Imirce ou la Fille de la nature (éd. 1922)/02

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J. Fort, éditeur (p. 17-43).

Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Bandeaux
Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Bandeaux


MON ÉDUCATION
ET CELLE DE MA COUSINE SOPHIE




PRÉFACE


Longtemps après le sage Confucius, il parut à la Chine un philosophe éloquent, dont les idées grandes, petites et extraordinaires ne pouvaient entrer dans la tête de personne, ni rester dans la sienne.

Cet homme était Européen ; dès sa brusque jeunesse, il s’était fatigué à galoper après les chevaux qui sortaient de Genève ; plus âgé, il s’était noirci l’âme en donnant des leçons de vertu aux belles filles du Valais ; enfin, après avoir polissonné longtemps dans les montagnes de Savoie, il eut le bonheur d’être parfaitement éduqué par un prêtre irlandais qui avait oublié son catéchisme.

Ce sage s’endormit un jour à l’ombre d’un buisson. L’amour-propre marchant à quatre pattes, vint lui apporter un miroir ; il se regarda dans cette glace trompeuse. Honteux de se voir juché sur deux pieds comme ses semblables, il les quitta avec fierté, et vint gagner à quatre pattes les bords glacés de la Russie.

Il s’arrêta vis-à-vis de la presqu’île de Kamtschatka[1]. La misère, le froid et la faim allaient moissonner les jours savants du philosophe, lorsqu’il rencontra un ours blanc. L’animal, frappé de l’allure du nouveau sauvage, s’arrêta ; le feu de la vérité qui brûlait sur les joues de cet homme extraordinaire amollit le cœur de la brute ; ses yeux cruels s’adoucirent, et l’habitant des neiges vint déposer sa férocité à ses pieds.

Les caresses de l’ours, l’intelligence de ses gestes aussi expressifs que le langage le plus éloquent, furent entendus du philosophe. Il se mit sur le dos de l’ours, et se livra tranquillement à son instinct éclairé. L’animal, glorieux de porter Jean-Jacques, traversa la mer glaciale ; tantôt il nageait sur ces eaux froides, tantôt il marchait légèrement sur les glaces. Après quelques jours de chemin, ils arrivèrent dans l’île des ours blancs.

Les ours habitants de cette île sont avantagés d’un instinct supérieur à la petite raison humaine qui fait des progrès si lents chez les hommes. Ces animaux furent transportés de joie en voyant un homme rendre un hommage aussi vrai à leur allure naturelle. Pour le rendre plus semblable à eux, ils le léchèrent si parfaitement, que le philosophe fut le plus élégant quadrupède de l’île. Ce fut dans le commerce des ours blancs que Jean-Jacques puisa cette grande philosophie, l’étonnement de l’humanité ; ce fut là qu’en suivant l’éducation des jeunes ours, il prit les premières connaissances de cette brillante manufacture de pendules à deux pieds, qui devaient produire les Émiles et des hommes.

Le philosophe, jaloux de se rendre extraordinaire, proposa une nouvelle marche aux ours blancs ; leur prouva par trois cent soixante et quinze paradoxes la nécessité de marcher à deux pieds. Il y a sous la voûte qui vous couvre, leur dit-il, des animaux aimables, légers, inconséquents, qu’on appelle Français ; ils ont parmi eux des savants, des vieux seigneurs, des fermiers généraux, qui ne sont guère mieux léchés que vous. Un peu avant le règne de François Ier, ces animaux, infiniment petits de tête, se sont avisés de se redresser sur leurs deux pattes de derrière ; cette nouvelle allure leur a donné un peu de considération dans ce monde, et l’avantage d’être impertinents chez l’étranger. Imitez ces jolis animaux, les Anglais, les Allemands, les Suisses et toutes les nations les copient ; copiez-les aussi ; vous réussirez peut-être mieux que toutes les nations, si vous pouvez être moins ridicules que toutes les nations.

Pour engager plutôt les ours à marcher un peu mieux que les Présidents de Toulouse, qui ont sacrifié l’innocent Calas, le philosophe suisse leur dit : « J’ai tourné longtemps à Paris dans le tourbillon de la bonne compagnie de quelques citoyens de Genève, qui vendaient de mauvaises montres à répétition et de bons paquets de Faltra ; je les régalais quelquefois de concerts italiens. En cherchant de la bonne musique sur les boulevards, j’ai rencontré de vos frères qui marchaient à deux pieds ; il est vrai qu’ils tenaient, comme les Suisses, les pieds en dedans ; mais, en revanche, ils faisaient la révérence comme les gens du Marais, et l’exercice à la prussienne aussi bien que le guet à pied de Paris. »

Le système du philosophe ne fut point goûté ; les ours blancs, accoutumés depuis la création à marcher tout naturellement à quatre pattes, ne voulurent point changer leur marche. Les lettrés du pays lui dirent : « Frère, la sagesse est une pierre tombée du ciel ; en tombant, elle s’est brisée en mille pièces : vous croyez peut-être avoir tous les morceaux de la pierre, vous vous trompez ». Pour nous, que la nature à avantagés d’une vue fine et perçante, nous ne voyons au travers de vos paupières malades que quelques grains de poussière tombés dans vos yeux ; l’œil vous en cuit, vous aurez beau le frotter, vous ne verrez pas plus clair que les autres dans les profondes ténèbres qui enveloppent ce globe. Plus sages que les rabbins et les docteurs, tâchez de faire sortir cette poussière de votre œil, et songez toujours que cette pierre céleste n’a jamais existé en entier sur la terre, et qu’il faut être parfaitement insensé pour se flatter d’être parfaitement sage.

