Histoires poétiques (éd. 1874)/Les Destinées

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Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeur4 (p. 140-141).


Les Destinées


Cétait une âme juste. — En arrivant au monde,
Dans un riche manoir l’enfant à tête blonde
Vit le jour et grandit, fleur parmi d’autres fleurs :
L’âge faible passa préservé des douleurs ;
Compagnon de ses jeux, un enfant du village
Seul parfois l’étonnait par son maigre visage :
À ses goûts cet enfant si vite était rangé,
Et si vite le pain qu’on oubliait mangé !
Mais lui, sans pénétrer cette souffrance amère,
Mollement s’endormait embrassé par sa mère.
Bientôt (nouvelle joie !) avec la puberté
Vint le premier essor de toute liberté ;
Sur les chevaux légers, au son des cors de chasse,
Le blond patricien essaya son audace ;
Ainsi, croissant toujours, à vingt ans le voilà
Dans Paris où la muse à lui se dévoila.
Ses chants, à peine nés, partout on les proclame :
Seuls ils vont à l’esprit et seuls ils touchent l’âme ;
Au milieu des banquets il est salué roi.
Mais un chantre inconnu, jeune homme, est près de toi,

Un fils de tes fermiers et que ton âme juste
Souvent pare en secret d’une auréole auguste ;
En voyant tes honneurs, en voyant cet oubli,
Sur tes lauriers hâtifs tu tombes affaibli,
Et désolé, tu meurs ! Comme tout se résume
Sous la main de la vérité !
Du bonheur sans motifs tu sentais l’amertume
Et du malheur immérité.


Octobre 18…