Inscription en langue sanskrite, gravée sur une pierre à Bouddha-Gaya
Au milieu d’une forêt sauvage et terrible, plantée d’arbres à fleurs odoriférantes, abondante en fruits et en racines, infestée de lions et de tigres, dépourvue de société humaine, et fréquentée par les Mounis, résidoit Boŭd-dhă, auteur de la félicité, et portion de Narayan. Ce dieu Hĕrĭ, qui est le seigneur Hĕrīsa, le possesseur de tout, parut dans cet océan d’êtres naturels à la fin du Devāpără, et au commencement du Kălĭ-youg[1]. Celui qui est présent par-tout, et qui doit être éternellement contemplé, l’Être suprême, l’Éternel, la Divinité digne d’être adorée par les hommes les plus dignes de louanges, apparut en ce lieu avec une portion de sa nature divine.
Un jour l’illustre Ămără, renommé parmi les hommes, étant venu ici, découvrit dans la grande forêt le séjour de l’Être suprême, Boŭd-dhă. Le sage Ămără s’efforça, par un culte éminent, de se rendre propice le dieu Boŭd-dhă ; il demeura dans la forêt l’espace de douze années, se nourrissant de racines et de fruits, et dormant sur la terre nue. Il accomplit le vœu d’un Mouni, et ne commit point de fautes. Il accomplit des actes de mortification rigoureux ; car c’étoit un homme d’une résolution infinie, avec un cœur compatissant. Une nuit, il eut une vision, et il entendit une voix qui disoit : « Nomme la faveur dont tu as besoin. » À ces mots, Ămără Dêvā fut frappé d’étonnement, et il répondit avec le respect convenable : « Apparois-moi d’abord, et ensuite accorde-moi telle faveur. » Il eut un autre songe pendant la nuit, et la voix dit : « Comment peut-il y avoir une apparition dans le Kălĭ-youg ? On peut obtenir de la vue d’une image, ou du culte d’une image, la même récompense que de l’apparition immédiate d’une divinité. » Ayant entendu ces paroles, il fit faire une image du suprême esprit Boŭd-dhă, et il lui rendit un culte, conformément à la loi, avec des parfums, de l’encens et autres choses semblables ; et il glorifia ainsi le nom de cet Être suprême, incarnation d’une portion de Vichnou. « Honneur à toi sous la forme de Boŭd-dhă ! Respect au seigneur de la terre ! respect à toi, incarnation de la Divinité et de l’Éternel ! respect à toi, ô Dieu, sous la forme du Dieu de miséricorde, toi qui chasses la douleur et le trouble, seigneur de toutes choses, Divinité qui triomphes des péchés du Kălĭ-youg, gardien de l’univers, emblème de miséricorde pour ceux qui te servent ! ōm[2] ! possesseur de toutes choses ayant forme d’existence ! Tu es Brăhmă, Vichnou et Măhésa ! Tu es seigneur de l’univers ! Tu es le possesseur de tout, sous la forme propre de toutes les choses mobiles et immobiles ! et c’est ainsi que je t’adore. Respect au dispensateur du salut, et, Réchikésă, au gouverneur des facultés ! Respect à toi (Késavă), destructeur du mauvais génie Kési ! Ô Dāmōrdără, sois-moi favorable ! Tu es celui qui repose sur la face de l’océan de lait, et qui est couché sur le serpent Sésă ! Tu es Trĭviĕkrămă [qui en trois pas fit le tour de la terre] ! Je t’adore, toi qui es célèbre sous mille noms et sous diverses formes, sous la forme de Boŭd-dhă, le Dieu de miséricorde ! Sois propice, ô Dieu très-haut ! »
Ayant ainsi honoré le gardien de l’espèce humaine, il devint comme un des justes. Plein de joie, il fit bâtir un saint temple, d’une construction merveilleuse ; il y plaça le pied divin de Vichnou, qui purifie à jamais les péchés du genre humain, les images des Pāndoŭs, et des descentes [incarnations] de Vichnou ; il y plaça de même celles de Brâhmâ et des autres divinités.
Ce lieu est renommé ; il est célèbre sous le nom de Boŭd-dhă Găyă. Les ancêtres de celui qui y accomplira la cérémonie du sradha[3], obtiendront le salut. La grande vertu du sradha accompli en ce lieu se trouve dans le livre intitulé Vāyoŭ-poŭrānă[4], dont j’ai gravé un abrégé sur la pierre.
Vĭkrămādĭtyă[5] fut certainement un roi renommé dans le monde. Aussi il y avoit à sa cour neuf savans personnages, célèbres sous le nom de Năvă-ratnānĭ, ou les neuf joyaux[6]. De ce nombre étoit Ămără Dêvā, qui fut le principal conseiller du roi, un homme de grand génie et de profond savoir, et le plus grand favori de son prince. C’est lui qui bâtit le saint temple qui détruit le péché, dans un lieu de Djamboudouyp[7], où l’esprit étant ferme, il obtient ce qu’il souhaite, et dans un lieu où il peut obtenir le salut, la réputation et le plaisir ; dans le pays de Bhārătă[8] et la province de Kīkătă, où l’on renomme le séjour de Boŭd-dhă, le purificateur des pécheurs. Un crime centuple sera incontestablement expié par son aspect, un crime dix fois plus grand le sera par son contact, et un crime cent mille fois plus grave le sera par son culte. Mais à quoi bon tant parler des vertus admirables de ce lieu ! Les armées du ciel même y payent jour et nuit un joyeux tribut d’hommages.