Le philosophe se croyait trop éclairé pour se rendre à la logique des ours blancs ; il quitta ses chers frères ; le portier de l’Académie le transporta sur son dos dans l’île de Robinson Crusoé, où il bâtit son collège pour l’éducation des garçons menuisiers, des paysans et des princes. Ce fut à cette fameuse école que mes ancêtres furent élevés. Mon grand-père, mes oncles, mes tantes et surtout ma cousine Sophie, y avaient puisé abondamment les principes de son inconcevable philosophie.

Mon grand-père, qui aimait tendrement ses petits-fils, se chargea lui-même de mon éducation. Dès que je sortis du sein maternel, il me mit sur la paille ; la nuit je pissais dans la paille. Le bonhomme était enchanté des progrès de mon éducation, lorsqu’il voyait que j’avais la paille collée au derrière. Cette paille, disait-il, doit étouffer dès le berceau les premiers feux de l’amour-propre, et mon fils fera un jour un homme, s’il se souvient d’avoir été élevé avec la paille au cul.

Mon grand-père, guerrier comme un marchand d’images, n’avait pas peur des cloportes, des hannetons et des perce-oreilles. Pour me rendre inébranlable à l’aspect des pattes d’araignées, il en apportait par poignées sur mon berceau. Je jouais avec elles, comme le jeune Hercule avec les serpents. Il est essentiel, disait mon précepteur, qu’un enfant n’ait point peur des pattes d’araignées ; c’est un défaut d’éducation dans les belles dames de Paris, que leur aversion constante pour les vieillards, les ours et les araignées. Pour seconder les leçons de mon grand-père, ces insectes venaient ourdir leurs toiles autour des dentelles de mon béguin.

Mon grand-père était fort laid, l’âge avait encore ajouté à la nature. Pour m’apprivoiser avec les masques, il m’offrait trente fois le jour sa face monstrueuse. Je me fis insensiblement à la laideur de mon grand-père, je le trouvai beau comme un ange. Cet enfant, disait-il, se fait à ma physionomie ; il n’aura point peur des masques, il les trouvera toujours beaux, et c’est un agrément de voir toujours de beaux masques. Les masques sont très conséquents à la société ; tous les hommes en portent ; il est donc essentiel que les enfants se familiarisent de bonne heure avec les masques.

Pour accoutumer mes yeux au feu de la Saint-Jean et aux lanternes obscures de Paris, mon grand-père battait le briquet à chaque demi-heure devant mon berceau ; et pour me faire au bruit de cette ville immense, il frappait sur une vieille marmite. « Mon fils, disait-il, sera un homme, il traversera les rues de la capitale sans être incommodé du bruit des chaudronniers ; » sans la vieille marmite, mon éducation était manquée ; les chaudronniers, les crieuses de vieux chapeaux et M. Le Kain me devenaient insupportables.

Aussitôt que les dents commencèrent à me percer, au lieu d’un hochet, mon précepteur me donna des chiffons de papiers où l’on avait façonné des macarons. Cette précaution était sage ; les grelots, les hochets font un tort considérable à la société ; ces instruments sont la cause que la plupart des hommes n’ont plus de dents à quatre-vingt-dix ans.

Mon grand-père m’apprit à marcher la nuit, et à me casser le nez sans chandelle ; il trouvait surtout la dernière instruction merveilleuse pour me préparer sans frayeur aux spectacles des hémorroïdes et aux lunes de ma femme ; c’est, disait-il encore, la meilleure éducation qu’on puisse donner aux enfants ; par là on leur apprend à se passer de chirurgiens, des quinze-vingts et de bougies.

