Histoires poétiques (éd. 1874)/Adieu

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Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeur4 (p. 66-67).


Adieu


 
Comme tous ces chanteurs divins, mais désolés,
Qui s’en vont pleurant et voilés,

Disant les grands forfaits, meurtre et poison infâme,
Toutes les souillures de l’âme,

Ou mêlent, emportés par le vent des combats,
Leurs hymnes aux cris des soldats,

J’ai vu le gouffre noir des souffrances humaines,
Nos discords et toutes nos haines :
 
Mais sur mon front pensif, souvent épouvanté,
J’ai remis la sérénité ;

À peine ai-je laissé s’exhaler dans les fièvres
Un soupir mourant sur mes lèvres.

Dans mon cœur cependant vous savez, ô Pitié,
Si votre culte est oublié !


Que sert, en la sondant, d’irriter notre plaie,
Martyrs attaches sur la claie ?

Une fatale loi règne et pèse sur nous,
Sentence d’un maître en courroux.

Oublions ! Que l’oubli du mal nous en délivre.
Vivons par tout ce qui fait vivre.

À la nature heureuse, à sa douce beauté
Demandons et force et santé.

Concert des bois, vallons en fleurs, cristal des sources,
Soyez nos charmantes ressources :

À nos sombres ennuis opposez-vous sans fin,
Ô modèle calme et divin !

Et moi, dans les hameaux et les landes celtiques,
Le chantre des choses rustiques,

Que plus d’un primitif appellerait son fils,
S’il descendait dans nos taillis,

Vous me couronnerez, ô fleurs simples, mais fières,
Parures fraîches des bruyères !

C’est mon rêve parfois… Mais en rêvant, Seigneur,
À vous ! le grand, le vrai bonheur.


4 octobre 1851.