Jean-Arthur Rimbaud (Berrichon)/Appendice

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Mercure de France (p. 297-307).


APPENDICE

PIÈCES JUSTIFICATIVES


I

Acte de naissance de Jean-Arthur Rimbaud.(Extrait des Registres de l’État-civil de la ville de Charleville, Ardennes.)

L’an mil huit cent cinquante-quatre, le vingt du mois d’octobre, à cinq heures du soir, devant nous François-Dominique-Eugène La Marle, adjoint remplissant par délégation les fonctions d’officier de l’état civil de la ville de Charleville, deuxième arrondissement du département des Ardennes, a comparu Jean-Nicolas Cuif, âgé de cinquante-six ans, rentier, domicilié à Charleville, lequel nous a déclaré que Marie-Catherine-Vitalie Cuif, âgée de vingt-neuf ans, sans profession, épouse de Frédéric Rimbaud, âgé de quarante ans, capitaine d’infanterie au quarante-septième de ligne en garnison à Lyon, y domicilié, est accouchée en cette ville, aujourd’hui vingt du présent mois, à six heures du matin, dans la maison de Jean-Nicolas Cuif susnommé, rue Napoléon, quartier Notre-Dame, d’un enfant du sexe masculin qu’il nous a présenté et auquel il a donné les prénoms de Jean-Nicolas-Arthur, lesquelles déclaration et présentation faites en présence de Prosper Letellier, âgé de cinquante-six ans, libraire, et Jean-Baptiste Hémery, âgé de trente-neuf ans, employé de la mairie, domiciliés à Charleville. Et après que nous leur avons donné lecture du présent acte, les comparant et témoins susdits l’ont signé avec nous.

(Suivent les signatures.)


II

Acte de naissance de Frédéric Rimbaud, père de Jean-Arthur. (Extrait des Registres de l’État-civil de la ville de Dole, Jura, déposés au greffe du Tribunal civil de Dole.)

Du huitième jour du mois d’octobre à cinq heures du soir, l’an mil huit cent quatorze. Acte de naissance de Frédéric Rimbaud, né à Dole le jour d’hier à dix heures du soir, fils du sieur Didier Rimbaud domicilié à Dole, tailleur d’habits, âgé de vingt-huit ans et de Catherine Taillandier, âgée de vingt-huit ans, mariés. Le sexe de l’enfant a été reconnu être masculin. Premier témoin, le sieur Frédéric Fleisg, domicilié à Dole, tailleur d’habits, âgé de trente-un ans. Second témoin, le sieur Claude-Antoine Pélissard, domicilé à Dole, épicier, âgé de cinquante ans, sur la réquisition à nous faite par le dit sieur Didier Rimbaud, père du dit enfant mâle, ci-présent. Lu aux parties, et constaté par moi, maire de Dole, faisant les fonctions d’officier de l’état-civil, soussigné avec les dits témoins et le père du dit enfant mâle. Dame Jeanne Clément née Petit, présente et soussignée.

(Suivent les signatures.)


III


Acte de naissance de Vitalie Cuif, épouse de Frédéric Rimbaud et mère de Jean-Arthur. (Extrait des Registres de l’État-civil de la commune de Roche, Ardennes.)

L’an mil huit cent ving-cinq, le onze du mois de mars, à huit heures du matin, par devant nous Ponce Vuibert, adjoint, officier de l’état-civil de la commune de Roche et Méry, canton d’Attigny, département des Ardennes, est comparu Jean-Nicolas Cuif, âgé de vingt-sept ans, cultivateur domicilié à Roche, lequel nous a présenté un enfant du sexe féminin, né le dix mars, présent mois, à deux heures du matin, en sa maison, de lui déclarant, à Roche, et de Marie-Louise-Félicité Fay, son épouse et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie-Catherine-Vitalie ; les dites déclaration et présentation ont été faites en présence de Jean Cuif, âgé de soixante-six ans, propriétaire demeurant au dit Roche, premier témoin, et de Jean-Baptiste-Louis Lemoine, âgé de trente-six ans, cultivateur, second témoin, demeurant à Méry ; et ont les père et témoins signé avec nous le présent acte de naissance après qu’il leur en a été fait lecture.