Mon précepteur avait remarqué que mon cousin Bernard était un poltron. Comme il voulait faire de moi un Richard-sans-peur, il me dit[2] : « Mon ami, tu es gourmand, tu aimes prodigieusement les gâteaux ! Veux-tu gagner un gâteau ? va-t-en porter à minuit de la bouillie chaude à ce pendu accroché à l’entrée du village. » Je balançai un peu à cette proposition ; et quoique déjà familier avec le masque de mon grand-père, celui du pendu, un peu serré du bas, me paraissait trop effroyable. Cependant l’envie de dévorer un gâteau me fit accepter le marché. Tandis qu’on faisait la cuisine du pendu, un domestique avait couru à ce triangle irrégulier, et s’était couché sur l’un des angles. Je portai la panade dans un vaisseau au bain-marie, je l’offris toute bouillante au pendu. Le domestique, stylé, me dit : « Chien d’étourdi, tu me brûles la gueule, ta bouillie est bien chaude. » Quoique je crus que c’était le pendu qui parlait, je n’en fus pas effrayé, j’avais vu le masque de mon grand-père, je répondis sur le même ton : « Coquin, tu n’as qu’à souffler. » Le domestique alors se découvrit, me complimenta sur ma fermeté. Je revins à la maison, mon grand-père m’embrassa, et me dit : « Cher Émile, tu réponds à mes vœux, tu n’auras pas peur des pendus et des araignées, tu seras un homme, et ton cousin Bernard un poltron. »

Devenu plus grand, mon précepteur m’apprit à peindre sans principes et sans maître ; nous peignions la nature telle qu’elle s’offrait à nos yeux. Ce que j’attrapais le mieux, c’est que quand je trempais mon pinceau dans l’eau claire, je peignais parfaitement de l’eau claire ; les oiseaux s’y trompaient, comme aux raisins de ce fameux peintre de l’antiquité.

À quinze ans, on m’endoctrina du métier de menuisier ; malgré mon application chez maître Jacques, je n’appris jamais qu’à faire des chevilles ; il m’a resté une si forte teinture de cet art, que j’en fourre dans la prose, dans la ponctuation, et surtout dans les vers.

À vingt-trois ans, il fut question de me trouver une femme. Mon grand-père voulait me donner Mlle Desmarets, née demoiselle, fille du bourreau d’Étampes, belle-sœur de messire Charles Samson, bourreau de Paris. La demoiselle était assez jolie. Le bonhomme, en faisant ce mariage, avait ses raisons ; il attendait des services de mon futur beau-père. Depuis soixante-dix ans que mon grand-père existait, il avait mérité mille fois d’être pendu, et cela parce qu’il jouissait tranquillement de cinquante mille livres de revenus ; il ne pouvait ignorer sa malheureuse destinée, il avait lu cent et cent fois sa sentence dans son philosophe. Pour empêcher mon précepteur de conclure un mariage si sortable, je me sauvai chez un oncle, qui avait aussi été élevé dans les principes de la philosophie des ours blancs.

En entrant, mon oncle se plaignit de son fils, qui était depuis deux ans à Paris. « Ce monstre, dit-il, dépense dix mille écus par an ; » c’était précisément à cause que mon cousin dépensait dix mille écus, qu’il était un monstre aux yeux de mon oncle, « Oui, disait le bonhomme, j’ai demeuré six ans à Paris, je ne coûtais que dix-huit cents livres à mon père. — Mon cher oncle, lui dis-je, comment étiez-vous habillé ? — Très bien ; c’était ta grand’mère qui se chargeait de ce soin. — Vous aviez sans doute un habit de drap uni, la veste et les culottes pareilles ? Voilà comme les pères et mères habillent ordinairement leurs enfants ; c’est le premier portemanteau qu’un provincial apporte à Paris. — Eh bien, que dira ce crâne, cela n’est-il pas solide ? — Assurément, cela est bon pour la durée ; mais ce n’est pas le ton : il faut des habits de goût, des modes, des… — Avec dix mille écus, dit le bonhomme en m’interrompant, on a bien des habits… Ton cousin a tort. — Pas du tout, c’est vous, mon cher oncle. — Comment ! j’ai tort ? comment un bec jaune comme toi voudra faire la barbe à un homme de mon âge ? Tu as beau plaider sa cause… les libertins s’entendent… Mon fils peut vivre à meilleur compte. — Certainement il peut vivre dans la rue de la Harpe, à l’auberge des Auteurs, occuper un appartement élevé comme ces messieurs, faire raccommoder vingt fois ses vieux bas, voir la bonne compagnie du port au bled, se façonner l’esprit avec Mamselle Nanette Dubuc et Jérôme de la Grenouillère… Ne voyez-vous pas que la dépense que fait mon cousin lui procure la connaissance du beau monde, où il prendra de bonnes et mauvaises impressions, fera quelques sottises sur le bon ton, sera perfide avec grâce, trompera toutes les femmes, se battra avec honneur, dissipera son argent, et quand il sera marié, il réfléchira sur les égarements de sa jeunesse, en plaisantera, et deviendra sage comme un Français. »

Le bonhomme n’entendait pas la marche de notre siècle. « Comment, dit-il, avec humeur, mon fils a des maîtresses ? — Tant mieux, il ne fera pas un sot mariage ; les filles entrent aujourd’hui dans l’éducation et dans la police ; il en faut nécessairement dans les grandes villes et aux jeunes gens pour les déniaiser plus tôt. — Je n’avais point de maîtresse, répondit froidement mon oncle ; c’est sans doute ce qui a été cause que j’ai épousé ma femme qui m’ennuye furieusement ; c’est un fardeau que j’enrage d’être contraint de traîner. — Ah, mon oncle, croyez-moi, laissez la liberté à mon cousin, ne suivez pas les principes de votre philosophe ; la nature est plus sage que lui, elle parle bien mieux au cœur des Hollandais.

