Honorine d’Userche
HONORINE D’USERCHE.
L’Abbé avait fait un voyage assez long pendant l’été de 1795. Sollicité par Théobald et sa mère, il était allé joindre à Zell Emilie et Constance, et les avait ramenées ainsi que le vieux Baron au château d’Altendorf après que les émigrés et les Anglais eurent quitté le pays. Un seul Français était resté à Altendorf. Constance lui avait donné sa maison. Ils s’étaient vus autrefois, et sans qu’ils eussent été amis ni amans, ils avaient beaucoup influé sur le sort l’un de l’autre. On dit qu’Émilie est sa proche parente, et qu’on avait songé avant la révolution à les marier ensemble. Cet homme d’une figure fort noble et fort belle, d’un esprit vaste et éclairé, ne donne pourtant point d’ombrage à Théobald, qui le chérit comme un frere et le respecte comme un modele à suivre. S’il n’y a point d’apparence qu’il trouble le bonheur des deux époux, il n’y en a point non plus qu’il change le sort de leur amie. Il est habituellement fort triſte, ce qui l’empêchera toujours de se donner à une femme qu’il croira ne pouvoir rendre heureuse. Constance de son côté respecte trop en lui sa naissance et ses vertus, pour vouloir lui porter en dot une fortune équivoque et associer son nom à des noms en quelque sorte flétris. Un premier mari victime de sa propre fureur, et dont elle était veuve avant l’âge de dix sept ans ; un second mari et un pere dont l’un se donna la mort lorsque des tyrans avides d’or et de sang firent périr l’autre, pourroient être rappellés au souvenir du public, et jetter sur l’époux qu’elle se donnerait je ne sais quel reflet louche et sinistre. Il vaut mieux laisser le Vicomte à sa seule infortune, il vaut mieux qu’il travaille à la fois, comme il s’y est résolu, pour se distraire et pour vivre. Architecte habile, Méchanicien expérimenté, il a déjà rendu des services essentiels à la contrée qu’il habite. Autrefois en Lorraine, dans les environs des possessions de son pere, il a desséché des marais, il a fait construire des moulins, creuser des canaux, il a établi des ponts, des écluses, des chaussées ; secondé par l’habile Nord-hollandais il rendra les mêmes services à la Westphalie ; ailleurs il eût fait couler l’eau sur des bruyères et fertilisé des sables arides. Qu’il est fâcheux qu’au lieu de s’appitoyer ou de s’endurcir le cœur pour les émigrés en général, comme si c’étaient des hommes à part qui tous méritassent un même sentiment, qu’il est fâcheux qu’on ne les ait pas appréciés comme on apprécie ses compatriotes, qu’on n’ait pas fui l’un pour s’attacher à l’autre, choisissant pour ami, pour gendre, pour beau frère celui qu’on estime et renonçant à tout commerce avec celui que rien ne peut recommander ! Alors on n’eût pas épousé leur querelle, on ne se serait pas battu et ruiné pour les replacer en France, mais on se serait enrichi des vertus et des talens que la France perdait dans la personne de quelques uns d’entr’eux. Voilà ce que l’on a su faire dans un coin de la Westphalie : Théobald posséde la plus aimable des femmes, les habitans d’Altendorf se sont approprié un homme distingué.
L’Abbé de la Tour appellé ailleurs, mais sans qu’il eut quitté l’Allemagne, était revenu à l’entrée de l’hiver auprès de la Baronne de Bergen, et y avait retrouvé les mêmes gens qui l’année précédente formaient sa societé. Chacun raisonnait différement comme à son départ, mais comme alors, cette différence des opinions ne faisait que mettre en commun des richesses de plus d’un genre. Le Kantiste était plus profond que les autres, le Théologien plus universellement érudit ; et ce que les autres apprenaient d’eux on l’appliquait à des raisonnemens différens des leurs. Des mêmes faits, des mêmes observations on étayait des systèmes opposés. La Baronne avait le secret de faire parler sans divaguer et disputer sans se haïr. Sa prévention secrete était pour le disciple de Fénelon, mais cette prévention n’était pas exclusive, et elle reçut l’Abbé de la Tour avec toutes sortes de témoignages d’amitié. On parlait un jour devant lui de la religion et de la tolérance. Faut-il permettre à tout le monde de publier toutes ses idées relativement à Dieu et à la nature, à l’évangile et à la raison ? Voilà quelle était la question qu’on agitait avec modération et bonne foi. Je ne décide pas pour d’autres, dit l’Abbé ; grâce au ciel je ne suis pas à la tête d’un gouvernement qui ait à statuer sur la liberté ou non-liberté de la presse, mais pour mon compte la queſtion est résolue. Si j’allais jamais plus loin qu’un humble Pyrhonisme sur ce dont il m’est difficile d’être pleinement persuadé, si j’avais une opinion, je me tairais. Oui, après ce que je viens de voir, je me tairais scrupuleusement, ou si mon silence était une sorte de déclaration, je parlerais pour la religion professée dans le pays que j’habiterais, et je ne m’abstiendrais d’aucun de ses actes extérieurs. Qu’avez vous donc vu ? s’écria la Baronne. Racontez… C’est trop long, dit l’Abbé, mais je consens à êcrire une histoire dont je savais une partie et dont le reste m’a été dit dernierement par une personne bien malheureuse. Hâtez vous d’écrire, dit la Baronne ; vos trois femmes m’ont interessée, j’espere que cette nouvelle histoire ne m’interressera pas moins.

HONORINE D’USERCHE.
La mere d’Honorine, riche héritiere, était très-jeune quand elle épousa un homme non moins riche et d’une ancienne maison de France, homme d’esprit et du monde, mais plus agé qu’elle de plusieurs années. Au sortir de l’Eglise où ils avaient reçu la bénédiction nuptiale, l’époux monta dans une chaise de poste pour aller joindre son régiment et l’épouse fut reconduite chez sa mere. Vu sa grande jeunesse il avait été résolu qu’elle n’habiterait qu’au bout d’un an avec son mari, qui appella galamment cette loi un exil, et déclara qu’il passerait en Angleterre le tems qu’il ne serait pas obligé d’être à sa garnison.
Madame d’Userche avait gagné à son mariage, non seulement de mettre du rouge et de s’habiller à sa fantaisie, se parant de tous les colifichets qu’on lui avait prodigués, mais d’aller au spectacle tant qu’elle le voulait, tantôt avec sa mere, tantôt avec une parente qui était aussi la mienne, et là d’entendre, avec la morale du Théâtre, beaucoup de petits propos presque libres, sur son équivoque situation de femme à la fois fille, épouse, et veuve.
Le Marquis de la Touche, parent de cette femme qui l’accompagnait le plus souvent, mit à profit sans presque lui parler ce que lui disaient les autres. Elle était naturellement vaine et bavarde, et lui, c’était l’écouteur le plus éloquent que j’aye jamais vu. Une charge à la cour, jointe à d’autres avantages, lui donnait un assez grand relief, de sorte que Madame d’Userche très-flattée de l’attention que prêtait à ses moindres discours un homme pour qui chacun avait de la déférence, se crut bientôt aussi spirituelle qu’elle était réellement jolie. On n’avait point paru jusques là lui trouver de l’esprit, et elle regarda l’homme qui le premier en avait fait la découverte, comme digne à la fois de son admiration et de sa reconnaissance. Personne, me disait-elle un jour chez sa mere, chez qui le Marquis de la Touche s’était introduit, personne n’a l’art d’apprécier les gens et les choses comme cet homme que vous voyez ; aussi je parle devant lui avec une entiere confiance, et je le croirai comme un oracle en toute occasion. Le même soir, à ce que j’ai su depuis, Madame d’Userche se retirant pour se coucher trouva le Marquis dans sa chambre. Elle fut effrayée, elle raisonna comme une personne très médiocre raisonne à seize ans, il l’écouta jusqu’à ce qu’elle ne sût plus que dire. Neuf mois après elle mit au monde un enfant que ma parente, femme fort réguliere à ce que disait chacun, me conjura de mettre en pension avec sa nourrice dans ma province, me nommant plusieurs villages dont j’étais surpris qu’elle eût entendu parler, mais qui tous étaient voisins d’un château appartenant à Monsieur de la Touche. Cela m’indiqua le pere, auquel je sus gré d’un peu de sollicitude pour le fruit de ses amours clandestins. Quant à la mere, je ne la soupçonnai pas. Elle m’intéressait trop peu pour que je l’observasse, et j’aurais plutôt attribué l’enfant à celle qui me le confiait.
C’était un petit garçon, beau déja comme l’amour dans un âge où la plupart des enfans n’ont pas encore des formes qu’on remarque. Il avait été baptisé Florentin, et une terre ayant été achetée pour lui à l’autre extrémité du Royaume par des gens qui ne se nommaient pas, il en porta imédiatement le nom, et s’appella chez les villageois qui le reçurent, tantôt le Vicomte de la Haye, tantôt Florentin ou le beau Florentin ; il était même souvent désigné par le seul nom de le beau qu’il mérita chaque jour davantage.
A peine s’était-on débarrassé de lui que Monsieur d’Userche revint auprès de son épouse, qui était moins en état que lors de son mariage de supporter une grossesse et un enfantement. On le lui dit, et d’ailleurs cela était visible. Il retourna à sa garnison, où elle fut le trouver quelques mois après avec ma parente, et revenue à Paris elle accoucha d’une fille, qu’on affecta de ménager comme un enfant né avant terme quoi qu’elle se portât parfaitement bien. Monsieur d’Userche ne fut pas apparemment la dupe de ce stratagême, et peu après les couches de sa femme il lui dit : Vous étiez il y a un an précisément comme vous voilà aujourdhui. Il la regardait fixement en même tems qu’il lui addressait ce discours, et tenait ouvert le rideau d’une croisée près de laquelle elle était assise. L’ayant bien regardée il laissa retomber le rideau, la quitta, et n’eut jamais, je pense, la tentation de lui attirer une rechûte du mal qu’elle avait eu, mais il s’attacha à l’enfant autant qu’il se dégoutta de la mere. Sois tranquille, lui disait-il souvent et fort haut, sois tranquille : je ne souffrirai pas qu’on me donne d’autres heritiers que toi. En effet il acheta une fort belle terre peu éloignée du village où l’on élevait Florentin, et y vécut dans une grande retraite, souffrant à sa femme les pratiques puériles d’une dévotion outrée, qui fut sa ressource, mais point de directeur, et aussi peu d’amis dévots que d’amis mondains. Je fus les voir plusieurs fois dans différens séjours que je fis chez Monsieur de la Touche, mais pour lui il n’y allait jamais, s’étant brouillé avec Madame d’Userche déja avant la naissance de sa fille. D’ailleurs Monsieur d’Userche n’attirait chez lui personne, et fut uniquement occupé de la culture de ses terres et de l’éducation d’Honorine, jusqu’à sa mort qui arriva trop tôt pour celle-ci.
Son malheureux sort était pourtant déjà décidé : elle avait déja vu Florentin ; ils avaient cueilli ensemble des marguerites et des violettes ; ils avaient caressé ensemble le petit agneau bêlant après sa mère ; ils avaient chassé à l’envi un cercle et élevé en l’air un cerf-volant, et déja, s’il en faut croire les doux et cruels souvenirs de Mademoiselle d’Userche, tous leurs amusemens n’avaient de charmes que lors qu’ils leur étaient communs. Un invincible attrait, à ce qu’elle m’a mille fois protesté, les attirait l’un vers l’autre. Jamais de querelles entr’eux, ni même, pour ainsi dire, d’envie ou d’opinion différente, car celle de l’un contestée un moment ne tardait pas à devenir celle de l’autre, et quelques fois ils se trouvaient en avoir changé tous deux en même tems. Monsieur d’Userche demandant un jour à Honorine qui était cet enfant qui venait tous les jours l’attendre dans la prairie, il lui plut de répondre d’un ton dédaigneux : c’est un petit garçon qui ne connait ni pere ni mere, et qu’on appelle le beau, Justifie-t-il ce sobriquet, dit Monsieur d’Userche, et trouves-tu que ce soit la peine de me le faire voir ? Mon Dieu non ! dit Honorine : et comme Mademoiselle Thérese sa gouvernante ouvrait la bouche pour la contredire, Honorine lui marcha rudement sur le pied et en même tems parla d’autre chose. J’ai remarqué, dit-elle à Mademoiselle Thérese quand elles furent seules, qu’on ne nous laisse pas jouir tranquillement de ce que chacun admire, et qu’il faut cacher ce que nous voulons garder. Si j’ai une belle rose je ne la mets pas devant moi de peur qu’on ne me la demande, et je dis toujours d’un fruit que je mange qu’il n’est pas mûr, de peur qu’on ne veuille que je le partage. Vous avez un amoureux Mademoiselle Thérese, dites, croyez moi, qu’il n’a point d’esprit, qu’il vous ennuye et qu’il vous rompt les bras quand il danse avec vous, peut-être qu’au moyen de cela vous pourrez encore long tems l’aller trouver le soir dans le pavillon du jardin et le faire entrer ici la nuit par la fenêtre. Mademoiselle Thérese fut étonnée — Mon Dieu Mademoiselle à sept ans qui vous en a tant appris ? — Vous, Mademoiselle Thérese, et beaucoup d’autres personnes qui m’instruisent comme vous sans le savoir. Mais ne craignez rien, j’aurai les yeux fermés ou la bouche close, sur le vieux jardinier qui vous donne des fleurs, sur le jeune à qui vous donnez tout ce qu’il vous demande, si vous ne faites pas semblant de voir quelques livres qu’il pourra m’arriver de cacher ici ou là, et si vous ne dites jamais ni bien ni mal de Monsieur de la Haye, si non — et elle la quitta. Honorine avait dès ce tems là, quand elle le voulait, le regard le plus imposant, le geste le plus impérieux. Sa démarche même était altiere. Mademoiselle Thérese la suivant des yeux trembla, resta imobile, et se promit d’être profondément soumise à celle sur laquelle elle était chargée de veiller. Quel misérable choix, dira-t-on, avait fait là Monsieur d’Userche ! Il fallait être bien aveugle — Honorine ne croit point à-présent qu’il le fut. Elle se souvient de lui avoir entendu dire qu’il ne desirait point qu’elle restât dans une ignorance totale de tout vîce. On dresse tant de piéges aux femmes, disait-il, qu’il est bon qu’elles les connaissent et que si elles se conduisent mal ce soit le voulant bien. Ne me parlez pas des bêtes, disait-il aussi : elles ne se relevent jamais des chûtes qu’elles peuvent faire : ne me parlez pas même de l’innocence de l’âge d’or dans un siècle de fange. Mademoiselle Thérese était adroite et propre, son langage était pur et ses manières décentes ; c’était tout ce que voulait Monsieur d’Userche qui d’ailleurs instruisait lui même Honorine dans les sciences qui étaient à sa portée, et faisait venir des maitres de Paris pour la danse, la musique et le dessin. Chacun d’eux restait trois mois au château depuis le tems ou l’on entre en automne jusqu’à celui où l’on est en été. C’était assez pour ce qu’il voulait qu’elle en sût de ces choses là, qu’elle apprenait d’ailleurs avec une médiocre émulation, n’en voulant pas savoir davantage que celui qu’elle aimait. Et quel art, quelles manières flatteuses n’employa-t-elle pas pour qu’il en put savoir autant qu’elle ! que de présens ingénieux ne fit-elle pas aussi ! Elle obtint ce qu’elle voulait, et tous ses maitres donnèrent des leçons à Florentin. On ne put me cacher quand j’allai le voir, ni ses dessins, ni son piano forte, et chez Monsieur d’Userche la dernière fois que j’y fus avant sa mort, j’éprouvai de la part d’Honorine des cajoleries, des prévenances, qui me demandaient éloquemment le secret sur ce qu’il avait bien fallu que j’apprisse. Florentin non seulement savait d’Honorine ce que Monsieur d’Userche lui avait enseigné, et de ses maîtres ce qu’ils enseignaient, mais il parlait et écrivait avec facilité et avec grace. Une correspondance était établie entre ces deux étonnans enfans ; Mademoiselle Thérese, et le jeune, et même le vieux jardinier se voyaient forcés en esclaves de porter les lettres et de faire pour Florentin toutes les autres choses qu’Honorine exigeait.
Elle avait environ douze ans lorsque Monsieur d’Userche mourut, ce qui fut une perte immense pour elle. Sa mere à qui l’on n’avait pas permis de se mêler de son éducation, s’en dédommagea par des actes d’autorité tout à fait ridicules. Elle voulait lui ôter Mademoiselle Thérese ; mais celle-ci instruite par sa jeune maitresse, flatta ses goûts avec une telle application, qu’elle se fit garder et obtint même plus de considération qu’elle n’en avait auparavant. Les utiles leçons étaient finies ; celles que donnerent l’intérêt, la passion, redoublerent, et l’artifice n’eut plus de bornes quand il fallut en user sans cesse pour obtenir ce qu’on desirait.
On juge bien que Madame d’Userche ne tarda pas à quitter un lieu d’exil et d’humiliation, elle revint à Paris plus belle qu’elle n’en était partie et tout aussi peu raisonable. Son bavardage, comme un torrent long-tems retenu, fatigua tour-à-tour amis, parens, mondains, dévots, et ce ne fut qu’à l’aide d’un excellent cuisinier qu’elle put attirer chez elle quelques savans peu à la mode, quelques abbés très-jeunes et quelques prélats déja vieux.
