Introduction à la vie dévote (Brignon)/Seconde partie

La bibliothèque libre.
Texte établi par Jean BrignonCuret (p. 73-138).

INTRODUCTION
À LA
VIE DÉVOTE.


SECONDE PARTIE.

Divers Avis pour élever l’Ame à Dieu par l’Oraison et par l’usage des Sacremens.


CHAPITRE PREMIER.

De la nécessité de l’Oraison.


1. PUISQUE l’Oraison fait entrer notre esprit dans toute la lumière de la divinité, et tient notre volonté exposée aux ardeurs du divin amour, il n’y a rien qui puisse mieux dissiper les ténèbres dont l’erreur et l’ignorance ont obscurci notre entendement, ni mieux purifier notre cœur de toutes nos affections dépravées. C’est l’eau de bénédiction qui doit nous servir à laver nos âmes de nos iniquités, à désaltérer nos cœurs pressés par la soif de notre cupidité, et à nourrir les premières racines que la vertu y a jetées, et qui sont les bons désirs.

2. Mais je vous conseille principalement l’oraison de l’esprit et du cœur, et surtout celle qui est occupée de la vie et de la passion de Notre-Seigneur ; car à force de le regarder dans l’exercice de la méditation, toute votre âme se remplira de lui, et vous formerez votre conduite intérieure et extérieure sur la sienne. Il est la lumière du monde ; c’est donc en lui, par lui, et pour lui, que nous devons être éclairés, il est le mystérieux arbre du désir, dont parle la sainte Épouse des Cantiques ; c’est donc à ses pieds qu’il faut aller respirer un air plus doux, pour peu que le cœur se soit laissé échauffer par l’esprit du siècle, Il est la vraie fontaine de Jacob, cette source d’eau vive et pure : il faut donc aller souvent à lui pour nettoyer l’âme de toutes ses souillures. Vous le savez, les petits enfans entendant parler continuellement leurs mères, s’efforçant de bégayer avec elles, apprennent à parler la même langue ; c’est de cette sorte que nous attachant au Sauveur dans la méditation, y observant ses paroles, ses actions, ses sentimens et ses inclinations, nous apprendrons avec sa grâce à parler comme lui, à agir comme lui, à juger comme lui, et à aimer ce qu’il a aimé. Il faut s’en tenir là, Philothée, et croyez-moi, nous ne saurions aller à Dieu le Père que par cette porte, qui est Jésus-Christ, ainsi qu’il nous l’a dit lui-même, La glace d’un miroir ne peut arrêter notre vue, à moins qu’elle ne soit appliquée à un corps opaque, comme le plomb ou l’étain, De même, nous n’aurions jamais pu bien contempler la divinité en cette vie mortelle, si elle ne se fut unie à notre humanité dans Jésus-Christ, dont la vie, la passion et la mort, sont pour nos méditations l’objet le plus proportionné à la foiblesse de nos lumières, le plus doux à notre cœur, et le plus utile au règlement de nos meurs.

Le Sauveur s’est appelé le pain descendu du ciel, pour bien des raisons ; en voici une : comme l’on mange le pain avec toutes sortes de viandes, nous devons si bien goûter l’esprit de Jésus-Christ dans la méditation, que, nous en étant nourris, nous le fassions entrer dans toutes nos actions. C’est pour cela que plusieurs Auteurs ont partagé ce que nous avons de sa vie et de sa passion en divers points de méditation ; et ceux que je vous conseille le plus, sont saint Bonaventure, Bellintani, Bruno, Capiglia, Grenade et Dupont.

3. Donnez à cet exercice une heure chaque jour avant le dîner, et dès le matin, si vous pouvez, avant que vous ayez perdu la netteté et la tranquillité d’esprit que donne le repos de la nuit ; mais n’y mettez pas plus de temps, à moins que votre Père spirituel ne vous l’ait marqué expressément.

4. Si vous pouvez faire cet exercice tranquillement dans une Église, je crois que ce seroit le meilleur ; parce que ni père, ni mère, ni femme, ni mari, ni aucune personne ne pourra, ce me semble, raisonnablement vous y disputer cette heure de dévotion ; au lieu que dans votre maison, vous ne pourriez peut-être pas vous la promettre toute entière, ni si libre, par la raison de la dépendance que vous y avez.

5. Commencez toujours votre prière, soit la mentale, soit la vocale, par la présence de Dieu ; ne vous relâchez jamais sur cette pratique, et vous verrez en peu de temps combien elle est utile.

6. Si vous m’en croyez, vous direz le Pater, l’Ave et le Credo en latin ; mais vous apprendrez aussi à en bien entendre les paroles, par rapport à votre langue naturelle, afin que vous conformant l’usage de l’Église pour la langue de la Religion, vous puissiez cependant en concevoir le sens admirable, et en goûter la suavité. Il les faut dire avec une profonde attention ai sens qu’elles portent, et en prenant les affections qui y sont conformes, Ne vous laissez pas aller à un mauvais empressement de faire beaucoup de prières, mais appliquez-vous à les faire d’un bon cœur ; car un seul Pater, dit avec un vrai sentiment de piété, vaut mieux que plusieurs récités avec précipitation,

7. Le Chapelet est une très-utile manière de prier, quand on le sait bien dire ; et pour vous en instruire, ayez quelqu’un des petits livres qui en apprennent la méthode. Il est bon aussi de dire les Litanies de Notre-Seigneur, de Notre-Dame, des Saints, et les autres prières que l’on peut trouver dans des Heures bien approuvées ; mais tout cela ne s’entend qu’à cette condition, que si vous avez le don de l’oraison mentale, vous lui donniez toujours le premier temps et le meilleur. Remarquez bien que si après l’avoir faite, la multitude de vos affaires, ou quelqu’autre raison ne vous laisse plus de temps pour vos prières vocales, vous ne devez pas vous en inquiéter ; et il suffira de dire simplement, avant ou après la méditation, l’Oraison Dominicale, la Salutation angélique et le Symbole des Apôtres.

8. Si, en priant vocalement, votre cœur sent quelque attrait à l’oraison intérieure et mentale, bien loin de le retenir, laissez-le s’y porter doucement, et ne vous troublez pas de ce que vous n’aurez pas achevé toutes les prières que vous vous étiez proposées ; car l’oraison de l’esprit et du cœur est beaucoup plus agréable à Dieu et plus salutaire à l’âme, que celle des lèvres. Vous entendez assez qu’il faut excepter de cette règle l’Office ecclésiastique, si vous avez quelque obligation de le réciter.

9. Vous devez rejeter tout ce qui pourroit vous empêcher de faire ce saint exercice le matin. Si cependant la multitude de vos affaires, ou quelqu’autre raison légitime vous le fait perdre, tâchez de le remplacer l’après-midi, à l’heure la plus éloignée du repas que vous pourrez, soit pour éviter l’assoupissement, soit pour ne pas nuire à votre santé. Si même vous prévoyez que de tout le jour vous ne puissiez pas faire votre oraison, il faut réparer cette perte en y suppléant, par ces fréquentes élévations de l’esprit et du cœur à Dieu, que nous appelons Oraisons jaculatoires, par quelque lecture spirituelle, par quelque pénitence qui prévienne les suites de cette perte, et par une ferme résolution de faire votre oraison le lendemain.


CHAPITRE II.

Courte méthode pour bien méditer ; et premièrement de la présence de Dieu, laquelle fait le premier point de la préparation.


MAIS, Philothée, vous ne savez peut-être pas faire l’oraison ; car malheureusement c’est une science peu connue à notre siècle ; il faut donc qu’en peu de règles je vous en dresse ici une méthode, en attendant que les bons livres, et principalement l’usage vous en instruisent à fond.

La première règle regarde la préparation, et je la réduis à ces trois points : se mettre en la présence de Dieu ; lui demander le secours de ses lumières et de ses inspirations ; se proposer le mystère que l’on veut méditer.

Pour ce qui regarde le premier de ces trois points, je vous propose quatre moyens principaux, dont vous pouvez aider votre nouvelle ardeur.

Le premier consiste dans une vive attention à l’immensité de Dieu, qui est très-universellement et très-réellement présent à toutes choses et en tous lieux ; de manière que comme les oiseaux, en quelque région qu’ils volent, trouvent l’air partout ; ainsi, quelque part où nous allions, où nous soyons, nous trouvons toujours Dieu très-présent à nous-mêmes, à toutes choses. Cette vérité est assez connue à tout le monde ; mais chacun n’y fait pas l’attention nécessaire. Les aveugles qui savent qu’ils sont en la présence d’un Prince, se tiennent dans le respect, quoiqu’ils ne le voient pas ; mais parce qu’ils ne le voient pas, ils perdent aisément l’idée de sa présence, et l’ayant une fois perdue, ils perdent encore plus facilement le respect qui lui est dû. Hélas ! Philothée, nous ne voyons pas Dieu qui nous est présent, et quoique la foi et notre raison nous avertissent de sa présence, nous en perdons bientôt l’idée, et alors nous nous comportons comme s’il étoit fort éloigné de nous ; car, bien que nous sachions qu’il est présent à toutes choses, le défaut d’attention à sa présence nous met au même état que si nous l’ignorions. C’est pourquoi nous devons toujours disposer notre âme à l’oraison, par une profonde réflexion sur la présence de Dieu. David en avoit l’esprit vivement frappé, quand il disoit : Si je monte au Ciel, ô mon Dieu, vous y êtes, et si je descends en Enfer, vous y êtes aussi. Ainsi servons-nous des paroles de Jacob, qui, après avoir vu l’échelle mystérieuse dont je vous ai parlé, s’écria : O que ce lieu est redoutable ! véritablement Dieu est ici, et je n’en savois rien. Il vouloit dire, qu’il n’y avoit pas fait de réflexion, car il ne pouvoit ignorer que Dieu ne fût partout. Hé donc, Philothée, quand vous vous présenterez à l’oraison, dites de tout votre cœur, à votre cœur même : Ô mon cœur ! mon cœur, Dieu est véritablement ici !

La seconde manière de se mettre en la présence de Dieu, est de penser que non-seulement il est où vous êtes, mais qu’il est en vous-même, au fond de votre âme, qu’il la vivifie, l’anime et la soutient par sa divine présence : car comme l’âme qui est présente à tout le corps, réside néanmoins dans le cœur d’une manière de présence plus spéciale ; de même Dieu, qui est présent à toutes choses, l’est beaucoup plus à notre âme, dont l’on peut dire en un bon sens qu’il est l’âme lui-mère. C’est pour cela que David appeloit Dieu, le Dieu de son cœur ; c’est ce que saint Paul entend, quand il dit que, nous vivons, nous nous mouvons, et nous sommes en Dieu ; c’est aussi cette pensée qui excitera en votre cœur une profonde vénération pour Dieu qui lui est si intimement présent.

