Histoires (Grégoire de Tours)/2

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LIVRE SECOND


Nous rapporterons confusément, et sans aucun ordre que celui des temps, les vertus des saints et les désastres des peuples. Je ne crois pas qu’il soit regardé comme déraisonnable d’entremêler dans le récit, non pour la facilité de l’écrivain, mais pour se conformer à la marche des événemens, les félicités de la vie des bienheureux avec les calamités des misérables ; car, en y regardant attentivement, le lecteur curieux trouvera, dans les histoires des rois israélites, que le sacrilège Phinée mourut sous Samuel-le-Juste, et le Philistin Goliath sous David, surnommé le Bras Victorieux. Et dans ce temps où Élie, prophète illustre, supprimait à son gré les pluies, à son gré les faisait descendre sur les terres desséchées, et par ses paroles changeait en richesse l’indigence d’une pauvre veuve, on peut se rappeler aussi quelles désolations tombèrent sur les peuples, quelle faim, quelle soif vinrent tourmenter la terre malheureuse. Quels maux ne souffrit pas Jérusalem dans le temps d’Ézéchias, à la vie duquel Dieu voulut ajouter quinze années ? Et sous le prophète Élysée, qui rappela les morts à la vie, et fit, au milieu des peuples, beaucoup d’autres miracles, quels carnages, quelles misères affligèrent les peuples israélites ? Eusèbe, Sévère, Jérôme et Orose, ont mêlé de même dans leurs chroniques les guerres des rois et les vertus des martyrs. Nous en avons usé de même en cet écrit, afin qu’il fût plus aisé de suivre jusqu’à nos jours la série des temps et le calcul des années. Passant donc sur ce qu’ont raconté les auteurs dont on vient de parler, nous rapporterons, avec l’aide de Dieu, les choses arrivées depuis.

Après la mort de saint Martin, évêque de Tours, homme éminent et incomparable, dont les vertus nous sont rapportées en de nombreux volumes, Brice lui succéda dans l’épiscopat. Cependant, durant la vie de saint Martin sur la terre, Brice lui avait tendu beaucoup d’embûches, parce que celui-ci lui avait souvent reproché de se livrer à des choses de peu de travail. Un jour, un malade, voulant demander à saint Martin quelque remède, vint trouver Brice, qui n’était encore que diacre, et lui dit avec simplicité : « Voilà que j’attends le saint homme, et je ne sais où il est, ni ce qu’il fait. » Brice lui dit : « Si tu cherches ce fou, regarde là bas ; le voilà qui considère le ciel selon sa coutume, comme un homme hors de sens. » Et lorsque ce pauvre, l’ayant rencontré, eut obtenu ce qu’il demandait, le saint homme parla ainsi à Brice : « Brice, je te parais donc fou ? » Comme celui-ci, confus en entendant ces mots, niait qu’il eût parlé ainsi, le saint homme lui dit : « Mes oreilles n’étaient-elles pas prés de ta bouche quand tu prononçais là bas ces paroles ? Je te dis amen, car j’ai obtenu de Dieu qu’après moi tu fusses honoré du pontificat ; mais tu connaîtras que dans l’épiscopat tu es destiné à bien des peines. » Brice, entendant ces paroles, s’en moqua en disant : «  N’avais-je pas dit vrai, que cet homme parlait comme un insensé ? Admis à la dignité de prêtre, il harcela souvent le saint homme de ses insultes. Ayant ensuite obtenu, du consentement des citoyens, les fonctions pontificales, il s’adonna à l’oraison. Quoiqu’il fût orgueilleux et vain, il passait cependant pour chaste de corps. Mais, dans la trente-troisième année de son épiscopat, il s’éleva contre lui une déplorable accusation de crime ; car, une femme à qui ses domestiques avaient coutume de porter ses vêtemens à laver, et qui, sous l’apparence de religion, avait pris l’habit, vint à concevoir et enfanta. Cette circonstance enflamma de colère tout le peuple de Tours ; il imputa ce crime à l’évêque, et il n’y avait qu’une voix pour le lapider, et le peuple disait : « Longtemps tu as caché ta luxure sous les dehors de la piété d’un saint, et Dieu ne permet pas que nous nous souillions plus longtemps à baiser tes indignes mains. » Lui, au contraire, niant avec force, dit : « Apportez-moi l’enfant. » Et quand on lui eut apporté l’enfant, âgé de trente jours, l’évêque Brice lui dit : « Je te conjure, au nom de Jésus-Christ, fils du Dieu tout-puissant, si je t’ai engendré, de le dire en présence de tout le monde. » Et celui-ci dit : « Tu n’es pas mon père. » Et le peuple le priant de demander qui était le père, le prêtre répondit : « Cela ne me regarde pas. Je me suis occupé de ce qui me regardait ; si quelque chose vous intéresse, demandez-le vous-même. »

Alors, soutenant que ceci avait été opéré par l’art de la magie, tous, d’un commun accord, se soulevèrent contre lui ; et, l’entraînant, ils lui disaient : « Tu ne nous gouverneras pas plus longtemps sous le faux nom de pasteur. » Mais celui-ci, pour faire connaître la vérité au peuple, mit dans sa robe des charbons ardens, et, les pressant sur lui, il arriva, avec la foule du peuple, au tombeau de saint Martin, et, lorsqu’il eut jeté les charbons devant le tombeau, on vit son vêtement exempt de brûlure, et il parla ainsi : « De même que vous voyez mon vêtement préservé de l’atteinte de ce feu, de même mon corps est pur de toute souillure d’attouchement ou d’approche de femme. » Mais eux, ne le croyant pas et contestant ce qu’il leur disait, il fut entraîné, calomnié et chassé, afin que ces paroles du saint fussent accomplies : « Tu connaîtras que dans l’épiscopat tu es destiné à bien des peines. » Après l’avoir chassé, on éleva Justinien à l’épiscopat. Enfin Brice alla trouver le pape de Rome, et pleurant et se lamentant, il disait : « J’ai mérité de souffrir ces peines, parce que j’ai péché contre le saint de Dieu, car je l’ai souvent appelé fou et insensé, et que, témoin de ses vertus, je n’y ai pas cru ! » Après son départ les Tourangeaux dirent à leur évêque : « Vas après lui, et fais ce que tu as à faire, parce que si tu ne le poursuis pas, tu auras le dessous, à notre grand déshonneur. » Mais Justinien étant parti de Tours, et ayant atteint Verceil, ville d’Italie, frappé du jugement de Dieu, mourut durant son voyage. Les Tourangeaux, apprenant sa mort, et persévérant dans leur haine, instituèrent à sa place Armence. Mais l’évêque Brice étant arrivé à Rome, instruisit le pape de ce qu’il avait souffert ; et, durant son séjour dans la résidence apostolique, ayant célébré plusieurs fois le sacrifice de la messe, il lava par ses pleurs les fautes qu’il avait commises envers le saint de Dieu. Étant revenu de Rome la septième année, il se prépara, avec l’autorisation du pape, à retourner à Tours. Et étant arrivé à un village nommé Mont-Louis i, à six milles de la ville, il y établit sa demeure. Cependant Armence fut attaqué de la fièvre et rendit l’esprit au milieu de la nuit. Une vision l’ayant aussitôt révélé à l’évêque Brice, il dit aux siens : « Levez-vous promptement, pour que nous allions à la rencontre de notre frère l’évêque de Tours, afin de l’ensevelir. » Et comme ils entraient par une porte de la ville on emportait le mort par une autre. Celui-ci étant enterré, Brice rentra en possession de son siège, et vécut ensuite heureusement l’espace de sept années. Après sa mort, arrivée la quarante-septième année de son épiscopat, il eut pour successeur saint Eustoche, homme très grand en sainteté.

Ensuite les Vandales, quittant leur pays, vinrent avec leur roi Gunderic[1] pour faire une irruption dans les Gaules. Après y avoir commis de grands ravages, ils se dirigèrent sur l’Espagne. Les Suèves, c’est-à-dire les Allemands, les y suivirent et s’emparèrent de la Galice. Peu de temps après, comme les deux peuples étaient voisins l’un de l’autre, il y eut du bruit entre eux ; ils marchèrent en armes pour se faire la guerre : déjà ils étaient prêts à combattre, lorsque le roi des Allemands parla ainsi : « Jusques à quand la guerre s’agitera-t-elle sur la totalité de ce peuple ? Je vous en conjure, que les armées des deux peuples ne soient pas détruites ; mais que deux des nôtres s’avancent avec leurs armes de guerre au milieu du champ de bataille et combattent entre eux : le peuple dont le guerrier sera vainqueur obtiendra sans contestation tout le pays. » Tout le peuple y consentit, afin que cette multitude entière n’allât pas se précipiter sur la pointe des glaives. Ces jours-là le roi Gunderic était mort, et Thrasamund avait à sa place obtenu le trône[2] ii. Les deux guerriers ayant combattu, le parti des Vandales fut vaincu. Thrasamund, dont le guerrier avait été tué, promit de s’éloigner de bonne grâce : ainsi, lorsqu’il eut préparé les choses nécessaires à son voyage, il s’éloigna des confins d’Espagne.

Dans le même temps, Thrasamund exerça une persécution contre les chrétiens, et il contraignait toute l’Espagne, par des tourmens et des supplices divers, à trahir la foi pour embrasser la secte d’Arius. Il arriva qu’une jeune fille pieuse, opulente en richesses, honorée selon le siècle à cause de sa noblesse sénatoriale, et, ce qui est plus noble que tout le reste, ferme dans la foi catholique et servant Dieu tout-puissant avec un zèle sans tache, se trouva soumise à cette épreuve. Quand elle fut amenée en présence du roi, il commença par des discours flatteurs à vouloir lui persuader de se faire rebaptiser. Mais, comme munie du bouclier de la foi, elle repoussait son trait empoisonné, le roi ordonna qu’on s’emparât de tous les biens de celle qui, en esprit, possédait déjà les royaumes du Paradis, et ensuite qu’on la tourmentât par des supplices, elle qui ne plaçait aucune espérance dans la vie présente. Que dirai-je de plus ? Après des épreuves multipliées, après lui avoir enlevé toutes ses richesses terrestres, comme on ne pouvait la soumettre à diviser la sainte Trinité, on l’entraîna malgré elle à un nouveau baptême ; mais, comme on la plongeait de force dans ce bain impur, elle s’écria : Je crois que le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit sont d’une seule substance et d’une même essence, et infecta les eaux des excrémens de ses entrailles, parfum dont elles étaient bien dignes. Elle sortit de là pour être soumise à la torture selon la loi, par le moyen des chevalets, des flammes et des crocs, puis condamnée à avoir la tête tranchée pour Jésus-Christ. Ensuite pendant que les Allemands se répandaient jusqu’aux bords de la mer, les Vandales, l’ayant passée, se dispersèrent dans toute l’Afrique et la Mauritanie iii.

Comme ce fut de leur temps que la persécution contre les Chrétiens s’établit de plus en plus, ainsi que nous l’avons dit plus haut, il me parait convenable de rapporter quelque chose de ce qu’ils firent contre les églises de Dieu, et de la manière dont ils furent chassés du royaume. Thrasamund étant donc mort, après les crimes qu’il avait commis sur les saints de Dieu, Hunéric iv, homme encore plus féroce, régna après lui, et les Vandales l’élurent pour être à leur tête. On ne saurait concevoir le nombre prodigieux de chrétiens qui, sous son règne, furent mis à mort pour le nom sacré de Jésus-Christ. Mais ils peuvent appeler en témoignage l’Afrique où ils avaient pris naissance, et Jésus-Christ dont la main les a couronnés de pierres précieuses dont l’éclat ne se peut ternir ; nous choisirons cependant pour les raconter les souffrances de quelques-uns de ces martyrs, afin d’accomplir ce que nous avons promis.

Cyrola, faussement appelé évêque, passait alors pour le plus ferme soutien de l’hérésie ; et, comme le roi prenait divers moyens pour persécuter les Chrétiens, le persécuteur trouva dans un faubourg de sa ville l’évêque Eugène, homme d’une ineffable sainteté, et qu’on tenait pour très sage ; il le fit enlever si violemment qu’il ne lui fut pas permis d’aller exhorter le troupeau des fidèles. Mais, voyant qu’on l’emmenait, il écrivit à ses concitoyens, pour les engager à conserver la foi catholique, une lettre conçue en ces termes :

« L’évêque Eugène, à ses très aimés et, dans l’amour du Seigneur, très chers fils et filles de l’Église, que Dieu m’a confiés. L’autorité royale a parlé et nous a ordonné par un édit de venir à Carthage pour y manifester notre foi catholique ; et afin de ne pas livrer, en m’éloignant, l’église de Dieu à un état équivoque et de suspension, et de ne pas quitter, pasteur infidèle, les brebis du Seigneur sans leur adresser la parole, j’ai cru nécessaire de vous envoyer à ma place ces lettres pour vous conduire dans la sainteté. Je vous conjure donc, et non sans répandre des larmes, je vous exhorte, vous avertis et vous supplie très fort au nom de la majesté de Dieu, du redoutable jour du jugement et de la terrible splendeur de la vertu du Christ ; demeurez inébranlables dans la foi catholique et fermes à soutenir le Fils égal au Père, et le Saint-Esprit avec le Père et le Fils dans une même divinité. Conservez les grâces d’un baptême unique, et gardez soigneusement l’onction du saint chrême. Qu’aucun de ceux qui ont reçu l’eau ne retourne à l’eau après en avoir été régénéré ; car, sur un signe de Dieu, le sel se forme de l’eau ; mais, si on le réduit en eau, il perd aussitôt sa forme. Et ce n’est pas sans raison que le Seigneur a dit dans l’Évangile : Si le sel perd sa force, avec quoi le salera-t-on[3] ? v Et certes, c’est perdre sa force que de vouloir être assaisonné une seconde fois, quand il suffit de l’avoir été une seule. N’avez-vous pas entendu cette parole du Christ ? Celui qui a déjà été lavé n’a plus besoin que de se laver les pieds[4] vi. C’est pourquoi, mes frères, mes fils et mes filles en Dieu, ne soyez pas contristés de mon absence, parce que, si vous restez attachés à la religion catholique, quelque soit mon éloignement, je ne vous oublierai pas, et la mort ne me séparera pas de vous. Sachez qu’en quelque endroit que les bourreaux dispersent mes membres, la palme y sera avec moi : si je vais à l’exil, j’ai pour exemple saint Jean l’Évangéliste ; si on m’envoie à la mort, le Christ est ma vie, et la mort m’est un gain[5] vii : si je reviens ici, mes frères, Dieu remplira votre désir. Cependant il me suffit de n’avoir pas gardé le silence avec vous ; je vous ai instruits et avertis autant que j’ai pu, je suis donc innocent du sang de tous ceux qui périront ; et je sais que, quand viendra le temps de rendre à chacun selon ses œuvres, cette lettre sera lue et portera témoignage contre eux devant le tribunal du Christ. Si je reviens, mes frères, je vous verrai dans cette vie : si je ne reviens pas, je vous verrai dans la vie à venir. Cependant je vous dis adieu. Priez et jeûnez pour nous, parce que le jeûne et l’aumône ont toujours fléchi la miséricorde du Seigneur. Souvenez-vous qu’il est écrit dans l’Évangile : Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et l’âme et le corps dans l’enfer[6] viii. »

