Histoires poétiques (éd. 1874)/Élégie

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Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 230-232).



Élégie


I


À HYACINTHE HUSSON



Iindien, je cherche un asile
Pour croire, pour aimer, pour espérer tranquille.
 
Vois notre Europe, hélas ! du midi jusqu’au nord,
Chacun triste et les yeux attachés sur son sort.

Indien, est-il un asile
Pour croire, pour aimer, pour espérer tranquille ?

Tu croissais en chantant à l’ombre des palmiers :
due n’aimais-tu ton nid comme font les ramiers ?

Indien, je cherche un asile
Pour croire, pour aimer, pour espérer tranquille.

Ah ! biblique marchand, hypocrite brutal,
L’Anglais a profané le monde oriental !

 
Indien, il n’est plus d’asile
Pour croire, pour aimer, pour espérer tranquille.

Là-bas un maître dur, sectaire demi-juif ;
Ici les noirs tourments d’un monde convulsif.

Indien, je cherche un asile
Pour croire, pour aimer, pour espérer tranquille.

II

 
À AUGUSTE LACAUSSADE

 
Espérons !… noble cœur, toi, mon autre Indien,
Dis-moi sur tes grands monts un gîte aérien.
 
— La virginité pure a déserté la terre !
Dans les cœurs, sur les monts, il n’est plus de mystère.

— Les réseaux de liane et les sombres halliers
Au nègre fugitif étaient hospitaliers.

— Sous la hache et le feu s’éclaircit la liane :
Pour l’homme plus d’abri, plus d’ombre pour Diane.
 
— Parmi tous ces îlots quelque morne, un rocher
Libre, d’où l’intérêt ne saurait approcher ?
 
— Ô Breton ! tout se vend, et les bois et les pierres ;
Et de tes vieux men-hîrs ils feraient des carrières.

 
— J’ai lu qu’aux jours anciens, dans vos clairs réservoirs,
Avec tranquillité nageaient des cygnes noirs.

— Les beaux chanteurs sont morts ! Ah ! malheur aux plus dignes !
Poètes, il n’est plus d’asile pour les cygnes !