Introduction à l’histoire générale des littératures orientales/Histoire générale des littératures orientales

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DISCOURS D’OUVERTURE[1].


Messieurs,

À la faveur du travail intellectuel qui a depuis un siècle prodigieusement agrandi le champ de toutes les sciences, les études historiques et les études littéraires, fortes désormais par leur alliance, ont réclamé à leur tour une juste part dans l’activité générale des esprits ; elles ont dû leur rapide accroissement à la découverte des faits nouveaux qui ont été soumis à l’examen des critiques avant d’être proposés au jugement des philosophes : aussi ont-elles déjà fourni beaucoup de résultats importans, destinés à éclaircir les origines et à caractériser dans leurs phases principales les révolutions du monde social et religieux.

Depuis l’époque de la renaissance des lettres jusques au milieu du XVIIIe siècle, non seulement la connaissance en quelque sorte exclusive de l’antiquité classique était restée la base de l’érudition ; mais encore elle apparaissait au plus grand nombre comme la condition d’une haute culture de l’intelligence. Il restait à la pensée Européenne un seul point de contact et pour ainsi parler une seule voie de communication avec le mystérieux Orient d’où lui était venue la lumière : c’était la Bible, dépôt des vérités et des promesses de la Révélation, c’était encore l’étude de l’hébreu et des langues de l’Asie Occidentale, étude progressive et féconde qui était appelée par la science chrétienne à rendre hommage à la véracité des Livres saints ainsi qu’à leur interprétation authentique et traditionnelle. Le voile qui dérobait encore la plus grande partie du continent Asiatique aux regards de l’Europe savante ne devait être levé qu’au moment où la lutte des dogmes religieux et des opinions philosophiques eut provoqué dans son sein un mouvement extraordinaire qui entraîna les penseurs dans des recherches plus étendues sur la vie des anciens peuples et sur l’histoire des pays les plus reculés.

Dans le but d’apprécier le degré de civilisation de tous les peuples anciens et modernes, on se mit à comparer non seulement leurs croyances, leurs lois, leurs usages, mais encore les formes littéraires dont ils avaient revêtu leur pensée ; c’est alors que leurs langues diverses furent successivement recueillies, bientôt livrées à une analyse, systématique et classées d’après les données générales de l’ethnographie : interrogées comme les plus sûrs témoins des relations primitives des peuples qui les parlaient, elles sont devenues les meilleurs interprètes de leur civilisation. L’étude du vieux monde Oriental, naguère dédaignée parce que son importance était en partie inconnue, devait occuper une des premières places dans le nouvel héritage que la science Européenne allait joindre à ses richesses et approprier à ses œuvres ; son histoire devait fournir l’introduction nécessaire à l’histoire universelle ; elle s’offrait comme la clef de tant d’énigmes qu’on n’avait pu résoudre jusqu’alors sur l’origine des races et des religions, sur l’invention des arts, sur le premier développement des sciences. C’est sous l’empire d’une telle pensée que de nombreux travaux étaient entrepris sur les monumens déjà connus des nations Asiatiques, et tandis que des voyageurs visitaient dans l’intérêt de la science des régions encore inexplorées, des savans essayaient de reconstruire d’après les sources authentiques les annales du continent qui vit naître le premier homme et qui fut peuplé par les premières familles humaines : la religion et la philosophie, la politique et la législation, les mœurs et les usages, les arts et la poésie, l’histoire et la géographie, tels furent les points principaux sur lesquels s’exerça tour à tour leur profonde sagacité, et que souvent ils s’efforcèrent d’embrasser à la fois dans leurs ardentes investigations. Citer le nom d’Anquetil Duperron[2], c’est rappeler à l’instant la plus haute puissance du dévouement et les plus heureux résultats de la persévérance du génie. Un monde nouveau était découvert : c’était l’Orient qui apparaissait enveloppé dans la majesté des siècles ! En même temps. Messieurs, l’étude, je dirai presque la science de l’Orient était née, comme pour venir en aide dans un moment marqué aux recherches incomplètes de l’histoire ou aux théories hasardées de quelques études spéculatives. C’est cette science dont la génération présente a recueilli les premiers fruits, dont elle travaille elle-même à reculer les limites, dont elle transmettra le vaste domaine à la génération suivante, sans qu’il soit épuisé par cet incessant labeur. La tâche est grande et difficile, puisque tant de fables nous cachent le berceau des premiers peuples, puisque tant d’empires ont disparu sans laisser de traces dans une suite interminable de révolutions, puisqu’il est sans doute des mystères à jamais impénétrables aux regards de l’homme dans les traditions confuses de l’antique Orient : mais d’autre part, ne sommes-nous point attirés vers la connaissance du passé par une merveilleuse clarté que, dans un sentiment mêlé de crainte et d’espérance, nous entrevoyons à travers les ténèbres des âges ? Ne savons-nous pas que sur cette terre qui a été le berceau de l’humanité nous allons retrouver partout les titres primitifs de son histoire, et que nulle part l’action divine n’a laissé plus de traces de sa présence ?

L’Orient a commencé le monde : mais lui-même, il ne fut pas condamné à une longue et douloureuse enfance ; il entendit retentir les premiers enseignemens que la Providence dispensait à l’homme dans ces âges reculés où l’intelligence créée à l’image divine était encore en possession de toute sa force et de toute sa spontanéité. Les traditions primitives y vécurent longtemps au sein des familles patriarcales d’où sortirent les cités, les nations, les empires, et l’on ne peut nier qu’une partie de cette énergie créatrice qui appartenait à l’esprit humain dans les anciens jours ne se soit encore manifestée à des époques plus rapprochées de nous dans les conceptions grandioses des philosophes et des poëtes. Ainsi, dès l’origine du monde, l’Orient avait en partage la sagesse d’un vieillard et, s’il est permis de chercher dans ses livres un symbole de cette maturité précoce de l’intelligence, ne semble-t-il pas personnifié dans Lao-Tseu, ce philosophe que les traditions Chinoises nous représentent né avec les cheveux blancs et dont le nom signifie vieillard-enfant[3] ?

