Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Academie

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Academie. II.


ON la peut repreſenter ſous la figure d’vne Dame illuſtre, le viſage de laquelle a ie ne ſçay quoy de viril & d’Heroïque. La couronne qu’elle porte eſt de fin or, & ſon habillement de pluſieurs couleurs. Elle tient vne lime de la main droite, auec ces mots à l’entour, Detrahit atqve polit ; Et de la gauche vne Guirlande faite de Laurier, de Lierre, & de Myrrhe, où pendent deux pommes de Grenade. Sa chaire eſt parſemée de fueillages & de fruicts de diuers arbres, comme de Cedre, de Cyprés, de Cheſne, & d’Oliuier. Son ordinaire ſejour eſt vn lieu champeſtre, où elle eſt aſſiſe à l’ombre, ayant à ſes pieds quantité de Liures, parmy leſquels vn Singe ſe joüe.

La virilité de ſon âge & de ſa beauté, monſtre qu’auec vn eſprit ſolide & vn profond iugement, elle poſſede vne parfaite connoiſſance des bonnes choſes. La raiſon eſt, pource qu’elle les conçoit en la ſaiſon la plus calme de la vie, pour n’eſtre ſujette ny aux legeretez de la ieuneſſe, ny aux peſanteurs du dernier âge.

Sa couronne eſt d’or, pour nous donner à entendre qu’vn Academicien qui veut faire d’excellantes productions, & les appuyer de fortes penſées, dont l’Arſenal ou le magazin eſt dans la teſte, comme en la partie intellectiue de noſtre eſprit, les doit raffiner plus d’vne fois, à la maniere de l’or, & les mettre pour cét effect à toutes ſortes d’eſpreuves.

Par les differentes couleurs de ſa robe eſt denotée la diuerſité des ſciences, qui ſont traittées dans vne docte Academie.

Elle tient en main vne lime, pour monſtrer que comme par le moyen de cét outil, plus on diminüe du fer & des autres metaux, plus ils ſe deſroüillent & ſe nettoyent ; Ainſi les pieces d’Academie ſe poliſſent & s’acheuent, à force de les corriger, & d’en oſter les ſuperfluitez ; tellement que pour les reduire au point où il faut qu’elles ſoient, il eſt neceſſaire au bon Academicien de les ſoubmettre à la cenſure des plus habiles, & de ſe reſoudre à dire auec Ouide.

suiuant les ſentiments diuers,
De ceux qui ſont dans quelque eſtime,

Ie feray paſſer par leur lime,
Iuſqu’aux moindres mots de mes vers.

Sa Guirlande eſt compoſée de Myrthe, de Laurier, & de Lierre, d’autant que par ces trois plantes, qu’on peut à bon droit appeller Poëtiques, ſont ſignifiées les diuerſes ſortes de Poëſie, qui fleuriſſent dans vne Academie. Mais le Myrthe particulierement, comme conſacré à l’Amour, ſert auſſi à couronner les Poëtes amoureux ; Ce qui fait dire à Nicandre, que Venus en euſt vne Guirlande, quand elle ſe treuua preſente au iugement de Paris ; & de Virgile

InMelib
Qu’à la mère d’Amour le Myrthe eſt agreable.

Quant au Laurier & au Lierre, tous les Poëtes en eſtoient indifferemment couronnez. Le Prince des Lyriques le teſmoigne par ces vers.

Hor.
Des doctes fronts le Lierre eſt le prix.

Et en vn autre endroit parlant du Laurier il en dit de meſme.

Lib. 3. Od. vlt.
Vien Melpomene, & le chef m’enuironne,
____De la Delphique couronne.

Le Lierre neantmoins me ſemble plus propre aux Poëtes Dithirambiques, ainſi appellez, à cauſe des vers qu’ils souloient chanter à l’honneur de Bacchus, Ouid. Fast.

Qui ſe plaiſt à meſler aux raiſins le lierre.

L’on peut dire pareillement que le Laurier ne conuient pas ſi bien aux autres Poëtes qu’il fait aux Epiques, qui ſe propoſent pour but de deſcrire les faits heroïques des grands Guerriers & des Empereurs, qu’on a de tout temps couronnez de branches de cét Arbre glorieux, & inuincible à la foudre. C’eſt pour cela qu’Apollon dans le premier des Metamorphoſes le deſtine pour marque d’honneur aux Conquerans, & qu’il s’en couronne luy-meſme, comme Pere des Poëtes, auſquels il fait part de ſon feu celeſte, & de cette diuine fureur dont il anime leurs penſées.

