Reflets d’antan/In Concordia Salus

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Reflets d’antanGrander Frères, Limitée (p. 187-193).


In Concordia Salus[1]


 
Hier, Québec priait.
                            Monte, prière sainte,
L’onde chante, le cor sonne, la cloche tinte,
Le rameau se balance ainsi qu’un encensoir.
Prière, monte encor comme un parfum du soir.
Fais descendre la paix sur la terre qui prie,
Et reviens en rosée à la terre flétrie.

Québec se souvenait.
                              « Apôtre sans rival,
Clamait-il, tout heureux, béni sois-tu, Laval !
Tu fus chrétien sans peur, ton œuvre est un prodige.
Au-dessus de nos murs ton nom sacré voltige,
Infatigable appel, signe de ralliement ;
Et la jeunesse accourt, ardente, librement,

Pour entendre ta voix aux heures inquiètes,
Car tes lèvres, Laval, ne sont jamais muettes,
S’il faut dire où passer lorsque viendra demain ;
Car ton doigt montre encor, Laval, le droit chemin. »

Québec chante aujourd’hui.
                                Les haines sont éteintes,
Et l’hymne du pardon succède aux longues plaintes.
Nos sillons blonds d’épis, et nos taillis épais,
Se bercent doucement au souffle de la paix.

L’étendard d’Albion flotte sur notre ville...
Qui peut nous accuser d’être un peuple servile ?
Pour notre liberté, pour le drapeau français,
Bien des nôtres sont morts. Peuple, veille. Tu sais
Que de tes droits sacrés on t’a donné la garde...

Du haut de son rocher Champlain, ému, regarde
Comment s’est accompli son rêve audacieux.
En son bronze superbe il s’étonne. Les cieux
Qu’il invoquait jadis, sur le cap solitaire,
Lui révèlent pourquoi Dieu souvent doit se taire,
Pourquoi souvent aussi, sans rien nous signaler,
Malgré nous Il nous mène où nous devons aller.


La foule est remuée, ainsi qu’au vent d’automne
La vague, la moisson, les bois. Le canon tonne.
Écoutez retentir les appels du clocher...
Quels navires géants voyons-nous s’approcher !
Les gloires d’autrefois ne sont plus disparues.
Des chevaliers brillants chevauchent dans nos rues.
Et voici que s’avance un envoyé du roi !
Qu’il vienne confiant, qu’il vienne sans effroi ;
Ce n’est pas sur nos bords que l’âme se déguise,
Que la haine mûrit, que le poignard s’aiguise ;
Et Québec, il le sait, est un royal séjour.

Béni le souverain qui règne par l’amour.
La justice est sa loi ; sa force est la clémence.
La liberté qu’ailleurs on rêve dans les fers,
Sur son empire heureux étend ses rameaux verts.

Tout est éblouissant sous notre ciel austère.
Québec, nimbé de flamme, est un nouveau cratère ;
Le fleuve roule au loin des vagues d’or fondu ;
La nuit a des soleils ; et, le sang répandu
Sur le chauve sommet, et plus loin dans les plaines,
Aux jours des grands combats et des amères haines,
Semble avoir à jamais empourpré le gazon.


Réveillant tout à coup l’écho de l’horizon,
Des cuivres radiants monte la chanson fière.
Maint escadron surgit. C’est une armée entière.
Et, sous le rythme dur des sonores sabots,
Les guerriers endormis sentent frémir leurs os.

Dans la rade profonde, au pied de nos falaises,
Les navires nombreux, pareils à des fournaises,
Avec leurs tours de fer où grondent les canons,
Les navires puissants qui proclament les noms,
Les deux noms immortels d’Angleterre et de France,
Mêlent leurs grandes voix à cette exubérance
D’ivresse inattendue et de bruyants transports.
Le ciel à ces plaisirs semble s’unir alors.
Il allume dans l’air une clarté qui grise.
La matière s’éteint et tout s’idéalise.
Tout revêt, il nous semble, un éclat virginal.
La terre nous échappe, et, d’un vol triomphal
Vers des mondes nouveaux s’élance la pensée...
Cela pouvait-il être une ivresse insensée ?