Notre siècle, Messieurs, en se tournant vers l’Orient, n’aborde pas une terre perdue au milieu des océans, où, naguère rebelle aux efforts de l’homme, la nature est aujourd’hui muette, ou bien un sol, comme celui de l’Amérique, sur lequel on foule partout les ruines de civilisations nées tardivement et rapidement évanouies, où des débris de langues et de tribus laissent entrevoir l’existence éphémère de quelques peuples, dont l’origine commune remonte peut-être à des migrations Asiatiques. L’Orient n’est pas une terre où tout est nouveau : l’Orient ! c’est l’ancien monde, le sol primitif, la terre des prodiges, la patrie des miracles ; c’est le théâtre des grands faits historiques qui ont précédé la fondation des sociétés de l’Occident, et peut-être la sagesse providentielle qui l’a fait jadis le point de départ d’une régénération universelle veut-elle de nos jours l’arracher à un sommeil séculaire et l’appeler à remplir un nouveau rôle dans les destinées du monde. Mais que ce regard d’espérance vers l’avenir nous suffise ! Si le moment d’agir est venu pour les puissances Européennes, si des routes nouvelles favorisent les relations extérieures et l’échange des produits étrangers, si plusieurs contrées semblent préparées à l’action du prosélytisme Chrétien, il faut que la science de son côté prépare des voies plus larges encore à l’influence de la politique, de l’industrie et de la religion ; la part qui lui revient dans cette mission, c’est d’étudier l’Orient dans tous les âges de son histoire, de l’étudier dans ses traditions et ses souvenir, dans ses monumens religieux, dans sa poésie toujours pleine de jeunesse et de beauté. Cette étude ne peut d’ailleurs être stérile pour les nations qui l’entreprennent ; elle doit étendre le cercle des connaissances positives et contribuer ainsi aux progrès des sciences historiques et philosophiques.

L’Orient est un élément nécessaire dans l’histoire générale des sociétés ; il manquait aux anciens qui ne pouvaient bien comprendre les questions d’origine ; il a manqué aussi aux vues de Bossuet et à la synthèse de Vico ; il n’a pu être que deviné par le génie puissant de Leibnitz. Sans ce premier terme toutefois, la philosophie de l’histoire, prise dans son sens le plus étendu, resterait incomplète ; et c’est la gloire de Herder et de Frédéric Schlegel d’avoir tenté les premiers, bien qu’avec des vues différentes, la réhabilitation du monde Oriental dans le domaine du savoir historique. C’est en effet un grand spectacle que celui des civilisations diverses qui se sont succédé sur le sol de l’Asie, et qui ont laissé chacune son empreinte sur les monumens littéraires transmis jusqu’à nous ; leur caractère particulier s’y dessine nettement avec la différence des temps et des climats ; mais toutes ensemble sont liées l’une à l’autre par des traits non méconnaissables d’une affinité primordiale. Aussi l’étude philosophique de l’Orient ne peut être entreprise d’une manière plus large et plus féconde que par la connaissance approfondie des sources ; elle repose alors sur une intelligence plus vraie, plus intime de la pensée Orientale. Mais les difficultés des langues différentes, pour la plupart si riches et si compliquées, dans lesquelles les œuvres nationales de chaque peuple sont écrites, en ferment l’accès aux hommes qu’un esprit étendu et philosophique rendrait capables de les apprécier à leur juste valeur et d’en soumettre le contenu à une analyse sévère. Il est donc nécessaire qu’à côté de la science qui découvre et de la science qui déchiffre ou explique les textes, il existe une étude auxiliaire qui généralise les faits acquis et en répande la connaissance sous une forme plus simple et plus familière. C’est l’Histoire générale des Littératures Orientales qui doit servir ainsi d’intermédiaire entre le petit nombre des savans qui travaillent sur les sources encore inédites ou peu connues et les savans plus nombreux qui attendent avec impatience et s’empressent d’appliquer les résultats du labeur des premiers ; cette histoire aura pour but de classer, d’après leur âge et leur importance, toutes les productions dues aux peuples de l’Orient, et de fournir à tout homme lettré une connaissance générale des différentes branches de ce sujet et des travaux qu’elles exigent.

On demandera peut-être si le temps est venu de formuler aujourd’hui une histoire littéraire de l’Orient, avant que l’étude de toutes les langues ait été approfondie, avant que la plupart des textes importans aient été publiés et que les documens de même nature aient été comparés dans leur ensemble aussi bien qu’éclaircis dans leurs détails. Sans aucun doute, il est quelques littératures qui ne sont pas suffisamment connues dans leurs monumens principaux, dont les proportions immenses effrayent jusqu’ici la patience des érudits ou dépassent la munificence des gouvernemens ; il en est d’autres qui présentent encore bien des problèmes à résoudre sous le rapport de l’âge de leurs productions et non moins sous celui de l’interprétation des idées. Mais, si l’on est forcé de laisser plus d’une question sans réponse décisive, n’y a-t-il pas un intérêt de premier ordre à recueillir les données les plus sûres de la science et à grouper autour d’elles les hypothèses les mieux fondées en attendant leur confirmation légitime ? S’abstenir de ce premier travail, ne serait-ce point faire injustement un mystère de précieuses découvertes qui sembleraient devoir rester cachées à qui n’est point initié aux secrets de leur recherche ? Aussi, Messieurs, je crois accomplir une tâche utile en vous présentant, comme en une suite de tableaux qui retracent les scènes diverses d’une même histoire, les destinées si variées de la littérature chez les Orientaux ; je viens de vous avertir des difficultés inséparables d’une semblable étude qui consumera encore plus d’une vie d’homme ; je dois en outre vous rappeler qu’il n’existe point pour le présent d’ouvrage systématique qui embrasse les principales littératures de l’Asie et qu’on n’a fait qu’amasser des matériaux pour une telle entreprise. Ainsi vous ne serez pas surpris des lacunes que plusieurs de ces littératures nous offriront dans le rapprochement des faits et vous comprendrez aisément quelles sont les sources de plus d’un genre d’obscurités dans l’appréciation des choses elles-mêmes. Il m’importe maintenant de vous décrire plus particulièrement la nature du sol que nous avons à parcourir et à explorer : je recherche d’abord à quelle condition il nous sera donné de contempler distinctement toutes les parties du tableau si étendu qui va se dérouler devant nous ; je m’attache à déterminer quelle idée nous allons prendre pour fil conducteur dans un sujet aussi vaste que l’histoire générale des littératures de l’Orient.

