Insania (recueil)/À Hermine

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InsaniaAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 46-48).


XX

À HERMINE


 
Si quelque jour ce livre, où ma pauvre âme en pleurs
A la Muse a conté ses plus chères douleurs,
Se trouvait sous vos mains, ouvrez-le : sous le voile
Du symbole, à vos yeux se lèvera l’Étoile
Dont le culte en mon cœur, culte unique et sacré,
A grandi par l’épreuve et par l’âge épuré.
Bien des jours ont passé depuis l’heure fatale
Et bénie où mon rêve en sa grâce idéale
Sous vos traits m’apparut ; où, troublé désormais,
J’ai senti que mon cœur se donnait à jamais !
Depuis, j’ai vainement lutté pour le reprendre :
L’inaltérable feu couve encor sous la cendre
De mes espoirs éteints et des jours révolus…
De ces jours d’autrefois ne vous souvient-il plus ?
Remontez-y sans crainte, et, comme un lac dont l’onde
Réfléchit d’un ciel pur la pureté profonde,
D’un passé sans remords que j’appris à bénir

Laissez flotter en vous le chaste souvenir.
Il ne vous dira rien, rien que ne doive entendre
Une âme au seul devoir s’immolant fière et tendre,
Qui, sous la main du sort se taisant pour souffrir,
De sa douleur du moins n’eut jamais à rougir ;
Et qui pour soi gardant sa peine et son mystère,
Dans ses blancheurs de cygne a traversé la terre.

Aujourd’hui que l’automne aux pensives tiédeurs
A de l’âge en ma veine assoupi les ardeurs,
Que les rêves fiévreux où la raison s’oublie
Ont fait place en mon âme à la mélancolie
Des soleils déclinants, des espoirs envolés ;
Comme un long crépuscule au front des bois voilés,
Le souvenir lointain de ma saison torride
Verse un jour pâle et doux sur mon présent aride ;
Et d’un regard plus calme embrassant le passé,
Je pèse en mon esprit, de tant d’efforts lassé,
Ce monde où j’ai connu moins de fleurs que d’épines.
Une voix, cependant, du sein de mes ruines
Me dit : « Console-toi ; du moins ton rêve pur
Ne t’aura pas trompé ; si ton ciel est obscur,
Porte plus haut les yeux ; l’Étoile inaccessible,
Emblème immaculé d’un amour impossible,
Brille toujours et verse à ton front attristé
Les tranquilles splendeurs de sa sérénité.
Elle t’a tout donné, te donnant sa lumière.
D’une idéale ardeur l’étincelle première
Te vint dans son rayon sur ton front descendu.

A travers les erreurs où ton pied s’est perdu,
Elle a toujours, visible au delà des orages,
Vers le bien et le beau ramené tes hommages.
Symbole de l’amour, non de la volupté,
Son empire sur toi, c’était sa pureté.
Bénis donc l’être cher qui, de ton culte digne,
A traversé tes jours dans ses blancheurs de cygne. »