi des 3-22 août 1790 qui mettait le payement des pensions à la charge des fonds généraux du budget et qui ne devait être modifiée que sur des points de détail. Mais le désarroi du Trésor public ne pouvant remplir ses obligations, plaça dans une situation très pénible, en même temps que de nombreux rentiers, les fonctionnaires pensionnés ou en droit de l’être de l’État ; le désir d’obvier à cet inconvénient dans l’intérêt même du service, amena l’administration de l’enregistrement et des domaines à ressusciter le système du fonds des retenues appliqué vingt ans auparavant par la Ferme générale. Autorisé à cet effet par la Convention, le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), le comité des finances approuva, ce même jour, le projet de l’administration de l’enregistrement. Une caisse particulière établie par celle-ci fut donc alimentée par une retenue sur leurs appointements, pour payer les pensions de retraite de ses employés. Propriété de l’administration qui l’instituait et que demandait à imiter l’administration des douanes, ce genre de caisse n’en fut pas moins soumis au contrôle des pouvoirs publics par la loi du 26 germinal an V (15 avril 1797) disant : « Toutes les pensions de retraite dans l’enregistrement et dans les douanes ou tout autre service public, soit que les fonds proviennent de retenues sur les appointements des employés, soit qu’elles soient acquittées par le Trésor public, seront soumises à l’approbation du Corps législatif, d’après les états fournis par le Directoire exécutif, appuyés de pièces justificatives ». Presque aussitôt après (loi du 2 floréal an V-21 avril 1797) étaient admises, pour « la régie des douanes, les mesures déjà prises pour celle de l’enregistrement et des domaines nationaux », et autorisée une retenue sur les appointements et sur le produit net des confiscations et amendes « pour former un fonds destiné à l’acquit des pensions » de ses employés.

Une loi de la Convention (28 vendémiaire an IV -20 octobre 1795) avait rétabli pour les agents de change le monopole aboli le 2 mars 1791. Conformément à un arrêté du Directoire du 15 pluviôse an IV (4 février 1796), ces agents procédèrent, le 18 pluviôse (7 février), à l’élection d’un syndic et de quatre adjoints. Une loi du 28 floréal an VII (17 mai 1799) régit toujours les mutations de rentes sur l’État, dont le transfert, grâce à elle, est beaucoup plus simple que celui des autres valeurs mobilières. Une loi du 22 vendémiaire an IV (14 octobre 1795) organisa l’administration des monnaies.

La Convention, le 23 nivôse an III (12 janvier 1795), avait supprimé le principal de la contribution mobilière ; mais, le 7 thermidor (25 juillet), elle rétablissait une contribution personnelle de cinq livres par an pour toute personne jouissant de revenus ; étaient exceptés les ouvriers ne vivant que de leur travail et ne gagnant pas plus de 30 sous par jour. À cette contribution personnelle elle adjoignait des taxes somptuaires progressives frappant les cheminées, les poêles, les chevaux, les voitures, les domestiques mâles et les célibataires âgés de plus de trente ans. Il est bon de rappeler que c’est par les modérés qui dominaient à cette époque dans la Convention, que fut voté cet impôt progressif.