Il serait difficile d’appliquer à une telle multitude de peuples et de civilisations une seule et unique mesure, au point de vue de la culture des lettres et des sciences, de les juger par exemple d’après le système politique qu’ils ont particulièrement représenté, et il en serait de même d’une idée littéraire, d’un principe d’esthétique, d’après lesquels on prononcerait sur le développement de l’intelligence et du goût chez un peuple ou dans un groupe de peuples. On voit tout d’abord la nécessité de trouver ici un principe de synthèse qui ramène la connaissance de littératures si diverses à quelques vues générales dans leur portée, faciles et uniformes dans leur application : ce principe, quand il s’agit de l’étude de l’Orient, découle naturellement de la foi religieuse des nations, qui a été la base de leur culture intellectuelle, la règle de leur vie politique. Ce sera donc l’histoire des religions, considérées dans leur formation et leur développement, qui offrira la division la plus naturelle et la plus vraie de toutes les productions du génie Oriental ; si le principe de vie de chaque littérature a été la religion du peuple qui lui a donné naissance, il est incontestable que les rapports de toutes les littératures ne peuvent être bien compris qu’à la condition de remonter au même principe ! « Dans ce qui concerne la haute antiquité et ces temps placés en quelque sorte sur les confins du monde primitif, a dit un philosophe[4], il faut principalement s’attacher à connaître l’esprit et la pensée de chaque peuple, c’est-à-dire, sa religion. » Si la connaissance des religions est indispensable dans l’étude des temps primitif, elle ne l’est pas moins dans l’histoire de tous les monumens de l’antiquité Orientale, puisque c’est le continent Asiatique qui a été dans le cours des siècles le berceau des grands systèmes religieux, et qui a été aussi le premier siège de la religion réparatrice, annoncée plus tard dans l’univers entier.

Comme c’est la première fois que l’on soumet à ce principe de synthèse l’étude historique des littératures Orientales, je crois nécessaire, Messieurs, de vous en exposer avec quelque détail l’usage et l’application ; ce sera en même temps vous communiquer le plan du cours qui, commencé dans le présent semestre, ne pourra en raison de l’abondance des matières être achevé dans l’espace d’une seule année. En prenant pour base le domaine ethnographique des religions, je partagerai toutes les littératures de l’Orient, anciennes ou modernes, en trois grandes classes, en trois groupes principaux : la première classe renfermera les littératures Chrétiennes de l’Asie Occidentale qui ont pour introduction naturelle l’histoire de la littérature Biblique, la seconde classe, les littératures Musulmanes qui ont fleuri au sein de races différentes depuis le VIIe siècle de notre ère ; la troisième classe enfin comprendra les littératures païennes qui se sont développées dans les vastes régions de l’Asie Occidentale sous l’influence d’un polythéisme idolâtrique ou d’un panthéisme idéaliste.

Cette division générale ainsi établie, il me reste à vous communiquer dans une esquisse rapidement tracée la classification des littératures qui trouveront place chacune dans l’un des trois groupes indiqués. La classification des langues est d’une autre nature, et elle sera l’objet d’un tableau particulier.

