Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Première partie/22

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 54-56).


CHAPITRE XXII

QU’IL FAUT SE PURGER DES AFFECTIONS QUE L’ON A AUX PÉCHÉS VÉNIELS


A mesure que le jour se fait, nous voyons plus clairement dans le miroir les taches et souillures de notre visage ; ainsi, à mesure que la lumière intérieure du Saint-Esprit éclaire nos consciences, nous voyons plus distinctement et plus clairement les péchés, inclinations et imperfections qui nous peuvent empêcher d’atteindre à la vraie dévotion ; et la même lumière qui nous fait voir ces lares et déchets, nous échauffe au désir de nous en nettoyer et purger.

Vous découvrirez donc, ma chère Philothée, qu’outre les péchés mortels et affections des péchés mortels, dont vous avez été purgée par les exercices marqués ci-devant, vous avez encore en votre âme plusieurs inclinations et affections aux péchés véniels. Je ne dis pas que vous découvrirez des péchés véniels, mais je dis que vous découvrirez des affections et inclinations à iceux ; or, l’un est bien différent de l’autre : car nous ne pouvons jamais être du tout purs des péchés véniels, au moins pour persister longtemps en cette pureté ; mais nous pouvons bien n’avoiraucune affection aux péchés véniels. Certes, c’est autre chose de mentir une fois ou deux de gaîté de cœur en chose de peu d’importance, et autre chose de se plaire à mentir et d’être affectionné à cette sorte de péché.

Et je dis maintenant qu’il faut purger son âme de toutes les affections qu’elle a aux péchés véniels, c’est-à-dire qu’il ne faut point nourrir volontairement la volonté de continuer et persévérer en aucune sorte de péché véniel ; car aussi serait-ce une lâcheté trop grande de vouloir, tout à notre escient, garder en notre conscience une chose si déplaisante à Dieu comme est la volonté de lui vouloir déplaire. Le péché véniel, pour petit qu’il soit, déplaît à Dieu, bien qu’il ne lui déplaise pas tant que pour icelui il nous veuille damner ou perdre. Que si le péché véniel lui déplaît, la volonté et l’affection que l’on a au péché véniel n’est autre chose qu’une résolution de vouloir déplaire à sa divine Majesté. Est-il bien possible qu’une âme bien née veuille non seulement déplaire à son Dieu, mais affectionner de lui déplaire ?

Ces affections, Philothée, sont directement contraires à la dévotion, comme les affections au péché mortel le sont à la charité : elles alanguissent les forces de l’esprit, empêchent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations ; et bien qu’elles ne tuent pas l’âme, elles la rendent extrêmement malade. « Les mouches mourantes, dit le Sage, perdent et gâtent la suavité de l’onguent » : il veut dire que les mouches, ne s’arrêtant guère sur l’onguent, mais le mangeant en passant, ne gâtent que ce qu’elles prennent, le reste demeurant en son entier ; mais quand elles meurent emmi l’onguent, elles lui ôtent son prix et le mettent à dédain. Et de même, les péchés véniels, arrivant en une âme dévote et ne s’y arrêtant pas longtemps, ne l’endommagent pas beaucoup ; mais si ces mêmes péchés demeurent dans l’âme pour l’affection qu’elle y met, ils lui font perdre sans doute la suavité de l’onguent, c’est-à-dire la sainte dévotion.

Les araignes ne tuent pas les abeilles, mais elles gâtent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu’elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur ménage ; et cela s’entend quand elles y font du séjour. Ainsi le péché véniel ne tue pas notre âme, mais il gâte pourtant la dévotion, et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l’âme, qu’elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gît la dévotion ; mais cela s’entend quand le péché véniel séjourne en notre conscience par l’affection que nous y mettons. Ce n’est rien, Philothée, de dire quelque petit mensonge, de se dérégler un peu en paroles, en actions, en regards, en habits, en jolivetés, en jeux, en danses, pourvu que tout aussitôt que ces araignes spirituelles sont entrées en notre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches à miel font les araignes corporelles. Mais si nous leur permettons d’arrêter dans nos cœurs, et non seulement cela, mais que nous nous affectionnions à les y retenir et multiplier, bientôt nous verrons notre miel perdu, et la ruche de notre conscience empestée et défaite. Mais je dis encore une fois, quelle apparence y a-t-il qu’une âme généreuse se plaise à déplaire à son Dieu, s’affectionne à lui être désagréable, et veuille vouloir ce qu’elle sait lui être ennuyeux.