Je fus étonné un jeudi matin de recevoir par la petite poste un billet signé Honorine. On me suppliait de venir ce jour là même renouveller une ancienne connoissance, que pour mieux me gagner on appellait liaison. Madame d’Userche, à ce qu’on m’assurait, serait flattée que j’eusse appris que des gens d’Eglise, fort considérés, dinaient chez elle tous les jeudis et que je voulusse être de ce diner. „S’il arrivait, Monsieur, que vous vous ennuyassiez, me disait Honorine, “vous auriez la consolation de m’avoir beaucoup obligée. Croiriez-vous qu’une petite fille comme moi, ait à vous parler d’une chose intéressante ? Rien n’est plus vrai, et si vous vouliez bien être ici avant deux heures, ma mere serait encore à sa toilette et j’aurais le tems de vous parler.„
Je courus rompre un autre engagement, et à une heure et demi j’étais chez Madame d’Userche. Sa fille vint me recevoir. Vous voyez mon deuil, me dit-elle, et vous savez la perte irréparable que j’ai faite. Un de mes chagrins est d’avoir quitté un enfant de mon âge, qui n’a dans ce monde d’amis que vous et moi. Son malheur m’attache à lui encore plus que ses charmantes qualités ; on lui cache son pere, peut-être n’a-t-il, comme moi, plus de pere. Monsieur de la Touche à qui il eût été si facile de le protèger et qui a passé tant de fois devant la maison qu’il habite, devant le petit jardin où il jouait tout seul, n’a jamais cherché à le voir de près, ne demande point de ses nouvelles, et hors un moment où la petite vérole le mit en danger il n’a pas paru prendre le moindre intérêt à son sort. C’est vous, Monsieur, qui l’avez placé où il est, c’est vous qui payez sa pension et ses vêtemens, cependant je ne puis croire qu’il vous appartienne. Malgré votre état qu’on dit demander beaucoup de ménagemens pour qu’il soit aussi respecté qu’il doit l’être, je suis sure que vous prendriez chez vous un enfant aussi aimable que celui là. Honorine me regardait fixement et semblait vouloir m’attendrir, mais quoiqu’assurément j’entendisse bien ses paroles, son air et le son de sa voix m’occupaient davantage. Je fus frappé de je ne sai quel rapport entr’elle et Florentin, et pour la premiere fois je pensai que Florentin ressemblait à Madame d’Userche. Il était brun comme elle au lieu qu’Honorine était blonde, et l’on avait dit souvent qu’elle ne ressemblait ni à pere ni à mere, je lui trouvai pourtant comme je viens de le dire quelque chose du beau Florentin dans le regard et dans l’air de tête, mais sur-tout dans le son de voix et dans l’accent. C’est, pensai-je, à force de s’être vus et entendus. Si vous ne pouvez absolument le prendre chez vous, continua-t-elle, et vaquer vous même à son éducation…… et elle s’arrêta. Non seulement, lui dis je, vous vous trompez en me croyant son pere, mais je vous proteste que je ne connais pas ses parens, et ce que je soupçonnais à cet égard me parait dans cet instant tout à fait faux, ou du moins tout à fait invraisemblable. Mais, dit-elle, vous connaissez au moins les gens qui fournissent à son entretien puisque vous agissez pour eux. Ceux qui me font agir ne sont pas, à ce que je crois, ceux qui payent, lui dis-je ; mais n’importe : que voudriez vous d’eux ? — Qu’ils missent Monsieur de la Haye en pension à Paris ou dans une ville de province, le renvoyant pour sa santé passer l’été où il est. Au cas que vous y soyez, dis-je en souriant ; elle sourit aussi, ne répondit point, quelqu’un entra et elle ne montra plus soit avec moi soit avec le reste de la compagnie qu’une extrême réserve.
Le lendemain je fus chez celle qui m’avait confié le petit Vicomte et qui avait toujours fourni à son entretien. Je lui dis que le jeune homme étant fort aimable et paraissant destiné à jouir de quelque fortune et de quelque éclat, il me paraissait convenable de le tirer de son village au moins pendant cinq ou six mois de l’année, et de lui faire donner toute l’instruction dont son âge et son intelligence le rendraient susceptible. Madame de ** me dit qu’elle y songerait, et peu après elle me pria de le placer le mieux que je pourrais dans la principale ville de ma province. C’était une université, et j’y avais un ami qui arrangea promptement cette affaire. Le petit Vicomte à qui j’avais écrit, suivit l’homme qui le vint chercher de la part de mon ami. Voici la lettre que je reçus peu de jours après.
„J’ai obei Monsieur et je suis à ma destination. Je vous promets de reconnaitre vos bontés par mon application et ma docilité, mais je ne vous dissimule pas que je regrette le village où d’honnêtes gens m’ont soigné avec tendresse depuis que je me connais. Aucun endroit n’est le mien, aucune patrie ne me reclame, aucun parent ne m’a jamais souri, est-il étonnant que je sois affectionné aux lieux qui m’ont reçu et aux gens qui ont eu soin de mon enfance ? La jeune personne à qui je dois cette dernière marque de votre bonté, prévoyant peut-être mes regrets et sachant que je mets bien moins d’importance qu’elle, à ce qu’on appelle mon éducation, m’a promis de votre part que je retournerais au village dès le mois d’avril. Il me faut cela pour ne pas devenir malade ici de tristesse ; souvenez vous en s’il vous plait, Monsieur l’Abbé. Je crois qu’il est fort bon d’apprendre le latin, et je m’y applîque de toutes mes forces pour que ce soit plus-tôt fini. Mais une ville est triste pour qui n’habita jamais que les champs, la gêne est mortellement ennuyeuse et le jargon important du maître d’équitation, du maître en fait d’armes, du maître en fait d’habits et du maître en fait de frisure me tue presque. Je pleurerais si j’osais, mais on ne cesse de me dire que je suis un grand garçon, or un grand garçon n’oserait pleurer. Mon Dieu, que ne suis-je encore un petit garçon jouant à des jeux d’enfant avec Mademoiselle d’Userche ! Elle m’a permis de la nommer, Monsieur, quand j’aurais l’honneur de vous écrire, et m’a même ordonné de vous remercier de sa part.„
Me voilà donc le confident de ces deux enfans. J’en eus quelque honte et je sentis quelqu’inquiétude sur ce que deviendrait cette liaison d’une fille, l’un des meilleurs partis de France, avec un enfant qui n’avait ni nom ni parens. J’avais cessé de le croire fils de Monsieur de la Touche, qui semblait ne s’intéresser point à lui, et comme il n’avait pas pris en grandissant le moindre trait de ressemblance avec celle que je croyais sa mere, j’étais entièrement derouté sur son compte.
L’hiver se passa sans que j’eusse revu Madame d’Userche ni sa fille. Mais vers la fin d’Avril je reçus de celle-ci une lettre assez semblable à la premiere qu’elle m’avait écrite, sinon qu’aux honnêtetés on joignait quelques reproches. Comment, Monsieur, me disait Honorine, pouvez vous négliger à ce point une personne qui avait mis tout son espoir en vous ! Je fus touché, et j’allai le lendemain à cette petite assemblée du clergé qui dinait chez Madame d’Userche. Honorine trouva le moyen de se placer à côté de moi, et pendant que sa mere et d’autres parlaient avec une grande vivacité de je ne sai quelle misère, Honorine me dit : vous aviez promis, Monsieur, de faire renvoyer Monsieur de la Haye a son village dès le commencement du printems. Moi Mademoiselle ! lui dis-je ; point du tout, je n’ai rien promis et la chose ne dépend pas de moi. Je vous ai donc mal compris, dit-elle, et vous aussi vous ne m’aviez pas bien entendue. La demande que je vous faisais était conditionnelle. Jamais je n’aurais demandé qu’on éloignât ce pauvre enfant du seul endroit et des seules gens qu’il affectionne, si je n’avais obtenu en même tems que ce ne serait pas pour toujours. Il faudra songer à cela, Mademoiselle, lui dis-je, mais je vois des inconvéniens pour vous-même à ce qu’il retourne où il était. Une interruption dans la conversation générale donna à Mademoiselle d’Userche un prétexte de se taire et le tems de composer sa phisionomie. De l’air le plus simple et le plus enfantin elle me dit : qu’a de commun avec moi, Monsieur, le sort d’un enfant aussi délaissé, aussi dénué que celui là ? Ma mere à-présent que je deviens grande fille, me laissera à peine sortir de sa présence. Mademoiselle Thérese ne lui parait plus une gouvernante assez grave ; et supposé que j’aille à la campagne cet été j’y serai aussi genée que Florentin l’était à la ville. — L’était, Mademoiselle ! où est-il donc à-présent ? — Ne vous voyant point Monsieur, comment pouvais-je faire ? j’ai pris sur moi d’écrire à Florentin que surement vous ne retracteriez pas une promesse positive, et qu’il pouvait prier de votre part votre ami de le renvoyer à son village. Mon air lui annonçant une réponse peu agréable, elle fit semblant de s’appercevoir qu’on nous écoutait et se mit à parler à ses autres voisins. Il était malade, me dit-elle, quand on se leva de table, si j’ai fait une faute, ayez l’humanité de me la pardonner. Quinze jours après Madame et Mademoiselle d’Userche partirent pour la campagne. Honorine persuada à sa mere que son exemple lui tenait lieu des leçons de la plus sage gouvernante, Mademoiselle Thérese resta donc ce qu’elle était, retrouva ses jardiniers, et reprit toute sa complaisance.
L’automne venue, Madame d’Userche et sa fille revinrent à Paris et Florentin enhardi par son amie et par l’expérience, retourna de son chef à l’Université. Cette fois il avait un laquais. C’était le plus jeune des amans de Mademoiselle Thérese, qu’Honorine, joignant à ses épargnes le prix de quelques bijoux, avait habillé d’une belle livrée et dont elle avait payé d’avance les gages et l’entretien. On fut persuadé que je l’avais moi-même placé auprès du jeune homme. Le laquais le disait et la maître le croyait, ne soupçonnant pas, qu’Honorine seule eut imaginé de lui donner, par le moyen de Gaspard, avec un relief nouveau qui lui allait fort bien, un espion, un surveillant, qui la rendait elle-même beaucoup plus tranquille. Gaspard avait ordre d’éloigner de son maître toute femme jolie ou belle, soit qu’elle fut vive ou indolente, facile ou fiére. Il n’y avait que les prudes bien laides qu’il dût laisser approcher, encore devait-il, s’il appercevait le commencement d’une liaison un peu intime, en avertir aussi-tôt Mademoiselle d’Userche. Celle-ci pour laisser le moins de loisir possible à son jeune ami, lui écrivait deux fois la semaine, et joignait à ses lettres, tantôt des livres nouveaux, tantôt une jolie estampe, tantôt un bijou, de sorte qu’il était sans cesse occupé, paré, amusé par elle, et qu’il ne pouvait pour ainsi dire lui échapper. Mais il ne songeait point du tout à se soustraire à un si doux empire, et Honorine trouvait si bien le moyen, de faire passer pour des bagatelles sans valeur, tout ce qu’elle lui envoyait, pour de bons offices les plus faciles du monde, tout ce qu’elle faisait pour lui, que même l’obligation de la gratitude ne pouvait presque pas se faire, sentir, ni se séparer dans son cœur de la plus tendre affection. J’ai vu plusieurs de ses lettres à sa jeune amie. Rien de plus aimable. Il lui rendait compte de ses pensées, de ses actions, et tout y était pur et doux, comme l’air qu’on respire un matin d’été, quand le soleîl éclaire de ses premiers rayons, la nature encore à moitié assoupie. En effet tout attendait encore chez Florentin un dernier développement. Moins précoce qu’Honorine, ses amusemens, ses leçons, les éloges et l’affection de ses maîtres, lui suffisaient encore, et sa charmante figure, sa taille legère et noble mettaient à profit ce tems de calme, pour prendre, avec un entier accroissement, les formes les plus agréables.
Sur la fin de Mars, Monsieur de la Touche, accompagné de quelques amis, traversait à pied la ville où était Florentin. Il voit un charmant jeune homme manier un cheval fort vif ; il l’en voit descendre ; il le voit saluer des gens qui le regardaient, tandis qu’un laquais fort bien mis, emmene son cheval. Qui est ce jeune homme ? dit le Marquis à des passans. Eh ! le Vicomte de la Haye ! répondirent-ils, avec un ton de surprise, comme si personne, pas même un étranger n’eût du ignorer son nom. Tout de suite le Marquis l’aborda et après un moment de conversation, il le pria de vouloir bien venir prendre un appartement chez lui, lors qu’il trouverait la saison assez belle, pour préferer la campagne à la ville.
Florentin interrogé sur ce qu’il avait éprouvé dans ce moment-là, dit n’avoir rien senti qu’un mélange de chagrin et de reconnoissance. Il craignait que sa demeure au château, ne le gênât dans sa liaison avec Honorine. Pour Monsieur de la Touche, il eut un embarras qui frappa d’autant plus ceux qui le virent, que c’était l’homme du monde qui paraissait avoir le moins de timidité et le plus d’empire sur lui même. Florentin n’avait répondu que par des remerciemens vagues. Il écrivit à Honorine. „Dis moi ce que tu veux que je fasse, et demande à l’Abbé de la Tour, ce qu’il me conseille ou m’ordonne. Je vous avertis l’un et l’autre, que j’aimerais mieux vivre dans une bicoque, faite de terre, couverte de chaume, y coucher sur de la paille, m’y nourrir de pain sec et d’eau, que de perdre un seul des momens que j’ai coutume de passer avec toi. J’ai appris tout ce que tu as voulu que je susse, et le cœur me dit, que nous pouvons être à l’avenir encore plus heureux ensemble, que nous ne l’avons été jusqu’ici. Qu’on ne fasse pas tourner contre moi, ce que je puis avoir gagné, et tout en me complimentant sur ma taille, sur ma danse, sur je ne sai quoi encore, qu’on ne vienne pas m’ôter mon bonheur. Il faut savoir que j’ai fort grandi ; aussi aurai-je quinze ans et demi dans trois jours. Quelques fois j’ai peur que tu ne me reconnaisses pas. Monsieur de la Touche ne m’a pas reconnu, mais aussi a-t-il été un an et demi sans me voir, et jamais il ne m’a beaucoup regardé. Parle, je t’en prie, à l’Abbé. J’aurais pu lui écrire, mais tu lui diras mieux que moi ce que je pense, et tu y mettras ce que tu voudras du tien, faisant en sorte qu’on ne m’ordonne que ce qui nous conviendra à toi et à moi. Demande lui aussi s’il faut que je garde ou renvoye Gaspard.”
Cette fois Honorine voulut me parler plus à son aise, qu’elle ne le pouvait chez sa mere. Elle m’écrivit, me conjurant de me trouver au Luxembourg le lendemain matin s’il faisait beau tems, au Lycée s’il pleuvait. „Si je ne vous trouve ni à l’un ni à l’autre endroit, disait-elle en finissant, je supposerai que vous êtes malade j’irai vous chercher chez vous.” Ne pouvant donc lui échapper, je me rendis au Luxembourg. Elle m’attendait et vint à moi aussi-tôt qu’elle m’apperçut. Je fus frappé à l’aspect de sa personne alors tout-à-fait formée, et qui joignait à la fraîcheur du premier âge, la grace et l’assurance que donne le sentiment de ce que l’on est et de ce que l’on peut. Vous avez peine à me reconnaitre, me dit-elle en souriant, en dois je être fâchée ? Je l’assurai qu’elle n’avait que gagné depuis près d’un an que je ne l’avais vue. Ses yeux en effet me parurent plus vifs, et je remarquai que des cils et des sourcils bruns, donnaient chez elle à des yeux bleus une beauté qu’ils ont rarement. Imaginez avec cela de beaux cheveux blonds, une grande blancheur, assez d’embonpoint, une stature au dessus de la médiocre, une demarche ferme et fière, et vous aurez une idée d’Honorine d’Userche telle qu’elle était à quatorze ans et demi, depuis, elle a grandi encore et encore embelli, jusqu’à ce que le malheur ait fané tout à coup cette fleur éblouissante. Elle a perdu son éclat, mais les formes sont restées ; à présent elle attendrit ou plutôt elle tourmente le cœur, alors elle enchantait.
Voici me, dit-elle, après avoir joui un moment de mon admiration, la lettre de quelqu’un chez qui il s’est fait les mêmes changemens que chez moi, et qui craint de n’être pas reconnu, mais je le reconnaitrais à un seul de ses cheveux, à un seul de ses accens ou de ses mouvemens. En même tems elle me donna la lettre, glorieuse sans doute de ce que j’allais voir avec la plus belle écriture, l’orthographe la plus correcte. Voilà qui est bien tendre, dis-je, en lisant certaines expressions. Honorine rougit et fit un mouvement pour reprendre la lettre. Mais se remettant aussi-tôt : Des enfans élevés ensemble, dit-elle, auraient bien mauvais cœur s’ils ne s’aimaient pas. Je continuai bas ma lecture. Qu’est-ce que ce Gaspard ? lui dis-je, en lui rendant la lettre. Un domestique dit-elle, que je lui ai donné, et que j’ai payé, en lui laissant croire que c’était vous. Si vous étiez venu nous voir, une seule fois, l’été dernier, je ne me serais pas avisée de rien faire de ma tête, mais vous abandonniez des enfans, qui sont, l’un sans protecteur, l’autre sans aucun guide raisonnable. Elle se tut, et je gardai le silence. Il y avait quelque vérité dans le reproche d’Honorine. Je le sentais, et cependant ma répugnance à me mêler d’une destinée aussi obscure que celle ci, m’empêchait de promettre une surveillance plus active. Que répondrai-je ? dit enfin Mademoiselle d’Userche. Pour moi il me semble, que Monsieur de la Haye sera en quelque sorte à sa place, quand il sera chez le Marquis. Quelques fois j’ai cru que le Marquis était son pere, et cette idée me revient aujourd’hui. Ne lui ressemble-t-il point ? Je n’ai jamais vu le Marquis, mais vous le connaissez. Je ne trouve aucune ressemblance entr’eux, répondis-je, mais j’ai trouvé que Florentin ressemblait — A qui ? me dit-elle avec émotion — A Madame votre mere. Mon Dieu quelle idée, s’écria-t-elle, et je la vis pâlir, je crus même voir un frémissement dans toute sa personne. Vous même ne trouveriez-vous pas, lui dis-je, dans le regard, dans — Mon Dieu qu’en pourrais-je savoir, dit-elle avec précipitation, et comme si elle n’eût pas voulu s’arrêter sur cette idée. Je ne regarde jamais maman que pour deviner ce qu’il faut faire ou éviter de faire, devant-elle, ce qu’il faut taire ou dire, et en vérité je ne sais pas de quelle couleur sont ses yeux ni ses cheveux. Vous connaissez mieux, je pense, ses goûts, ses faibles, lui dis-je. Cent fois mieux, interrompit-elle, c’est avec cela que je vis et qu’il faut que je vive. Mais vous me faites babiller comme un enfant. Que répondrai je à Florentin ? Je vous le dirai dans trois jours, lui répondis-je. Donnons nous rendez-vous comme aujourd’hui, au Lycée ou ici. Soit, dit-elle. Je serai tous les jours selon le tems qu’il fera dans l’un ou l’autre endroit ; pour le moment souffrez que je vous quitte : Mademoiselle Thérese me fait signe qu’il est tems de rentrer à l’hôtel.