L’histoire de la littérature Biblique et des littératures Chrétiennes a droit d’être étudiée en premier lieu, puisque non seulement elles ont eu pour théâtre les contrées de l’Asie les plus rapprochées de notre continent, mais encore elles sont l’expression des vérités de notre foi et le témoignage de ses premières conquêtes : la Bible leur sert à toutes de préface, et les livres qui la composent peuvent revendiquer une priorité littéraire autant qu’une supériorité religieuse ; leur antiquité les rendrait les plus vénérables d’entre les livres sacrés des anciens peuples, quand leur caractère d’inspiration divine ne nous imposerait pas un saint respect pour leurs doctrines et n’agrandirait point notre admiration pour la simplicité, la hardiesse et la sublimité de leur style. C’est donc l’histoire de la langue et de la littérature Hébraïques, qui doit nous donner l’initiation à une étude intelligente du monde Oriental, où Terreur vient sans cesse se mêler à la lumière pure de la vérité : les livres de la Bible, portés aussi loin que la prédication de l’Évangile, ont transmis aux nations Chrétiennes de l’Europe et ensuite du Nouveau-Monde non-seulement l’explication, mais encore l’usage de la pensée et de l’expression Orientales ; ils ont rendu familier à l’esprit même du peuple ce qu’elles ont de mystérieux et de vraiment grand ; à cet autre point de vue, l’étude littéraire des Livres saints ne pourrait nous paraître indifférente et rester pour nous complètement étrangère[5]. Après avoir apprécié la valeur esthétique des monumens de l’ancienne Loi, qui contiennent les premières révélations de Dieu aux patriarches et aux prophètes hébreux, nous aurons à jeter un coup d’œil sur deux contrées voisines de la Judée, la Samarie, occupée par un peuple observateur de la loi de Moïse qu’il possédait dans un dialecte particulier, et la Phénicie où une nation de race Chananéenne, puissante par son commerce et ses colonies lointaines, mais enchaînée aux superstitions de l’idolâtrie, a vécu dans un perpétuel antagonisme avec les adorateurs du vrai Dieu ; puis, nous serons témoins, en descendant le cours des siècles, des destinées fatales de cette postérité du peuple élu, qui a conservé dans la Synagogue les traditions religieuses d’Israël, mais bientôt obscurcies et défigurées par les inventions subtiles de ses docteurs. Ce sera le lieu de présenter un tableau historique des grands ouvrages qui font jusqu’aujourd’hui autorité pour les Juifs dispersés dans le monde entier, les commentaires Chaldaïques de la Bible appelés Thargums et les livres principaux appartenant au corps immense du Thalmud ; dans l’étude des œuvres Rabbiniques il faudra aussi comprendre toutes les productions profanes des écoles juives du moyen âge et des temps modernes, la philosophie et ses commentaires, ainsi que les diverses branches des compositions poétiques. Cette excursion une fois faite dans le domaine d’une littérature qui est la négation du dogme Chrétien et comme un défi obstiné porté à la civilisation Chrétienne, nous reviendrons en Asie, autour du berceau du Christianisme, sous l’action duquel nous verrons plusieurs littératures se former successivement. La première qui s’offre à nos recherches, c’est la littérature Syrienne qui a eu pour organe le dialecte Araméen parlé dans la contrée du Liban et appelé spécialement Syriaque : elle a fleuri depuis le IVe siècle jusqu’au temps des Croisades, toujours imprégnée d’un esprit Chrétien et soumise à une tendance parement théologique comme la plupart des littératures dont je vais bientôt parler ; elle a survécu à la mine de l’Église patriarcale d’Antioche au milieu des populations Maronites et aussi dans les ouvrages liturgiques des Nestoriens de la Chaldée. La littérature Copte a pris naissance parmi les Chrétiens d’Égypte qui vécurent d’abord rassemblés en grand nombre dans les solitudes de la Thébaïde ; elle a pris pour instrument l’ancienne langue des habitans, enrichie et assouplie par le contact des Grecs, et elle a été cultivée avec succès dans toute la juridiction du patriarcat d’Alexandrie jusque sous le gouvernement des dynasties Arabes : au Sud de l’Égypte, dans les pays compris sous le nom général et ancien d’Éthiopie, s’est formée aussi une littérature Chrétienne après les prédications de S. Frumence ; elle a subsisté longtemps au sein des royaumes Chrétiens qui se sont succédé sur le sol de l’Abyssinie. Si nous remontons vers le Nord, nous trouvons la littérature théologique et historique de l’Arménie qui a été fondée avec son Église au IVe siècle par S. Grégoire l’Illuminateur et dont chaque période a été marquée par un nombre extraordinaire de productions originales ; elle est encore cultivée ou, pour mieux dire, elle est continuée dans un esprit national par les Arméniens répandus aujourd’hui sur différens points de l’Asie et de l’Europe. La Géorgie, où l’œuvre de la conversion marcha plus lentement, a possédé au moyen âge une littérature dont le développement a été analogue et parallèle à celui de la littérature du peuple Arménien. Telles sont les contrées qui ont dû leur culture littéraire à l’influence directe et incessante du Christianisme, avant que le morcellement des états, les intrigues de l’ambition et surtout l’esprit de schisme aient assuré le triomphe presque universel des puissances Musulmanes dans l’Asie antérieure comme à l’Ouest et au Nord de l’Afrique.

La seconde classe des littératures Orientales nous est fournie exclusivement par les nations Musulmanes répandues sur une immense étendue de pays depuis l’Inde et ses dépendances méridionales jusqu’au Maroc et jusqu’à l’Espagne, leurs frontières historiques à l’Occident : ces littératures appartiennent à différens âges et à des peuples d’origine diverse ; mais elles présentent une sorte d’unité, puisqu’elles ont toutes pour principal fondement la loi religieuse de l’Islamisme. La première dans l’ordre des temps est la littérature Arabe, dont la langue si riche et si sonore était celle de la péninsule peuplée par les Enfans d’Ismaël ; elle a été consacrée à la propagation et à la défense de la religion de Mohammed par le Coran, qui est resté son chef-d’œuvre et son modèle perpétuel ; elle a été cultivée avec zèle aussi bien à Cordoue que dans Bagdad et a servi à tous les besoins de la science dans les contrées les plus éloignées où les conquérans Arabes établirent leur domination. Elle ne consiste pas seulement en productions poétiques et oratoires, mais encore en travaux sérieux de théologie et de jurisprudence Musulmanes, de philosophie et de dialectique, d’histoire et de géographie, de grammaire et de critique : en un mot, elle peut être appelée la littérature savante de l’Orient infidèle. Trois siècles après Mohammed, la Perse qui avait été subjuguée par les armes des Khalifes subit complètement l’influence de la religion du Prophète et, dans sa langue harmonieuse qui se mêla et s’enrichit de plus en plus de formes arabes, elle donna le jour à une littérature nouvelle, dans laquelle a été produite jusque dans les derniers temps une masse innombrable d’ouvrages : c’est surtout dans les genres les plus variés de la poésie que le génie Persan s’est joué avec une grâce exquise et une fécondité infinie. La littérature Persane à son tour a concouru avec la littérature Arabe à la formation d’une troisième littérature Musulmane, celle des Turks ou Osmanlis, qui cultivèrent les lettres et les sciences après l’époque de leurs invasions dans toute l’Asie occidentale ; de même que leur langue de souche Tartare a adopté un nombre considérable de mots arabes et persans, leur littérature est née en grande partie de la traduction ou de l’imitation des œuvres qui étaient le patrimoine de ses deux sœurs aînées. Un seul groupe des nations Turques a conservé son dialecte original encore pur en acceptant les dogmes et la civilisation de l’Islamisme : c’est celui des peuples Ouïgours et Tchakatéens dont la langue, caractérisée par le seul nom de Turk oriental, a été également cultivée par des écrivains Musulmans. Il importe de comprendre dans le même cadre les trois littératures Arabe, Persane et Turque, puisqu’elles se sont développées sous l’influence du même principe et aussi puisqu’elles sont étroitement liées l’une à l’autre par les procédés de l’imitation ; elles demandent à être étudiées parallèlement pour qu’on puisse reconnaître ce qu’il y a d’original ou d’emprunté dans chacune d’elles, et en même temps faire de leur connaissance approfondie la base d’un jugement critique sur l’état moral et religieux des races Musulmanes et sur le degré de culture intellectuelle qu’elles ont pu atteindre dans la durée de leur histoire.