Les pommes de Grenade ſont des figures de l’vnion mutuelle qu’il y doit auoir entre les Academiciens. Car, ſelon Pierius, Lib. 54. elles ſignifient vne compagnie de pluſieurs hommes joints enſemble, & qui ſe maintiennent par leur bonne intelligence. Auſſi eſtoient-elles anciennement dediées à Iunon, à qui l’on ſouloit donner une Grenade à la main, auec l’epithete de Conseruatrice, comme il ſe void par le reuers de quelques anciennes Medailles, où l’on peut lire ces mots, Ivnu conservatrix, à cauſe que cette Déïté preſidoit à l’vnion & à la conſeruation des peuples.

En la chairre où l’Academie eſt aſſiſe, ſe voyent grauées des branches de Cedre, de Cyprés & de Cheſne, d’autant que ces arbres, que Pierius appelle incorruptibles, ſont des Hierogliphes de l’eternité. A quoy doiuent butter principalement les vrays Academiciens, & ne rien dire, s’il eſt poſſible, qui ne ſoit digne du Cedre ; puis qu’ils ſont veritablement du nombre de ceux, Perſ. Sat. 1.
Hor. in Poët.

Dont les vers qu’Apollon ſemble auoir fait exprès,
Sentent touſiours le Cedre, & iamais le Cyprés.

Car bien que le dernier de ces arbres ſoit appellé fatal & funeſte, ſi ne laiſſe-t-il pas d’eſtre exempt de corruption, & d’auſſi longue durée que le Cheſne, qui ſeruoit encore de prix à la vertu des vainqueurs. Teſmoin l’empereur Domitian, Symp. 3. quæſt. 2. qui voulut qu’ils en receuſſent vne Couronne aux jeux ſolemnels, qu’il fonda luy-meſme au Capitole. Mais l’Oliuier particulierement, qui ſelon Platon pour eſtre oleagineux & plein de chaleur, ſe conſerue toujiours verd, ainſi que le Laurier, le Cyprés, & le Lierre, me ſemble recommendable par deſſus tous, & grandement propre à l’Academie. Que ſi vous m’en demandez la raiſon, ie vous reſpondray que cette plante eſt dediée à Minerue,

Hor. Poët.
Sans qui vous ne pouuez rien dire, ny rien faire,

Et par conſequent, qu’vn Academicien qui a ce fauorable Genie que nul ne peut donner, & qui naiſt auecque nous, ne doit pas laiſſer de faire la cour à cette Reine des belles penſées, ny de cultiuer ſes hautes connoiſſances à force de veilles, dont l’Oliuier eſt le ſymbole. Ce qui luy reüſſira, ie m’aſſeure, ſi heureuſement, qu’on ne luy reprochera iamais d’auoir perdu ſa peme, ny ſon huyle. Car le fruict de ſes trauaux ne luy ſera pas moins doux, que l’eſt naturellement au gouſt cette precieuſe liqueur que l’on tire des Oliues. Et comme elle a cela de propre d’exempter les corps de pourriture, ainſi par le moyen de l’eſtude les Ouurages de l’eſprit ſe conseruent incorruptibles contre les iniures des années.

L’Academie eſt aſſiſe en vn lieu champeſtre à l’ombre des arbres, pour memoire de ce qu’elle ſe tint premierement à la campagne, en vne maiſon qu’auoit pres d’Athenes vn de ſes principaux Citoyens, qu’on appelloit Academus. Ce fut de luy qu’elle prit le nom qui luy eſt demeuré depuis ; eſtant bien certain que toutes les Sectes de ce temps-là prirent le leur, ou des couſtumes, ou des lieux, ou des noms propres ; comme celle des Cyniques, des Peripateticiens, des Stoïciens, & ainſi des autres. C’eſtoit donc en la Metairie de cét Héros Athenien, où le diuin Platon & ſes Diſciples ſouloient s’aſſembler, auec deſſein, comme dit Horace,

Lib. 2
D’exterminer la fauſſeté
Pour le ſalut des Republiques,
Et de chercher la Verité
Dedans les bois Academiques.

Et d’autant que la lecture des Liures eſt l’ordinaire exercice de l’Academie, c’eſt pour cela qu’on luy en donne pluſieurs, & qu’à les coſtez eſt peint vn Singe, animal ingenieux, & qui Pier. Val. lib. 6. chez les Egyptiens eſtoit vne figure myſtique des Lettres & des ſciences ; à raiſon dequoy ils le conſacroient à Mercure, pour les auoir toutes inuentées.