Je fus de ce pas chez Madame de ** à qui je parlai en conséquence de la lettre de Florentin. Elle fit semblant d’avoir quelqu’un à consulter, et me promit de répondre à ma demande dans deux jours au plus-tard, A-propos, dis-je avec une sorte d’embarras, il se trouve qu’il a un jeune villageois pour laquais. Sachez s’il faut qu’il le garde, et si Gaspard (c’est Gaspard qu’il s’appelle) sera payé. Pourquoi non ? dit Madame de **. Le Vicomte est d’un age à avoir quelqu’un pour le servir, et autant vaut celui là qu’un autre. Au bout de deux jours Madame de ** m’écrivit. „On consent à ce que Florentin aille chez Monsieur de la Touche, et qu’il y mène son Gaspard. On lui continuera tout l’été ce qu’on payait au village pour sa pension, et selon toute apparence il passera l’hiver prochain à Paris.” C’est ce que je voulais, s’écria Mademoiselle d’Userche à ces derniers mots du billet, que j’eus soin de lui lire tout entier, et elle avait tant de joye, qu’il lui était difficile d’en modérer l’expression. Cette fois notre conversation ne fut pas longue ; elle me quitta pour écrire à Florentin, qui fut, sans doute, rassuré par elle rélativement à ce qu’il craignait, car étant allé voir mon ami, chez lui, lors d’un voyage que je fis dans ma province quelque tems après, je trouvai le jeune homme fort disposé à venir avec moi, chez Monsieur de la Touche.
C’était une admirable applanisseuse de difficultés, que Mademoiselle d’Userche. Elle imagina de faire faire sur les mesures qu’on lui envoya, des habits d’été parfaitement semblables, pour Gaspard et pour son maître. „Comme vous êtes à-peu-près de même taille,” disait-elle à Florentin „le matin à l’aube du jour, ou le soir sur la brune, le faux Gaspard pourra venir voir la fausse Thérese qui aura des habits à double aussi. Mêmes jupons, pierrots, chapeaux, souliers, rien n’y manque. J’ai fait présent à Mademoiselle Thérese de tout ce qu’elle devra porter tout l’été, à condition que lors que je jouerais son rôle, elle resterait enfermée, et qu’on n’appercevrait pas plus son ami Gaspard que s’il n’existait pas. Nous nous promenerons ensemble au parc, nous nous reposerons ensemble dans le pavillon, au moins de deux jour l’un, sans que personne ne s’en doute.
A peine ces préparatifs étaient-ils faits, que Madame d’Userche annonça à sa fille, qu’il faudrait bientôt quitter Paris. Quoi si tôt, maman, dit la rusée Honorine, à peine trouverons nous la campagne verte et en fleurs. N’emmènerez vous pas au moins l’Abbé Théodore avec vous ? — C’était un beau jeune homme de vingt-quatre ans, que l’on pouvait comparer à l’Abbé Dillon. Madame d’Userche lui trouvait de la dévotion et de l’esprit. J’y avais pensé dit-elle a sa fille, mais le monde est si méchant…… Bon ! dit Honorine, si le monde n’avait pas appris à vous rendre justice, il faudrait peu s’embarrasser de ses jugemens ! Qui est-ce qui à votre âge, et avec votre figure aurait mené une vie aussi exemplaire que vous ? — Tu trouves donc Honorine… — Oh, maman ! je vous trouve admirable ! Où est-ce qu’on vous voit, si non chez vous, entourée pour ainsi dire d’anges et de saints, et dans les Eglises ! J’y deviens dévote à votre exemple. Oh ! votre réputation me parait à l’abri de tout soupçon. L’Abbé entra dans ce moment. Honorine lui dit la pensée qu’avait eu sa mere, et l’on convint du jour où l’on partirait pour la campagne. On y arriva la veille du jour, où je vins de mon côté, avec Florentin, chez Monsieur de la Touche. Nous ne le trouvâmes pas chez lui. Honorine, qui ne voulait pas me faire part des moyens qu’elle avait imaginés pour voir son ami sans contrainte et qui pensait que pour être conséquente, et ne me faire soupçonner aucun mystère, il ne fallait pas affecter trop d’indifférence, m’écrivit ! qu’elle me priait de mener avec moi Florentin chez Madame d’Userche. „Maman ne l’a jamais vu” me disait-elle, „ou si elle l’a vu, elle ne l’a pas remarqué. Il n’y a que son nom qui m’inquiette ; peut-être se souviendra-t-elle de l’avoir entendu prononcer. Mais n’importe, je trouverai quelque moyen de nous tirer d’affaire, et je vous supplie, Monsieur l’Abbé, de venir au château dès aujourd’hui avec votre protègé qui est, à ce qu’il me semble, bien digne de son protecteur.”
Nous allâmes. Ah ! s’écria Honorine, voilà Monsieur l’Abbé de la Tour avec le jeune homme qui est chez Monsieur de la Touche. Il se nomme le Chevalier de Vienne, dit-elle assez haut pour l’entendissions. De Vienne ! repeta sa mere. Voilà un beau nom ! je vous félicite de le porter, Monsieur le Chevalier : je croyais cette famille eteinte, mais je me serai trompée. Depuis quand, Monsieur l’abbé, êtes vous dans notre voisinage ? — Et la conversation alla son train ordinaire. Aussi-tôt que je le pus sans trop d’impolitesse, je cessai d’écouter Madame d’Userche, et je jettai les yeux sur les deux jeunes gens. Jamais je ne vis d’extase pareille, on eût dit qu’une nouvelle ame naissait chez Florentin. Ses yeux brillaient d’admiration, d’amour et de joye. Honorine non moins enchantée, était moins surprise, se possèdait mieux. Elle fit diverses questions au jeune homme, avec tant d’art et d’esprit, qu’elle dissimula parfaitement leur liaison, sans que j’eusse pourtant à lui reprocher aucune fausseté, aucun mensonge.
Quand elle vit que je songeais à me retirer, elle appella Mademoiselle Thérese et demanda à sa mere la permission de nous accompagner jusqu’au bout de l’avenue. Moitié réjoui, moitié chagriné, je lui demandai comment elle s’était avisée du nom de Vienne, et je l’assurai que sa mere ne tarderait pas à apprendre, que ce nom n’était pas celui de Florentin. Qui sait si elle le saura jamais ? dit Honorine, et quand elle le saurait, la trace d’un nom qu’elle appelle beau, resterait avec un peu d’erreur ou du moins d’incertitude. On disait l’autre jour devant moi, qu’une calomnie laissait pour toujours une tache sur le calomnié, j’ai pensé aussi-tôt : qu’il en était de même de tout ce qui se dit, de tout ce qu’on entend. Un mal entendu, un mot dit pour un autre, se marque dans la mémoire — chez ma mere surtout. Je me suis amusée tous ces jours-ci à en faire l’expérience. Le nom de de Vienne lui reviendra toujours, dès qu’elle songera à Monsieur de la Haye, et je lui dirais tout à l’heure son autre nom, qu’elle dira de Vienne à tout le monde, quitte à se reprendre le moment d’après. Mais ceci me donne une heureuse idée. Pourquoi ne pas appeller toujours Florentin le Chevalier de Vienne ? Il n’y a plus personne, m’a-t-on dit, de ce nom là, de sorte que personne ne viendra le disputer à Florentin. Il est beau ce nom à ce qu’on dit. Pourquoi donc ne le pas prendre ? Qu’est-ce qu’un nom ? La chose du monde la plus indifférente : des lettres, un son, dont il est trop heureux qu’on puisse tirer parti. S’approprier une chose si vaine, c’est ne rien voler ; je prendrais demain un nom de mon choix parmi tout ce qu’il y eut jamais de noms, ou ce qui pourrait jamais s’en fabriquer. Mademoiselle Thérese ayez soin d’envoyer demain un paquet à l’adresse de Monsieur le Chevalier de Vienne chez Monsieur de la Touche, et dites à Gaspard aujourd’hui même, d’appeller son maître Monsieur de Vienne. Je vois à cela tout plein d’avantages et pas un seul inconvénient. Honorine n’eut pas plutôt prononcé cet arrêt, qu’elle nous salua et retourna au château.
Je restai abasourdi ; Florentin l’était encore davantage. Que faire me dit il ? Voudriez vous avoir la bonté d’instruire Monsieur de la Touche, à son retour, de cette plaisanterie ? Peut-être Mademoiselle d’Userche voudrait-elle que je ne parusse plus cet enfant sans aveu qu’on a vu si longtems dans ce canton. On dit que j’ai beaucoup grandi et beaucoup changé, elle croit peut-être qu’on ne me reconnaitra pas — J’irai pourtant voir, au premier jour, les gens qui m’ont élevé — mais ils sont vieux et ne vivent presque avec personne : la femme ne quitte pas son mari malade. Je puis n’y aller qu’à nuit tombante.
J’étais embarrassé et ne savais que répondre. Il y avait une sorte de vérité à ce qu’avait dit Honorine, et une sorte de convenance à ce que Florentin pensait qu’elle avoit imaginé. Après tout, me disais-je, pourquoi priver un jeune homme, né avec tant de désavantages, de ce que le hazard ou l’amitié lui pourraient apporter de bonheur ? Pourquoi empêcher qu’un préjugé ne le serve contre un préjugé qui le desservirait ? — Sans avoir rien résolu ni rien promis, je l’appellai de Vienne, le soir, en présence des domestiques du marquis, et Gaspard instruit déja par Mademoiselle Therese, et enhardi par mon exemple, dit vingt fois Monsieur le Chevalier de Vienne. Chacun dans la maison en fit autant, et Monsieur de la Touche à son retour trouva son jeune hôte établi chez lui avec son nouveau nom. Il n’eut garde de s’en montrer surpris, ne devant pas savoir son nom mieux qu’un autre. Ah Monsieur, lui dit-il seulement, vous vous appeliez de Vienne ! le nom que je vous connaissais était sans doute un nom de terre. Je dis qu’oui, et ignorant que je parlasse à un homme plus instruit que moi, je crois que je nommai la province où cette terre était située.
Peu aprés, je fus voir Mademoiselle d’Userche. Le nom a pris, lui dis je, mais que comptez vous faire de tout ceci ? Faire la fortune de Monsieur de Vienne, l’épouser, me dit-elle, mais cela pourtant le plus tard que je pourrai. Nous sommes si heureux à présent ! Je suis sa bienfaitrice tous les jours et en détail. Je l’aime tant ! Il m’aime tant ! Car à présent il est amoureux, Monsieur l’Abbé, il est amoureux ! Concevez vous ma joye ? Mais, lui dis je…… oh, interrompit-elle, il n’y a point de mais. Fût-il fils d’un Turc, d’un Juif, d’un journalier, d’un journaliste, d’un renégat, d’un Pape, d’un charlatan, d’un danseur de corde, c’est égal. A présent je redeviens un enfant. Je n’aurai plus besoin de tant de prudence. Il est amoureux, il est chez Monsieur de la Touche, il s’appelle de Vienne, il viendra à Paris, l’affaire est toisée, allons réjouissons-nous, vive Florentin ! vive le Chevalier de Vienne ! et elle dansait, sautait, chantait, comme une personne en délire. Tout d’un coup Madame d’Userche parut, ce qui la força pour un moment de reprendre une assiette plus raisonnable, mais l’Abbé Théodore étant aussi venu nous joindre, elle put donner à sa gayeté un nouvel essor. Mon Dieu, dit-elle, Monsieur du corbeau, que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! Quelle fraicheur et quel charmant embonpoint ! on serait tenté, si on ne vous connaissait pas, de trouver assez bien ce petit de Vienne, que nous vîmes il y a trois jours. Mais cela est hâlé, cela n’a point cet air de ville, cet air de n’avoir jamais vu le soleil qu’au travers du feuillage des Tuilleries. En vérité, je suis jalouse de votre teint, et maman elle même, qui est si blanche, et qui ne prend son rouge que des mains de la nature, a quelque peine à soutenir la comparaison. Notez que Madame d’Userche mettait du rouge imperceptiblement, et cela dans son lit, dès qu’elle avait les yeux ouverts ; mais l’éloge et la plaisanterie étaient mêlés de telle sorte, dans tout ce discours, qu’il était impossible de s’en fâcher. A qui en a cette petite folle ? dit Madame d’Userche. C’est le plaisir de vous voir si jeune, si belle, Monsieur l’Abbé si joli, si beau, qui me transporte, dit-elle, en baisant les mains de sa mere, et faisant mille autres folies. Allons faire un tour sur la terrasse, me dit-elle un moment après, mais nous aurons l’oeuil, tout en nous promenant, sur l’Adonis et sur la Vénus de ces lieux.
Mon Dieu, que vous flattez bien, lui dis-je, quand nous fûmes seuls, et que vous êtes adroite ! Quand je pense que vous n’avez pas encore quinze ans vous me paraissez un prodige. J’ai peine quelques fois, à en croire mes yeux. Serait-il vrai ? me dit Honorine, d’un air serieux et avec un parler lent et triste. Cela ne doit pas inspirer de la confiance ni même de l’intérêt. Je n’ai jamais reflêchi à cet égard sur moi même, et n’ai été surprise que des maladresses que je faisais. Tout à l’heure, par exemple, vous témoigner tant de joye, c’était vous dire, sans que j’en eusse le dessein, que j’avais vu mon jeune ami en secret, ou qu’il m’avait écrit, car ce n’était pas la peine pour la visite cérémonieuse qu’il fit l’autre jour ici, d’être si transportée, et je n’aurais pu me persuader, sur la foi de quelques regards, qu’il eût pour moi le sentiment dont je viens de me vanter à vous. Je l’aime, reprit-elle, après un moment de silence. Je l’aime à tel point que tout ce que j’ai lu d’amour dans les poëtes et dans quelques romans, me parait froid en comparaison de ce que j’éprouve. On arrange des mots, l’un écrit de l’amour avec noblesse, l’autre avec agrément, moi je ne saurais en parler ni en écrire. Mais du matin au soir, et souvent aussi du soir au matin, j’ai dans la tête un seul objet, un seul intèrêt. Il faudrait être imbécille, pour ne pas devenir clairvoyante, adroite, habile, rélativement à l’unique chose qui occupe. Au reste, Monsieur l’Abbé, c’est d’après vous que je me qualifie, car je n’avais pas pensé être tout ce que je viens de dire, ni le contraire non plus, je n’y avais pas songé. Sur d’autres objets on me trouve reculée. Tous mes maîtres se plaignent de moi. J’aime assez la musique et n’y puis réussir. A mon âge, le jeune Mozard composait de fort belles choses, et j’ai vu au concert spirituel des enfans faire l’admiration du public. Oh je ne suis pas un prodige ! Votre étonnement m’a presque affligée. Mon Dieu, si Florentin allait s’étonner comme vous ! Si après avoir, pour lui, flatté, ménagé tout le monde j’allais par cela même me perdre auprès de lui ! Mais non, dit-elle, je suis folle, cela ne peut arriver. Il ne peut voir dans mon cœur que ce qu’il y a ; il n’y verra ni l’envie de tromper par amusement, ni le désir de me rendre la maîtresse de l’esprit de personne, il n’y verra qu’une tendresse sans bornes. — Maman a besoin que je la flatte pour m’aimer un peu, car elle n’aime au fond qu’elle même, et j’ai besoin qu’elle soit distraite par l’Abbé, ou par quelqu’autre, pour qu’elle ne fasse pas trop d’attention à moi. Voilà tout, Monsieur l’Abbé. Mais je crois que notre conversation a été assez longue. Revenez de grace. Je ne vous flatterai et ne vous tromperai jamais. Je ne demande de vous que bien peu d’intérêt pour moi même, mais je voudrais vous en inspirer beaucoup pour Florentin, pour l’objet unique et en quelque sorte sacré de mes affections. Florentin est pour moi un Dieu, aux genoux duquel je voudrais mettre tout le monde. Elle se tut, une larme de tendresse ou comme d’enthousiasme brilla dans ses yeux. Si jamais une pareille idolatrie a pu être justifiée ou comprise par un spectateur indifférent, c’est dans cette occasion. Florentin réunissait tout ce qu’on admire. Dans une figure et des traits sans défaut brillaient mille charmes. On y voyait l’esprit avec la candeur, la douceur avec le courage. Il était fort sans rudesse, mesuré sans timidité, assuré sans arrogance. Toute sa personne était brillante et parfaite.
Il ne put se cacher si bien sous un habit tout semblable à celui dont s’habillait Gaspard, que je ne le reconnusse un soir au clair de lune, en passant auprés de lui. J’allais lui parler, il mit le doigt sur ses lèvres et passa. Monsieur de la Touche me suivait à quelques pas de distance. Tu sors bien tard, Gaspard ! lui dit-il.
Monsieur de la Touche avait certainement d’aussi bons yeux que moi, mais il comblait Florentin de bontés. Sa bibliothèque n’avait point de livres si rares, ni son écurie de chevaux si superbes ou si légers, qu’ils ne fussent tout le jour au service du jeune homme ; il ne le regardait que pour l’admirer, ne lui parlait que pour lui applaudir. Comment soupçonner qu’à seize ans il courût après quelqu’autre jouissance ? Qu’il eût déja un sentiment, une ame, qui ne fût pas celle qu’il plaisait à son bienfaiteur de lui inspirer ? Malheur à lui, si Monsieur de la Touche eût su, qu’il se fût émancipé jusques là ! malheur à tout homme dépendant de Monsieur de la Touche s’il lui eût reconnu l’audace d’une volonté indépendante, d’une pensée dont il n’eût pas été l’instigateur ! Malheur aussi à qui l’aurait trompé ! Rien cependant n’était si facile. Soit qu’il ne crût pas qu’on l’osât jamais, soit pour s’épargner la douleur, de voir qu’on l’eût osé, il fermait les yeux, ou bien il était réellement aveugle, et je n’ai jamais vu d’homme d’esprit, qui sût si peu ce qui se passait chez lui et autour de lui. L’apprenait-il enfin, et se voyait-il forcé d’être mécontent, il ne pardonnait jamais. Un mot de Madame d’Userche, dans le commencement de sa seconde grossesse, l’avait brouillé avec elle irrémissiblement, et je crois que ce fut sa haine pour elle, qui l’avait rendu si longtems si froid pour son fils. Il est vrai que ce mot était fâcheux et digne de celle qui l’avait dit. Que ne vous ai-je connu le premier, dit-elle au Duc de ** ! mais j’étais un enfant encore, quand un tyran m’a subjuguée. Le marquis qu’elle croyait bien loin était derriere sa chaise. Il se montra, et ne lui parla plus. A l’amour propre que je viens de peindre, se joignaient chez lui tous les autres genres d’amour propre, ou du moins tous ceux, avec lesquels on peut n’être point ridicule. Il était fier de sa naissance, ou plutôt il dédaignait celle d’autrui, car il ne parlait jamais de la sienne, et traitant ses égaux avec affabilité, ses inférieurs avec politesse, il évitait ses supérieurs. Rélativement aux talens et aux sciences, c’était la même chose à peu près, si non que bien aise sans doute d’apprendre de ceux qui en savaient décidement plus que lui, il les attirait quelques fois, sous prétexte de les faire voir à d’autres, que leur réputation avaient enthousiasmés. Alors il écoutait avec une extrème attention. S’il lui arrivait (ce qui était fort rare) d’énoncer une opinion, et que cette opinion fut contredite, il ne cédait ni ne combattait. Un ricannement, ou un persifflage dèdaigneux le tirait d’affaire. Comment oser entrer en lice avec un homme tel que vous, disait il, en riant à l’homme qui l’avait contredit, surtout devant Monsieur ? et peut être aurait-il nommé le plus ignorant de la compagnie. On voit bien qu’il ne pouvait pas être fort aimé, mais il n’était pas haï non plus, parce qu’il ne faisait précisément de mal à personne. Le faste de son caractère se cachait sous des dehors assez simples, qui n’étaient pour les clairvoyans qu’une ostentation de plus. Voyez, avait-il l’air de dire, dans un carosse sans dorure, avec des laquais en petite livrée, et vêtu lui même fort simplement, voyez de quoi un homme tel que moi se contente ! mais un homme tel que moi, n’a pas besoin d’emprunter son éclat d’un luxe vain. Au reste bien loin que ce fut ici la simplicité et l’orgueil de Diogéne, c’était une simplicité élégante, un orgueil tellement arrangé et modifié, que les uns ne l’appercevaient pas, et que les autres en admiraient l’adresse. Ceux ci remarquaient que la nature avait merveilleusement secondé cet orgueil, en donnant au marquis l’extérieur le plus noble et l’élocution la plus imposante. Quant à de l’esprit, il en avait sans doute, mais je n’ai jamais pu démêler, s’il en cachait plus qu’il n’en laissait voir, ou si ce qu’on n’en voyait jamais distinctement, ce corps de réserve qu’il avait l’art de faire supposer, n’existait réellement pas. Pour le monde c’était la même chose ; l’on croyait son armée forte des troupes qu’on ne voyait pas, encore plus que de celles qu’on voyait. Une incertitude pareille couvrait sa fortune, et sur ce point j’ai sincèrement admiré l’art qu’il avait. Jamais le public n’a pu l’apprécier d’après son revenu, ni lui tracer en conséquence un plan de conduite, comme il s’en arroge trop souvent le droit. Vivait-il avec économie ? il se pouvait que cela fut nécessaire ; faisait-il un acte de générosité ou de magnificence, c’était bien, c’était noble, et l’on ne pouvait dire si cela était sage ou extravagant. Enfin Monsieur de la Touche s’entourant comme d’un voile plus brillant que sombre, me faisait souvenir du siege de Troye et de ces nuages propices, dont une divinité bienveuillante couvrit plus d’une fois ses plus chers favoris. Cependant en un point il perçait le nuage, et soit conviction, soit prétention, il montrait sa pensée trop à découvert. Je dirai bientôt quelle était cette opinion malheureuse, ce désastreux systême qu’il étalait à tout propos.