Une troisième classe de peuples et de religions servira à constituer dans notre plan le groupe des littératures Païennes, polythéistes ou panthéistiques, qui appartiennent presque toutes à l’Asie centrale et orientale : nous chercherions en vain un développement littéraire proprement dit, qui se serait formé et perpétué sous l’inspiration d’un culte idolâtrique de la nature ou des Génies, tel que fut le Chamanisme des nations les plus anciennes de la Sibérie et de la Tartarie[6] ; la plupart des littératures qui ont joui de longues et glorieuses destinées se sont produites au sein d’un vaste système de polythéisme naturaliste qui s’est étendu, en manifestant toutefois des tendances diverses, de l’Égypte à la Perse et à l’Inde ancienne. À l’appréciation générale de ce qu’a été la littérature sacrée de l’Égypte, que nous révèle peu à peu la langue à peine déchiffrée des Hiéroglyphes, succédera un aperçu des systèmes d’écriture de la Babylonie et de l’Assyrie, qui retraçaient en caractères cunéiformes les mots de langues aujourd’hui perdues : nous pouvons attacher un intérêt littéraire à cette branche d’étude en présence des succès déjà obtenus dans la lecture des papyrus Égyptiens et dans l’interprétation des inscriptions de Persépolis ; nous pouvons croire que les formules hiératiques qui recouvrent sans doute les briques et les cylindres de Babylone ne resteront plus longtemps inconnues[7]. Les productions religieuses de la Perse ancienne nous seront représentées par le recueil des livres de Zoroastre, le Zend-Avestâ, transmis dans deux idiomes précieux par leur antiquité, le Zend et le Pehlvi ; ici comme dans les ouvrages Indiens, nous rencontrons des souvenirs de la vie primitive des peuples Ariens dans une patrie commune au centre de l’Asie, la contrée vénérable célébrée sous le nom d’Iran[8]. Mais, tandis que l’adoration du Feu domine dans le Magisme Perean, la mythologie Brahmanique est plutôt fondée sur un puissant syncrétisme de toutes les manifestations de la pensée religieuse, entraînée à l’idolâtrie par les erreurs du naturalisme antique : aussi l’Inde nous présente dans sa littérature le travail prodigieux de l’imagination s’exerçant sur des conceptions souvent bizarres, toujours grandes et originales. Le Sanscrit est l’instrument parfait (comme le dit son nom) de l’esprit Indien dans les monumens immenses que celui-ci n’a pas cessé de produire d’âge en âge ; il est resté la langue sacrée du Brahmanisme quand déjà les autres idiomes de l’Inde commençaient à être l’objet d’une culture littéraire : c’est en Sanscrit que sont rédigées tant d’œuvres poétiques aujourd’hui offertes à nos études, épopées, drames, légendes, poëmes et traités philosophiques[9] ; les autres langues Indiennes, même celles qui ne sont point de souche Sanscrite, n’ont fait le plus souvent que reproduire ce qui avait été composé originairement dans la langue antique et privilégiée des castes supérieures ; semblables aux lianes et aux plantes parasites des forêts de l’Indoustan, elles se sont attachées au tronc de la littérature Sanscrite et elles en ont tiré leur nourriture et leur vie.

Si de l’Inde nous avançons encore vers l’Orient, nous sommes en présence d’une grande diversité de nations et de langues du milieu desquelles est sortie en quelque manière une seule littérature, qu’on peut appeler du nom collectif de Littérature Bouddhique[10] ; en effet chacune de ces nations n’a joui de son plus haut développement intellectuel que sous l’influence prédominante de la religion de Bouddha et leurs littératures ont dû à cette communauté d’idées et de mœurs un style uniforme et une ressemblance parfaite ; elles sont toutes l’expression fidèle du mysticisme quiétiste qui est au fond des doctrines panthéistiques rattachées au nom de Bouddha. Comme la philosophie idéaliste du Réformateur est sortie de l’Inde, les littératures particulières des peuples placés au-delà du Gange ou de l’Himalaya reproduisent des conceptions Indiennes rarement modifiées ou altérées ; elles ne possèdent en réalité les livres de Bouddha « qu’à titre de traductions faites sur le Sanscrit[11]. »

