Jackson (H.). — Les localisations du mouvement dans le cerveau
IV
PHYSIOLOGIE
J. Hughlings Jackson. Clinical and physiological researches on the nervous System. I. On the localisation of movements in the brain. (Recherches cliniques et physiologiques sur le système nerveux. I. Localisation des mouvements dans le cerveau.) 1875. Churchill. Londres.
Malgré son titre, le mémoire de MM. Jackson ne contient que peu de chose sur les localisations proprement dites. Ce qui a intéressé l’auteur, ce n’est pas de savoir dans quel point précis du cerveau est localisé tel ou tel mouvement. Il s’est placé à un point de vue plus général. Il a voulu montrer que les localisations dépendent d’un principe qui permet de les soumettre à une investigation méthodique.
Avant d’énoncer ce principe, nous devons exposer quelques idées préliminaires sur la physiologie cérébrale. L’idée principale de l’auteur c’est que le cerveau est un organe sensori-moteur, qu’il reçoit des sensations et produit des mouvements. Ce fait a été prouvé par les expériences de Hitzig et de Ferrier ; il est également confirmé par les recherches de l’anatomie et de la physiologie pathologiques ; ajoutons que depuis longtemps, en France, on l’avait admis par suite d’une extension au cerveau des idées de Jacubowitsch sur les éléments de la moelle.
« Je ne puis concevoir, dit M. Jackson, que les centres nerveux les plus élevés soient autre chose que le résultat du développement des centres inférieurs, qui sans aucun doute représentent des impressions et des mouvements. » Et ces mouvements représentés dans le cerveau sont aussi bien ceux de la vie organique (vaisseaux sanguins, cœur, viscères, etc.), que ceux de la vie de relation.
L’état de conscience et le mouvement sont intimement liés. Aussi la question « comment les idées produisent-elles des mouvements ? » n’a point de sens. Une idée est un composé d’éléments sensibles et moteurs. Pour le prouver, M. Jackson étudie les idées que nous avons des mots, sans les prononcer, et les idées visuelles. Les pages consacrées à cette étude montrent chez leur auteur la marque d’un esprit habitué aux analyses psychologiques les plus délicates et familiarisé avec les travaux de H. Spencer, Bain. Lewes, Taine, etc.
Dans l’acquisition des mots, il est évident qu’il entre certains processus moteurs : un mot n’existe pour nous qu’autant qu’il a été prononcé, qu’il a déterminé certains mouvements du larynx, de la langue, des lèvres, etc. L’idée de ce mot est elle-même associée à des mouvements. Cela est si vrai que les enfants et les gens du peuple exécutent en lisant certains mouvements articulaires, que d’autre part les enfants qui apprennent à lire ou qui lisent difficilement sont obligés de lire à haute voix. D’après M. Bain, que cite MM. Jackson, quand nous nous rappelons un mot ou une phrase, les parties articulaires, le larynx, la langue, les lèvres, sont sensiblement excitées. Ferrier, en Angleterre, et en France, le Dr Fournié ont exprimé la même opinion.
À propos des idées visuelles, les psychologues anglais, MM. Spencer, Bain, ont bien montré que leur acquisition nécessite des mouvements, par exemple, en ce qui concerne la forme et la grandeur des objets. Et « si nous acquérons l’idée des qualités des corps par des mouvements — si, quand nous voyons réellement un objet, le mouvement est un élément essentiel — ne doit-il pas y avoir un élément moteur représenté dans ces substrata anatomiques dont l’excitation ou la décharge fait que nous voyons les objets idéalement ? »
Les mêmes conclusions pourraient s’appliquer aux autres états mentaux.