Un jour ou deux après cette rencontre que nous fîmes, lui et moi, de Florentin habillé comme Gaspard, il me proposa une promenade, disant qu’il avait m’entretenir. En savez vous plus que moi, me dit-il, sur cet enfant élevé à deux pas d’ici fort obscurément, et qui se trouve s’appeller de Vienne ? Je crois me souvenir, que toutes les fois que vous avez passé quelques jours chez moi, vous l’êtes allé voir, et même on m’a dit que cétait vous qui l’aviez placé et fait élever. Pourriez-vous sans indiscrétion me dire, quelles gens vous ont confié ce soin ? Non, lui dis je, ce seroit manquer à ma parole. Quoi que je fusse fort jeune, lors qu’une femme me chargea de cet enfant, je lui en ai toujours gardé le secret ; peut-être au reste n’a-t-elle rien de commun avec lui. Je sais au fond très peu de chose sur cette affaire. Pourquoi aprés tout, reprit le marquis, n’appartiendrait-il pas à la famille dont on lui fait porter le nom ? on la dit éteinte, et d’une certaine façon elle pourrait l’être, sans que pour cela le chevalier n’en fut pas. Ce nom est antique et beau, j’en accepte l’augure, et comme le jeune homme est charmant, j’ai envie de lui donner de façon ou d’autre un éclat qui réponde à son nom. Toujours j’ai pensé, que j’aimerais mieux me choisir un fils, que d’en avoir un des mains du sort, dont je ne serais peut-être pas seulement le vrai pere. C’est un des cent motifs qui m’ont empêché de me marier. Et que ferez vous pour Monsienr de Vienne, dis-je au Marquis ? Le marierez vous malgré vos cent motifs de répugnance pour le mariage ! Il serait difficile de le marier d’une maniere brillante, me répondit-il. Dans ces occasions on demande d’ordinaire des éclaircissemens, que nous aurions peine à donner, je crois que je trouverais l’Eglise ou le grand maître de Malthe plus traitables, que les parens d’une fille, qui apporterait avec elle une riche dot, ne fussent-ils même que des gens de robe ou de finance. Peut-être, dis-je ; mais est-il bien sûr que Florentin voulût de la vocation que vous lui donneriez ? Ah !… dit-il, (et le ton d’autorité qu’il était sur le point de prendre faillit déceler ses droits sur Florentin) Monsieur l’Abbé, reprit-il d’un ton plus doux, vous êtes trop prévoyant et ne comptez pas assez sur ce que beaucoup de bontés et un peu d’adresse peuvent sur l’esprit d’un jeune homme, qui jusqu’ici a vécu sans espoir de fortune et sans autre protection que quelques soins que vous lui donniez. Il vous écoute et parait vous aimer, aidez moi, je vous prie, à lui faire agréer ce que je désire de faire pour lui. Peut-être, dis-je, que les vœux qui le priveront d’une femme l’effrayeront. Bon ! dit-il, qu’est-ce que des vœux et qu’est-ce que cet être chimérique, à qui on promet une ridicule abstinence ! La figure de Monsieur de Vienne lui donnera des droits sur toutes les femmes, et je ne doute pas que ces droits là il ne sache les faire valoir. Il ne tardera pas à savoir, comme vous et moi, qu’il vaut mieux régner sur tout ce sexe faible et perfide, que d’être gêné par une onestà ou trompé par une coquine. Je ne repliquai pas, et parlai d’autre chose, mais je me promis de n’aider point à Monsieur de la Touche à disposer ainsi du jeune Homme. Le sort de Mademoiselle d’Userche serait trop triste, me disais-je, et si je ne veux pas favoriser son amour, je veux encore moins la désespérer. Laissons la destinée de ces enfans se débrouiller comme elle pourra, et tachons seulement de leur épargner des imprudences qui nécessairement leur seraient funestes. Je fis tenir à Mademoiselle d’Userche par Gaspard et Mademoiselle Thérese le billet suivant.
„J’ai rencontré quelqu’un, que j’ai reconnu malgré l’habit qu’il portait, et c’est peut-être une autre personne déguisée, aussi, que j’ai vu de loin ce matin, avant qu’il fît bien jour. Qu’ils prennent garde à eux. Ils sont beaux, ils sont jeunes et ils s’aiment… Un moment de faiblesse pourrait avoir des conséquences affreuses. Qu’elle le sache, celle dont le rôle est de résister, ou plutôt qu’elle évite un danger, que mille autres ont cru faussement pouvoir braver. Cette témérité a mille fois été punie par une vie entiere de regrets et d’humiliations”.
Le lendemain je reçus cette réponse.
„Bèni soyez vous Monsieur ! Voici depuis la mort de mon pere le premier avis utile que me donne un cœur bienveuillant. J’ai bien peur de ne vous pas répondre comme je le dois. Je n’ai jamais écrit qu’à Florentin, et avec lui je n’avais pas besoin, de mettre de l’ordre dans mes idées, ni de choisir mes expressions. Je suis par fois une bien petite fille encore, quoi-qu’à certains égards vous me trouviez fort avancée, et vos yeux m’ont dit l’autre jour, qu’à votre gré je l’étais trop. Mon Dieu que dire là dessus ? Je suis ce que mon penchant et le sort ont ordonné que je fusse. Mon pere est mort trop tôt ; ma mere est trop peu éclairée, et j’aime ce jeune homme uniquement. Votre avis est extrêmement sage, Monsieur, et j’en profiterai assurément, s’il en est besoin, quant à la résistance, mais je ne le suivrai pas, quant à une prudence plus grande encore, qui consisterai à ne se point voir comme nous nous voyons. Ce serait d’un côté une extrême imprudence, car Florentin, me voyant une circonspection si nouvelle, croirait que je l’aime moins, et pourrait s’attacher à quelqu’autre, ou perdre ses innocentes mœurs. Voilà des maux qu’il faut surtout éviter, car ce seraient les plus grands de tous, et ils me rendraient la vie entiérement insupportable. Mais il faut aussi, j’en conviens, éviter ceux dont vous avez la bonté de m’avertir ; j’espére le pouvoir, et même sans beaucoup de peine. Mon jeune ami est sage, et craint plus que la mort de me déplaire. Il faudrait donc que le mal vint de moi. Oh ! j’appellerais plutôt à mon secours, s’il le fallait, toutes les haires, tous les cilices des saints de la légende, je m’habillerais d’épines, qui me déchireraient la peau, au moindre mouvement inconsidéré. Vous croyez peut être, Monsieur, que tant de messes, de vêpres et de saluts, qu’il m’a fallu entendre, tant d’ennuyeux cagots qu’il m’a fallu voir, m’ont donné un grand dégout pour toute dévotion, et une grande indifférence pour tout ce qu’on nous prêche de la part de Dieu, mais ce n’est pourtant pas cela tout à fait. Je n’ai pas une grande foi au Dieu de ma mere, ce serait un Dieu trop minutieux, que celui qui ordonnerait tant de choses indifférentes, et glisserait sur d’autres, dont la pratique me parait mille fois plus essentielle. Mais j’ai un vrai respect pour le Dieu qui a créé Florentin et la nature, si belle quelques fois, d’autres fois si terrible. Je pense que tout ce qui est beau et bon lui plait, et tout le monde s’accorde si bien à mettre la chasteté au nombre des vertus, à estimer une fille sage plus qu’une qui ne l’est pas, que je ne doute pas que Dieu n’ordonne et n’approuve la sagesse, et quand on ne me l’aurait jamais dit, je l’aurais supposé, et j’aurais craint le vice comme une chose désagréable à mon maître, au maître puissant de tout ce qui existe dans cet univers. Mais j’ai sur tout cela beaucoup d’autres idées que je ne pourrai peut être pas vous bien exposer. Il me semble qu’il y a des gens, pour qui certaines vertus ne sont pas bien essentielles. Quand ils les auraient, ils n’en vaudraient pas beaucoup mieux, et comme ils ne sont pas fait pour certains plaisirs, il faut bien qu’ils s’en donnent d’autres. Ils ne demandent pas non plus à être extrêmement respectés. Ils péchent et se repentent, ils dissimulent et ils avouent, et cela va son petit train, sans qu’il y ait grand mal à tout ce qu’ils font. D’ailleurs ils n’y trouvent pas grand mal ; ils se font un Dieu indulgent comme leurs guides en Dieu, un Dieu avec lequel ils se brouillent et se raccommodent. Le Dieu que j’imagine les connait bien, et les juge d’après ce qu’il leur a donné de force et de sens. Mais il y a d’autres gens très différens de ceux là et qui doivent se conduire très différemment, ils se feraient une playe profonde, quand les premiers ne se font presque pas une égratignure. Ceux-ci veulent avoir le droit de gouverner les autres, d’en être respectés et craints et de régner sur eux. Ce n’est pas, par exemple, une conduite pareille à celle d’une Mademoiselle Thérese qui pouroit convenir à Honorine. Le rôle de l’une est de supporter des dédains, dont l’idée seule fait frémir l’autre. Si je pouvais avoir, comme vous l’appellez, un moment de faiblesse je me sauverais d’auprès de Florentin pour toujours, ou du moins pour si longtems, qu’il faudrait qu’avant de me revoir il eût entierement oublié ce moment, et que je fusse pour lui ce que je suis à présent. Encore qui sait s’il l’oublierait ? D’ailleurs je ne veux point me sauver ; je veux le voir ici, puis à Paris, jusqu’à ce qu’il lui convienne de m’épouser, ou jusqu’à ce que je sois menacée d’en devoir épouser un autre : Alors il ny aura point de précipitation dans ma conduite, ou s’il y en a, j’y aurai été forcée et Florentin ne pourra m’en estimer moins, ni en être moins estimé. Voilà, Monsieur, autant que j’ai su les exprimer, tous les projets, toutes les idées de votre très humble et très reconnaissante servante.
„P. S. Quant à Jesus Christ, je l’aime. J’adore de lui sa sagesse, sa douceur et quelques actes d’un courage doux et simple. Ce n’était surement pas son intention, qu’on nous le montrât sans cesse, subissant un supplice affreux. J’ai résolu de lire l’imitation de Jesus Christ”.
Cette étrange Confession de foi et de morale, ce mêlange d’une expèrience profondement analysée, et d’une tournure d’esprit encore non formée et enfantine, me surprirent beaucoup. Je vis après y avoir un peu pensé, qu’il n’y avait rien à dire à Honorine, et qu’il fallait aussi peu songer à gouverner sa passion, qu’à diriger les destinées de Florentin.
Il n’y eut que les discours de Monsieur de la Touche, dont je songeasse encore à arrêter l’imprudence. Soin inutile ! ce nèophite en irreligion vain de savoir Voltaire par cœur, de s’être fait expliquer Lucrèce, d’avoir souvent diné avec Diderot, avec d’Alembert, avec Condorcet et autres Philosophes, ne cessait de débiter, devant ses domestiques et devant le jeune Florentin, tout ce qu’il savait d’athéisme et de matérialisme. Venait-il au château quelque curé du voisinage, c’était alors surtout qu’il plaisantait et argumentait, abasourdissait et triomphait. C’était alors aussi que je me croyais tenu surtout de réprimer ses insolentes ironies, de combattre ses terrifians argumens. J’avais remarqué combien le silence de ces pauvre écclesiastiques campagnards, vis à vis d’un seigneur de terre, d’un homme de cour, faisait paraître aux yeux des benêts la religion petite, faible et facile à accabler. Vois-tu, disaient les laquais du marquis les uns aux autres, ou du geste ou à voix basse, les voilà bien embarrassés ; ils ne savent que rèpondre ! Quant à de l’embarras j’en avais autant qu’aucun d’entre eux. Que répondre à du faux et du vrai, à du sérieux et du plaisant, à des faits et des argumens si bien mêlés et confondus, qu’il n’y avait pas une phrase entière, à toute la teneur de laquelle une réponse quelle qu’elle fût, pût convenir ! Attaquais-je le bras droit de mon antagoniste, c’était aussitôt le gauche qu’il m’opposait. Le croyais je tenir à la tête, il m’abandonnait un masque et s’échappait de mes mains en riant. Bientôt je vis que cette lutte inégale, du bon sens simple et de bonne foi, avec le bel esprit vain, sarcastique et astucieux ne servait à rien du tout, et donnait même à la cause que je soutenais un aspect désavantageux. Je me rabattis donc sur le danger de la doctrine contraire. Bon ! dit le Marquis vous craignez pour vos bénéfices ! Je crains tout autant, lui dis-je, pour vos propriétés, pour votre repos et pour l’ordre général. Etes-vous, reprit-il, comme cet orgueilleux poltron, ce Fontenelle, qui disait que s’il avait eu la main pleine de vérités il ne l’aurait pas ouverte ? Non répondis-je, si j’étais bien sûr que ce fussent des vérités, dont j’aurais la main pleine, je l’ouvrirais assurément, mais comment en serais-je sûr ? Je ne connais aucune vérité absolue, indisputable, et je ne sais qu’on veut dire avec cette main pleine de vérités. M’exposerais-je donc au danger de ne mettre que des erreurs nouvelles à la place des anciennes erreurs, ou de joindre des doutes nouveaux aux anciens doutes ! Croyez-moi Monsieur le Marquis, dans les matieres qui sont ici en question, les nouveautés sont fort à craindre, un bouleversement d’idées est fort à craindre dans la plupart des esprits. Quand vous aurez bien établi chez ceux qui vous écoutent, qu’il n’y a pas moyen de prouver que la matiere ait été créée et ne soit pas éternelle, que le mouvement ait été imprimé à la matiere et ne soit pas son éternelle propriété, et enfin que notre ame pourrait bien n’être que l’arrangement de notre corps, croyez que personne n’en sera plus heureux. Non, dit-il, si l’on s’en tient à ce doute timide, mais si on ose trancher la question, et se défaire des entraves dont les gens de votre ordre embarrassent les esprits — Il n’est pas, interrompis je, selon moi d’un esprit bien fait, de trancher ces sortes de questions. Vous vous l’imaginez, dit le Marquis, mais beaucoup de sages les ont tranchées. Voyez Buffon et tant d’autres en France, voyez Hobbes et tant d’autres en Angleterre, voyez en Allemagne Frédéric le grand… Je me rends, dis-je, il a été, il est, de bons esprits qui sont matérialistes, qui sont athées ; nous pouvons vous citer aussi, et si vous vous faites l’apôtre avoué de cette doctrine, vous pourrez la propager par vos discours, et par la foi implicite que vos lumieres inspirent ; vous la propagerez, mais un jour vos prosélytes eux-mêmes vous puniront de les avoir persuadés, un jour vous déplorerez les malheureux triomphes dont vous êtes aujourd’hui si vain. Le tems que je destinais à cette visite était écoulé déja depuis quelques jours, et malgré les plaisanteries du Marquis qui prétendait que je craignais, ou la perte de ma foi, ou celle de ma réputation en fait de foi, je partis le soir même.
Pas un mot de notre dispute ne fut ignoré d’Honorine. Elle avait été instruite des conversations qui l’avaient précédées, elle le fut de celles qui la suivirent. Autrefois elle rendait à Florentin toutes les instructions qu’elle recevait de Mr. d’Userche, et actuellement Florentin avait soin de lui redire tout ce qu’il entendait dire à Mr. de la Touche. Cela n’eût pas fait sur elle une impression très forte, sans quelques livres qu’à sa prière Florentin lui apporta, et ces livres aussi ne la persuadaient pas entièrement. Quoi, mon pere ne serait plus rien ! disait-elle. La veille de sa mort, dans un corps presque détruit, je voyais encore une ame forte. Dans, disait en souriant Florentin ; tu la loges, cette ame immatérielle, comme un ver s’est logé dans ce bouton de rose. Eh bien dehors, dedans, avec, comme tu voudras, disait Honorine. Ah mon Dieu ! s’écriait Florentin, je ne veux rien, moi, que me persuader que nous existerons toujours, et toujours ensemble. Mais à bon compte, chere Honorine, donne moi ta main, que je la touche. C’est une faveur que tu m’as promise pourvu que je fusse huit jours sans te la demander. Oh ! voilà Honorine, un plaisir sur lequel on ne se disputera pas, et pour lequel je renoncerais à ma part de toutes les béatitudes célestes, depuis celles que promettait Mahomet jusqu’à… — Mon Dieu ! Florentin, il me semble que c’est comme cela, que sont les propos que tu me rapportes. Par hazard, appelles-tu cela raisonner ? Je disais que mon pere me paraissait avoir une ame bien saine, quoique son corps fut très malade. — Cela se peut bien, Honorine, mais j’ai vu le moindre coup reçu à la tête, le moindre accès de fievre, faire déraisonner des gens fort sages. On peut dire de l’ame comme de la raison, car après tout c’est assez la même chose,
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit.