Le Bouddhisme, en se répandant à l’Est de l’Inde, à Ceylan et dans une grande partie de la presqu’île Transgangétique, donna naissance à plusieurs littératures qui eurent pour organe commun le Pâli, langue d’origine Indienne, qui devint ainsi langue sacrée dans les états d’Ava, d’Arrakhan, de Pégu, de Siam, de Laos ; c’est aussi le Bouddhisme qui fait le fond des productions littéraires composées dans les langues Indo-Chinoises, soit de l’empire Birman, soit des royaumes de Pégu, de Siam et d’Annam. Pour bien juger l’ascendant qu’a pris au dehors la religion nouvelle, importée avec ses livres, il ne faut pas oublier quel était l’état des pays Transgangétiques avant la propagation successive du Bouddhisme Indien, qu’on n’y connaissait que le culte grossier des élémens accompagné de superstitions, que leurs populations étaient encore plongées dans l’ignorance et réduites à une vie nomade. Expulsée de l’Inde par la force, la Réforme Bouddhique fut d’abord implantée au Nord dans le Tibet dont la langue, dès lors plus cultivée, servit à reproduire les livres doctrinaux de la secte et devint dans la suite des temps la langue sacrée de la religion des Lamas et de son sacerdoce hiérarchique : l’étude des collections Bouddhiques ne permet plus de douter « que les Hindous n’aient été les instituteurs des Tibétains, comme des peuples Tartares[12], en civilisation, en morale et en littérature. » Les peuples encore sauvages du Nord-Est de l’Asie se sont en effet soumis au même joug de la métaphysique Indienne : ce sont les mêmes livres qui ont été traduits dans la langue des Mongols, et plus tard dans celle des Mandschous, soit sur les originaux sanscrits, soit sur les versions authentiques en tibétain. Les idiomes de la Tartarie étaient incultes avant l’adoption et l’imitation d’une littérature déjà formée ; les peuples n’étaient point sortis encore d’une vie dure et sauvage ; et rien ne peut justifier l’hypothèse d’une haute civilisation du monde primitif qui aurait eu son siège dans la haute Asie, dans les régions désignées par le nom général de Tartarie[13]. Un spectacle différent nous est offert par la Chine : dans une antiquité reculée nous y voyons dominer la religion du Tao ou de la raison primitive, transformée en philosophie par Lao-Tseu six siècles environ avant l’ère Chrétienne. D’autre part, le culte des ancêtres, l’idolâtrie de la coutume, l’ascendant d’une morale pratique et traditionnelle y avaient servi d’aliment à une suite d’œuvres littéraires, dont le caractère officiel et sérieux contraste avec le ton enjoué et frivole de la littérature Chinoise aux époques d’une civilisation plus raffinée. L’étude de la Chine ancienne devra donc nous arrêter quelque temps, si nous voulons bien connaître les productions qui datent des siècles de son indépendance politique et religieuse. Quand la religion de Fo (c’est le nom mutilé de Bouddha) vint détrôner en Chine la religion nationale, il s’opéra une révolution complète dans la littérature qui prit un plus grand développement entre les mains des Bouddhistes qu’entre celles des Tao-sse ; c’est cette littérature, mêlée d’ailleurs d’élémens profanes, qui se propagea, grâce à la prépondérance du Céleste Empire, dans les contrées qui l’entourent, à la Corée et au Japon : les découvertes, dues à la première civilisation de la Chine, se fondirent dans sa civilisation nouvelle qui devait absorber tour à tour ses farouches vainqueurs et s’étendre aux îles des mers voisines. Sans nous occuper des conjectures sur la transmission probable du Bouddhisme jusqu’en Amérique, où l’auraient porté des colonies Asiatiques, il nous est déjà permis de constater quelle a été l’extension géographique de cette idolâtrie contemplative qui compte depuis deux mille ans des millions de sectateurs[14], et nous apercevons aussitôt quelle doit être la volumineuse richesse de la littérature Bouddhique, dont tant de langues n’ont fait que répéter les idées fondamentales ou les paraphraser avec peu de variété dans leur interprétation : c’est au point de vue de l’influence des doctrines autant que de la persistance originale des formes que nous pourrons trouver plus d’un genre d’attrait à passer en revue les monumens littéraires de Ceylan, de l’Inde Transgangétique, du Tibet, de la Mongolie et de la Mandschourie, de la Chine, des pays Coréens et Japonais. En sachant l’intérêt philosophique qui entraîne à l’étude complète du Bouddhisme un grand nombre d’esprits éminens et les travaux consciencieux qui sont entrepris dans cette vue sur les sources indigènes[15], on peut en attendre de grandes découvertes qui contribueront à éclaircir l’histoire religieuse de l’antiquité Orientale et à déterminer la marche, les progrès, les vicissitudes de la vie littéraire dans la partie la plus considérable et la plus peuplée de l’Asie.

Après avoir ainsi suivi dans l’histoire des lettres les destinées diverses du Brahmanisme et du Bouddhisme, nous n’avons plus qu’à jeter un regard sur la civilisation et la littérature des peuples Malays qui sont compris dans les grandes divisions du monde Océanien, mais chez lesquels l’influence Asiatique s’est fait sentir à diverses époques : ce sont surtout les peuples de l’archipel Indien qui ont subi cette influence dans le double domaine de la religion et du langage[16] ; les doctrines Brahmaniques et Bouddhiques ont régné tour à tour à Sumatra, à Java et dans les îles adjacentes, avant que la conquête Musulmane ait dans des temps assez modernes substitué à la culture Indienne les idées et les formes de la littérature Arabe.

En dehors des limites tracées par la nature même des faits à l’extension des littératures Orientales, nous ne trouvons plus sur notre route que de pures hypothèses concernant leur transmission ou leur influence passagère dans des pays éloignés ; nous n’avons pas à nous enquérir de questions isolées qui entrent dans les recherches spéciales de la numismatique ou de l’archéologie et qui ne peuvent intervenir qu’à titre d’auxiliaires dans l’histoire détaillée des lettres à une époque donnée.

Telle est, Messieurs, la division générale que je me propose de suivre dans l’étude des littératures de l’Orient ; elle vous fait connaître leur patrie, où nous devons chercher leur formation et leur premier développement ; elle repose, comme vous avez pu l’observer, sur ce qu’il y a de plus intime, sur ce qu’il y a d’essentiel dans la vie des nations Asiatiques, la nature des idées religieuses ; elle est favorable aussi à l’appréciation du beau, tel que les grands peuples de l’Asie l’ont conçu, tel qu’ils l’ont exprimé dans leurs œuvres presque toutes poétiques par leur forme, puisque l’inspiration religieuse n’a pas cessé d’être parmi eux l’âme de la poésie et des beaux-arts. La pensée Orientale est toujours grande, parce qu’elle rapporte les choses du monde à la conception idéale d’une beauté et d’une perfection surnaturelles : aussi son expression est-elle empreinte d’une imposante élévation et renferme-t-elle toute la richesse d’imagination qui puisse être réalisée dans les œuvres d’art. Quand la poésie, s’appliquant aux problèmes les plus sérieux de l’existence, est en Orient la raison chantée, elle emprunte encore au langage ses formes les plus variées et ses couleurs les plus brillantes ; elle s’adresse à la fois à toutes les facultés de l’intelligence ; si elle est trop souvent employée à donner un corps à des abstractions subtiles ou à de riantes illusions, son étude n’est point cependant sans attraits ou sans intérêt, et il semble que la connaissance même de ses défauts ne soit point chose inutile à l’éducation littéraire de l’esprit Européen. Certes, on aurait tort de vanter sans distinction les chefs-d’œuvre du style Oriental, de les prendre sans discernement pour des modèles du bon goût ou d’y chercher les règles d’une poétique universelle ; il serait également injuste de les rejeter comme ne satisfaisant pas aux exigences de la critique moderne, qui s’est formée à l’école des anciens, mais qui, en acceptant leurs exemples, ne peut sacrifier sa liberté d’examen et son indépendance littéraire. Il est donc nécessaire, Messieurs, pour rester dans le vrai, de juger les productions Orientales sans prévention et surtout sans admiration exagérée en tenant compte sans cesse de l’âge et des lieux, d’apprécier leur valeur individuelle par le rapprochement d’œuvres semblables choisies dans des littératures mieux connues : c’est l’unique moyen d’assigner à ces productions une importance légitime dans la culture générale des lettres, comme on la conçoit aujourd’hui sans exception de temps et de nationalité, et de conserver à leur étude l’utilité incontestable qu’elle présente au point de vue historique.

