Histoires poétiques (éd. 1874)/L’Élégie de Malô Corret

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Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeur4 (p. 61-63).


L’Élégie de Malô Corret


Le Premier Grenadier de France, l’auteur des Origines gauloises, est enseveli, on le sait, prés d’Ober-Hausen ; il y a quelque temps, le roi Louis, fondateur du Walhalla, ou Panthéon de Bavière, a fait ouvrir et réparer le tombeau de l’illustre Malô Corret de La Tour-d’Auvergne. Sa ville natale lui élève une statue.
Journaux.


 

I

Près du Rhin, à l’abri des cyprès et des saules,
Malô Corret repose, enfant des vieilles Gaules,
De la France nouvelle héroïque soldat ;
À sa gauche est encor son glaive de combat,
Et le second ami, toujours prêt à le suivre,
Dans la tente éternelle est déposé son livre.
Vole donc vers le Rhin, Esprit noir des regrets,
Vers la tombe où Corret dort parmi les cyprès !
Voici que son cercueil s’entr’ouvre, et le roi-barde
Sur le guerrier savant se penche et le regarde ;
Le roi Louis fait bien, car des chefs du Wal-hall
Le Premier Grenadier est le frère et l’égal.

Vole au delà du Rhin, Esprit plaintif et sombre,
Et verse à ces Germains agenouillés dans l’ombre,
Pour un respect si noble et tant de piété,
Le souffle de Corret, souffle de liberté !

II

Reviens, reviens, Esprit ! aux flancs de la montagne,
Un artiste a taillé le granit de Bretagne,
Il apprête le bronze, et, dans son bourg natal,
Le héros va monter sur le haut piédestal ;
Dis au sculpteur les traits enfermés dans la bière,
Et, comme s’il parlait, qu’on lise sur la pierre :

AU COMBAT GLAIVE D’ACIER.
LIVRE D’OR À MON FOYER.

Noble encouragement, bonheur, lorsqu’une ville,
Dans ses murs tout empreints de sa grandeur civile,
Sur le marbre ou l’airain, aux regards éblouis
Fait surgir le portrait vivant d’un de ses fils !
Plus humble est la cité, plus rayonne l’image,
Plus le héros aimé renaît couvert d’hommage :
Il est, avec le saint, le protecteur des lieux,
Vers lui tendent sans cesse et les cœurs et les yeux.

III

Ô Corret ! ô vrai Celte ! homme plein de franchise !
Sur les soldats du Rhin, sur ceux de la Tamise

Tu courrais comme un loup, ensuite tu rentrais
Comme un paisible agneau dans ta chère Carhaix ;
Tu revenais soldat, sur le dos ton bagage,
Pauvre ; mais lorsqu’un mot de notre vieux langage,
Un mot, sur ton chemin, résonnait tout à coup,
Corret, tes yeux brillaient, l’agneau devenait loup
Sur la colline, hélas ! ta demeure éternelle,
Tu n’entends plus parler la langue maternelle !
Et la brise du soir, ô muet Grenadier,
Ne t’apporte jamais la fleur d’or du landier…
Pleure, ô pays d’Arvor ! pleure, pays de France !
Ton Premier Grenadier tombe d’un coup de lance !
Il tombe noblement d’un coup de lance au cœur !
Voici que l’Allemand hurle et se croit vainqueur :
Mais un des vieux soldats dresse le héros pâle,
Le montre à l’ennemi : « Feu, Colonne Infernale !
Feu ! Vengeance ! Tuons ! » Sais-tu combien de morts.
Guerrier, furent jetés en monceau sur ton corps ?…
Esprit noir, vers Corret va, par delà les Gaules,
Et sur lui fais pleurer les lauriers et les saules !