Le troisième moyen dont vous pouvez vous aider, est de considérer que le Fils de Dieu, en son humanité, regarde du Ciel tout ce qu’il y a de personnes au monde, mais particulièrement les Chrétiens qui sont ses enfans ; et encore plus spécialement ceux qui sont actuellement en prière, et dans qui il observe le bon ou le méchant usage qu’ils en font. Or, ce que je vous dis là, n’est pas une simple imagination, mais un fait très-réel : car bien que nous ne le voyons pas comme saint Étienne le vit dans son Martyre, cependant il a les yeux attachés sur nous, comme il les avoit sur lui, et nous pouvons lui dire quelque chose de semblable à ce que l’Épouse des Cantiques dit de son Époux : il est là, le voilà lui-même, il m’est caché, et je ne puis le voir ; mais il me voit et il me regarde.

La quatrième manière consiste à s’imaginer que Jésus-Christ est dans le même lieu où nous sommes, comme si nous le voyions devant nous, et à peu près comme nous avons coutume de nous représenter nos amis, et de dire : je m’imagine de voir un tel qui fait ceci et cela ; il me semble que je le vois, que je l’entends. Mais, Philothée, si vous étiez devant le très-saint Sacrement de l’Autel, cette présence de Jésus-Christ dans l’Église avec vous seroit très-réelle, et non pas seulement imaginaire : car les espèces ou les apparences du pain sont comme un voile qui le cache à nos yeux ; véritablement il nous voit et nous considère, quoique nous ne le voyons pas en sa propre forme. Vous vous servirez donc de l’une de ces quatre pratiques pour vous mettre en la présence de Dieu, et non pas de toutes les quatre ensemble, et cela même se doit faire brièvement et simplement.


CHAPITRE III.

De l’Invocation.
Second point de la préparation.


L’INVOCATION se fait en cette manière : votre âme se sentant bien présente à Dieu, doit se laisser pénétrer d’une grande vénération, et se juger absolument indigne de sa présence. Et néanmoins, sachant que Dieu le veut ainsi, demandez-lui la grâce de le glorifier en cette méditation. Si vous le voulez, vous pouvez user de quelques paroles courtes et enflammées comme celles-ci, qui sont du Prophète Royal : Ne me rejetez point, ô mon Dieu ! de devant votre face, et ne m’ôtez pas votre Saint-Esprit : répandez la lumière de vos yeux sur cette âme dévouée à votre service, et je considérerai vos merveilles : donnez-moi à comprendre votre loi, et je l’observerai de tout mon cœur. Il est encore fort utile d’invoquer votre saint Ange Gardien, et les saintes personnes qui auront eu quelque part au mystère que vous méditerez : comme dans la méditation de la mort de Notre-Seigneur, ta sainte Vierge, saint Jean, sainte Magdeleine et les autres Saints ou Saintes, les priant de vous communiquer les sentimens qu’ils y eurent ; ou bien dans la méditation de votre propre mort, votre saint Ange Gardien qui y sera présent : il faut observer cela dans tous les autres mystères ou sujets d’oraison.


CHAPITRE IV.

DE LA PROPOSITION DU MYSTÈRE.
Troisième point de la préparation.


IL y a encore un troisième prélude de l’oraison mentale, qui n’est pas commun à toutes les méditations, et qu’on appelle la composition du lieu. Cela consiste dans un certain exercice de l’imagination, par lequel l’on se représente le mystère ou le fait que l’on veut méditer, comme si les choses se passoient réellement à nos yeux. Par exemple, si vous voulez méditer la mort de Jésus crucifié sur le Calvaire, vous vous formerez une idée de toutes ces circonstances, telles que les Évangélistes nous les ont marquées par rapport au lieu, aux personnes, aux actions et aux paroles ; et je vous dis la même chose de tous les autres sujets qui tombent sous les sens, comme la mort et l’enfer, ainsi que vous l’avez vu : mais cette pratique ne convient pas aux autres méditations dont les sujets n’ont rien de sensible, tels que sont la grandeur de Dieu, l’excellence des vertus, la fin de notre création. Il est vrai que l’on pourroit bien y employer quelque similitude ou comparaison, comme nous le voyons dans les belles paraboles du Fils de Dieu ; mais cela n’est pas sans difficulté, et je ne veux traiter avec vous que fort simplement, et sans fatiguer votre esprit de la recherche de semblables idées. Or, l’utilité de cet exercice de l’imagination, est que nous renfermions notre esprit dans l’étendue du sujet que nous méditons, de peur qu’étant aussi volage qu’il l’est, il ne nous échappe pour se répandre sur d’autres sujets ; et je vous le dirai tout bonnement, c’est lui faire ce que l’on fait à un oiseau que l’on renferme dans une cage, ou à un épervier que l’on attache à ses longes, afin qu’il demeure sur le poing.

Quelques-uns vous diront qu’il vaut mieux dans la représentation des Mystères, user de la simple pensée de la foi et de la simple vue de l’esprit, ou bien les considérer comme s’ils se passoient dans votre esprit ; mais cela est trop subtil pour un commençant ; et à l’égard de tout ce qui est d’une plus grande perfection, je vous conseille, Philothée, de vous tenir au pied de la montagne avec beaucoup d’humilité, jusqu’à ce que Dieu vous élève plus haut.


CHAPITRE V.

Des Considérations.
Seconde partie de la Méditation.


CET exercice de l’imagination doit être suivi de celui de l’entendement que nous appelons méditation, et qui n’est autre chose que l’application aux considérations capables d’élever notre volonté à Dieu, et de nous affectionner aux choses saintes et divines : et c’est en cela que la méditation est fort différente de l’étude ; car la fin de l’étude est la science ; mais la fin de la méditation est l’amour de Dieu et la pratique de la vertu. Après avoir donc renfermé, comme je vous l’ai dit, votre esprit dans l’étendue du sujet que vous voulez méditer, appliquez votre entendement aux considérations qui en sont comme la substance et l’exposition : et si votre esprit trouve assez de goût, de lumière et d’utilité dans une seule de ces considérations, il faut l’y arrêter, imitant les abeilles qui ne quittent point la fleur à laquelle elles se sont attachées, tant qu’elles y trouvent du miel à recueillir. Mais si votre esprit a de la peine à y entrer, et que votre cœur n’y sente pas d’attrait ; après avoir un peu de temps essayé votre cœur et votre esprit, passez à une autre considération, cependant sans aucune curiosité et sans précipitation.


CHAPITRE VI.

des Affections et des Résolutions.
Troisième partie de la Méditation.


C’EST par cette vive attention de l’esprit, que la méditation excite en notre volonté tant de bons et saints mouvemens ; tels que sont l’amour de Dieu et du prochain, le désir de la gloire céleste, le zèle du salut des âmes, l’ardeur à imiter la vie de Jésus-Christ, la compassion, l’admiration, la joie, la crainte de déplaire à Dieu, la haine du péché, la crainte du jugement et de l’enfer, la confusion de nos péchés, l’amour de la pénitence, la confiance en la miséricorde de Dieu, et les autres affections dans lesquelles l’âme doit s’exercer et s’épancher le plus qu’elle pourra. Si vous voulez vous aider de quelques livres pour vous en instruire mieux, prenez le premier tome des Méditations de D. André Capiglia, et lisez-en la préface ; car il y enseigne l’art de s’exercer en cette pratique ; le Père Arias le fait encore d’une manière plus étendue dans son Traité de l’Oraison.

Il ne faut pas pourtant, Philothée, s’arrêter si fort à ces affections générales, que vous n’en formiez des résolutions spéciales et bien particularisées sur le règlement de vos mœurs. Ainsi la première parole de Notre-Seigneur sur la croix produira en votre âme le désir de l’imiter sur le pardon et l’amour des ennemis ; cela est peu de chose, si vous ne formez votre résolution en cette manière. Eh bien ! je ne m’offenserai plus de telles et telles paroles fâcheuses de la part d’un tel ou d’une telle, ni de tel et tel mépris, que celui-ci ou celui-là fait de moi ; au contraire, je dirai et ferai telle ou telle chose pour adoucir l’esprit de l’un, et pour gagner le coeur de l’autre. Voilà, Philothée, le vrai moyen de vous corriger promptement de vos fautes ; au lieu que vous n’y réussirez, avec ces affections générales, que difficilement, fort tard, et peut-être jamais.


CHAPITRE VII.

De la Conclusion, et du Bouquet spirituel.


ENFIN, l’on doit terminer la méditation par trois actes qui demandent beaucoup d’humilité. Le premier est de remercier Dieu de la connoissance qu’il nous a donnée de sa miséricorde, ou d’une autre de ses perfections, et de toutes les saintes affections et résolutions que sa grâce a opérées en nous.

Le second est d’offrir à sa divine Majesté toute la gloire qui peut lui revenir de sa miséricorde, ou d’une autre de ses perfections, lui présentant encore toutes nos affections et résolutions en union des vertus de Jésus-Christ son Fils et des mérites de sa mort.

Le troisième doit être une humble prière, par laquelle nous demandons à Dieu la grâce de participer aux mérites de son Fils, l’esprit de ses vertus, et principalement la fidélité à nos résolutions, dont nous devons reconnoitre que l’exécution dépend de sa sainte bénédiction. Priez en même-temps pour l’Église, pour vos pasteurs, vos parens, amis et autres personnes, par l’intercession de Notre-Dame, des Anges et des Saints : et finissez par dire le Pater et l’Ave, qui sont les prières communes et nécessaires à tous les Fidèles.

Au reste, vous savez ce que je vous ai dit du Bouquet spirituel de la méditation, et voici, encore une fois, ce que j’en pense. Ceux qui se sont promenés le matin dans un beau jardin, n’en sortent pas bien satisfaits, s’ils n’en prennent quelques fleurs pour avoir le plaisir de les sentir le reste du jour. C’est ainsi qu’il faut recueillir le fruit de votre méditation, en vous formant une idée de deux ou trois choses qui vous auront plus frappé l’esprit et plus touché le cœur, pour les repasser de temps en temps dans le cours de la journée, et pour vous soutenir dans vos bons propos. C’est ce que l’on fait au lieu même où l’on a médité, en se promenant un peu de temps, ou autrement avec une douce attention.


CHAPITRE VIII.

Avis très-utiles sur la pratique de la Méditation.


IL faut, Philothée, que durant le jour vous teniez vos bonnes résolutions si présentes à votre esprit et à votre cœur, que vous ne manquiez pas de les pratiquer dans l’occasion ; car c’est là le fruit de l’oraison mentale, et sans cela, non-seulement elle ne sert de rien, mais souvent elle nuit beaucoup. Il est vrai, la fréquente méditation des vertus, sans la pratique, nous enfle l’esprit et le cœur, et nous fait croire insensiblement que nous sommes tels que nous avons résolu d’être. Certainement cela seroit ainsi si nos résolutions avoient de la force et de la solidité ; mais, parce qu’elles en manquent, elles sont toujours vaines ; et parce qu’elles sont sans effet, elles sont toujours dangereuses. Il faut donc tâcher par toutes sortes de moyens de les mettre en pratique ; l’on doit même en chercher les occasions, et les petites aussi-bien que les grandes : par exemple, si j’ai résolu de gagner, par douceur, l’esprit des personnes qui m’offensent, je les chercherai ce jour-là pour les saluer d’un certain air d’estime et d’amitié ; et si je ne puis pas les rencontrer, du moins j’en parlerai avantageusement, et je prierai Dieu pour elles.