Saint Eugène ayant donc été amené vers le roi, discuta avec l’évêque des Ariens en faveur de la foi catholique ; et lorsqu’il l’eut puissamment confondu sur le mystère de la sainte Trinité, et que le Christ lui eut donné le pouvoir de faire beaucoup de miracles, ce même évêque, excité par l’envie, entra dans une plus grande fureur ; car saint Eugène était alors accompagné des hommes les plus sages et les plus saints de ce temps, des évêques Vindémiale et Longin, tous deux égaux en dignités aussi bien qu’en vertus, car saint Vindémiale passait dans ce temps pour avoir ressuscité un mort, et Longin avait guéri beaucoup de malades. Eugène ne détruisait pas seulement la cécité extérieure et des yeux, mais aussi l’aveuglement des esprits. Ce que ce méchant évêque des Ariens ayant vu, il fit venir vers lui un homme abusé de la même erreur où il vivait, et lui dit : « Je ne puis souffrir que ces évêques opèrent beaucoup de miracles au milieu du peuple, et que tout le monde me néglige pour les suivre. Reçois donc ces cinquante pièces d’or, pour consentir à ce que je t’ordonne. Asseois-toi sur la place publique qui est sur notre passage ; et, tenant ta main sur tes yeux fermés, écrie-toi de toute ta force quand je passerai avec les autres : — Je t’en supplie, bienheureux Cyrola, pontife de notre religion, de manifester à mon égard ta gloire et ta puissance, en m’ouvrant les yeux, pour que j’obtienne de recouvrer la lumière que j’ai perdue. » Celui-ci, faisant ce qui lui avait été ordonné, s’assit sur la place publique, et quand l’hérétique passa avec les saints de Dieu, pensant se jouer de Dieu, l’homme s’écria de toute sa force : « Écoute-moi, bienheureux Cyrola ; écoute-moi, saint pontife de Dieu, jette un regard sur ma cécité, et je serai guéri par ces remèdes que souvent les autres aveugles ont obtenus de toi, qu’en ont reçus les lépreux, et qui se sont fait sentir aux morts mêmes. Je te conjure par ce pouvoir que tu possèdes, de me rendre la lumière que j’ai perdue, car je suis accablé d’une cruelle cécité. » Et sans le savoir il disait la vérité, car la cupidité l’avait aveuglé, et pour de l’argent il se riait de la puissance de Dieu. Alors l’évêque des hérétiques se tourna un peu, et, comme s’il eût été prêt à se glorifier dans sa puissance, transporté de vanité et d’orgueil, il mit sa main sur les yeux de l’homme, et dit : « Par notre foi, qui est la vraie croyance en Dieu, que tes yeux s’ouvrent à la lumière. » Et à peine eut-il lâché ce blasphème que la moquerie fit place aux gémissemens et que la fourberie de l’évêque se manifesta au public ; car les yeux de ce malheureux furent saisis d’une si grande douleur qu’à peine en les pressant de ses doigts pouvait-il les empêcher de sortir de sa tête. Enfin l’infortuné se mit à crier, disant : « Malheur à moi misérable, qui me suis laissé séduire par l’ennemi de la loi divine ! Malheur à moi qui ai consenti à me moquer de Dieu, et qui ai reçu cinquante pièces d’or pour commettre ce crime ! » Il dit aussi à l’évêque : « Voilà ton or, rends-moi la lumière de mes yeux que ta fourberie m’a fait perdre. Et vous, très glorieux chrétiens, je vous supplie de ne pas mépriser, mais de secourir promptement un malheureux près de périr ; car je reconnais réellement qu’on ne se moque pas de Dieu. » Alors les saints de Dieu, émus de compassion, lui dirent : « Si tu crois, rien n’est impossible à celui qui croit ix. » Alors il s’écria d’une voix forte : « Que celui qui ne croit pas que Jésus-Christ, fils de Dieu, et le Saint-Esprit ont, avec Dieu le père, une intime substance et une même divinité, endure ce que je souffre aujourd’hui. » Et il ajouta : « Je crois en Dieu, Père Tout-Puissant, en Jésus-Christ, Fils de Dieu, égal au Père, et je crois au Saint-Esprit consubstantiel et coéternel au Père et au Fils. » À ces paroles les pieux évêques s’efforcèrent à l’envi de se prévenir mutuellement de civilité, et il s’éleva entre eux une sainte dispute pour savoir qui imposerait, sur les yeux de cet homme, le signe de la bienheureuse croix. Vindémiale et Longin priaient Eugène d’imposer les mains à l’aveugle, et lui les en priait de son côté. Eux y ayant consenti, et tenant leurs mains sur sa tête, saint Eugène fit le signe de la croix sur les yeux de l’aveugle, et dit : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que nous reconnaissons pour le vrai Dieu en trois personnes égales et toutes-puissantes, que tes yeux soient ouverts ; » et la douleur s’étant aussitôt évanouie, l’homme recouvra la santé, et l’on reconnut clairement, par la cécité de cet homme, que la doctrine de cet évêque des hérétiques couvrait les yeux du cœur d’un voile déplorable, afin qu’ils ne pussent contempler la vraie lumière de la foi ; malheureux qui n’étant pas entré par la porte, c’est-à-dire par le Christ, qui est la vraie porte, était devenu le loup plutôt que le gardien du troupeau, et s’efforçait, par la méchanceté de son cœur, d’éteindre dans le cœur des fidèles le flambeau de la foi qu’il aurait dû y allumer. Les saints de Dieu firent, au milieu du peuple, beaucoup d’autres miracles, et le peuple n’avait qu’une voix pour dire : « On doit adorer d’une même foi, redouter d’une même crainte, et honorer d’un même respect le vrai Dieu père, le vrai Dieu fils, le vrai Dieu Saint-Esprit. » Car il était clair à tous que la doctrine de Cyrola était fausse.

Mais le roi Huneric, voyant que la glorieuse fidélité des saints faisait ainsi paraître à nu la fausseté de ses doctrines, que la secte de l’erreur se détruisait au lieu de s’établir, et que la fourberie de son pontife avait été mise à découvert par cette action criminelle, ordonna qu’après bien des tourmens, après les avoir fait passer par les chevalets, les flammes et les crocs de fer, on mît à mort les saints de Dieu ; mais il feignit seulement de vouloir faire décoller le bienheureux Eugène, car il ordonna que si, au moment où le glaive menacerait sa tête, il n’embrassait pas la secte des hérétiques, on s’abstînt de le tuer, de peur que les chrétiens ne le révérassent comme martyr, mais qu’il fût condamné à l’exil, ce qui arriva en effet ; car sur le point de recevoir la mort, ayant été interrogé s’il avait dessein de mourir pour la foi catholique, il répondit : « Mourir pour la justice, c’est vivre éternellement. » Alors le glaive demeura suspendu et on l’envoya en exil à Albi, ville des Gaules, où il termina sa vie sur la terre. De fréquens miracles manifestent aujourd’hui la sainteté de son tombeau. Le roi ordonna que saint Vindémiale fût frappé de l’épée, et il mourut dans ce combat. Octavien, archidiacre, et beaucoup de milliers d’hommes et de femmes attachés à notre croyance furent mutilés et mis à mort ; mais ce n’était rien aux yeux de ces saints confesseurs, de souffrir ainsi pour l’amour de la gloire ; car, tourmentés en des choses de peu, ils se savaient destinés à de grands biens, selon ces paroles de l’apôtre : « Les souffrances de la vie présente n’ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous[7] x. »

En ces années, beaucoup de gens, renonçant à leur foi pour acquérir des richesses, se précipitèrent eux-mêmes en de nombreuses douleurs, comme ce malheureux évêque, de nom Révocatus, qui révoqua, dans ce temps, ses promesses à la vraie foi. Alors le soleil parut obscurci, de manière qu’à peine en voyait-on briller la troisième partie ; j’en attribue la cause à tant de crimes et à l’effusion du sang innocent. Humeric, après un si grand forfait, fut possédé du démon, et lui qui s’était longtemps abreuvé du sang des saints, se déchirait par ses propres morsures ; ce fut dans ces tourmens qu’une juste mort termina son indigne vie. En 484 Hilderic lui succéda, et à sa mort xi, Gélésimère parvint au gouvernement. Celui-ci, ayant été vaincu par la république, termina sa vie en même temps que son règne. Ainsi tomba le royaume des Vandales[8] xii.

Dans ce temps un grand nombre d’hérésies infestaient les églises de Dieu ; la vengeance divine en frappa plusieurs ; car Athanaric, roi des Goths, exerça une grande persécution. Il tuait par le glaive beaucoup de Chrétiens, après leur avoir infligé divers tourmens, et il en faisait mourir quelques-uns condamnés à l’exil, par la faim et différens supplices ; d’où il arriva par un effrayant jugement de Dieu, qu’en punition de l’effusion du sang des justes, il fut chassé de son royaume, et que celui qui avait envahi les églises de Dieu fut exilé de son pays. Mais maintenant retournons à des choses antérieures.

Le bruit s’était répandu que les Huns voulaient faire une irruption dans les Gaules. Il y avait en ce temps dans la ville de Tongres un évêque d’une très grande sainteté, nommé Aravatius xiii. Adonné aux veilles et aux jeûnes, souvent baigné d’une pluie de larmes, il suppliait la miséricorde de Dieu de ne pas permettre l’entrée des Gaules à cette nation incrédule, et toujours indigne de lui. Mais ayant été averti par inspiration qu’à cause des fautes du peuple, ce qu’il demandait ne lui serait pas accordé, il résolut de gagner la ville de Rome, afin que la protection des mérites apostoliques, unie à ses prières, lui obtînt plus facilement ce qu’il demandait humblement au Seigneur. S’étant donc rendu au tombeau du saint apôtre, il sollicitait le secours de sa bienveillance, se consumant dans une grande abstinence et un jeûne continuel ; en sorte qu’il était deux ou trois jours sans manger ni boire, et ne mettait point d’intervalle dans ses oraisons. Étant demeuré dans cette affliction pendant l’espace de beaucoup de jours, on rapporte qu’il reçut cette réponse du bienheureux apôtre : « Pourquoi me tourmentes-tu, très saint homme ? il a été irrévocablement fixé par les décrets du Seigneur que les Huns viendraient dans les Gaules, et que ce pays serait ravagé par la plus terrible tempête. Maintenant donc prends ta résolution, fais une prompte diligence, dispose ta maison, prépare ta sépulture, aie soin de te munir d’un linceul blanc. Tu quitteras ton enveloppe corporelle, et tes yeux ne verront pas les maux que les Huns doivent faire à la Gaule. Ainsi l’a dit le Seigneur notre Dieu. » Après avoir reçu cette réponse du saint apôtre, le pontife hâte son voyage et regagne promptement la Gaule. Étant arrivé à la ville de Tongres, il apprête aussitôt ce qui était nécessaire à sa sépulture ; et, disant adieu aux ecclésiastiques ainsi qu’au reste des habitants de la ville, il leur annonce avec des pleurs et des lamentations qu’ils ne verront plus longtemps son visage ; et ceux-ci le suivant avec des larmes et des gémissemens, le suppliaient humblement en disant : « Ne nous abandonnez pas, saint père ! ne nous oubliez pas, bon pasteur ! » Mais comme leurs pleurs ne pouvaient le retenir, ils s’en retournèrent après avoir reçu sa bénédiction et ses baisers. Lui donc, étant allé à la ville d’Utrecht, fut attaqué d’une légère fièvre, et abandonna son corps ; et, ayant été lavé par les fidèles, il fut enterré auprès du rempart public. Nous avons écrit, dans le livre des Miracles xiv, comment le corps de ce saint fut transféré après un long espace de temps.

Les Huns étant donc sortis de la Pannonie, vinrent, dépeuplant le pays, à la ville de Metz, où ils arrivèrent, ainsi que quelques-uns le rapportent, la veille du saint jour de Pâques. Ils livrèrent la ville aux flammes, passèrent les habitants au fil de l’épée, et égorgèrent même les prêtres du Seigneur devant les autels sacrés. Rien n’échappa à l’incendie, que l’oratoire de saint Étienne, premier martyr et diacre. Je n’hésite pas à raconter ce que j’ai entendu dire à quelques-uns au sujet de cet oratoire. Ils rapportent qu’avant l’arrivée des ennemis ils eurent une vision, dans laquelle leur apparut ce pieux fidèle, le bienheureux diacre Étienne, s’entretenant avec les saints apôtres Pierre et Paul sur tous ces ravages, et disant : « Je vous conjure, messeigneurs, d’empêcher, par votre intercession, que nos ennemis ne brûlent la ville de Metz ; car dans un endroit de cette ville sont les restes de mon pauvre corps ; mais plutôt que les habitants connaissent que je peux quelque chose auprès du Seigneur ; et que si les crimes du peuple se sont tellement accumulés que la ville ne puisse éviter l’incendie, que mon oratoire en soit au moins préservé. » Ils lui répondirent : « Vas en paix, très cher frère ; l’incendie ne respectera que ton oratoire. Quant à la ville, nous ne pouvons rien obtenir, parce que la volonté divine a déjà prononcé la sentence ; car les péchés du peuple se sont accumulés, et le cri de sa méchanceté est monté jusqu’en présence de Dieu : la ville sera donc consumée par cet incendie. » D’où il est hors de doute que c’est par leur intercession que, dans la désolation de la ville l’oratoire est resté intact.

Cependant Attila, roi des Huns, ayant quitté la ville de Metz, et ravageant impunément les cités des Gaules, vint mettre le siège devant Orléans, et tâcha de s’en emparer en l’ébranlant par le choc puissant du bélier xv. Vers ce temps-là, cette ville avait pour évêque le bienheureux Anian, homme d’une éminente sagesse et d’une louable sainteté, dont les actions vertueuses ont été fidèlement conservées parmi nous. Et comme les assiégés demandaient à grands cris à leur pontife ce qu’ils avaient à faire, celui-ci, mettant sa confiance en Dieu, les engagea à se prosterner tous pour prier et implorer avec larmes le secours du Seigneur toujours présent dans les calamités. Ceux-ci s’étant mis à prier, selon son conseil, le pontife dit : « Regardez du haut du rempart de la ville si la miséricorde de Dieu vient à notre secours. » Car il espérait, par la miséricorde de Dieu, voir arriver Aétius xvi, que, prévoyant l’avenir, il était allé trouver à Arles ; mais, regardant du haut du mur, ils n’aperçurent personne ; et l’évêque leur dit : « Priez avec zèle, car le Seigneur vous délivrera aujourd’hui. » Ils se mirent à prier ; et il leur dit : « Regardez une seconde fois. » Et ayant regardé, ils ne virent personne qui leur apportât du secours. Il leur dit pour la troisième fois : « Si vous le suppliez sincèrement, Dieu va vous secourir promptement. » Et ils imploraient la miséricorde de Dieu avec de grands gémissemens et de grandes lamentations. Leur oraison finie, ils vont, par l’ordre du vieillard, regarder pour la troisième fois du haut du rempart, et aperçoivent de loin comme un nuage qui s’élève de la terre. Ils l’annoncent au pontife qui leur dit : « C’est le secours du Seigneur. » Cependant les remparts, ébranlés déjà sous les coups du bélier, étaient au moment de s’écrouler lorsque voilà Aétius qui arrive, voilà Théodoric, roi des Goths, ainsi que Thorismund son fils, qui accourent vers la ville à la tête de leurs armées, renversant et repoussant l’ennemi. La ville ayant donc été délivrée par l’intercession du saint pontife, ils mettent en fuite Attila, qui, se jetant dans les plaines de Méry[9] xvii, se dispose au combat ; ce que les Orléanais apprenant, ils se préparent à lui résister avec courage.

Dans ce temps, le bruit parvint à Rome qu’Aetius avait à soutenir un rude combat au milieu des phalanges des ennemis. Sa femme ayant appris cette nouvelle, triste et tourmentée, se rendait assidûment à la basilique des saints apôtres, et demandait au ciel de voir revenir son mari sain et sauf. Comme elle priait nuit et jour, il arriva qu’une nuit un pauvre homme pris de vin s’endormit dans un coin de la basilique de l’apôtre saint Pierre, de manière qu’il n’était pas sorti lorsque, selon la coutume, les gardes fermèrent les portes. S’éveillant au milieu de la nuit, il vit toute l’église resplendissante de lumière. Saisi d’épouvante, il chercha une issue pour s’échapper ; mais après avoir essayé d’ouvrir une première porte, puis une autre, et reconnu qu’elles étaient toutes fermées, il se coucha par terre, et attendit en tremblant l’instant où le peuple s’assemblerait pour chanter les hymnes du matin, afin de pouvoir sortir de ce lieu. Pendant ce temps, il vit deux personnes se saluant avec un respect mutuel, et se demandant réciproquement de leurs nouvelles. Alors le plus âgé commença à parler ainsi : « Je ne puis soutenir plus longtemps les larmes de la femme d’Aétius. Elle me supplie assidûment de ramener des Gaules son mari sain et sauf, tandis que le jugement de Dieu en avait décidé autrement. Cependant, en faveur de sa singulière piété, j’ai obtenu la vie de son mari, et je me hâte de le ramener ici vivant. Mais j’engage celui qui entendra ces paroles à se taire, et à ne pas oser divulguer les secrets du Seigneur, de peur qu’il ne soit promptement enlevé de la terre. » Mais le pauvre homme entendant ces paroles ne put garder le silence. Aussitôt que le ciel commença à s’éclaircir, il découvrit à la femme d’Aétius tout ce qu’il avait entendu ; et, lorsqu’il eut parlé, ses yeux se fermèrent à la lumière.

Aétius donc, réuni aux Goths et aux Francs, livra bataille à Attila. Celui-ci, voyant que ses troupes étaient taillées en pièces, eut recours à la fuite. Cependant Théodoric, roi des Goths, fut tué dans ce combat. Personne ne doit douter que la défaite des ennemis arriva par l’intercession du saint évêque dont nous avons parlé. Cependant le patrice Aétius et Thorismund remportèrent la victoire et détruisirent les ennemis. La guerre étant terminée, Aétius dit à Thorismund : « Hâtez-vous de retourner promptement dans votre patrie, de peur que votre frère, se pressant, ne vous dépouille du royaume de votre père. » Celui-ci, entendant ces paroles, se hâta de partir pour prévenir son frère et prendre possession le premier du trône de son père. Aetius se délivra par une semblable ruse du roi des Francs. Après leur départ Aetius pilla le camp, et retourna victorieux dans sa patrie avec un butin considérable. Attila se retira avec un petit nombre des siens, et peu de temps après les Huns s’étant emparés d’Aquilée, qu’ils incendièrent et détruisirent, se répandirent dans l’Italie et la ravagèrent. Thorismund, dont nous avons parlé plus haut, soumit dans une guerre les Alains xviii ; ensuite, après beaucoup de différends et de guerres, ses frères tombèrent sur lui et le tuèrent[10] [En 453 par Théodoric et Frédéric].