  1. 29 octobre 1844.
  2. 1 Le nom d’Anquetil n’a rien perdu de sa première célébrité ; il a même grandi en raison des talens déployés dans la même carrière. Ne nous montre-t-il pas réunis dans une seule personne le savant et le voyageur, l’homme de science et l’homme d’action ? Le traducteur du Zend-Avesta, l’éditeur de l’Oupnekhat, est aussi l’auteur d’ouvrages d’un intérêt plus immédiat et plus pratique : la Législation Orientale et l’Inde en rapport avec l’Europe ; c’est le publiciste qui succède au linguiste philosophe.
  3. C’est ce que rapporte la Légende de Lao-Tseu, mise par Mr Stan. Julien en tête de sa magnifique traduction du Tao-te-King. Le même philosophe a aussi reçu le nom de Lao-Kiun, ou vieillard-prince, eu égard sans doute à l’origine merveilleuse et à la supériorité intellectuelle qui lui ont été attribuées. — Il y a également une signification symbolique dans la tradition du Schah-Nameh ou Livre des Rois qui représente un des héros de la Perse, Sâlser, fils de Sâm, né avec la chevelure d’un vieillard : « L’enfant, dit Ferdousi, surpassait la splendeur du soleil par l’éclat de son visage ; mais sa chevelure était entièrement blanche. » Le berceau du futur guerrier, d’après l’épopée héroïque, fut le nid de Simourg, l’oiseau fabuleux du mont Elbourz.
  4. Fréd. de Schlgel, Philosophie de l’histoire, leçon IVe (trad. franc, t. I, p. 101). — L’auteur du Génie des Religions a exprimé la même idée, sans doute dans des intentions opposées, mais avec une force de conviction qui conviendrait au langage de la vérité (p. 4-5). « Si vous connaissez le dogme d’une société, dit-il, vous savez vraiment pourquoi et comment elle vit ; vous possédez son secret… »
  5. 4 Cette considération est développée par l’illustre critique déjà cité, Fr. de Schlegel, dans son ouvrage sur la Langue et la Sagesse des Indiens. (Livre III, histoire. — Trad. fr. de Mazure, p. 198-99.)
  6. 5 Le nom de ce fétichisme septentrional est tiré de celui de ses prêtres ou devins qui évoquent les esprits et pratiquent la magie : schaman ou plutôt saman, pluriel samana, est un mot qui ne peut être d’origine Indienne et se rapporter aux prêtres Bouddhiques ; il appartient exclusivement à la langue des Toungouses et il est attribué par les sources Chinoises seulement aux prêtres magiciens de la Haute-Asie. (Schott, über den Doppelsinn des Wortes Schamane, — Lu à l’Académie de Berlin, en 1842.)
  7. 6 Je n’ai besoin que de rappeler les ingénieuses conjectures de Mr G. Grotefend, de Hanovre, déposées dans une suite de publications détachées. Il faut savoir gré aussi à la Société Asiatique de Paris d’avoir inséré naguère dans son Journal les inscriptions cunéiformes de Van et plus récemment celles de Ninive recueillies par Mr Botta avec de nombreux dessins de sculptures, afin de les proposer aussitôt que possible aux études des linguistes et des archéologues.
  8. 7 Ces souvenirs précieux à recueillir pour l’histoire des lettres, comme pour celle des religions Asiatiques, se retrouvent dans les noms de pays et de peuples : l’Iran des poètes persans rappelle l’Eriene des livres Zends et la contrée dite Ariana par les géographes anciens ; l’âryâvarta des ouvrages sanscrits est le siège le plus ancien de la civilisation Brahmanique. Les peuples qui ont reçu de leurs voisins d’autres noms plus connus conservent le nom d’Ariens comme leur nom national ; les Indiens, celui d’Aryas, ou excellents, vénérables ; les peuples Zends, celui d’Airya : les Mèdes, qu’Hérodote appelait ἄριοι, sont appelés Arikh par les Arméniens dont le nom semble avoir la même étymologie. L’analogie de signification des noms cités et leur valeur ethnographique ont été jugées par Mr Lassen dans un résumé complet de la question qui ouvre son nouvel ouvrage sur l’Inde (Indische Alterthumskunde, t. I, part. I, p. 4-9, p. 527 suivant. — Bonn, 1844).
  9. 8 Depuis vingt années on a fait connaître à l’Europe la plupart des genres de la littérature Sanscrite dans des textes ou des traductions et une saine critique, s’élevant au-dessus des préjugés nationaux, a pu faire sur le champ la part de l’éloge et du blâme ; la masse du public littéraire était libre cette fois encore de juger selon ses caprices, de louer ou de mépriser d’après ses instincts du moment ; mais il est pour ainsi dire incroyable qu’une grande partie du public savant, se piquant d’ailleurs d’érudition classique, ait affecté si longtemps le dédain de l’ignorance, sans concevoir que pour comprendre les productions Sanscrites, il faut les rapprocher patiemment et, pour les bien juger, reconstruire en pensée le monde qui les a créées avec le climat qui leur a imprimé ses vives couleurs. Qu’on les condamne, mais seulement au nom de ce sens d’une critique intelligente, qui est propre aux grands peuples du monde civilisé et qui conçoit la beauté des formes de l’art comme inséparable de l’harmonie constante des proportions !
