Historiettes (1906)/Madame d’Espagnet, Madame de Morangis, Gens d’église, etc.

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 286-288).

MADAME D’ESPAGNET, MADAME DE MORANGIS, GENS D’ÉGLISE, ETC.[modifier]

Madame d’Espagnet, personne bien faite et spirituelle, femme du plus grand frondeur du parlement de Bordeaux, passoit pour une dévote, mais on découvrit ses intrigues par ce moyen. Une femme veuve, de qui elle se servoit, et chez laquelle étoient ses rendez-vous, fit un jour une confession générale, et elle dit toute la petite vie de la dame. Le confesseur trouva à propos, pour retirer madame d’Espagnet du vice, de lui en faire parler par son curé. Le Père Bonnet, curé de Sainte-Eulalie, qui étoit un assez galant homme, dit qu’il n’en croyoit rien. La veuve offre de la lui faire voir, dans le déduit, avec un minime, nommé le Père Romain. On l’enferma dans un cabinet, et il vit plus qu’il n’en voulut voir, car le bon curé croyoit être le seul qui jouit des embrassements de la dame, avec laquelle il étoit fort bien, il y avoit longtemps. Ce Père Bonnet sut ensuite toute l’histoire, et la conta à Darbo, de qui je la tiens. Le minime, ne gagnant rien auprès de madame d’Espagnet, s’adressa enfin à la confidente, et moyennant cent pistoles, quoique la dame dit qu’il sentoit trop l’huile, il en vint à bout. Elle les voulut compter l’une après l’autre, le moine les ayant apportées dans une bourse de velours vert ; après ils firent la chosette. Leur commerce dura quelques jours ; enfin le moine, qui avoit eu bien de la peine à amasser ces cent pistoles, et qui les eut bien voulu ravoir à cette heure qu’il n’étoit plus si affamé, s’avisa de lui dire qu’il les avoit empruntées. Elle se moqua de lui. Le moine enragé résolut de s’en venger. Il ne fait semblant de rien et lui donne un rendez-vous ; mais, avant que d’y aller, il passe chez une veuve dévote, où il s’en donne à cœur-joie, de peur d’être tenté par la dame qu’il avoit envie de châtier. Il la va trouver, pourvu d une bonne discipline. Son bini disoit à la confidente : « Je ne sais comment le Père Romain l’entend, mais avant de venir ici il en a pris honnêtement. » Quand le moine la tint sur le lit, il tire sa discipline, la trousse, et lui en donne à tour de bras, en lui disant : « Hé ! vous ne me rendez pas mes cent pistoles ! Hé ! vous ne me rendez pas mes cent pistoles ! » Elle n’osa jamais crier, et il fallut souffrir patiemment la fustigation ; car le paillard étoit fort, et il la tenoit, sous sou bras gauche, si ferme qu’elle ne pouvoit remuer. On dit qu’elle avoit toujours quelque moine, à cause qu’ils sont obligés au silence, et que son mari eût été homme à la poignarder s’il eût eu quelque soupçon. On l’accuse aussi de s’être servie du précepteur de ses enfants, par la même raison. Ce Père Bonnet passoit pour un saint. On l’a pensé béatifier.

Voici comme on a découvert que madame de Morangis avoit quelque commerce un peu gaillard avec un jacobin nommé le Père Louvet, qui est le tout-puissant chez elle. C’est celui-là même qui a remarié le maréchal de l’Hospital et que madame de Villesavin appelle Papa-Louvet. Nau, ci-devant procureur, aujourd’hui intendant de Marseille, avoit une bâtarde qui fut entretenue par Perrault, de M. le Prince. Feue madame la Princesse, par dévotion, la fit mettre dans un couvent, après il la maria à je ne sais quel faquin, et la tenoit quelquefois des trois mois entiers, où elle ne voyoit pas le jour. Le mari se lassa de cela et l’emmena en Angleterre. Or, durant qu’elle étoit en religion, le Père Louvet et elle devinrent amoureux l’un de l’autre. En Angleterre, un cousin de Fairfax l’entretint, mais il mourut bientôt. elle revient brusquement Elle n’est pas plus tôt ici que Fairfax lui écrit, la presse de retourner, lui déclare qu’il a toujours été amoureux d’elle, mais que le respect qu’il avoit pour son parent l’avoit empêché de le témoigner. Elle n’étoit pas fort belle, mais elle avoit un embonpoint admirable ; elle étoit. spirituelle et de l’humeur du monde la plus enjouée. elle repasse en Angleterre. Les personnes à qui elle envoyoit ses lettres, en trouvant une qui s’adressoit au moine, eurent curiosité de voir ce qu’il y avoit ; ils trouvèrent ces mots : « Jusqu’à ce que vous m’ayez remis entre les mains le portrait de madame de Morangis, je ne croirai point que vous m’aimez. »

Feu Hobier, docteur de Sorbonne, passoit pour un saint ; cependant nous avons su d’un homme d’honneur qu’une petite mignonne que Hobier entretenoit secrètement disoit qu’il n’y a jamais eu un homme plus lascif…. Elle étoit au désespoir de sa mort, car il la payoit bien. On pensa couper des morceaux de ses habits, pour en faire des reliques.