Après avoir arrangé et complètement exposé ces événemens selon l’ordre des temps, j’ai cru qu’il ne m’était pas permis de passer sous silence ce que l’histoire de Renatus Frigeridus[11] xix rapporte sur Aétius dont nous avons parlé plus haut. Il raconte, dans le douzième livre de son histoire, qu’à la mort de l’empereur Honorius xx, Valentinien, encore enfant, et n’ayant accompli qu’un lustre, fut créé Empereur par son cousin germain Théodose [424], et que le tyran Jean s’éleva à l’empire de Rome ; après avoir dit que ses députés furent méprisés par César, il ajoute : « Pendant que ces choses se passaient ainsi, les députés retournèrent vers le tyran, lui rapportant les menaces les plus terribles. Ces menaces déterminèrent Jean à envoyer aux Huns, avec beaucoup d’or, Aétius, à qui était alors confié le soin de son palais. Celui-ci les avait connus dans le temps où il était chez eux en otage, et était lié avec eux d’une intime amitié. Il fut chargé de leur porter les instructions suivantes, qu’aussitôt que les ennemis entreraient en Italie, ils les attaquassent par derrière, tandis que lui les prendrait de front. Et comme nous aurons par la suite beaucoup de choses à dire sur cet homme, je juge à propos de parler de sa naissance et de son caractère. Son père Gaudentius, de la principale ville de la province de Scythie, ayant commencé la guerre par l’état de domestique, parvint jusqu’au grade de maître de la cavalerie. Sa mère, Itala, était une femme noble et riche ; leur fils Aetius, prétorien dès son enfance, fut à trois ans remis en otage à Alaric, de là aux Huns ; ensuite, étant devenu gendre de Carpillion, il commença, en qualité de comte des domestiques, à être chargé de l’administration du palais de Jean. Il était d’une taille médiocre, d’un corps vigoureux, sans faiblesse ni pesanteur, d’un extérieur mâle et élégant, d’un esprit très actif ; cavalier très agile, habile à lancer des flèches, adroit la lance à la main, très propre à la guerre, excellent dans les arts de la paix. Exempt d’avarice et de toute avidité, il était doué des dons de l’esprit, ne s’écartant pas de son devoir par de mauvais penchants, supportant les outrages avec une très grande patience, aimant le travail, ne craignant aucun danger, souffrant avec beaucoup de courage la faim, la soif et les veilles. Il est certain qu’il lui fut prédit, dès son jeune âge, à quelle puissance le destin le réservait, et qu’il serait renommé dans son temps et dans son pays. »

Voilà ce que rapporte sur Aétius l’historien nommé ci-dessus. Mais l’empereur Valentinien, devenu adulte, craignant qu’Aetius ne le mît sous le joug, le tua sans sujet [454]. Lui-même à son tour, siégeant sur son tribunal dans le champ de Mars et parlant au peuple, fut surpris par derrière et percé d’une épée par Occylla [455], trompette d’Aétius. Telle fut la fin de l’un et de l’autre.

Beaucoup de personnes ignorent xxi quel fut le premier roi des Francs. Quoique Sulpice Alexandre[12] xxii rapporte sur eux beaucoup de choses, il ne nomme pas les premier de leurs rois, et dit qu’ils avaient des ducs : il est bon cependant de rapporter ce qu’il raconte de ces derniers chefs. Après avoir dit que Maxime, ayant perdu tout espoir de conserver l’Empire, restait dans Aquilée, presque privé de tout, il ajoute : « Dans ce temps les Francs [l’an 388], sous la conduite de Gennobaude, Marcomer et Sunnon, leurs ducs, firent une irruption dans la Germanie[13] xxiii, et, passant la frontière, massacrèrent beaucoup d’habitants, et, ayant ravagé des cantons d’une grande fertilité, portèrent l’épouvante jusqu’à Cologne [Colonia Agrippina].

« Aussitôt que la nouvelle en eut été portée à Trèves xxiv, Nannénus et Quintinus, commandants de la milice, à qui Maxime avait confié l’enfance de son fils et la défense des Gaules, assemblèrent une armée et se rendirent à Cologne. Mais les ennemis, chargés de butin, après avoir pillé les richesses des provinces, repassèrent le Rhin, laissant sur le territoire romain plusieurs des leurs prêts à recommencer le ravage. Les Romains les combattirent avec avantage, et tuèrent un grand nombre de Francs près de la forêt des Ardennes [la Carbonnière]. Comme on délibérait pour savoir si, pour profiter de la victoire, on devait passer dans le pays des Francs, Nannénus s’y refusa, sachant bien qu’ils étaient prêts à les recevoir, et qu’ils seraient certainement plus forts chez eux. Quintinus et le reste de l’armée étant d’un avis différent, Nannénus retourna à Mayence. Quintinus, ayant passé le Rhin avec son armée auprès de Nuitz xxv, arriva, le deuxième jour de marche depuis le fleuve, à des maisons inhabitées et de grands villages abandonnés. Les Francs, feignant d’être épouvantés, s’étaient retirés dans des bois très enfoncés, et avaient fait des abattis sur la lisière des forêts, après avoir incendié toutes les maisons, croyant, dans leur lâche sottise, que déployer contre ces murs leur fureur, c’était consommer leur victoire. Les soldats, chargés de leurs armes, passèrent la nuit dans l’inquiétude. Dès la pointe du jour, étant entrés dans les bois sous la conduite de Quintinus, ils s’engagèrent presque jusqu’à la moitié du jour dans les détours des chemins, et s’égarèrent tout à fait. À la fin, arrêtés par une enceinte de fortes palissades, ils se répandirent dans des champs marécageux qui touchaient à la forêt. Quelques ennemis se montrèrent sur leur passage, montés sur des troncs d’arbres entassés ou sur des abattis. Du haut de ces tours, ils lançaient, comme si c’eût été avec des machines de guerre, des flèches trempées dans le poison des herbes ; de sorte qu’une mort certaine était la suite des blessures qui n’avaient fait qu’effleurer la peau, même dans des parties du corps où les coups ne sont pas mortels. Bientôt l’armée, environnée d’un grand nombre d’ennemis, se précipita avec empressement dans les plaines que les Francs avaient laissées ouvertes. Les cavaliers s’étant plongés les premiers dans les marais, on y vit périr pêle-mêle les hommes et les chevaux. Les fantassins qui n’étaient pas foulés par le poids des chevaux, plongés dans la fange, et, débarrassant leurs pieds avec peine, se cachaient de nouveau en tremblant dans les bois dont ils venaient à peine de sortir. Les légions ayant rompu leurs rangs furent massacrées. Héraclius, tribun des Joviniens xxvi, ayant été tué ainsi que la plupart des officiers, un petit nombre trouva son salut dans l’obscurité de la nuit et les retraites des forêts. » Ce récit se trouve dans le troisième livre de l’histoire de Sulpice Alexandre.

Dans le quatrième, après avoir raconté le meurtre de Victor, fils du tyran Maxime, il dit : « Dans ce temps [389] Charietton et Syrus, mis à la place de Nannénus, s’opposèrent aux Francs avec une armée dans la Germanie. » Et après quelques mots sur le butin que les Francs avaient remporté de Germanie, il ajoute : « Arbogaste, ne souffrant aucun délai, engagea César à infliger aux Francs le châtiment qu’ils méritaient, à moins qu’ils ne restituassent tout ce que, dans l’année précédente, ils avaient pillé après le massacre des légions, et qu’ils ne livrassent les auteurs de la guerre, afin qu’on les punit d’avoir violé perfidement la paix. »

Il raconte ce qui se passa pendant le commandement de Charietton et Syrus ; et ajoute : « Peu de jours après, ayant eu une courte entrevue avec Marcomer et Sunnon, officiers royaux des Francs, et en ayant reçu des otages, selon la coutume, le général romain se retira à Trèves pour y passer l’hiver. » Comme il les appelle royaux[14] xxvii, nous ne savons s’ils étaient rois ou s’ils en tenaient la place. Le même historien, rapportant la situation critique de l’empereur Valentinien, ajoute : « Pendant que divers événemens se passaient dans la Thrace, en Orient, l’état des affaires était troublé dans la Gaule. Le prince Valentinien, renfermé à Vienne dans l’intérieur de son palais, et presque réduit au-dessous de la condition de simple particulier, le soin des affaires militaires était livré à des satellites Francs, et les affaires civiles étaient passées entre les mains de la faction d’Arbogaste. Parmi tous les soldats engagés dans la milice, on n’en trouvait aucun qui osât obéir aux ordres ou aux discours particuliers du prince. »

Il rapporte ensuite que, « dans la même année, Arbogaste xxviii, poursuivant Sunnon et Marcomer, petits rois francs, avec une haine de barbare, se rendit à Cologne dans la plus grande rigueur de l’hiver, pensant qu’il pénétrerait facilement dans les retraites des Francs, et y mettrait le feu lorsqu’ils ne pourraient plus se cacher en embuscade dans les forêts dépouillées de feuilles et arides. Ayant donc rassemblé une armée, il passa le Rhin, et ravagea le pays des Bructères xxix, qui sont le plus prés de la rive, et un village habité par les Chamaniens xxx, sans que personne se présentât, si ce n’est quelques Ampsuares et Chattes xxxi, commandés par Marcomer, qui se montrèrent sur les plus hauts sommets des collines[15] xxxii. Là, laissant de nouveau ceux qu’il appelle chefs et royaux, il dit clairement que les Francs avaient un roi, lorsqu’il dit, sans indiquer son nom. Ensuite le tyran Eugène, ayant entrepris une expédition militaire [393], après avoir, selon sa coutume, renouvelé les anciens traités avec les rois des Allemands et des Francs, gagna la limite du Rhin pour effrayer les nations sauvages par l’aspect d’une armée très considérable. » C’est là tout ce que l’historien ci-dessus nommé a dit des Francs.

Renatus Profuturus Frigeridus, dont nous avons déjà parlé, rapportant la prise et la destruction de Rome par les Goths [409], dit : « Pendant ce temps, Goar[16] xxxiii, ayant passé aux Romains, Respendial, roi des Allemands, retira son armée des bords du Rhin, car les Vandales étaient en guerre avec les Francs. Le roi Godégisile avait succombé, et une armée de près de vingt mille hommes avait péri par le fer. Les Vandales auraient été détruits si les Alains ne les eussent secourus à temps [406]. » Nous sommes étonnés que, nommant par leur nom les rois des autres nations, l’historien ne dise pas aussi celui du roi des Francs. Cependant lorsqu’il dit que Constantin[17] xxxiv, s’étant emparé du pouvoir, ordonna à son fils Constans de quitter l’Espagne pour le venir trouver, il raconte ce qui suit : « Constantin ayant rappelé d’Espagne son fils Constans [409], qui y régnait en même temps, afin de délibérer ensemble sur l’état des affaires présentes, Constans laissa à Saragosse toute sa cour avec sa femme, confia toutes choses en Espagne à Gérontius, et se rendit sans s’arrêter auprès de son père. Dès qu’ils furent ensemble, après avoir laissé passer plusieurs jours, voyant qu’il n’y avait rien à craindre de l’Italie, Constantin se livra à la débauche et à l’intempérance, et engagea son fils à retourner en Espagne. Pendant que celui-ci, après avoir envoyé ses troupes devant, demeurait encore avec son père, des courriers, arrivant d’Espagne, lui annoncèrent que Gérontius avait établi sur le trône Maxime, un de ses clients[18] [410], et que, secondé des nations barbares, il faisait contre lui des préparatifs de guerre. Effrayés de ces nouvelles, Constans et Décimus Rusticus xxxv, devenu préfet des Gaules de maître des offices qu’il était auparavant, après avoir envoyé Édobie vers les Germains, marchèrent vers les Gaules avec les Francs, les Allemands et toutes leurs troupes, projetant de retourner bientôt auprès de Constantin. De même, lorsqu’il raconte que Constantin était assiégé, l’historien dit : À peine quatre mois s’étaient écoulés depuis que Constantin était assiégé, lorsque tout à coup des messagers venus de la Gaule ultérieure xxxvi annoncèrent que Jovin s’était revêtu des ornemens royaux [411, à Mayence], et qu’accompagné des Bourguignons, des Allemands, des Francs et des Alains, il menaçait les assiégeants avec toute son armée. Les assiégeants pressèrent le siège, et Constantin ouvrit les portes de la ville et se rendit. Conduit aussitôt vers l’Italie, il fut décapité sur les bords du Mincio, par des exécuteurs que le prince envoya au-devant de lui. » Le même historien dit ensuite : Dans le même temps le préfet du tyran Décimils Rusticus, Agroëtius, qui avait été chef des secrétaires de Jovin, et un grand nombre de nobles, étant tombés, en Auvergne, entre les mains des généraux d’Honorius, subirent un rigoureux supplice. Les Francs pillèrent et incendièrent la ville de Trèves dans une seconde irruption xxxvii. »

Astérius ayant été élevé à la dignité de patrice par des lettres de l’empereur, l’historien ajoute : « Dans le même temps [411] Castinus, comte des domestiques, fut mis à la tête d’une expédition contre les Francs et envoyé dans les Gaules. » Voilà ce que ces historiens racontent des Francs. Orose, historien, parle ainsi dans le septième livre de son ouvrage xxxviii : « Stilicon ayant rassemblé les troupes, écrasa les Francs, passa le Rhin, parcourut les Gaules et alla jusque vers les Pyrénées. » Ce sont là les renseignemens que les historiens dont nous avons parlé nous ont laissés sur les Francs, sans nous dire le nom de leurs rois. Un grand nombre racontent que ces mêmes Francs, abandonnant la Pannonie xxxix, s’établirent sur les bords du Mein : qu’ensuite, traversant ce fleuve, ils passèrent dans le pays de Tongres, et que là, dans leurs bourgs et dans leurs villes, ils créèrent, pour les commander, les rois chevelus xl pris dans la première et, pour ainsi dire, la plus noble de leurs familles. Comment les victoires de Clovis assurèrent ensuite ce titre à sa famille, c’est ce que nous montrerons plus tard.

Nous lisons dans les Fastes Consulaires xli que Théodomer, roi des Francs, fils de Richimer, et Aschila sa mère, furent massacrés. On rapporte aussi qu’alors Chlogion, homme puissant et distingué dans son pays, fut roi des Francs ; il habitait Dispargum[19] xlii qui est sur la frontière du pays de Tongres. Les Romains occupaient aussi ces pays, c’est-à-dire vers le midi jusqu’à la Loire. Au-delà de la Loire le pays était soumis aux Goths. Les Bourguignons, attachés aussi à la secte des Ariens, habitaient au-delà du Rhône qui coule auprès de la ville de Lyon. Chlogion, ayant envoyé des espions dans la ville de Cambrai et ayant fait examiner tout le pays, défit les Romains et s’empara de cette ville[20] [vers l’an 445]. Après y être demeuré quelque temps, il conquit le pays qui s’étend jusqu’au fleuve de la Somme. On prétend que le roi Mérovée, qui eut pour fils Childéric, était né de sa race.

Mais il paraît que cette race fut toujours adonnée aux cultes idolâtres, et ne connut pas du tout le vrai Dieu. Ils se firent des images des forêts, des eaux, des oiseaux, des bêtes sauvages et d’autres objets, et s’accoutumèrent à les adorer, leur offrant des sacrifices. Oh ! si cette voix terrible que Dieu fit entendre au peuple par la bouche de Moïse avait frappé les fibres de leurs cœurs : « Vous n’aurez point des dieux étrangers devant moi ; vous ne vous ferez point d’image taillée, ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel, et en bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux sous la terre[21] xliii. » Et ces paroles-ci : « Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, vous ne servirez que lui seul, et vous ne jurerez que par son nom[22] xliv. » Qu’auraient-ils dit s’ils avaient vu quelle vengeance tomba sur les Israélites parce qu’ils avaient adoré le veau d’or, et lorsque après les festins et les chants, après les débauches et les danses, leur bouche impure dit, en parlant de cette idole : « Voici vos dieux, ô Israël ! qui vous ont tiré de l’Égypte[23] xlv ; » il en périt vingt-quatre mille. Qu’auraient-ils dit de ceux qui, s’étant associés aux profanes mystères de Belphégor et mêlés aux femmes Moabites, furent renversés et tués par leurs parens ? Le prêtre Phinée apaisa, par la mort des adultères, la colère de Dieu qui avait envoyé sur eux une plaie, et ce zèle lui fut imputé à justice. Qu’auraient-ils dit si ces paroles terribles que Dieu prononça par la bouche de David avaient retenti à leurs oreilles ? « Parce que tous les dieux des nations sont des démons, mais le Seigneur est le créateur des cieux[24] xlvi. » Et : « Les idoles des nations ne sont que de l’argent et de l’or, et les ouvrages des mains des hommes ; que ceux qui les font leur deviennent semblables, avec tous ceux qui mettent en elles leur confiance[25] xlvii. » Ou celles-ci : « Que tous ceux-là soient confondus qui adorent des ouvrages de sculpture et qui se glorifient dans leurs idoles[26] xlviii. » Et aussi celles que dit le prophète Habacuc [2, 18-20] : « Que sert la statue qu’un sculpteur a faite, ou l’image fausse qui se jette en fonte ? Elle est couverte au-dehors d’or et d’argent, et elle est en dedans sans âme et sans vie ; mais le Seigneur habite dans son temple saint : que toute la terre demeure en silence devant lui[27]. » Un autre prophète dit : « Que les dieux qui n’ont point fait le ciel et la terre périssent sous le ciel, et soient exterminés de la terre[28] xlix. » De même dans un autre endroit : « Car voici ce que dit le Seigneur qui a créé les cieux, le Dieu qui a créé la terre et qui l’a formée, qui lui adonné l’être, et qui ne l’a pas créée en vain, mais qui l’a formée afin qu’elle fût habitée : Je suis le Seigneur, c’est là le nom qui m’est propre, je ne donnerai pas ma gloire ni les hommages qui me sont dus à des idoles[29] l. » Et ailleurs : « Y a-t-il quelqu’un parmi les faux dieux des nations qui fasse pleuvoir[30] li ? » Et il dit encore, par la bouche d’Isaïe [44, 6-20] : « Je suis le premier et je suis le dernier ; y a-t-il donc quelqu’autre Dieu que moi, et un créateur que je ne connaisse pas ? Tous ces artisans d’idoles ne sont rien ; leurs ouvrages les plus estimés ne leur serviront de rien ; ils sont eux-mêmes témoins de leur confusion, que leurs idoles ne voient point et ne comprennent rien. Comment donc un homme est-il assez insensé pour vouloir former un Dieu, et pour jeter en fonte une statue qui n’est bonne à rien ? Tous ceux qui ont part à cet ouvrage seront confondus ; car tous ces artisans ne sont que des hommes. Le forgeron travaille avec sa lime, il met le fer dans le feu et le bat avec le marteau pour en former une idole ; il y emploie toute la force de son bras. Le sculpteur étend sa règle sur le bois, et le forme avec le rabot ; il le dresse à l’équerre, il lui donne ses traits et ses proportions avec le compas, et fait enfin l’image d’un homme qu’il rend le plus beau qu’il peut, et il le loge dans une niche : il en a pris lui-même pour se chauffer, et il prend le reste, il en fait un dieu, et l’adore ; il en fait une image morte devant laquelle il se prosterne, et qu’il prie en lui disant : Délivrez-moi ; car vous êtes mon dieu. J’ai fait du feu de la moitié de ce bois, j’en ai fait cuire du pain sur les charbons, j’y ai fait cuire la chair que j’ai mangée, et du reste j’en ferai une idole ; je me prosternerai devant un tronc d’arbre ; une partie de ce bois est déjà réduite en cendres, et cependant son cœur insensé adore l’autre, et il ne pense point à tirer son âme de l’égarement où elle est, en disant : certainement cet ouvrage de mes mains n’est qu’un mensonge[31]. » La nation des Francs ne comprit pas d’abord cela, mais elle le reconnut plus tard, comme la suite de cette histoire le fera connaître.