Mais laissons de grace ce systême pour lequel tu as de la répugnance. Eh ! crois-tu donc que moi je l’aime, et qu’il ne me fût pas affreux de me persuader que mon Honorine dût être un jour anéantie ? Il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer un système, mon cher Florentin, et il s’agit encore moins de ton Honorine. Mon Dieu, mon enfant ! si toute faculté pensante et sensible est de nature à être détruite, si ce Dieu même que je me plaisais à regarder comme le créateur, le directeur et le moteur de tout, comme l’oeuil du monde, l’ame du monde, n’est point, qu’importe d’Honorine ! Mais quel vuide me fait ce Dieu ! quel deuil je sens quand je ne puis plus penser à lui, ni rien attendre de lui ! Pour ce qui est de ton argument de la fievre et du coup reçu, je ne sais pas s’il vaut grand chose. Un sujet de joye, ou de chagrin, ou de surprise, a quelques fois tué ou dérangé le cerveau. Voilà une chose certainement non corporelle, car nous sommes frappés, non par le bruit, non par les sens d’une bonne ou mauvaise nouvelle, voilà une chose non corporelle, qui agit sur une autre chose en nous, qui ne me parait pas corporelle non plus, et le sentiment qui en résulte fait bien du mal au corps, comme d’autres fois un accident du corps en fait beaucoup à ce que nous appellons ame. Je ne comprends pas du tout, à dire vrai, comment ils agissent l’un sur l’autre, mais l’action me parait réelle et me parait réciproque. Es-tu plus sûr du corps que de l’ame ? — Il me semble qu’oui, dit Florentin avec un sourire, qu’Honorine ne fit pas semblant de remarquer. — Peu à peu Florentin se persuada ce que voulait persuader le Marquis, et le persuada à Honorine ; non pas pleinement encore, mais à peu près, et avec cette différence, que Florentin rassemblait plus d’argumens et lisait davantage, et qu’Honorine tirait des conséquences avec plus de suite, d’application et de hardiesse. Ils ne rejettaient pas encore toute idée d’une divinité, mais l’idée d’une divinité ne se présentait plus à eux comme un motif pour faire ou s’abstenir. Sans obligation ni desir que de s’aimer et de se voir, longtems leur vie n’en fut pas moins douce ni moins innocente.
Pendant le courant de l’été, je reçus une lettre du Marquis en ces termes :
„Je n’ai pas lieu de croire, mon cher Abbé, que vous ayez rempli mes intentions vis-à-vis du jeune homme, quant à l’envie que je voudrais qu’il eût d’entrer dans votre ordre, ou dans celui de Malthe. L’un est un ordre de Chevalerie prêchante, l’autre de Chevalerie guerriere, tous deux donnent du pain et de la considération ; il ne se peut de moins, que l’un ou l’autre ne lui convienne, s’il a le bon sens qu’il annonce. J’ai sondé avec lui le terrein, mais il m’est comme démontré qu’on ne lui a jamais parlé de mes vues, et comme je n’ai nul droit sur lui, je n’ai pu me résoudre à lui en parler le premier. C’était à vous son protecteur, son mentor (et quelque chose de plus peut-être,) à rompre cette glace, et à me faciliter mon rôle, qui est celui d’un ami zèlé, et qui a plus d’années, et par conséquent plus d’expérience que lui. C’était donc à vous à parler, mon cher Abbé, et vous ne l’avez pas voulu. Si c’est principe et scrupule… oserai-je le dire ? si c’est préjugé et entêtement de votre part, vous ne le voudrez jamais ; mais il se pourrait que ce ne fût qu’oubli ou négligence, c’est pourquoi je vous en reparle. Voyons si vous voudrez avoir une autre complaisance pour moi. Vous savez que j’ai une voisine que je ne vois jamais, et cela pour cause, car outre son insupportable cagotisme, j’ai appris du plus intime de mes amis à ne l’estimer guere et à l’aimer encore moins. L’autre jour me promenant avec Monsieur de Vienne, lui devant moi de quelques pas, nous rencontrâmes le carosse de cette Dame. Elle était dans ce carosse et salua mon jeune compagnon d’un air de connaissance qui me surprit assez et me fit quelque peine. Elle le montra à une jeune personne qui était avec elle, et qui le salua très froidement. Je vis par le salut de la Dame qu’ils s’étaient vus, par celui de la Demoiselle qu’ils s’étaient peu vus, et cela me fut confirmé par l’air indifférent et cérémonieux de Monsieur de Vienne. Eh bien mon cher Abbé, je voudrais que cette connaissance n’allât pas plus loin. Ce qu’il serait facile de prévenir, n’est pas toujours facile à arrêter. Voudriez vous écrire au Chevalier, que son hôte n’étant en aucune liaison avec cette maison, il ne convient pas trop qu’il y aille ? Vous comprenez que ce serait usurper ridiculement de l’autorité sur lui, que de lui dire cela moi même, et Dieu me garde d’y employer sourdement des valets. Rien n’est si loin de mes manieres.”
C’est bien là Monsieur de la Touche, pensai-je, en lisant cette lettre. Il ne parle pas au jeune homme de peur de trouver de la résistance, ni à ses valets de peur d’être trahi ou trompé par eux. Le voile dont il s’enveloppe ne le cache pas seulement, il lui dérobe les autres, et les met à l’abri de ce qui pourait leur être fâcheux de sa part. Je lui répondis.
„Chacun à sa maniere, mon cher Marquis, et rien n’est si loin de la mienne que ce que vous me proposez. Je ne suis point en correspondance avec le jeune homme, et je n’ai jamais été que son pourvoyeur, en sous ordre encore. Il semblerait, à qui ne vous connaitrait pas, que vous, sous le toit de qui il habite, et qui le comblez de bontés, pourriez bien lui dire vos diverses pensées. Mais hors votre mépris pour des opinions, sur lesquelles sont fondées les ordres de chevalerie dont vous parlez, vous n’avez garde de lui rien inspirer directement. Et vous voulez qu’il entre dans l’un de ces deux ordres ! Ce que vous voulez qu’il fasse
C’est mentir au ciel même, à l’univers, à soi.
„et bien des gens, qui partagent votre maniere de penser, ont pourtant en horreur cette sorte de mensonge.„
Quelques jours après je reçus du Marquis la lettre suivante.
„Je me serais peut-être un peu fâché, Monsieur l’Abbé, de votre peu de complaisance, si la fin de votre lettre ne m’eût fait rire. Oui c’est vrai, il y à des gens, de ceux qui partagent ma façon de penser, qu’on voit blâmer cette sorte de mensonge. J’en montrais un jour mon étonnement à un homme de beaucoup d’esprit, car qu’est-ce que mentir, disais-je, à ce n’éxiste pas ? la chose me parait bien indifférente, et en général je ne conçois pas la haine qu’on a pour les hypocrites. Ils ne font qu’affecter le respect que d’autres ont véritablement pour une chimere, quand par là ils peuvent obtenir un avantage réel. Ne voyez vous pas, me répondit l’homme à qui je parlais, qu’on est seulement fâché de l’adresse de l’hypocrite ? chacun craint qu’il ne le trompe, comme il trompe les dévots, et si vous examinez bien la morale, vous n’y trouverez que cela. On enseigne à ne pas tromper de peur d’être trompé, à ne pas voler de peur d’être volé, à ne pas séduire la femme ou la fille d’autrui, parce que l’on a soi-même une femme, une fille, ou, Monsieur l’Abbé, quelque chose d’approchant, à quoi l’on voudrait aussi que les autres ne touchassent pas. Les bonnes gens voyent dans tout cela quelque chose de plus sérieux, et vont prêchant comme les autres, quoiqu’ils n’ayent eux ni argent, ni femme, ni fille, ni maîtresse. Mais cette duperie devient tous les jours plus rare. Adieu mon cher Abbé, sans rancune cependant.”
Je me déterminai à répondre encore à cette lettre.
„Je suis aussi sans rancune, car j’aurai la bonhommie de vous conjurer de ne pas étaler vos principes, comme vous faites imprudemment (vous, homme en général si prudent et si réservé) devant des gens qui pourront avoir intérêt un jour à vous tromper, ou à vous voler, ou à vous tuer. Vous autres esprits forts, vous l’êtes rarement assez, pour soutenir seulement la pensée de toutes les conséquences qui découlent rigoureusement de vos principes, que serait-ce, s’il vous les fallait voir ou éprouver en réalité ! vis-à-vis de moi vous ne risquez rien ; supposé que mes principes ne soyent pas bien solidement établis, mes habitudes sont bien prises, mais notre correspondance qui n’a rien de dangereux, n’a rien non plus pour moi d’intéressant, de sorte que je n’exige point de réponse.”
Vers la fin de l’automne je reçus une lettre de Mademoiselle d’Userche, qui m’assurait, en termes fort décens, qu’elle et Florentin avaient été fort sages. Elle écrivait : „Vous le verrez bien, Monsieur, cet hiver à Paris à notre contenance à tous deux, que nous sommes ce que nous étions, et ce que vous vouliez que nous ne cessassions pas d’être. Je lui ai dit votre recommandation, et vous ne lui en êtes que plus cher.”
„J’ai vu le moment où Mlle Therese ne se souciait plus guere de Gaspard, et alors j’ai tremblé pour sa discrétion. Ma crainte était d’autant plus grande, qu’après que Florentin et Mr. de la Touche nous eurent rencontrées un jour maman et moi, celui-ci a montré par ses regards et ses manieres une sorte de défiance. Il n’aurait eu pour être informé de tout, qu’à faire questionner Mademoiselle Thérese par un beau jeune laquais qu’il a, de ceux pour qui les Mademoiselle Thérese n’ont rien de caché. J’ai eu si peur que je me suis tenue un tems renfermée, priant Florentin d’en faire autant. Heureusement j’ai surpris quelques mines de Mlle Thérese et de l’Abbé Théodore. Vous jugez le parti que j’en ai pu tirer. Un mot vous ferait mettre à la porte, ai-je dit : redoublez de fidélité pour moi et d’honnêtetés pour Gaspard. Que sa discrétion pour son maître, et pour moi, nous soit toujours assurée par le prix qu’il mettra à vous et à votre affection. Aujourd’hui qu’il habite une maison opulente il y a certaines choses qui peuvent bien ne lui être pas aussi précieuses qu’autre-fois, et j’ai eu soin moi-même de sa garde-robe, mais voilà de l’argent, voilà une montre, une chaîne, donnez-lui cela peu à peu. Paulatim, a dit Florentin, qui était devenu distrait pendant que je lui racontais cette scene : c’est peut-être le premier mot de latin qu’il ait dit de sa vie par plaisir, et nous en avons ri comme des enfans que nous sommes. Pardon, Monsieur l’Abbé, de mon importun bavardage, mon intention n’était que de vous montrer à quel point les Abbé Théodore, les Mademoiselle Thérese etc. nous sont nécessaires, les uns contre les autres. Nous nous sauvons entre tous ces gens là au moyen de leurs faibles, et eux ils y gagnent aussi, car nous les aidons pour notre profit, à faire ce qu’ils veulent.
„Je ne comprends encore rien à Mr. de la Touche. Il est athée zélé, comme d’autres sont dévots zélés. La morale dans sa doctrine devient ce qu’elle peut. Il semble quelque-fois qu’il l’attaque par haine de tout ce qu’on appelle vertu, et qu’il ait à tâche de rendre ses domestiques des vauriens, et ceux qu’il oblige des ingrats. Si c’est une fantaisie, elle est étrange et l’on ne comprend pas trop l’intérêt qu’il y peut avoir. Cela m’est bien égal, pourvu qu’il ne persuade pas à Florentin qu’il peut sans crime me tromper, me trahir, m’abandonner, et cela après mille sermens, qui dans le fond, selon ses opinions, ne signifient rien du tout. J’en parle avec une sorte de vivacité et d’intérêt, parce que je ressens à un certain point l’effet de cette prêcherie d’irréligion. Je ne serai jamais infidelle à Florentin, mais lui, il n’aurait qu’à faire un pas de plus que moi dans la doctrine et les sentimens de Mr. de la Touche, pour chercher à me séduire, et puis m’abandonner, s’il réussissait, à mon mauvais sort. Au reste ceci m’a peu inquiétée jusqu’ici ; mais cette peur que j’ai eue de Mlle Thérese, m’a fait passer de mauvais momens. Heureusement cela n’a pas duré. Sans ce nuage notre été aurait eu trop de beaux jours, et il serait trop douloureux de le voir finir. J’espére vous voir à Paris.”
Remarquez cette date. On était pour ainsi dire à la veille de la révolution.
Cette lettre d’Honorine en contenait une de Florentin. Il me disait que le Marquis lui avait offert un logement dans son hôtel à Paris, s’il y voulait passer l’hiver, lui disant qu’il mangerait où bon lui semblerait, et serait d’autant moins gêné, que l’appartement qu’il lui destinait était dans une aile séparée du corps de logis, et avait une entrée à part. Vous serez mon convive quand vous voudrez, avait ajouté le Marquis, et je vous retiens pour les jours de la semaine où j’ai communément du monde, et ne vais pas à Versailles. Florentin me demandait mon approbation ; je m’adressai à Madame de **, et Monsieur de la Touche ayant d’avance approuvé son propre plan, il n’y eut point de difficulté. On assignait cent louis de pension par mois au jeune homme, qui eut moyennant cela de quoi se montrer d’une façon d’autant plus brillante, qu’il avait les chevaux du Marquis, et quand il le desirait ses voitures, avec un palfrenier-cocher, qu’il habillait alors comme Gaspard.
Son premier soin en arrivant à Paris avec Mr. de la Touche, fut de louer un petit appartement vis-à-vis de celui d’Honorine. Ce qu’on jettait des fenêtres de Florentin, tombait dans le jardin de Madame d’Userche, et ces fenêtres n’étaient pas fort hautes. On se servait rarement de ce moyen pour se voir, mais presque tous les jours on s’écrivait, et l’on convenait de se rencontrer le matin dans quelque métairie des environs de Paris, le soir à quelque bal de ceux où dansaient les bourgeoises, et où il n’y avait point d’autres femmes de l’état d’Honorine. Quelques fois le plaisir qu’ils se donnaient, ne consistait qu’en une promenade à la lueur des reverbéres, le long de la Seine ou sur les Boulevards. Qu’importait que le fiacre fût sale, qu’il cahotât, que des haridelles fatiguées, ne pussent presque le traîner ! Ils étaient ensemble. Chevaux, cocher dormaient, qu’ils se croyaient encore au commencement de leur promenade. Madame d’Userche autrement occupée ne soupçonnait rien. Elle trouvait tout simple que le soir Honorine après avoir cent fois bâillé se retirât dans son appartement, et ne doutait pas qu’elle n’allât se coucher tout de suite. On la vit très-peu dans le monde, tant parce que sa mere vivait sur le pied de dévote, que parce qu’elle ne voulait point être vue, espérant que de cette façon on ne penserait pas de si tôt à l’épouser. A ces bals, où elle allait quelques fois, elle était vêtue en modeste petite marchande, ainsi que Mlle Thérese, et ne dansait qu’avec le seul Florentin. Celui-ci, outre qu’il allait souvent au spectacle, était assez bien faufilé. Mr. de la Touche le présenta dans plusieurs bonnes maisons, et là ainsi qu’au lycée, à différens cours de physique, au manege, au jeu de paume, sa figure et ses manieres lui procurerent parmi les jeunes gens de son âge, ou plus âgés, des connaissances agréables. Une gaieté douce et discrete, qui lui était particuliere, le faisait rechercher, et il n’y avait pas jusqu’à son nom, qui ne lui rendit quelque service. L’entendait-on pour la premiere fois, on se montrait un peu surpris, mais bientôt on avait l’air de se dire : pourquoi non ? — A la bonne heure ! — Que m’importe ! — Il ne faut pas chicaner, pour si peu de chose, un aussi joli garçon. Qu’on me permette ici de rendre justice à l’insouciance polie des gens de ma nation. On se passait bien des choses en France, du moins avant la révolution, qu’on ne se passerait pas ailleurs, rarement rompait-on en visiere à celui qui s’appropriait un mot heureux, une action courageuse, de jolis vers, un nom plus beau que le sien propre, des succès, à la chasse ou en amour, plus grands qu’on ne les avait eus. C’est à charge de revenge, se disaient tout bas les auditeurs. Que nous eussions été heureux si cette facilité de mœurs, cette accommodante indulgence, ne fut allée que jusques là, et qu’on ne se fût pas passé les excès les plus révoltans, des malversations, des concussions, un trafic honteux de toutes choses, comme on se passait les petites usurpations de la vanité !
En attendant mieux, Honorine jouissait de tous les petits succès de son jeune ami, mais elle ne s’endormait pas sur la prétention qu’elle voulait qu’il eût, à un établissement avantageux, et un jour qu’elle fit ensorte de me voir chez sa mere au diner du jeudi, elle m’entretint très-sérieusement sur ce chapitre, me détaillant des vues, dont je parlerai tout à l’heure, avec un sens au-dessus de son âge. A ce diner on parla beaucoup du clergé, qui s’assemblait, des notables, des futurs états généraux. On parla avec mépris, douleur, amertume, des atteintes portées à la réligion, et ceux qui la défendaient me parurent ne penser guere qu’à eux-mêmes, à leurs prérogatives, à ce qu’ils possédaient et pourraient perdre, à ce qu’ils espéraient et pourraient n’avoir pas. On parla de Voltaire, Rousseau, Montesquieu, comme on eût fait d’autant de scélérats exécrables. Nulle distinction, nul ménagement, pas même de décence ni d’urbanité. Est-ce comme cela que l’on parle toujours ici, dis-je à Honorine ? Oui, dit-elle, et quand il m’est arrivé de faire quelques questions, sur les matieres débattues entre vous et Mr. de la Touche, on m’a traitée comme une réprouvée digne des flammes de l’enfer. C’est bien fâcheux et ennuyeux pour vous, lui dis-je, que Madame votre mere soit si dévote. Est-elle si dévote ? me dit-elle avec un sourire malin. — Mais il est fort heureux pour moi, qu’elle soit ce qu’elle est. Au moyen de son jeu, de ses Abbés, elle ne s’informe pas depuis neuf heures du soir jusqu’à dix ou onze heures du matin de ce que fait et devient sa fille. — Et comment sa fille use-t-elle de cette grande liberté ? — Sagement, mais d’autres diraient follement, ne sachant pas qu’elle a une volonté unique et invariable — mais, dis-je, ces gens-ci vous rendront incrédule — me pardonneriez vous de l’être ? interrompit-elle. Vous n’avez pas seize ans accomplis, lui dis-je ; avant que vos opinions soyent fixées sur des bases solides, elles pourront changer encore bien de fois. On ne revient jamais à des opinions absurdes, me dit Mlle. d’Userche, et aussi-tôt elle se mit à parler d’autre chose.
