Histoires poétiques (éd. 1874)/L’Éostik ou le Rossignol
Ses mains sur sa figure, une jeune épousée,
Un jour dans Saint-Malô, pleurait à sa croisée :
« Las ! mon cher oiselet ! las ! ils l’ont mis à mort !
Adieu, joie ! » Et ses pleurs amers coulaient plus fort ;
Car elle avait jadis connu les douces larmes
Et les nuits de bonheur avant ce jour d’alarmes.
« Dites, ma jeune épouse, au milieu de la nuit,
Pourquoi donc vous lever si souvent et sans bruit ?
« Quand je dors près de vous, mon épouse nouvelle,
Pourquoi me laisser seul ? — Sire, répondit-elle,
« C’est qu’à l’heure où la lune illumine les eaux,
J’aime à voir sur la mer passer les grands vaisseaux.
— Non ! ce n’est pas pour voir la mer ou les étoiles !
Ni sur les grandes eaux passer les grandes voiles !
« Çá, Madame, parlez sans leurre à votre époux :
Au milieu de la nuit pourquoi vous levez-vous ?
— Quand mon petit enfant dans sa couche repose,
J’aime à voir ses yeux clos et sa bouchette rose.
— Non ! ce n’est pas pour voir le sommeil d’un enfant
Que pieds nus de mon lit vous sortez si souvent !
— Mon vieil et cher époux, grâce pour votre dame !
Voici tout mon secret, pur caprice de femme :
« La nuit un rossignol chante en notre jardin :
Dès que la mer s’endort, lui s’éveille soudain ;
« Sur le rosier en fleur jusqu’à l’aurore il chante.
Et si douce est sa voix, si claire, si touchante ! »
La jeune dame ainsi parlait au vieux seigneur
Qui murmurait, songeant à venger son honneur :
« Mensonge ou vérité, vertueuse ou parjure,
Demain le rossignol sera pris, je le jure. »
Le jour venant à luire, il dit au jardinier :
« Mon ami, pour un jour laisse là ton métier.
« Un souci me travaille ; à peine je sommeille,
Qu’un maudit rossignol dans le clos me réveille ;
« Dresse donc tes gluaux, d’engins couvre le sol :
Je te baille un sou d’or si j’ai le rossignol. »
L’oiseleur fit trop bien son métier, et le traître
Prit un chanteur nocturne et l’offrit à son maître ;
Et quand le vieux seigneur tint le pauvre captif,
Il rit d’un méchant rire, et, serrant le chétif,
Brusquement l’étouffa ; puis, d’une main jalouse,
L’ayant jeté saignant au sein de son épouse :
« Tenez, dame, voici votre cher oiselet !
Je l’ai pris. Mort ou vif, n’est-ce pas qu’il vous plaît »
Un jeune homme, apprenant bientôt cette aventure,
Disait, et de longs pleurs sillonnaient sa figure :
« Oh ! combien la jeunesse a de sombres ennuis !
Adieu, ma bien-aimée, adieu nos belles nuits !
« Mon regard n’ira plus, la nuit, chercher le vôtre :
Adieu nos doux baisers d’une fenêtre à l’autre ! »
Mais le pauvre oiselet mort par leur amitié,
La dame et son fidèle en eurent grand’pitié :
En un gentil coffret tout d’or fin et d’ivoire
Le petit corps fut mis bien entouré de moire ;
Puis autour du coffret l’histoire on raconta,
Et l’amant sur son cœur jour et nuit le porta.