Avitus, un des sénateurs, et, comme on sait bien, citoyen de l’Auvergne, ayant été élevé à l’empire de Rome[32] [455], et voulant mener une conduite déréglée, fut chassé par le sénat et nommé ensuite évêque de Plaisance. Ayant découvert que le sénat, encore irrité contre lui, voulait attenter à sa vie, il partit chargé d’un grand nombre d’offrandes pour la basilique du bienheureux martyr saint Julien d’Auvergne. Mais, ayant atteint en route le terme de la carrière de sa vie, il mourut et fut porté au village de Brioude, et enterré aux pieds du martyr ci-dessus nommé. Majorien lui succéda à l’Empire[33] [en 457] ; dans les Gaules, le Romain Ægidius fut nommé maître de la milice.

Childéric, roi des Francs, s’abandonna à une honteuse luxure, déshonorant les femmes de ses sujets. Ceux-ci, s’indignant de cet outrage ; le détrônèrent[34] [457]. Ayant découvert qu’on en voulait même à sa vie, il se réfugia dans la Thuringe, laissant dans son pays un homme lii qui lui était attaché pour qu’il apaisât, par de douces paroles, les esprits furieux. Il lui donna aussi un signe pour qu’il lui fît connaître quand il serait temps de retourner dans sa patrie, c’est-à-dire qu’ils divisèrent en deux une pièce d’or, que Childéric en emporta une moitié, et que son ami garda l’autre, disant : « Quand je vous enverrai cette moitié, et que les deux parties réunies formeront la pièce entière, vous pourrez revenir en toute sûreté dans votre patrie. » Étant donc passé dans la Thuringe, Childéric se réfugia chez le roi Bisin liii et sa femme Basine. Les Francs, après l’avoir détrôné, élurent pour roi, d’une voix unanime, Ægidius qui, ainsi que nous l’avons dit plus haut, avait été envoyé par la république romaine comme maître de la milice. Celui-ci était déjà dans la huitième année de son règne lorsque le fidèle ami de Childéric, ayant secrètement apaisé les Francs, envoya à son prince des messagers pour lui remettre la moitié de la pièce qu’il avait gardée. Celui-ci, voyant par cet indice certain que les Francs désiraient son retour, et qu’ils le priaient eux-mêmes de revenir, quitta la Thuringe, et fut rétabli sur son trône. Tandis qu’il régnait, Basine, dont nous avons parlé plus haut, abandonna son mari pour venir auprès de Childéric. Comme il lui demandait avec empressement par quel motif elle venait d’un pays si éloigné, on dit qu’elle répondit : « J’ai reconnu ton mérite et ton grand courage ; je suis venue pour rester avec toi : sache que si j’avais connu, dans des régions au-delà des mers, un homme plus méritant que toi, j’aurais désiré d’habiter avec lui. » Celui-ci, enchanté, l’épousa. Il en eut un fils qu’on appela du nom de Clovis. Ce fut un grand prince et un redoutable guerrier liv.

Après la mort de saint Artémius [Artème] en Auvergne, Vénérande, un des sénateurs, fut créé évêque. Paulin nous apprend ce que fut ce pontife, en disant lv : « Si vous voyez les pieux pontifes du Seigneur, Exsuspère à Toulouse, Simplicius à Vienne, Amande à Bordeaux, Diogénien à Albi, Dynamius à Angouléme, Vénérande en Auvergne, Alithius à Cahors, ou Pégase à Périgueux, quels que soient les vices du siècle, vous verrez assurément les plus dignes gardiens de la sainteté, de la foi et de la religion. » On dit que Vénérande mourut la veille même du jour de Noël. Le lendemain, une procession solennelle suivit ses obsèques. Après sa mort, il s’éleva parmi les citoyens une honteuse querelle au sujet de l’épiscopat ; et comme les partis en désaccord voulaient chacun en élire un, il y avait parmi le peuple une division très animée. Pendant que les évêques siégeaient un dimanche, une femme voilée et vouée à Dieu s’avança hardiment vers eux, et leur dit : « Écoutez-moi, pontifes du Seigneur ; sachez que les hommes que ces gens-là ont élus pour le sacerdoce ne plaisent point à Dieu, car le Seigneur choisira lui-même aujourd’hui son évêque. Ne soyez donc pas en contestation, et ne troublez pas le peuple ; mais soyez un peu patiens, car le Seigneur vous conduit maintenant celui qui doit gouverner cette Église. » Tandis qu’ils s’étonnaient de ces paroles, arriva tout à coup un homme appelé Rustique lvi [Rustie], qui était un prêtre du diocèse même de la ville de Clermont ; il avait déjà été désigné à cette femme dans une vision. L’ayant vu, elle dit : « Voilà celui qu’a choisi le Seigneur ; c’est là le pontife que le Seigneur vous a destiné : qu’il soit nommé évêque. » Le peuple, entendant ces paroles, mit un terme à toute querelle, proclamant que c’était un bon et digne évêque ; Rustique, placé sur le siège épiscopal, fut le septième qui l’occupa, à la satisfaction du peuple.

Dans la ville de Tours, l’évêque Eustoche étant mort dans la dix-septième année de son pontificat ; on nomma Perpétuus [Perpétue, l’an 460], qui fut le cinquième après saint Martin. Témoin des miracles continuels qui s’opéraient sur le tombeau du saint, et voyant qu’on n’y avait bâti qu’une très petite chapelle, il la trouva indigne de tant de prodiges. L’ayant donc fait enlever, il fit construire la grande basilique qui subsiste encore aujourd’hui, et qui est à cinq cent cinquante pas de la ville. Elle a cent soixante pieds de long et soixante de large. Elle a en hauteur, jusqu’à la voûte, quarante-cinq pieds. Elle a trente-deux fenêtres, du côté de l’autel lvii et vingt dans la nef qui est ornée de quarante et une colonnes. Dans tout l’édifice, il y a cinquante-deux fenêtres, cent vingt colonnes, huit portes, trois du côté de l’autel et cinq dans la nef. Cette basilique a trois fêtes solennelles, pour la dédicace du temple, la translation du corps du saint, et l’anniversaire de sa promotion à l’épiscopat. On célèbre la première le 4 juillet, et la seconde le 11 novembre. Quiconque observera exactement ces fêtes méritera la protection de l’évêque dans ce monde et dans l’autre. Comme la boiserie de la première chapelle était d’une structure élégante, le pontife ne crut pas à propos de laisser périr cet ouvrage. Il fit bâtir, en l’honneur des saints apôtres Pierre et Paul, une autre basilique dans laquelle il fit placer cette boiserie. Il fit construire, au nom de Jésus-Christ, encore un grand nombre de basiliques qui ont subsisté jusqu’à présent.

Dans ce temps, le prêtre Euphronius éleva une basilique au bienheureux martyr Symphorien d’Autun. Dans la suite, Euphronius lui-même parvint à l’évêché de cette ville. Ce fut lui qui envoya, en grande dévotion, le marbre qui est placé sur le tombeau de saint Martin.

Après la mort de l’évêque Rustique, saint Namatius devint en Auvergne le huitième évêque. Il fit bâtir l’église qui subsiste encore, et qui est la principale [la plus ancienne] dans les murs de la ville lviii. Elle a cent cinquante pieds de long, soixante de large, cinquante de haut dans l’intérieur de la nef jusqu’à la voûte ; au devant est une rotonde, et, de chaque côté, les ailes de l’église sont d’une élégante structure, et tout l’édifice est disposé en forme de croix. Elle a quarante-deux fenêtres, soixante-dix colonnes et huit portes. Une pieuse crainte de Dieu se fait sentir dans ce lieu, où pénètre une brillante clarté ; et très souvent les religieux y sentent des parfums qui semblent provenir de doux aromates. Les parois du côté de l’autel sont ornées de différentes espèces de marbres ciselés avec beaucoup d’élégance. L’édifice achevé au bout de douze ans, Namatius envoya à Bologne, ville d’Italie, pour demander les reliques de saint Vitalis et de saint Agricola, crucifiés, comme on sait, pour le saint nom de Christ Notre Dieu.

La femme de Namatius bâtit, dans le faubourg de la ville, la basilique de saint Étienne [saint Eutrope ( Dom Ruinart)]. Voulant la faire orner de peintures, elle avait dans son giron un livre où elle lisait l’histoire des actions des anciens temps, indiquant aux peintres celles qu’ils devaient représenter sur les murailles lix. Il arriva un jour, qu’étant assise dans la basilique, et en train de lire, un pauvre vint pour prier ; et apercevant cette femme vêtue d’une robe sale et déjà avancée en âge, il la prit pour une pauvresse, et lui porta un morceau de pain qu’il posa sur ses genoux, après quoi il s’en alla. Celle-ci, ne dédaignant pas le don du pauvre qui n’avait pas reconnu son rang, l’accepta et le remercia. Elle garda le pain, le plaça devant elle dans tous ses repas, disant chaque jour son bénédicité sur ce pain, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus.

Childéric fit la guerre aux Orléanais lx ; Adovacre vint à Angers avec les Saxons lxi. Une épouvantable peste désola alors le peuple. Ægidius mourut [en octobre 464], laissant un fils nommé Syagrius. Après la mort d’Ægidius, Adovacre reçut des otages d’Angers et d’autres villes. Les Bretons furent chassés de Bourges par les Goths, qui en tuèrent un grand nombre prés du bourg de Dol.

Le comte Paul, avec les Romains et les Francs, fit la guerre aux Goths lxii, sur lesquels il fit un grand butin. Adovacre [Odoacre] étant venu à Angers, le roi Childéric arriva le jour suivant [l’an 471], et ayant tué le comte Paul, il s’empara de la ville. Ce jour-là l’église fut consumée par un grand incendie.

Sur ces entrefaites, la guerre s’alluma entre les Saxons et les Romains. Mais les Saxons prenant la fuite, abandonnèrent un grand nombre des leurs au glaive des Romains qui les poursuivaient. Leurs îles furent prises et ravagées par les Francs qui tuèrent une grande partie des habitants. Le neuvième mois de cette année, il se fit un tremblement de terre. Childéric conclut un traité avec Adovacre, et ils soumirent ensemble les Allemands qui avaient envahi une partie de l’Italie.

Euric, roi des Goths, dans la quatorzième année de son règne, créa Victor duc des sept Cités[35] lxiii. Celui-ci, étant venu subitement en Auvergne, voulut ajouter la cité de Clermont à celles qu’il gouvernait déjà. Ce fut lui qui fit construire les chapelles souterraines qu’on voit encore aujourd’hui dans la basilique de saint Julien lxiv, ainsi que les colonnes qui sont placées dans l’église. Il fit bâtir la basilique de saint Laurent et de saint Germain, dans le bourg de Saint-Germain-de-Lambron. Il resta neuf ans en Auvergne. Il éleva des accusations calomnieuses contre le sénateur Enchérius lxv. Après l’avoir fait mettre en prison, il l’en fit tirer de nuit, le fit attacher à une vieille muraille, et ordonna de la faire écrouler sur lui. Comme il était fort débauché, craignant d’être assassiné par les gens Auvergne, il s’enfuit à Rome ; mais voulant y mener une vie aussi déréglée, il fut lapidé. Euric régna encore quatre ans après la mort de celui-ci [arrivée l’an 484 (Dom Bouquet)]; il mourut dans la vingt-septième [lisez dix-septième] année de son règne[36]. Il y eut alors un grand tremblement de terre.

Namatius, évêque d’Auvergne, étant mort, fut remplacé par Éparchius, homme d’une grande sainteté et de beaucoup de foi. Comme, dans ce temps, l’église avait dans les murs de la ville une petite propriété, l’évêque y demeurait dans l’endroit qu’on nomme à présent la sacristie, et pendant la nuit il se levait pour aller rendre grâces à Dieu à l’autel de l’église. Il arriva qu’une certaine nuit qu’il y alla, il trouva l’église remplie de démons, et leur prince lui-même vêtu à la manière des femmes et assis dans la chaire épiscopale. Le pontife lui dit : « Infâme courtisane, tu ne te contentes pas d’infecter tous les lieux de tes profanations ; tu viens souiller le siège consacré à Dieu, en y posant ton corps dégoûtant ! Retire-toi de la maison de Dieu, ne la profane pas davantage. » Celui-ci lui répliqua : « Puisque tu me donnes le nom de courtisane, je te tendrai beaucoup d’embûches, en t’enflammant de passion pour les femmes. » À ces mots, il s’évanouit comme de la fumée. Il est vrai que le pontife éprouva de violens accès de concupiscence charnelle ; mais, armé du signe de la croix, l’ennemi ne put lui faire aucun mal. On rapporte qu’il fit bâtir sur le sommet du mont Chantoin un monastère, où l’on voit encore son oratoire et où il s’enfermait pendant les saints jours du carême. Le jour de Pâques il s’en retournait à son église en chantant accompagné des clercs et des citoyens, et avec un chœur nombreux qui chantait devant lui. À sa mort [en l’an 473], il fut remplacé par Sidoine, qui avait été préfet[37] lxvi. C’était un homme très noble, selon la dignité du siècle, et un des premiers sénateurs des Gaules ; aussi avait-il obtenu en mariage la fille de l’empereur Avitus[38] lxvii. De son temps, pendant que Victor, dont nous avons parlé ci-dessus, demeurait encore à Clermont, il y avait, dans le monastère de Saint-Cyr de cette même ville, un abbé, nommé Abraham, qui était animé de la foi et des vertus de ce premier patriarche, comme nous l’avons rapporté dans le livre de sa vie lxviii.

Saint Sidoine était doué d’une si grande éloquence que très souvent il improvisait sur-le-champ avec le plus grand éclat sur quelque sujet qu’il voulût. Il arriva qu’un jour il fut invité à la fête de la basilique du monastère dont nous avons parlé ci-dessus ; quelqu’un lui ayant méchamment enlevé le petit livre dont il avait coutume de se servir pour célébrer les fêtes sacrées, il se prépara en très peu de temps, et récita tout l’office de la fête si bien que tout le monde l’admirait, et que les assistants croyaient entendre, non pas un homme, mais un ange. Nous en avons amplement parlé dans la préface du livre que nous avons ajouté aux messes de sa composition lxix. Comme il était d’une admirable sainteté, et, ainsi que nous l’avons dit, un des premiers sénateurs, il emportait souvent de la maison, à l’insu de sa femme, des vases d’argent qu’il distribuait aux pauvres. Lorsque celle-ci en était instruite, elle s’irritait contre lui ; et alors il en donnait le prix aux pauvres et remettait ces meubles dans la maison.

Après que Sidoine se fût consacré au service du Seigneur, et pendant qu’il menait dans ce monde une sainte vie, deux prêtres se soulevèrent contre lui ; et lui ayant enlevé tout pouvoir sur les biens de l’église, ils lui laissèrent à peine de quoi vivre, et lui firent subir les plus grands outrages ; mais la clémence divine ne souffrit point que ces injures restassent longtemps impunies. Un de ces prêtres méchants et indignes l’avait menacé de l’arracher de l’église avant la nuit. Ayant entendu le son qui appelait à Matines, il se leva enflammé de fureur contre le saint de Dieu, et méditant dans son cœur pervers d’accomplir le dessein qu’il avait formé le jour précédent. Mais étant entré dans un privé, il rendit l’âme en s’efforçant de satisfaire ses besoins. Son domestique attendait dehors avec un flambeau que son maître sortît. Le jour approchait déjà. Son complice, c’est-à-dire l’autre prêtre, lui envoya un messager pour lui dire : « Viens, il ne tarde pas, pour que nous accomplissions ensemble ce que nous avons médité hier. » Mais, comme le mort ne répondait pas, le domestique ayant soulevé le voile de la porte[39] lxx, trouva son maître mort sur le siège du privé. On ne peut douter, d’après cela, qu’il ne fût coupable d’un crime aussi grand que cet Arius qui rendit de même ses entrailles dans un privé. On ne peut appeler autrement qu’hérétique celui qui, dans une église, n’obéit pas au pontife de Dieu auquel a été remis le soin de paître les brebis, et qui s’empare du pouvoir que ni Dieu ni les hommes ne lui ont confié.

Le saint pontife, quoiqu’il lui restât encore un ennemi, fût remis en possession de son pouvoir. Il arriva après cela qu’étant attaqué de la fièvre, il devint malade, et pria les siens de le porter dans l’église. Lorsqu’il y fut venu, une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants s’assembla auprès de lui, pleurant et disant : « Pourquoi nous abandonnes-tu, bon pasteur ? ou à qui laisses-tu ceux que ta mort va rendre orphelins ? Quelle sera notre vie après ta mort ? Qui, dans la suite, nous assaisonnera comme toi du sel de la sagesse ? Qui nous inspirera par sa prudence la crainte du saint nom de Dieu ? » Le peuple entremêlait ces paroles de grandes lamentations. Enfin le pontife, se sentant animé du Saint-Esprit, leur répondit : « Ne craignez rien, ô peuples ! voilà que mon frère Apruncule vit, et il sera votre pontife. » Ne comprenant pas ces paroles, ils le croyaient en délire.