Ceci se passait pendant le carême. Sur la fin du carnaval il était arrivé une petite histoire qui caractérisait à mon avis les deux jeunes gens, et qui eut des suites. Un soir on dansait dans une de ces maisons un peu plus honnêtes que des guinguettes ; les deux jeunes amis devaient s’y trouver. La lumiere d’un flambeau, qui donna précisément sur le visage d’Honorine au moment où elle descendait de carosse, détermina un jeune homme, qui passait, à la suivre : il s’avançait pour lui offrir la main, quand elle apperçut son ami, dont elle se hâta de prendre le bras. Ce premier petit événement n’avait pas bien disposé le jeune homme. Il se trouvait être de ceux qui se voyant préferés à d’autres en mille occasions, portaient par tout leurs prétentions à des privilèges et des préférences. Les premieres contredanses étant dansées, il demanda à Honorine d’en vouloir danser une avec lui. Je ne le puis, Monsieur, repondit-elle poliment ; je suis engagée pour toutes les contredanses, avec Monsieur, qui paye mon billet et celui de ma compagne. Vous êtes fort heureux, dit le jeune homme à Florentin qui s’était approché. Oui Monsieur, répondit celui-ci, et je sens bien mon bonheur — Ne serait-il pas permis de le partager avec vous, Monsieur, pour un seul instant ? Mademoiselle est bien la maîtresse, dit Florentin, mais elle m’a dit qu’elle ne voulait danser ici qu’avec moi, et c’est déja de sa part une faveur si grande, de venir dans un lieu comme celui ci, que je ne puis rien exiger de plus de sa complaisance. De grace Monsieur — dit le jeune homme avec quelque hauteur, et faisant mine de vouloir prendre la main de Mlle d’Userche. — Non Monsieur, cela ne se peut pas, interrompit Florentin. Venez Mademoiselle, on nous attend. La contredanse finie, le jeune seigneur s’approcha de Florentin, et lui demanda son nom. De Vienne, dit-il, le chevalier de Vienne. De Vienne, répéta l’autre en ricanant, le chevalier de Vienne ! ce ricanement me déplaît, dit Florentin fort bas, et en s’èloignant un peu d’Honorine. Demain à huit heures, si vous voulez convenir d’un lieu où nous puissions nous voir, je soutiendrai mon nom avec mon épée, contre un jeune homme, qui peut bien être encore mieux né que moi, mais qui ne parait pas fort poli. Je le veux bien, répondit l’autre. Je m’appelle le comte de ***. Vous me trouverez au bois de Boulogne : et ils reprirent un air si honnête vis-à-vis l’un de l’autre, que toute autre qu’Honorine eût pris le change. Elle avait entendu et le nom et le bois de Boulogne, c’en était assez pour être sûre du rendez-vous, mais elle n’avait pas entendu pour quelle heure il était donné.
Après avoir encore un peu dansé, on se retira. Le fiacre d’Honorine s’arrêta à l’entrée de la rue où était l’hôtel de la Touche, Florentin en descendit. Honorine lui souhaita le bonsoir de son ton accoutumé. Un peu plus loin elle descendit elle-même de voiture, et dit au cocher, que s’il voulait après avoir mis ses chevaux à l’écurie, passer la nuit devant l’hôtel de la Touche, et la venir avertir, aussi tôt qu’il en aurait vu sortir un jeune homme, il y aurait un louis à gagner pour lui. Elle se nomma, pour donner plus de poids à sa promesse, et lui dit qu’il la trouverait dans la remise de l’hôtel d’Userche. Elle connaissait parfaitement cette remise, et l’endroit habité par le cocher et le palefrenier, car c’était par là qu’elle rentrait d’ordinaire, et c’était là aussi, qu’elle avait coutume d’attendre le fiacre que Mlle Thérese allait appeller. Elle alla donc tout droit à la porte du cocher, fort bon homme et qui aurait tout fait pour sa jeune maîtresse. Elle le réveilla, et le pria de mettre le matin avant jour quatre chevaux sur une berline anglaise, fort douce et commode, qu’avait Mme d’Userche, et d’être prêt à la mener, au premier signe, où elle voudrait aller. Cela dit, elle alla changer d’habillement, fit un paquet de beaucoup de linge très fin, puis revint à la remise, attendre dans la berline même, le jour, et la venue de son commissionnaire. Là elle eut le tems de réfléchir sur la maniere dont il faudrait s’y prendre pour séparer les combattans, au cas que le combat parût devenir sérieux. Supposé qu’elle n’y réussit pas, elle voulait soigner le blessé quel qu’il fût, et si la vie de l’un des deux était mise en danger, elle voulait aider l’autre à s’éloigner. Mais Florentin, au cas que ce fût lui, ne serait pas parti seul. Voilà ce qui fut mûrement délibéré et résolu, car Honorine sentait très bien l’inconvenance qu’il y aurait à prévenir un médiocre péril, et quoi qu’elle éprouvât de l’inquiétude, elle avait quelque joye du courage que Florentin montrait, et de l’honneur qu’il ne manquerait pas d’acquérir en toute rencontre.
A sept heures le cocher de fiacre parut. Les chevaux étaient mis, les laquais habillés, le palfrenier botté. Mlle d’Userche seule dans la berline se fit conduire au bois de Boulogne.
Le comte de *** joignit Florentin avant le moment convenu. A peine faisait-il jour. Il avait quelqu’un avec lui. Votre second ? dit-il à Florentin. Je n’en ai point et n’en veux point avoir, répondit celui-ci, je ne mêlerai jamais personne à une affaire désagréable, que je puis finir seul. Je m’en fie à vous. Voilà Monsieur, qui, si je suis blessé, aura soin de moi, comme il aurait eu soin de vous. Il n’y a point entre nous de haine, il ne doit point y avoir de défiance, et en disant cela il jettait son habit, défaisait sa cravate et montrait sa poitrine à découvert. Mais, dit le comte de ***, s’il vous arrivait quelque chose de fâcheux, nous pourrions être déshonorés. Cela est différent, dit Florentin, après un moment de réflexion et en renouant sa cravate. Ce sera donc pour une autre fois. Mais ce second où le prendrai je ? Je serais fâché d’importuner pour cette bagatelle Mr. de la Touche, chez qui je demeure. Un nom aussi connu en imposa à l’autre jeune homme. Messieurs, dit son compagnon, je suis surpris que des gens comme vous ayent querelle ensemble. Redites moi s’il vous plait l’affaire. Cela serait-il si sérieux que je ne pusse vous réconcilier ? — J’ai ri d’une maniere qui a paru désobligeante à Monsieur, quand il m’a dit s’apeller de Vienne, que je croyais être le nom d’une famille éteinte. — Pourquoi rire en effet ? Il n’y a pas de nom auquel Monsieur ne me parût faire honneur. J’ai eu tort, dit le jeune homme. Eh bien embrassons nous, dit Florentin, au lieu de nous battre et soyons amis. Mlle d’Userche les avait suivis et s’était cachée à quelque distance de là. Les voyant s’embrasser elle retourna à sa Berline qu’elle avait laissée derriere elle, et s’arrêtant dans le chemin où ils devaient passer, elle se montra, et les salua avec toute l’honnêteté et la grace possible. Florentin rougit. Eh quoi, dit l’autre jeune homme, ne voilà t-il pas notre Hélene de hier au soir ? Elle est dans un carosse aux armes d’Userche, les domestiques ont la livrée de cette maison. C’est en effet Mlle d’Userche, dit Florentin : alors on ne douta plus, qu’il ne s’appellât de Vienne, ou n’eût droit à un autre nom tout aussi beau. On lui demanda pourquoi il n’était pas présenté ; pourquoi on ne l’avait pas vu à Versailles, ni chez le Duc d’Orléans où l’on avait rencontré Mr. de la Touche. Je ne me soucie pas d’être fort connu, répondit Florentin, et même si vous vouliez ne pas parler de ce qui vient de se passer, vous m’obligeriez. Nous n’en parlerions que de maniere à vous faire honneur, dirent ces messieurs. J’en suis persuadé, répliqua Florentin, mais j’aime encore mieux, qu’il n’en soit point parlé du tout. Dans ce moment Mlle d’Userche passa auprès d’eux, et faisant aller lentement son carosse, leur dit : J’aurais eu soin de l’un ou de l’autre également. Messieurs, dit Florentin, après qu’elle eût passé, il ne nous est pas permis de parler puisque Mademoiselle d’Userche pourrait être compromise. Ils en convinrent, promirent de se taire, et allerent de ce pas déjeuner ensemble fort amicalement. Honorine faisant presser ses chevaux se trouva au lever de sa Mere.
Se montrer brave, complaisant, généreux, n’était pas rare chez les jeunes gens de ma nation. Se taire était beaucoup plus difficile et beaucoup moins commun. Le comte de *** ni son ami ne dirent pas précisément ce qu’ils avaient promis de taire, mais ils parlèrent si souvent de la belle d’Userche et cela d’un certain air mystérieux, qu’ils exciterent un grand desir de la connaître, jusques là qu’un proche parent du comte, se rappellant l’âge et la fortune qu’elle devait avoir, trouva qu’elle serait un parti très desirable pour son fils.
Cette histoire sembla donc devoir faire du bien et du mal à Florentin. Du mal, en hâtant le moment où un rival lui disputerait Honorine, du bien, en lui donnant un ami qui pourrait le servir. Mademoiselle d’Userche en conçut les plus grandes espérances. C’est là dessus, qu’elle me voulait parler lors qu’au commencement du carême elle m’obligea d’aller chez sa mere. Il lui semblait qu’on pouvait acheter à Florentin un régiment ou quelque autre charge militaire, dont on obtiendrait l’agrément par le comte de ***. Elle croyait que si les gens à qui Florentin devait le jour, ne voulaient pas en faire la finance, ils ne refuseraient pas l’argent qu’elle pourrait emprunter. Vous me connaissez assez, disait-elle, pour être ma caution : vous connaissez le bien, dont dès à présent je suis propriétaire, quoique vû mon age, je n’en dispose pas. A ma majorité je payerai — mais non ce sera plutôt que cela ; ce sera en me mariant. Florentin vint aussi me parler de ce projet, et je promis de faire sonder ceux qui fournissaient à sa dépense. Ils se montraient assez généreux et assez riches, pour qu’on pût espérer de leur part ce que nous demandions, d’ailleurs j’étais prêt à emprunter sous mon nom la somme que voulait donner Mlle. d’Userche, si l’on consentait à la recevoir, et à en faire l’usage demandé.
Madame de ** à qui je parlai, m’assura tout de suite, que l’on ne consentirait à rien de pareil. Florentin dit-elle, pourrait songer un jour à se marier, et c’est ce qu’on ne veut point du tout. De ce moment je ne doutai pas que Mr. de la Touche et le donneur d’argent ne fussent un même homme.
J’allai trouver Florentin et peu s’en fallut, je l’avoue, qu’indigné d’un mystere et d’un manege si voisins de la fourberie, je ne lui disse et mes conjectures, et les plans qu’on faisait pour lui, plans si contraires à ses desirs, et à ses espérances. Je me retins cependant, mais je lui dis que je prierais la personne, qui jusques là m’avait employé, de permettre que je la lui nommasse, afin qu’il s’addressât directement à elle, si elle n’aimait mieux prendre pour intermédiaire Mr. de la Touche, qui paraissait s’intéresser à lui tous les jours davantage. Et pourquoi vous retirez vous de moi, et de mes intérêts ? dit le jeune homme avec un attendrissement qui m’en donna. Je vous ai toujours aimé, et si vous l’aviez voulu, je vous aurais chéri, mais vous avez paru craindre de vous mêler de ce qui me regardait. Vous m’avez laissé presqu’entierement à la conduite d’un autre enfant, plus jeune encore que moi. Sans un zele qui hâtait sa raison, que serais-je devenu ? Pour toute réponse les larmes me vinrent aux yeux. Vous ai-je montré quelque disposition d’ésprit ou d’humeur qui vous déplût ? reprit Florentin. Non, mon ami, non, au contraire. — Eh bien ! pourquoi m’abandonner tout à fait ? — Je ne puis pas faire pour vous ce que je voudrais, je ne puis faire quoique ce soit pour vous ; j’ajouterai, que je ne comprends plus rien à votre sort. — Vous suis-je donc tout à-fait étranger ? — oui mon ami. — Et vous ne connaissez ni ne devinez mon pere ? — Je ne le connais point. Etes vous heureux ici ? — Je suis heureux quand je vois Honorine. — Et Mr. de la Touche ? — nous ne nous connaissons pas plus que le premier jour. — A-t-il continué à prêcher devant vous les opinions que l’Eté dernier je combattais contre lui ? — Oh sans cesse ! — Et quel effet cela a-t-il fait sur vous ? — De ne savoir à quoi m’en tenir sur rien. Mais je n’y songe pas beaucoup. L’opéra, la comédie, mes leçons, mes promenades m’ont distrait de tout cela ; Honorine à qui je redis tout, et qui est plus sérieuse, plus réflechie et plus sédentaire que moi, a reçu des impressions bien plus fortes et plus vives. Pauvre Honorine ! m’écriai-je. Que craignez-vous pour elle ? dit Florentin troublé. Tout au monde, et rien de distinct, lui répondis-je. Un nuage noir semble couvrir votre sort à tous deux ; il devient plus menaçant chaque jour et je tremble — au reste ce n’est pas seulement pour deux aimable enfans que je tremble ; vous et votre Honorine n’êtes pas les seuls menacés ; ma patrie toute entiere est à la veille d’une secousse épouvantable. Depuis quelque tems je songe à m’épargner la vue de ses maux. Je resterais pour vous, si je pouvais vous sauver de quelque danger, vous faire jouir de quelque bonheur, mais je ne puis rien, je l’ai déja dit, et les craintes que j’ai pour vous ajoutent à ma tristesse, j’en pars plus vîe — voulez vous, Florentin, venir avec moi ? Et Honorine ! me répondit-il. Adieu Florentin, lui dis-je, la larme à l’œil. Je le quittai et rentrai chez moi, d’où j’écrivis à Madame de ***.
Mes préparatifs de départ furent bientôt faits et je partis sans donner à Florentin ni à Honorine aucun moyen de m’écrire. Tout en les aimant je souhaitais de ne plus entendre parler d’eux.
Honorine, à ce qu’elle m’a dit depuis, s’affligea et s’indigna de mon départ. Je devais selon elle, me dévouer à son jeune ami. A quoi pouvais-je mieux employer ma vie, qu’à lui épargner des peines, des dangers, des fautes ? Je ne sais quelle sécurité que je lui donnais, disparut avec moi. A qui avoir recours désormais dans un embarras extrême ? L’aventure du bal et du bois de Boulogne l’obligeoit aussi à plus de circonspection. Une fois connue on pouvait la reconnaître. Elle commença à craindre pour elle et pour son ami, et hors quelques instans, qu’il passait avec elle le soir fort tard dans son jardin, ils ne se voyaient plus, se contentant de s’écrire plus assiduement que jamais.
Bientôt on fit à Md. d’Userche pour sa fille des propositions de mariage. Md. d’Userche comme de raison ne trouvait pas qu’on dût se presser. Mais les tuteurs de la jeune personne pouvaient en juger autrement, d’autant plus que le parti proposé était brillant et avantageux de toute maniere. Honorine désolée ne savait que faire ni que devenir. Heureusement elle put inspirer à sa mere une grande frayeur de quelques troubles, qui commençaient à éclater dans Paris, et elle vint à bout de la faire aller à la campagne un peu plus tôt qu’à l’ordinaire.
Avant de partir, elle écrivit au comte de *** ; Voici sa lettre.
„Me serais-je trompée, Monsieur, en imaginant que je vous devais de brillantes propositions d’établissement, faites pour moi à ma mere et à mes tuteurs ? on les appelle brillantes, mais je n’y vois, moi, qu’une source d’inutiles persécutions. N’est-ce point vous qui avez parlé avantageusement de moi à Messieurs de ** ou devant eux ? Ils sont je crois vos parens. Si c’est vous je vous conjure de me débarrasser de leur recherche. Plus ils vous intéressent et plus vous leur devez de les détromper de moi. Je ne me montrai à vous au retour du bois de Boulogne avec une sorte de solemnité et d’affectation, que pour vous bien dire que celle que vous aviez trouvée avec Mr de Vienne à un bal de gens fort peu distingués, l’avouait par tout, était déjà à lui et pour la vie. Vous pouvez affirmer que je suis promise irrévocablement. Il serait un moyen bien simple d’ôter à vos parens toute incertitude sur la conduite qu’ils doivent tenir, ce serait de leur dire de moi le mal que notre premiere rencontre a pu vous en faire croire. Employez ce moyen, si vous ne le trouvez pas trop indigne de vous, et si vous jugez qu’il n’en retomberait rien sur mon jeune ami, dont vous avez aussi fait le vôtre. Soyez le sien, Monsieur le Comte, je vous en conjure. Il a besoin d’un ami. J’engage ma mere à partir incessamment pour la campagne. Mon jeune ami privé de moi, reste seul. Il ignore mes raisons pour m’en aller. C’eut été l’inquiéter inutilement, que de lui dire les vues que l’on a sur moi ; vous lui direz à cet égard ce que vous jugerez convenable, et lui montrerez ou non ma lettre, comme il vous plaira. Vous ne pouvez manquer d’y voir la preuve de ma sincere et parfaite considération.„
Un autre soin qu’elle prit ce fut d’établir Mlle. Thérese, en la mariant à Gaspard. Défaisons nous des témoins de nos jeunes folies dit-elle a Florentin, et prenons des domestiques à qui nous n’aurons pas appris le rôle de complaisans et de fripons.
