Humour et humoristes/Le faux humoriste

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H. Simonis Empis (p. 203-205).

LE FAUX HUMORISTE


Tendrement bébête, il porte des pantalons à la hussarde, des vestes-vareuses ou des redingotes 1830, des hauts-de-forme à bords plats et des cravates bouffantes, négligemment nouées autour d’un col rabattu. Il manie d’une main fière une canne grosse, grande, belliqueuse, dont le fer résonne sur le pavé, et naturellement il habite Montmartre, tout en haut de la butte sacrée, parmi les chansonniers, ces faux poètereaux, et les m’as-tu-vu des petits cafés-concerts, ces faux cabotins. Comme jadis cette colline fut un royaume d’esprit, il s’imagine qu’il a hérité des qualités qui jadis triomphèrent rue Victor-Massé. Il possède la douce et vaniteuse innocence des imbéciles et des ignorants. Il me rappelle les marmots qui singent les soldats, en brandissant des sabres de bois et en battant la charge sur des casseroles d’étain, ou les fades employés de nouveautés qui, le dimanche, s’ingénient à imiter les p’tits jeunes gens cossus des restaurants de nuit.

Parce qu’il écrit des dialogues entre habitués de manille, ou des colloques de concierges, ou des monologues de poivrots, et représente sur des scènes éphémères des actes pitoyables, il se croit du talent. Si on le poussait, il parlerait de son étoile, et avouerait, avec un air modeste, qu’il est presque génial et que Molière lui semble un fort insignifiant monsieur. Il proclame qu’il possède, au plus haut point, le don d’observation, que nul ridicule ne lui échappe, et qu’il note toutes les risibles manies de ses contemporains en traits d’une flagrante vérité. Il en est tellement convaincu qu’il mettra un jour sur sa carte de visite : X…, humoriste, officier d’académie. Il a parfaitement oublié qu’il plagie à chaque minute, pour vivre, G. Courteline, A. Allais, T. Bernard, et qu’il réédite, sans payer le moindre droit de reproduction, les innombrables calembours que M. Willy a généreusement gaspillés aux quatre coins de la France.

Comment s’appelle-t-il ? Vraiment, lui et ses semblables, qui sont légion, ne valent pas qu’on les cite. Ce serait une inutile réclame. J’en connais dont le nom commence par la dix septième lettre de l’alphabet : je pense devoir m’en tenir là ; on peut leur graver à tous, en étiquette, sur le front, cette initiale.