Aussitôt après sa mort lxxi, le méchant prêtre qui était resté, animé d’une avidité coupable, s’empara de tous les biens de l’église, comme s’il était déjà évêque, et il disait : « Le Seigneur a enfin jeté les yeux sur moi, et il a vu que j’étais plus juste que Sidoine, et il m’a accordé ce pouvoir. » Tandis qu’il parcourait toute la ville en triomphe arriva le jour du Seigneur, qui n’était pas éloigné de la mort du saint homme. Il prépara un festin, fit inviter tous les citoyens dans la maison épiscopale ou, sans respect pour les vieillards, il se coucha le premier sur son lit. L’échanson, lui ayant offert une coupe, lui dit : « Seigneur, j’ai eu un songe que, si vous le permettez, je vais vous raconter. Je voyais beaucoup de choses la nuit dernière, et voilà, il y avait un grand appartement dans lequel était placé un trône. Sur ce trône était assis un juge, qui l’emportait sur tous les autres par son pouvoir ; il était entouré d’un grand nombre de prêtres en vêtemens blancs, et d’une foule innombrable de peuple. Pendant que je contemplais ces choses en tremblant, j’aperçus le bienheureux Sidoine qui s’élevait au milieu de tous, accusant vivement ce prêtre qui vous était cher, et qui est sorti de ce monde il y a peu d’années : celui-ci ayant été condamné, le roi ordonna qu’on le plongeât dans un sombre cachot. Comme on l’entraînait, Sidoine commença à s’élever contre vous, disant que vous aviez été complice du crime pour lequel cet autre venait d’être condamné. Comme le juge cherchait avec soin quelqu’un pour l’envoyer vers vous, je me cachai parmi les autres et me retournai, craignant, comme je vous suis connu, qu’on ne m’envoyât vers vous. Pendant que je réfléchissais à cela en silence, tout le monde s’étant éloigné, je restai seul ; le juge m’ayant appelé, je m’approchai de lui. À l’aspect de sa puissance et de son éclat, je demeure stupéfait et, chancelant de crainte, il me dit alors : Ne crains rien, jeune homme, mais va, et dis à ce prêtre qu’il vienne pour répondre à l’accusation, car Sidoine a demandé qu’on le fit venir. Ne différez donc pas à vous y rendre, parce que le roi m’a recommandé expressément de vous dire ces choses, me disant : Si tu te tais, tu mourras de la mort la plus cruelle. » À ces mots, le prêtre effrayé laissa échapper la coupe de ses mains, et rendit l’âme. Le mort, enlevé de dessus son lit, fut enseveli, et alla prendre possession de l’enfer avec son complice. Voilà le jugement dont le Seigneur frappa en ce monde les prêtres rebelles ; l’un subit la mort d’Arius ; l’autre, comme Simon-le-Magicien, fut, à la prière du saint apôtre, précipité du faîte de son orgueil. Il n’est pas douteux qu’ils furent plongés ensemble dans l’enfer, pour avoir tous deux persécuté de : leur méchanceté leur saint évêque.

Pendant ce temps, comme le nom des Francs avait pénétré dans ce pays, et que tous désiraient qu’ils y portassent leur empire, saint Apruncule, évêque de la ville de Langres, commença à devenir suspect aux Bourguignons[40] lxxii. La haine croissant de jour en jour contre lui, on ordonna de le faire périr en secret par le glaive. Apruncule en ayant eu connaissance, s’échappa pendant la nuit en se glissant le long du mur du château de Dijon, et se rendit en Auvergne où, selon la parole que le Seigneur avait mise dans la bouche de saint Sidoine, il devint le onzième évêque.

Pendant le pontificat de Sidoine, une grande famine désola la Bourgogne. Comme les peuples se dispersaient dans différens pays, et qu’aucun homme ne fournissait de nourriture aux pauvres, on rapporte qu’Ecdicius lxxiii, sénateur et parent de Sidoine, mettant sa confiance en Dieu, fit alors une belle action. Pendant les ravages de la famine, il envoya ses domestiques avec des chevaux et des chars vers les villes voisines, pour qu’ils lui amenassent ceux qui souffraient de la disette. Ceux-ci l’ayant fait amenèrent à sa maison tous les pauvres qu’ils purent trouver. Là il les nourrit pendant tout le temps de la disette, et les empêcha de mourir de faim. Il y eut, comme beaucoup le rapportent, plus de quatre mille personnes des deux sexes. L’abondance étant revenue, Ecdicius les fit reconduire chacun dans son pays par le même moyen. Après leur départ, il entendit une voix partant du ciel qui lui dit : « Ecdicius, Ecdicius, puisque tu as fait cette action, ta postérité ne manquera jamais de pain, parce que tu as obéi à mes paroles et rassasié ma faim en nourrissant les pauvres. »Beaucoup de gens rapportent que cet Ecdicius était d’un courage admirable. On dit qu’un jour, avec dix hommes lxxiv, il mit en fuite un grand nombre de Goths. On raconte que, pendant la même famine, saint Patient, évêque de Lyon, fit au peuple le même bien. Il nous reste encore une lettre de saint Sidoine [lettre 12 du livre VI], dans laquelle il le loue solennellement à ce sujet.

De son temps, Euric [Eoric ou Euvarex], roi des Goths, sortant des frontières d’Espagne, fit tomber dans les Gaules une cruelle persécution sur les Chrétiens. Il faisait décapiter tous ceux qui ne voulaient pas se soumettre à sa perverse hérésie, et plongeait les prêtres dans des cachots. Quant aux évêques, il envoyait les uns en exil, et faisait périr les autres. Il avait ordonné de barricader les portes des églises avec des épines, afin que l’absence du culte divin fît tomber en oubli la foi. La Gascogne [Novempopulanie] et les deux Aquitaines lxxv furent surtout en proie à ces ravages [vers l’an 467]. Il existe encore aujourd’hui à ce sujet une lettre du noble Sidoine [à l’évêque d’Aix, Basile]. Mais l’auteur de cette persécution ne tarda pas à mourir frappé de la vengeance divine.

Le bienheureux Perpétuus [Perpétue], évêque de la ville de Tours, ayant passé trente ans dans l’épiscopat, s’endormit en paix lxxvi ; on mit à sa place Volusien, un des sénateurs. Mais étant devenu suspect aux Goths, il fut emmené captif en Espagne, dans la septième année de son pontificat ; il ne tarda pas à y mourir. Vérus lui succédant, fut le septième évêque depuis saint Martin.

Après ces événemens, Childéric étant mort lxxvii, son fils Clovis régna à sa place[41] lxxviii. Dans la cinquième année de son règne, Syagrius, roi des Romains et fils Ægidius, résidait dans la ville de Soissons, dont Ægidius s’était autrefois emparé, comme nous l’avons raconté plus haut. Clovis, ayant marché contre lui avec Ragnachaire[42] lxxix, son parent, qui était aussi en possession d’un royaume, lui fit demander de choisir un champ de bataille. Celui-ci ne différa point, et ne craignit pas de lui résister. Le combat s’engagea donc[43] [486]. Syagrius, voyant son armée rompue, prit la fuite et se réfugia avec une extrême promptitude auprès du roi Marie, à Toulouse. Clovis envoya prier Marie de le remettre entre ses mains, disant qu’autrement, s’il le gardait, il lui déclarerait la guerre. Celui-ci, craignant de s’attirer la colère des Francs, car la crainte est ordinaire aux Goths, livra aux députés Syagrius chargé de fers. Clovis, l’ayant reçu, ordonna de le garder ; et, s’étant emparé de son royaume, il le fit égorger secrètement.

Dans ce temps, l’armée de Clovis pilla un grand nombre d’églises, parce que ce prince était encore plongé dans un culte idolâtre. Des soldats avaient enlevé d’une église un vase d’une grandeur et d’une beauté étonnante, ainsi que le reste des ornemens du saint ministère. L’évêque de cette église lxxx envoya vers lui des messagers pour lui demander que, s’il ne pouvait obtenir de recouvrer les autres vases, on lui rendit au moins celui-là. Le roi, ayant entendu ces paroles, dit au messager : « Suis-moi jusqu’à Soissons, parce que c’est là qu’on partagera tout le butin ; et lorsque le sort m’aura donné ce vase, je ferai ce que demande le pontife[44] lxxxi. » Étant arrivés à Soissons, on mit au milieu de la place tout le butin, et le roi dit : « Je vous prie, mes braves guerriers, de vouloir bien m’accorder, outre ma part, ce vase que voici, » en montrant le vase dont nous avons parlé ci-dessus. Les plus sages répondirent aux paroles du roi : « Glorieux roi, tout ce que nous voyons est à toi : nous-mêmes nous sommes soumis à ton pouvoir. Fais donc ce qui te plaît ; car personne ne peut, résister à ta puissance. » Lorsqu’ils eurent ainsi parlé, un guerrier présomptueux, jaloux et emporté, éleva sa francisque et en frappa le vase, s’écriant : « Tu ne recevras de tout ceci rien que ce que te donnera vraiment le sort. » À ces mots tous restèrent stupéfaits. Le roi cacha le ressentiment de cet outrage sous un air de patience. Il rendit au messager de l’évêque le vase qui lui était échu[45] lxxxii, gardant au fond du cœur une secrète colère. Un an s’étant écoulé, Clovis ordonna à tous ses guerriers de venir au Champ-de-Mars lxxxiii revêtus de leurs armes, pour faire voir si elles étaient brillantes et en bon état. Tandis qu’il examinait tous les soldats en passant devant eux, il arriva auprès de celui qui avait frappé le vase, et lui dit : « Personne n’a des armes aussi mal tenues que les tiennes, car ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache, ne sont en bon état ;» et lui arrachant sa hache, il la jeta à terre. Le soldat s’étant baissé un peu pour la ramasser, le roi levant sa francisque, la lui abattit sur la tête, en lui disant : « Voilà ce que tu as fait au vase à Soissons. ]Celui-ci mort, il ordonna aux autres de se retirer. Cette action inspira pour lui une grande crainte. Il remporta beaucoup de victoires dans un grand nombre de guerres. Dans la dixième année de son règne, il fit la guerre aux gens de Tongres[46] [en 491], et les soumit à son pouvoir.

Les Bourguignons avaient pour roi Gondeuch, de la race du roi persécuteur Athanaric, dont nous avons parlé plus haut lxxxiv. Il eut quatre fils, Gondebaud, Godégisile [Géodisèle], Chilpéric et Godomar. Gondebaud égorgea son frère Chilpéric ; et, ayant attaché une pierre au cou de sa femme, il la noya. Il condamna à l’exil les deux filles de Chilpéric. La plus âgée, ayant pris l’habit, s’appelait Chrona, et la plus jeune Clotilde[47] lxxxv. Clovis envoyant souvent des députés en Bourgogne, ceux-ci virent la jeune Clotilde. Témoins de sa beauté et de sa sagesse, et ayant appris qu’elle était du sang royal, ils dirent ces choses au roi Clovis. Celui-ci envoya aussitôt des députés à Gondebaud pour la lui demander en mariage. Gondebaud, craignant de le refuser, la remit entre les mains des députés qui, recevant la jeune fille, se hâtèrent de la mener au roi. Clovis, transporté de joie à sa vue, en fit sa femme [l’an 493]. Il avait déjà d’une concubine un fils nommé Théodoric.

Clovis eut de la reine Clotilde un premier fils [l’an 494]. La reine, voulant qu’il reçût le baptême, adressait sans cesse de pieux conseils au roi, disant : « Les dieux que vous adorez ne sont rien, puisqu’ils ne peuvent se secourir eux-mêmes ni secourir les autres ; car ils sont de pierre, de bois ou de quelque métal. Les noms que vous leur avez donnés sont des noms d’hommes et non de dieux, comme Saturne qui, dit-on, pour ne pas être chassé du trône par son fils, s’échappa par la fuite ; comme Jupiter lui-même, honteusement souillé de tous les vices, qui a déshonoré tant de maris, outragé les femmes de sa propre famille, et qui n’a pu s’abstenir de concubinage avec sa propre sœur, puisqu’elle disait : Je suis la sœur et la femme de Jupiterlxxxvi. Qu’ont jamais pu Mars et Mercure ? Ils possèdent plutôt la science de la magie qu’une puissance divine. Le Dieu qu’on doit adorer est celui qui, par sa parole, a tiré du néant le ciel et la terre, la mer et toutes les choses qui y sont contenues ; qui a fait briller le soleil, et a orné le ciel d’étoiles ; qui a rempli les eaux de poissons, la terre d’animaux, et les airs d’oiseaux ; à l’ordre duquel la terre se couvre de plantes, les arbres de fruits et les vignes de raisins ; dont la main a produit le genre humain ; qui a donné enfin à l’homme son ouvrage avec toutes les créatures pour lui obéir et le servir. »

Ces paroles de la reine ne portaient nullement l’esprit du roi à la foi sainte, mais il disait : « C’est par l’ordre de nos dieux que toutes choses sont créées et produites ; il est clair que votre Dieu, ne peut rien ; bien plus, il est prouvé qu’il n’est pas de la race des dieux. » Cependant la reine fidèle présenta son fils au baptême : elle fit décorer l’église de voiles et de tapisseries, pour que cette pompe attirât vers la foi catholique le roi que ses discours n’avaient pu toucher. L’enfant ayant été baptisé et appelé Ingomer, mourut dans la semaine même de son baptême lxxxvii. Le roi, aigri de cette perte, faisait à la reine de vifs reproches, lui disant : « Si l’enfant avait été consacré au nom de mes dieux, il vivrait encore ; mais, comme il a été baptisé au nom de votre Dieu, il n’a pu vivre. » La reine lui répondit : « Je rends grâces au puissant Créateur de toutes choses, qui ne m’a pas jugée indigne de voir associé à son royaume l’enfant né de mon sein. Cette perte n’a pas affecté mon âme de douleur, parce que je sais que les enfants que Dieu retire du monde, quand ils sont encore dans les aubes, sont nourris de sa vue. » Elle engendra ensuite un second fils, qui reçut au baptême le nom de Chlodomir. Cet enfant étant tombé malade, le roi disait : « Il ne peut lui arriver autre chose que ce qui est arrivé à son frère, c’est-à-dire qu’il meure aussitôt après avoir été baptisé au nom de votre Christ. Mais le Seigneur accorda la santé de l’enfant aux prières de sa mère [l’an 496].

La reine ne cessait de supplier le roi de reconnaître le vrai Dieu et d’abandonner les idoles ; mais rien ne put l’y décider, jusqu’à ce qu’une guerre s’étant engagée avec les Allemands, il fut forcé, par la nécessité, de confesser ce qu’il avait jusque-là voulu nier. Il arriva que les deux armées se battant avec un grand acharnement[48] lxxxviii, celle de Clovis commençait à être taillée en pièces ; ce que voyant, Clovis éleva les mains vers le ciel, et le cœur touché et fondant en larmes, il dit : « Jésus-Christ, que Clotilde affirme être Fils du Dieu vivant, qui, dit-on, donnes du secours à ceux qui sont en danger, et accordes la victoire à ceux qui espèrent en toi, j’invoque avec dévotion la gloire de ton secours : si tu m’accordes la victoire sur mes ennemis, et que je fasse l’épreuve de cette puissance dont le peuple, consacré à ton nom, dit avoir reçu tant de preuves, je croirai en toi, et me ferai baptiser en ton nom ; car j’ai invoqué mes dieux, et, comme je l’éprouve, ils se sont éloignés de mon secours ; ce qui me fait croire qu’ils ne possèdent aucun pouvoir, puisqu’ils ne secourent pas ceux qui les servent. » Je t’invoque donc, je désire croire en toi ; seulement que j’échappe à mes ennemis. Comme il disait ces paroles, les Allemands, tournant le dos, commencèrent à se mettre en déroute ; et voyant que leur roi était mort, ils se rendirent à Clovis, en lui disant : « Nous te supplions de ne pas faire périr notre peuple, car nous sommes à toi. » Clovis, ayant arrêté le carnage et soumis le peuple rentra en paix dans son royaume, et raconta à la reine comment il avait obtenu la victoire en invoquant le nom du Christ.

Alors la reine manda en secret saint Remi, évêque de Reims, le priant de faire pénétrer dans le cœur du roi la parole du salut. Le pontife, ayant fait venir Clovis, commença à l’engager secrètement à croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre, et à abandonner ses idoles qui n’étaient d’aucun secours, ni pour elles-mêmes, ni pour les autres. Clovis lui dit : « Très saint père, je t’écouterai volontiers ; mais il reste une chose, c’est que le peuple qui m’obéit ne veut pas abandonner ses dieux ; j’irai à eux et je leur parlerai d’après tes paroles. » Lorsqu’il eut assemblé ses sujets, avant qu’il eût parlé, et par l’intervention de la puissance de Dieu, tout le peuple s’écria unanimement : « Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche saint Remi. » On apporta cette nouvelle à l’évêque qui, transporté d’une grande joie, ordonna de préparer les fonts sacrés. On couvre de tapisseries peintes les portiques intérieurs de l’église, on les orne de voiles blancs ; on dispose les fonts baptismaux ; on répand des parfums, les cierges brillent de clarté, tout le temple est embaumé d’une odeur divine, et Dieu fit descendre sur les assistants une si grande grâce qu’ils se croyaient transportés au milieu des parfums du Paradis. Le roi pria le pontife de le baptiser le premier. Le nouveau Constantin s’avance vers le baptistère, pour s’y faire guérir de la vieille lèpre qui le souillait, et laver dans une eau nouvelle les tâches hideuses de sa vie passée. Comme il s’avançait vers le baptême, le saint de Dieu lui dit de sa bouche éloquente : « Sicambre lxxxix, abaisse humblement ton cou : adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. » Saint Remi était un évêque d’une grande science, et livré surtout à l’étude de la rhétorique ; il était si célèbre par sa sainteté qu’on égalait ses vertus à celles de saint Silvestre. Nous avons un livre de sa vie où il est dit qu’il ressuscita un mort.