Arrivée à la campagne qu’elle la trouva lugubre et déserte ! Les beaux jours renaissants avec la verdure et les fleurs, ne lui faisaient plus de plaisir. Inquiète et solitaire elle regrettait Dieu et Florentin. Celui-ci ne l’abandonnait pourtant pas ; il lui écrivait sans cesse. „Le comte de *** est„, disait-il, „ma seule ressource. Il m’a montré ta lettre, et m’a parlé de toi avec admiration. J’ai pris confiance en lui, et lui ai fait mon histoire, celle de mon nom et de toutes les obscurités qui ont toujours environné mon existence. Il penche à croire, que j’appartiens à des gens encore plus élevés que Mr. de la Touche, avec cela il trouve que je te ressemble un peu. Nous nous voyons presque tous les jours, car si j’en passe deux sans l’aller voir, il vient chez moi. N’est-il pas bien extraordinaire que Mr. de la Touche en paraisse fâché ? Il ne sait, ou ne veut pas, devenir mon ami, et cependant il parait fâché que j’en aye un autre. Te souvient-il de son inquiétude, quand ta mere me salua d’un air de connaissance ? Que cette inquiétude nous fut fatale ! sans elle je serais peut-être devenu chez ta mere comme l’enfant de la maison. Au reste le comte ne pense pas qu’il pût te débarrasser de ses parens. Il le tentera, mais c’est à ta fortune qu’ils en veulent, et il ne pourra pas la diminuer à leurs yeux, pour te plaire, ni leur persuader qu’un engagement, dont ta mere et tes tuteurs n’ont aucune connaissance, soit en effet irrévocable. Tu résisteras, Honorine, et ton Florentin sera heureux de ta constance en attendant qu’il le soit de ta possession.„
On peut juger qu’Honorine n’était pas lente à répondre, ni laconique dans ses réponses. „Je hais de plus en plus„, disait-elle, „ton Mr. de la Touche. Ne viens pas, comme tu l’as fait d’autres fois, me présenter une longue liste de ses bontés Je les sais par cœur et ni plus ni moins je le hais. Malgré lui nous nous verrons ; si ce n’est pas tambour battant, ce sera du moins en plein jour, et supposé qu’on en murmure cela amenera une crise. J’entrerai tout à l’heure dans ma dix-septième année. .........
„N’arriveras-tu pas bientôt ? Je suis d’une tristesse mortelle. Les inquiétudes de l’Abbé de la Tour ont passé jusqu’à moi. Serions nous destinés à croire toujours à quelque fable ? Peu s’en faut que je ne croye aux pressentimens et aux rêves. Je sais bien que c’est ma crainte qui enfante ces chimeres, mais ma crainte aussi me rend incapable de les faire rentrer dans le néant. Je vois, j’entends encore, après que je me suis dit cent fois qu’il n’y a rien que je puisse voir ou entendre. Oh, le triste château ! Je ne sais quoi de sinistre l’habite. Les vents y sifflaient-ils, y criaient-ils, autrefois comme à présent ? .....
„Je fais arranger le pavillon ; c’est une occupation à mon oisiveté inquiéte et vagabonde. Des deux côtés de l’entrée, autour de la petite esplanade, je laisse les broussailles, le rosier sauvage, le houx, l’épine et quelques petits chênes, qui sont venus du gland que je mis en terre il y a plus de douze ans. J’ai fait là dedans des niches du côté opposé à celui par lequel on arrive ; de l’autre j’ai rendu le sentier plus large, et j’y ai mis des plantes de violettes et de muguet, cela peut s’appeller semer des fleurs devant tes pas. Dans les niches qui sont vis-à-vis, j’ai placé des bancs ; les uns sont vus du sentier et du pavillon, d’autres sont tout à fait cachés, mais ceux là doivent s’appeller des sieges plutôt que des bancs, une seule personne pourra s’y asseoir et ils ne nous sont pas destinés. Mais écoute le grand changement que j’ai fait. Tu aurais pu ne pas remarquer les autres, celui-ci te frappera. Il y a des instans où j’y ai regret. Tu sais la haye qui dérobait la vue du torrent et qui aurait empéché une amante désesperée d’imiter Sapho. Je l’ai fait arracher. L’épine fleurie, le volubilis blanc et couleur de rose n’ont pu me toucher. J’ai détourné les yeux d’un nid qu’on détruisait. La haye n’est plus. Le précipice est à découvert : on voit le torrent qu’on ne faisait qu’entendre. Mettrai-je une balustrade légere entre l’abyme et moi ? Je dis légere, car je ne la veux pas solide ; il faut la pouvoir briser et franchir. Quand la vie serait devenue affreuse, quoi de plus heureux qu’une facile et prompte mort !„
Dans la réponse à cette lettre Florentin annonçait son prochain départ de Paris.
„Bientôt nous serons rejoints„, disait-il. „Ce matin, voyant faire des préparatifs de départ, je suis allé chez Mr. de la Touche, et lui ai demandé si c’était son intention que j’allasse à la campagne avec lui. En avez-vous douté ? m’a-t-il dit avec quelque embarras. Vous ne m’aviez rien dit là dessus, lui ai-je répondu. Mon cher chevalier, a-t-il repris, vous n’êtes point confiant, et tout aimable que vous soyez vous n’avez rien qui invite à la confiance. J’allais je crois lui répondre que c’était lui plus que moi qui méritait ce reproche, je pensais du moins à lui dire cette incontestable vérité, quand on a annoncé… devine qui ? — Le pere de ton prétendu. Ils se sont baisés au front et fait mille singeries d’intimité, mais avec des physionomies bien différentes. L’un, tu sais comme il est, l’autre a l’air assez bon homme et le ton presque bavard. J’ai appris, a-t-il dit, que vous partiez pour la province, et comme je sais que votre terre n’est pas loin de celle de Md. d’Userche, je viens vous prier de vous charger d’une liasse de papiers, que je ne puis pas envoyer par la poste, et que je ne confierais volontiers qu’à un homme comme vous. Je ne vais point chez cette femme, a dit Mr. de la Touche. Mais le Prince de ** continuait de parler, sans remarquer seulement qu’on lui répondît, de sorte que ce dialogue était un vrai duo où l’on parlait incessamment ensemble. Le Prince. Vous m’obligerez fort de remettre ceci en main propre. Le Marq. C’est ce que je ne puis du tout vous promettre. Le Prince. Ce sont des papiers de famille. Le Marq. Je n’ai pas la moindre relation avec ces gens là. Le Prince. Tout est là ; tout est prouvé, ancienneté illustration, alliances. On trouvera soit l’original, soit une copie authentique de tous les actes. Veuillez donc Monsieur mettre ce paquet dans votre bureau. Je ne m’en charge pas Monsieur, a dit le Marquis. Monsieur, ai je dit, lassé de cet imbroglio, je m’en charge, et je promets, foi d’honnête homme, de le mettre entre les mains de Madame ou de Mademoiselle d’Userche. J’ai aussi-tôt pris le paquet, et je m’en suis allé, laissant ces Messieurs surpris tous deux à ce qu’il me paraissait, l’un de mon action, l’autre de sa propre confiance en un inconnu. — Nous partons au premier jour, et je me flatte de faire fuir les ombres qui t’effrayent, les revenans qui t’obsèdent. Pourquoi mettre à nu cet épouvantable précipice ? Mais je saurai, j’espere, en détourner tes yeux et les fixer sur ton Florentin.„
P. S. „Le Marquis m’a fait appeller. Comptez-vous, Monsieur, remettre ces papiers en main propre ? — Oui, Monsieur, puis que je l’ai promis. Il m’a paru troublé. — Ne pensez vous pas que ce soit pour un mariage ? — Peut-être, Monsieur. — C’est un très grand parti que ce jeune homme là. La mere ferait fort bien de donner sa fille. Il ne vous a pas nommées. Qu’est-ce que cette aversion, cet intérêt, cette émotion ? Je n’y comprends rien. J’irai droit au château avec mes papiers, et te les remettrai fidellement, mais tu ne les montreras que quand il te plaira, ou tu les renverras. Si je ne te trouve pas au château, j’irai te chercher au pavillon.„
Ce fut en effet près du pavillon, qu’il trouva Mademoiselle d’Userche. Elle était debout, la vue fixée sur le torrent avec une attention si profonde, qu’elle ne l’apperçut pas d’abord. Honorine ! Honorine ! lui dit-il fort bas, crainte de l’effrayer. Elle fit un cri et fut quelques instans sans reprendre ses sens. Ah Florentin ! mon cher Florentin, lui dit-elle, en jettant ses bras autour de son cou. Ah ! c’est donc toi. Je désespérais de te jamais revoir. Et des larmes en abondance s’échappaient de ses yeux. C’était la prémiere fois qu’il voyait pleurer Honorine. Qu’as-tu donc, qu’est-ce qui t’afflige ? lui dit-il effrayé. Rien, dit elle, que je puisse expliquer ; mais en attendant que j’aye perdu tout bonheur, toute espérance de bonheur, j’ai perdu mon caractere, j’ai perdu mon courage, je tremble sans cesse, je crains tout le monde, mais surtout je crains et je hais ton Marquis. Cet homme si concentré sait on machine quelque chose contre nous. Ne m’a-t-il déjà pas ôté une idée qui m’était douce et consolante ? Je regrette Dieu, Florentin, avec lui je n’étais pas si seule que je le suis à présent. Je n’ai plus d’autre Dieu que toi, et quand tu me manques, tout me manque. Tu es moins isolé et tu pouvais, toi, te passer d’un Dieu. Tu as quelqu’amitié pour le comte de *** tu en avais pour l’Abbé de la Tour, moi je n’en ai jamais eu pour personne. Tu sens quelque reconnaissance pour le Marquis, et moi je ne sens rien pour ma mere. Pardon cher Florentin d’une réception si triste ; laisse moi pour le moment, et reviens ici demain sur le soir, j’espére que je serai moins mal disposée.
Le lendemain ils se revirent comme ils se l’étaient promis. La tristesse d’Honorine, modifiée par le plaisir de voir Florentin, était plus douce, et Florentin, un peu plus accoutumé à cette tristesse, y sympathisa mieux. Ils s’affligerent, se consolerent, espérerent ensemble, et peu s’en fallut que l’attendrissement mutuel n’exauçât un vœu, qu’autrefois l’impatient Florentin n’aurait seulement osé exprimer. On le repoussait pourtant encore. Pourquoi ? dit-il doucement — de peur de ne te plaire plus. Ne t’ai-je pas dit, que tu étais désormais mon Dieu, comme mon univers ? Où me réfugier, à qui me plaindre, si tu m’abandonnais ? Le néant seul me reste, c’est ma ressource, ce serait mon refuge, dit-elle en montrant le profond torrent. Ils se séparerent en convenant de se revoir.
En arrivant chez lui, le Marquis avait trouvé une lettre du Prince de ***.
„On m’a soutenu, disait-il au Marquis, qu’un jeune homme que vous avez chez vous, et que l’on nomme le Chevalier de Vienne, aimait Mlle d’Userche et en était aimé, qu’il y avait même des engagemens réciproques, et que mes tentatives étaient parfaitement inutiles. Je pense mon cher Marquis, que vous en sauriez quelque chose, et je vous prie en grace d’instruire votre dévoué serviteur.„
Le courier retournant à Paris fut chargé le soir même de cette réponse.
„Vraiment oui, mon cher, j’en saurais quelque chose, mais rien n’est si faux. Le jeune homme savait qu’il était question d’un mariage, et que vos papiers étaient relatifs à cela, et non seulement il s’en est chargé, mais il vient de les porter tout courant chez Md. d’Userche, et une demi heure après il est revenu fort tranquille de cette expédition, qui eût désolé un amoureux. Sa vocation n’est pas pour le mariage, d’ailleurs il sera trop bien conseillé pour se montrer jamais le rival de Monsieur votre fils.„
Le courier suivant porta une lettre anonyme au comte de ***. Monsieur de la Touche ayant mandé un vieux secretaire établi à deux lieues du château, ce fut à sa main tremblante que cette lettre fut dictée.
„Monsieur le comte, vous êtes ami du jeune Chevalier de Vienne. Voudriez-vous bien en cette qualité l’avertir de ne songer à aucun autre établissement qu’à celui qu’il pourrait trouver dans les ordres ecclésiastiques ou dans l’ordre de Malthe. On pourrait objecter, relativement à ce premier parti, la ruine dont est menacé le clergé de France, mais en Italie et en Espagne la chose est différente, et les protecteurs du jeune homme y ont des relations. Quelque obscurité sur sa naissance serait peut-être une difficulté à Malthe, mais on pourra se procurer des clartés, ou employer des protections toutes puissantes. Si le Chevalier n’agrée aucun de ces deux partis, il court risque d’être entierement abandonné.„
Le Comte renvoya aussi-tôt cette lettre à Mlle d’Userche, et lui apprit en même tems, ce que le Prince de ** avait écrit à Mr. de la Touche, et ce que celui-ci avait répondu.
Le vieux Secretaire, dont Mr. de la Touche avait été forcé de faire à un certain point son confident, était homme d’esprit ; il hazarda quelques questions et Mr. de la Touche lui dit, que l’on avait l’imbécillité de croire que le jeune homme dont il s’agissait, était aimé de Mlle d’Userche et en intelligence avec elle, au point qu’il y avait entr’eux les plus sérieux engagemens. L’imbécillité ! dit le vieux secrétaire, je suis moi, un des imbécilles qui ont cette opinion, et déjà avant ce que vous venez de me dire, je me doutais qu’il était amoureux. Or, quand on est fait comme lui, amoureux et aimé c’est sinonyme. Bon ! dit le Marquis. Un enfant comme celui-ci à qui l’on n’a jamais parlé de l’amour ! C’est bien à son âge qu’on va s’embarrasser l’esprit d’amour ! N’a-t-il pas assez d’autres choses en tête ? Je lui parle de chasse et de chevaux, je lui donne des livres de physique, d’histoire, de guerre, de philosophie, et jamais aucun roman. Est-il toujours à vos côtés, dans votre poche ? dit brusquement le secretaire. — Non, mais… — Eh ! croyez donc qu’on ne dort pas tout le tems qu’on n’est pas avec vous, et qu’il se passe aussi quelque chose où vous n’êtes pas. Beaucoup de gens qui, à la cour même, se préparent à faire une révolution, n’en avertissent pas Louis xvi. Voulez vous, Monsieur le Marquis, que j’épie ou fasse épier un jour ou deux notre jeune homme ? Oui, dit le Marquis, si cela peut vous satisfaire je le veux bien, mais vous ne me nommerez jamais, comme étant entré dans vos soupçons. Le vieux secretaire le promit, et fit promettre à son tour, qu’on ne ferait, quoiqu’on découvrit, aucune peine au jeune homme. Ce n’est pas, dit le Marquis, m’engager à grand chose ; la supposition que vous faites n’est qu’une chimere absurde. Le lendemain de cette conversation Florentin ne quitta Mr. de la Touche, que pour aller jouer au trictrac avec le vieux secretaire, il se promena ensuite avec lui et ne s’écarta pas une minute. Mr. de la Touche qui n’avait pas laissé d’être inquiet tout le jour, s’alla coucher tranquille, et voyant le jeune homme se retirer dans sa chambre, il jetta un coup d’œil triomphant sur le soupçonneux vieillard.
On commençait à craindre pour les châteaux de la noblesse de France, dont il était plus court de détruire, que de racheter les droits féodaux. D’après cette idée Mr. de la Touche ouvrit quelques armoires et quelques vieux bureaux, dont il ôta les papiers les plus importans, pour les cacher dans des endroits où il ne croyait pas qu’on s’avisât de les chercher, en laissant pourtant assez pour qu’on pût croire qu’il n’y en avait pas d’autres. Parmi ces papiers étaient quelques boëtes, quelques étuis, quelques bourses du vieux tems, qu’il donna au secretaire, et un portefeuille encore presque neuf, qu’il donna à Florentin. Il en chercha la clef, la trouva, l’essaya, et mit le portefeuille ouvert entre les mains du jeune homme, après quoi il alla pourvoir à la sûreté de ses archives. Je vais voir pêcher, dit Florentin, et en effet il passa auprès des pêcheurs, qui arrêtaient du poisson avec des filets au bas du torrent dont il vient d’être parlé. Puis montant rapidement la pente, il se trouva auprès d’Honorine qui l’attendait. J’ai retrouvé ma hardiesse et tout mon caractere, lui dit-elle, dès qu’elle le vit, on nous pousse à bout, et nous n’avons plus rien à ménager. Tiens, lis ces lettres. Florentin pâlit et frémit de colere. Je suis ravie, dit Honorine : on nous force à prendre un parti. Sera-ce celui de la fuite, ou d’une déclaration publique de tous les droits que tu as acquis sur moi, et auxquels j’en ajouterai si tu veux d’autres, ou du moins je dirai que tu les as tous. Tu y penseras, Florentin, ainsi que moi, mais pour l’heure ne restons pas ensemble. J’ai vu quelqu’un qui peut-être épiait le moment où nous serions ici, on s’est sauvé : peut-être reviendra-t-on nous écouter ou nous surprendre. Reviens demain matin à neuf heures et prends des pistolets avec toi. Demain, répeta Honorine. Demain à neuf heures, dit Florentin.
Des deux personnes, qui s’étaient postées près des avenues du pavillon, la plus éloignée avait couru dire au secretaire qu’Honorine y entrait, l’autre s’en était approchée, et avait entendu distinctement Demain — Demain à neuf heures.
Déjà avant neuf heures Honorine attendait Florentin. Florentin arriva, mais à pas lents et avec un visage où la consternation et la douleur étaient peintes.
