Initiation musicale (Widor)/ch02

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Librairie Hachette (p. 10-18).


CHAPITRE II

LE SON

LES VIBRATIONS SONORES.
FONDAMENTALE ET HARMONIQUES.
LES PRINCIPES DE L’ACOUSTIQUE CONNUS
DE L’ANTIQUITÉ. ║ COMPOSITION D’UN SON :
LA MUSIQUE REPOSE SUR LES HARMONIQUES.



Les vibrations sonores. ↔ Vibration de l’air résultant du choc de deux corps, de la glotte, par exemple, sur les muscles du larynx, de l’archet sur la corde, du vent sur le biseau d’un tuyau, de la lèvre sur l’embouchure d’une flûte, d’un cor, d’une trompette, d’un trombone…

Une comparaison s’impose, celle de la chute d’un caillou dans un bassin : autour du point de chute, une irradiation d’ondes circulaires toujours plus rapprochées les unes des autres, tout en diminuant d’amplitude ; à l’ordre qui réglait leur mouvement succède une progressive confusion, un frémissement de la surface, comme sous l’action d’un léger souffle. Or la nature ne suspend pas ses lois : l’ordre qui préside au début du mouvement ne devient pas confusion. C’est notre vision seule qui est en faute, notre faculté d’observation qui ne dépasse pas certaines limites. La progression continue, régulière, mathématique, alors que, pour nous, tout s’emmêle, s’efface, se perd.

Le phénomène du caillou sur la plane surface liquide se reproduit identique pour l’oreille, dans le sphérique domaine de l’éther. Le point de chute, maintenant, c’est l’attaque de l’archet sur la corde, le choc de la glotte dans le larynx, de l’air dans le tuyau.

Fondamentale et harmoniques. ↔ Prenons ce point pour unité : la première onde résultant du choc donnera deux vibrations, la seconde trois et ainsi de suite, à l’infini. Le point d’attaque, nous l’appellerons désormais la fondamentale, et les ondes provoquées, les harmoniques.

Tout degré de l’échelle musicale se compose donc d’une fondamentale et de ses harmoniques.

Quant à la loi qui détermine l’ordre de ces harmoniques, c’est, comme sur la surface du bassin, la progression mathématique.

Soufflez dans un tube rectiligne ou recourbé, la trompette, le clairon, le cor de chasse, vous n’obtiendrez que les résultantes de cette progression mathématique, c’est-à-dire les sons correspondant à l’ébranlement de la colonne d’air tout entière (son fondamental), ou de sa moitié (l’octave), de son tiers (la quinte), de son quart (la double octave), de son cinquième (la tierce majeure), de son sixième, septième, huitième, neuvième,… etc.

Ce sont les différentes pressions des lèvres qui font sortir tel ou tel des sons résultants. De même pour les instruments à cordes : le doigt du violoniste à moitié, c’est l’octave ; au tiers, la quinte supérieure ; au quart, la double octave, etc.

Les principes de l’acoustique connus de l’Antiquité. ↔ Nous croyons volontiers que la science est née d’hier et que les anciens ignoraient tout de l’acoustique : Pythagore amusait ses amis en tendant une corde sous laquelle il déplaçait un chevalet. Également divisée, chaque segment donnait l’octave de la corde entière ; par tiers, la quinte ; par quarts, la double octave… Et son contemporain Aristote ? Un cours de lui, en Sorbonne, attirerait la foule par la nouveauté des observations.

Pourquoi deux jattes égales, l’une vide, l’autre à moitié pleine, produisent-elles la consonance d’octave ?

Pourquoi l’accord d’octave paraît-il souvent un simple unisson ?

Pourquoi un chœur nombreux est-il plus d’ « ensemble » qu’un chœur restreint ? Ne serait-ce pas parce que, dans une nombreuse réunion d’exécutants, personne ne cherche à se signaler, à l’emporter sur la masse ? En petit nombre, les exécutants seront portés à rivaliser entre eux, plutôt qu’à se fondre dans l’ensemble.

