Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/Dédicace

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A
Monseignevr,
Monseignevr
Segvier,
chancelier de France.

Monseignevr,

ayant à ſatiſfaire aux iuſtes deuoirs que ie ſuis obligé de rendre à voſtre Grandeur ; Ie prends la hardieſſe de luy venir offrir l’Iconologie entiere, dont elle a deſia veu la premiere Partie. I’imite en cela les anciens Peuples du Perou ; qui apres auoir eſté long-temps ſans voir leur Seigneur, ne le viſitoient iamais qu’ils ne luy donnaſſent vne marque de leur reconnoiſſance & de leur employ par quelque Ouurage de leur façon. I’aduoüe qu’en celuy-cy il n’y a rien d’aſſez beau, ny d’aſſez brillant pour pareſtre deuant vos yeux ; & qu’on me peut reprocher à bon droict, qu’en vous le dediant, ie preſente de la lumiere au Soleil. Mais apres tout, Monseignevr, ie ne croy pas que ie le puiſſe addreſſer plus legitimement à perſonne qu’à Vous, quand ie conſidere que les Liures, & ceux qui les font, ne trouuent point aujourd’huy d’Azyle plus fauorable que voſtre Maiſon. Elle n’eſt pas ſeulement le ſacré Temple de Themis, où ſe rendent ſes infaillibles Oracles ; mais on la peut encore nommer le veritable Parnasse, deuenu plus fameux que l’ancien Lycee par cette celebre Academie d’honneſtes gens, auſquels vous permettez de s’y aſſembler, pour cultiuer les richeſſes de noſtre Langue. Puis que ma bonne Fortune, plutoſt qu’aucun merite que i’aye, me donne vne place parmy eux, & par conſequent vne part aux faueurs qu’il vous plaiſt leur faire ; Ie ſerois le plus ingrat de tous les hommes, ſi ie ne publiois à quel point ie ſuis redeuable à vos bontez, pour tant de graces que ie reçoy d’elles. Vous ſeul, Monseignevr, entretenez ce peu de vigueur qui reſte à mes pauures Muſes. Les voyla tantoſt au bout de la Lyce, où elles languiroient hors d’haleine, ſi vous ne leur donniez dequoy reſpirer. Elles doiuent leur repos à voſtre Generoſité ; & peuuent bien dire, qu’elle les venge du tort qu’Apollon leur fait il y a ſi long-temps. Car c’eſt luy qui par vn trauail opiniaſtre les ayant preſque reduittes à n’en pouuoir plus, ne leur donne pour toute recompenſe que des fueilles ſans fruict, & que de vaines Guirlandes, où il y a beaucoup moins de fleurs que d’eſpines. Vous au contraire, Monseignevr, pour les deliurer de peine, & mettre leurs Eſtudes à l’ombre, leur faites cueillir tous les ans vn precieux Rameau d’or, qui mieux que celuy d’Enée raſſeure leurs craintes, & les rend victorieuſes de toute ſorte d’obſtacles. Ce n’eſt donc pas merueille, ſi touché ſenſiblement de vos biens faits, ie m’eſcrie en m’adreſſant à vous, de meſme qu’Horace à ſon Mecene,

O & præſidium, & dulce decus meeum !

Mais comme ce Poëte Lyrique ne pouuoit recourir qu’à ſes Vers, pour reconnoiſtre les grandes obligations qu’il auoit à cét illuſtre Romain ; Ainſi, Monseignevr, m’eſtant impoſsible de vous remercie aſſez dignement de celles que ie vous ay, & d’y reſpondre autrement que par quelques Ouurages de Proſe y bien que peu conſiderables, En voicy vn que ie vous ſupplie de vouloir agréer, & e le receuoir pour vn teſmoignage du fidelle ſeruice que vous a voüé,



Monseignevr,



De Voſtre Grandeur


Le tres-humble, tres-obeïſſant, & tres-obligé ſeruiteur,
Iean Bavdoin.