Si le Directoire ne fut pas plus heureux que la Convention dans ses opérations fiscales, s’il ne profita pas des lois par lui faites, plusieurs de celles-ci ont servi ou servent encore de base à notre législation financière. La « contribution personnelle et somptuaire », comme disait la loi dont nous venons de parler, était un impôt de quotité, c’est-à-dire que la loi déterminait par ses tarifs la part individuelle de chaque imposé ; la loi du 9 germinal an V (29 mars 1797) fit de cette même contribution « personnelle et somptuaire » qu’elle appelait « personnelle, somptuaire et mobilière », ce que la contribution mobilière est encore aujourd’hui, un impôt de répartition, c’est-à-dire que, ce que fixe d’avance la loi, c’est la part collective, le montant total à réaliser dans le pays entier d’abord, dans chaque département ensuite. L’administration départementale répartissait l’impôt entre les cantons et l’administration municipale du canton entre les communes ; pour la répartition entre les individus à l’intérieur de chaque commune, la loi du 14 thermidor an V (1er août 1797)— qui établissait séparément une cote personnelle, une cote mobilière frappant les revenus non soumis à l’impôt foncier, et des taxes somptuaires sur les chevaux et voitures de luxe et sur les domestiques — instituait par canton un « jury d’équité » que désignait l’administration municipale et dont les contribuables aisés devaient former la grande majorité ; mais, à la suite de protestations nombreuses contre les décisions fort peu équitables de ces jurys, furent chargés de cette tâche, en vertu d’une loi du 3 nivôse an VII (23 décembre 1798), les « répartiteurs » créés par la loi du 3 frimaire an VII (23 novembre 1798) pour la répartition de la contribution foncière. Cette loi du 3 nivôse maintint des taxes somptuaires, en revint, pour la contribution personnelle, à la taxe — toujours en vigueur — des trois journées de travail, due par tous les habitants non indigents, qu’avait établie la loi du 18 février 1791, et, comme celle-ci, basa la contribution mobilière sur la valeur du loyer d’habitation de chaque habitant déjà inscrit à la contribution personnelle.

La contribution foncière est encore régie par la loi du 3 frimaire an VII (23 novembre 1798) pour les propriétés non bâties ; elle l’a été, pour les propriétés bâties, jusqu’à la loi du 8 août 1890. Le payement d’une partie de cette contribution fut imposé en nature pendant une certaine période. Après avoir aboli, à dater du 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795), « toutes réquisitions en grains », une loi du 2 thermidor an III (20 juillet 1795) décidait, afin de permettre au gouvernement de subvenir plus facilement aux besoins des armées, que la contribution foncière pour l’an III (1794-95) devait être acquittée moitié en assignats valeur nominale, moitié en grains effectifs (froment, seigle, orge ou avoine) de quantité égale à ce que cette moitié valeur métallique aurait représenté en 1790. Il n’était fait exception que pour ceux qui ne récoltaient pas de ces grains ou n’en récoltaient que pour leur consommation familiale limitée à 400 livres (195 k. 802 gr.) de froment ou à 500 (244 k. 752 gr.) des autres grains par personne. Ceux qui n’auraient pas versé les trois quarts de leur part contributive avant la fin de brumaire (21 novembre 1795), étaient menacés d’avoir à payer la totalité en grains (loi du 24 fructidor an III-10 septembre 1795). Visant la contribution foncière de l’an IV (1795-96), l’art. 5 de la loi du 8 messidor an IV (26 juin 1796) dit : « Pour les besoins du service public, le Directoire exécutif pourra faire payer en grains et fourrages la moitié de la cotisation de chaque contribuable dont les propriétés en produisent » ; un arrêté du Directoire (27 messidor an IV-15 juillet 1706) détermina la façon de percevoir cette moitié payable en nature. Mais la loi du 22 thermidor an IV (9 août 1796) allait bientôt (voir chap. xv) substituer, à ce mode de payement, le payement en argent ou en mandats au cours, et la loi du 18 prairial an V (6 juin 1797) déclarait — art. 2 — que « la contribution foncière de l’an V ne sera payée qu’en numéraire métallique ».

La contribution des portes et fenêtres qui a la vie dure, date de la loi du 4 frimaire an VII (24 novembre 1798). La contribution des patentes avait été rétablie par la loi du 4 thermidor an III (22 juillet 1795) qui en faisait une taxe fixe ; la loi du 6 fructidor an IV (23 août 1796) combina, pour la première fois, le droit fixe et le droit proportionnel dont cette contribution se compose actuellement ; quelques autres dispositions furent prises en cette matière jusqu’à la loi du 1er brumaire an VII (22 octobre 1798) qui la codifia. Afin de faciliter et de contrôler le service des contributions directes, la loi du 22 brumaire an VI (12 novembre 1797 ; avait créé les agences des contributions directes, origine des directions actuelles instituées à leur place par la loi du 3 frimaire an VIII (24 novembre 1799).

