Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Seconde partie/01

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 61-65).


CHAPITRE PREMIER

DE LA NÉCESSITÉ DE L’ORAISON


1. L’oraison mettant notre entendement en la clarté et lumière divine, et exposant notre volonté à la chaleur de l’amour céleste, il n’y a rien qui purge tant notre entendement de ses ignorances et notre volonté de ses affections dépravées : c’est l’eau de bénédiction qui, par son arrosement, fait reverdir et fleurir les plantes de nos bons désirs, lave nos âmes de leurs imperfections et désaltère nos cœurs de leurs passions.

2. Mais surtout je vous conseille la mentale et cordiale, et particulièrement celle qui se fait autour de la vie et passion de Notre Seigneur : en le regardant souvent par la méditation, toute votre âme se remplira de lui ; vous apprendrez ses contenances, et formerez vos actions au modèle des siennes. Il est la lumière du monde : c’est donc en lui, par lui et pour lui que nous devons être éclairés et illuminés ; c’est l’arbre de désir à l’ombre duquel nous nous devons rafraîchir ; c’est la vive fontaine de Jacob pour le lavement de toutes nos souillures. Enfin, les enfants à force d’ouïr leurs mères et de bégayer avec elles, apprennent à parler leur langage ; et nous, demeurant près du Sauveur par la méditation, et observant ses paroles, ses actions et ses affections, nous apprendrons, moyennant sa grâce, à parler, faire et vouloir comme lui.

Il faut s’arrêter là, Philothée, et croyez-moi, nous ne saurions aller à Dieu le Père que par cette porte ; car tout ainsi que la glace d’un miroir ne saurait arrêter notre vue si elle n’était enduite d’étain ou de plomb par derrière, aussi la Divinité ne pourrait être bien contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fût jointe à la sacrée humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l’objet le plus proportionné, souef, délicieux et profitable que nous puissions choisir pour notre méditation ordinaire. Le Sauveur ne s’appelle pas pour néant le pain descendu du ciel ; car, comme le pain doit être mangé avec toutes sortes de viandes, aussi le Sauveur doit être médité, considéré et recherché en toutes nos oraisons et actions. Sa vie et mort a été disposée et distribuée en divers points pour servir à la méditation, par plusieurs auteurs : ceux que je vous conseille son saint Bonaventure, Bellintani, Bruno, Capilia, Grenade Du Pont.

3. Employez-y chaque jour une heure devant dîner, s’il se peut au commencement de votre matinée, parce que vous aurez votre esprit moins embarrassé et plus frais après le repos de la nuit. N’y mettez pas aussi davantage d’une heure, si votre père spirituel ne le vous dit expressément.

4. Si vous pouvez faire cet exercice dans l’église, et que vous y trouviez assez de tranquillité, ce vous sera une chose fort aisée et commode parce que nul, ni père, ni mère, ni femme, ni mari, ni autre quelconque ne pourra vous bonnement empêcher de demeurer une heure dans l’église, là où étant en quelque sujétion vous ne pourriez peut-être pas vous promettre d’avoir une heure si franche dedans votre maison.

5. Commencez toutes sortes d’oraisons, soit mentale soit vocale, par la présence de Dieu, et tenez cette règle sans exception, et vous verrez dans peu de temps combien elle vous sera profitable.

6. Si vous me croyez, vous direz votre Pater, votre Ave Maria et le Credo en latin ; mais vous apprendrez aussi à bien entendre les paroles qui y sont, en votre langage, afin que, les disant au langage commun de l’Église, vous puissiez néanmoins savourer le sens admirable et délicieux de ces saintes oraisons, lesquelles il faut dire fichant profondément votre pensée et excitant vos affections sur le sens d’icelles, et ne vous hâtant nullement pour en dire beaucoup, mais vous étudiant de dire ce que vous direz, cordialement ; car un seul Pater dit avec sentiment vaut mieux que plusieurs récités vitement et couramment.

7. Le chapelet est une très utile manière de prier, pourvu que vous le sachiez dire comme il convient : et pour ce faire, ayez quelqu’un des petits livres qui enseignent la façon de le réciter. Il est bon aussi de dire les litanies de Notre Seigneur, de Notre Dame et des saints, et toutes les autres prières vocales qui sont dedans les Manuels et Heures approuvées, à la charge néanmoins que si vous avez le don de l’oraison mentale, vous lui gardiez toujours la principale place ; en sorte que si après icelle, ou pour la multitude des affaires ou pour quelque autre raison, vous ne pouvez point faire de prière vocale, vous ne vous en mettiez point en peine pour cela, vous contentant de dire simplement, devant ou après la méditation, l’oraison dominicale, la salutation angélique et le symbole des apôtres.

8. Si faisant l'oraison vocale, vous sentez votre cœur tiré et convié à l'oraison intérieure ou mentale, ne refusez point d’y aller, mais laissez tout doucement couler votre esprit de ce côté-là, et ne vous souciez point de n’avoir pas achevé les oraisons vocales que vous vous étiez proposées ; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agréable à Dieu et plus utile à votre âme. J’excepte l’office ecclésiastique si vous êtes obligée de le dire ; car en ce cas-là, il faut rendre le devoir.

9. S’il advenait que toute votre matinée se passât sans cet exercice sacré de l’oraison mentale, ou pour la multiplicité des affaires, ou pour quelque autre cause (ce que vous devez procurer n’advenir point, tant qu’il vous sera possible), tâchez de réparer ce défaut l’après-dînée, en quelque heure la plus éloignée du repas, parce que ce faisant sur icelui, et avant que la digestion soit fort acheminée, il vous arriverait beaucoup d’assoupissement, et votre santé en serait intéressée. Que si en toute la journée vous ne pouvez la faire, il faut réparer cette perte, multipliant les oraisons jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de dévotion, avec quelque pénitence qui empêche la suite de ce défaut ; et, avec cela, faites une forte résolution de vous remettre en train le jour suivant.