« Cette nation sage, qui ne s’est pas encore avisée de faire des traités d’éducation, est si persuadée que la jeunesse a un temps à passer, qu’un Hollandais demande toujours avant de marier sa fille, si le garçon qu’on lui propose a fait des sottises, ou jeté ce qu’on appelle la gourme ; parce qu’ils savent qu’il y a un temps dans la jeunesse, où tous les hommes font des sottises. C’est la gourme de l’âme ; elle attaque le cœur et l’esprit des jeunes gens, comme la teigne et la petite vérole attaquent le corps. Quelques personnes en sont mêmes marquées toute la vie. Nos Français, par exemple, qui ont le secours des éducations les meilleures possibles, ne deviennent sages que vers quarante ans ; on serait honteux dans notre nation de l’être avant cet âge. Notre gourme française est plus douce, mais plus lente à pousser, c’est la petite vérole d’hiver ; votre philosophe n’en garantira point son Émile ; son livre est tout au plus le secret de l’inoculation. »

J’allai saluer ma tante, je trouvai ma cousine Sophie. Cette fille se faisait adorer de tous ceux qui la voyaient ; son père et sa mère la veillaient si attentivement, que personne n’avait encore osé lui déclarer les sentiments qu’elle inspirait ; et le cœur sensible de ma cousine n’avait fait que soupirer. J’étais le premier homme qui parlait librement à Sophie ; je lui dis des douceurs, et quoiqu’elle fût la nièce de mon père, je ne trouvai point d’obstacle à l’aimer.

Comme j’étais persuadé que ma cousine ne pouvait être sage qu’après avoir jeté sa gourme, je sentis du goût à hâter son avancement. Après quinze jours de soins, pour nous rapprocher encore plus près, nous sautâmes tous deux à pieds joints les degrés de la consanguinité : je couchai avec ma cousine. Une femme de chambre, qui n’avait pas encore atteint l’âge de l’instruction, mais qui savait se rendre utile comme les bonnes femmes de chambre, nous couvrit du voile de la discrétion : depuis trois semaines, je partageais la couche délicieuse de ma cousine.


Illustrations pour Imirce ou la Fille de la nature
Illustrations pour Imirce ou la Fille de la nature

Le diable, qui ne dort jamais, à ce que disent les Capucins, veillait pour notre malheur. Il s’avisa, le jour de la Pentecôte, d’inspirer à ma tante l’envie de faire ses dévotions. C’était un usage, que ma cousine devait faire son bon jour quand la mère avait envie de faire son bon jour. À quatre heures du matin, Madame entra chez sa fille, nous dormions profondément. La vedette, c’est-à-dire la femme de chambre, nous imitait. Ma tante fut vivement étonnée de me voir dans les bras de sa fille. La vieille sorcière ne fit point de bruit, elle descendit doucement, et fut conter cette aventure à mon oncle.

Le philosophe accourut en chemise dans l’appartement de sa fille ; à son aspect, ma cousine s’évanouit. Mon oncle, armé d’un bâton, me le fit tomber dix ou douze fois un peu lourdement sur les épaules. Je sautai sur mon épée ; je la tirai ; ce brave gentilhomme n’avait jamais vu briller que les lames de couteaux ; la longueur de l’instrument le fit trembler, il se crut mort, il cria au meurtre. Les domestiques accoururent au bruit. Ma tante, pour mieux se disposer à la sainteté du jour, vomissait mille horreurs ; dans ce moment, les préceptes de Jean-Jacques furent en confusion : l’humeur, la rage nageaient sur les leçons, les sentences. Les deux Émiles, mâle et femelle, étaient deux démons.

Mon oncle vint derechef pour frapper sa fille ; je parai le coup, je le menaçai, il recula ; il fit bien, je l’aurais enfilé, s’il eût touché ma maîtresse ; les beaux préceptes de mon éducation ne tenaient pas contre les dangers de Sophie. Hélas ! pourtant, quelle éducation, ou plutôt quels fruits ! j’avais déshonoré ma parente et j’allais plonger mon épée dans le sein de son père.

Mon oncle, avec les lumières de la nouvelle éducation, était un imprudent de rendre ses domestiques témoins de la honte de sa fille : mais, dira-t-on, il n’est point aisé de se posséder dans ces moments ? l’histoire de mon oncle, sa brutalité, arriveraient à tous les pères et mères : elles ne doivent pas arriver à Émile, c’est Jacques qui le dit.