Le roi, ayant donc reconnu la toute-puissance de Dieu dans la Trinité, fut baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et oint du saint chrême avec le signe de la croix ; plus de trois mille hommes de son armée furent baptisés. On baptisa aussi sa sœur Alboflède, qui, quelque temps après, alla joindre le Seigneur. Comme le roi était affligé de cette perte, saint Remi lui envoya, pour le consoler, une lettre qui commençait ainsi : « Je suis affligé autant qu’il faut de la cause de votre tristesse, la mort de votre sœur Alboflède, d’heureuse mémoire ; mais nous pouvons nous consoler, car elle est sortie de ce monde plus digne d’envie que de pleurs. » L’autre sœur de Clovis, nommée Lantéchilde, qui était tombée dans l’hérésie des Ariens, se convertit ; et ayant confessé que le Fils et le Saint-Esprit étaient égaux au Père, elle fut rebaptisée.

Gondebaud et Godégisile son frère occupaient le royaume des Bourguignons, situé aux environs du Rhône et de la Saône, et la province de Marseille. Ils adhéraient, ainsi que leurs sujets, à la secte des Ariens. Une guerre s’étant engagée entre eux, Godégisile, instruit des victoires du roi Clovis, lui envoya secrètement des députés pour lui dire que, s’il lui fournissait du secours pour faire la guerre [l’an 500] à son frère et qu’il pût tuer celui-ci ou le renverser du trône, il lui paierait tous les ans le tribut qu’il voudrait exiger. Clovis y consentit volontiers, et lui promit de lui fournir du secours partout où il en aurait besoin. Au temps marqué, Clovis se mit en marche avec son armée contre Gondebaud[49]. À cette nouvelle, Gondebaud, ignorant la ruse de son frère, fit dire à celui-ci : Viens à mon secours, car les Francs marchent contre nous, et viennent dans notre pays pour s’en emparer : soyons donc d’accord pour repousser une nation ennemie, de peur que, séparés, nous n’éprouvions le même sort que les autres peuples. Celui-ci lui répondit : « J’irai avec mon armée, et je te fournirai du secours. » Les trois armées, c’est-à-dire celle de Clovis contre celles de Gondebaud et de Godégisile, s’étant mises en marche avec tout leur appareil de guerre, elles arrivèrent auprès du fort nommé Dijon. En étant venus aux mains prés la rivière d’Ouche xc, Godégisile se joignit à Clovis, et leurs armées réunies taillèrent en pièces celle de Gondebaud. Celui-ci, voyant la perfidie de son frère qu’il n’avait pas soupçonnée, tourna le dos et prit la fuite. Ayant parcouru les bords du Rhône et les marais qui l’avoisinent, il entra dans la ville d’Avignon. Godégisile ayant donc remporté la victoire, après avoir promis à Clovis quelque partie de ses états, se retira en paix, et entra en triomphe dans Vienne, comme s’il était déjà possesseur de tout le royaume. Clovis, ayant encore augmenté ses forces, se mit à la poursuite de Gondebaud pour l’arracher de la ville et le faire périr. À cette nouvelle, Gondebaud, saisi d’épouvante, craignit qu’une mort soudaine ne vînt le frapper. Il avait avec lui un homme célèbre, nommé Aridius xci, courageux et sage. L’ayant fait venir, il lui dit : « De tous côtés je suis entouré d’embûches, et ne sais ce que je dois faire, parce que ces barbares viennent sur nous pour nous tuer et ravager ensuite notre pays. » Aridius lui répondit : « Il faut, pour ne pas périr, que vous apaisiez la férocité de cet homme. Maintenant, si cela vous plaît, je feindrai de vous fuir et de passer vers lui ; et lorsque je me serai réfugié vers lui, je ferai en sorte qu’il ne détruise ni vous ni cette contrée. Veuillez seulement lui accorder, ce qu’il vous demandera par mon conseil, jusqu’à ce que la clémence du Seigneur daigne faire prospérer votre cause. » Et Gondebaud lui dit : « Je ferai ce que tu auras demandé. » Après ces mots, Aridius prit congé, du roi et s’éloigna. Étant arrivé, vers le roi, Clovis, il lui dit : « Voilà que moi, ton humble esclave, très pieux roi, je viens me livrer en ta puissance, abandonnant le misérable Gondebaud. Si ta clémence daigne jeter les yeux sur moi, tu verras en moi un serviteur intègre et fidèle pour toi et tes successeurs. » Le roi l’ayant aussitôt reçu, le garda avec lui ; car il était enjoué dans ses récits, sage dans les conseils, juste dans ses jugemens, et fidèle dans ce qu’on lui confiait.

Clovis ayant campé avec son armée sous les murs de la ville, Aridius lui dit : « Si la gloire de ta grandeur, ô roi, daigne accueillir les petits conseils de ma faiblesse, quoique tu n’aies pas besoin d’avis, je te les donnerai avec une entière fidélité, et ils pourront être utiles et à toi, et au pays que tu te proposes de traverser. Pourquoi retiens-tu ton armée, lorsque ton ennemi est, dans un lieu très fortifié ? Tu désoles les campagnes, tu ravages les prés, tu coupes les vignes, tu abats les oliviers ; enfin, tu détruis toutes les productions du pays, et tu ne peux cependant lui faire aucun mal. Envoie-lui plutôt des députés, et impose-lui un tribut qu’il te payera tous les ans ; de cette manière, la contrée sera délivrée, et tu seras toujours le maître de celui qui te payera un tribut. Si Gondebaud n’y consent pas, tu agiras alors comme il te plaira. » Le roi ayant accueilli ce conseil, ordonna à ses guerriers de retourner chez eux. Ayant donc envoyé une députation à Gondebaud, il lui prescrivit de lui payer exactement tous les ans le tribut qu’il lui imposait. Gondebaud le paya sur le champ, et promit d’en faire autant par la suite.

Après cela, Gondebaud ayant repris des forces, et négligeant déjà de payer au roi Clovis le tribut qu’il lui avait promis, fit marcher une armée contre Godégisile, son frère, et l’assiégea dans la ville de Vienne. Dès que les vivres commencèrent à manquer au bas peuple, Godégisile craignant que la disette ne s’étendît jusqu’à lui, fit chasser de la ville tous les pauvres gens. Cela fait, parmi ceux qui furent renvoyés se trouva un ouvrier de la ville à qui était confié le soin des aqueducs. Irrité d’avoir été renvoyé avec les autres, il alla, tout furieux, trouver Gondebaud et lui indiqua par quel endroit il pourrait envahir la ville pour se venger de son frère. S’étant mis à la tête de l’armée, l’ouvrier dirigea par l’aqueduc les troupes, précédées d’un grand nombre d’hommes armés de leviers de fer. Il y avait un soupirail bouché par une grosse pierre ; quand on l’eut renversée au moyen des leviers, et sous la direction de l’ouvrier, ils entrèrent dans la ville, et surprirent par-derrière les soldats qui lançaient des flèches du haut des remparts. Ayant sonné de la trompette au milieu de la ville, les assiégeants s’emparent des portes, et les ayant ouvertes, ils se précipitent tous ensemble dans les rues, tandis qu’au milieu de ces deux armées le peuple était massacré des deux côtés. Godégisile se réfugia dans l’église des hérétiques, où il fut tué avec l’évêque arien. Les Francs qui étaient, dans ce temps, auprès de Godégisile, se retirèrent tous dans une seule tour. Gondebaud ayant ordonné qu’on ne leur fit aucun mal, les fit prisonniers, et les envoya en exil à Toulouse, auprès du roi Marie. Il fit ensuite périr les sénateurs et les Bourguignons du parti de Godégisile. Il remit sous sa domination tout le pays qu’on nomme actuellement la Bourgogne. Il y institua des lois plus douces, pour qu’on n’opprimât pas les Romains[50] xcii.

Ayant reconnu la fausseté des assertions des hérétiques, après avoir confessé que le Christ, fils de Dieu, et le Saint-Esprit sont égaux au Père xciii, Gondebaud alla en secret demander à saint Avitus, évêque de Vienne, d’être rebaptisé. Le pontife lui, dit : « Quiconque me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi moi-même devant mon père qui est aux cieux[51] ; et quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi moi-même devant mon Père qui est dans les cieux xciv. Ainsi parlait le Seigneur à ses saints chéris et aux bienheureux apôtres, lorsqu’il leur annonçait les épreuves de persécution qu’ils auraient à subir, leur disant : Donnez-vous de garde des hommes, car ils vous feront comparaître dans leurs assemblées, et ils vous feront fouetter dans leurs synagogues ; et vous serez présentés, à cause de moi, aux gouverneurs et aux rois, pour leur servir de témoignage aussi bien qu’aux nations[52] xcv. Mais vous qui êtes roi, et n’avez pas peur qu’on vous saisisse, vous craignez la révolte du peuple, et ne confessez pas le Créateur en présence de tous ! Laissez là cette folle erreur ; et ce que vous dites croire dans votre cœur, prononcez-le de bouche au milieu du peuple. Un saint apôtre dit : Il faut croire de cœur pour être justifié, et confesser sa foi par ses paroles pour être sauvé[53] xcvi. Le prophète dit aussi : Je publierai vos louanges, Seigneur, dans une grande assemblée ; je vous louerai au milieu d’un peuple très nombreux[54] xcvii. Et aussi : Je chanterai et je ferai retentir vos louanges sur les instrumens[55] xcviii. Tu crains le peuple, ô roi ! tu ignores donc qu’il doit suivre ta foi, et que tu ne dois point remontrer favorable à ses faiblesses ; car tu es le chef du peuple, et le peuple n’est pas ton chef. Si tu vas à la guerre, tu es à la tête des guerriers, et ils te suivent où tu veux les mener. Il vaut mieux que, marchant à ta suite, ils connaissent la vérité, que si, après ta mort, ils demeuraient dans l’erreur, car on ne se joue pas de Dieu ; et il n’aime pas celui qui, pour un royaume terrestre, ne le confesse pas dans ce monde. Confus de tant de sagesse, Gondebaud persista cependant, jusqu’à la fin de sa vie, dans cette folle conduite, et ne voulut jamais confesser publiquement l’égalité de la Trinité. Le bienheureux Avitus était alors un homme d’une grande éloquence. Les hérésies commençant à s’élever dans la ville de Constantinople, tant celle qu’enseignait Eutychès que celle de Sabellius xcix, et qui soutenaient toutes deux qu’il n’y a rien de divin dans Notre-Seigneur, il écrivit, à la demande du roi Gondebaud, contre ces coupables erreurs. Il nous reste encore de lui des lettres admirables, qui édifient à présent l’église de Dieu, comme autrefois elles confondirent l’hérésie. Il a composé un livre d’homélies sur l’origine du monde, six livres arrangés en vers sur divers autres sujets, et neuf livres de lettres qui contiennent celles dont nous venons de parler c. Il rapporte, dans une homélie sur les Rogations, que ces mêmes Rogations que nous célébrons avant le triomphe de l’ascension du Seigneur, furent instituées par Mamertus, évêque de Vienne ci, dont Avitus était alors lui-même le pontife, à l’occasion d’un grand nombre de prodiges qui épouvantaient cette ville. Il y avait souvent des tremblemens de terre, et les loups et autres bêtes féroces, entrant par les portes, erraient, sans rien craindre, par toute la ville. Comme ces choses se passaient dans le cours de l’année, l’arrivée de la fête de Pâques fit espérer au peuple fidèle que la miséricorde de Dieu mettrait, le jour de cette grande solennité, un terme à leur épouvante. Mais la veille même de cette glorieuse nuit, pendant qu’on célébrait les cérémonies de la messe, tout à coup le palais royal, situé dans la ville, fut embrasé du feu divin. Tous furent saisis de terreur, et abandonnèrent l’église, craignant que cet incendie ne consumât toute la ville, et que la terre ébranlée ne s’entrouvrît. Le saint évêque, prosterné devant l’autel, supplia, en gémissant et pleurant, la miséricorde de Dieu. Que dirai-je ? la prière de l’illustre pontife pénétra jusqu’aux cieux, et le fleuve de larmes qu’il répandait éteignit l’incendie du palais. Pendant que ces choses se passaient, le jour de l’ascension du Seigneur approchant, comme nous l’avons dit plus haut, il prescrivit un jeûne aux peuples, et régla la forme des prières, l’ordre des lectures pieuses, ainsi que la manière de célébrer les Rogations. Tous les sujets d’épouvante s’étant alors dissipés, la nouvelle de ce fait se répandit dans toutes les provinces, et porta tous les évêques à imiter ce qu’avait inspiré à Mamertus sa profonde foi. On célèbre encore aujourd’hui, au nom de Jésus-Christ, ces cérémonies dans toutes les églises, avec componction du cœur et contrition d’esprit.

Alaric, roi des Goths, voyant les conquêtes continuelles que faisait Clovis, lui envoya des députés pour lui dire : « Si mon frère y consent, j’ai dessein que nous ayons une entrevue cii sous les auspices de Dieu. » Clovis, y consentant, alla vers lui. S’étant joints dans une île de la Loire, située auprès du bourg d’Amboise, sur le territoire de la cité de Tours, ils conversèrent, mangèrent et burent ensemble ; après s’être promis amitié, ils se retirèrent en paix.

Beaucoup de gens, dans toutes les Gaules, désiraient alors extrêmement être soumis à la domination des Francs. Il arriva que Quintien, évêque de Rodez, haï pour ce sujet, fut chassé de la ville. On lui disait : « C’est parce que ton vœu est que la domination des Francs s’étende sur ce pays. » Peu de jours après, une querelle s’étant élevée entre lui et les citoyens, les Goths, qui habitaient cette ville, ressentirent de violens soupçons ; car ces citoyens reprochaient à Quintien de vouloir les soumettre aux Francs ; et, ayant tenu conseil, ils résolurent de le tuer. L’homme de Dieu, en ayant été instruit, se leva pendant la nuit avec ses plus fidèles ministres, et, sortant de la ville de Rodez, il se retira en Auvergne, où l’évêque saint Euphrasius, qui avait succédé à Apruncule de Dijon, le reçut avec bonté, et lui ayant fait présent de maisons, de champs et de vignes, le garda avec lui, disant : « Le revenu de cette église est assez considérable pour nous entretenir tous deux ; que la charité que recommande le saint apôtre reste au moins entre les pontifes de Dieu. » L’évêque de Lyon lui fit aussi présent de quelques propriétés de son église, situées dans l’Auvergne. Ce qui concerne saint Quintien et les maux qu’il souffrit, aussi bien que les choses que Dieu daigna accomplir par ses mains, se trouve raconté dans le livre de sa vie ciii.

Le roi Clovis dit à ses soldats [l’an 507] : « Je supporte avec grand chagrin que ces Ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir. » Ce discours ayant plu à tous les guerriers, l’armée se mit en marche et se dirigea vers Poitiers ; là se trouvait alors Alaric. Mais comme une partie de l’armée civ passait sur le territoire de Tours, par respect pour saint Martin, Clovis donna l’ordre que personne ne prît dans ce pays autre chose que des légumes et de l’eau. Un soldat de l’armée s’étant emparé du foin d’un pauvre homme, dit : « Le roi ne nous a-t-il pas recommandé de ne prendre que de l’herbe et rien autre chose ? Et bien, c’est de l’herbe. Nous n’aurons pas transgressé ses ordres si nous la prenons. » Et ayant fait violence au pauvre, il lui arracha son foin par force.

Ce fait parvint aux oreilles du roi. Ayant aussitôt frappé le soldat de son épée, il dit : « Où sera l’espoir de la victoire, si nous offensons saint Martin ? » Ce fut assez pour empêcher l’armée de rien prendre dans ce pays. Le roi renvoya des députés à la basilique du saint, leur disant : « Allez, et vous trouverez peut-être dans le saint temple quelque présage de la victoire. » Après leur avoir donné des présens pour orner le lieu saint, il ajouta : « Seigneur, si vous êtes mon aide, et si vous avez résolu de livrer en mes mains cette nation incrédule et toujours ennemie de votre nom, daignez me faire voir votre faveur à l’entrée de la basilique de saint Martin, afin que je sache si vous daignerez être favorable à votre serviteur. » Les envoyés s’étant hâtés arrivèrent à la sainte basilique, selon l’ordre du roi ; au moment où ils entraient, le premier chantre entonna tout à coup cette antienne : « Seigneur, vous m’avez revêtu de force pour la guerre, et vous avez abattu sous moi ceux qui s’élevaient contre moi, et vous avez fait tourner le dos à mes ennemis devant moi, et vous avez exterminé ceux qui me haïssaient[56] cv. » Ayant entendu ce psaume, et rendu grâce à Dieu, ils présentèrent les dons au saint confesseur, et allèrent pleins de joie annoncer au roi ce présage. L’armée étant arrivée sur les bords de la Vienne, on ignorait entièrement dans quel endroit il fallait passer ce fleuve, car il était enflé par une inondation de pluie. Pendant la nuit le roi ayant prié le Seigneur de vouloir bien lui montrer un gué par où l’on pût passer, le lendemain matin, par l’ordre de Dieu, une biche d’une grandeur extraordinaire entra dans le fleuve aux yeux de l’armée, et passant à gué, montra par où on pouvait traverser. Arrivé sur le territoire de Poitiers, le roi se tenait dans sa tente sur une élévation ; il vit de loin un feu qui sortait de la basilique de saint Hilaire, et semblait voler vers lui, comme pour indiquer qu’aidé de la lumière du saint confesseur Hilaire, le roi triompherait plus futilement de ces bandes hérétiques, contre qui le pontife lui-même avait souvent soutenu la foi. Clovis défendit a toute l’armée de dépouiller personne ou de piller le bien de qui que ce soit dans cet endroit ou dans la route.