L’art. 7 de la loi du 16 brumaire an V (6 novembre 1796) sur les dépenses de l’année, avait dit : « Il sera établi des impositions indirectes ». C’est la loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797) qui assujettit de nouveau les cartes à jouer à un droit dont le mode de perception fut réglé par les arrêtés, non encore entièrement abrogés, des 3 pluviôse an VI (22 janvier 1798) et 19 floréal an VI (8 mai 1798). C’est aussi à la loi du 9 vendémiaire an VI qu’est dû l’impôt sur les moyens de transport public que la loi du 25 vendémiaire an III (16 octobre 1794) avait rendus libres ; cette loi du 9 vendémiaire supprimait en même temps l’entreprise nationale des messageries dont la régie cessa le 1er nivôse suivant (21 décembre 1797). C’est par la loi, encore en vigueur, du 19 brumaire an VI (9 novembre 1797) que furent rétablis les droits de garantie des matières et ouvrages d’or et d’argent ; mais un projet de loi voté le 6 juillet 1900 par la Chambre et, en première lecture, le 6 décembre 1902, par le Sénat, n’en laisserait subsister que sept articles. C’est la loi du 13 fructidor an V (30 août 1797) qui a sérieusement constitué le monopole de la fabrication et de la vente des poudres et salpêtres, elle est encore actuellement la base du monopole d’État pour les poudres ; et l’administration des poudres fut réorganisée par la loi du 27 fructidor an V (13 septembre 1797). Par la loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797) fut rétablie la loterie d’État telle qu’elle avait fonctionné de 1776 à 1793 ; elle devait durer jusqu’en 1836. Le tabac, qui avait été monopolisé, ne l’était plus depuis le vote du 14 février 1791 ; mais la loi du 22 brumaire an VII (12 novembre 1798) établit, en sus du droit d’entrée, un droit de fabrication. La loi du 14 fructidor an III (31 août 1795) avait généralisé, en matière de douane, la compétence du juge de paix introduite par la loi du 4 germinal an II (24 mars 1794) ; la loi du 9 floréal an VII (28 avril 1799), encore partiellement en vigueur, réglementa la forme des procès-verbaux et les pouvoirs du juge.

C’est la loi du 27 vendémiaire an VII (18 octobre 1798) qui a autorisé le rétablissement à Paris de l’octroi dit « municipal et de bienfaisance », parce qu’il devait remédier à l’insuffisance des ressources municipales nuisible particulièrement aux hospices et aux secours à domicile. Il fut immédiatement organisé en régie et les bases fondamentales de son organisation sont restées les mêmes. Pendant les onze mois de l’an VII, il rapporta sept millions quatre mille francs, d’après une note de la régie ; ce fut le droit de 5 fr. 50 par hectolitre de vin qui fournit la plus forte partie des recettes : 785 000 hectolitres payèrent durant les onze premiers mois. L’alcool payait 16 fr. 50 par hectolitre. La fraude était considérable ; en vertu de l’arrêté du Directoire du 29 frimaire an VII (19 décembre 1798), il y avait 393 préposés pour surveiller près de soixante barrières et un peu plus de 25 kilomètres d’enceinte. Il y eut 1 269 saisies effectuées aux barrières et aux ports pendant les onze premiers mois (Moniteur du 11 brumaire an VIII - 2 novembre 1799). La loi du 11 frimaire an VII (1er décembre 1798) permit le rétablissement de l’octroi dans d’autres villes ; Bordeaux, où la loi du 23 floréal an VII (12 mai 1799) l’autorisa, fut la première à user de cette faculté.

Après diverses modifications à la législation sur le timbre, la loi déjà citée du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797) taxa, pour la première fois, les affiches qui le sont toujours, les journaux et le papier de musique ; la loi du 13 brumaire an VII (3 novembre 1798) revisa les dispositions antérieures et est restée le texte fondamental. L’enregistrement continue à être régi par la loi du 22 frimaire an VII 12 décembre 1798) et les droits d’hypothèque datent de la loi du 21 ventôse an VII (11 mars 1799) dont subsistent les principales dispositions. Une loi du 6 prairial an VII (25 mai 1799) — voir fin du chap. xviii — a été le point de départ des « décimes » qui s’ajoutent au principal de divers impôts.