Histoires poétiques (éd. 1874)/Prière des Laboureurs

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Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 282-284).


Prière des Laboureurs


Sous les chaleurs de juin la campagne étincelle.
Tous les bras sont à l’œuvre et le foin s’amoncelle.
Encor quelques soleils, viendra le tour du grain :
Qu’on ne m’accuse pas seul de voler mon pain,
L’erreur trouble aisément une race ingénue.
D’un chant qui parle au cœur payons ma bienvenue.
Et ces vers, qu’à grand’peine en français j’ai traduits,
Dans l’idiome aimé pour eux furent écrits.
Comme on battait les blés, voilà donc qu’un dimanche,
Clairement imprimé sur une feuille blanche,
Le chant par tout le bourg circulait, et cent voix,
Ferventes, l’entonnaient aux marches de la croix.

I

Saint de notre pays, qu’aux sphères éternelles
Les anges radieux couvrent de leurs deux ailes,
De ces nuages d’or où glisse votre pied
Laissez tomber sur nous un regard de pitié.

 

II

Ce sont des laboureurs dont la voix vous implore :
Souvent à votre autel nous venons dès l’aurore ;
Par les mauvais chemins nous venons bien souvent,
Brûlés par le soleil ou glacés par le vent.

III

Nous cherchons un soutien. Notre vie est amère,
Toujours le dur travail, et toujours la misère.
Nous cultivons la terre et nous semons le grain,
D’autres mangent le blé battu par notre main.

IV

Mais regardons plus haut ! un jour, selon son œuvre.
Chacun aura sa part, le maître et le manoeuvre :
Oui, mauvais laboureur qui fléchit sous un poids,
Mauvais chrétien celui qui porte mal sa croix.

V

Tels de petits enfants serrés contre leur père,
Bon saint, nous voilà tous devant vous en prière :
Plusieurs dans ce pays ont reçu votre nom,
Soyez leur père aussi, vous déjà leur patron.

 

VI

Saint de notre pays, qu’aux sphères éternelles
Les anges radieux couvrent de leurs deux ailes,
De ces nuages d’or où glisse votre pied
Laissez tomber sur nous un regard de pitié.




 
Prés du calvaire, ainsi tout un peuple rustique
Le dimanche matin répétait ce cantique,
Qui, pleurant sur leurs maux, fait luire aussi l’espoir,
L’espoir, astre serein, lorsque au ciel tout est noir.
Le cantique a passé du bourg dans les cliaumières :
Il se mêle, le soir, à leurs longues prières ;
Le jour, il retentit de la lande aux vergers,
Et les travaux peut-être en sont-ils plus légers.
Vers moi, quand, tout pensif, je traverse un village,
Des jeunes et des vieux c’est le salut d’usage ;
Les yeux brillent, les fronts s’animent de gaité ;
Et j’entre : c’est le chant de l’hospitalité !