Pour que les savans connoissent qu’il a véritablement érigé la demeure de Boŭd-dhă, j’ai consigné sur une pierre l’autorité de ce lieu, comme un témoignage qui porte sa preuve avec lui, le vendredi quatrième jour de la nouvelle lune, dans le mois de madhou, lorsqu’elle étoit dans la septième maison de Gănisă, et l’an 1005 de l’ère de Vĭkrămādĭtyă[9].
- ↑ Le devâpara-youg est la troisième des quatre ères indiennes ; c’est l’ère d’airain, qui dura, selon eux, 864 000 ans. Le kaliyoug est la quatrième ère, qui dure encore, dont 4 000 ans sont déjà écoulés, et qui doit durer 432 000. Voyez Paolino da Santo-Bartolomeo, Viaggio alle Indie orientali, p. 225, et p. 350 de la traduction angloise, enrichie des notes de M. J. R. Forster, et sur-tout d’une table géographique. (L-s.)
- ↑ Ainsi soit-il ! Voyez, sur ce mot mystique, ma note 63, page 245. (L-s.)
- ↑ Sraddha, sacrifice que l’on fait aux Pitri dêva, c’est-à-dire, aux mânes des ancêtres. Voyez dans les Institutes de Menou, traduites par M. Jones, la description des cérémonies pratiquées à ces sacrifices. Il existe à la Bibliothèque nationale plusieurs ouvrages relatifs au sacrifice sraddha. (L-s.)
- ↑ Le Vayou-pourâna est attribué à Vayou, dieu du vent. Il contient, parmi une infinité de sujets intéressans, des détails très-circonstanciés sur la création de tous les êtres célestes et terrestres, avec la généalogie des premiers habitans ; une notice chronologique des grandes périodes nommées manouantara, calpa, &c. ; une description de la terre, divisée en douypa, varcha, &c., et sa dimension mesurée en yodjena ; celle de toutes les autres planètes et étoiles fixes, leurs distances relatives, leur circonférence et leurs orbites, &c. Voyez Catalogue of Sanskrit and other manuscripts presented to the royal Society by sir and lady Jones, tom. VI, pag. 440 et 447 des Works of sir W. Jones. (L-s.)
- ↑ Ce nom signifie fort comme le soleil ; de vikrama, force, victoire, et de aditya, soleil, en général, ou plutôt les soleils, qui sont au nombre de douze, et président chacun à un des mois de l’année. Ces noms sanskrits ont une signification. Le prince qui portoit celui-ci, florissoit dans le premier siècle avant l’ère vulgaire. Voyez de plus amples renseignemens dans ma note b, tome II, page 6. (L-s.)
- ↑
Le plus éclatant de ces diamans étoit Câlidâsa, l’auteur du drame de Sacontala, comme le prouve une épigramme moderne rapportée par M. Jones :
« La poésie fut l’aimable fille de Vâlmiki, ayant été formée par Vyâsa ; elle choisit Câlidâsa pour son époux à la manière de Viderbha : elle fut mère d’Amara, de Sondar, de Sank’ha et de Dhanic ; mais aujourd’hui, vieille et décrépite, elle a perdu sa beauté, et son pied sans ornement glisse lorsqu’elle marche dans les hameaux, où elle dédaigne de prendre un asile. « Voyez la préface de Sacontala, or the Fatal ring, an Indian drama by Câlidâsa, translated from the original sanskrit and pracrit, tom. VI, pag. 203 des Works of sir Will. Jones. (L-s.)
- ↑ Voyez, sur cette portion de la terre habitée suivant le système des Hindous, ma note ci-dessus, extraite de l’Ayïn Akbery, ايين اڪبري pag. 68-72. (L-s.)
- ↑ Ce mot dérive de Bhârata, nom d’un des plus anciens rois indiens ; et c’est le seul nom sous lequel les naturels eux-mêmes désignoient originairement la contrée nommée Inde par les Européens. Il y a lieu de croire que ce sont les Persans leurs voisins qui ont donné le nom d’Hindou هــــــندو aux habitans, et d’Hindoùstân هـــندوستان au pays, deux mots adoptés aujourd’hui par les naturels et par les étrangers, et qui paroissent dériver de Sindhoù, nom sanskrit du fleuve improprement nommé Sind صند par les Persans, et Indus par les Européens. M. Alex. Dow (dans sa dissertation placée à la tête de son History of Hindostan, p. 31, fig. 12) a eu tort d’assurer que « les Hindous tirent leur nom d’Indou ou Hindou, « mot sanskrit qui signifie la lune. » Il est vrai qu’Indou (et non Hindou) est un des noms de la lune ; il nous suffit d’observer que, dans cette langue, il n’existe aucun mot ressemblant à Hindoù ou Hindoùstân, deux mots inventés à coup sûr par les Persans. Voyez Wilkins’s Notes on the Heetopades of Veshnoo-Sarma, p. 332 et 333. (L-s.)
- ↑ Cette année répondoit à l’an 1061 de l’ère vulgaire. Il y a cinquante-six ans de différence entre ces deux ères, et non cinquante-sept, comme je l’ai dit d’après M. Anquetil dans ma note b, tome II, page 6. (L-s.)