  10. 9 Pouvions-nous mieux faire que d’emprunter à M. Abel-Rémusat cette épithète heureuse qui définit si brièvement une vaste littérature, commune à tous les peuples de même croyance sans appartenir à aucun en particulier ? Nous complétons sa définition de la littérature Bouddhique par les termes dont il s’est servi lui-même pour l’expliquer : « … c’est la théologie de Bouddha qui en est la base. De vastes traités de morale, de métaphysique et de cosmologie, apportés de Ceylan ou de l’Hindoustan, et attribués à Bouddha lui-même, des romans historiques ou mythologiques où sont racontées les aventures fabuleuses des dieux, des plus illustres pénitens, des bienfaiteurs de la religion, des rituels, des prières, de longues formules pour les invocations, les exorcismes : voilà quel en est le fond, que chaque peuple a ensuite brodé, en ajoutant ses traditions particulières, ses légendes nationales, la vie des héros et des saints les plus célèbres de chaque contrée. On voit par là en quoi doivent se ressembler et en quoi doivent différer les matières qui constituent la littérature chez les peuples Bouddhistes… et il faut surtout remarquer que nous entendons toujours ici par littérature l’ensemble des connaissances d’une nation, depuis l’art d’écrire jusqu’à la poésie, depuis les élémens des sciences les plus vulgaires jusqu’à la métaphysique et à la théologie. Ce serait peut-être philosophie qu’il faudrait dire, car la théologie de ces nations comprend tout… » (Recherches sur les langues tartares ou Mémoires sur différens points de la grammaire et de la littérature des Mandschous, des Mongols, etc. etc., tome l, Paris, I. R., 1820, 4o, p. 377-78).
  11. 10 Recherches, ibid. p. 379, p. 387-88.
  12. 11 Rech., ibid., p. 393 et la Conclusion, p. 394-98.
  13. 12 Tandis qu’Abel Rémusat, dans le Discours préliminaire de son grand ouvrage déjà cité, ruinait à jamais par de solides raisons l’hypothèse de Bailly qui expliquait toute l’histoire primitive sans égard aux traditions Mosaïques, l’étude des lois du globe servait à l’illustre naturaliste, Alex, de Humboldt, à démontrer la fausseté d’une hypothèse longtemps accréditée dans les mêmes vues, celle d’un plateau central de l’Asie, qu’on avait aussi nommé plateau de la Grande-Tartarie.
  14. 13 Nous ne pouvons nous empêcher de rapporter ici comment une des raisons immédiates de la diffusion rapide du Bouddhisme chez plus de vingt nations de l’Asie a été appréciée par Mr Landresse dans une introduction qu’il a consacrée à une histoire des études des modernes sur cette matière (Édit. du Foe Koue ki ou Relation des royaumes Bouddhiques, trad. d’Abel Rémusat, Paris, 1836, 4o — p. VIII) : les fictions du Bouddhisme ne présentaient pas un seul côté d’application ; elles avaient « le double avantage d’offrir du merveilleux au vulgaire, et aux esprits contemplatifs des sujets de méditations » ; c’est par cette cause peu remarquée qu’elles ont exercé un égal ascendant sur les tribus de l’Asie septentrionale et sur les nations policées comme l’étaient les Chinois.
  15. 14 Le plus grand des philosophes de l’Italie contemporaine, Mr Vinç, Gioberti, a saisi toute la portée des recherches sur le Bouddhisme et il en a tiré admirablement parti dans son livre Del buono, quand il recherche l’idée du bien chez les peuples hétérodoxes. La tâche que la mort a empêché Abel Rémusat d’accomplir, l’histoire du Bouddhisme, est reprise avec ardeur par son illustre et ingénieux compatriote, Mr Eugène Burnouf, qui s’y est préparé par d’immenses études : l’Introduction à l’histoire du Bouddhisme Indien, qu’il est près de livrer à la publicité, répandra avec l’appréciation des doctrines la connaissance critique de nouvelles sources littéraires. La personne de Bouddha ne peut manquer non plus d’une histoire ; on devra bientôt à Mr Ph. Ed. Foucaux la publication du Lalita Vistara, qui est la Légende du Réformateur, d’après les textes sanscrit et tibétain.
  16. 15 La Hollande a eu longtemps le monopole des travaux littéraires sur les langues de l’Archipel indien ; si elle partage avec l’Angleterre l’avantage de posséder de riches collections de manuscrits, elle peut s’enorgueillir du plus grand nombre de belles publications, comme celles des Roorda Van Eysingha, des Gericke et des Élout, qui complètent les ouvrages de Marsden et les récits de J. Crawfurd, l’historien de la Malaisie. La France va la suivre sur le même terrain, grâce à l’enseignement et aux travaux que Mr Ed. Dulaurier a entrepris à un point de vue d’émulation scientifique et d’utilité nationale : le spirituel Mémoire où il exposait ses vues sur les langues et la littérature de l’archipel d’Asie sous le rapport ethnographique, littéraire et commercial, a été réuni aux Lettres et Rapports relatifs à ses cours et à ses voyages (Paris, 1843, in-8o) ; la littérature des Malays et des Javanais nous y est décrite comme également riche en poëmes, en documens historiques, en monumens d’une législation très remarquable, dont l’auteur se propose de faire connaître sous peu une partie importante, celle des lois maritimes de Malaca et des principaux états Malays.