Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Force

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Force. LXV.


ON la repreſente armée, telle à peu prés que la Deeſſe Pallas, Et de quelque ſorte qu’on la conſidere, elle porte la phyſionomie d’vne perſonne robuſte : Car elle a le corps ramaſſé, la taille belle, les eſpaules larges, les membres nerueux, le teint brun, les cheueux rudes, l’œil brillant, & qui n’eſt guere fendu. Elle tient au reſte vne Lance en la main droite, auec vne branche de Cheſne ; Et en la gauche vn Eſcu, au milieu duquel eſt peint vn Lyon, qui combat vn Sanglier.

Bien que les valeureux efforts que l’on fait pour lutter contre les choſes difficiles, conuiennent à toutes les Vertus particulieres, ſi eſt-ce que l’execution n’en appartient qu’à la Force, le propre de laquelle, eſt de ſouffrir courageuſement pour l’amour de la Vertu toute ſorte d’euenemens, & de fortunes contraires. Que ſi on la peint Femme, ce n’eſt pas pourtant que l’on pretende qu’elle doiue eſtre effeminée ; mais c’eſt pluſtoſt pour en accomoder la Figure à la façon de parler.

Ses armes ſont des ſymboles de la force de ſon corps ; Et le Rameau qu’elle tient en main en eſt vn de celle de ſon eſprit. Par l’vn elle reſiſte aux armes materielles ; Et par l’autre, aux ſpirituelles, qui ſont les vices. Ce qui nous eſt demonſtré par le Cheſne, arbre que les Poëtes ont touſiours creu plus fort que les autres, ſoit à cauſe qu’il ſe roidit contre la violence des vents & des eaux, ſoit pource que l’on en fait des machines, qui durent long-temps, de quelque peſant fardeau qu’elles ſoient chargées : Auſſi eſt-ce pour cela que les Latins appellent de ſon nom les hommes forts & robuſtes. La Lance qu’elle porte ſignifie, Que ce nous eſt vne choſe naturelle de repouſſer la violence qui nous eſt faite iniuſtement, & de nous aider pour cét effet des forces que nous auons.

Lib. 2. Que s’il en faut croire Pierius, par le combat du Lyon & du Sanglier, peint en ſon Eſcu, nous ſont declarées les deux forces du corps & de l’eſprit. Car au lieu que le Sanglier ſe precipite à chaque rencontre ; Le Lyon au contraire meſnage auec adreſſe, ſoit qu’il attaque, ou qu’il ſe deffende.

Hier. lib. 2. Ie diray à ce propos, qu’il me ſouuient d’auoir leu dans Orus, que les Egyptiens repreſentoient la Force par vne femme de complexion vigoureuſe, qui auoit ſur ſa teſte les deux cornes d’vn Taureau, & à ſon coſté vn Elephant, auecque ſa trompe droite. En effet l’experience ne monſtre que trop qu’il n’y a point d’animaux plus forts que ceux-cy ; Ce qui fait dire au Cic. lib. 2. Senec. ſage Caton, Qu’il n’auoit iamais ſouhaitté les forces de l’vn, ny celles de l’autre en ſa plus verte ieuneſſe.

La meſme demonſtration nous eſt faite en deux anciennes Medailles ; En la premier deſquelles eſt remarquable vne ieune Femme, qui a vne maſſuë, pareille à celle dont Hercule aſſomme vn Lyon : Et en la ſeconde, vne Amazone armée, qui en la main gauche porte pour deuiſe dans ſon Eſcu la teſte de ce genereux animal ; & en la droite vne Eſpée nuë, qui depuis la garde iuſques à la pointe, eſt enuironnée d’vn ſerpent. Ce qui ne peut mieux s’entendre que de la force du corps, de la prudence de l’ame, & de la grandeur du courage ; qui ſont des Vertus ſi excellentes, qu’on a veu ſouuent par leur moyen de ſimples ſoldats paruenir aux ſouuerains honneurs du Triomphe, apres auoir paſſé dignement par toutes les plus hautes charges de la Milice.