Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5/Janot et Catin

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5
Œuvres complètes, tome 5, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPaul Daffis (p. 104-107).


LV.


J’ay composé ces stances en vieil style, à la manière du blason des fausses amours, et de celui des folles amours dont l’auteur est inconnu. Il y en a qui les attribuent à l’un des Saint-Gelais. Je ne suis pas de leur sentiment, et je crois qu’ils sont de Cretin[1].

JANOT ET CATIN.

—-—-Un beau matin,
—-—-Trouvant Catin
—-—-Toute seulette,
—-—-Pris son tétin
—-—-De blanc satin,
—-—-Par amourette :
—-—-Car de galette,
—-—-Tant soit mollette,
Moins friand suis pour le certain.
Adonc me dit la bachelette :
Que votre coq cherche poulette ;
Ici ne fera grand butin.

—-—-Telle censure
—-—-Ne fut si sure
—-—-Qu’elle espéroit :
—-—-De ma fressure

—-—-Dame Luxure
—-—-Jà s’emparoit.
—-—-En tel détroit
—-—-Mon cas estoit,
Que je quis meilleure aventure :
Catin ce jeu point n’entendoit ;
Mieux attaquois, mieux défendoit ;
Dont je souffris peine très dure.

—-—-Pendant l’étrif,
—-—-D’un ton plaintif
—-—-Dis chose telle :
—-—-Las moi chétif,
—-—-En son esquif
—-—-Charon m’appelle.
—-—-Cessez donc belle
—-—-D’être cruelle
A cetuy votre humble captif,
Il est à vous, foie et ratelle.
Bien grand merci, répondit-elle ;
Besoin n’ai d’un tel apprentif.

—-----—-JANOT

—-—-Je vous affie
—-—-Et certifie
—-—-Que quelque jour
—-—-J’ai bonne envie
—-—-Ne vous voir mie
—-—-Dure à l’étour :
—-—-Le dieu d’amour
—-—-Sait plus d’un tour ;
Que votre cœur trop ne s’y fie ;
Car quant à moy j’ay belle paour
Qu’à vous férir n’ait le bras gourd ;
Le contemner est donc folie.

—-—-----CATIN

—-—-Vous n’avez pas

—-—-Bien pris mon cas
—-—-Ne ma sentence ;
—-—-De tomber, las,
—-—-D’amour ès las
—-—-Ne fais doutance.
—-—-Mais telle offense,
—-—-En conscience,
Ne commettrois pour cent ducats :
Que ce soit donc votre plaisance,
De me laisser en patience,
Et de finir cet altercas.

—-----—-JANOT

—-—-Alors qu’on use
—-—-De vaine excuse,
—-—-C’est grand défaut ;
—-—-Telle refuse,
—-—-Qui après muse,
—-—-Dont bien peu chault :
—-—-Car point ne fault
—-—-Tout homme caut
A chercher mieux quand on l’amuse ;
Dont je conclus qu’en amours faut
Battre le fer quand il est chaud,
Sans chercher ny détour ny ruse.

—-—-Onc en amours
—-—-Vaines clamours
—-—-Ne me reviennent ;
—-—-Roses et flours,
—-—-Tous plaisans tours,
—-—-Mieux y conviennent :
—-—-Assez tost viennent,
—-—-Voire et proviennent
Du temps qu’on perd douleurs et plours :
Tant que tels cas aux gens surviennent,
C’est bien raison qu’ils entretiennent
En tout déduit leurs plus beaux jours.

—-—-Ainsi preschois,
—-—-Et j’émouvois
—-—-Cette mignonne ;
—-—-Mes mains fourrois,
—-—-Usant des droits
—-—-Qu’Amour nous donne.>
—-—-Humeur friponne
—-—-Chez la Pouponne
Se glissa lors en tapinois.
Son œil me dit en son patois,
Berger, berger, ton heure sonne ;
J’entendis clair, car il n’est homme
Plus attentif à telle voix.
Ami lecteur qui cecy vois,
Ton serviteur qui Jean se nomme,
Dira le reste une autre fois.

  1. Imprimé pour la première fois en 1675 dans les Nouveaux contes, p. 125.