Consterné du sort malheureux de Sophie, honteux d’avoir violé les droits de l’hospitalité et du sang, j’étais agité de mille pensées. J’avais fait le mal, je sentais que le bien lui était préférable : mais le premier était plus aisé, plus joli ; et toutes mes réflexions se terminaient à ces courtes paroles : pourquoi es-tu jeune ? pourquoi n’avais-tu pas jeté ta gourme ? et pourquoi ta cousine Sophie était-elle si aimable ?

Je sortis du château, car le bonhomme m’avait dit vingt fois de sortir de chez lui, avec cette fureur de répéter ces choses, que possèdent si parfaitement les vieilles gens. Je vins tristement à Paris. Je trouvai mon cousin, à qui je contai naturellement l’aventure. Ce jeune homme, qui vivait dans la bonne compagnie, voulut d’abord m’égorger ; nous mîmes l’épée à la main ; en ferraillant, la réflexion lui vint ; il blâma les vivacités, l’imprudence de son père, de sa mère, la sienne et la mienne : tu aimes ma sœur, me dit-il ; répare ta sottise, demande-la à mon père, il donne dans les proverbes ; il soutient toujours qu’un bon mariage raccommode tout. Pour dissiper le noir que cette rencontre avait mis dans notre esprit, nous allâmes voir Arlequin et Mademoiselle…

J’écrivis le lendemain à mon oncle, j’offris de réparer l’injure que j’avais faite à ma cousine, je n’eus point de réponse. Quinze jours après, j’allai chez mon grand-père le prier de s’intéresser à mon mariage. Il dînait en grande compagnie ; comme enfant de la maison, j’entrai sans me faire annoncer. Le bonhomme, en me voyant, se mit à crier : « Comment, malheureux, oses-tu paraître à mes yeux ? scélérat, la terre peut-elle te porter ! pourquoi la foudre laisse-t-elle respirer un monstre tel que toi ! » Cette réception rafraîchit un peu l’empressement que j’avais d’embrasser mon grand-père.

Un jeune homme de la compagnie, plus aimable et plus tendre que les vieilles gens qui étaient à table, car mon grand-père n’avait qu’une vieille cour, tâchait de calmer ses fureurs. « Comment, lui dit-il, qu’a donc fait Monsieur ? est-il si coupable ?… a-t-il assassiné ?… — Il aurait mieux fait de tuer trente vauriens comme lui : hélas, messieurs ! on l’a trouvé couché avec sa cousine Sophie, cette jeune personne, que vous avez vue ici l’été dernier : le monstre a voulu réparer sa sottise en la demandant en mariage ; mais son oncle a été plus sage. Pour les punir, tous deux, il a donné sa fille à un vieux seigneur qu’elle haïssait ; elle est mariée depuis huit jours. » Les vieilles gens dirent : « tant mieux ; voilà comme il faut punir les égarements de la jeunesse. »

La vieille et dure moitié de mon grand-père, plus animée et dix fois plus entêtée que son homme, pour raisonner avec plus d’éclat, faisait un carillon horrible : je l’écoutais avec la tranquillité d’un homme qui entend passer un carrosse. Telle est ma pratique quand j’entends crier ou déraisonner quelqu’un ; parce que je suis persuadé que nous sommes dans ce monde pour entendre le bruit des carrosses et les déraisonnements de notre prochain.

Chassé de chez mon précepteur, j’allai chez une tante, qui savait malheureusement notre histoire. Elle avait une fille laide et bête, deux qualités excellentes pour conserver les filles. En me voyant, elle crut que ma cousine était perdue. Vous ne coucherez pas ici, me dit-elle, je sais ce qui est arrivé chez mon frère. J’eus beau témoigner un repentir furieux de ma faute, le désespoir d’avoir perdu Sophie, et lui faire entrevoir le mérite de sa fille ; je ne pus la toucher.

Ma tante me croyant obstiné à rester, envoya chercher le curé et la justice de la paroisse. Je fus saisi tout à coup par quinze paysans, auxquels il ne me fut pas possible de résister. Le curé, qui était un dur et parfait janséniste, exhortait cette canaille, assurait ma tante qu’elle faisait les volontés du ciel en me maltraitant, qu’il fallait toujours éloigner de sa fille les occasions prochaines du péché.

Les paysans me conduisirent lié et garrotté comme un bandit qu’on chasse d’un territoire. À une lieue du village, ils me délièrent, et me rendirent mon cheval ; je sautai à l’instant dessus, je courus sur eux ; je cassai le visage à deux ou trois de ces rustres, les autres se sauvèrent. Ma tante, avec sa belle éducation, m’exposait à tuer quelques paysans ou à me faire tuer ; et cela à cause qu’un philosophe avait voyagé dans l’île des ours blancs, rêvé dans l’île de Robinson, que ma cousine Sophie était jolie et que je n’avais pas encore jeté ma gourme.

À mon retour à Paris, je trouvai une lettre fulminante de mon père. J’employai toute mon éducation pour l’engager à me pardonner un instant de faiblesse ; il ne me répondit point, je hasardai d’aller le trouver. En entrant, il prit un bâton, m’en donna rudement, à cause que ma cousine Sophie était jolie ; il croyait peut-être que son bâton réparait la sottise que j’avais faite.