Mais, en sortant de l’oraison, prenez garde de ne donner à votre cœur aucune agitation violente ; car, en s’épanchant dans ce mouvement, il perdroit ce baume céleste qu’il a reçu dans la méditation : je veux dire qu’il faut un peu demeurer dans le silence si vous le pouvez, et retenant l’idée et le goût de vos bonnes affections, faire passer doucement votre cœur de l’oraison aux affaires. Imaginez-vous un homme qui a reçu dans un beau vase de porcelaine quelque liqueur de grand prix pour l’emporter chez lui ; voyez-le marcher pas à pas sans regarder derrière soi ni à côté ; mais toujours devant soi, de peur de faire un faux pas ou de heurter à quelque pierre, et il s’arrête même quelquefois pour voir si le mouvement de ce vase ne lui fait rien perdre de sa précieuse liqueur. Conduisez-vous de la sorte après votre méditation ; ne vous laissez pas distraire et dissiper tout d’un coup, mais regardez avec une simple et tranquille attention le chemin que vous avez à tenir : s’il se présente une personne à qui vous deviez parler, c’est une nécessité, et il faut s’y accommoder ; mais ayez de l’attention sur votre cœur, de peur qu’il ne perde la précieuse suavité dont le Saint-Esprit l’a rempli dans l’oraison.

Il faut même vous accoutumer à passer de l’oraison à toutes les actions que votre profession exige de vous, bien qu’elles vous paroissent fort éloignées des sentimens et des résolutions de votre méditation. Ainsi, un Avocat doit savoir passer de la méditation au barreau, un Marchand au trafic, une Femme au soin de son domestique, avec tant de douceur et de tranquillité, que l’esprit n’en souffre aucun trouble ; car puisque l’un et l’autre sont également de la volonté de Dieu, il faut passer de l’un à l’autre avec une entière égalité de dévotion et de soumission à la volonté de Dieu.

Il arrivera quelquefois, qu’après avoir fait la préparation de votre méditation, votre âme sentira une douce émotion, qui la transportera tout d’un coup en Dieu. Alors, Philothée, laissez toute cette méthode que je vous ai donnée ; car bien que l’exercice de l’entendement doive précéder celui de la volonté, cependant si le Saint-Esprit opère en vous, par ses impressions sur votre volonté, ces saintes affections que les considérations de la méditation y doivent exciter, n’allez plus chercher dans votre esprit ce que vous avez déjà dans le cœur. Enfin, c’est une règle générale qu’il faut toujours ouvrir le cœur aux affections qui y naissent, bien loin de les réprimer ou de les y retenir captives en quelque temps que ce soit, soit avant les considérations, soit après. Vous devez encore suivre cette règle pour tous les actes de Religion qui entrent dans la méditation, comme l’action de grâces, l’oblation de soi-même, et la prière ; pourvu que vous leur conserviez toujours leur place naturelle dans la conclusion de la méditation. À l’égard des résolutions, qui sont les déterminations des affections, l’ordre naturel est de ne les faire qu’ensuite des affections et sur la fin de la méditation, parce qu’ayant à nous y représenter plusieurs objets particuliers et familiers, leur idée pourroit ouvrir l’esprit aux distractions, si elles étoient mêlées avec les affections.

Enfin, il est bon d’user de quelque colloques dans cet exercice de la volonté, adressant la parole tantôt à Notre-Seigneur, tantôt aux Anges, aux Saints, surtout à ceux qui ont eu part au mystère que l’on médite ; à soi-même, à son propre cœur, aux pécheurs, même aux créatures insensibles, comme l’on voit que David fait dans ses psaumes, et d’autres Saints en leurs méditations et en leurs prières.


CHAPITRE IX.

Des sécheresses de l’esprit dans la méditation.


SI vous ne trouvez pas de goût à la méditation, et que vous n’en sentiez pas votre âme consolée, ne vous troublez pas, Philothée, je vous en conjure, et lâchez de vous bien servir des observations suivantes. Faites quelques-unes de ces prières vocales, qui sont les plus douces à votre cour ; plaignez-vous amoureusement à Jésus-Christ : appelez-le à votre secours : baisez respectueusement son image, si vous l’avez ; confessez votre indignité ; dites lui comme Jacob : Quoiqu’il en soit, Seigneur, je ne vous quitterai point que vous ne m’ayez donné votre bénédiction ; ou bien, comme la Cananée : Oui, Seigneur, je suis une chienne ; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maitre.

Prenez quelquefois un livre, et le lisez dévotement jusqu’à ce que vous ayez donné plus d’attention, et une meilleure situation à votre esprit ; excitez votre cœur le plus vivement que vous pourrez, par quelque acte extérieur de dévotion, vous prosternant en terre, croisant les mains sur la poitrine, tenant entre vos bras un Crucifix, je suppose que vous n’êtes en présence de personne. Si après cela vous vous trouvez dans une égale sécheresse, ne vous en troublez pas encore : mais continuez à vous tenir en la présence de Dieu avec beaucoup de respect. Vous le savez, combien y a-t-il de courtisans qui vont cent fois l’année à la Cour, sans aucune espérance de parler au Prince, mais seulement pour être vus de lui, pour lui rendre leurs devoirs, et comme nous disons, pour faire leur cour. Allons ainsi, Philothée, à la sainte Oraison, avec une simple et fidèle vue de notre devoir. S’il plait à la divine Majesté de nous y parler par ses inspirations, et de nous y donner en même-temps de quoi lui parler, ce nous sera assurément un grand honneur et un délicieux plaisir ; mais s’il ne daigne pas nous faire cette grâce, et qu’il nous laisse là sans nous parler, non plus que s’il ne nous voyoit pas, ou que nous ne fussions pas en sa présence, nous ne devons pas pourtant en sortir ; au contraire, nous devons y demeurer avec attache, avec un grand respect, et dans une douce tranquillité d’esprit. Alors notre patience et notre persévérance nous feront trouver grâce devant ses yeux, tôt ou tard ; et quand nous reviendrons la première fois devant lui, il nous recevra avec un regard favorable, il entrera dans le saint commerce de la méditation avec nous, et nous y sera goûter, par ses consolations, toute la suavité de son esprit ; mais quand cela nous manqueroit encore, contentons-nous Philothée, de l’honneur que nous avons d’être auprès de lui, et présens aux yeux de son adorable Majesté.


CHAPITRE X.

De l’Exercice du Matin.


OUTRE l’Oraison mentale, et la Prière vocale, il y a d’autres temps et d’autres manières de prier : le premier exercice de tous, est celui du matin, qui doit servir d’une préparation générale à toute la conduite de la journée : voici la méthode de la bien faire.

1. Adorez Dieu avec une profonde vénération, remerciez-le de vous avoir conservé durant la nuit ; et si votre conscience yous reproche quelque chose depuis votre examen du soir, demandez-lui en pardon.

2. Considérez que le jour présent vous est donné pour mériter l’éternité bienheureuse, et faites un ferme propos de l’employer tout entier à cette intention…

3. Prévoyez les affaires dont votre prudence doit s’occuper pendant ce jour-là, les occasions que vous y aurez de glorifier Dieu, et les tentations que la colère ou la vanité, ou quelqu’autre passion pourroit vous y faire naître. Après cette inspection, préparez-vous par une sainte résolution à bien profiter de tous les moyens que vous aurez de servir Dieu, et d’avancer votre perfection ; au contraire, armez-vous de toute la fermeté de votre esprit, pour éviter ou pour combattre et vaincre tout ce qui vous y fera quelque obstacle ; mais cette simple résolution ne suffit pas, il faut la soutenir par la préparation des moyens que vous pouvez avoir de l’exécuter. Par exemple, si je prévois que je doive traiter de quelque affaire avec une personne que la colère enflamme aisément, non-seulement je me précautionnerai du mieux que je pourrai pour ne pas l’offenser ; mais afin de prévenir son humeur, je préparerai les manières de parler les plus douces et les plus honnêtes, ou bien, pour le contenir, j’engagerai quelques personnes à s’y trouver avec moi. Si je prévois que j’aie à visiter quelques malades : j’en disposerai l’heure, toutes les circonstances : les manières les plus utiles de les consoler, et les secours que je pourrai leur donner.

4. Reconnoissez devant Dieu, avec humilité, l’impuissance où vous êtes de ne rien faire de tout cela, soit pour pratiquer le bien, soit pour éviter le mal ; et comme si vous teniez votre cœur en vos mains, offrez-le avec toutes vos bonnes résolutions à sa divine Majesté, la suppliant de le prendre en sa protection, et de le fortifier dans son service. Dites-lui : Ô Seigneur, voilà ce pauvre et misérable cœur, à qui votre bonté a fait prendre aujourd’hui tant de bonnes résolutions ; mais hélas ! il est trop foible et trop inconstant pour faire le bien qu’il désire, à moins que vous ne lui donniez votre sainte bénédiction ; c’est à cette intention que je vous la demande, ô Père des miséricordes, par les mérites de la Passion de votre Fils, à la gloire duquel je consacre cette journée et le reste de ma vie. Ajoutez à cette courte prière l’invocation de la sainte Vierge, de votre bon Ange et des Saints, afin qu’ils vous aident de toute leur protection : au reste, cet exercice que vous devez faire le matin, ayant de sortir de la chambre, si cela se peut, doit être vif et ardent, afin que la bénédiction de Dieu, que vous y aurez obtenue, se répande sur toute la journée ; mais je vous prie, Philothée, de ne l’omettre jamais.


CHAPITRE XI.

De l’Exercice du soir, et de l’examen de conscience.


COMME vous aurez nourri votre âme le matin du pain céleste de la méditation, avant votre diné, il faudra prendre encore un peu de cette nourriture spirituelle avant votre soupé. Ménagez-vous donc quelque petit temps avant le repas du soir, et alors prosternez-vous devant Dieu au pied de votre Crucifix, en rappelant votre esprit de la dissipation où vous avez été ; rallumez en votre cœur le feu de la méditation du matin, par de profondes humiliations, par des inspirations du divin amour, par des élancemens amoureux de votre âme dans les plaies de votre aimable Sauveur : ou bien repassez en votre esprit et au fond de votre cœur tout ce que vous avez le plus goûté dans votre oraison, à moins que vous n’aimiez mieux vous occuper d’un nouveau sujet.

Pour ce qui est de l’examen de conscience, que l’on doit faire avant de se coucher, chacun en sait la pratique.

1. Nous devons remercier Dieu de nous avoir conservés durant le jour.

2. On examine toute sa conduite, d’action en action, et par rapport à leurs circonstances,

3. Si l’on trouve que l’on ait fait quelque bien, on en rend grâces à Dieu ; si au contraire on l’a offensé, ou en pensées, ou en paroles, ou en œuvres, on lui en demande pardon par un acte de contrition, qui doit renfermer la douleur des péchés, le bon propos de s’en corriger, et la volonté de s’en confesser à la première occasion.

