Initiation musicale (Widor)/ch15
CHAPITRE XV
ACCORDS DISSONANTS
SEPTIÈME DIMINUÉE. ║ L’ACCORD DE NEUVIÈME QUI LES COMPREND TOUS.
a dissonance méconnue autrefois. ↔ La dissonance avait-elle droit de cité au Moyen Âge ?
Non, à l’état d’intervalle isolé, classé, doué d’une personnalité civile.
Oui, comme produit d’une rencontre fortuite, d’un froissement, — tels deux individus se heurtant dans la rue.
Pour les théoriciens, c’était l’imprévu, le retard de quelques parties de l’ensemble ; ce n’est jamais ni intervalle ni accord.
La dissonance était préparée, elle n’était jamais spontanée.
Le Moyen Âge avait inauguré la polyphonie à deux voix ; puis s’affirmèrent les premiers principes du contrepoint et bientôt s’épanouit la riche floraison de cet art, gloire du XVIe siècle.
Quoiqu’on ne s’inquiétât guère alors de la série harmonique, sans doute avait-on quelque vague notion des ondes les plus voisines de la fondamentale. Ce n’est qu’après Palestrina qu’on osa, sans préparation, attaquer, a priori sol-si-ré-fa, sans se douter que cet accord était aussi nature] que celui qui allait le suivre.
Il a fallu quarante siècles pour que notre oreille s’affinât jusqu’à percevoir (ou plutôt deviner) les sons 7 et 9.
Historiquement, la septième dominante n’a droit de cité que depuis 1600 ; la septième de sensible, depuis 1800 : la neuvième qui les synthétise, il n’y a pas cent ans[1].
Qu’est-ce que la dissonance ? ↔ Une note qui se heurte à plus forte qu’elle.
Queues sont les notes les plus fortes ? — Les notes essentielles du ton, tonique, dominante, sous-dominante…
Combien avons-nous de dissonances ? — Trois, la seconde, la septième, la neuvième.
Sur quels degrés les placez-vous, et dans quel ordre ? — La seconde, d’abord, sur le quatrième degré fa-sol ; la première septième ensuite (renversement de la seconde) sur la dominante ; puis la deuxième septième, sur la note sensible ; enfin la neuvième.
En réalité, seconde, septième, neuvième ne forment qu’un seul et même accord, duquel notre instinct a commencé par extraire la septième dominante, puis la septième sensible.La septième 4-7 a pour basse la dominante, note solide qui fait reculer la dissonance.
Cette reculade s’appelle : résolution de l’intervalle ou de l’accord :
En majeur, la résolution s’opère sur le demi-ton inférieur, sur le ton, en mineur.
Dans l’accord de septième dominante, la note sensible, comme dans l’intervalle de quinte mineure, garde sa déclivité vers la tonique. Quant aux termes de l’accord parfait, ré-sol, le premier reste libre de toute obligation ; le second, quoique libre en principe, se trouve empêché dans certains mouvements, sur le troisième degré, par exemple :
On évite de résoudre les termes de la dissonance sur un même degré, car, ces termes se confondant, le sentiment de repos n’est pas satisfait.
Voici les trois principales résolutions de la septième dominante : cadences parfaite, suspendue, rompue :Le premier renversement de la septième dominante s’appelle quinte mineure et sixte :
La basse glisse sur la tonique ; la septième sur la tierce ; quant à la quinte, ré, elle est libre de monter sur mi ou de descendre sur ut. La dominante, sol, peut rester en place ou « voyager ».
Le second s’appelle : tierce quarte et sixte (ou accord de sixte sensible) :
Le troisième : accord de triton :
Second accord dissonant. ↔ Septième de sensible (groupe des harmoniques 5-9, dont pas une n’est indépendante) :
Contrairement aux trois degrés 5-7-9, qui obéissent à leurs attractions, le sixième devrait rester libre : il ne l’est plus ici, car il lui est interdit de descendre sur la tonique, vu le parallélisme des quintes avec la dissonance.
La septième de sensible a, comme la septième dominante, ses trois renversements :
mais elle en diffère par ce fait qu’il entre dans sa composition un degré variable suivant le mode, le sixième :
Alors, devenue accord mineur, son caractère, ses tendances se trouvent en complète opposition avec la franchise un peu fruste du majeur, et elle change de nom.
Lorsque, pour la première fois, Beethoven fit heurter les deux termes de la septième de sensible +, la-si, les théoriciens protestèrent.Ils n’admettaient pas la rencontre, « car, disaient-ils, une seule dissonance est permise, celle-ci au contact du quatrième et du cinquième degré, fa-sol ».
En dépit de son infirmité, Beethoven était doué d’une sensibilité supérieur à celle de ces messieurs ; poète, il devinait.
Accord de septième diminuée. ↔ C’est cette septième sensible en mineur.
Arrêtons-nous, et étudions curieusement l’assemblage de ces trois tierces mineures, dont les degrés se trouvent à égale distance les uns des autres, et dont chacun est doublé d’un synonyme.