Chassé de la maison paternelle, je n’avais d’autre asile que chez une jeune demoiselle, dont j’avais le cœur. Je fus bien reçu, la mère consentit à nous rendre heureux ; mais, au moment qu’elle écrivait à son père, elle reçut une lettre de mon grand-père, qui lui mandait l’aventure de ma cousine Sophie. Le mariage fut rompu ; j’eus beau lui dire que ma faiblesse était une faute digne de mon âge, elle répondit qu’il ne fallait pas faire de faute, que les hommes n’étaient pas nés pour en faire. La fille se jeta à ses genoux, j’en fis autant. La mère fut inexorable.

Anéanti de ces aventures, je maudissais le philosophe et l’éducation des ours blancs. Hélas, disais-je, Jean-Jacques n’est point sorcier ; c’est un somnambule qui, en coptant une cloche, croit apprendre les mathématiques aux enfants. Les hommes ont travaillé à l’éducation de leurs semblables, les dieux ont descendu sur la terre pour les rendre meilleurs ; les sages et les dieux ont-ils réussi ? les enfants d’aujourd’hui valent mieux que leurs pères, la preuve est dans toutes les familles. Je remontai dans la mienne, je trouvai que mon père valait mieux que mon grand-père ; et, malgré l’histoire de ma cousine, je valais mieux qu’eux. Je vis qu’il serait plus utile de faire un traité d’éducation pour les pères et les mères que pour les enfants.

Nos pères et nos mères, qui n’ont écouté que leur incontinence pour nous donner l’être, se citent toujours pour exemple. À les croire, ils ont été sages comme Solon, prudents comme Pythagore. Dans leur jeunesse, ils étaient les types de la chasteté, les modèles de l’obéissance et les miroirs sans tache de la vertu. Leurs amis, leurs enfants, leurs domestiques ne croient point à ces oraisons funèbres.

Ne sachant que devenir, j’allai m’offrir à un capitaine. C’était un homme de trente-cinq ans ; je lui dis que j’avais eu le malheur de coucher avec ma cousine. « Était-elle jolie, me dit-il ? — Oui, monsieur. — Voilà un bon malheur ; vous êtes heureux dans vos accidents ; je voudrais avoir souvent de pareilles infortunes. — Ce malheur, monsieur, ne m’empêchera-t-il point d’entrer au service ? — Oh ! pour cela non, nous coucherions avec toutes les filles d’une garnison, que cela ne ferait pas le moindre malheur. Le Roi raisonne mieux que les pères et mères ; pourvu que vous ayiez l’attention de tourner à droite et à gauche quand je vous le dirai, vous tenir quelques heures sur un rempart sans vous écarter de votre poste, faire la cuisine de la chambrée à votre tour ; car ici, aussitôt qu’on est soldat, on est cuisinier ; en reconnaissance de vos soins, le Roi, qui a des sentiments, vous fera présent d’un habit, d’une paire de guêtres, d’un chapeau, de deux sols et demi chaque jour, du pain et de l’eau à discrétion. »

J’ai vécu sept ans dans les troupes. Ces sept années me firent plus de bien que l’éducation que j’avais reçue. Le dernier de mes camarades valait mieux que tous les pères et mères. Je n’entendais jamais dire : le fermier n’a pas payé, cette vendange m’a bien coûté, les braconniers chassent sur nos terres ; nous avions des cousines, et les pères et les mères ne s’avisaient point de nous donner des coups de bâton.

Je conclus que le système de l’éducation d’Émile ne pouvait tout au plus faire d’un homme qu’une pendule à deux pieds. Je n’admirai plus les préceptes de Jean-Jacques que comme les règles de l’horlogerie appliquées à la nature humaine, et le philosophe de l’île des ours blancs ne fut plus à mes yeux qu’un animal curieux comme le rhinocéros. Je compris que, pour donner une bonne éducation aux enfants, il fallait les mettre au service dès l’âge de dix ans jusqu’à vingt. L’État, par ce système, aurait autant de soldats que d’hommes, et la société autant d’Émiles.

Il n’y a point d’endroit où la religion s’oublie plus aisément que dans les casernes et dans les cloîtres. Les soldats ne pensent que légèrement à Dieu. La plupart des moines, accoutumés aux rubriques de leurs heures, croient avoir tout fait pour le ciel, lorsqu’ils ont braillé dans un chœur, et fait le même bruit que les orgues de leur église.

La vérité et la religion n’étaient plus dans mon esprit, leurs flammes brûlaient encore dans mon cœur ; à la sortie des troupes, je fis de sérieuses réflexions sur les principes de la religion naturelle de Jean-Jacques : tout ce que son prêtre savoyard nous prêche, disais-je en moi-même, a été dit par Bayle et répété par les Anglais ; rien de nouveau ni de surprenant dans cette philosophie pour les gens qui lisent ; et si le sauvage de l’île des ours blancs a paru divin dans ce morceau, il doit son apothéose à l’ignorance et aux gens qui n’ont pas le sens commun.