4. Après cela on recommande à la divine Providence, son corps, son âme, l’Église, ses parens et ses amis, et l’on invoque la sainte Vierge, les Saints, et son Ange gardien, les priant de veiller sur nous ; et puis, avec la bénédiction de Dieu, l’on se met en état de prendre le repos qu’il a voulu nous rendre nécessaire.

L’on ne doit jamais omettre cet exercice du soir, non plus que celui du matin ; et il faut penser que, comme par celui du matin l’on ouvre les yeux à la lumière du Ciel, ainsi par celui du soir on les ferme aux ténèbre de l’Enfer.


CHAPITRE XII.

De la Retraite du Cœur.


C’EST ici, Philothée, que je vous souhaite plus de docilité à suivre mes conseils ; car c’est l’article dont je crois que votre avancement spirituel dépend davantage.

Rappelez-vous le plus souvant que vous pourrez, durant le jour, à la présence de Dieu, vous servant de l’une des quatre pratiques que je vous ai données ; considérez ce que Dieu fait, et ce que vous faites : vous verrez qu’il a toujours les yeux attachés sur vous, avec un amour incroyable. O mon Dieu, direz-vous, pourquoi est-ce que je n’ai pas toujours les yeux attachés à vous contempler, comme vous les avez toujours à me regarder avec bonté ? Pourquoi pensez-vous tant à moi, mon Seigneur ? et pourquoi est-ce que je pense si peu et si rarement à vous ? Où sommes-nous ? ô mon âme, notre place naturelle est d’être en Dieu, et où est-ce que nous nous trouvons ? Les oiseaux ont leur nids pour s’y retirer au besoin, les cerfs ont leurs forêts et leurs buissons pour s’y mettre à couvert de la persécution des chasseurs et des ardeurs du soleil ; notre cœur doit aussi choisir tous les jours quelque place, ou sur le mont du Calvaire, ou dans les plaies de Jésus-Christ, ou en quelqu’autre endroit auprès de lui, pour s’y retirer de temps en temps, pour s’y délasser du tumulte et de la chaleur des affaires extérieures, et pour s’y défendre des insultes de notre ennemi. Oui, bienheureuse sera l’âme qui pourra dire avec vérité à Notre-Seigneur : vous êtes ma maison de refuge, vous êtes mon rempart contre mes ennemis ; je respire un air bien doux à l’ombre de vos ailes, et j’y suis à couvert des injures du temps.

Souvenez-vous donc, Philothée, de vous retirer souvent en la solitude de votre cœur, pendant que les affaires et les conversations l’occupent extérieurement, de sorte qu’il demeure seul en la présence de Dieu seul. Tout ce qui vous environne ne peut vous fermer l’entrée de cette solitude, puisque tout cela n’est qu’au dehors de vous-même : aussi étoit-ce l’exercice ordinaire de David, au milieu de toutes ses grandes occupations ; et nous en voyons mille exemples dans ses Psaumes, comme lorsqu’il dit : O Seigneur, je suis toujours avec vous ! je vous vois toujours devant moi, mon Dieu ; j’ai levé les yeux vers vous, o mon Dieu, qui habitez dans le Ciel : mes yeux se portent toujours vers Dieu.

En effet, nos conversations ne sont pas ordinairement si sérieuses, ni nos affaires toujours si appliquantes, que notre âme ne puisse leur dérober un peu d’attention, pour se retirer dans sa chère solitude.

Le père et la mère de sainte Catherine de Sienne ne lui ayant laissé ni aucun temps, ni aucun lieu pour prier et pour méditer, Notre-Seigneur lui inspira la pensée de se faire un petit oratoire au fond de son cœur, où elle pût se retirer en esprit, parmi tous les soins pénibles dont ses parens l’accabloient. Elle en usa ainsi, et elle ne ressentoit aucune atteinte de toutes les peines que le monde lui faisoit, par cette raison, disoit-elle, qu’elle se renfermoit dans son cabinet intérieur, où elle se consoloit avec son céleste époux : ce fut là sa pratique ordinaire, et dès ce temps-là même elle la conseilla aux autres.

Rappelez-vous donc quelquefois à la solitude intérieure de votre cour ; et là, dans un grand dégagement de toutes les créatures, traitez des affaires de votre salut et de votre perfection avec Dieu, comme un ami traite avec un ami, cœur à cœur. Dites-lui, comme David : j’ai veillé, et j’ai été semblable au pélican de la solitude ; j’ai été comme le hibou dans les masures, et comme le passereau solitaire sur le toit de la maison. Ces paroles, prises dans le sens littéral, nous apprennent que ce grand Roi ayant rendu son cœur bien solitaire, passoit quelques heures du jour dans la contemplation des choses spirituelles ; mais si nous les prenons dans le sens mystique, elles nous découvrent trois charmantes solitudes, où nous pouvons nous retirer auprès de notre aimable Jésus. Cette comparaison du hibou caché dans une masure, nous marque l’état humiliant du Sauveur couché sur la paille, dans une crèche, au milieu d’un étable, caché et inconnu à tout le monde dont il pleuroit les péchés. La comparaison du pélican, qui se tire le sang des veines pour nourrir ses petits, ou même, dit-on, pour leur rendre la vie, nous marque l’état du Sauveur sur le Calvairc, où son amour lui a fait répandre son sang pour notre salut. La troisième comparaison nous marque l’état du Sauveur dans sa glorieuse Ascension ; lorsque tout petit et tout méprisable qu’il avoit paru au monde, il s’éleva de la terre au ciel d’une manière si admirable. Retirons-nous souvent auprès de Jésus-Christ dans ces trois états.

Le bienheureux Elzéar, comte d’Arian en Provence, étant depuis long-temps absent, son épouse, la dévote et chaste Delphine, lui envoya un courrier exprès, pour savoir l’état de sa santé ; il lui fit cette réponse : je me porte bien, ma chère femme, et si vous voulez me voir, cherchez-moi dans la plaie du côté de notre doux Jésus ; car c’est là où je demeure, et où vous me trouverez : me chercher ailleurs, c’est me chercher inutilement. En vérité, c’étoit là un Chevalier bien chrétien.


CHAPITRE XIII.

Des Aspirations ou Oraisons jaculatoires, et des bonnes Pensées.


On se retire en Dieu, parce qu’on aspire à lui, et on y aspire pour s’y retirer ; ainsi la retraite spirituelle du cœur, et l’aspiration vers Dieu sont faites l’une pour l’autre, et toutes deux tirent leur origine des bonnes pensées.

Élevez donc souvent votre esprit et votre cœur à Dieu, Philothée, par des élancemens vifs et courts de votre âme en lui. Admirez l’infinie excellence de ses perfections ; implorez le secours de sa puissance ; adorez sa divine Majesté ; offrez-lui votre âme mille fois le jour ; louez son infinie bonté ; jetez-vous en esprit aux pieds de Jésus crucifié ; interrogez-le souvent sur tout ce qui regarde votre salut ; goûtez intérieurement la douceur de son esprit ; tenez-lui la main, comme un petit enfant à son père, en le priant de vous conduire ; mettez sa croix sur votre poitrine comme un bouquet délicieux : placez-la dans votre cœur comme un étendard, sous lequel vous devez combattre vos ennemis ; en un mot, tournez votre pauvre cœur en toutes sortes de sens, et donnez-lui tous les mouvemens que vous pourrez, pour l’exciter à une tendre et vive dilection de votre divin Époux.

C’est là la pratique des Oraisons jaculatoires, que saint Augustin conseilloit si fortement à la dévote dame Proba ; et si nous faisons notre âme à traiter ainsi familièrement avec Dieu, elle prendra toutes les impressions de ses divines perfections. Mais remarquez bien que cet exercice n’est ni difficile, ni incompatible avec vos occupations ; car il n’y faut que des momens d’attention, et même bien loin qu’il détourne ou diminue l’application de l’esprit aux affaires, il la rend et plus efficace et plus douce. Le voyageur qui prend un peu de vin pour se rafraîchir la bouche et pour se réjouir le cœur, ne perd pas son temps, parce qu’il prend de nouvelles forces, et qu’il ne s’arrête que pour marcher plus vite et faire plus de chemin.

L’on a fait pour cet usage plusieurs recueils d’Oraisons jaculatoires, et je les crois tous fort utiles ; cependant je ne vous conseille pas de vous y assujétir : contentez-vous de dire de cœur ou de bouche ce que l’amour vous inspirera sur-le-champ, et il vous suggérera tout ce que vous pourrez souhaiter. Il est vrai qu’il y a de certaines paroles pour lesquelles le cœur a un attrait tout particulier, comme celles des Psaumes qui ont tant de feu, ou bien les diverses invocations du saint Nom de Jésus, ou bien ces traits enflammés de l’amour divin, que nous avons dans le Cantique des Cantiques : j’avoue même que les Cantiques spirituels peuvent encore servir à cette intention pourvu qu’on les chante avec une attention sérieuse.

Appliquez ici l’exemple des personnes qui s’aiment d’un amour humain et naturel : tout en eux est occupé de cet amour, l’esprit, la mémoire, le cœur et la langue ; que de pensées, que de souvenirs, que de réflexions, que de transports, que de louanges, que de protestations, que l’entretiens et de lettres ! l’on veut toujours y penser, et toujours en parler, ou en écrire quelque chose, même sur l’écorce des arbres que l’on trouve : c’est ainsi que ceux qui sont bien pénétrés de l’amour de Dieu ne respirent que pour lui, et n’aspirent qu’au plaisir de l’aimer, ne se lassent jamais de penser à lui, et d’en parler ; et voudroient, s’ils étoient les maîtres des cœurs de tous les hommes, y graver le saint et sacré nom de Jésus. Ainsi n’y a-t-il rien hors d’eux qui ne leur fournisse quelque attrait du divin : amour, et qui ne leur annonce les louanges de leur bien-aimé : oui, dit saint Augustin, après saint Antoine, tout ce qui est dans le monde leur en parle, à la vérité, d’un langage muet, mais fort intelligible à leur esprit et leur cœur forme de ces paroles et de ces pensées les aspirations amoureuses et les douces saillies qui les élèvent à Dieu : en voici quelques exemples.

Saint Grégoire, évêque de Nazianze, se promenant un jour sur le rivage de la mer, comme il le raconta à son peuple, considéra fort à loisir toutes sortes de coquillages que les vagues y laissoient, et que d’autres flots ramenoient avec eux alternativement ; et en même-temps il admira aux environs la stabilité des rochers, contre lesquels la mer venoit battre impétueusement. A cette vue, il pensa que c’étoit là justement le caractère des âmes foibles et superficielles qui se laissent emporter, tantôt à la joie, et tantôt à la tristesse, cédant indifféremment aux mouvemens des événemens divers de la vie ; et le caractère des âmes généreuses et constantes, que rien n’est capable d’ébranler. Et puis son cœur profitant de cette pensée, s’éleva à Dieu, et lui fit dire comme au Prophète Royal : O Seigneur, sauvez-moi ; car les eaux ont pénétré jusqu’à mon âme : 0 Seigneur, délivrez-moi de cet abîme ; la tempéte m’a précipité au fond de la mer. Mais remarquez que cette réflexion et ce sentiment convenoient bien à la situation de son âme, parce qu’il souffroit avec douleur l’usurpation que Maxime vouloit faire de son Évêché.