(Suivent les signatures.)


IV


Déposition du témoin RIMBAUD Arthur, en date du 12 juillet 1878. (Extrait du dossier du Procès de Bruxelles.)

— J’ai fait, il y a deux ans environ, la connaissance de Verlaine à Paris. L’année dernière, à la suite de dissentiments avec sa femme et la famille de celle-ci, il me proposa d’aller avec lui à l’étranger ; nous irions gagner notre vie d’une manière ou d’autre, car moi je n’ai aucune fortune personnelle, et Verlaine n’a que le produit de son travail et quelque argent que lui donne sa mère ; nous sommes venus ensemble à Bruxelles au mois de juillet de l’année dernière, nous y avons séjourné pendant deux mois environ voyant qu’il n’y avait rien à faire pour nous dans cette ville, nous sommes allés à Londres. Nous y avons vécu ensemble jusque dans ces derniers temps, occupant le même logement et mettant tout en commun. À la suite d’une discussion que nous avons eue au commencement de la semaine dernière, discussion née des reproches que je lui faisais sur son indolence et sa manière d’agir à l’égard des personnes de nos connaissances, Verlaine me quitta presque à l’improviste, sans même me faire connaître le lieu où il se rendait ; je supposai cependant qu’il se rendait à Bruxelles, ou qu’il y passerait, car il avait pris le bateau d’Anvers ; je reçus ensuite de lui une lettre datée « en mer », que je vous remettrai, dans laquelle il m’annonçait qu’il allait rappeler sa femme auprès de lui, et que, si elle ne répondait pas à son appel, dans trois jours il se tuerait ; il me disait aussi de lui écrire poste restante à Bruxelles ; je lui écrivis ensuite deux lettres, dans lesquelles je lui demandai de revenir à Londres ou de consentir à ce que j’allasse le rejoindre à Bruxelles ; je désirais nous réunir de nouveau, parce que nous n’avions aucun motif de nous séparer.

Je quittai donc Londres, j’arrivai à Bruxelles mardi matin, et je rejoignis Verlaine ; sa mère était avec lui il n’avait aucun projet déterminé ; il ne voulait pas rester à Bruxelles, parce qu’il craignait qu’il n’y eût rien à faire dans cette ville ; moi, de mon côté, je ne voulais pas consentir à retourner à Londres, comme il me le proposait, parce que notre départ devait avoir produit un trop fâcheux effet dans l’esprit de nos amis, et je résolus de retourner à Paris ; tantôt Verlaine manifestait l’intention de m’y accompagner, pour aller, comme il disait, faire justice de sa femme et de ses beaux-parents tantôt il refusait de m’accompagner, parce que Paris lui rappelait de trop tristes souvenirs ; il était dans un état d’exaltation très grande ; cependant il insistait beaucoup auprès de moi pour que je restasse avec lui ; tantôt il était désespéré, tantôt il entrait en fureur ; il n’y avait aucune suite dans ses idées. Mercredi soir, il but outre mesure et s’enivra. Jeudi matin, il sortit à six heures il ne rentra que vers midi, il était de nouveau en état d’ivresse ; il me montra un pistolet qu’il avait acheté, et, quand je lui demandai ce qu’il comptait en faire, il répondit en plaisantant : « C’est pour vous, pour moi, pour tout le monde ! » Il était fort surexcité.