Sans l’appareil des mandements, qui ne font qu’irriter les auteurs, je crois que le désordre des réflexions d’un soldat suffira pour persuader au dur père d’Émile que son système ne peut porter dans l’âme cette sécurité que doit chercher l’homme raisonnable. J’entre en matière.

La recherche de la vérité est le grand objet de l’homme ; notre intelligence cherche son bonheur dans la contemplation de cette vérité ; plus l’homme raisonnable la cherche, plus il approche de la félicité.

Le Créateur, qui a plus d’amour pour ses créatures à proportion de ce qu’il les a créées plus parfaites, donne l’existence et l’action aux intelligences, les béatifie plus ou moins, à proportion qu’il leur a donné plus ou moins d’existence ou d’activité.

L’homme est composé d’un corps matériel et d’une intelligence qui paraissent l’inspirer tour à tour. L’un est le plaisir des sens, l’autre est la vérité : quand l’homme donne l’essor à ses facultés, son âme alors prend le dessus, et son corps semble anéanti, sans existence et sans fonctions ; mais quand l’homme, matérialisé par les sensations, oublie la recherche de la vérité, c’est son âme alors qui semble anéantie et sans activité. La raison rend ces deux états sensibles dans l’homme ; il n’est personne, un peu attentif sur soi-même, qui n’ait éprouvé cette supériorité en suivant son intelligence, et cette infériorité en n’écoutant que ses sensations.

Dieu, qui de toute éternité comprend les idées de tous les êtres possibles, a donné librement, dans le temps établi par l’ordre, sa sagesse, l’existence à quelques êtres ; il leur a donné autant de perfections que leur nature bornée pouvait en recevoir ; il a pu donner à quelques créatures l’intelligence et la liberté de faire volontairement quelque bien, et il a fait à toutes ses créatures un don infini en leur donnant l’existence, quoi qu’en les laissant dans une distance infinie de lui-même.

L’idée que j’ai de la toute-puissance et des perfections de Dieu m’oblige à croire qu’il a donné à toutes ses créatures toutes les perfections dont leur nature est susceptible ; il n’a pu les créer infiniment parfaites, leur nature étant d’être bornées et accidentelles ; il n’a pu les créer aussi libres que lui, il aurait fait des dieux semblables à lui : il les a créées parfaites dans leur genre, il leur a donné tous les genres de perfections dont elles étaient capables ; il n’a donc pas créé l’homme tel qu’il est aujourd’hui, puisque nous avons l’idée d’une nature plus parfaite, qui nous est plus propre que celle où nous sommes aujourd’hui.

Il est évident qu’une intelligence qui a le pouvoir d’agir sur la matière et sur laquelle la matière a réciproquement le pouvoir d’agir, constitue notre nature ; il est conséquent que notre nature sera plus parfaite, si c’est l’intelligence qui domine et qui agit en supériorité, et si notre intelligence ne cède à la matière que lorsque l’organisation et l’économie de la machine l’exigent. Voilà l’accord parfait, et il faut conclure que c’est l’état naturel où Dieu créa l’homme. Car, n’est-il pas plus raisonnable de penser que Dieu a donné à l’homme l’intelligence pour réduire les sensations de son corps, que de penser qu’il ait donné le corps à l’homme pour affaiblir les fonctions de son intelligence.

L’homme est donc sorti des mains de son créateur dans l’état de perfection, dont la nature humaine est susceptible ; dire le contraire, c’est rejeter l’idée d’un Dieu infiniment bon et parfait.

Il est évident que l’intelligence du premier homme en sortant des mains du Créateur, fut occupée à la recherche et la contemplation de la vérité et dans la pratique actuelle du bien ; il est même assuré que cette intelligence n’ayant point été affaiblie par les sensations, a dû saisir des vérités ou des rayons de vérité en plus grand nombre et les voir plus clairement que ne peut faire une intelligence que les sensations ont occupée et affaiblie. Conséquemment, le premier homme, dès l’instant de sa création, fut dans l’état de la plus grande perfection et du plus grand bonheur, dont la nature de l’homme fut capable.

L’homme d’aujourd’hui n’est plus dans cet état primitif ; avide des plaisirs momentanés que procurent les sensations de son corps, on s’aperçoit que son intelligence est affaiblie, qu’il n’a plus cette pratique au bien. Son péché actuel décèle un péché d’origine, la maladie prouve la santé ; de plus, je vois des hommes défectueux, je remonte au premier, et la raison m’oblige de croire que ce premier homme a dû être parfait. L’homme est donc dégradé en sortant de ce premier état, et son intelligence cédant à la matière plus que l’organisation et l’économie du tout l’exigeaient, a perdu par là la supériorité qu’elle avait naturellement.