Saint Fulgence, Évêque de Ruspe, s’étant trouvé dans Rome à un triomphe de Théodoric, Roi des Goths, qui présida lui-même à une assemblée générale de toute la Noblesse Romaine, fut charmé d’un spectacle si magnifique, et s’écria en s’élevant à Dieu : Hélas ! si Rome, toute terrestre qu’elle est, paroit si riche et si brillante, que la Jérusalem céleste doit être belle ! Et si le maitre des biens a laissé tant de gloire aux amateurs de la vanité, que n’a-t-il pas réservé aux contemplateurs éternels de la vérité ?

On dit que saint Anselme, dont la naissance a beaucoup honoré nos montagnes, et qui fut Archevêque de Cantorbéri, savoit admirablement bien l’art de spiritualiser les pensées les plus communes. Étant en voyage, un lièvre, poursuivi par des chasseurs, vint se réfugier sous son cheval, et les chiens faisant un grand bruit tout autour n’osèrent jamais violer l’immunité de l’asile : un spectacle si nouveau pour les chasseurs, les fit bien rire ; mais le saint Prélat, touché intérieurement de l’esprit de Dieu, leur dit en gémissant et en pleurant : Ah ! vous riez, mais la pauvre bête n’a pas envie de rire. Pensez bien quel malheur c’est, que celui d’une âme que les démons ont conduite de détours en détours et de péchés en péchés, jusqu’à l’heure de la mort : alors, terriblement effrayée, elle cherche un asile, et si elle n’en trouve pas, ses ennemis lui insultent, et elle devient leur proie éternelle.

Saint Antoine ayant reçu une lettre fort honorable de Constantin le Grand, et les Religieux qui étoient autour de lui en ayant paru surpris : Quoi ! leur dit-il, vous vous étonnez qu’un Roi écrive à un homme ? admirez-donc l’infinie bonté de Dieu éternel pour des hommes mortels, d’avoir bien voulu leur écrire lui-même sa Loi, et leur parler encore par la bouche de son propre Fils.

Saint François ayant aperçu une brebis toute seule dans un troupeau de boucs et de chèvres, dit à son compagnon : Voyez qu’elle est douce ! voilà quelle étoit la douceur de l’humble Jésus au milieu des Scribes et des Pharisiens. Et une autre fois, voyant un petit agneau mangé par un pourceau, il dit en pleurant : Ah ! que cela me représente bien la mort de mon Sauveur !

Cet homme illustre de notre temps, François de Borgia, Duc de Candie, tournoit ainsi toutes les idées de la chasse en pieuses réflexions : J’admirois, disoit-il, après sa retraite de la Cour, la docilité des faucons qui reviennent sur le poing, et qui se laissent couvrir les yeux et attacher à la perche ; et je m’étonne de l’indocilité aveugle des hommes, qui sont toujours rebelles à la voie de Dieu.

Saint Basile dit que la rose environnée de ses épines, fait cette belle instruction aux hommes : Ce qui est de plus agréable en ce monde, ô hommes mortels, y est mêlé de tristesse ; vous n’y avez pas de biens purs, et partout, universellement, quelque mal est attaché au bien ; le repentir au plaisir, la viduité au mariage, le travail et le soin à la fertilité, la crainte de la chute à l’élévation de la gloire, et le chagrin de la dépense aux honneurs, le dégoût aux délices, et la maladie à la santé. Il est vrai, ajoute ce saint Père, c’est une charmante fleur que la rose : mais au moment que sa vue me réjouit, elle m’afflige en me faisant ressouvenir du péché, pour lequel la terre a été condamnée à porter des épines.

Une personne dévote regardant avec plaisir un ruisseau éclairé de la Lune, et y ayant aperçu tout le Ciel dépeint avec les étoiles comme dans un miroir, fit éclater son cœur en ce sentiment de joie : O mon Dieu ! toutes ces étoiles seront très-réellement sous mes pieds, quand vous m’aurez reçu dans vos saints tabernacles.

Et comme les étoiles du Ciel sont ici représentées sur la terre, les hommes de la terre seront représentés en Dieu, qui est la vive source de la divine charité. Une autre dit, en considérant le cours rapide d’une rivière vers la mer : mon âme sera toujours ainsi dans le mouvement, et n’aura jamais de repos, qu’elles ne soit abîmée dans la Divinité d’où elle a tiré son origine.

Sainte Françoise considérant un agréable ruisseau, sur le bord duquel elle s’étoit mise à genoux pour faire sa prière, fut ravie en extase, et prononça plusieurs fois ces paroles : c’est ainsi qu’avec beaucoup de suavité la grâce de mon Dieu coule doucement en mon cœur.

Une personne, que je ne vous nomme point, admirant dans un jardin tous les arbres en fleurs, s’écria : Ah ! faut-il que je sois la seule qui ne porte point de fleurs dans le délicieux jardin de l’Église ? Une autre voyant de petits poussins ramassés sous leur mère, dit : O Seigneur ! conservez-nous sous l’ombre de vos ailes, Une autre dit en regardant un tournesol : Quand sera-ce, ô mon Dieu, que mon âme suivra les attraits de votre bonté ? Et regardant ces petites fleurs qu’on appelle pensées, assez belles-à la vue, mais sans odeur : Hélas ! dit-elle, telles sont mes pensées : belles à dire, et bonnes à rien. Voilà, Philothée, la méthode de tourner en bonnes pensées et en saintes aspirations toutes les idées qui se présentent à nous parmi la grande variété des objets de cette vie mortelle. Malheureux ceux qui par leurs péchés donnent aux créatures un usage contraire à l’intention de leur Créateur ! Bienheureux ceux qui cherchent dans les créatures la gloire du Créateur, et qui font servir ce qu’elles ont de vanité à glorifier la vérité ! Pour moi, dit saint Grégoire de Nazianze, je suis accoutumé à rapporter toutes choses au profit spirituel de mon âme. Je vous conseille encore de lire l’épitaphe de site Paule, composée par s. Jérôme : vous prendrez plaisir à y remarquer toutes les aspirations dont l’usage lui étoit si familier en toutes sortes de rencontres.

Mais observez bien que la grande pratique de la dévotion consiste en cet exercice de la Retraite spirituelle du cœur, et des Oraisons jaculatoires : il est d’une si merveilleuse utilité, qu’il peut suppléer au défaut de toutes les manières de prier ; et qu’au contraire si on les néglige, l’on ne peut presque pas trouver un bon moyen d’en réparer la perte : sans cet exercice, l’on n’est pas capable des devoirs de la vie contemplative, et l’on ne peut que s’acquitter fort mal de ceux de la vie active ; le repos ne seroit qu’oisiveté, et l’action ne seroit qu’un embarras et une dissipation ; c’est pourquoi je vous conjure d’entrer dans cette pratique de tout votre cœur, et de ne la quitter jamais.


CHAPITRE XIV.

De la très-sainte Messe, et de la manière de la bien entendre.


1. JE ne vous ai point encore parlé du très-saint Sacrifice et Sacrement de l’Autel, qui est entre les exercices de la Religion, ce que le Soleil est entre les astres ; car il est véritablement l’âme de la piété, et le centre de la Religion chrétienne, auquel tous ses mystères et toutes ses lois se rapportent ; c’est le mystère ineffable de la divine charité, par lequel Jésus-Christ se donnant réellement à nous, nous comble de ses grâces d’une manière également aimable et magnifique.

2. La prière faite en union de ce divin Sacrifice, en reçoit une merveilleuse force : de sorte, Philothée, que l’âme qui y est remplie des grâces de Dieu, des suavités de son esprit, et de la force de Jésus-Christ, se trouve dans l’état que l’Écriture nous exprime, en disant que la sainte Épouse des Cantiques étoit appuyée sur son bien-aimé, comblée de délices, et semblable à une colonne de fumée que le feu des bois aromatiques le plus excellent pousse vers le Ciel, et dont tout l’air est parfumé.

3. Faites donc tout ce que vous pourrez pour vous ménager le temps d’entendre tous les jours la sainte Messe, afin d’y offrir avec le Prêtre, le sacrifice de votre rédempteur, à Dieu son père, pour vous et pour toute l’Église. Saint Jean-Chrysostôme nous assure que les Anges y assistent en grand nombre pour y honorer de leur présence ce saint mystère. Nous ne devons donc pas douter qu’y étant unis avec eux en un même esprit, nous ne puissions nous rendre le Ciel propice, tandis que l’Église triomphante et l’Église militante entrent en société avec Jésus dans cette divine action, pour nous gagner en lui et par lui le cœur de Dieu son père, et pour nous mériter toutes ses miséricordes. Quel bonheur pour une âme que d’y contribuer quelque chose de sa part par une dévotion sincère et affectueuse !

4. Si vous ne pouvez pas absolument aller à l’Église, il faut suppléer au défaut de le présence corporelle par celle de l’esprit : ainsi ne manquez pas à quelque heure du matin de laisser aller votre cœur au pied de l’Autel, d’y unir votre intention à celle du Prêtre et des fidèles, et de vous occuper du saint sacrifice, quelque part que vous soyez, comme vous feriez si vous étiez à l’Église.

Voici maintenant une méthode de la bien entendre, que je vous propose.

1. Dès le commencement de la Messe, jusqu’à ce que le Prêtre soit monté à l’Autel, faites avec lui la préparation, qui consiste à vous mettre en la présence de Dieu, à confesser votre indignité, et à demander pardon de vos péchés,

2. Depuis que le Prêtre est monté à l’Autel jusqu’à l’Évangile, considérez la venue et la vie de Noire-Seigneur en ce monde, vous en faisant une idée simple et générale.

3. Depuis l’Évangile jusqu’après le Credo, considérez la prédication de notre Sauveur : faites-lui une sincère protestation que vous voulez vivre et mourir dans la foi, dans la pratique de sa divine parole, et en l’union de la sainte Église Catholique.

4. Depuis le Credo jusqu’au Pater noster, appliquez votre cœur aux mystères de la passion et de la mort de Jésus-Christ, qui sont actuellement et essentiellement représentés dans ce saint Sacrifice, que vous offrirez avec le Prêtre et avec tout le peuple à Dieu le père des miséricordes, pour sa gloire et pour votre salut,

5. Depuis le Pater noster jusqu’à la Communion, excitez votre cœur de toutes les manières que vous pourrez, à désirer ardemment d’être uni à Jésus-Christ par les liens d’un amour éternel.

6. Depuis la Communion jusqu’à la fin, remerciez sa divine Majesté de son incarnation, de sa vie, de sa passion, de sa mort, et de l’amour qu’il nous témoigne encore dans son saint sacrifice ; le conjurant par tout cela de vous être à jamais propice, à vos parens, à vos amis, à toute l’Église : et puis vous humiliant profondément, recevez avec beaucoup de dévotion la bénédiction divine que Notre-Seigneur vous donne par son Ministre.