Pendant que nous étions ensemble dans notre chambre, il descendit encore plusieurs fois pour boire des liqueurs ; il voulait toujours m’empêcher d’exécuter mon projet de retourner à Paris. Je restai inébranlable, je demandai même de l’argent à sa mère pour faire le voyage ; alors, à un moment donné, il ferma à clef la porte de la chambre donnant sur le palier, et il s’assit sur une chaise, contre cette porte ; j’étais debout adossé contre le mur d’en face ; il me dit alors « Voilà pour toi, puisque tu pars ! » ou quelque chose dans ce sens ; il dirigea son pistolet sur moi et m’en lâcha un coup qui m’atteignit au poignet gauche ; le premier coup fut presque instantanément suivi d’un second, mais cette fois l’arme n’était plus dirigée contre moi, mais abaissée vers le plancher.

Verlaine exprima immédiatement le plus vif désespoir de ce qu’il avait fait ; il se précipita dans la chambre contiguë, occupée par sa mère, et se jeta sur le lit ; il était comme fou, il me mit son pistolet entre les mains et m’engagea à le lui décharger sur la tempe ; son attitude était celle d’un profond regret de ce qui lui était arrivé vers cinq heures du soir, sa mère et lui me conduisirent ici pour me faire panser. Revenus à l’hôtel, Verlaine et sa mère me proposèrent de rester avec eux, pour me soigner, ou de retourner à l’hôpital jusqu’à guérison complète ; la blessure me paraissant peu grave, je manifestai l’intention de me rendre le soir même en France, à Charleville, auprès de ma mère. Cette nouvelle jeta Verlaine dans le désespoir ; sa mère me remit 20 francs pour faire le voyage, et ils sortirent avec moi pour m’accompagner à la gare du Midi.

Verlaine était comme fou il mit tout en œuvre pour me retenir d’autre part, il avait constamment la main dans la poche de son habit, où était son pistolet. Arrivés à la place Rouppe, il nous devança de quelques pas, et puis il revint sur moi ; son attitude me faisait craindre qu’il ne se livrât à de nouveaux excès ; je me retournai et je pris la fuite en courant ; c’est alors que je priai un agent de police de l’arrêter.

La balle, dont j’ai été atteint à la main, n’est pas encore extraite ; le docteur d’ici m’a dit qu’elle ne pourrait l’être que dans deux ou trois jours.

D. – De quoi viviez-vous à Londres ?

R. – Principalement de l’argent que Mme Verlaine envoyait à son fils nous avions aussi des leçons de français que nous donnions ensemble, mais ces leçons ne nous rapportaient pas grand’chose, une douzaine de francs par semaine, vers la fin.

D. – Connaissez-vous le motif des dissentiments de Verlaine et de sa femme ?

R. – Verlaine ne voulait pas que sa femme continuât d’habiter chez son père.

D. — N’invoque-t-elle pas aussi comme grief votre intimité avec Verlaine ?

R. — Oui, elle nous accuse même de relations immorales. Mais je ne veux pas me donner la peine de démentir de pareilles calomnies.

Lecture faite, persiste et signe.

(Suivent les signatures.)

V

Seconde déposition du témoin Rimbaud Arthur, en date du 18 juillet 1873. (Extrait du dossier du Procès de Bruxelles.)

— Je persiste dans les déclarations que je vous ai faites précédemment, c’est-à-dire qu’avant de me tirer un coup de pistolet, Verlaine avait fait toutes espèces d’instances auprès de moi pour me retenir avec lui ; il est vrai qu’à un certain moment il a manifesté l’intention de se rendre à Paris pour faire une dernière tentative de réconciliation auprès de sa femme, et qu’il voulait m’empêcher de l’y accompagner ; mais il changeait d’idées à chaque instant ; il ne s’arrêtait à aucun projet : aussi je ne puis trouver aucun mobile sérieux à l’attentat qu’il a commis sur moi ; du reste sa raison était complètement égarée, il était en état d’ivresse, il avait bu dans la matinée, comme il a, du reste, l’habitude de le faire quand il est livré à lui-même.

On m’a extrait, hier, de la main la balle de revolver qui m’a blessé ; le médecin m’a dit que dans trois ou quatre jours ma blessure serait guérie.

Je compte retourner en France, chez ma mère, qui habite Charleville.

Lecture faite, persiste et signe.


(Suivent les signatures.)