Dans nos orchestres d’aujourd’hui, comme dans l’Orphéon antique, l’ensemble des « cordes » nous donne un pianissimo de mystère et de rêve incontestablement plus idéal que celui d’un quatuor (de quatre solistes).

Nous prenons plaisir en rythme par la régularité du nombre, par les mouvements ordonnés qu’il provoque en nous : nous prenons plaisir aux accords consonants parce que la consonance est une fusion d’éléments en rapport, et que ce rapport, c’est l’ordre.

Et parmi quantité de non moins judicieuses remarques, celle-ci d’un intérêt documentaire sans égal :

Pourquoi, supérieure à tous les instruments à cordes et à vent, la voix leur devient-elle inférieure si elle n’a pas le secours de la parole ?

Aristote témoigne ainsi de l’inaptitude de ses compatriotes à vocaliser ; d’où nous pouvons conclure que, dans ce qui nous reste de l’art vocal antique, rien de ce qui n’est pas syllabique ne peut provenir de Grèce. Grecques d’origine et de tradition, par conséquent, ces hymnes syllabiques de notre Plain-chant : Te Deum et Lauda Sion ; d’Asie-Mineure, par contre, les vocalises des Graduel, des Alleluia, des Répons. Nous le savions d’autre part, mais quelle lueur dans le passé projette cette constatation du vieux philosophe ! Aussi bien que Pythagore et Aristote, Platon, Plutarque, Aristoxène avaient constaté et formulé que l’octave est la différence entre un et deux, la distance entre la fondamentale et son premier harmonique.

Dans la série des ondes qui se perpétuent à l’infini, les octaves se chiffreront donc ainsi : 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc…

Composition d’un son. ↔ Le tableau suivant nous donne la composition d’un son quelconque. (Pour plus de facilité d’écriture, je prends comme type l’ut grave du violoncelle) :


\language "italiano"
\relative do, {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  do1^\(^1 do'\)^2 \bar "|" do\(-2 sol'-3 do\)-4 \bar "|" \clef treble do\(^4 mi^5 sol^6 sib^7 do\)^8 \bar "|" do\(^3 re^9 mi^10 \parenthesize fa^11 sol^12 la^13 sib^14 si^15 do\)^16
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}
    \layout {
          #(layout-set-staff-size 12)
    \context {
      \Score
      \override SpacingSpanner.base-shortest-duration = #(ly:make-moment 1/2)
     }
    }


Impossible de noter la cinquième octave où nous aurions à enregistrer, des seizièmes de ton ; à plus forte raison, la sixième qui donnerait des trente-deuxièmes, puis les autres…, nos claviers ne se prêtant qu’à des douzièmes.

Mieux que toute description, ce tableau nous montre, avec le progressif rapprochement des harmoniques à mesure qu’ils s’éloignent de la fondamentale, les lacunes d’un tube sonore dépourvu des moyens artificiels, clefs ou pistons. Dans la première octave, l’instrumentiste ne disposera que des deux ut ; dans la seconde, il trouvera ut2, sol, ut4 ; dans la troisième : ut4, mi, sol, si, ut8 ; dans la quatrième : ut8 et presque intégralement la gamme majeure jusqu’à ut16. Aussi, sur le cor de chasse, les clairons, les trompettes, n’use-t-on guère que des harmoniques de cette quatrième octave :


\language "italiano"
\relative do' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble 
  sol1_3 do_4 mi_5 sol_6 sib_7 do_8 re_9 mi_10 \parenthesize fa_11^+ sol_12 \bar "|"
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

Remarque. — Le son onze + ne coïncide pas exactement avec le son correspondant de notre gamme (que nous avons « tempérée ») ; il est plus haut ; au concert, à l’orchestre, le talent de l’instrumentiste le rectifie, et d’ailleurs trompettes et cors à pistons ont aujourd’hui une échelle aussi juste que complète. Nous sommes toujours joyeusement impressionnés par l’accent si particulier, si pittoresque, si « plein air » de ce son onze du cor de chasse :