Mais si vous voulez faire votre méditation durant la Messe, sur les sujets qui vous sont ordinaires, cette méthode ne vous sera pas nécessaire : il suffira d’avoir au commencement l’intention d’offrir le saint Sacrifice, d’autant plus que tous les exercices qui entrent dans cette méthode, se trouvent presque tous réunis dans une méditation bien faite.


CHAPITRE XV.

Des autres Exercices de dévotion publics et communs.


Les Dimanches et les Fêtes étant des jours consacrés à un culte de Dieu plus distingué et plus grand, vous jugez bien, Philothée, que la dévotion doit s’y occuper beaucoup plus que les jours ordinaires, des devoirs de la Religion ; et qu’outre les autres exercices, il faut assister à l’Office le matin et le soir, autant que votre commodité vous le permettra ; vous y goûterez une grande douceur de piété, et vous en pouvez bien croire saint Augustin, qui nous assure dans ses confessions, que quand il entendoit le divin Office, au commencement de sa conversion, il sentoit son cœur se fondre en suavité et ses yeux en larmes. De plus, (car il faut que je le dise une fois pour toutes) tout ce qui se fait de l’Office de l’Église en public, porte toujours plus d’utilité et de consolation, que tout ce qui se fait en particulier, Dieu ayant voulu que dans tout ce qui est de son culte, nous préférassions la communion des fidèles à toutes sortes de particularités.

Entrez volontiers dans les confréries du lieu où vous demeurez, et principalement en celles dont les exercices vous feront espérer plus d’utilité et d’édification ; ce sera une manière d’obéissance fort agréable à Dieu ; car bien que l’on ne vous commande rien sur ce point-là, il est toutefois aisé de voir que l’Église nous le recommande, et ses intentions se font assez connoître par les indulgences et les autres privilèges qu’elle accorde à ces pieuses sociétés. D’ailleurs, c’est un vrai exercice de la charité chrétienne, que d’entrer dans les saintes inspirations des autres, et de contribuer à leurs bons desseins ; et quand vous feriez en votre particulier, et avec plus de goût, quelque chose d’aussi bon que ce qui se fait dans ces confréries, Dieu y est plus glorifié par cette union que la piété y fait des esprits et des oblations.

Je dis la même chose de toutes les prières et dévotions publiques auxquelles nous devons contribuer autant que nous pouvons de notre bon exemple pour la gloire de Dieu, pour l’édification du prochain, et pour la fin commune qu’on s’y propose.


CHAPITRE XVI.

Il faut honorer et invoquer les Saints.


PUISQUE c’est par le ministère des Anges que nous recevons souvent les inspirations de Dieu, c’est aussi par eux que nous devons lui présenter nos aspirations, aussi-bien que par les Saints et les Saintes, qui étant présentement semblables aux Anges dans la gloire de Dieu, comme le Sauveur nous l’a dit, lui présentent perpétuellement leurs désirs et leurs prières en notre faveur.

Joignons donc nos cœurs, Philothée, à ces célestes esprits et à ces âmes bienheureuses : car comme les petits rossignols apprennent à chanter avec les grands, nous apprendrons aussi, par ce saint commerce, à chanter les louanges de Dieu et à le prier d’une manière plus digne de lui. Je chanterai, Seigneur, vos louanges, disoit David, en la présence de vos Anges.

Honorez, révérez et respectez d’un amour spécial la sacrée et glorieuse Vierge Marie, qui, étant la Mère de Jésus-Christ, notre Frère, est aussi très-véritablement notre Mère. Recourons donc à elle et comme ses petits enfans, jetons-nous à ses pieds et entre ses bras avec une confiance parfaite ; à tous momens et en toutes rencontres, réclamons cette bonne et douce Mère, implorons son amour maternel ; ayons aussi pour elle le cœur d’un enfant pour sa mère, et appliquons-nous à l’imitation de ses vertus.

Rendez-vous familier le commerce de votre âme avec les Anges, faisant souvent attention à leur présence ; surtout aimez et révérez celui du Diocèse où vous êtes, ceux des personnes avec qui vous vivez, mais spécialement le vôtre : faites-leur souvent quelques prières ; bénissez Dieu pour eux ; employez leur protection en toutes vos affaires, soit spirituelles soit temporelles, afin qu’ils daignent entrer dans vos intentions.

Le célèbre Pierre le Fèvre, premier Prêtre, premier Prédicateur, premier Professeur de Théologie de la sainte Compagnie du Nom de Jésus, et premier compagnon du bienheureux Ignace, son Fondateur, venant un jour d’Allemagne, où il avoit beaucoup travaillé pour la gloire de Dieu, et passant par le Diocèse, où il étoit né, racontoit que la dévotion qu’il avoit eue à saluer les Anges protecteurs des paroisses par où il avoit passé à travers plusieurs pays hérétiques, lui avoit beaucoup valu pour la consolation intérieure de son âme, et pour la protection qu’il en avoit reçue ; car il protestoit qu’il avoit sensiblement reconnu combien ils lui avoient été propices, soit pour le garantir des embûches des hérétiques, soit pour lui disposer plusieurs âmes à recevoir la doctrine du salut avec plus de docilité. Mais il disoit cela avec un si grand désir d’inspirer cette dévotion aux autres, qu’une Demoiselle qui y étoit présente dans sa plus tendre jeunesse, le racontoit elle-même il n’y a que quatre ans, c’est-à-dire plus de soixante ans après, avec un grand sentiment de piété. Pour moi, je fus très-consolé l’année passée d’avoir consacré un Autel au lieu même où Dieu fit naître son bienheureux serviteur, dans le petit village de Villaret, au milieu de nos montagnes les plus inaccessibles.

Choisissez quelques Saints, en l’intercession desquels vous preniez une particulière confiance, et dont vous puissiez lire la vie avec plus de goût pour l’imiter fidèlement ; vous ne doutez pas que celui dont on vous a donné le nom au baptême, ne doive être le premier de tous.


CHAPITRE XVII.

Comment il faut entendre et lire la parole de Dieu.


AIMEZ à entendre la parole de Dieu ; mais entendez-la toujours avec beaucoup d’attention et de respect, soit au sermon, soit dans les conversations édifiantes de vos amis qui aiment à parler de Dieu. C’est la bonne semence qu’il ne faut pas laisser tomber à terre ; faites-la bien profiter, recevez-la comme un précieux baume dans votre cœur, à l’imitation de la très-sainte Vierge, qui conservoit chèrement dans le sein tout ce qu’elle entendoit dire de son divin Enfant ; et souvenez-vous bien que Dieu n’écoute favorablement notre parole dans nos prières qu’autant que nous profitons de la sienne dans les prédications,

Ayez toujours quelques bons livres de dévotion, comme sont ceux de saint Bonaventure, de Gerson, de Denys le Chartreux, de Louis Blosius, de Grenade, de Stella, d’Arias, de Pinelli, d’Avila, le Combat spirituel, les Confessions de saint Augustin, les Épîtres de saint Jérôme, et autres semblables : lisez-en tous les jours quelqu’un un peu de temps ; mais avec autant d’attention, que si un Saint vous l’avoit envoyé du Ciel, pour vous en apprendre le chemin et pour vous encourager à y marcher.

Lisez aussi les vies des Saints, où vous verrez, comme dans un miroir, le véritable portrait de la vie chrétienne, et accommodez leurs exemples aux devoirs de votre état ; car bien que plusieurs actions des Saints soient absolument inimitables pour les personnes qui vivent dans le commerce du monde, l’on peut toujours les suivre ou de près ou de loin. Imitez la grande solitude de saint Paul le premier Ermite, par la solitude spirituelle de votre cœur et par les retraites que vous pouvez faire ; ou bien l’extrême pauvreté de saint François, par l’application à de certaines pratiques de la pauvreté dont je vous parlerai. Entre les vies des Saints et des Saintes, il y en a dont notre esprit reçoit plus de lumière pour la conduite de notre vie, comme celle de la bienheureuse Mère Thérèse, dont la lecture est admirable pour cela ; celles des premiers Jésuites, celle du bienheureux Cardinal Borromée, de saint Louis, de saint Bernard, les Chroniques de saint François, et autres semblables livres. Nous avons aussi de certaines vies des Saints, lesquelles vont plus à l’admiration qu’à l’imitation ; comme celles de sainte Marie l’Égyptienne, de saint Siméon le Stylite, de sainte Catherine de Sienne, de sainte Catherine de Gênes, de sainte Angèle, et plusieurs autres, lesquelles ne laissent pas de donner en général un grand goût du saint amour de Dieu.


CHAPITRE XVIII.

De la manière de bien recevoir les inspirations.


NOUS appelons inspirations tous les attraits de la grâce, les bons mouvemens du cœur, les reproches de la conscience, les lumières surnaturelles de l’esprit, et généralement toutes les bénédictions dont Dieu prévient notre cœur par son amoureuse et paternelle miséricorde. soit pour nos réveiller de notre assoupissement, soit pour nous engager à la pratique des saintes vertus, soit pour exciter en nous son amour : en un mot, pour nous faire chercher ce qui est de nos intérêts éternels. C’est ce que l’Époux des Cantiques appelle, en termes mystérieux, rechercher son épouse, frapper à sa porte, lui parler au cœur, la réveiller, l’appeler et la chercher dans son absence, l’inviter à manger de son miel, à venir cueillir des fruits et des fleurs, et à lui parler.

Je me sers donc aussi de cette comparaison pour me faire mieux entendre. Trois choses sont nécessaires à la conclusion d’un mariage : premièrement il faut le faire proposer à la personne dont on demande le cœur et la foi ; secondement, elle doit en agréer la proposition ; et en troisième lieu, elle y donne son consentement. C’est ainsi que quand Dieu veut, pour sa gloire, opérer quelque bien en nous, pour nous, et avec nous, il nous le propose par son inspiration, nous la recevons avec une douce complaisance, et nous y consentons. Car, comme il y a trois degrés par lesquels on tombe dans le péché, la tentation, la délectation et le consentement ; il y en a trois aussi par lesquels on s’élève à la pratique de la vertu : l’inspiration, qui est contraire à la tentation ; la complaisance que l’on a pour l’inspiration, et qui est contraire à la délectation de la tentation ; et le consentement à l’inspiration, lequel est contraire au consentement que l’on donne à la tentation.

Quand l’inspiration dureroit tout le temps de notre vie, nous n’en serions pas plus agréables à Dieu, si du moins nous ne la recevions pas avec complaisance. Au contraire, Dieu en seroit offensé, comme il le fut des Israélites, que sa grâce, ainsi qu’il le dit, pressa inutilement, durant quarante ans, de se convertir, et auxquels il déclara, avec serment, que jamais ils n’entreroient dans son repos.