On voit donc que le mouvement qui dans certaines circonstances suit l’idée, n’est pas étranger à cette idée, — si bien que la question, loin d’être : « Comment les idées produisent-elles des mouvements ? » serait plutôt : « Pourquoi les mouvements n’accompagnent-ils pas toujours les idées ? »
Ces mouvements sont localisés dans le cerveau : à certains mouvements correspondent certaines régions cérébrales, à d’autres mouvements d’autres régions. C’est un fait qui a été démontré par les expériences de Hitzig et Ferrier. Mais ces localisations ne sont pas absolues. Si les mouvements sont surtout représentés dans un point, ils le sont également dans les parties voisines. C’est ce qui explique que la suppression d’un centre n’amène pas la perte absolue des mouvements qui correspondent à ce centre, c’est ce qui explique la compensation, ou ce qu’on appelle en France la suppléance.
Cependant toutes les idées et tous les mouvements ne sont pas représentés dans le cerveau au même degré : en même temps que s’est faite l’évolution du cerveau, il s’est fait une évolution parallèle et correspondante des idées et des mouvements, Les idées qui se sont développées les premières, sont les plus générales, les plus automatiques ; et le développement s’est fait de ces idées à d’autres idées plus spéciales, plus volontaires. — Il en est de même pour les mouvements. Ceci nous conduit au principe que M. Jackson veut établir. L’homme peut être considéré dans son état normal (ou d’évolution), dans son état anormal (ou de « dissolution »). L’expérience nous montre que la dissolution agit tout d’abord et au plus haut degré sur les actes psychiques et les mouvements qui s’éloignent le plus de l’automatisme : en d’autres termes que la dissolution a lieu dans un ordre inverse à l’évolution.
Pour établir ce principe, M. Jackson examine le cas de paralysies et de convulsions, ou plutôt, pour parler un langage anatomique, les cas de lésions qui détruisent le cerveau ou qui produisent des décharges nerveuses.
Ainsi, dans l’hémiplégie de cause cérébrale, suivant la gravité des cas, la paralysie est bornée à un bras, ou bien s’étend à la face, à la jambe et même à tout le corps, au moment de l’attaque par exemple, ne laissant intacts que les mouvements respiratoires et circulatoires.
En ce qui concerne le langage, le principe se vérifie facilement, surtout dans les cas d’aphasie incomplète, où le malade dit encore oui et non, jure ses serments habituels, bref, a conservé les mots qui, chez lui, sont devenus automatiques, tandis qu’il est incapable de prononcer les autres.
D’après M. Jackson, le principe de dissolution pourrait servir à l’étude des maladies mentales, où il se trouve vérifié chez ces malades qui, après quelques attaques épileptiques ou épileptiformes, deviennent bizarres, ombrageux, dont les actes sont étranges et violents, et qui sont réduits à une condition mentale plus automatique.
Dans la chorée, dans les convulsions épileptiques partielles, c’est par la main, le bras, la face ou le pied, que commence l’attaque, mais surtout par la main ou la face, c’est-à-dire par les parties qui sont l’instrument propre de la volonté. Quand l’attaque s’étend de son siége primitif aux parties voisines, le principe trouve encore sa justification.
D’après M. H. Jackson, les mouvements des deux côtés du corps seraient localisés dans chaque hémisphère, mais d’une manière différente, l’hémisphère gauche correspondant surtout aux mouvements volontaires et l’hémisphère droit aux mouvements automatiques. Ils seraient, de plus, représentés dans le cervelet que M. Jackson considère, avec la majorité des physiologistes, comme un centre de coordination.
Ce sont là des conclusions que M. H. Jackson donne à titre d’hypothèse, il est vrai, mais d’hypothèse vérifiable, et ayant pour elle beaucoup de probabilités.
En résumé, l’auteur a voulu établir les points suivants :
1° Le cerveau (les circonvolutions aussi bien que les ganglions cérébraux) est un organe qui perçoit des sensations et produit des mouvements.
2° La pensée implique aussi bien des processus moteurs que des processus sensibles.
3° Les idées et les mouvements subissent une évolution telle, que leur développement va des plus automatiques aux plus volontaires, tandis que dans les cas pathologiques, la maladie suit un ordre inverse.
4° Les mouvements sont localisés surtout dans les parties antérieures et la sensibilité dans les parties postérieures du cerveau.