Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Auarice

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Avarice. XVIII.


CEst vne Vieille effroyable à voir, pour eſtre extremement laide, paſle, deſcharnée, melancolique, & monſtrueuſe par tout le corps. La violence de la douleur qu’elle ſent luy fait porter l’vne de ſes mains ſur ſon ventre, qui eſt plus gros que celuy d’vn Hydropique. Elle ſemble cependant deuorer des yeux vne bourſe, qu’elle tient eſtroittement ſerrée de l’autre, & n’a pour toute compagnie qu’vn Loup affamé, auſſi maigre qu’elle, & qui ne bouge de ſes coſtez.

L’Auarice, mortelle ennemie des Vertus Morales & Chreſtiennes, eſt vne exceſſiue conuoitiſe d’auoir du bien, qui dans le cœur de celuy qu’elle poſſede, engendre la hayne, la cruauté, le diſcord, l’ingratitude, & la trahiſon. Auſſi a-t-on accouſtumé de la peindre Vieille, non ſeulement pour la puiſſance qu’elle a ſur les Vieillards, mais pour faire voir encore qu’elle eſt l’ancienne mere de toute ſorte de fourberies & de malices.

Le viſage paſle, eſt vn effet de la malignité de ſon enuie, qui la ronge & la bourrelle ſans ceſſe, pource que dans le comble meſme de ſes richeſſes, il eſt impoſſible de luy oſter de l’eſprit, que la fortune de ſon prochain ne ſoit meilleure que la ſienne. Diſons encore, que ſi quelque choſe fait paſlir vn homme auare, c’eſt l’apprehenſion qu’il a que ſon bien ne diminuë ; Ce qui luy donne ſi fort l’alarme, qu’il ne rencontre iamais vne parfaite aſſeurance en autruy, tant s’en faut qu’il la puiſſe treuuer en ſoy-meſme.

L’on adiouſte icy, qu’auec beaucoup de raiſon cét inſatiable appetit des biens du monde eſt comparé au mal d’vn Hydropique. Car comme celuy-cy ne fait que s’alterer dauantage à force de boire ; l’Auare de meſme ſemblable à Tantale, ne peut eſteindre l’ardante ſoif qu’il a des richeſſes, & ſe croit pauure dans l’abondance.

Noſtre vielle Harpie ne tourne les yeux que ſur ſa bource ; à cauſe que repreſentant l’Auarice, elle prend plus de plaiſir à regarder ſon argent, qu’à l’employer aux choſes vtiles & neceſſaires.

On luy donne vn Loup qui l’accompagne, pour monſtrer que l’homme auare ne tourne ſes penſées qu’aux moyens d’attraper le bien d’autruy, ſoit par ruſes couuertes, ſoit par manifeſtes rapines. En cela ſemblable à ce glouton & inſatiable animal, qui ne ſe contentant pas de la proye qu’il a faite, taſche de ſurprendre ou les Bergers, ou les chiens, & n’a iamais de repos, qu’il n’ait eſtranglé tout ce qu’il y a de brebis dans vne Bergerie, tant il a peur de n’auoir pas dequoy ſe ſaouler.