Cette complaisance que l’on donne aux inspirations, avance beaucoup l’œuvre de la gloire de Dieu en nous, et nous attire déjà la complaisance de ses yeux : car bien que cette délectation ne soit pas un véritable consentement, elle en est du moins une disposition fort heureuse ; et si le plaisir que l’on prend à entendre la parole de Dieu, laquelle est comme une inspiration extérieure, est un signe de salut et une disposition agréable à Dieu ; cela est encore plus vrai à l’égard de l’inspiration intérieure. C’est aussi cette délectation dont parle l’Épouse sacrée, quand elle dit : j’ai senti mon âme se fondre de joie en elle-même, quand mon bien-aimé m’a parlé.

Mais enfin, c’est le consentement dont tout dépend ; car si ayant été inspirés et ayant reçu l’inspiration avec complaisance, nous refusons notre consentement à Dieu, nous nous rendons coupables d’une extrême ingratitude envers sa divine Majesté ; et il semble qu’il v ait plus de mépris, que si tout d’un coup nous avions rejeté l’inspiration. Ce fut la faute et le malheur de l’Épouse des Cantiques : la voix de son bien-aimé avoit frappé son cœur d’une douce joie ; néanmoins elle ne lui ouvrit pas la porte, et elle s’en excusa d’une manière frivole : aussi l’Époux s’en alla-t-il, en la quittant avec indignation.

Il faut donc, Philothée, vous résoudre à recevoir désormais toutes les inspirations du Ciel, comme vous recevriez des Anges que Dieu vous enverroit pour traiter avec vous d’une grande affaire. Ainsi écoutez avec tranquillité ce que l’inspiration vous propose ; faites attention à l’amour de celui qui vous la donne, et la recevez avec joie ; enfin, donnez-y votre consentement d’une manière tendre et amoureuse ; et Dieu, qui ne peut nous avoir aucune obligation, ne laissera pas d’agréer cette fidèle correspondance. Mais si l’inspiration porte quelque chose de fort considérable et extraordinaire, suspendez votre consentement jusqu’à ce que vous ayez consulté votre Directeur, qui la doit examiner, pour en reconnoitre la vérité ou la fausseté : ce qui est d’autant plus nécessaire, que l’ennemi voyant une âme facile à suivre l’inspiration, lui en propose souvent de fausses pour la tromper ; mais c’est inutilement, tandis qu’elle obéit à son Directeur avec humilité.

Quand on a une fois donné son consentement à l’inspiration, il faut exécuter soigneusement ce qu’elle a demandé de nous, et c’est ce qui accomplit l’œuvre de la grâce ; car autrement, retenir ce consentement dans le cœur sans en venir à l’effet, ce seroit faire comme un homme qui ayant planté une vigne, ne voudroit pas la cultiver, de peur qu’elle ne portât du fruit.

Remarquez donc combien la pratique de l’exercice du matin, et des retraites spirituelles du cœur dont je vous ai parlé, est utile pour tout ceci ; d’autant que nous nous y disposons à faire le bien par une préparation, non-seulement générale, mais encore particulière.


CHAPITRE XIX.

De la sainte Confession.


NOTRE Sauveur a laissé à son Église le Sacrement de la Pénitence ou de la Confession, pour y purifier en tout temps nos âmes des souillures qu’elles peuvent avoir contractées. Ne souffrez donc jamais, Philothée, que votre cour demeure long-temps infecté du péché, puisque vous avez contre sa corruption un remède si sûr et si facile, Une âme qui se sent coupable d’un péché, devroit avoir horreur de soi-même ; et le respect qu’elle doit aux yeux de la divine Majesté, l’oblige à s’en purifier au plutôt, Hélas ! pourquoi nous laisser mourir de la mort spirituelle, ayant entre les mains un remède souverain pour nous guérir ?

Confessez-vous avec beaucoup d’humilité et de dévotion tous les huit jours, et même toutes les fois que vous communiez, si vous pouvez, quoique votre conscience, ne vous reproche aucun péché mortel ; vous recevrez non-seulement l’absolution des péchés véniels que vous confesserez, mais encore beaucoup de lumière pour en avoir un plus grand discernement, beaucoup plus de force pour les éviter, et une merveilleuse abondance de grâces pour réparer les pertes qu’ils auroient pu vous causer. De plus, vous y pratiquerez l’humilité, l’obéissance, la simplicité, l’amour de Dieu, en un mot, plus de vertus qu’en aucun autre exercice de la Religion.

Ayez toujours une vraie douleur des péchés que vous confesserez, pour petits qu’ils soient, et une ferme résolution de vous en corriger ; car il y a bien des gens qui ne se confessant des péchés véniels, que par je ne sais quelle habitude qui les accommode, et sans nulle attention à s’en corriger, en demeurent chargés toute leur vie, et se privent de beaucoup de grâces nécessaires à leur avancement spirituel. Si donc vous vous accusez d’un mensonge léger, d’une parole tant soit peu déréglée, de quelque circonstance du jeu un peu vicieuse, ayez-en un repentir sincère, avec une bonne résolution de vous observer efficacement sur tout cela ; parce que c’est un abus de se confesser d’un péché mortel ou véniel, sans vouloir en purifier son cœur, puisque la confession n’est instituée que pour cela.

Retranchez de votre confession ces accusations superflues, dont plusieurs se sont fait une routine : je n’ai pas autant aimé Dieu que je le devois ; je n’ai pas prié avec autant de dévotion que je le devois ; je n’ai pas aimé mon prochain comme je le devois ; je n’ai pas reçu les Sacremens avec la révérence que je devois, et autres semblables. Vous en voyez bien la raison ; c’est qu’en disant cela, vous ne dites rien de particulier qui fasse connoître au Confesseur l’état de votre conscience, et que les hommes les plus parfaits du monde pourroient dire les mêmes choses, aussi-bien que tous les Saints du Paradis, si la confession étoit encore pour eux.

Recherchez donc la raison particulière que vous avez de faire ces accusations qui ne sont que générales ; et lorsque vous l’aurez reconnue, accusez-vous de votre péché d’une manière simple et naturelle ; par exemple, vous vous accusez de n’avoir pas aimé le prochain comme vous deviez, c’est peut-être parce qu’ayant bien connu le grand besoin d’un pauvre que vous pouviez aisément secourir et consoler, vous avez omis ce devoir de charité : hé bien ! accusez-vous de cette particularité, et dites que vous ne l’avez pas secouru comme vous pouviez, ou par négligence, ou par dureté de cœur, ou par mépris. De même ne vous accusez point de n’avoir pas prié Dieu avec toute la dévotion que vous deviez ; mais laissant cette accusation générale, qui ne sert de rien à la confession, dites simplement que vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous avez négligé de ménager le lieu, le temps, la composition extérieure du corps et des autres circonstances nécessaires pour faire dévotement votre prière. Ne vous contentez pas encore, dans l’accusation des péchés véniels, de bien marquer le fait, accusez-vous du motif que vous y avez eu ; ainsi, dire que vous avez fait un mensonge qui n’a porté aucun préjudice à personne, ce n’est pas assez ; dites que ç’a été ou par vaine gloire, afin de vous louer ou de vous excuser, ou par un vaine joie, ou par opiniâtreté : si vous avez péché dans le jeu, expliquez cela, et dites que ç’a été ou par le désir du gain ou par le plaisir de la conversation, et observez-vous sur tous les autres péchés.

Il faut encore marquer à peu près combien de temps votre péché a duré, puisque pour l’ordinaire la longueur du temps en augmente notablement la malice ; et en effet, il y a bien de la différence : c’est une vanité passagère, qui se glisse dans l’esprit pour un quart d’heure, et une vaine complaisance, dont le secret orgueil du cœur se sera nourri durant un jour, deux jours, trois jours. Il faut donc, dans l’accusation d’un péché, en bien marquer le fait, le motif et la durée ; car bien que dans la confession des péchés véniels, on ne soit pas communément obligé à une scrupuleuse exactitude, et que même l’accusation n’en soit pas absolument nécessaire, cependant ceux qui veulent bien purifier leur âme, pour parvenir à la perfection de la dévotion, doivent avoir un grand soin de bien faire connoître au Médecin spirituel tout le mal dont ils souhaitent la guérison, quelque petit qu’il leur paroisse.

Enfin, ne vous épargnez en rien de tout ce qui sera nécessaire à faire comprendre tout votre péché, et remarquez encore cet exemple : un homme qui naturellement me déplaît, me dira un je ne sais quoi qui ne sera rien, et seulement pour rire ; mais je le prendrai mal, et je me mettrai en colère ; au lieu que si un autre qui m’est agréable, m’eût dit quelque parole plus forte, je l’eusse bien prise : que faut-il donc que je fasse dans ma confession ? je dirai que je me suis échappé en des paroles d’aigreur, pour avoir mal pris ce qu’une personne m’avoit dit, non pas par la raison de la qualité des paroles, mais seulement par la raison du dégoût que j’ai de cette personne ; et parce que je crois cela fort utile, je particulariserai même ces paroles d’aigreur. C’est de cette sorte que découvrant au Confesseur, non-seulement les péchés que l’on a commis, mais les mauvaises inclinations, les habitudes et les autres racines du péché, il connoît mieux le cœur, les remèdes nécessaires à ses infirmités. Il faut néanmoins, autant qu’il est possible, mettre toujours à couvert les personnes qui auroient eu quelque part à votre péché.

Prenez garde à beaucoup de péchés qui souvent subsistent et dominent long-temps dans un cœur, sans qu’il s’en aperçoive, afin que vous les confessiez, et que vous puissiez en purifier le vôtre. Pour cela, lisez avec application les chapitres 6, 27, 28, 29, 35 et 36 de la troisième partie, et le chapitre 7 de la quatrième partie.

Ne changez pas aisément de Confesseur, et continuez à lui rendre compte de votre conscience aux jours marqués, lui disant bonnement et sincèrement toute vos fautes ; et de temps en temps, soit de mois en mois, soit de deux en deux mois, faites-lui connoitre l’état de vos inclinations, quoiqu’elles ne vous aient pas fait tomber en aucun péché ; comme si l’esprit de tristesse ou de chagrin vous tourmente, ou si votre cœur est enclin à la joie, ou si vous avez senti quelques désirs trop vifs d’avoir plus de bien, et le reste.


CHAPITRE XX.

De la fréquente Communion.


VOUS savez ce que l’on dit de Mithridate, roi de Pont en Asie, lequel avoit inventé une sorte de nourriture qu’il s’étoit rendue propre pour se préserver du poison. Et il se fit un tempérament si fort, qu’étant sur le point d’être pris par les Romains, et voulant éviter la captivité, il ne put jamais s’empoisonner. N’est-ce pas ce que le Sauveur a fait d’une manière très-réelle dans le très-auguste sacrement de l’Eucharistie, où il nous donne son corps et son sang comme, une nourriture à laquelle l’immortalité est attachée ? C’est pourquoi, quiconque en use souvent avec dévotion, en reçoit tant de force et de vigueur, qu’il est presque impossible que le poison mortel des mauvaises affections fasse aucune impression sur son âme. Non, l’on ne peut vivre de cette chair de vie, et mourir de la mort du péché. Si les hommes se fussent préservés de la mort corporelle par l’usage du fruit de l’arbre de vie, que le Créateur avoit mis dans le Paradis terrestre, pourquoi les hommes ne pourroient-ils pas maintenant se préserver de la mort spirituelle par la vertu du Sacrement de vie ? En vérité, s’il se peut faire qu’un peu de miel ou de sucre conserve les fruits les plus tendres et les plus sujets à se corrompre, comme les cerises, les fraises et les abricots, il ne faut pas s’étonner que nos âmes, quelques foibles qu’elles soient, se préservent de la corruption du péché, quand elles ont été pénétrées de la force et de la suavité du sang incorruptible de Jésus-Christ.