\language "italiano"
\relative do'' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble 
  sol8_6 \bar "|" do4._8 re8[_9 mi_10 fad]_11_+ \bar "|" sol4._12 fad!8[_11_+ mi_10 re]_9 \bar "|" do4_8
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
}

Le cor de chasse ayant pour fondamentale, nous l’entendons ainsi :


\language "italiano"
\relative do' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef treble 
  la8 \bar "|" re4. mi8[ fad sold]_+ \bar "|" la4. sold8[ fad mi] \bar "|" re4
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
}

Quant à la trompette de cavalerie et au clairon, comme le cor de chasse dépourvus de pistons, leurs sonneries n’emploient que les harmoniques de 4 à 12, laissant d’ailleurs de côté le son 7, dont ils ne savent que faire. Trompette (en mi) :


\language "italiano"
\relative do'' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \time 2/4
  \clef treble 
  \override Stem.direction = #DOWN
  do8 do16 do do8 do16 do | do8 mi16 mi mi8 do16 do | do8[ do do do] | do8. sol16 do4 | \break
  do8 do16 do do8 do16 do | do8. sol16 do sol do mi | sol8. mi16 sol mi sol mi | do8. do16 do4 |
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  % indent = 0
  line-width = #120
}
\layout {
  \context {
    \Score
    \omit BarNumber
    % or:
    %\remove "Bar_number_engraver"
  }
}

Clairon (en si) :


\language "italiano"
\relative do'' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \time 2/4
  \clef treble 
  \override Stem.direction = #down
  do8 mi16. do32 sol8 do | mi4 do8 sol16 do | mi8 sol,16 do mi8 sol,16 do | \break
  mi16 mi32 mi mi16 mi do8 mi16. do32 | sol16. do32 mi16. do32 \override Stem.direction = #up sol8 sol16. sol32 | \override Stem.direction = #down do8 mi16. mi32 do4 |
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  % indent = 0
  line-width = #120
}
\layout {
  \context {
    \Score
    \omit BarNumber
    % or:
    %\remove "Bar_number_engraver"
  }
}

La musique repose sur les harmoniques. ↔ Les harmoniques sont notre « matière » musicale ; telle la terre dont use le sculpteur pour modeler sa statue. Rien de solide sans eux. Pas un beau thème, pas un de ces accents inoubliables une fois entendus, pas un de ces hymnes antiques, de ces chants populaires, de nos chants nationaux, qui ne repose sur les sons 2, 3, 4, 5, sur les intervalles immuables de la quinte et de l’octave. En résumé, chaque son est une fondamentale de laquelle se dégagent les mêmes résonances secondaires, toujours ; dans le même ordre et toujours s’en allant à l’infini.

Comme il y a douze demi-tons dans l’octave, il y a douze transpositions de la série harmonique suivant les douze déplacements de la fondamentale. Le trombone nous le démontre par sa technique : son tube, grâce à la coulisse, pouvant s’allonger de sept demi-tons, chaque demi-ton lui donne une nouvelle fondamentale. Il obtient ainsi l’échelle complète des degrés diatoniques et chromatiques.


\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  sib,1_1 sib'_2 fa'_3 sib_4 \clef tenor re_5  fa_6 lab_7 sib_8 do_9 re_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  la,1_1 la'_2 mi'_3 la_4 \clef tenor dod_5  mi_6 sol!_7 la_8 si_9 dod_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  \parenthesize lab,1_1 lab'_2 mib'_3 lab_4 \clef tenor do_5  mib_6 solb_7 lab_8 sib_9 do_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  \parenthesize sol,1_1 sol'_2 re'_3 sol_4 \clef tenor si_5  re_6 fa!_7 sol_8 la_9 si_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  \parenthesize solb,1_1 solb'_2 reb'_3 solb_4 \clef tenor sib_5  reb_6 fab_7 solb_8 lab_9 sib_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  \parenthesize fa,,1_1 fa'_2 do'_3 fa_4 \clef tenor la_5  do_6 mib_7 fa_8 sol_9 la_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
  \parenthesize mi,,1_1 mi'_2 si'_3 mi_4 \clef tenor sold_5  si_6 re!_7 mi_8 fad_9 sold_10
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