Nous avons sans regret accordé le pardon.
Il nous faut oublier la haine et l’abandon :
L’abandon de la France et la haine saxonne,
Si l’heure de la paix est bien l’heure qui sonne.


Meurs, ferment de discorde. Espoir, reprends ton vol.
Peuple né de la France, aime et garde le sol
Qu’à tes aïeux vaillants, Champlain, nouveau Moïse,
Au temps jadis donna. C’est la terre promise.

Québec, sur ton rocher longtemps le voyageur
Viendra dresser sa tente. Il viendra tout songeur,
Pour entendre sonner le clairon des batailles ;
Pour saluer aussi les antiques murailles,
Les bronzes glorieux élevés, à la fois,
Aux héros de l’épée, aux héros de la croix !
Pour voir Montmorency, dont le torrent s’écroule
Avec des hurlements que l’éternité roule !
Et nos caps sourcilleux, fiers débris du chaos !
Et l’île de Bacchus qui sort ivre des flots !
Et pour voir s’entasser en de géantes rides,
Vagues de bleus saphirs, nos belles Laurentides !
Et pour voir la Saint-Charles à son tour accourir,
Et lasse, au pied du roc, soupirer et mourir !
Et le fleuve bercer, riant ou taciturne,
Dans l’ombre ou le soleil, les eaux de sa grande urne !
Et les champs dérouler leur merveilleux tapis
De pâturages verts et de jaunes épis !
Et devant ce décor que nul ne saurait peindre,
Dans un ravissement qu’aucun ne pourrait feindre,

Le voyageur louera l’Ouvrier souverain
Qui fit de notre terre un merveilleux écrin.
Et regardant germer sa semence immortelle,
Québec clamera haut :
                            « La France expire-t-elle ? »

Vous qui fûtes, un jour, des nôtres ici-bas,
Qui défendiez nos droits contre les attentats,
Et réchauffiez notre âme au feu de la parole ;
Vous dont les noms aimés portent une auréole ;
Vous dont l’âme loyale avait tant de grandeur,
Venez donc, vous aussi. Venez voir la splendeur
Dont rayonne le front de nos vieux murs paisibles !
Venez, vêtus de gloire, ou venez invisibles,
Vous mêler un instant aux citoyens joyeux,
Vous griser à leur coupe et chanter avec eux !

Quel silence soudain ! Comme le ciel flamboie !
Sur ces bords escarpés où la gloire festoie,
Où deux peuples rivaux se fondent en un seul,
Je vois se déchirer un immense linceul,
Et nos morts généreux, longue et blanche volée,
Sortent du roc tremblant, comme d’un mausolée :
Prêtres, marins, colons, politiques, soldats,
De jadis et d’hier, et de tous les combats !


Ils ne se comptent point ! Hôtes que l’on convie,
Ils viennent un instant contempler notre vie.
Vont-ils la trouver belle ? Et nos joyeux échos
Auront-ils eu raison de troubler leur repos ?
Qu’ils viennent voir quand même, élus de l’autre monde,
Si notre rêve est doux, si la paix est profonde,
Si la justice règne avec la liberté,
Et si le droit de tous est de tous respecté.

Et la plaine frissonne, ainsi que les avoines
Quand passe un souffle ardent. Et tel un chant de moines
Qui roulerait, pieux, sous les arceaux, la nuit,
Des entrailles du roc monte un étrange bruit.
Cela semble d’abord le réveil des nichées,
Le gai crépitement des nouvelles jonchées ;
Puis, on dirait un vent qui fouette des rameaux
Un orchestre divin, des cantates sans mots...
C’est Québec qui tressaille. Un hosanna sublime
Est venu secouer sa glorieuse cime.
Au souvenir touchant des trois siècles vécus.

Il n’est plus de vainqueurs, il n’est plus de vaincus.

  1. Composé à l’occasion du 250e anniversaire de l’arrivée de Mgr de Laval à Québec.