O Philothée ! les Chrétiens qui se damnent n’auront rien à répondre au juste Juge, quand il leur fera voir que sans aucune raison ils se sont laissés mourir spirituellement, eux qui pouvoient si facilement se conserver la vie, en se nourrissant de son corps. Misérables, leur dira-t-il, pourquoi êtes-vous mort, ayant entre les mains le fruit de la vie ?

Communier tous les jours, c’est un usage que je ne loue ni ne blâme ; mais communier tous les Dimanches, c’est une pratique que je conseille à tous les fidèles, et je les y exhorte, pourvu qu’ils ne conservent en eux aucune volonté de pécher. Ce sont les propres paroles de saint Augustin, dont je prends ici le sentiment, pour ne louer ni ne blâmer la communion quotidienne, sur laquelle je renvoie les fidèles à la décision de leurs Directeurs ; car elle demande une si grande excellence de dispositions, que l’on ne peut pas la conseiller généralement à tous ; mais aussi parce que cette excellence de dispositions peut se trouver en plusieurs bonnes âmes, l’on ne peut pas non plus la défendre généralement à tous ; c’est une affaire que le Confesseur doit régler sur l’état habituel et actuel du pénitent. Comme ce seroit donc une imprudence de conseiller indifféremment à toutes sortes de personnes cet usage si fréquent de la Communion, c’en seroit très-véritablement une autre de la blâmer dans une personne à qui un sage Directeur l’auroit conseillée. C’est pourquoi j’approuve fort la judicieuse et douce réponse que sainte Catherine de Sienne fit à celui qui, n’approuvant pas qu’elle communiât tous les jours, lui dit que saint Augustin ne louoit ni ne blamoit cet usage. Hé bien ! lui dit-elle agréablement, puisque saint Augustin ne le blâme pas, je vous prie de ne pas le blâmer non plus, et je me contenterai de votre silence.

Mais, Philothée, vous voyez que saint Augustin porte fortement les fidèles par ses conseils et par ses exhortations à communier tous les Dimanches : faites-le donc autant que vous pourrez ; puisqu’ayant purifié votre cœur, comme je le présuppose, de toute sorte d’affection au péché mortel et au péché véniel, votre âme y est encore mieux disposée que ne demande saint Augustin, parce que non-seulement vous n’avez pas la volonté de pécher, mais vous n’avez pas même aucune affection au péché : si bien que vous pourriez avec utilité communier plus souvent que tous les Dimanches, si votre Père spirituel vous le permettoit.

Je sais bien qu’il s’y pourroit trouver plusieurs empêchemens légitimes, qui ne viendroient d’ailleurs que de votre fonds, comme de la société des personnes avec qui vous vivez : car si quelque dépendance vous oblige à leur obéir ou à les respecter, et qu’ils sachent si peu leur Religion, ou soient d’une humeur si bizarre, qu’ils se fassent une inquiétude et un embarras de vous voir communier tous les Dimanches, vraisemblablement il sera bon, toutes choses bien considérées, de condescendre à leur infirmité, et de ne communier que tous les quinze jours, à moins que vous ne puissiez vaincre des obstacles. Mais bien que l’impossibilité de faire une règle générale sur ceci, nous oblige d’en renvoyer la détermination au Confesseur, je puis dire avec vérité, que pour les personnes qui veulent mener une vie dévote, les communions ne doivent jamais être plus éloignées que d’un mois.

Si vous savez vous conduire avec prudence, il n’y aura ni mère, ni femme, ni père, ni mari qui vous dispute l’usage de la fréquente communion ; car puisque votre communion ne vous fera rien retrancher des devoirs de votre état, et que même ce jour-là vous en aurez plus de douceur et de complaisance pour les autres, il n’y a pas d’apparence qu’ils veuillent vous détourner d’un exercice dont ils ne doivent souffrir aucune incommodité : si ce n’est qu’ils ne fussent d’une humeur extrêmement fâcheuse, et d’un esprit tout-à-fait déraisonnable ; et en ce cas-là, vous userez de la règle de condescendance que je viens de vous donner, si c’est le conseil de votre Directeur.

A l’égard des personnes engagées dans le mariage, il suffit de leur dire, que dans l’ancienne Loi, c’étoit une chose désagréable à Dieu, que les créanciers exigeassent les jours de Fêtes le paiement de ce qu’on leur devoit, quoique ce ne fût pas déplaire à Dieu, que d’y payer ses dettes, si on les exigeoit : ainsi, dans l’état du mariage, exiger les droits de ce Sacrement le jour de la communion, c’est manquer à une sainte bienséance de Religion, quoique ce ne soit pas pécher grièvement ; mais en rendre ce jour-là les devoirs, si on les exige, c’est se conformer à sa Religion. Il est donc vrai que cette sujétion du mariage ne peut raisonnablement faire interdire la communion à personne, si sa dévotion est animée d’un grand désir d’y participer. Certes, les Chrétiens de la primitive Église communioient tous les jours, quoiqu’ils fussent mariés, et qu’ils usassent de la licence du mariage ; c’est pourquoi j’ai dit que la fréquente communion ne peut être en aucune façon incommode, ni à un père, ni à une femme, ni à un mari, pourvu que la personne qui communie soit discrète et prudente. Pour ce qui est des maladies corporelles, il n’y en a aucune qui soit un légitime empêchement de communier, sinon celle qui provoqueroit à un fréquent vomissement.

Voici donc les règles que je puis vous donner sur la fréquente communion. Pour communier tous les huit jours, il ne faut avoir aucun péché mortel, ni aucune affection au péché, même véniel, et avoir de plus un grand désir de la communion ; mais pour communier tous les jours, il faut encore avoir purifié son âme de presque toutes ses mauvaises inclinations, et ne le faire même que par le conseil de son Père spirituel.


CHAPITRE XXI.

De la manière de bien communier.


COMMENCEZ dès la veille de votre communion à vous y préparer le soir par plusieurs inspirations de l’amour divin, et vous retirez de meilleure heure qu’à l’ordinaire, afin de vous lever aussi plus matin. Si vous vous réveillez durant la nuit, sanctifiez ces momens-là par quelques dévotes paroles, ou par quelque doux sentiment qui pénètre votre âme du bonheur de recevoir votre divin Époux ; car il veille sur votre cœur, tandis que vous dormez, et vous prépare les grâces qu’il veut vous faire abondamment, s’il le trouve bien disposé. Levez-vous le matin avec cette ferveur de joie, qu’une telle espérance vous doit inspirer ; et après votre confession, allez avec une forte confiance et une profonde humilité prendre à la sainte Table cette viande céleste qui vous communiquera l’immortalité. Après avoir prononcé ces paroles sacrées, Seigneur ! je ne suis pas digne, etc., ne remuez plus ni la tête ni les lèvres, soit pour prier, soit pour soupirer ; mais ouvrant médiocrement la bouche, et élevant la tête autant qu’il faut, pour que le Prêtre puisse voir ce qu’il fait, avancez tant soit peu la langue et recevez avec foi, avec espérance, avec charité, celui qui en est tout ensemble le principe, l’objet, le motif et la fin. O Philothée ! prenez si vous voulez cette douce pensée : l’abeille ayant recueilli la rosée du Ciel sur les fleurs, et leur suc qui est le plus exquis de la terre, en fait son miel, et le porte dans sa ruche pour s’en nourrir : le Prêtre prend aussi sur l’Autel le Sauveur du monde, qui est le vrai Fils de Dieu descendu du Ciel, et le vrai Fils de la Vierge, sorti de la terre comme tous les hommes ; et il vous le donne pour vous servir de nourriture. Excitez alors votre cœur à venir faire hommage au Roi du salut ; faites-lui, je vous le dis simplement et familièrement, tout le bon accueil qu’il vous sera possible : contemplez sa présence en vous, et tout ensemble votre bonheur ; traitez avec lui confidemment de vos affaires intérieures, et le reste du jour, faites connoître par vos actions que Dieu est avec vous ; mais quand vous n’aurez pas le bonheur de communier réellement à la sainte Messe, communiez-y au moins d’esprit et de cœur, vous unissant par le désir de la foi à la chair vivifiante du Seigneur,

Votre grande intention dans la communion doit être de vous avancer, de vous fortifier, et de vous consoler en l’amour de Dieu ; car vous devez recevoir en vue de l’amour, ce que le seul amour vous fait donner. Non, nous ne pouvons pas trouver le Sauveur dans aucun autre exercice de sa bonté, ni plus amoureux, ni plus tendre, que dans celui-ci, où il s’anéantit, pour ainsi dire, et se donne à nous comme nourriture, afin de pénétrer nos âmes de lui-même, et d’étendre cette union jusqu’au cœur et au corps de ses fidèles.

Si le monde vous demande pourquoi vous communiez si souvent, dites au monde que c’est pour apprendre à aimer Dieu, pour vous purifier de vos imperfections, pour vous délivrer de vos misères, pour chercher de la consolation à vos peines, et pour vous soutenir dans vos foiblesses : dites au monde, que deux sortes de gens doivent communier souvent ; les parfaits, parce qu’étant bien disposés, ils auroient grand tort.de ne pas s’approcher de la source de perfection ; et les imparfaits, afin d’aspirer à la perfection ; les forts, de peur de s’affoiblir, et les foibles, afin de se fortifier ; les sains, pour se préserver de toutes sortes de maladies, et les malades pour chercher leur guérison. Mais ajoutez que pour vous, étant du nombre des âmes imparfaites, foibles et malades, vous avez besoin de recevoir souvent l’Auteur de la perfection, le Dieu de la force, le Médecin de votre âme. Dites au monde, que ceux qui ne sont pas bien occupés de ses affaires doivent communier souvent, parce qu’ils en ont le temps ; et ceux qui en sont fort occupés, parce qu’étant chargés de beaucoup de travail et de peines, ils ont plus souvent besoin d’une solide nourriture : dites enfin que vous communiez fréquemment, pour apprendre à bien communier, parce que l’on ne fait guère bien une action à laquelle on ne s’exerce que rarement.

Communiez donc souvent, Philothée, et le plus souvent que vous pourrez, avec l’avis de votre Père spirituel : et croyez-moi, si le corps prend les qualités de la nourriture dont on use habituellement, comme nous le voyons dans les lièvres de nos montagnes, où ils deviennent blancs durant l’hiver, parce qu’ils n’y voient et n’y mangent que de la neige : croyez-moi, dis-je, vous verrez que nourrissant souvent votre âme de l’Auteur de toute beauté et bonté, de toute sainteté et pureté, elle deviendra à ses yeux toute belle, toute bonne, toute pure et toute sainte.