Nous appelons enharmoniques les notes qui, orthographiées différemment, occupent la même place sur le clavier, telles ut ♯ et ré ♭, ré ♯ et mi ♭, la ♭ et sol ♯, si ♭ et la ♯, etc…
Or, examinons les effets de l’enharmonie sur la septième diminuée qui, suivant qu’on prend, tour à tour, chacun de ses degrés pour dissonance, d’accord fondamental devient premier, second, troisième renversement :
Les notes sont restées les mêmes, mais non leur signification. La dissonance est d’abord la septième si-la ♭ qui se résoud sur la tonique ; puis c’est la seconde augmentée (synonyme de la tierce mineure), fa-sol ♯, qui appartient au son de la ; puis la seconde ré-mi ♯ qui va sur fa ♯ ; puis le triton ut ♭-ré… nous sommes en mi ♭.
C’est l’accord plaque tournante, avec lequel il est si facile de moduler. Chacun de ces états correspond à quatre tons.
La loi qui oblige toute dissonance à se résoudre se trouve impuissante devant un la ♭ dissimulant sa personnalité sous un faux nez et se proclamant sol ♯.
Aussi gravirons-nous l’échelle chromatique sans aucun respect des attractions :
Or, tous les 3 degrés, les mêmes notes se reproduisent sur le clavier, une tierce mineure au-dessus.
Puisque, tous les 3 degrés, se reproduit le même accord, nous n’avons donc en réalité que trois septièmes diminuées : mais puisque chacun de ces accords nous « ouvre » quatre tons, nous voilà suffisamment armés pour harmoniser les douze demi-tons de la gamme chromatique.
Quant aux renversements normaux de la septième diminuée, on les assimile à ceux de la septième de sensible.
Accord de neuvième. ↔ Nous n’avons qu’à rappeler ici ce qui a été dit sur les groupes 4-7. 5-9, et sur la septième diminuée. La neuvième les comprend tous, car, ainsi que cette dernière, elle varie suivant le mode. Une remarque cependant : Hors de l’octave, il n’y a pas de renversement.
Dans ce premier exemple, le sol reste toujours la basse, par conséquent l’harmonie me change pas. Dans le second, le sens harmonique se trouverait annihilé, car les deux accords qui en résultent appartiendraient à deux tonalités différentes :
N’est-il donc pas possible de renverser la neuvième ? — Si, mais en maintenant à juste distance
la basse de la neuvième et en se contentant de trois renversements, car le quatrième aurait cette inrenversable neuvième pour basse :Les accords parfaits et celui de quinte mineure, les trois septièmes et la neuvième, voilà, en définitive, tout ce que donne la nature. N’est-ce pas merveille que si peu de matière ait pu suffire à tant de si grandes idées.
Dans les seuls moyens consonants, le Contrepoint a trouvé des ressources infinies ; de l’exemple des contrapontistes médiévaux l’art moderne s’est inspiré en échafaudant sur le fond naturel tout un système d’appogiatures, d’altérations et de retards.
L’appogiature est une note de passage immédiatement au-dessus ou au-dessous de la note vraie, sans aucun rapport avec la tonalité :
Toutes ces petites notes sont des appogiatures, ainsi que les si et les sol ♯ de l’avant-dernière mesure.
Appogiatures les ré ♯, si et ut ♯.
Les altérations représentent une espèce particulière, car, tout en restant consonances, elles exercent une attraction analogue à celle des dissonances (avec cette différence que cette attraction est tantôt ascendante, tantôt descendante).
Ascendante : (+)
Descendante : (+)
Ascendante ou descendante à la fois : (+)
Les retards sont, eux aussi, une source inépuisable de contacts imprévus, de dissonances pour ainsi dire « hors cadres ».
Telle, par le retard de la basse, cette cascade de secondes :
Telle, par le retard du soprano, cette succession de septièmes :
Le hasard des rencontres peut grouper deux ou trois dissonances sur le même point sans que l’oreille ait à en souffrir. Il suffit que chacune d’elles se résolve logiquement et qu’il nous soit permis de percevoir clairement ces résolutions. C’est alors la satisfaction du public, au théâtre, lorsque l’innocence enfin triomphe des embûches pendant quatre actes accumulés sous ses pas. Ou mieux, c’est la surprise, dans un carrefour, de quatre automobiles se trouvant nez à nez… Chacune de se glisser en frôlant sa voisine et, sans accroc, sans secousse, de poursuivre sa route.
Doubles, triples retards, retards ascendants ou descendants. la Polyphonie moderne en use de
plus en plus, car elle y trouve des moyens toujours nouveaux d’intensité expressive et de force.
C’est d’abord, nos 1 et 2, tantôt le soprano, tantôt le ténor retardé : no 3, soprano et alto, puis soprano, alto et ténor.
D’ailleurs, nous sortons ici du domaine de l’harmonie pour entrer dans celui du contrepoint.
- ↑ Les traités d’harmonie de la première moitié du siècle dernier n’admettent pas le son 9 comme naturel ; ils le prennent pour une note substituée au son 8, en façon d’appogiature.