Il y avait dans ce temps un homme d’une admirable sainteté, l’abbé Maxence, renfermé par la crainte de Dieu dans son monastère situé dans le territoire de Poitiers. Nous n’indiquons pas au lecteur le nom de ce monastère, parce que cet endroit s’appelle encore aujourd’hui la chapelle de Saint-Maxence ; les moines, voyant qu’un corps de troupes s’avançait vers le monastère, prièrent leur abbé de sortir de sa cellule pour les exhorter à se retirer. Effrayés de ce qu’il tardait, ils ouvrirent la porte et le firent sortir de la cellule. Maxence marcha courageusement au-devant de la troupe, comme pour demander la paix ; un soldat avait tiré son épée pour lui trancher la tête, mais sa main qu’il avait levée jusques auprès de son oreille, se raidit tout à coup et l’épée tomba en arrière. Le soldat, se prosternant aux pieds du saint homme, lui demanda pardon. À cette vue, les autres, saisis d’une brande terreur, retournèrent à l’armée craignant de subir le même sort. Le saint confesseur ayant touché le bras du soldat avec de l’huile bénite, et fait le signe de la croix, lui rendit la santé ; ainsi sa protection préserva le monastère de tout outrage. Il fit encore un grand nombre d’autres miracles. Si quelqu’un est curieux de s’en instruire, il les trouvera tous en lisant le livre de sa vie. C’était la vingt-cinquième année de Clovis.

Cependant Clovis en vint aux mains avec Alaric, roi des Goths, dans le champ de Vouglé à trois lieues de la ville de Poitiers[57] cvi. Les Goths ayant pris la fuite selon leur coutume, le roi Clovis, aidé de Dieu, remporta la victoire ; il avait pour allié le fils de Sigebert-Claude[58] cvii, nommé Chlodéric. Ce Sigebert boitait d’un coup qu’il avait reçu au genou à la bataille de Tolbiac contre les Allemands. Le roi, après avoir mis les Goths en fuite et tué leur roi Alaric, fut tout à coup surpris par derrière, par deux soldats qui lui portèrent des coups de lance sur les deux côtés. Mais la bonté de sa cuirasse et la légèreté de son cheval le préservèrent de la mort. Il périt dans cette bataille un grand nombre d’Auvergnats qui étaient venus avec Apollinaire cviii, ainsi que les premiers des sénateurs. Après le combat, Amalaric, fils d’Alaric, s’enfuit en Espagne et gouverna avec sagesse le royaume de son père. Clovis envoya, son fils Théodoric en Auvergne par Albi et Rodez ; celui-ci soumit à son père toutes les villes depuis la frontière des Goths jusqu’à celle des Bourguignons cix. Alaric avait régné vingt-deux ans. Clovis après avoir passé l’hiver dans la ville de Bordeaux et emporté de Toulouse tous les trésors d’Alaric, marcha sur Angoulême. Le Seigneur lui accorda une si grande grâce qu’à sa vue les murs s'écroulèrent d’eux-mêmes. Après en avoir chassé les Goths, il soumit la ville à son pouvoir ; ayant ainsi complété sa victoire ; il rentra dans Tours et offrit un grand nombre de présens à la sainte basilique du bienheureux Martin [l’an 508].

Clovis ayant reçu de l’empereur Anastase des lettres de consul[59] cx, fut revêtu, dans la basilique de Saint Martin, de la tunique de pourpre et de la chlamyde, et posa la couronne sur sa tête. Ensuite, étant monté à cheval, il jeta de sa propre main, avec une extrême bienveillance, de l’or et de l’argent au peuple assemblé sur le chemin qui est entre la porte du vestibule de la basilique de Saint-Martin et l’église de la ville, et, depuis ce jour, il fut appelé consul ou Auguste. Ayant quitté Tours il vint a Paris et y fixa le siège de son empire. Théodoric vint l’y trouver.

À la mort d’Eustoche, évêque de Tours, Licinius fut créé le neuvième évêque de cette ville depuis saint Martin. C’est de son temps qu’eut lieu la guerre dont nous venons de parler, et que le roi Clovis vint à Tours. On rapporte que cet évêque voyagea dans l’Orient ; visita les lieux saints, alla même à Jérusalem, et qu’il contempla souvent le théâtre de la passion et de la résurrection de Notre Seigneur, que nous lisons dans l’Évangile.

Le roi Clovis, pendant son séjour à Paris [l’an 509], envoya en secret au fils de Sigebert, lui faisant dire : « Voilà que ton père est âgé, et, il boite de son pied malade ; s’il venait à mourir, son royaume t’appartiendrait de droit ainsi que notre amitié. » Séduit par cette ambition, Chlodéric forma le projet de tuer son père. Sigebert, étant sorti de la ville de Cologne, et ayant passé le Rhin pour se promener dans la forêt de Buconia[60] cxi, s’endormit à midi dans sa tente ; son fils envoya contre lui des assassins et le fit tuer, dans l’espoir qu’il posséderait son royaume. Mais, par le jugement de Dieu, il tomba dans la fosse qu’il avait méchamment creusée pour son père. Il envoya au roi Clovis des messagers pour lui annoncer la mort de son père et lui dire : « Mon père est mort, et j’ai en mon pouvoir ses trésors et son royaume. Envoie-moi quelques-uns des tiens, et je leur remettrai volontiers ceux des trésors qui te plairont. » Clovis lui répondit : « Je rends grâces à ta bonne volonté, et je te prie de montrer tes trésors à mes envoyés, après quoi tu les posséderas tous. » Chlodéric montra donc aux envoyés les trésors de son père. Pendant qu’ils les examinaient, le prince dit : « C’est dans ce coffre que mon père avait coutume d’amasser ses pièces d’or. » Ils lui dirent : « Plongez votre main jusqu’au fond pour trouver tout. » Lui l’ayant fait et s’étant tout à fait baissé, un des envoyés leva sa francisque et lui brisa le crâne. Ainsi cet indigne fils subit la mort dont il avait frappé son père. Clovis, apprenant que Sigebert et son fils étaient morts, vint dans cette même ville, et ayant convoqué tout le peuple il lui dit : « Écoutez ce qui est arrivé. Pendant que je naviguais sur le fleuve de l’Escaut, Chlodéric, fils de mon parent, tourmentait son père en lui disant que je voulais le tuer. Comme Sigebert fuyait à travers la forêt de Buconia, Chlodéric a envoyé contre lui des meurtriers qui l’ont mis à mort ; lui-même a été assassiné, je ne sais par qui, au moment où il ouvrait les trésors de son père. Je ne suis nullement complice de ces choses. Je ne puis répandre le sang de mes parens, car cela est défendu ; mais, puisque ces choses sont arrivées, je vous donne un conseil, s’il vous est agréable, acceptez-le. Ayez recours à moi, mettez-vous sous ma protection. » Le peuple répondit à ces paroles par des applaudissemens de main et de bouche, et, l’ayant élevé sur un bouclier, ils le créèrent leur roi. Clovis reçut donc le royaume et les trésors de Sigebert et les ajouta à sa domination. Chaque jour Dieu faisait tomber ses ennemis sous sa main et augmentait son royaume, parce qu’il marchait le cœur droit devant le Seigneur et faisait les choses qui sont agréables à ses yeux cxii.

Il marcha ensuite contre le roi Chararic[61] cxiii. Dans la guerre contre Syagrius, Clovis l’avait appelé à son secours ; mais Chararic se tint loin de lui et ne secourut aucun parti, attendant l’issue du combat pour faire alliance avec celui qui remporterait la victoire. Indigné de cette action, Clovis s’avança contre lui, et, l’ayant entouré de piéges, le fit prisonnier avec son fils, et les fit tondre tous deux, enjoignant que Chararic fût ordonné prêtre et son fils diacre. Comme Chararic s’affligeait de son abaissement et pleurait, on rapporte que son fils lui dit : « Ces branches ont été coupées d’un arbre vert et vivant, il ne se sèchera point, et en poussera rapidement de nouvelles. Plaise à Dieu que celui qui a fait ces choses ne tarde pas davantage à mourir ! » Ces paroles parvinrent aux oreilles de Clovis, qui crut qu’ils le menaçaient de laisser croître leur chevelure et de le tuer ; il ordonna alors qu’on leur tranchât la tête à tous deux. Après leur mort, il s’empara de leur royaume, de leurs trésors et de leurs sujets.

Il y avait alors à Cambrai lui roi nommé Ragnachaire, si effréné dans ses débauches qu’à peine épargnait-il ses proches parens eux-mêmes. Il avait un conseiller nommé Farron, qui se souillait de semblables dérèglemens. On rapporta que lorsqu’on apportait au roi quelque mets ou quelque don, ou quelque objet que ce soit, il avait coutume de dire que c’était pour lui et son Farron, ce qui excitait chez les Francs une indignation extrême. Il arriva que Clovis ayant fait faire des bracelets et des baudriers de faux or (car c’était seulement du cuivre doré), les donna aux Leudes[62] cxiv de Ragnachaire pour les exciter contre lui. Il marcha ensuite contre lui avec son armée. Ragnachaire avait des espions pour reconnaître ce qui se passait. Il leur demanda, quand ils furent de retour, quelle pouvait être la force de cette armée. Ils lui répondirent : « C’est un renfort très considérable pour toi et ton Farron. » Mais Clovis étant arrivé lui fit la guerre. Ragnachaire voyant son armée défaite, se préparait à prendre la fuite lorsqu’il fut arrêté par les soldats, et amené, avec son frère Richaire, les mains liées derrière le dos, en présence de Clovis. Celui-ci lui dit : « Pourquoi as-tu fait honte à notre famille en te laissant enchaîner ? il te valait mieux mourir ; » et ayant levé sa hache, il la lui rabattit sur la tête. S’étant ensuite tourné vers son frère il lui dit : « Si tu avais porté du secours à ton frère, il n’aurait pas été enchaîné ; » et il le frappa de même de sa hache. Après leur mort, ceux qui les avaient trahis reconnurent que l’or qu’ils avaient reçu du roi était faux. L’ayant dit au roi, on rapporte qu’il leur répondit : « Celui qui, de sa propre volonté, traîne son maître à la mort, mérite de recevoir un pareil or ; » ajoutant qu’ils devaient se contenter de ce qu’on leur laissait la vie, s’ils ne voulaient pas expier leur trahison dans les tourmens. À ces paroles, eux voulant obtenir sa faveur, lui assurèrent qu’il leur suffisait qu’il les laissât vivre. Les rois dont nous venons de parler étaient les parens de Clovis. Renomer fut tué par son ordre dans la ville du Mans. Après leur mort, Clovis recueillit leurs royaumes et tous leurs trésors. Ayant tué de même beaucoup d’autres rois, et ses plus proches parens, dans la crainte qu’ils ne lui enlevassent l’empire, il étendit son pouvoir dans toute la Gaule. On rapporte cependant qu’ayant un jour assemblé ses sujets, il parla ainsi de ses parens qu’il avait lui-même fait périr : « Malheur à moi qui suis resté comme un voyageur parmi des étrangers, n’ayant pas de parens qui puissent me secourir si l’adversité venait ! » Mais ce n’était pas qu’il s’affligeât de leur mort ; il parlait ainsi seulement par ruse et pour découvrir s’il avait encore quelque parent afin de le faire tuer.

Toutes ces choses s’étant passées ainsi, Clovis mourut à Paris, où il fut enterré dans la basilique des saints apôtres cxv, qu’il avait lui-même fait construire avec la reine Clotilde. Il mourut[63] cxvi cinq ans après la bataille de Vouglé. Son règne avait duré trente ans, et sa vie quarante-cinq. On compte cent douze années depuis la mort de saint Martin jusqu’à celle du roi Clovis, arrivée la onzième année du pontificat de Licinius, évêque de Tours. La reine Clotilde, après la mort de son mari, vint à Tours, et là, s’établissant dans la basilique de Saint-Martin, elle y vécut jusqu’à la fin de ses jours, pleine de vertus et de bonté, et visitant rarement Paris.


Livre second – Notes complémentaires

i. Appelé ainsi par une corruption moderne ; Grégoire écrit Laudiacus ou Mons-Laudacius

ii. Ce fut Genséric, et non Thrasamund, qui succéda à Gunderic son frère, et emmena les Vandales en Afrique en 428. Thrasamund régna en Afrique de l’an 496 à l’an 523.

iii. Les Vandales passèrent en Afrique, conduits par Genséric, en 438. Les Allemands les avaient poursuivis jusqu’à Tarifa (dans une autre version), Grégoire dit Traducta : mais la ville de Tarifa, sur le détroit de Gibraltar, était appelée Julia Traducta.

iv. Hunérix succéda à son père Genséric. Il eut pour successeur Guntamund, et celui-ci Trhasamund.

v. Matthieu, 5, 13.

vi. Jean, 13, 10.

vii. Philippiens, 1, 21.

viii. Matthieu, 10, 28.

ix. Marc, 9, 23.

x. Romains, 8, 18.

xi. Pas sa mort, son expulsion.

xii. Hilderic ne succéda point immédiatement à son père Humeric ; après la mort de celui-ci, Guntamund, le plus âgé des princes du sang royal, fut roi des Vandales. À Guntamund succéda Thrasamund, et Hilderic ne devint roi qu’après ce dernier, en 523 ; il mourut en 530. Son successeur, Gelimer, ou Gelesimer, ou Childimer, fut vaincu et détrôné par Bélisaire, l’année même de son élévation au trône.

xiii. C’est Servatius, Saint-Servais, évêque de Tongres vers 384.

xiv. Gloire des Confesseurs, 72.

xv. Voyez au sujet de ce siège les Lettres de Sidoine Apollinaire, 8, 15.

xvi. Général romain chargé de défendre cette partie de la Gaule.

xvii. Méry-sur-Seine, Mauriacum.

xviii. Les Alains étaient à cette époque établis au midi de la loire.

xix. Historien qui n’est connu que par ce passage de Grégoire de Tours.

xx. Frigeridus donne l’expression divin.

xxi. Grégoire ne le sait pas lui-même ; cependant il s’abstient de dire que tout le monde l’ignore ; il semble vouloir garder la réserve sur une question délicate.

xxii. Historien qui n’est connu, comme Renatus Frigeridus, que par ce passage de Grégoire de Tours.

xxiii. Province romaine sur la rive gauche du Rhin.

xxiv. Cette ville était considérée comme la capitale des Gaules.

xxv. Près de Cologne.

xxvi. Les légions romaines portaient chacune un nom particulier. Celui-ci venait de l’empereur Dioclétien, dont l’un des prénom était Jovius.

xxvii. Le texte porte en effet : Francorum regalibus, et non pas regibus. Mais il y a tout lieu de croire que, par regalibus, Sulpice Alexandre entendait simplement regibus.

xxviii. Arbogaste était Franc lui-même, mais au service des Romains.

xxix. Ils habitaient les bords de la Ruhr et de la Lippe, affluent du Rhin.

xxx. Au N.-O. des Bructères, le long de l’Yssel.

xxxi. Les Ampsuares et les Chattes faisaient partie, comme les Bructères, de la confédération des Francs. Les premiers occupaient les rives de l’Ems (Amps) et les Chattes la contrée s’étendant depuis la Sieg jusqu’à Fulde.

xxxii. Ces tribus faisaient partie de la confédération des Francs.

xxxiii. Roi ou chef d’une tribu d’Alains.

xxxiv. Simple soldat d’une légion romaine cantonnée dans la Grande-Bretagne, et qui se fit Empereur en 407.

xxxv. C’est le Rusticus dont parle Sidoine Apollinaire, liv. V, epist. 9.

xxxvi. Gaule ultérieure et citérieure ; ce n’est point une division géographique, mais une manière de désigner, par rapport à celui qui parle, les parties de la Gaule éloignées ou rapprochées de lui.

xxxvii. Elle avait été ruinée une première fois en 398 ou 399.

xxxviii. Au chap. XXVIII. Ce n’est pas de Stilicon que parle Orose, mais des Vandales et autres barbares.

xxxix. Opinion qu’on ne trouve rapportée que par notre auteur.

xl. La longue chevelure flottant sur les épaules était et fut jusqu’à l’extinction de leur dynastie la marque distinctive des princes mérovingiens.

xli. Espèces d’almanachs contenant les listes des consuls de Rome avec l’indication des années où ils étaient en charge ; ceux qui les possédaient notaient quelquefois en marge les événements importants chaque année. Quand il n’y eut plus d’autorité romaine, le fond de ces livrets ne se composa plus que du chiffre des années et de renseignements chronologiques ; on leur donna alors le nom de Chroniques.

xlii. Dispargum castrum ; suivants les uns, Duisbourg sur le Rhin ; suivant d’autres, Duysborch, entre Louvain et Bruxelles ; ou Dietz, ou Diestheim. Rien de certain à cet égard.

xliii. Exode, 20, 3-4. Dans toutes les citations qui vont suivre, Grégoire de Tours, comme s’il citait de mémoire, donne plutôt le sens que le texte des livres hébreux.

xliv. Deutéronome, 6, 13.