Notre être a donc besoin de réparation pour être remis dans l’état qui lui était naturel, ou bien il perdra de plus en plus de cet état de perfection, en s’en éloignant jusqu’à devenir aussi imparfait que son être peut le devenir ; c’est être assuré de perdre de plus en plus, que d’avoir déjà perdu l’habitude au bien et la domination sur ses sensations.

Si Dieu avait anéanti l’homme au moment qu’il donna à ses sensations la supériorité sur son intelligence, et que Dieu eût fait après un autre homme également parfait au premier, Dieu aurait fait un ouvrage inutile ; c’est un prédicateur qui compose un bon sermon, l’efface pour en faire encore un bon ; en répétant le miracle de la création, Adam ou Pierre Second n’aurait-il pas agi comme Adam ou Pierre Ier ?

Dieu, qui n’a jamais voulu faire rien d’inutile et qui a vu l’abus que l’homme ferait du miracle de sa création en devenant défectueux, quoique sorti parfait de ses mains, devait opérer pour remettre les choses sur le même pied, un miracle de réparation supérieur à celui de la création même, au moyen duquel l’homme qui en profitera, sera nécessairement élevé à un état de perfection, plus élevé encore que celui de sa primitive perfection, dont il ne décherra jamais ; l’homme, au contraire, qui abusera du miracle de la réparation, retombera dans un état d’imperfection plus bas que celui où il s’est trouvé dans son premier désordre, dont il ne se relèvera jamais.

La raison nous fait toucher du doigt le besoin du miracle de la réparation. L’homme sorti parfait des mains de Dieu, tombe, par son propre poids, de cet état de perfection. Qui pourra après sa chute le remettre dans ce premier état ? Fera-t-il de lui-même un miracle plus grand que celui de sa création ? Il est défectueux et dans l’impuissance d’être lui-même son réparateur. Sa nature, pour remonter à son état de perfection, a besoin d’un mérite infini ; il manque à l’homme.

C’était donc de l’auteur seul du miracle de la création, que l’homme devait attendre celui de la réparation ; il fallait opérer ce second miracle par une voie que la nature de la dégradation exigeait. L’homme ayant besoin d’un mérite infini, il fallait donc qu’un maître, supérieur à l’homme, s’unît, au plus parfait des hommes, et ne fît qu’un tout avec cet homme, et par la perfection de ce tout, donner à la nature humaine, à laquelle il était uni, un mérite infini dont elle avait naturellement besoin pour sa réparation.

Les seules lumières naturelles, font envisager ce miracle, non seulement comme possible, mais comme nécessaire. Le miracle de la réparation a-t-il été accompli ? Écoutons : un homme a paru sur la terre ; il fut le plus juste, le plus saint et le meilleur de tous les hommes ; lui seul a rempli l’être et l’état parfait de l’homme et toutes les vues que le Créateur avait eues dans le miracle de la création ; il a uni à toutes les perfections des vertus, la morale la plus sainte et l’unique propre à l’homme. C’est le seul de tous les hommes qui nous a fait sentir vivement l’état déchu de la nature, et la nécessité absolue d’une médiation. Son culte est l’unique digne de l’Être suprême ; il est fondé sur l’humilité, culte convenable à des hommes dégradés, à des créatures subordonnées à leur Créateur ; il a couronné la vérité de sa doctrine et de sa morale, en mourant pour la vérité, et si Caton assure que c’est la plus grande de toutes les perfections que de mourir pour la vérité, quelle grandeur ne doit-on pas concevoir du législateur des chrétiens ?

Comment l’homme a-t-il manqué ? Pourquoi l’homme a-t-il manqué ? Ces deux questions sont clairement expliquées dans mon système. Je ne le donne pas au public, dans la crainte d’ôter un canonicat de Notre-Dame à M. l’abbé Yvon ; il ne faut point enlever le pain de ses camarades. L’Église a de riches bénéficiers, qu’elle paye grassement pour défendre ses intérêts ; il faut leur laisser ce soin. Si l’Église ne donnait un peu de son bien, je travaillerais pour elle, mais le faire pour rien, je ne dois point être plus généreux que le curé de ma paroisse.

En entrant dans cet ouvrage, le lecteur sera obligé de passer sous un berceau un peu sombre ; le plan ou l’exposition du sujet n’a point permis à la gaieté de ma plume de l’orner de fleurs ; en lisant, on sentira la nécessité où j’ai été d’être un peu sérieux malgré moi. La matière s’égayera à mesure qu’on avancera vers le plus creux de la rivière. Je n’ai que faire d’avertir que cette production porte encore le sceau des imperfections de mes ouvrages. La faim m’oblige d’aller vite.


Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Vignette
Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Vignette

  1. Presqu’île au nord de l’Asie, entre le golfe du même nom et la mer du Japon, à l’extrémité orientale de l’empire russien et de notre continent.
  2. Ce conte est ici placé, pour faire honneur à l’érudition de mon grand-père.