Qu’as-tu donc cher Florentin, dit Honorine, es-tu malade ? Non — Je ne sai. — Quelle disposition, Florentin, que la tienne, pour une résolution qui demandera du courage et de la vigueur ! — Ah ! chere Honorine, tu es bien loin d’imaginer de quelle espèce de courage nous aurons besoin. — Qu’y a-t-il donc ? tu m’effrayes — qu’as-tu appris ? que viens tu me dire ? — Mon pere… — Qui ? — Est aussi le tien ; ta mere est la mienne. Nous sommes nés tous deux du Marquis et de ta mere. Après avoir prononcé ces mots d’une voix faible et hésitante, Florentin assis baissa la tête et couvrit son visage de ses deux mains. Honorine resta quelque tems sans parler. D’où le sais-tu, dit-elle enfin avec assez de sang froid. Tu vois ce portefeuille, dit Florentin : soit négligence et oubli de ce qu’il contenait, soit dessein de m’instruire, il m’a été donné ouvert comme le voilà. Tiens, lis d’anciennes lettres trop claires. Non, dit Honorine, je te crois, d’ailleurs tu m’étonnes peu, cela devait être, et j’aurais du m’en douter. Je crois que l’Abbé s’en est douté. Où aurions-nous pris une conformité si grande, une si parfaite sympathie, pourquoi aurions-nous aimé les mêmes chants, les mêmes couleurs, les mêmes odeurs, si nous ne fussions nés des mêmes parens ? Il fallait que je fusse ta sœur, pour t’aimer autant que je t’aime. Florentin tendit une de ses mains à Honorine, mais sans la regarder. Si j’ai été plus active que toi, c’est que je pouvais davantage. Je ne pouvais rien, dit Florentin. J’aurais aussi tout fait pour toi. Et des larmes coulaient de ses yeux. Il ne faut pas pleurer, lui dit Honorine, en baisant la main qu’elle tenait, il faut fuir au plus vîte l’homme odieux et la femme méprisable, dont tu tiens une si triste existence. La mienne est indépendante d’eux, ils ont beau m’avoir donné le jour, je les dédaigne trop pour croire leur appartenir. Il faut les fuir au plus vîte. Eux qui n’ont rien respecté quand il s’agissait de leurs plaisirs, ils respecteraient peut-être aujourd’hui mille préjugés dont ils combattraient notre bonheur. Il faut les fuir avant qu’ils soupçonnent notre liaison, et avant qu’ils sachent que nous soyons instruits de leurs crimes. Quoi, chere Honorine, tu braverais ? — Je braverai tout ; la misere, la mort, l’ignominie. — Mais ce que tu appelles un préjugé… — Il n’exista pas même partout, ni toujours. Les enfans d’Adam, pour ceux qui croyent à Adam, se marierent entr’eux. Le vertueux Abel si aimé de Dieu, à ce qu’on dit, n’eut-il pas sa sœur pour femme ? Et les rois d’Egypte ! et cette nation entiere dont j’ai oublié le nom ! s’il a plu à quelques hommes de qualifier de crime, ce qui avait paru bon et simple à d’autres, que m’importe ! Chere Honorine ! dit Florentin en serrant affectueusement la main de sa sœur. Elle l’embrassa. Je ne serai si tu veux que ta sœur. Je puis tout faire pour toi, je puis même respecter d’absurdes scrupules, mais je ne m’exposerai pas à être séparée de toi pour jamais. Il faut partir et cela aujourd’hui même, à cette heure. J’ai apporté des bijoux et de l’argent, sous ma robe je suis vêtue en homme. Il y a longtems, que je desire une catastrophe pareille à celle-ci, et que je m’y prépare tous les jours. Mais Honorine, cet homme que tu hais est pourtant mon pere ; le ferai-je mourir de douleur ? — Il ne mourra point de douleur, et quand il en mourrait qu’importe ! j’ai trop bien compris les leçons qu’il te donnait pour être susceptible de la moindre ombre de remords. Il m’a ôté toute pensée d’un Dieu et d’une existence future, si c’est un mal qu’il ait fait, qu’il en porte la peine. Mais encore un coup, il ne mourra point, il me trouvera plus conséquente à ses principes qu’il ne l’eût prévu, et voilà tout. Je suis moins conséquent que toi, chere Honorine, soit faiblesse, soit vertu, je me sens moins de résolution, je plains cet homme… mon pere. Il se dira, c’est ma faute, et n’en sera que plus affligé. — Je comprends cette faiblesse, dit Honorine, mais auras-tu plus de force pour soutenir mon malheur à moi, ton malheur — notre séparation ? — Que dis-tu Honorine ! non non ! je ne puis m’y résoudre non plus. Il faut pourtant choisir, dit Honorine, d’une voix ferme et posée. Mais je le vois tu n’as pas la force de choisir, et le choix est difficile en effet entre un pere qui t’a longtems négligé et ne t’a jamais reconnu, et une fille qui t’adore !… Eh bien, dit-elle en se préparant d’un air indifférent et tranquille à sortir du pavillon, il faut vous épargner la peine d’un plus long combat, et après avoir fait quelques pas avec lenteur et réflexion, tout à coup elle s’élance vers le précipice. Arrêter arrête ! s’écrie Florentin, je promets tout, je ferai tout. Honorine qui avait ralenti son mouvement, se sent retenue et se retourne. Ses yeux se tournent sur un objet qui parait l’étonner. Ceux de son frere suivent les siens. Que voyent-ils tous deux ? Leur pere évanoui. S’étant tenu caché derriere les broussailles, dont avait parlé Honorine, il n’avait pas perdu un mot de l’affreuse conversation de ses enfans, et lorsque déjà à demi anéanti de douleur et de confusion il avait voulu arrêter sa fille courant à la mort, au premier pas qu’il avait tenté de faire, il était tombé sans mouvement et sans connaissance. Florentin le releva et le secourut, mais Honorine fidelle à l’horreur qu’il lui avait inspirée, s’assit vis-à-vis d’eux, les regardant sans dire un mot, sans faire un geste de pitié ou d’intérêt.
Que prétendez-vous faire à présent ? dit-elle à Florentin. Vous ne voudrez pas abandonner Monsieur, je ne vous en presse plus, et cependant si vous me laissez seule ici je ferai ensorte que vous ne me revoyez jamais. Non que je veuille commencer par me donner la mort, je publierai auparavant votre naissance : ce qu’elle a d’honorable effacer aux yeux de bien des gens ce qu’elle a de honteux ; un doute fâcheux sera du moins détruit, et vos parens seront forcés de vous faire une fortune qui rachete, en quelque sorte, les maux auxquels ils vous avaient voué. Le Marquis ni son fils ne répondaient rien, Honorine reprit la parole. Venez donc château l’un et l’autre, leur dit-elle, nous dirons à Md. d’Userche que tout est découvert. Venez. Et leur faisant signe de passer devant elle, elle serra la main à Florentin, en lui disant : du moins je te verrai. Un peu adoucie alors et attendrie autant par le son de ses propres paroles, que par le regard plein de tendresse et de douleur que jetta Florentin sur elle, elle se mit à pleurer, et les suivait à quelque distance en pleurant.
Je ne décrirai pas ce qui se passa au château à leur arrivée. Quand Honorine m’en a voulu parler, les traits du tableau devenant aussi ridicules qu’ils étaient sombres, elle l’abandonnait. Le soir étant venu, et le Marquis voulant se retirer, Honorine dit à Florentin : reste ici. Reste auprès de ta sœur. Qu’elle te serve, te soigne, te voye. Donne-lui quelque moyen de s’accoutumer à son sort. Fais-moi trouver, Florentin, quelque douceur dans nos nouvelles relations. Ah ! Mademoiselle, lui dit le Marquis, souffrez que le soir du moins il ne me laisse pas retourner seul chez moi. Si vous saviez ce que j’éprouve ! Et moi, Monsieur, dit Honorine avec dédain, croyez vous que je ne doive rien sentir ? Je reviendrai demain matin, dit le jeune homme. Dans tout cela Madame d’Userche était comme étrangère à ce qui se passait. La discrétion avait éloigné l’abbé Théodore, le soir on le rappella, et à l’heure accoutumée on reprit les cartes ou les dez.
Florentin revint en effet le lendemain de très bonne heure. Il avait l’air plus sombre et plus défait que la veille. Le Marquis, qui ne l’avait pas encore vu ce jour là, le suivit de près. Il était presque méconnaissable. Je ne puis rester seul, dit-il à Florentin, et l’embrassant pour la premiere fois de sa vie, il ne put retenir ses pleurs. Ils resterent tout le jour et revinrent le lendemain et les jours suivans. Cette douceur qu’Honorine espérait du seul plaisir de voir son frere, elle l’y trouvait quelques fois Ils n’avaient jamais mangé ni passé des journées entieres ensemble, et cette jouissance était aussi précieuse que nouvelle. Assise à côté de lui, lui versant à boire, lui présentant des fruits, recevant de lui tout le jour mille services, mille soins affectueux, elle pleurait, souriait, soupirait tour à tour.
Florentin était plus triste qu’elle. Envain il cherchait dans l’étude des forces et de la distraction ; envain il courait à la chasse, fatiguait ses chevaux, s’excédait lui même, il ne trouvait ni plaisir dans cette agitation, ni repos dans sa lassitude. Son existence n’était supportable qu’auprès de sa sœur. Quelques fois il lui tendait une main tremblante, et la voulait ensuite retirer. Imbécille ! disait Honorine, laisse la moi, je la couvrirai de larmes.
La situation du Marquis était peut-être plus douloureuse encore. Son fils essayait envain de dissipper un chagrin que sa propre douleur ne cessait d’entretenir. Honorine gardait avec lui un silence sévere qu’elle n’interrompait quelques fois que par des questions fâcheuses, vu les objets qu’elles rappellaient. Un jour elle lui demanda, si c’était à dessein qu’il avait donné le portefeuille. Il l’assura que non. Pourquoi, lui dit-elle un autre jour, ne pas faire profiter Florentin de cette loi favorable aux enfans, qui ordonne qu’ils seront réputés appartenir au mari de leur mere ? Il était de notoriété publique, répondit le Marquis, que le mariage n’avait pas été consommé. — N’aurait-on pas pu casser ce mariage ? — Peut-être. — Pourquoi ne le tentiez-vous pas ? — Je n’aurais pu, quand je l’aurais voulu, épouser votre mere, ni donner un état à un enfant conçu tandis qu’un autre mariage aurait subsisté. Le lendemain se rappellant cette conversation, elle la reprit, comme si dans l’intervalle elle n’eût songé à autre chose. Pourquoi, dit-elle, ne pas faire de moi comme de Florentin ? vous auriez pu du-moins nous faire élever ensemble et comme frere et sœur. — Cela eût été assez difficile. L’on aima mieux vous faire jouir de la faveur de cette loi que vous avez citée. D’ailleurs je vous avouerai que j’avais des doutes. Votre mere paraissait être fort bien dans ce tems là avec le Duc de ***. Quoi ! je pourrais n’être pas votre fille ! s’écria Honorine avec un mouvement de joye. Vous l’êtes, reprit le Marquis humilié. Mes doutes ont été entierement dissipés. On m’a trop bien traitée, dit amèrement Honorine. On m’a donnée pour fille à un homme d’esprit et de mérite qui, à ce que je pense, n’a point cru être mon pere, et qui m’a aimée comme s’il l’était. Le contraire est arrivé au pauvre Florentin. Au reste, Monsieur, ne voyez dans mes discours qu’une curiosité bien naturelle sur des objets qui m’intéressent uniquement. Je ne songe pas à vous faire le moindre reproche. Vous n’en méritez aucun. Celui qui n’a cru à aucune vertu, n’a du en respecter aucune. S’il n’y a point de devoir, on n’en peut point trahir. Seulement il faudrait permettre aux autres les mêmes conséquences que vous avez tirées pour vous de vos principes. — Je voudrais Mademoiselle ne les avoir point eus. — Pourquoi, s’ils sont vrais ? — Je voudrais surtout n’en avoir point parlé. — Je dirai encore pourquoi ? J’aime sur ce point l’indiscrette sincérité des gens d’esprit. Heureusement pour le vulgaire ils lui apprennent à n’être pas plus qu’eux la dupe des préjugés qu’ils ont secoués. Les hommes qu’on admire le plus, ont fait comme vous. Voltaire, le grand Frédéric, et beaucoup d’autres n’ont eu à cet égard rien de caché pour le reste des hommes. Ils pensaient peut-être qu’ils seraient morts avant qu’on eût bien pris leur doctrine au mot, et se mettaient peu en peine de ceux qui viendraient après eux. Se taisant ensuite, puis sortant de ce silence comme d’une léthargie, Honorine disait : J’ai entendu parler quelques fois de l’honneur, mais il m’a semblé que ce n’était que certaines vertus non pas tant possédées, que reconnues ou supposées. Cet honneur aussi est une chimere, qui tombera avec celle des vertus. On commence à massacrer assez impunément, et soit tristesse ou raison chez moi, cela ne me fait aucune peine. Le droit du plus fort, seul droit fondé et soutenable, s’établit. Le frein des supplices est nécessairement détruit, quand ceux qui les infligeaient sont devenus plus faibles que ceux à qui on les eût infligés, et l’enfer à présent n’effrayant presque personne, chacun fait tout ce qu’il a l’envie ou la force de faire.
Les raisonnement d’Honorine furent rarement très suivis ; mais en différentes occasions elle dit tout ce que je viens de raporter, et beaucoup d’autres choses analogues à celles là ; tantôt l’une, tantôt l’autre ; et cette façon de voir et d’apprécier les objets n’a plus varié chez elle. L’amour pur de la chose publique, dit-elle, est aussi rare et on l’enseigne aussi peu, que tout autre amour pur. Qu’on se tourmente tant qu’on voudra, on n’obtiendra rien des hommes qu’en leur promettant du plaisir ou de l’argent, et on ne les fera s’abstenir de rien, qu’en les menaçant de l’enfer ou de la potence.
Quelques fois, quand le Marquis l’avait écoutée avec une grande douceur, lui avait répondu avec une grande patience, elle avait une sorte de pitié de cet esprit exorcisé malgré lui, et forcé de répondre à celle qui l’évoquait. Oh ! qu’il la méritait bien, cette pitié ! A la fin sa santé succomba à une maniere d’être si nouvelle. Il tomba malade, et son mal se déclara si subitement, qu’un soir il ne put retourner chez lui. On le soigna chez Md. d’Userche, avec une intelligence et une assiduité extrêmes. Florentin faisait beaucoup pour son pere, Honorine faisait tout pour Florentin. Le vieux secretaire vint les aider à servir leur malade, et dès qu’il le vit un peu mieux, il le décida à aller consulter les médecins de Paris. Ce ne sont pas des médecins qu’il me faut, à moins qu’il n’y en ait pour l’ame, lui disait le Marquis. Comment peut-on être à la fois blasé et déchiré au point où je le suis ? J’alimentais avec peine dans mon cœur quelque étincelle d’ambition pour sentir encore quelque chose, et avoir quelque motif d’action, et voici que je retrouve la sensibilité de mes premieres années ; mais c’est pour me sentir tourmenté par une fille qui me déteste, tandis que son frere, qui s’efforce de m’aimer, ne peut que me plaindre. N’importe, lui disait le secretaire, il faut sortir d’ici, et trouver ailleurs une vie moins affreuse ou la mort. Le jour du départ fut fixé entre Florentin et le secretaire.
Florentin avait résolu départir sans dire adieu à sa sœur : il ne le put pas. Quel adieu que le leur ! Et tu me quittes Florentin ! s’écria-t-elle. Tu peux t’y résoudre ! nous serons séparés ! voilà ce que je voulais m’épargner. Voilà ce que je redoutais à l’égal de la mort la plus cruelle. Florentin pâle, have, ne pouvant proférer un mot, se soutenant à peine, fut arraché des bras de sa sœur et jetté, presque mourant, dans le carosse où l’attendait son pere.
Arrivé à Paris il n’y vit que le comte de ***, et il pleura avec lui sans se contraindre. On conseilla à Mr. de la Touche l’air de l’Italie, dont aussi-tôt son fils et lui prirent le chemin.
Après leur départ le vieux secretaire revint chez Md. d’Userche. Il en avait assez vu sur la tournure que prenait la révolution, pour engager les tuteurs d’Honorine et sa mere à vendre tout ce que l’on pouvait vendre de leurs biens, et muni de leurs pleins pouvoirs, comme il l’était de ceux du Marquis, il les plaça à Gênes, à Livourne, à Hambourg : et acheta deux terres considérables en Saxe, comme étant la partie de l’Allemagne le plus à l’abri de la guerre qu’il prévoyait. Il laissa garder à Madame d’Userche son hôtel à Paris, et elle y vint passer l’hiver sans beaucoup s’appercevoir de ce qui se passait autour d’elle, et sans voir que sa fille n’était plus qu’une ombre lugubre, étrangère aux endroits qu’elle habitait, indifférente aux maux qui la menaçaient, aux crimes qui se commettaient ou se préparaient autour d’elle.
Il fallut le dix aoust et le deux de septembre pour réveiller Madame d’Userche, encore se replongea-t-elle dans son assoupissement, jusqu’à ce que l’on menaçat de la mort tout ce qui avait quelque éclat ou quelque fortune. Alors elle se laissa emmener, et ce ne fut qu’avec beaucoup de danger, qu’elle parvint à sortir de France.
Honorine eut peine à se soumettre aux déguisemens auxquels il fallut avoir recours. Il se peut que Florentin vive encore, disait le secretaire qui ne la quittait pas, et que deviendrait-il, si rentrant dans sa patrie il apprenait la mort violente de sa sœur ? Au nom de Florentin Honorine reprenait quelque vie et quelque force de volonté.
Lors de son départ de France elle avait été plusieurs mois sans recevoir de ses nouvelles, et depuis elle n’en a point reçu, aussi l’ai-je trouvée presque méconnaissable. C’est donc à Toulon qu’il a péri, me disait-elle, après avoir été des heures entieres sans parler. Toutes mes autres conjectures n’ont aucune vraisemblance. De l’Angleterre, de la Hollande, de l’armée de Condé il fût parvenu à me donner de ses nouvelles. Son pere l’aura envoyé à Toulon ou à Lyon, peut-être il y sera allé avec lui, et ils ont péri tous deux. Ah ! s’il était des ames qui survécussent au corps pourquoi la sienne s’obstinerait-elle à ne pas m’apparaître ? Je la cherche et l’appelle depuis si longtems ! Mais je ne puis même retrouver certaines frayeurs que j’ai eues, et que je pourrais prendre aujourd’hui pour un fantôme ami. Les vents sifflent, les girouettes et les hiboux crient en Saxe comme en France ; mais ils ne me font aucune illusion. Ni le jour ni la nuit, ni dans une masure ni dans une allée sombre, je n’entends et ne vois rien. Son ame est détruite, la mienne le sera bientôt. C’est ainsi que cette malheureuse vit de regrets avec une mere qu’elle méprise, et le vieux secretaire, à qui elle a peine à pardonner d’avoir éclairé le Marquis. Elle a pourtant une sorte d’affection et d’estime pour lui. Il a su du moins apprécier ce qu’elle aime, et connaître ce qu’elle hait : il la plaint, et ne tente point de la consoler. J’ai souhaité que le comte de *** errant, après avoir été persécuté, pût chercher un azile auprès d’elle. C’est le seul homme de sa nation qu’elle puisse voir avec quelque plaisir, et elle l’a si bien senti que pour n’être pas importunée des visites de ses compatriotes, elle a engagé sa mere à cacher son nom sous celui de la terre qu’elles habitent. Quelques fois die Gräfin von **, estropiant le nom allemand qui est actuellement le sien, arrache à sa malheureuse fille un sourire, le seul qu’on voye sur ses lèvres pâles et contractées. A son nom près, qu’elle n’a pu apprendre, Madame d’Userche s’est accoutumée à tout ce qui l’entoure. Elle joue, parle, fait une toilette recherchée, reçoit et rend des visites, entend vêpres et complies, comme si elle était encore à vingt ans et dans le sein de la France catholique et paisible.
Au moment de la quitter j’ai pris congé d’elle, mais comment aurais-je pu me résoudre à voir sa fille ! Passant près d’une allée obscure où elle se promenait seule, je l’entendis s’écrier : Florentin ! Florentin ! n’existerait-il plus rien de toi ?