xlv. Exode, 32, 4.

xlvi. Psaume, 95, 5.

xlvii. Psaume, 113, 12-16.

xlviii. Psaume, 96, 7.

xlix. Jérémie, 10, 11.

l. Isaïe, 45, 18 – 42, 8.

li. Jérémie, 14, 22.

lii. Aimoin (Xe siècle), le nomme Viomade (II, 7).

liii. La plupart des manuscrits le nomme Basin, d’autres Bassin.

liv. Ce chapitre plus empreint de poésie que d’histoire, semble emprunté à quelque chant national des Francs.

lv. On ne connaît de cette lettre que le passage cité ici. Quelques-uns veulent que son auteur soit Paulin, évêque de Nole, ce qui est douteux.

lvi. Vulgairement saint Rotiri ou Routris, dont la fête est célébrée le 24 septembre.

lvii. Sur cette église si célèbre dans nos annales, voyez encore Grégoire de Tours, Miracles de Saint-Martin, liv. I. Sidoine Apollinaire, liv. IV, épist. 18, et un travail de M. Lenormant joint à l’édition de Grégoire donnée par MM. Guadet et Taranne en 1836.

lviii. C’est la cathédrale actuelle maintes fois reconstruite (Dom Ruinart).

lix. Grégoire de Tours parle, en plusieurs endroits, des peintures des églises. Voyez liv. VII, liv. X, et ailleurs.

lx. Ici et plus bas, le texte semble être de simples phrases de chroniques copiées par Grégoire. Elle abondent en obscurité.

lxi. C’étaient des pirates cantonnés dans les îles de la Loire.

lxii. Par les Wisigoths, l’an 469 ou 470 (Dom Bouquet).

lxiii. La première Narbonnaise qui comprenait les cités de Narbonne, Toulouse, Béziers, Agde, Nîmes, Maguelonne et Lodève.

lxiv. Il ne s’agit point ici de la basilique de Vielle-Brioude, comme l’a pensé Frédégaire, mais de la basilique consacrée à saint Julien dans la ville de Clermont (Dom Ruinart).

lxv. On pense que c’est à lui qu’est écrite la lettre 8 du livre III de Sidoine Apollinaire.

lxvi. Sidoine Apollinaire, l’écrivain, il fut préfet de Rome, en 467, sous l’empereur Anthémius. Il fut nommé évêque en 471.

lxvii. Papianilla. Sidoine l’épousa avant que son père fût empereur.

lxviii. Vie des Pères, chap. III.

lxix. Cet ouvrage de Grégoire est perdu et ne nous est connu que par ce passage.

lxx. Des tentures plus ou moins grossières servaient de portes dans l’intérieur des maisons.

lxxi. Le 21 août 498 ou 499, Hist. litt. de la France, II, 557

lxxii. Les Francs étant les seuls des conquérants de la Gaule qui ne fussent pas Ariens ; le clergé catholique désirait vivement leurs progrès, et sollicitait souvent leurs invasions.

lxxiii. Ecdicius ou Hecdicius, fils de l’empereur Avitus, et frère de Papianilla, femme de Sidoine. Voyez les Lettres de Sidoine, liv. III, 3 ; V, 16.

lxxiv. Sidoine en met dix-huit.

lxxv. Le texte porte les deux Germanies, mais évidemment par erreur. On le voit d’ailleurs par la lettre de Sidoine à Basile, liv. X, chap. XXXI.

lxxvi. L’an 490 ou 491, Hist. litt. de la France, II, 622. Sur Perpétue, Volusien et Vérus, voyez le dixième livre.

lxxvii. A Tournai. C’est ce roi Franc dont le tombeau, découvert en 1953, a fourni aux antiquaires des objets du plus grand prix, qui ont été souvent décrits, et dont la plus grande partie est conservée au cabinet des antiques de la grande bibliothèque e paris et au musée du louvre.

lxxviii. L’an 481. Nous croyons devoir conserver Clovis, ainsi qu’aux autres noms propres, la physionomie que leur a donnée l’auteur. Il écrit : Chlodovecus, Chrotechildis, Chlotachurius, etc.

lxxix. Roi des Francs de Cambrai.

lxxx. C’était Saint Rémi, évêque de Reims, comme en font foi Frédégaire, Hincmar, Frodoard, etc.

lxxxi. Grégoire de Tours fait employer à Clovis le mot de papa.

lxxxii. Apparemment un autre vase, car rien n’indique que celui que redemandait saint Rémi n’eut pas été brisé par le coup de francisque, ni que le sort l’eût donné à Clovis.

lxxxiii. C’est-à-dire à la revue que le roi passait le 1er mars de chaque année.

lxxxiv. Ici tous les éditeurs accusent Grégoire de Tours de se tromper en faisant descendre Gondeuch d’Athanaric. Notre auteur dit seulement qu’ils étaient de la race des persécuteurs : Gundeuchus ex genere Athanarici regis persecutoris.

lxxxv. La plupart des manuscrits de Grégoire de Tours la nomment Chrotechilde.

lxxxvi. Virgile, Énéide, I, 46.

lxxxvii. En général on administrait le baptême la veille de Pâques ; les personnes qu’on y présentait étaient vêtues d’habits blancs, qu’elles ne quittaient que le premier dimanche après Pâques, qui, à cause de cela, était nommé dominica in ulbis.

lxxxviii. En 496, à Tolbiac, aujourd’hui Zülpich, prés de Cologne.

lxxxix. Sicambres, tribu importante de la nation des Francs ; leur nom vient de Sieg, rivière qui traversait un de leurs pays d’origine.

xc. Marius dit que cette bataille eut lieu sous le consulat de Patricius et Hypatius, c’est-à-dire l’an 500 (Dom Ruinart).

xci. Sûrement le même dont il est question dans le récit des controverses agitées par des évêques catholiques et ariens en présence du roi Gondebaud. Voyez ci-dessous et Frédégaire.

xcii. La loi des Bourguignons est le plus ancien des codes barbares ; il est hors de doute que sa rédaction est antérieure à la conquête du royaume des Bourguignons par les Francs, en 534 ; mais il n’est pas également certain que, du moins dans sa forme actuelle, elle soit l’ouvrage de Gondebaud, quoiqu’on lui ait donné son nom (loi Gombette). On parle, il est vrai, dans la préface, de la seconde année du règne du roi Gondebaud, ce qui se rapporterait à l’an 467 ou 468, époque où Gondebaud régnait en commun avec ses frères. Mais deux des lois contenues dans ce code (tit. 42, 45), sont annoncées comme publiées sous le consulat d’Aviénus, en 501 ou 502 ; et une troisième (tit. 52) se rapporte au consulat d’Agapet, en 517. Or, Gondebaud mourut en 515. En y regardant de près, on reconnaît que ce qu’on appelle la préface contient deux préfaces différentes ; c’est dans la seconde qu’il est fait mention de la seconde année du règne de Gondebaud ; mais au lieu de Gondebaud, on lit dans plusieurs manuscrits le nom de Sigismond son fils, et la seconde année du règne de ce dernier coïncide exactement avec l’an 517, date de la loi la moins ancienne du recueil. Il est donc probable que Gondebaud avait fait rédiger un premier code auquel se rapporte la première préface, et qui contenait sans doute la plupart des lois ; mais que Sigismond, en 517, fit compléter ce recueil et le publia de nouveau, avec la seconde préface, et dans la forme sous laquelle il nous est parvenu. (Voir l’Histoire du droit romain dans le moyen âge, en allemand, par M. de Savigny, t. 2, p. 1-4.)

xciii. La conférence tenue par les évêques catholiques et les ariens, en présence de Gondebaud, ne justifie pas ce que dit Grégoire. Voyez la lettre 2 d’Avit à Gondebaud.

xciv. Matthieu, 10, 32-33.

xcv. Ibid., 17-18.

xcvi. Romains, 10, 10.

xcvii. Psaumes, 34, 18.

xcviii. Ibid., 56, 7.

xcix. Hérésiarques d’Orient, Sabellius du troisième siècle et Eutychès du cinquième siècle.

c. Une partie de ses ouvrages, et notamment ses homélies, nous sont parvenues.

ci. Sidoine (V, 4 et VII, 1), Césaire d’Arles (Homilia, 33), et plusieurs autres portent le même témoignage. Voyez aussi le premier concile d’Orléans.

cii. Les historiens ne sont pas d’accord sur la date de cette entrevue. Elle aurait eu lieu en 506 ou en 504 ou en 498.

ciii. Chap. IV de la Vie des Pères de Grégoire.

civ. Ou des ennemis ? Hostes.

cv. Psaumes, 17, 39-40.

cvi. En 507 ; à Vivonne, selon l’abbé Lebeuf.

cvii. Roi des Francs-Ripuaires, et qui résidait à Cologne.

cviii. Fils de Sidoine Apollinaire, né avant l’épiscopat de ce dernier.

cix. Le rois des Francs paraît avoir été dirigé dans cette guerre par Rémi, évêque de reims. Cet évêque lui donna des instructions précises sur ce qu’il devait faire ou éviter, et Clovis lui rendit compte de la manière dont il avait rempli ses vues. Deux lettres où sont consignés les conseils de l’évêque et les paroles de déférence du roi sont rapportées par Dom Ruinart à la suite de son édition des œuvres de Grégoire de Tours.

cx. Clovis ne fut point nommé consul ; il fut seulement revêtu des honneurs consulaires, honneur fréquemment accordé par la cour de Byzance. Le vrai consulat était toujours écrit dans les Fastes, et servait à désigner l’année. Le nom du roi des Francs ne s’y trouve nulle part. (Histoire des Français, par M. de Sismondi, t. 1, p. 228)

cxi. Forêt voisine de Cologne.

cxii. Rigoureusement le texte porte : parce qu’il marchait avec un cœur droit (eo quad ambularet) ; mais cette expression, au milieu des crimes racontés ici, dénoterait chez Grégoire une perversion dont on aurait lieu de s’étonner, et au sujet de laquelle les historiens se sont en effet récriés. Il nous semble plus naturel que le latin un peu chancelant du saint évêque aura légèrement dévié du chemin que suivait sa pensée.

cxiii. Vers l’an 509. Chef Franc établi à Térouanne.

cxiv. Les Leudes ou Fidèles étaient les compagnons des chefs barbares, les hommes qui s’attachaient à leur personne, formaient leur bande, les suivaient à la guerre, leur promettaient fidélité, et en recevaient en échange des présents qui furent d’abord, comme le dit Tacite, des chevaux, des armes, et plus tard des terres ; les Leudes devinrent alors des vassaux. (Voir à ce sujet les Essais sur l’Histoire de France, par M. Guizot, 4° Essai, chap. I, au § des Bénéfices, chap. II, au § des Leudes)

cxv. Saint Pierre et Saint Paul. Au dixième siècle cette église prit le nom de Sainte Geneviève, qui y avait été enterrée.

cxvi. Le 27 novembre 511.

  1. en 406
  2. Ce fut Genséric, et non Thrasamund, qui succéda à Gunderic son frère, et emmena les Vandales en Afrique en 428. Thrasamund régna en Afrique de l’an 496 à l’an 523.
  3. Évang. sel. S. Math. chap. 5, v. 13.
  4. Évang. sel. S. Jean. chap. 13, v. 10.
  5. Évang. de S. Paul aux Philipp. chap. 1, v. 21.
  6. Évang. sel. S. Math. chap. 10, v. 28.
  7. Épît. de S. Paul aux Romains, chap. 8, v. 18.
  8. Hilderic ne succéda point immédiatement à son père Humeric ; après la mort de celui-ci, Guntamund, le plus âgé des princes du sang royal, fut roi des Vandales. À Guntamund succéda Thrasamund, et Hilderic ne devint roi qu’après ce dernier, en 523 ; il mourut en 530. Son successeur, Gelimer, ou Gelesimer, ou Childimer, fut vaincu et détrôné par Bélisaire, l’année même de son élévation au trône.
  9. Méry-sur-Seine, Mauriacum.
  10. En 453.
  11. Historien qui n’est connu que par ce passage de Grégoire de Tours.
  12. Historien qui n’est connu, comme Renatus Frigeridus, que par ce passage de Grégoire de Tours.
  13. Province romaine sur la rive gauche du Rhin.
  14. Le texte porte en effet : Francorum regalibus, et non pas regibus. Mais il y a tout lieu de croire que, par regalibus, Sulpice Alexandre entendait simplement regibus.
  15. Ces tribus faisaient partie de la confédération des Francs.
  16. Roi ou chef d’une tribu d’Alains.
  17. Simple soldat d’une légion romaine cantonnée dans la Grande-Bretagne, et qui se fit Empereur en 407.
  18. En 410.
  19. Duyshorck, entre Bruxelles et Louvain.
  20. Vers l’an 445
  21. Exod. chap. 20, v. 3, 4.
  22. Deutéron. chap. 6, v. 13.
  23. Exod. chap. 32, v. 4.
  24. Psaum. 95, v. 5.
  25. Psaum. 113, v. 12, 16.
  26. Psaum. 96, v. 7.
  27. Habacuc, chap. 2, v. 18,19, 20.
  28. Jérémie, chap. 10, v. 11.
  29. Isaïe, chap. 45, v. 18 ; chap. 42, v. 8.
  30. Jérémie, chap. 14, v. 22.
  31. Isaïe, chap. 44, v. 6-20.
  32. En 455.
  33. En 457.
  34. Ibid.
  35. La première Narbonnaise qui comprenait les cités de Narbonne, Toulouse, Béziers, Agde, Nîmes, Maguelonne et Lodève.
  36. En 485.
  37. Préfet de Rome, en 467, sous l’empereur Anthémius. Il fut nommé évêque en 471.
  38. Papianilla. Sidoine l’épousa avant que son père fût empereur.
  39. Des tentures plus ou moins grossières servaient de portes dans l’intérieur des maisons.
  40. Les Francs étant les seuls des conquérants de la Gaule qui ne fussent pas Ariens ; le clergé catholique désirait vivement leurs progrès, et sollicitait souvent leurs invasions.
  41. En 481. Tournai était le chef-lieu de la tribu Franque qu’il commandait.
  42. Roi des Francs de Cambrai.
  43. En 486.
  44. Grégoire de Tours fait employer à Clovis le mot de papa.
  45. Apparemment un autre vase, car rien n’indique que celui que redemandait saint Rémi n’eut pas été brisé par le coup de francisque, ni que le sort l’eût donné à Clovis.
  46. En 491.
  47. La plupart des manuscrits de Grégoire de Tours la nomment Chrotechilde.
  48. En 496, à Tolbiac, aujourd’hui Zülpich, prés de Cologne.
  49. En 500.
  50. La loi des Bourguignons est le plus ancien des codes barbares ; il est hors de doute que sa rédaction est antérieure à la conquête du royaume des Bourguignons par les Francs, en 534 ; mais il n’est pas également certain que, du moins dans sa forme actuelle, elle soit l’ouvrage de Gondebaud, quoiqu’on lui ait donné son nom (loi Gombette). On parle, il est vrai, dans la préface, de la seconde année du règne du roi Gondebaud, ce qui se rapporterait à l’an 467 ou 468, époque où Gondebaud régnait en commun avec ses frères. Mais deux des lois contenues dans ce code (tit. 42, 45), sont annoncées comme publiées sous le consulat d’Aviénus, en 501 ou 502 ; et une troisième (tit. 52) se rapporte au consulat d’Agapet, en 517. Or, Gondebaud mourut en 515. En y regardant de près, on reconnaît que ce qu’on appelle la préface contient deux préfaces différentes ; c’est dans la seconde qu’il est fait mention de la seconde année du règne de Gondebaud ; mais au lieu de Gondebaud, on lit dans plusieurs manuscrits le nom de Sigismond son fils, et la seconde année du règne de ce dernier coïncide exactement avec l’an 517, date de la loi la moins ancienne du recueil. Il est donc probable que Gondebaud avait fait rédiger un premier code auquel se rapporte la première préface, et qui contenait sans doute la plupart des lois ; mais que Sigismond, en 517, fit compléter ce recueil et le publia de nouveau, avec la seconde préface, et dans la forme sous laquelle il nous est parvenu. (Voir l’Histoire du droit romain dans le moyen âge, en allemand, par M. de Savigny, t. 2, p. 1-4.)
  51. Évang. sel. S. Math. chap. 10, v. 32, 33.
  52. Ibid. v. 17, 18.
  53. Épît. de S. Paul aux Rom. chap. 10, v. 10.
  54. Psaum. 34, v. 18.
  55. Psaum. 56, v. 7.
  56. Psaum. 17, v. 39, 40.
  57. En 507 ; à Vivonne, selon l’abbé Lebeuf.
  58. Roi des Francs-Ripuaires, et qui résidait à Cologne.
  59. Clovis ne fut point nommé consul ; il fut seulement revêtu des honneurs consulaires, honneur fréquemment accordé par la cour de Byzance. Le vrai consulat était toujours écrit dans les Fastes, et servait à désigner l’année. Le nom du roi des Francs ne s’y trouve nulle part. (Histoire des Français, par M. de Sismondi, t. 1, p. 228)
  60. Forêt voisine de Cologne.
  61. Chef Franc établi à Térouanne.
  62. Les Leudes ou Fidèles étaient les compagnons des chefs barbares, les hommes qui s’attachaient à leur personne, formaient leur bande, les suivaient à la guerre, leur promettaient fidélité, et en recevaient en échange des présens qui furent d’abord, comme le dit Tacite, des chevaux, des armes, et plus tard des terres ; les Leudes devinrent alors des vassaux. (Voir à ce sujet les Essais sur l’Histoire de France, par M. Guizot, 4° Essai, chap. 1, au § des Bénéfices, chap. 2, au § des Leudes)
  63. Le 27 novembre 511.