Histoires incroyables (Palephate)/44

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CHAP. XLIV.

Médée (1).

On dit qu’elle rajeunissait les vieillards en les faisant bouillir ; voici ce qui en est : elle découvrit la première la fleur qui a la vertu de noircir les cheveux blancs. Elle faisait donc paraître noires les têtes chenues des vieillards. C’est elle aussi qui inventa les bains chauds ; mais, de peur que quelque médecin ne découvrît son secret, elle ne préparait jamais publiquement ses bains. On leur avait donné le nom de décoction. Ceux qui prenaient de ses bains en devenaient plus légers et plus dispos, d’où il advint, qu’en voyant les objets dont elle se servait, les chaudières, le bois et le feu qu’elle employait, on s’imagina qu’elle faisait bouillir les hommes. Quant à Pélias, comme il était vieux et débile, quand il eut recours aux bains ; il y mourut (2).

(1) La généalogie de Médée est rapportée dans le scholiaste d’Apollonius de Rhodes (sur le v. 200 du 3e livre, p. 229-230, tom. 2, édit. de Schaëfer), d’une manière qui ne s’accorde pas avec la version la plus généralement reçue, mais qui explique beaucoup d’allusions des anciens poètes. D’après Denys de Milet, dit le scholiaste, Persès et Æétès étaient deux frères fils du soleil. Persès régna sur la Tauride et Æétès sur la Colchide. Persès déjà vieux eut, d’une nymphe du pays, une fille nommée Hécate, chasseresse, véritable virago, qui connut la première les vertus délétères ou salubres des plantes et fit un des premiers essais de son art funeste sur son père qu’elle empoisonna. Elle épousa en suite son oncle Æétès, dont elle eut deux filles, dignes d’elle, Circé et Médée’.

Tous les détails des préparations magiques de Médée pour rajeunir Æson, à la prière de Jason, son invocation aux divinités infernales, son voyage à travers les airs pour aller chercher partout les plantes nécessaires à la composition de ses philtres, et la description même de l’opération, dans les Métamorphoses d’Ovide, suffiraient pour prouver à quel point l’art du vrai poète peut exciter sans cesse la curiosité et entretenir l’intérêt dans les sujets mêmes dont le fond est le plus dépourvu de vraisemblance (V. Métamorp. lib. VII, v. 159-350).

Apollodore (liv. I, chap. 9, p. 39-41 de l’édit. de Heyne) et Hyginus (fables 24, 25 et 26, p. 71-74 des Mythographes latins de Van Staveren) renferment aussi l’histoire fabuleuse de Médée dont les détails se trouvent particulièrement dans les poèmes d’Apollonius de Rhodes et de Valerius Flaccus.

(2) Diodore de Sicile qui raconte aussi toute l’histoire de Médée (liv. IV, chap. 51-52, p. 145-149, tom. 3 de l’édit. de Deux Ponts) dit que pour tromper les filles de Pélias, elle blanchit d’abord ses propres cheveux, se rida le visage et en un mot se donna tout-à-fait l’air d’une vieille décrépite. Dans cet état elle se présenta comme une prêtresse de Diane, dont elle avait reçu des secrets puissants pour rajeunir les vieillards, en fit l’essai sur elle-même en leur présence, se montra dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté et les persuada si bien, par d’autres prestiges, que les malheureuses consentirent à tuer leur vieux père, dans l’espoir que la perfide Médée le rajeunirait également.