Histoire universelle/Tome I/III/III

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Société de l’Histoire universelle (Tome Ip. 89-91).
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Arménie

L’Arménie primitive fut aux mains des Ourartiens, peuple indigène dont nous savons peu de chose sinon qu’il reçut la culture assyrienne mais ne semble avoir appartenu ni au groupe arya ni au groupe sémite. Vers l’an 600 av. J.-C., les Ourartiens furent refoulés vers le Caucase par ceux qui devaient être les Arméniens et qui étaient, ceux-là, du sang aryen. Après avoir fait partie de l’empire achéménide puis de celui d’Alexandre, l’Arménie recouvra son indépendance. Un de ses plus grands rois, Tigrane (89-36) lutta âprement contre les Romains. Après la défaite de Mithridate roi de Pont (120-63) et la chute des Séleucides, Tigrane parvint à conquérir une partie de la Syrie et même la Mésopotamie. Mais vaincu par Pompée et poursuivi jusqu’au pied de l’Ararat, le massif montagneux arménien, il dut accepter la suzeraineté romaine. En l’an 305 ap. J.-C. le roi Tiridate III (250-330) se convertit ainsi que son peuple à la voix du célèbre apôtre, Grégoire l’illuminateur. Nous avons vu l’inquiétude causée en Perse par cette christianisation des Arméniens et les luttes qui en résultèrent. En 449, la Perse victorieuse supprima la dynastie arménienne et annexa le royaume mais elle ne put jamais l’« iraniser ». Serrés autour de leur Église nationale qui leur fournit non pas seulement un culte et des dogmes mais une grammaire, une littérature, des arts, les Arméniens demeurèrent obstinément chrétiens. Aucune nationalité ne fut jamais défendue par le pouvoir sacerdotal avec une plus persistante résolution si ce n’est la Grèce moderne pendant les siècles qu’elle passa sous le joug ottoman. Lorsqu’au vime siècle, les évêques arméniens adhérèrent à l’hérésie monophysite, on peut penser qu’ils le firent surtout avec la pensée d’isoler l’Arménie non plus tant par rapport à la religion persane dont ils avaient cessé de redouter la concurrence que par rapport au christianisme byzantin qui les effrayait davantage. Les rois sassanides finirent par renoncer à avoir raison d’une race si vigoureusement préservée de toute emprise étrangère et ils lui reconnurent une large autonomie, confiant à des princes de la famille arménienne des Mamigonians le soin de gouverner le pays en leur nom. Les califes Abbassides firent davantage. En 886 ils rétablirent sous leur vague suzeraineté la royauté arménienne en faveur de la famille des Pagratides dont le premier prince se fit investir à la fois par le calife de Bagdad et l’empereur byzantin. Mais les Pagratides ne régnaient que sur la région de l’Ararat et de Kars. Leur capitale était Ani. Les autres provinces étaient gouvernées par des dynasties locales avec lesquelles l’entente n’était pas toujours aisée. L’Arménie n’en fut pas moins des plus prospères durant le xme siècle. Les rois qui se succédèrent entre 920 et 1020 embellirent et agrandirent Ani, la dotant de basiliques et de palais à la manière d’une grande cité byzantine. Ce fut aussi une période d’épanouissement littéraire. Mais évidemment l’organisation politique manquait de cohésion et la résistance nationale était affaiblie puisque les intrigues du gouvernement byzantin qui s’étaient maintes fois dépensées en pure perte, aboutirent cette fois à une série d’abdications et à l’annexion finale du pays sans que le peuple ait pris en mains sa propre cause comme il l’eût fait précédemment. Ce fléchissement de l’énergie arménienne eut de déplorables conséquences car, lorsque parurent les hordes de Togroul Beg, la défense ne put être assurée de façon efficace. Ani fut prise en 1064 et une dure servitude pesa sur cette race opiniâtre que tant de malheurs allaient accabler.

Un exode se prononça. Une partie du peuple arménien se transporta en Cilicie, où dès 1080 une principauté indépendante fut constituée, origine de ce qu’on a appelé la petite Arménie. Elle dura trois siècles. Ses premiers souverains aidèrent les croisés. Un moment les empereurs byzantins supprimèrent la principauté (1137) mais elle fut bientôt rétablie. En 1198 dans la cathédrale de Tarse, l’archevêque de Mayence couronna le roi Léon II au nom du pape et de l’empereur germanique Henri VI. Deux ans plus tôt en cette même ville s’était assemblé un important concile. Convoqué pour terminer l’hérésie monophysite et préparer un rapprochement avec l’Église de Constantinople, c’est à une entente avec l’Église romaine que finalement le concile aboutit. La communauté de foi, le voisinage des « États francs » fondés par les croisés français, une sympathie spontanée entre les races francisèrent presque complètement la petite Arménie. D’autre part sa bonne administration, la création de centres commerciaux dans les régions d’Édesse et d’Antioche, le développement d’un commerce considérable avec Gênes, Venise, la Perse et l’Asie en firent bientôt un État très florissant. Même après la chute des États francs cette situation se prolongea. Le port de Lajazzo devint un entrepôt général dont la croissante importance nuisit grandement au trafic d’Alexandrie. Aussi les « mameluks » d’Égypte n’eurent-ils qu’une ambition : abattre l’État rival. Ils guettèrent longtemps l’occasion. Les Arméniens de Cilicie avaient, un temps, fait alliance avec les Mongols de Perse. Lorsque la puissance de ceux-ci se fut effondrée, ils se trouvèrent isolés : ils étaient le dernier État chrétien au centre de l’islam dominant. En 1359 Lajazzo tomba au pouvoir des musulmans et en 1375 Léon VI, le dernier roi, dut abandonner la dernière parcelle du territoire cilicien. Il s’en vint mourir à Paris. La « petite Arménie » n’existait plus. La grande Arménie était noyée sous le flot turc. Un long martyre allait suivre ; il dura des siècles ; il ne parvint point à supprimer la race qui reste prête à revivre mais il déshonora l’Europe qui ne sut ni n’osa intervenir.