Or voici comment il lui est loisible de chromatiser ; comment, à partir du registre moyen, il peut disposer de plusieurs « positions » pour certains degrés :


\language "italiano"
\relative do {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef bass 
   mi,1^\markup{\teeny VII} fa^\markup{\teeny VI} fad^\markup{\teeny V} sol^\markup{\teeny IV} sold^\markup{\teeny III} la^\markup{\teeny II} sib^\markup{\teeny I} si^\markup{\teeny VII} do^\markup{\teeny VI} dod^\markup{\teeny V} re^\markup{\teeny IV} mib^\markup{\teeny III} mi^\markup{\teeny II}^\markup{\teeny VII} fa^\markup{\teeny I}^\markup{\teeny VI} fad^\markup{\raise #1.6 \teeny V} sol^\markup{\raise #1.6 \teeny IV} sold^\markup{\raise #1.6 \teeny III}^\markup{\raise #1.6 \teeny VII} la^\markup{\raise #1.6 \teeny II}^\markup{\teeny VI}
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

\language "italiano"
\relative do' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \cadenzaOn
  \clef tenor 
   sib1^\markup{\teeny I}^\markup{\teeny V} si^\markup{\raise #1.6 \teeny IV}^\markup{\teeny VII} do^\markup{\raise #1.6 \teeny III}^\markup{\raise #1.6 \teeny VI} dod^\markup{\raise #1.6 \teeny II}^\markup{\raise #1.6 \teeny V} re^\markup{\raise #1.6 \teeny I}^\markup{\raise #1.6 \teeny IV}^\markup{\raise #1.6 \teeny VII} mib^\markup{\raise #3.2 \teeny III}^\markup{\raise #3.2 \teeny VI} mi^\markup{\raise #3.2 \teeny II}^\markup{\raise #3.2 \teeny V}^\markup{\raise #3.2 \teeny VII} fa^\markup{\raise #3.2 \teeny I}^\markup{\raise #3.2 \teeny IV}^\markup{\raise #3.2 \teeny VI} fad^\markup{\raise #4.8 \teeny III}^\markup{\raise #4.8 \teeny V} sol^\markup{\raise #4.8 \teeny II}^\markup{\raise #4.8 \teeny IV} lab^\markup{\raise #4.8 \teeny I}^\markup{\raise #4.8 \teeny III} la^\markup{\raise #6.4 \teeny II} sib^\markup{\raise #6.4 \teeny I} 
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

Remarque : Afin d’obvier aux défaillances et combler les lacunes des instruments de cuivre depourvus de coulisses (trompettes et cors), on a d’abord use d’un système de clefs inspiré de celui des instruments à vent en bois, système médiocre que fit bientôt abandonner l’invention du PISTON, lequel abaisse l’étendue de l’instrument en augmentant sa longueur : 1er  piston : toute la série harmonique abaissée d’un demi-ton ;

2e piston : toute la série abaissée d’un ton ;

3e piston : toute la série abaissée d’un ton et demi ;

4e piston : toute la série abaissée de deux tons[1].

Nous disons toute la série : c’est vrai théoriquement ; mais, dans la pratique, nos lèvres n’arrivent à faire sortir d’un tube ni le grave ni l’aigu. Ainsi, dans la gamme chromatique du trombone (ci-dessus), le mi grave n’est pas la fondamentale, mais seulement son premier harmonique. Quant à l’aigu, je le répète, dépasser le son 10 est dangereux ou impossible.

  1. Ce 4e piston n’est pratiqué que sur les Saxhorns-Basses ou Tubas.